Intervention de Michel Sapin

Réunion du 14 juin 2016 à 17h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics :

S'agissant des détenteurs de la dette, il est difficile de répondre car la dette est liquide, elle peut être échangée très fréquemment. Sa liquidité est une des raisons pour lesquelles on fait confiance à la France et on lui accorde des taux plus faibles qu'à d'autres pays comparables. Ce n'est pas techniquement totalement impossible, mais le suivi de la propriété du titre serait très complexe dans le contexte actuel d'échanges très rapides à l'échelle planétaire. Nous avons tout de même quelques idées : la Banque de France a réalisé une étude qui fait apparaître que la dette est détenue à près de 40 % par des Français, ce qui veut dire que 60 % des détenteurs sont des étrangers qui nous font confiance. Quand nous allons en Chine ou au Japon, beaucoup de questions nous sont posées sur la politique de la France le niveau de la dette, car les investisseurs locaux se demandent s'ils vont continuer à prêter à la France, en fonction des opportunités qui se présentent. Des études nous donnent quelques éléments sur les grands émetteurs. Mais si nous ne savons pas exactement combien d'obligations la Banque centrale de Chine, celle du Japon ou l'Arabie Saoudite détiennent, nous avons une petite idée dans tous les cas.

S'agissant de la réinternalisation, si nous avons une dette aussi peu chère, c'est en partie parce qu'elle n'est pas réservée aux Français. L'ouverture du champ permet à des liquidités disponibles hors de France de venir s'investir dans la dette française. Serait-il plus intéressant que l'épargne française soit investie dans des obligations d'État ? Je ne le pense pas, et notre politique est d'orienter l'épargne française vers l'économie française plutôt que le financement de la dette française.

Dans la loi Sapin II, une disposition réduit les exigences prudentielles pour permettre aux sociétés d'assurance qui possèdent beaucoup d'obligations françaises de réorienter leurs investissements vers les entreprises, tout en restant prudents. Nous préférons que l'épargne française s'oriente autant que possible vers l'économie réelle. Par ailleurs, nous préférons que l'épargne des Français diminue au profit de la consommation, s'agissant des ménages et de l'investissement, s'agissant des entreprises. La consommation peut consister en l'achat d'un appartement ou d'une maison.

La baisse du niveau d'épargne que nous constatons aujourd'hui est plutôt un élément rassurant, c'est le signe que l'épargne de précaution diminue. Du côté des entreprises, c'est l'inverse : la politique que nous menons leur a permis d'augmenter leurs marges, et l'épargne disponible est donc plus importante. Entre le moment où les marges s'améliorent et celui où l'investissement se fait, il faut cependant parfois du temps.

Pour toutes ces raisons, la réinternalisation de la dette ne serait pas une bonne politique : la dette serait plus chère et il y aurait moins d'épargne française pour soutenir l'économie.

Pour expliquer l'existence de taux négatifs, il faut se rappeler que nous n'avons pas connu d'inflation aussi faible depuis longtemps. Quand l'inflation est négative, les taux sont automatiquement beaucoup plus faibles, et éventuellement négatifs. De plus, la politique de la Banque centrale européenne pour relancer l'économie et l'inflation créée des liquidités, et le coût de l'argent diminue d'autant plus que les liquidités sont abondantes. C'est ce qui se passe aujourd'hui. D'autant plus que ceux qui prêtent leur argent à l'État dans les conditions actuelles étant sûrs de retrouver leur argent, la prime de risque est pratiquement égale à zéro. Ce ne serait pas le cas en prêtant à un particulier pour acheter un appartement, ou à une entreprise pour acheter une machine.

Les taux d'intérêt négatifs sont donc voulus par la Banque centrale européenne. Ils ne concernent pas toutes les échéances de dette. En Allemagne le taux d'intérêt des obligations à 10 ans est passé dans le négatif. Les investisseurs prêtent à l'État allemand, parce qu'ils savent qu'ils vont récupérer leur investissement, et il n'y a pas d'autres opportunités offrant autant de sécurité que la dette de l'État allemand, ou même de l'État français, car le taux de 0,40 % auquel la France emprunte est extrêmement faible.

Il faut en profiter le plus possible, car ça ne va pas durer éternellement. D'ailleurs, il ne serait pas bon que cela dure trop longtemps. Une rémunération de l'épargne aussi faible peut poser des problèmes pour l'épargne-retraite en particulier. C'est pourquoi les Allemands y sont particulièrement sensibles : le montant de leur retraite résultant de leur propre épargne est beaucoup plus élevé que chez nous, où le système de Sécurité sociale est plus important.

Vous me demandez pourquoi, puisque la dette n'est pas chère, nous n'en profitons pas pour faire un grand emprunt. Un grand emprunt, c'est un grand déficit. Dire qu'il faut faire un grand emprunt parce que la dette n'est pas chère revient clairement à dire qu'il faut un déficit beaucoup plus important. Plutôt que d'avoir un déficit à 3,4 % ou 3 % du PIB, ce qui est l'objectif cette année, il faudrait ajouter 2 ou 3 points de déficit. C'est une politique de relance par le creusement des déficits qui à moments, peut se justifier. Par exemple, lorsque nous étions confrontés à la crise financière, je n'ai jamais critiqué le principe d'une politique de relance alors que j'étais dans l'opposition. On peut penser que c'est plus ou moins bien fait, ou qu'il aurait fallu le faire dans un secteur plutôt que dans un autre, mais en soi, c'était une bonne chose.

Mais ça ne peut pas être sans fin. Le raisonnement de certains selon lequel la dette n'est pas grave car elle ne coûte pas cher connaît des limites. Dans cinq ans, lorsqu'il faudra rembourser, nous ne pourrons peut-être pas réemprunter aux mêmes taux.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion