Intervention de Thierry Mandon

Réunion du 28 juin 2016 à 17h45
Commission des affaires économiques

Thierry Mandon, secrétaire d'état chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Je vais essayer de répondre le plus précisément possible aux questions détaillées qui m'ont été posées.

Madame Karine Daniel, en ce qui concerne la question des appels d'offres nationaux et des appels d'offres européens, vous avez raison : dans un certain nombre de disciplines, principalement en sciences humaines et sociales, le nombre de dossiers de demande de financement européen déposés est insuffisant. Des efforts doivent être faits. Nous avons identifié les causes et tout un travail doit s'engager. Cependant, la stratégie nationale de la recherche a permis un heureux rapprochement entre la structuration de la recherche française, avec ces fameux dix défis, et la structuration de la recherche au niveau européen ; elles correspondent, il y a donc des grilles de lecture partagées. Le Président de la République a en outre annoncé une décision importante : les dossiers de projets prometteurs en matière de recherche déposés au Conseil européen de la recherche (ERC, pour European Research Council) qui auraient passé le stade de la validation en termes de qualité mais n'auraient pu être financés budgétairement par l'Europe pourront être financés par la France sans aucune instruction supplémentaire – nous reprenons le dossier ERC et nous donnons notre accord. La mesure s'appliquera dès cette année 2016.

Votre question sur la coexistence d'un certain nombre d'outils est également très pertinente. Personnellement, je pense qu'un certain nombre de SATT peuvent aujourd'hui intégrer les incubateurs. Très concrètement, dans le cadre du plan annoncé la semaine dernière, nous avons identifié deux endroits, Bordeaux et Montpellier, où cela peut être fait très vite et nous avons mandaté les préfets pour qu'ils s'en occupent avec les différents acteurs territoriaux intéressés. Plus généralement, il s'agit de donner le pouvoir aux acteurs locaux dans les conseils d'administration – en gros, l'État se retire – et de permettre aux régions d'entrer demain au capital des SATT. Cela permettra normalement une clarification du paysage des outils autour des différentes SATT, puisque celles-ci auront des actionnaires territoriaux qui pourront faire cette architecture.

Madame Sophie Rohfritsch, la SATT Grand Est de Strasbourg, l'une des meilleures, fonctionne très bien ; pourtant, elle perd encore de l'argent. Il n'y a tout simplement pas de modèle économique, nulle part dans le monde, pour les sociétés de valorisation. Seules les structures de deux universités américaines sur les cinquante dont nous avons étudié les modèles gagnent de l'argent. Cela ne veut pas dire qu'elles ne peuvent pas faire payer des prestations, mais ne nous faisons pas d'illusions sur les recettes susceptibles d'être ainsi engrangées.

Je partage votre préoccupation en ce qui concerne la stratégie nationale de la recherche (SNR) et la disparition des appels à projets blancs. Nous allons confier, dans quelques jours, une mission à l'inspection générale de l'éducation nationale et de la recherche, sur les nouvelles règles de programmation de l'Agence nationale de la recherche (ANR), issues de la SNR, notamment sur la prise en compte des questions de recherche fondamentale dans la nouvelle stratégie de l'ANR. Des modifications seront possibles à l'issue de cette mission, qui va être annoncée dans les prochains jours.

Les CIFRE ne sont effectivement pas assez connus. Il reste de l'argent, et trop peu de dossiers sont déposés. Il est donc toujours bon de connaître l'existence de ce dispositif. Actuellement, 4 000 CIFRE sont en cours.

Si la question des réfugiés, évoquée par Monsieur Hervé Pellois, n'entre pas forcément dans le champ de notre discussion de cet après-midi, elle n'en mérite pas moins d'être traitée, et nous la suivons avec la plus grande attention. Nous avons organisé au ministère une journée de travail pour recenser l'ensemble des initiatives, étudiantes ou universitaires, prises sur le terrain en faveur des réfugiés, faire le point des différentes actions menées et déterminer quelles mesures d'accompagnement étaient possibles. Nous avions convié les services de l'État, notamment du ministère de l'intérieur, les services sociaux, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Ce fut vraiment une journée assez fructueuse, de nature à fluidifier un système qui mérite de l'être, en soutenant les acteurs mobilisés. Par ailleurs, vient d'être signé un partenariat entre la France et les Allemands de l'université en ligne Kiron, destinée aux réfugiés. Seront principalement proposés des MOOC (massive open online course – cours ouverts en ligne) car les réfugiés ne restent pas toujours au même endroit, ce qui nécessite des formes de pédagogie adaptées. Ils bénéficieront de cours spécifiques et pourront rejoindre dans un délai de deux ans un cursus universitaire normal, avec certification des crédits des enseignements qui leur seront donnés. Cela leur permettra, s'ils le souhaitent, un parcours universitaire classique après ces deux années de préparation. Ce sera l'objet d'une communication dans quelques jours, au ministère ; je vous tiendrai bien volontiers informés, Mesdames et Messieurs les députés, des détails.

Monsieur Jean-Claude Mathis m'a interrogé sur les mesures de simplification, notamment la mesure n° 3 sur le statut des étudiants-entrepreneurs. Aujourd'hui, l'instruction des candidatures est très longue, elle prend plus de six mois ; le statut est très intéressant, mais la création d'une entreprise ne peut pas attendre six mois. Nous revoyons donc complètement le système pour que l'étudiant puisse obtenir une réponse dans un délai de trente jours. Par ailleurs, je souhaite en effet placer l'application des mesures des plans de simplification sous le contrôle d'un organisme d'évaluation indépendant. Un certain nombre de laboratoires de recherche universitaire ont été consultés pour déterminer dans quelles conditions cette évaluation des politiques publiques pourrait être faite en direct. Rendez-vous est pris pour le mois d'octobre prochain – c'est la date prévue pour le deuxième plan de mesures de simplification.

Monsieur Jean-Pierre Le Roch m'a interrogé sur le faible nombre de postes de professeurs des universités. Depuis le début du quinquennat, nous avons veillé à ce que 1 000 postes supplémentaires – certes, pas seulement des postes de professeurs – puissent être créés chaque année dans l'enseignement supérieur. Cela étant, ces décisions sont désormais de la responsabilité des établissements. Autonomes, ils décident, dans le cadre d'un plafond national, de créer des postes de professeurs, de techniciens et de personnels administratifs, ou de ne pas le faire. Il est vrai que cela rend le système plus compliqué, mais, si des moyens nouveaux sont débloqués au cours des prochaines années pour les universités – j'y travaille –, cela devrait permettre d'augmenter le nombre des professeurs et donc d'améliorer le taux d'encadrement des étudiants.

Monsieur Philippe Le Ray m'interroge sur mon idéal d'organisation. Il est difficile de répondre à une telle question en quelques mots ! En ce qui concerne mes priorités, je renvoie à la SNR, document cadre de notre action, même si je pense qu'une réflexion plus poussée sur la recherche fondamentale permettrait de l'améliorer. Par ailleurs, la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche prévoit que la stratégie nationale de l'enseignement supérieur (StraNES) et la SNR fassent l'objet d'un bilan, sous la forme d'un livre blanc. Confiée à M. Bertrand Monthubert, la rédaction de ce livre blanc est en cours, et nous pourrons en discuter à l'automne, en même temps que du budget. En ce qui concerne mon idéal d'organisation, vous me donnez l'occasion de vous dire une chose importante : je crois à la structuration de la recherche française par organismes. Les organismes français, présents dans les meilleurs classements, sont une richesse, un patrimoine, une force extraordinaires. Nous n'en devons pas moins renforcer l'articulation entre le paysage universitaire et le mode de la recherche. Cette articulation existe déjà, notamment avec les unités mixtes, mais nous devons aller plus loin pour que notre université, confrontée à la nécessité d'élever le niveau de qualification des jeunes, puisse s'appuyer sur l'armature de la recherche. Peut-être aurons-nous des choses importantes à vous dire à ce propos prochainement.

Monsieur Lionel Tardy m'a interrogé sur le plan numérique et sur l'adaptation des locaux au co-working. La mutation numérique de notre système d'enseignement supérieur est pour nous une priorité absolue. Cela se matérialise par des faits très concrets. Premièrement, mon cabinet compte une personne détachée par le Conseil national du numérique pour traiter ces questions. Deuxièmement, nous avons créé un poste équivalent à celui de chief technology officer : quelqu'un sera responsable de ces technologies, directement rattaché à la directrice générale des finances publiques, pour que l'administration mette au premier rang de ses priorités cette mutation. Troisièmement, dans le cadre du PIA 3, 250 millions d'euros sont destinés au financement d'actions d'accompagnement de la mutation numérique et, accessoirement, pédagogique des établissements. Quatrièmement, nous avons formalisé un petit kit de transformation numérique, qui permet à chaque université d'adapter sa stratégie en la matière en fonction du degré de maturation des esprits, des équipes, des responsables. Différents parcours, plus ou moins longs, plus ou moins complets, sont proposés. Cette boîte à outils à leur disposition vise à inciter les universités à avancer sur cette voie. En outre, cette ligne du PIA 3 et une autre, qui concerne l'immobilier, d'un montant d'environ 250 millions d'euros, offrent la possibilité d'opérations immobilières spécifiques.

Monsieur Patrick Hetzel, en ce qui concerne le décret d'avance, je ne reviens pas sur les informations que j'ai données au début de cette réunion. En revanche, je veux le dire : il n'y a plus de risque d'annulations. Le décret est sorti, les engagements pris par le Président de la République sont tenus à la lettre – j'y ai veillé personnellement. Qu'il y ait cependant des besoins budgétaires, c'est une évidence. J'espère que le budget 2017 nous permettra d'y répondre, en ce qui concerne tant l'enseignement supérieur que la recherche.

Pour le PIA 3, les crédits sont de 5,9 milliards d'euros, dont 700 millions d'euros pour de grandes universités de recherche – c'est la suite des programmes IDEX et I-SITE actuels – et 300 millions d'euros pour ce que nous avons appelé des écoles universitaires de recherche. C'est une nouveauté. L'excellence ne se résume pas à quelques IDEX et à quelques I-SITE. Sur tout le territoire national, des universités répondant à un niveau d'exigence scientifique particulièrement élevé, dans telle ou telle discipline, sur telle ou telle technologie, doivent pouvoir être soutenues en dehors de la procédure beaucoup plus lourde des IDEX et des I-SITE.

En ce qui concerne les deux dossiers de Toulouse et de Sorbonne Paris Cité, « sortis » par le jury, deux décisions ont été prises. Premièrement, un plan de réduction progressive des dotations de l'IDEX a été arrêté ; il s'agit quand même de mutations assez lourdes, il faut donc garantir le maintien d'un minimum de dotations. Deuxièmement, si, grâce à un plan très précis, avec des objectifs, notamment, en termes d'organisation et de gouvernance, les ensembles concernés veulent postuler à nouveau comme IDEX, ils le pourront. Les formes que prendront ce plan d'accompagnement et cette progression organisationnelle feront l'objet d'une démarche contractuelle entre le Commissariat général à l'investissement (CGI) et nous, et ils pourront se représenter au jury IDEX dans un délai de dix-huit mois s'ils le souhaitent.

Madame Delphine Batho me pose une question majeure. Comment mobiliser les entreprises privées ? C'est un sujet politique et culturel, un débat passionnant. Il faut des outils. En premier lieu, il faut convaincre les entreprises françaises que la compétitivité par les coûts est une illusion. Bien sûr, si l'on peut diminuer le coût du travail, parfois, les coûts de production, cela renforce la compétitivité, mais l'idée selon laquelle la baisse systématique des coûts serait la clé d'une performance durable de l'économie française est une illusion : nous trouverons toujours plus forts que nous en la matière. Et parmi ceux qui produisent moins cher, il en est qui investissent par ailleurs massivement dans la recherche et risquent de prendre un peu d'avance technologique. Misons donc tout sur la qualité. C'est pour moi un projet pour le pays, car cela peut être décliné dans de nombreux domaines. Et c'est d'abord en investissant dans la recherche que nous aurons ce coup d'avance. Il n'y a pas de solution miracle, mais je suis convaincu qu'il faut faire entrer des docteurs dans l'entreprise. Ils ont la culture de la recherche, ce sont des accélérateurs de compétitivité, parce qu'ils connaissent l'état de l'art, et parce qu'en diffusant cette culture de la recherche, en accélérant l'innovation dont les entreprises françaises sont capables, ils bonifient la recherche privée. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place un réseau de parrains-ambassadeurs et nous faisons systématiquement des réunions entre entreprises et universités pour qu'ils se connaissent, c'est aussi la raison pour laquelle nous développons des actions spécifiques visant les directeurs des ressources humaines de l'ensemble des entreprises françaises, de toutes tailles. Au début du mois d'octobre prochain, après un an de ce plan « jeunes docteurs » qui vise à diffuser des chercheurs dans les entreprises, à côté des ingénieurs, et en fournissant les mêmes efforts dans l'administration qui, à mon avis, doit aussi offrir des débouchés aux docteurs, nous pourrons montrer très concrètement les résultats de cette action à laquelle je crois plus que tout. J'ai tous les jours des exemples d'entreprises qui viennent d'embaucher des docteurs et ont compris ce qu'ils apportent, à côté des ingénieurs. Ce n'est pas là faire la charité à l'université ; compter dans leurs rangs des gens qui ont cette culture du coup d'avance, de l'innovation, cette capacité à former des réseaux bonifie nos entreprises privées. La clé est donc culturelle : il n'y pas de salut uniquement par les coûts. Elle est aussi organisationnelle : il faut beaucoup plus de personnes issues du monde de la recherche parmi les cadres supérieurs des entreprises.

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