Intervention de William Dumas

Réunion du 22 juin 2016 à 16h15
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaWilliam Dumas :

Comme les abattoirs, vos documentaires sont des films particuliers. Il y a du sang partout, ce qui est saisissant pour les gens. Ils me rappellent une expérience de président de jury dans un festival taurin – certains taureaux de Camargue font de la course libre mais d'autres vont à l'abattoir pour des raisons d'équilibre financier des exploitations. Lorsque nous avons attribué le deuxième prix du jury à un film où l'on voyait du sang, il y a eu un mouvement de foule. Les gens n'avaient pas vu l'aspect économique, la filière. Vous avez bien fait de ne pas montrer la saignée, le poste le plus difficile.

En voyant vos documentaires, j'ai été surpris d'apprendre que les ouvriers étaient obligés de s'échauffer le matin, comme des sportifs, en faisant des mouvements avec leurs doigts, leurs mains, leurs bras. Je pensais que les gens arrivaient, revêtaient leur tenue et allaient directement à leur poste. Un ouvrier a expliqué qu'il était resté neuf mois en arrêt maladie à cause d'une tendinite. Ces gestes répétitifs entraînent des troubles musculo-squelettiques même quand les ouvriers changent de poste. Le poignet et l'avant-bras sont toujours à la manoeuvre, et le désossage ne mobilise pas l'organisme de la même manière que d'autres postes.

En visitant l'abattoir de volailles de la société Duc, situé à un kilomètre de chez moi, je n'avais pas été frappé par le caractère à ce point répétitif des gestes des personnes employées sur la chaîne. Il m'avait semblé que seule la personne qui accrochait les volailles à leur sortie des caisses faisait toujours le même geste. Dans un abattoir de poulets, il a aussi l'odeur et les cadences. Dans votre film, madame Frésil, j'ai été frappé par les cadences infernales qui sont imposées sur cette chaîne de volailles. On dirait que les salariés font la course pour amener les poulets dans la salle de congélation. C'est vraiment impressionnant, pire que dans les abattoirs de bovins. Et les ouvriers ont tous des appareils dans les oreilles en raison du bruit.

Vous avez parlé de plans de six ou sept minutes, madame Frésil, et il est vrai que vous restez longtemps sur certains postes. Par moments, c'est un peu long et répétitif, mais j'ai néanmoins apprécié. Je ne savais pas que l'on coupait les cornes de cette manière. Cela étant, il faut diffuser ce genre de films dans des salles d'art et d'essai, comme le disait M. Hagué, en organisant un débat à la suite de la projection. On voit du sang en permanence, ce qui choque.

Cependant, j'aurais aimé voir un autre lieu qui intéresse notre commission axée sur le bien-être animal : la bouverie, c'est-à-dire l'endroit où sont stockés les animaux en amont. Dans vos films, on les entend par moments mais on les voit peu. Lorsque nous l'avons auditionné, M. Bigard nous a dit que ses chauffeurs laissaient à la ferme les animaux qui ne pouvaient pas marcher ou qui étaient blessés d'une manière ou d'une autre. Dans l'un de vos films, il y avait une brebis qui n'avait pas l'air effrayée du tout dans le système de contention. En revanche, un autre animal, un boeuf ou un veau, semblait avoir la colonne vertébrale cassée. Était-il tombé ? Le système de contention avait-il mal fonctionné ? On voit une image furtive mais il n'y a pas d'explication et on en est réduit aux suppositions. C'est peut-être l'une des images que M. Langlois n'aime pas dans votre film. Du point de vue du bien-être animal, il est important de savoir comment les bêtes sont reçues dans les box et comment on les amène à la saignée, autrement dit dans le couloir de la mort. Cette image un peu furtive m'a laissé sur ma faim.

À part cela, je tiens à vous féliciter. Vous avez travaillé dans un milieu spécial, pas facile. On sent d'ailleurs la retenue des ouvriers. Au moment de la pause déjeuné, on les voit dans leurs habits maculés de sang. Je n'aurais pas eu envie de déjeuner ou de boire une tasse de café. Eux, ils sont habitués. Reste qu'il s'agit d'un métier difficile et payé au SMIC, comme le disait l'un des ouvriers. Je comprends qu'ils aient les épaules ravagées au bout de quarante ans, un peu comme les plâtriers. Combien de temps peuvent-ils tenir à des postes comme ceux-là ? Dans l'abattoir Duc, je suis allé remettre des médailles du travail à des personnes qui ont fêté leurs trente-cinq ans au poste où l'on attache les poulets qui arrivent. Trente-cinq ans à un poste pareil, il faut le faire, il faut avoir envie de travailler et peu d'opportunités d'emploi dans la région où l'on habite.

Dans vos films, on aurait peut-être pu voir aussi la sélection des morceaux, selon leur qualité. Vous avez eu la chance que M. Langlois vous ouvre les portes alors que M. Bigard avait refusé de le faire. Ce dernier nous a assuré que ses ouvriers touchaient de bons salaires et qu'il n'avait pas de mal à recruter du personnel, sauf peut-être dans son nouvel abattoir de Maubeuge, situé un peu loin des zones de production. Avec les crises agricoles qui se sont succédé, des fils d'agriculteurs, qui connaissent les bêtes, se sont reconvertis dans ce métier.

Quoi qu'il en soit, j'ai apprécié les deux films que j'ai vus hier soir. Je ne pensais pas que vous aviez mis autant de temps à obtenir les autorisations de filmer. D'un autre côté, je comprends que l'on ne montre pas ce qui nous intéresse en priorité : le poste d'abattage. À voir dans Saigneurs ces carcasses qui dégoulinent de sang, qu'on ouvre, qu'on découpe, qu'on fait tomber, je pense que tout le monde ne peut pas accepter facilement ce documentaire. Nous sommes allés souper au sortir de la projection, et je n'ai pas pris de viande, me contentant de fromage et de fruits. Cela ne m'a pas empêché d'en manger ce midi mais, sur le coup, on en prend plein la gueule pour parler vulgairement.

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