Intervention de Manuel Valls

Séance en hémicycle du 28 juin 2016 à 15h00
Égalité et citoyenneté

Manuel Valls, Premier ministre :

Pour conserver son rang, faire entendre sa voix, peser face aux grands ensembles, bâtir une relation forte et stratégique avec l’Afrique, ce continent d’avenir, défendre son exception culturelle, elle doit s’affirmer comme la puissance qu’elle est, en s’en donnant tous les moyens. L’Europe, le Président de la République l’a dit en des termes très forts dès vendredi, doit être une puissance qui décide souverainement de son destin. Pour cela, elle doit investir massivement pour la croissance et pour l’emploi, bâtir une stratégie industrielle dans les nouvelles technologies, la révolution numérique et la transition énergétique. Le plan Juncker est d’ores et déjà un succès. Rien qu’en France, il a permis de financer des projets à hauteur de 14,5 milliards d’euros. Il faut aller plus loin et plus vite, doubler ce plan, démultiplier les investissements pour soutenir la croissance, car il y a urgence. Il faut encore poursuivre l’harmonisation fiscale et sociale – et par le haut ! – pour donner à nos économies des règles et à nos concitoyens des garanties.

Certains disent que c’est impossible, mais enfin ce que nous avons réussi pour le secret bancaire, pour un socle commun de droits sociaux, nous pouvons aussi le faire contre toutes les formes de dumping qui rongent le projet européen de l’intérieur. Avec la mise en place d’un salaire minimum, avec la lutte contre la fraude au détachement des travailleurs ! Cette fraude, pour ne prendre que cet exemple, c’est s’asseoir sur les règles les plus fondamentales des droits des salariés : rémunération, temps de travail, hébergement. Et l’Europe resterait impuissante ? Non ! Si on ne le fait pas, c’est un des piliers du traité de Rome – la libre circulation des travailleurs – qui sera balayé. C’est pourquoi il faut modifier en profondeur la directive de 1996. La Commission l’a proposé ; à nous de l’adopter sans négliger les obstacles. Sinon, nous devons prendre nos responsabilités.

Enfin, nous devrons renforcer la zone euro et sa gouvernance démocratique. Dès mon discours de politique générale, en avril 2014, j’avais demandé une Banque centrale européenne plus active. Beaucoup a été fait, le plus souvent à notre initiative : la zone euro est plus puissante et résistante qu’en 2008. Mais il doit y avoir plus de convergence entre les États membres et plus de légitimité dans les décisions prises. C’est pourquoi il faut à la fois un budget et un Parlement de la zone euro.

Il faut donc réinventer l’Europe, mais il faut aussi une nouvelle manière de faire l’Europe. En donnant le sentiment d’intervenir partout, tout le temps, l’Europe s’est affaiblie. L’Europe doit être offensive là où son efficacité est utile, mais elle doit savoir s’effacer quand les compétences doivent rester au niveau national, voire régional. Le Président Juncker en est convaincu, mais cette nouvelle philosophie est loin d’avoir pénétré tous les esprits à Bruxelles ou ailleurs. Il est grand temps de dépasser les oppositions stériles. L’Europe, ce n’est pas la fin des États ; c’est l’exercice en commun des souverainetés nationales lorsque c’est plus efficace, lorsque les peuples le choisissent. Comme l’avait déjà dit Jacques Delors, c’est une fédération d’États-nations. Et le rôle de la France est d’entraîner les nations. Un exemple : si la France s’est battue pour une mise en oeuvre rapide des gardes-frontières, c’est parce que nous savons que la souveraineté de notre pays, que la maîtrise opérationnelle de nos frontières doit commencer à Lesbos ou à Lampedusa.

Il faut aussi une Europe qui décide vite. Elle sait le faire, comme l’ont montré les négociations en un temps record du plan Juncker. Et s’il faut mener à quelques-uns ce que les vingt-sept ne sont pas prêts à faire, eh bien faisons-le ! Sortons des dogmes. L’Europe, ce n’est pas l’uniformité ; il y a des différences.

Enfin, le débat démocratique européen doit impérativement gagner en qualité, en profondeur. C’est aussi une leçon du scrutin britannique : à force de ne pas parler d’Europe, les populistes n’ont aucune difficulté à raconter n’importe quoi, à se tromper, et je crois que les Britanniques s’en rendent compte aujourd’hui.

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