Intervention de Pierre-Franck Chevet

Réunion du 22 juin 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire :

Les dispositions de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui concernent la sûreté nucléaire et la radioprotection vont tout à fait dans le bon sens. De manière logique au moment où nous avons des enjeux sans précédent à gérer, elles confortent non seulement les acteurs, l'ASN et son appui technique, l'IRSN, mais aussi le dispositif de participation du public.

Ainsi que vous l'avez relevé, Madame Marie-Noëlle Battistel, le rôle des CLI a été renforcé. D'une part, elles ont désormais l'obligation d'organiser au moins une réunion publique par an. C'est un point essentiel, car les CLI ne sont pas uniquement une instance de discussion entre « habitués » : elles ont vocation à relayer une information plurielle auprès de l'ensemble du public. D'autre part, les CLI peuvent dorénavant, de droit, visiter un site après un incident. L'ASN pourra bien évidemment accompagner une telle visite si la CLI concernée le souhaite.

S'agissant de la prolongation de l'exploitation des centrales nucléaires au-delà de quarante ans, la loi relative à la transition énergétique prévoit que la décision de l'ASN sera précédée d'une enquête publique. La prolongation est un rendez-vous majeur en termes de sûreté ; il faut donc que le processus de participation du public soit à la hauteur. L'enquête publique me paraît un bon moyen de répondre à cette exigence.

La loi relative à la transition énergétique conforte, je l'ai dit, le « couple » qui assure le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. En effet, le dispositif français est « dual », avec un décideur, l'ASN, qui est chargée de prendre toutes les grandes décisions, et un expert technique, l'IRSN, qui travaille de manière permanente avec l'ASN, et essentiellement – mais pas exclusivement – pour elle.

Pour toutes ses décisions, l'ASN sollicite l'IRSN. Pour les décisions les plus compliquées, elle s'est adjoint, en outre, des groupes d'experts, c'est-à-dire de sages, qui examinent la question. Lorsque les décisions sont encore plus compliquées, elle peut aussi avoir recours à une expertise internationale. Elle l'a déjà fait dans certains cas. D'autre part, il y a le processus de participation du public : tout le monde peut contribuer à la préparation de la plupart de nos décisions. Certes, les contributions ne bouleversent pas toujours les équilibres, mais il est arrivé que certaines d'entre elles nous fassent modifier notre décision. Telle est l'architecture de la prise de décision.

Dans d'autres pays, le décideur et l'expert technique sont intégrés au sein d'une même structure. Selon moi, le système français présente un avantage : quand l'expert technique rend un avis, le poids de la décision finale ne pèse pas sur ses épaules. Conformément à son rôle, l'IRSN rend un avis technique et, ensuite, l'ASN construit la décision sous mon autorité. Le fait de dissocier les deux fonctions est plutôt une bonne chose. Pour bien marquer la différence entre ces deux rôles, nous avons prévu que l'IRSN rende ses avis publics dès qu'ils sont produits, avant même que l'ASN prenne sa décision. Selon moi, cela participe de l'amélioration de la sûreté dans la durée.

La loi relative à la transition énergétique n'avait pas vocation à traiter nos problèmes de moyens. Le dispositif que je viens de décrire emploie environ 1 000 personnes : un peu moins de 500 à l'ASN, et un nombre équivalent à l'IRSN. Après réactualisation, nous estimons qu'il nous faudrait environ 150 personnes de plus, non pas immédiatement, mais dans les années à venir, car il faut tenir compte de notre capacité d'absorption, c'est-à-dire de notre capacité à former les nouveaux arrivants. Il s'agit non pas de faire du chiffre, mais de privilégier la qualité.

Rappelons que l'ASN ne fait pas seulement des inspections. S'agissant, par exemple, des mesures post-Fukushima, avant d'aller surveiller la construction de tel ou tel bâtiment ou équipement additionnel, il faut d'abord s'assurer que la conception proposée est valable ou non. Il y a donc un travail très important d'analyse en amont, qui permet de fixer des règles ; ensuite, on inspecte pour vérifier si les règles ont été appliquées. Telles sont les deux grandes missions qu'exerce l'ASN.

Au final, la charge de travail est répartie de la manière suivante : environ la moitié de l'effectif est affectée en régions, essentiellement pour mener les inspections sur le terrain – pour vous donner un ordre de grandeur, une dizaine d'inspections ont lieu ce jour même en France ; l'autre moitié de l'effectif est affectée au siège à Montrouge et réalise le travail d'analyse que je viens d'évoquer, en liaison étroite avec l'IRSN.

À quoi serviront les moyens supplémentaires que nous demandons ? Le grand carénage est un rendez-vous industriel majeur : des travaux vont être réalisés à hauteur de 55 milliards d'euros – montant exceptionnel par rapport au volume d'investissements présent et passé d'EDF – et la plupart d'entre eux touchent à la sûreté nucléaire. Ils vont donc nécessiter un surcroît d'analyse par l'ASN et, ensuite, un surcroît d'inspections pour vérifier que les choses se passent sur le terrain telles qu'elles ont été prévues. Il faut que le contrôle soit à la hauteur de ces investissements très importants. C'est de cette manière que nous avons dimensionné notre demande de moyens supplémentaires.

La sous-traitance est une question importante. Le décret d'application de l'article 124 de la loi relative à la transition énergétique, actuellement en préparation, va limiter à trois le nombre de niveaux de sous-traitance, sauf dérogation spéciale. Ces dispositions vont dans le bon sens. La sous-traitance est souvent considérée comme un mal, mais, en termes de sûreté, il est justifié et nécessaire de recourir à une sous-traitance bien encadrée dans certains cas de figure, notamment lorsque l'on a besoin de faire appel à des spécialistes dans des domaines très pointus que les entreprises de rang 1, 2 ou 3 ne sont pas en mesure de prendre en charge elles-mêmes. Reste que, dans le cas général, une réduction du nombre de niveaux de sous-traitance est plutôt souhaitable, car cela permet une meilleure surveillance. Dans une sous-traitance à deux ou trois niveaux, l'important, du point de vue de l'ASN, c'est que chaque niveau n, y compris les exploitants, exerce bien sa mission de contrôle du niveau n - 1, l'ASN exerçant, pour sa part, un contrôle global.

Plusieurs de vos questions portent sur la gestion des déchets, d'une part sur le projet Cigéo, d'autre part sur le stockage décentralisé.

Premier point concernant Cigéo : la question de son coût. Le rôle de l'ASN est de se prononcer non pas sur le montant de 25 milliards d'euros qui a été fixé, mais, ainsi que le prévoit la loi, sur les options techniques de Cigéo, dont découle ensuite un coût. Ainsi, la ministre de l'environnement a soumis à l'ASN l'évaluation – de très grande qualité, d'ailleurs – faite par l'ANDRA. Nous avons été amenés à dire qu'un certain nombre d'hypothèses techniques retenues par l'ANDRA nous semblaient plutôt optimistes, par exemple la taille et la longueur des galeries. Si l'on voulait adopter une approche prudente, ainsi que le prévoit la loi, il fallait donc réviser ces hypothèses et en tirer les conséquences en termes de coût. Notons que, s'agissant d'une installation qui a vocation à être exploitée pendant 100 à 150 ans et qui vivra, au-delà, une centaine de millions d'années, les incertitudes sont, à l'évidence, très grandes, surtout en ce qui concerne les coûts : il est notamment très difficile d'imaginer quel sera le coût du personnel ou celui de l'énergie dans 150 ans.

En tout cas, le fait que le coût de Cigéo ait été actualisé est une bonne nouvelle, car cela n'avait pas été fait depuis dix ou quinze ans. Surtout, le Gouvernement s'est engagé à revoir régulièrement le coût de Cigéo, au gré de l'avancement technique du projet. Cela paraissait logique – on ne sait pas très bien, et c'est normal, comment sera l'installation dans 150 ans –, mais cela méritait d'être précisé. Cette clause de réexamen systématique me paraît le point essentiel, au-delà de la discussion que l'on peut avoir sur le montant de 25 milliards d'euros.

Deuxième point très important concernant Cigéo : la notion de réversibilité. Elle est ressortie des débats publics sur le projet et fait l'objet d'une proposition de loi en cours d'examen. Il s'agit d'un texte très important, dont l'adoption constitue un préalable au dépôt, par l'ANDRA, d'une demande d'autorisation de création pour Cigéo. L'ASN a publié très récemment une contribution technique sur la question de la réversibilité, afin de préciser ce que l'on entend par ce terme, car des idées très diverses peuvent y être rattachées.

Notre avis – qui est, bien évidemment, public – reprend deux idées. La première est que la réversibilité implique l'adaptabilité : Cigéo doit être capable techniquement de s'adapter à des changements, notamment de politique énergétique. Actuellement, il est prévu de stocker des déchets vitrifiés, mais, si l'on change de politique énergétique – ce qui n'est pas exclu à l'horizon de quarante ou cinquante ans, voire plus tôt –, nous serons peut-être amenés à stocker des combustibles en l'état, ainsi que le font d'autres pays. Deuxième idée : la réversibilité implique la récupérabilité des colis. En d'autres termes, on doit pouvoir reprendre les colis de déchets stockés dans Cigéo, au moins au cours de la période d'exploitation de 100 à 150 ans, notamment si l'on a, à un moment donné, une meilleure solution pour les gérer.

Ces deux idées sont inscrites dans la proposition de loi, qui comprend d'autres dispositions, notamment la fixation de rendez-vous parlementaires sur ces questions. Il s'agit, je le répète, d'un texte très important, auquel l'ASN a apporté sa contribution technique.

J'en viens à l'idée de stockage décentralisé que nous avons avancée. Cigéo est conçu pour stocker les déchets les plus compliqués et les plus nocifs. À l'autre extrémité du spectre, notamment dans la perspective, un jour, du démantèlement – je ne me prononce pas sur un calendrier –, il faut gérer un certain nombre de déchets très peu radioactifs, notamment des bétons et des ferrailles, qui représentent donc un enjeu limité en termes de sûreté et de radioprotection, mais qui doivent être traités avec précaution et sont majoritaires en quantité. Actuellement, la doctrine prévoit que ces matériaux ont vocation à rejoindre des sites de stockage centralisé de l'ANDRA. Or il n'est pas nécessairement optimal, y compris en termes de sûreté, de faire traverser la moitié de la France à ces déchets, même si leur impact est objectivement faible. De mon point de vue, il est essentiel d'avoir un débat, dont la forme reste à déterminer, sur le partage entre stockage local et stockage national. Ce débat ne touche pas uniquement la sûreté, et il implique les élus tant locaux que nationaux. Il n'est pas urgent, mais il est devant nous et il faut le préparer. Nous avons déjà eu quelques échanges à ce sujet avec la Commission nationale du débat public.

S'agissant de l'usine d'Areva au Creusot, ainsi que je l'ai indiqué, l'ASN a demandé un audit rétrospectif, qui est en cours. C'est un travail long et compliqué, qui prendra encore plusieurs mois. Le volume de documents à examiner est considérable. Compte tenu de l'exigence de transparence, il faut que les anomalies soient déclarées au fur et à mesure qu'elles sont découvertes, même si cela donne un peu l'impression qu'il y a des mauvaises nouvelles tout le temps. En tout cas, il est absolument essentiel d'aller au bout de ce processus, afin de purger la situation.

La dernière mauvaise nouvelle concerne le réacteur n° 2 de Fessenheim. D'après les informations dont nous disposons, le problème concerne un composant forgé en acier situé dans la partie supérieure d'un générateur de vapeur, dans lequel au moins l'une des deux masselottes n'aurait pas été enlevée – lorsque l'on coule un lingot de métal, on prévoit, en haut et en bas, des masselottes, où se concentrent un certain nombre d'impuretés. Il s'agit désormais de caractériser cette anomalie et d'établir si elle est acceptable en termes de sûreté ou non. EDF a commencé un certain nombre d'analyses. L'ASN se prononcera sur la base des éléments que l'entreprise lui transmettra. À ce stade, je ne suis pas en mesure de vous indiquer dans combien de temps nous pourrons le faire. Nous en sommes au début de l'instruction de ce dossier.

Je n'ai pas parlé d'une fermeture de la centrale du Tricastin. Le réacteur Tricastin-1 sera le premier du parc à être arrêté pour maintenance, en 2019, pour sa quatrième visite décennale. Les autres le seront ensuite. Il y a une vingtaine d'années, on a identifié des anomalies sur la cuve du réacteur Tricastin-1, qui font l'objet d'un suivi renforcé. Ce sera évidemment l'un de nos points d'attention dans le cadre de la visite décennale. Je ne singularise pas particulièrement Tricastin-1 : il y a des problèmes spécifiques sur d'autres réacteurs, par exemple des problèmes d'étanchéité de l'enceinte sur les réacteurs de 1 300 mégawatts. Toutes ces anomalies sont connues et font l'objet d'un suivi adapté en fonction de leurs spécificités.

Les réacteurs du Bugey sont de la même génération que ceux de Fessenheim. Ils présentent eux aussi un certain nombre de particularités. Nous avons actuellement des discussions à propos du redémarrage du réacteur Bugey-5, dont l'enceinte avait un problème d'étanchéité, qui a fait l'objet d'un suivi. Cela fait partie, en quelque sorte, de la vie courante.

Ainsi que je l'ai indiqué, l'usine FBFC a été placée sous surveillance renforcée pour un problème de qualité d'exploitation. Il s'agit d'installations relativement anciennes, et des investissements sont nécessaires pour en améliorer la sûreté. Nous menons des discussions sur ce point, qui renvoient aussi aux capacités financières des acteurs. Même si nous avons déjà constaté un certain nombre d'améliorations, l'usine FBFC reste pour l'instant sous surveillance renforcée. Lorsque nous serons satisfaits, nous relâcherons cette surveillance, mais le moment n'est pas encore venu.

Les problèmes relevés à la centrale de Gravelines concernent, eux aussi, la qualité d'exploitation. En général, lorsque l'on pointe du doigt une centrale en indiquant qu'elle est plutôt en queue de peloton, on obtient l'effet recherché : un ou deux ans plus tard, elle se retrouve en tête de peloton. Dès lors, d'autres centrales passent derrière. Cela fait partie de nos méthodes de travail.

Ainsi que je l'ai indiqué, nous prendrons position sur la prolongation de l'exploitation des centrales à la fin de l'année 2018 ou au début de 2019. Les discussions portent notamment sur quatre ou cinq grandes questions très compliquées. Car il s'agit non seulement de traiter les problèmes de vieillissement, mais aussi d'améliorer la sûreté en se rapprochant autant que possible des normes de sûreté les plus modernes, la référence étant l'EPR. Prenons un exemple : l'EPR est équipé d'un récupérateur de corium sous la cuve ; les tranches existantes, elles, n'en sont pas équipées, et il n'y a pas nécessairement la place d'en installer un. Nous avons sur ce point des discussions très techniques et compliquées avec EDF, qui prendront du temps. EDF propose d'ajouter des bétons spéciaux entre la cuve et le plancher actuel du réacteur. Toute la question est de savoir si cela assure la même mission qu'un récupérateur de corium. C'est l'un de ces quatre ou cinq grands sujets que nous devons traiter. Cela exige d'abord un travail d'analyse, puis cela demandera un travail d'inspection pour vérifier les modifications qui ont été apportées.

Actuellement, en cas de crise, la FARN peut venir seconder les équipes locales, et il existe déjà des locaux protégés, mais il est effectivement nécessaire de créer un centre de crise bunkérisé sur chaque site. Cela fait partie des moyens « en dur » qui doivent être déployés dans le cadre de la deuxième phase des mesures post-Fukushima. Cette phase a commencé, et un certain nombre de travaux de construction sont en cours, notamment à Flamanville. Il s'agit de travaux lourds.

Il y a évidemment une articulation entre les travaux post-Fukushima, le grand carénage et la prolongation de l'exploitation des centrales. Ainsi, toutes les mesures post-Fukushima qui vont dans le bon sens en termes de sûreté « comptent » positivement dans le cadre de l'examen de la prolongation. Je cite quelques chiffres pour donner un ordre de grandeur : au sein des 55 milliards d'euros du grand carénage, EDF estime la partie post-Fukushima à 10 milliards.

Les travaux qui doivent être menés dans le cadre du grand carénage, y compris les travaux post-Fukushima, sont extrêmement lourds : ils s'apparentent davantage à la construction d'installations nouvelles qu'aux modifications courantes auxquelles on procède sur les centrales nucléaires. La qualité de ces travaux sera un de nos grands points de vigilance. Nous disposons déjà d'un certain nombre de retours d'inspection, et des anomalies ont été constatées sur certains chantiers lourds, notamment sur des bétons complexes.

J'en viens aux difficultés rencontrées sur les chantiers d'installations nouvelles. Elles concernent non seulement l'EPR de Flamanville, mais aussi les autres installations en cours de construction, notamment le réacteur Jules-Horowitz. Soyons clairs : il y a eu une perte d'expérience en matière de construction de nouvelles installations. Lorsque l'on n'a pas fabriqué de béton sophistiqué ou lorsqu'on n'a pas soudé depuis dix ou quinze ans, il est très difficile de le refaire immédiatement sans défaut. Cela étant, qui dit perte d'expérience, dit aussi courbe d'expérience : lorsque l'on fait la même chose plusieurs fois, les résultats ont vocation à s'améliorer, grâce au retour d'expérience.

Je ne porterai pas de jugement sur l'opportunité de réaliser ou non le projet Hinkley Point. Je ne ferai qu'un seul commentaire : il me paraît évident que si les équipes chargées du nucléaire en France, chez Areva et EDF, ne font pas, pendant cinq ou six ans, d'autre construction que l'EPR de Flamanville, il y aura de nouveau une perte d'expérience, et il faut s'attendre à retrouver les mêmes problèmes, quel que soit le modèle de réacteur choisi.

Quant aux anomalies détectées sur la cuve de l'EPR de Flamanville, il faut aller jusqu'au bout du processus et les traiter. Allons-nous résister à la pression ? Je dirais que nous sommes « faits pour » et que nous sommes habitués. Nous ferons donc notre travail, en mode ouvert. Nous nous sommes appliqués, comme d'habitude, à être transparents tant sur les anomalies de la cuve que sur les irrégularités constatées à l'usine du Creusot. Après-demain, le groupe d'experts compétent fera un point sur toutes ces questions, en présence de représentants de l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI) et du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). Pour nous, la question de la transparence ne se pose pas : c'est notre méthode de travail habituelle.

En dépit des difficultés rencontrées sur la cuve, l'EPR est une bonne référence pour nous en termes de sûreté. Ce n'est pas pour rien que l'ASN travaille sur l'EPR depuis maintenant vingt-cinq ans. Sur le fond, c'est un bon réacteur : ses options de sûreté ne sont pas contestables ; son design est plutôt satisfaisant. Ensuite, il y a des difficultés dans la réalisation, ce qui est autre chose.

L'EPR est un bon réacteur, mais cela n'exclut pas qu'un travail soit fait pour l'optimiser du point de vue industriel. Cela ne me pose aucun problème, et c'est même de la responsabilité des industriels d'engager un tel processus. EDF a déposé auprès de l'ASN un dossier d'options de sûreté pour l'EPR dit « nouveau modèle », c'est-à-dire pour l'EPR optimisé. J'ai un problème de moyens pour instruire ce dossier, car cela n'était pas prévu dans la charge de travail que nous avions estimée.

À défaut de moyens supplémentaires à court terme, je donnerai la priorité – c'est de ma responsabilité – aux installations existantes, car ce sont elles qui sont potentiellement concernées par un risque. Nous ferons le maximum pour suivre les chantiers nouveaux. Nous continuerons notamment à faire des inspections à Flamanville. Mais, au regard des dossiers tels que la prolongation de l'exploitation des centrales, les chantiers nouveaux constitueront plutôt la variable d'ajustement. Du point de vue de la sûreté, il ne me paraît pas souhaitable que ce décalage en termes de moyens perdure au-delà de l'année en cours.

En matière de sûreté nucléaire et de radioprotection, l'Europe « fait le travail ». Elle affiche une vraie ambition sur tous les sujets relatifs à la sûreté, y compris sur la question des déchets. Au niveau européen – je n'en dirais pas autant à propos du niveau international –, nous disposons d'une belle architecture normative, avec des directives et des règlements clairs. À la suite de l'accident de Fukushima, la directive relative à la sûreté nucléaire a été révisée. Elle est très ambitieuse : elle dispose notamment que les réacteurs doivent être constamment améliorés, au fur et à mesure qu'ils vieillissent. Cette idée apparaît plutôt comme une évidence en Europe, ce qui n'est pas le cas au niveau international. Par exemple, nos homologues américains s'en tiennent davantage à la vérification de la conformité aux standards initiaux : ils manifestent moins la volonté de modifier l'existant afin de le rapprocher des modèles les plus récents. Au niveau international, les visions sont donc un peu divergentes. Au niveau européen, en revanche, il y a une très grande unanimité, et un très gros travail.

J'assure en effet depuis six mois la présidence de l'ENSREG, club européen des autorités compétentes en matière de sûreté nucléaire. En ce moment, nous travaillons essentiellement à la mise en oeuvre concrète de la directive relative à la sûreté nucléaire. À la suite de l'accident de Fukushima, nous avons procédé à des tests de résistance – stress tests – sur les centrales nucléaires au niveau européen, avec une évaluation par les pairs et une comparaison des résultats. Les conclusions de ces tests ont été rendues publiques. La directive révisée prévoit que nous fassions ce même travail tous les six ans sur un sujet de notre choix. Nous avons choisi la question du vieillissement des centrales nucléaires, à laquelle tous les pays européens sont aujourd'hui confrontés, la majorité des réacteurs ayant été construits dans les années 1970 et 1980, chez nos voisins comme chez nous. C'est donc un des grands thèmes de travail au niveau européen, qui fera l'objet de la prochaine évaluation par les pairs.

Autre grand thème de travail au niveau européen : la gestion des situations d'urgence. L'ensemble des autorités de sûreté et de radioprotection européennes sont favorables à l'extension du périmètre des plans d'urgence. Notre raisonnement est très simple : même si nous avons tous pris des mesures pour améliorer la sûreté après l'accident de Fukushima – et il ne faut pas les mésestimer –, aucun d'entre nous n'est en mesure d'exclure qu'un accident du type de celui de Fukushima survienne en Europe. Or l'accident de Fukushima a eu des impacts dans un rayon d'environ 100 kilomètres et a nécessité une évacuation dans un rayon de 20 kilomètres. Lorsque vous tracez des cercles de ces rayons autour des centrales en Europe, vous en tirez deux conclusions. Premièrement, un accident toucherait vraisemblablement plusieurs pays simultanément. D'où la nécessité de progresser en matière d'harmonisation et de coordination de nos réactions en cas de crise, par-delà les frontières. À l'heure actuelle, les seuils de déclenchement des mesures diffèrent d'un pays à l'autre. En d'autres termes, pour un taux de radioactivité donné, on ne prend pas les mêmes décisions partout en Europe. Nous avons donc tout un travail devant nous, que nous poussons collectivement. Deuxièmement, si l'on se place dans l'hypothèse de conséquences dans un rayon de 100 kilomètres et d'une évacuation dans un rayon de 20 kilomètres, il faut examiner comment nous pouvons adapter concrètement nos plans d'urgence à une telle situation. Il faut, en particulier, étendre leur périmètre.

L'ASN est favorable à l'extension du périmètre des PPI. L'extension à 20 kilomètres est certainement une première étape tout à fait nécessaire. Des discussions interministérielles sont en cours à ce sujet. Elles impliquent notamment le ministère de l'intérieur. Cependant, pour passer de l'intention – « on veut y aller » – à la réalisation – « on a un plan qui marche » –, un certain temps est nécessaire, car il faut procéder de manière ordonnée et sérieuse. À ce stade, la campagne de distribution des pastilles d'iode ne peut donc se faire que dans les périmètres actuels. Une fois que le périmètre aura été modifié, il faudra compléter la distribution, en fonction des conclusions qui auront été tirées. En tout cas, le travail sur les plans d'urgence est un bon exemple de pratique concertée au niveau européen.

L'ASN travaille très régulièrement avec ses homologues des pays voisins et des grands pays sur la plupart des sujets importants. Nous menons notamment un travail par type de réacteur. Il existe, par exemple, un club international des autorités qui sont chargées de suivre un projet de réacteur EPR. Il réunit la Finlande, la Chine, la France et le Royaume-Uni. Les experts de ces pays travaillent ensemble sur toutes les grandes questions relatives à l'EPR, notamment le contrôle-commande, à savoir le système qui permet de piloter la centrale. Contrairement à ce qui a été indiqué, notre approche du contrôle-commande est tout à fait cohérente avec celle des Britanniques, même si nous n'avons peut-être pas la même position dans le détail. Nous considérons les uns et les autres que c'est une bonne chose de développer la partie informatique du contrôle-commande – nous l'avons admis en France il y a une quinzaine d'années –, mais, dans la mesure où il est très compliqué de démontrer la sûreté d'un dispositif informatique, il faut un système de secours qui permette de prendre le contrôle en mode manuel.

Je suis allé à Fukushima. Les Japonais ont fait un travail colossal de réorganisation de leur système, ainsi qu'un travail technique impressionnant sur la situation de leurs centrales. Nous avons beaucoup travaillé avec nos nouveaux homologues japonais, qui ont atteint, objectivement, un niveau de sérieux tout à fait remarquable. Nous avons des liens très forts avec eux. Tel est aussi le cas des Américains. Je dois me rendre de nouveau au Japon en septembre prochain.

Je crois avoir répondu à une grande partie de vos questions. Je peux, le cas échéant, vous faire parvenir des éléments complémentaires par écrit.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion