Intervention de Dominique Martin

Réunion du 15 juin 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Dominique Martin, directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ANSM :

Dans la chaîne du médicament, l'ANSM intervient très en amont, à savoir sur les problématiques de qualité intrinsèque du produit et de l'équilibre bénéficerisque. Les décisions d'autorisations de mise sur le marché sont prises dans la quasi-totalité des cas au niveau européen – les AMM prises sur le territoire national concernent essentiellement les génériques.

Notre pays bénéficie, et c'est une particularité dont nous pouvons être fiers, d'un accès à l'innovation globalement plus favorable que dans beaucoup d'autres. Les dispositifs de facilitation de l'accès à l'innovation, laquelle coûte cher, ont un impact économique. A titre d'exemple, pour les autorisations temporaires d'utilisation, qu'elle soit nominatives ou de cohorte, les prix sont libres : ils sont fixés par l'industriel, et non négociés par l'Agence. Les ATU de cohorte permettent un accès à des thérapeutiques innovantes plusieurs mois avant l'autorisation de mise sur le marché. Après l'arrivée du médicament sur le marché à un prix déterminé et utilisé pendant plusieurs mois, les discussions qui ont lieu dans le circuit normal – Haute Autorité de santé (HAS) puis CEPS – peuvent être affectées par ce prix, même si un mécanisme de récupération permet de récupérer un éventuel différentiel entre le prix utilisé dans le cadre de l'ATU de cohorte et le prix fixé in fine par le CEPS. Ce mécanisme de récupération de différentiel est assez complexe, mais il permet de rétablir les équilibres.

Autre exemple : le développement des biosimilaires, de plus en plus nombreux sur le marché, pose la question de leurs conditions d'utilisation et celle des possibilités de leur interchangeabilité – comme c'est déjà le cas pour les génériques. En effet, l'impact économique de l'utilisation des biosimilaires – moins chers que les princeps – sera différent selon qu'ils sont largement utilisés parce que les conditions de sécurité sont réunies ou que des conditions très restrictives sont posées à leur utilisation.

Les recommandations temporaires d'utilisation (RTU) ne constituent pas à proprement parler un mécanisme d'accès à l'innovation, mais s'en rapprochent, notamment dans le domaine de la cancérologie. En effet, les extensions d'indication peuvent passer par des RTU de médicaments d'immunothérapie, qui sont, chacun le sait, très coûteux ; ces extensions d'indication peuvent donc avoir un impact économique.

En particulier, la RTU pour l'Avastin permet d'utiliser ce médicament à la place du Lucentis à des coûts bien moindres. Pour établir cette recommandation temporaire, l'ANSM est intervenue, non sur des considérations économiques, mais sur l'aspect bénéficerisque, l'Avastin apportant le même bénéfice et garantissant la même sécurité dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) que les produits Lucentis ou Eylea. Le dispositif est en train de se mettre en place, certes péniblement car il reste quelques points à résoudre.

À côté de l'accès à l'innovation, l'accès aux traitements renvoie à une question importante : le développement des génériques, médicaments essentiels au regard des équilibres économiques. Conscients du retard pris en matière d'autorisations, nous avons mis en oeuvre un programme pour l'accès au premier générique, qui permettra de donner l'autorisation de mise sur le marché du premier générique le plus rapidement possible. En effet, l'arrivée d'un générique sur le marché a un effet sur le prix du princeps dans les mois qui suivent. Ainsi, l'Agence prend en considération, dans ses choix prioritaires, les aspects économiques.

L'ANSM est représentée au sein de la Commission de la transparence, ce qui nous permet d'apporter à celle-ci des informations sur les discussions relatives aux autorisations menées par le Committee for medicinal products for human use (CHMP), de l'Agence européenne des médicaments, en particulier sur le champ des indications, qui sont plus ou moins larges. La conception que l'on a de l'indication peut évidemment avoir un impact sur la population concernée. Ainsi, la fixation par la HAS de l'amélioration du service médical rendu (ASMR) se fait sur la base de données d'efficacité et de sécurité apportées par les industriels, mais aussi par l'Agence au travers de son action dans le cadre européen.

L'ANSM n'est pas représentée au sein du Conseil économique des produits de santé. En revanche, elle fait partie du groupe de travail où sont décidées les études post-AMM, c'est-à-dire des études de médicaments en vie réelle, utiles à la réévaluation du prix des médicaments en fonction des stratégies, en termes de bénéfice ou de risque.

Dans ce domaine des études en vie réelle, l'Agence a créé des plateformes de pharmaco-épidémiologie et travaille très étroitement avec la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), notamment sur les bases du système national d'information inter-régimes de l'Assurance maladie (SNIIRAM). Des améliorations sont encore possibles au travers de nos coopérations avec la HAS et le CEPS dans le suivi des médicaments en vie réelle, tant du point de vue de la sécurité que des impacts économiques.

Au-delà du prix des médicaments, une autre question importante concerne le financement des innovations, qui sont particulièrement coûteuses. La nécessité de dégager les moyens pour financer des innovations essentielles – antiviraux, médicaments d'immunothérapie – s'accompagne de la nécessité de mieux contrôler la consommation des médicaments. En effet, notre pays se caractérise par une surconsommation de certaines classes de médicaments, comme les psychotropes, notamment les benzodiazépines, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les antibiotiques. Si ces consommations étaient ramenées dans une moyenne européenne, des marges financières pourraient être dégagées afin de financer l'innovation. Cette démarche trouverait aussi un intérêt en termes de sécurité puisque la surconsommation est assimilée à un mésusage des médicaments.

À plusieurs reprises, l'Agence s'est interrogée sur la disparition de certains médicaments du marché français. Nous n'avons pas d'explications précises sur ce phénomène, car nous ne connaissons pas la nature des circuits financiers, mais il semble que cette disparition de certains médicaments du marché s'explique par un trop faible prix. Cela a été le cas de l'Extencilline, un médicament important et très peu cher. Il a fallu déployer beaucoup d'efforts pour importer un produit étranger et ainsi trouver un médicament similaire à l'Extencilline sur le marché français. D'autres médicaments ont disparu du marché, comme le Marsilid, un antidépresseur IMAO, et le Di-Hydan. Il est tout à fait normal que de nouveaux médicaments arrivent et que d'autres disparaissent du marché, mais la question se pose parfois des effets compliqués que cela peut engendrer.

Enfin, des interrogations portent sur la qualité des produits et sur les conditions dans lesquelles les essais de bioéquivalence sont conduits dans des pays lointains pour les génériques. Vous avez tous en tête l'affaire « GVK », qui a entraîné, sur décision de la Commission européenne, la suspension de plusieurs dizaines de génériques en France et de plusieurs centaines au niveau européen parce que l'entreprise qui avait conduit les études de bioéquivalence en Inde n'avait pas respecté les conditions de sécurité. L'ANSM conduit en effet des inspections sur les sites où se déroulent les essais, en Inde, en Chine, au Canada, pour s'assurer du respect des conditions de sécurité, malgré la tension économique susceptible de conduire certaines entreprises à ne pas respecter les normes européennes. L'Agence n'a pas accès à toutes les informations, mais nous sommes très attentifs au problème : plus de 10 % à 15 % de nos inspections sont conduites à l'étranger pour nous assurer, dans un marché globalisé, du respect des bonnes pratiques de fabrication et des bonnes pratiques en matière d'essais cliniques.

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