Intervention de Manuella Frésil

Réunion du 22 juin 2016 à 16h15
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Manuella Frésil, réalisatrice du documentaire Entrée du personnel :

Nos deux expériences sont différentes car nos films ont des formes et des entrées différentes. Pour ma part, je n'ai pas eu l'audace de penser que j'arriverais à convaincre un directeur d'abattoir de me laisser filmer. En plus, comme j'étais intéressée dès le départ par les conditions de travail, je savais que j'allais devoir mentir à la direction : j'étais obligée de cacher le vrai sujet de mon film. Je n'ai jamais eu suffisamment confiance en moi pour aller les voir en disant : au nom de la démocratie et de la transparence, laissez-moi entrer. Probablement en raison de mon caractère et du fait que je suis une femme, j'ai anticipé un refus et j'ai inventé un autre dispositif. J'ai filmé dans huit abattoirs et j'ai brouillé les pistes, c'est-à-dire que les extérieurs ne correspondent pas aux intérieurs. Je raconte l'usine en général, pas un abattoir en particulier. Je parle du destin des ouvriers en général, pas du destin de ceux de tel abattoir particulier.

Partant de là, je me sentais capable de mentir pendant deux jours. Quand j'ai commencé, la boîte noire n'était pas encore complètement fermée et je restais très floue sur mes intentions, expliquant que je voulais faire un film sur l'histoire du progrès. La plupart du temps, je me heurtais à un refus. Quand ça passait, on allait filmer pendant trois jours et on revenait mettre les images au chaud. Le temps passant, c'est devenu impossible, l'endroit le plus inaccessible étant l'abattoir de volailles. Dans les abattoirs de boeufs, les gens revendiquent encore une sorte de dignité du métier, ce qui n'est pas le cas dans les abattoirs de volailles où il a été vraiment très dur d'entrer. Avec mon assistant, j'ai insisté pendant un an jusqu'à ce qu'un type finisse par accepter de nous recevoir. Je me souviens de lui avoir serré la main en repartant, tout en le remerciant infiniment de nous avoir accueillis, et il m'a dit qu'il espérait ne pas avoir à le regretter. Je l'ai rassuré en lui disant que c'était un petit film dont il n'entendrait même pas parler. Mentir c'est très difficile, cela fait partie de la souffrance au travail.

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