Intervention de Manuella Frésil

Réunion du 22 juin 2016 à 16h15
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Manuella Frésil, réalisatrice du documentaire Entrée du personnel :

Dans les abattoirs, est-ce pire qu'ailleurs ? J'ai montré le film partout au cours de deux cent cinquante projections – souvent dans des associations d'éducation populaire. Jamais le travail à la chaîne ne se fait à de telles cadences, nous dit-on de façon unanime. La plupart du temps, on me demande si je n'ai pas accéléré les images des filles qui travaillent sur la chaîne d'abattage des poulets. Cette vitesse est saisissante. Pourtant, les ouvrières de chez Doux, après avoir vu le film, ont trouvé que leurs collègues allaient lentement. Il faut ouvrir la boîte noire. Il y a un mystère de l'abattoir : c'est l'endroit où il y a le plus fort taux de TMS, le plus grand nombre d'accidents du travail, le plus de casse. Pourquoi ? Pourquoi ne voit-on pas la réalité de la cadence ? Peut-être parce l'on est si aveuglé par la mort des bêtes que l'on ne se pose plus le problème de la présence humaine. Il me semble que nos deux films répondent à ces questions. Peut-être auriez-vous dû venir les voir. (Sourires.)

Vous nous demandez également si la taylorisation soulage les ouvriers d'abattoirs. La réponse est non parce qu'elle induit une perte de sens complet du geste accompli. Tuer un animal est un sacrifice. Ce n'est que très récemment que les industriels, je pense évidemment à Bigard, ont décidé de faire disparaître de leur publicité le lien entre la vache dans le pré et la viande. Manger de la viande, c'est manger du vivant ! Nous sommes des animaux carnivores, nous appartenons à la cosmogonie, mais la tuerie est devenue un point aveugle, et cela pose des problèmes.

En tournant Si loin des bêtes, je me suis aperçue que je ne pouvais pas dire à quel moment le cochon était mort. Il passe de la bouverie, au couloir de contention, puis il est électrocuté – on dit « anesthésié » donc il n'est pas mort. Il est ensuite saigné, mais meurt-il de la saignée ? Non, il était déjà mort. Pour le boeuf, il y a sans doute un geste qui a davantage de sens ; on peut dire quand il meurt. Je ne parle même pas des poulets : ils n'ont jamais été vivants. Le fait de désacraliser le moment de la mort des bêtes laisse rôder une violence inconsciente. Une ombre plane. Il faudrait interroger des philosophes et des anthropologues sur ce sujet.

J'ai assisté à deux abattages rituels. Un premier s'est très mal passé car les gestes accomplis n'avaient aucun sens pour l'opérateur lui-même. À ses propres yeux, il s'agissait d'actes violents. Un second s'est très bien déroulé parce que l'opérateur connaissait le sens de ses gestes : il rendait hommage aux animaux. L'abattage rituel vise précisément à donner du sens à un sacrifice.

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