Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du 21 juin 2016 à 17h15
Commission des affaires économiques

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

Les autocars, c'est une question de prix. Moi aussi j'ai des enfants ; les jeunes n'anticipent pas, déclenchent leur demande de transport, leur décision de partir en week-end au dernier moment. C'est pour cela qu'ils ne prennent pas le train : un billet acheté au dernier moment est trop cher. La demande d'autocars sert aussi à cette demande de flexibilité. Les autocars ne sont pas le moyen de transport du pauvre. Ils sont budgétairement accessibles, à des prix très compétitifs. Mais les autocars ne sont pas les vieilles machines que l'on imagine, ce sont des véhicules avec du WiFi et des sièges inclinables. Ce ne sont pas les bétaillères ou les chicken bus que l'on peut voir en Amérique centrale. Ce sont des cars modernes qui offrent un certain nombre de facilités et, sur le plan environnemental, avec les nouvelles normes, ils ne sont pas moins défavorables au bilan carbone qu'une locomotive diesel qui fonctionne à moitié remplie.

Madame Laure de la Raudière, sur votre question concernant les plateformes, l'amendement sénatorial n'ajoute rien à l'arsenal existant. Nous avons le pouvoir aujourd'hui d'ordonner des mesures conservatoires, nous l'avons fait dans le cadre de Google, d'Apple ou d'autres géants de l'internet, à trois conditions. Il faut d'abord que la pratique soit susceptible d'être considérée comme anti-concurrentielle, disons abusive pour l'abus de position dominante. Il faut ensuite un risque d'atteinte sérieuse et immédiate aux intérêts du secteur, à la concurrence ou à la situation de l'entreprise plaignante et, enfin, un lien de causalité entre cette atteinte et la pratique jugée ou présumée anti-concurrentielle. Nous ordonnons régulièrement des mesures conservatoires, y compris dans les droits sportifs, dans les télécoms, dans l'énergie ou pour les géants de l'internet. Nous l'avons fait pour Google AdWords et pour Apple pour ce qui concerne la distribution de l'iPhone.

Ce qui me semblerait préférable c'est d'inviter la Commission européenne à utiliser de manière plus active ces mesures. Elle ne l'a fait qu'une fois depuis sa création alors que nous l'avons fait trente fois depuis les années 2000. La vérité est celle-là : il faudrait encourager les autres autorités de la concurrence et notamment la Commission à faire un usage plus intense et actif de ces mesures.

Sur la question des plateformes je voulais vous citer trois initiatives que nous avons prises. Nous nous sommes groupés avec les Italiens et les Suédois pour traiter le cas Booking.com. Booking.com, Expedia ou les autres plateformes de réservation en ligne imposaient des clauses de parité qui contraignaient les hôtels et les autres plateformes à pratiquer les mêmes prix que ceux affichés sur ces sites. C'est par une décision conjointe avec les Italiens et les Suédois que nous avons obtenu la suppression de ces clauses qui vont permettre une meilleure concurrence entre plateformes, au bénéfice des hôtels qui vont retrouver une meilleure concurrence et des consommateurs.

Nous avons publié avec les Britanniques une étude conjointe sur les effets sur la concurrence des écosystèmes ouverts ou fermés et nous venons de publier avec les Allemands – le Bundeskartellamt – une étude sur le rôle des données dans la concurrence : nous voulons prendre mieux en compte la capacité considérable que donne à certaines entreprises la possibilité de collecter de manière massive certaines données qui ont ensuite un usage commercial. Cette étude est conjointe avec les Allemands, elle a été jugée très intéressante par la Commission européenne qui s'en inspire et c'est dans le sillage de cette étude que nous avons lancé cette enquête sectorielle sur la publicité en ligne, parce que cela illustre encore plus profondément le rôle fondamental que jouent les données dans l'animation de l'économie numérique et de la concurrence de manière générale.

J'en viens aux notaires. Monsieur Hervé Pellois, vous êtes inquiet pour les notaires ruraux, à deux titres. À la fois à cause de l'écrêtement à 10 % des émoluments et à cause des propositions trop libérales que l'on aurait pu faire en matière d'installation.

Vous avez raison, cette réforme, qui va générer plus d'efficacité et peut-être permettre un déblocage d'un certain nombre de transactions, touche plus les offices ruraux que les offices urbains. Je suis mille fois d'accord puisque les prix du foncier sont plus faibles dans les zones rurales. Mais je ne crois pas qu'une de ces mesures mette en péril les offices ruraux parce que, d'une part, cela ne concerne qu'une part minoritaire de l'activité. Cela ne touche que les transactions inférieures à 11 400 euros. Et, d'autre part, parce que la loi prévoit un mécanisme de compensation entre les offices les plus rentables et ceux qui ne le sont pas. Soyons clairs, beaucoup d'offices urbains ont bénéficié de l'explosion des prix immobiliers. Dans la mesure où les émoluments sont proportionnels à la valeur des transactions ils n'ont pas eu à se plaindre à la fois de l'augmentation des prix de l'immobilier et de l'augmentation des transactions.

Qu'il y ait une compensation entre les offices notariaux pour que ceux qui – je vais dire un gros mot – bénéficient de la rente liée à cette proportionnalité en reverse une partie aux offices ruraux, c'est la logique de la loi Macron que nous appuyons tout à fait. En matière d'installation, nous avons fait une étude très documentée et très mesurée sur les besoins et, je vous le dis très franchement, nos propositions respectent les offices existants, notamment dans les zones rurales. Il y a des zones où nous préconisons l'augmentation de seulement un ou deux professionnels. Il s'agit souvent de zones mixtes où il existe des petites villes et des zones rurales. Nous avons adapté nos préoccupations à la démographie de ces zones ainsi qu'à une série de données que nous avons collectées : le nombre de mariages, le nombre de décès, l'activité immobilière, l'activité économique parce que ce sont elles qui sont corrélées par le nombre d'actes notariaux générés par ces activités.

Monsieur Éric Straumann, vous m'avez interrogé sur les notaires en Alsace-Moselle. La loi Macron ne s'applique pas à l'Alsace-Moselle. Vous en avez tout à fait expliqué les raisons, qui sont historiques. Mais nous le regrettons parce qu'en réalité la concentration des notaires est la plus forte dans ces départements et le revenu moyen par notaire y est aussi le plus élevé.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion