Intervention de Amiral Arnaud Coustillière

Réunion du 28 juin 2016 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Arnaud Coustillière, directeur de projet chargé de la coordination générale des actions du ministère de la Défense dans le domaine de la cyberdéfense :

Non, je n'évoque ici que l'infrastructure, à savoir la « boîte », le béton… Si pour fabriquer un réseau intranet entreprise il faut compter des centaines de millions d'euros, l'établissement d'un gros programme de surveillance d'un grand réseau coûtera de 10 à 20 millions d'euros. Les programmes spécifiques cyber ne sont pas particulièrement chers, toutes proportions gardées, par rapport à la qualité de la ressource humaine et à la prestation de service offerte. Une salle de supervision, en équipements informatiques, ne représente pas un investissement énorme – il n'a rien à voir avec le prix d'un Rafale ou le prix de la salle de contrôle de tir d'une fusée Ariane – ; en revanche, les experts qui se trouvent derrière les écrans coûtent cher.

Pour ce qui est des coopérations militaires renouvelées, en matière de cyberdéfense, il faut avoir des compétences techniques et la volonté de s'en servir. On retrouve, dans ces coopérations, les mêmes partenaires que sur les théâtres d'opération.

J'en viens à la question de la cyberarmée. Les armées ni même l'État ne peuvent échapper à l'introduction du numérique. L'espace numérique irrigue très profondément tous les systèmes, tous les bateaux, tous les avions et jusqu'au fantassin qui a des équipements et des liaisons intégrés (FÉLIN), qui a une adresse IP sur lui. Le véhicule de combat de l'avant sera, dans quelques années, de même que la voiture intelligente, une sorte de système androïd, si je puis dire, auquel on aura mis des roues et qu'on aura pourvu d'une certaine intelligence. Ensuite, le domaine des systèmes d'information va nous permettre d'exploiter ce milieu numérique et, au-dessus, nous avons les combattants – ceux qui se défendent et ceux qui attaquent –, voilà ce qu'est la cyber.

Cette évolution justifie-t-elle la création d'une armée distincte des autres, avec ses logiques propres ? Je doute que ce soit une bonne solution à court terme parce que nous risquons alors de perdre en cohérence en sortant les spécialistes des différentes armées, en provoquant une telle cassure. Reste que je n'ai pas de boule de cristal, pas plus que le militaire de 1912 qu'on aurait interrogé sur l'avenir éventuel de l'arme aérienne. Le sujet mérite cependant d'être posé et d'être analysé par ceux qui réfléchissent aux évolutions des armées. En revanche, ce que je sais, c'est que le temps s'accélère et que, du côté américain, où l'on a en général toujours un peu d'avance, on n'envisage pas une armée cyber, chacune des composantes s'appropriant au contraire la cyberdéfense. Il me semble qu'il s'agisse de la meilleure voie, à condition que chacune des armées joue le jeu et consacre la ressource humaine nécessaire aux biens communs interarmées. Si les armées ne fournissent pas les compétences dont nous avons besoin il y aura en effet un problème.

La création éventuelle d'une armée numérique est une question complexe mais qui est à traiter. Ce n'est toutefois pas un problème uniquement de cyber.

M. Villaumé m'a interrogé sur Daech. En Syrie, l'organisation dispose, en matière informatique, de gens particulièrement compétents mais qui servent principalement sa propagande, garantissant que son système d'information fonctionne bien – puisqu'il est vital pour elle, pour afficher sa puissance, de montrer qu'elle existe bien plus que ce n'est le cas en réalité – et qui assurent ses flux logistiques, qu'il s'agisse de son approvisionnement, de ses trafics en tous genres ou de son financement. En parallèle, des groupes se référant à Daech, sortes de franchisés, comme Cyber Caliphate et autres, vont mener des attaques informatiques de bas niveau – effacements, vols de données déjà en ligne – et vont faire du bruit. Ils n'ont en tout cas pas actuellement la possibilité de faire très mal mais ils évoluent. En revanche, ils sont capables de créer de l'anxiété – il est par exemple perturbant pour une mairie de voir la page d'accueil de son site remplacée par une représentation du drapeau de Daech. Ces groupes sont sans doute pour certains francophones et se trouvent donc dans les pays du pourtour méditerranéen ou aux confins de l'Europe. Par ailleurs, dans la zone moyen-orientale, vous avez des groupes beaucoup plus performants mais qui concentrent leurs actions plutôt sur Israël, sans trop intervenir dans notre zone.

Pour ce qui concerne la capacité des entreprises, la France dispose de PME très innovantes mais de trop petite taille ; aussi le vrai enjeu est-il de savoir de quelle manière elles peuvent s'adosser aux quelques grands groupes comme Airbus, Thales, SOGETI, Sopra Steria, ATOS, de manière à ne pas « tuer » leur innovation – souvent les patrons de ces PME sont de fortes personnalités et intégrer une grande structure est souvent délicat – et afin que soit préservé leur dynamisme. Si l'on veut avoir un tissu industriel, l'État a agi comme il convenait en instaurant, par exemple, le programme d'investissements d'avenir (PIA). En matière d'aide à l'innovation, les PME peuvent trouver des financements pour peu que leurs projets tiennent la route. Le ministère de la Défense via la DGA et les projets RAPID en est un acteur important. Je fais pour ma part partie de l'équipe d'encadrement du concours « Innovation 2030 » et, parmi les dossiers qui nous ont été présentés, certains étaient très intéressants. Si le financement initial ne pose pas de problème, on note un souci de pérennisation ; c'est pourquoi les régions ont à mon sens un rôle particulier à jouer. C'est le défi relevé par la région Bretagne et le pôle d'excellence cyber, constituant ainsi un terreau favorable pour certaines PME, étant entendu qu'il ne s'agit pas de rayonner pour la Bretagne mais à partir de la Bretagne. Le ministère de la Défense travaille également avec Bordeaux et Toulouse – l'Aerospace Valley fonctionne.

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