Intervention de Jean-Pierre Gorges

Réunion du 6 juillet 2016 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Gorges, rapporteur :

Ainsi que mes collègues corapporteurs viennent de vous l'exposer, la dette publique pose de nombreux problèmes, celui de la transparence n'étant pas le moindre. Si la gestion de la dette par l'AFT nous a semblé professionnelle et efficace, voire assez remarquable, la question de l'endettement pose la question du soutien à l'activité sans aggraver son niveau.

J'ai joint une contribution au rapport, que j'ai intitulée « De la dérive à l'addiction ». Ce qui manque, c'est de faire le lien entre le recours à l'endettement et l'évolution du chômage car utiliser la dette pour soutenir l'activité n'a guère de sens si cela ne réduit pas le chômage.

Il nous a semblé nécessaire de proposer quelques pistes de réflexion.

Il s'agit notamment de se poser la question de l'évolution de certaines règles de l'Union européenne nous contraignant passablement sur un certain nombre de points.

D'un point de vue comptable, d'abord, il faudrait soustraire du calcul du déficit public les dépenses liées aux opérations militaires intéressant la sécurité de l'Europe et approuvées par le Conseil européen telles que l'intervention au Mali. Des propositions ont déjà été faites en ce sens, mais elles sont restées sans aucune suite. D'une manière générale, je me suis toujours interrogé sur le fait d'intégrer les dépenses de la défense dans les pactes de stabilité, car très peu de pays en Europe ont un budget d'investissement et de fonctionnement important dans le domaine de la défense, ce qui fausse les règles.

D'un point de vue économique, ensuite, les règles du pacte de stabilité et de croissance ne sont pas toujours favorables à l'investissement, même si la Commission européenne a accepté, en janvier 2015, une évolution de son interprétation : l'argent public placé dans le fonds européen finançant le plan d'investissement de 315 milliards d'euros, dit « plan Juncker », ne sera pas pris en compte dans le calcul du déficit du pays contributeur. C'est une avancée.

Par ailleurs, la Commission a assoupli les critères permettant d'activer la « clause d'investissement », qui permet de dépasser le niveau de déficit autorisé pour financer des dépenses d'investissement – le problème de la dette française, on l'a dit, en particulier de la dette de l'État, c'est qu'elle est essentiellement constituée de dépenses de fonctionnement.

Cette clause d'investissement fait écho aux règles applicables aux collectivités territoriales qui ne peuvent recourir à l'emprunt que pour financer de l'investissement – même si il y a un débat sur ce point : selon certains, l'investissement des collectivités territoriales est aussi permis par la dotation globale de fonctionnement (DGF), c'est-à-dire, in fine, par le budget de l'État.

Cependant, seuls sont pris en compte les investissements cofinancés par l'Union européenne, et les États soumis à une procédure pour déficit excessif, tels la France, ne peuvent s'en prévaloir. Ces restrictions limitent donc sérieusement notre capacité à investir. Il faudrait aller plus loin en permettant aux États soumis à une procédure pour déficit excessif de relancer leur investissement sans craindre des sanctions et en ne limitant pas la définition des investissements aux seuls projets cofinancés par l'Union européenne, ce qui en restreint excessivement le champ. Ce sont deux des propositions que nous formulons.

Dans la mesure où l'argent ne coûte pas cher, ce serait l'occasion d'investir fortement – j'avais d'ailleurs interrogé le ministre des finances à ce sujet. Mais, pour cela, il faut être crédible. Il serait vertueux de réaliser des investissements productifs qui relanceraient l'activité et, partant, amélioreraient les rentrées fiscales, mais l'Europe nous contraint. Nous sommes pris, en quelque sorte, dans un étau.

Plus généralement se pose la question des solutions pour que la dette ne soit pas un frein à l'investissement.

L'assouplissement quantitatif pratiqué par la BCE ne permet pas suffisamment de relancer l'investissement et le crédit aux entreprises : en transitant par le marché, la quantité de monnaie impressionnante créée par la banque centrale n'atteint que très peu l'économie réelle et alimente plus vraisemblablement de nouvelles bulles financières ou immobilières, ce qui est un autre risque majeur de l'excès d'endettement que nous connaissons. L'idée est donc de créer un lien direct entre la création monétaire et les entreprises.

La question pourrait se poser, dès lors, d'en passer par la monétisation des dettes publiques, mais celle-ci est interdite par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Il s'agit, là encore, d'une contrainte : il n'est pas possible pour la BCE, ou pour les banques centrales nationales, d'acquérir des instruments de dette des États. Certains parmi nous le regrettent. À titre personnel, je considère qu'il n'y a aucune garantie pour que l'argent qui serait ainsi accordé à l'État soit utilisé à bon escient et ciblé sur l'investissement. Dans le cadre de ce travail, j'ai défendu l'idée que la dette devait être réservée à l'investissement. On ne devrait pas pouvoir s'endetter pour financer le fonctionnement quotidien : c'est un mécanisme très dangereux à terme.

Il reste que les établissements publics de crédits de la zone euro, à commencer par la Banque européenne d'investissement (BEI), peuvent accéder aux financements de la BCE dans les mêmes conditions que les établissements privés. Dès lors, rien n'interdirait à la BCE d'utiliser son pouvoir de création monétaire pour financer les organismes publics de crédit sur la base d'investissements concertés et programmés avec les États de la zone euro. En France, tel pourrait être le cas, par exemple, de la Caisse des dépôts et consignations ou de la Banque publique d'investissement (Bpifrance). L'intérêt d'un tel circuit direct serait de favoriser immédiatement l'investissement.

Cette opération permettrait une augmentation de la masse monétaire au bénéfice direct de l'économie réelle, une relance de l'activité et, par conséquent, de l'inflation, avec l'ensemble des effets bénéfiques qui en sont attendus sur le niveau des dettes publiques comme privées. En cas de surcroît d'inflation, perspective aujourd'hui très lointaine, il serait aisé de stopper cette politique.

On peut remarquer que tout converge : les taux d'intérêt sont bas, l'énergie ne coûte par cher et il n'y a pas d'inflation. Toutefois, l'absence d'inflation est aussi due, à mon avis, à la faiblesse de l'investissement. D'autre part, si les taux d'intérêt, actuellement très bas, reviennent à un niveau supérieur à l'inflation, notre dette risque de nous coûter de plus en plus cher.

Ces investissements produiraient, de plus, des recettes pour les États, notamment via la réduction du chômage, et contribueraient ainsi au rééquilibrage des budgets nationaux. Ainsi que je l'ai indiqué précédemment, c'est bien l'évolution de la courbe du chômage qui agrège l'économique et le social : si l'économie fonctionne, mais qu'elle est réservée à quelques-uns, nous avons raté notre pari social.

Une autre solution qui permettrait de réduire le coût de l'endettement serait d'accorder une licence bancaire au Fonds européen de stabilité financière (FESF), afin qu'il puisse prêter de l'argent aux États au même taux qu'il emprunte à la banque centrale, sans la prise d'intérêt opérée par le marché financier. Transformer le FESF en banque permettrait d'aider les États à se prémunir contre le risque de remontée des taux d'intérêt. Je souligne que même si le rapport entre l'augmentation des taux et l'accroissement de la charge de la dette est n'est pas exponentiel, et que ce mécanisme est généralement plus lent qu'on ne le pense, il n'en reste pas moins très dangereux.

Précisons que ce schéma impliquant le FESF est bien un schéma avec prêt et remboursement de prêts. Car il faut savoir que nous ne remboursons jamais le capital de la dette : nous réempruntons chaque année pour payer les annuités et les frais financiers.

Enfin, une dernière solution à explorer consisterait à recourir de manière accrue aux garanties publiques que pratique déjà l'État dans le cadre des plans industriels, notamment à travers l'action de Bpifrance.

En application de l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), une garantie doit être autorisée par la loi de finances et fait l'objet d'un plafond, mais ces plafonds pourraient être augmentés sans alourdir le déficit. En effet, en comptabilité nationale comme en comptabilité budgétaire, les garanties ne sont pas intégrées à la dette publique tant qu'elles ne sont pas appelées. Cela permettrait d'encourager le secteur privé à développer l'investissement sans recourir au déficit de l'État.

Certes, il existe un risque potentiel, mais, en réalité, il ne se matérialise que rarement, et il est largement inférieur aux bénéfices de ce type de méthode, qui constitue un palliatif de l'absence de prise de risque du secteur bancaire privé. L'État pourrait supporter ce risque au regard des bénéfices qu'il en retirerait en termes de soutien à l'activité économique. Selon moi, nous n'arriverons pas à nous sortir de la situation actuelle sans prendre de risques.

D'une manière générale, je pense que seul l'investissement nous permettra de reprendre la bonne voie.

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