Intervention de Magali Léo

Réunion du 22 juin 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Magali Léo, chargée de mission pour l'assurance maladie au Collectif interassociatif sur la santé, CISS :

Lundi dernier, le CISS, qui rassemble aujourd'hui plus de quarante associations d'usagers du système de santé, a réuni une assemblée interassociative sur le thème du prix du médicament étudié sous l'angle de l'égalité d'accès aux soins.

L'affaire du sofosbuvir, qui a déclenché un débat autour des négociations conduisant à la fixation du prix des médicaments, est également un révélateur de ce que représente le secteur économique qui affiche les taux de marge nette les plus élevés, de l'ordre de 20 % à 30%. Au centre de ce débat s'opposent des notions d'éthique, de spéculation financière, de soutien à l'innovation et de compétitivité économique.

Le sujet est complexe, car les forces en présence défendent des intérêts souvent contradictoires, liés à la soutenabilité des dépenses de santé pour nos mécanismes assurantiels, à la rémunération de l'actionnariat des firmes pharmaceutiques et à l'égalité d'accès aux soins innovants. L'équation n'est pas simple à résoudre, même si nous disposons aujourd'hui d'outils juridiques permettant de concilier tous ces enjeux.

La problématique ne doit toutefois pas, selon nous, être traitée indépendamment des pratiques professionnelles de terrain qui, mieux régulées, permettraient de dégager des marges financières pour soutenir l'innovation et la rendre accessible à tous ceux à qui elle s'adresse.

Pour nous, la question est davantage celle de l'accès aux soins que celle du prix – qu'il s'agisse des médicaments ou des dispositifs médicaux. Le prix ne serait pas un problème s'il ne poussait les pouvoirs publics à sélectionner les malades ou à faire peser sur eux des reste-à-charge insupportables, notamment en ce qui concerne les dispositifs médicaux.

Nous ne sommes pas opposés à l'idée de mener des actions sur le prix des médicaments, mais il nous paraît nécessaire d'envisager celles-ci dans le cadre d'une révision générale des objectifs de prescription, à l'origine de nombreuses dépenses de santé inutiles que l'on pourrait réinjecter dans le financement de l'accès à l'innovation efficace pour tous.

Le marché français du médicament dépasse 28 milliards d'euros par an. On recense 2 800 substances actives différentes commercialisées en 2013, correspondant à plus de 11 000 spécialités. En 2013, environ 3,1 milliards de boîtes ont été consommées. En moyenne, un Français consomme quarante-huit boîtes de médicaments par an. Chaque année, la Cour des comptes dresse le constat des insuffisances de notre système et pointe des dysfonctionnements coûteux. Le rapport 2008 sur l'imagerie mettait par exemple en cause la surprescription de nombreux examens de radiologie, évalués comme inutiles par la Haute Autorité de santé mais toujours remboursés par l'assurance maladie.

Selon plusieurs évaluations et études disponibles, les soins inutiles représentent entre 27 % et 30 % des dépenses de maladie sous forme de surprescriptions d'examens, de médicaments, d'actes médicaux et chirurgicaux inutiles, de parcours injustifiés notamment hospitaliers, au détriment de la prise en charge de vrais traitements pour de vrais malades, au risque de générer des souffrances inutiles et des risques évitables.

On estime que 27 % à 30 % des dépenses de santé sont gaspillées chaque année, sur un total d'environ 200 milliards d'euros de consommation médicale. Ramenés à une estimation basse de 25 %, cela représente environ 50 milliards d'euros perdus chaque année, auxquels il convient d'ajouter les coûts des complications évitables.

La Fédération hospitalière de France (FHF) s'intéresse de près à cette question depuis environ dix ans. Après avoir interrogé 800 praticiens, en ville et à l'hôpital, elle estime à 20 % la proportion d'actes injustifiés. Dans les mois qui ont suivi la communication publique de cette enquête, le nombre de radios du crâne en cas de traumatisme simple, pour lequel un examen clinique suffit selon le consensus scientifique, a baissé de 9 %. On observe de même une surprescription évidente de benzodiazépines ou d'antibiotiques, avec des écarts du simple au double entre régions, pour des populations identiques et indemnes de pathologies pouvant justifier le recours à ces traitements.

À elle seule, l'hypertension artérielle est un mystère : en France, les seuls chiffres disponibles datent de 2007, date à laquelle le nombre de patients traités était estimé à 10 millions dans le rapport de la Haute Autorité de santé ; en 2012, d'après une enquête de la Mutualité française, on comptait 12 millions de Français traités, soit un Français de plus de 35 ans sur trois. En 2011, la prise en compte des conflits d'intérêts de membres de la commission de la Haute Autorité ayant statué sur le traitement de l'hypertension artérielle a conduit la HAS à annuler la recommandation initialement publiée en 2005. Aucune autre recommandation officielle n'a été mise en ligne depuis sur son site.

La politique économique semble aujourd'hui privilégier les intérêts industriels, jusque dans le domaine de la santé. La lutte contre les actes inutiles est donc plus une affaire de système que d'individus. Les médecins eux-mêmes sont piégés. Qu'il s'agisse des professionnels de santé libéraux ou de membres d'établissements de santé, ils sont incités à privilégier le volume : en France, c'est le nombre d'actes, d'interventions, d'hospitalisations ou d'examens facturés qui permet de payer les salaires et les honoraires, d'acheter les équipements, de payer les médicaments ou les dispositifs médicaux hospitaliers.

Parallèlement à la surprescription, de nombreux patients renoncent aujourd'hui à l'achat de médicaments du fait des sommes restant à leur charge après intervention de l'assurance maladie obligatoire et des complémentaires santé. Les chiffres du renoncement à l'achat de médicaments sont notamment à corréler au niveau de prise en charge par l'assurance maladie qui ajuste au fil de l'eau le panier de soins remboursables et les taux de remboursement. Cette politique manque de lisibilité pour les patients qui apprennent le déremboursement d'un médicament au comptoir de l'officine. Elle met également à mal le concept de service médical rendu (SMR), de plus en plus difficile à distinguer de l'amélioration du service médical rendu (ASMR), comme le rappelle Mme Dominique Polton dans son rapport de novembre 2015.

Le problème du prix ne concerne pas seulement le médicament. Les prix des dispositifs médicaux causent, depuis longtemps, de nombreux renoncements aux soins sans qu'aucune mesure générale de limitation n'ait été prise. Le CISS plaide pour qu'un prix limite de vente soit décidé pour tous les dispositifs médicaux remboursables, à l'instar de la pratique applicable au médicament.

Nous avons conscience que décider politiquement de réduire ce gaspillage, outre la très grande difficulté que cela représente scientifiquement, techniquement et politiquement, c'est se heurter à un problème social et de réorganisation des activités et des métiers de la santé. Mais, eu égard aux conséquences humaines et économiques des traitements inutiles, il est urgent d'agir.

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