Intervention de Michel Piron

Séance en hémicycle du 18 juillet 2016 à 16h00
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Piron :

Cette citation mise quotidiennement en exergue ne souligne-t-elle pas, s’il le fallait, que l’indépendance de la presse demeure solidement ancrée dans nos consciences, et n’explique-t-elle pas que l’émergence de nouveaux groupes de presse et les prises de participation d’actionnaires dans les médias créent autant d’émoi dans notre pays ? Aujourd’hui, la proposition de loi que nous examinons a pour objectif déclaré de répondre aux différents mouvements de concentration qui animent le paysage audiovisuel. L’ambition serait tout à fait noble si la réalité n’était peut-être autre.

Comme vous le savez, nous étions dès le départ réservés sur ce texte. Cette proposition de loi regorge certes de bonnes intentions, mais survit-elle à l’épreuve de la pratique et à l’avis des professionnels du secteur ? S’agissant de l’article 1er, nous étions, dès la première lecture, assez dubitatifs quant à l’opportunité de reconnaître à tout journaliste le droit de refuser toute pression en opposant son « intime conviction professionnelle » – M. le rapporteur vient d’en parler. Voilà pourquoi nous sommes sensibles à l’amélioration qu’il a apportée avec la seule notion de « conviction professionnelle ». En effet, ou la conviction est professionnelle et elle est alors objective et n’a rien d’intime, ou elle est intime, auquel cas elle est subjective et n’a rien de professionnel.

Par ailleurs, comment ne pas soutenir les initiatives qui visent à renforcer la protection du métier de journaliste ? La liberté d’information, l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et le pluralisme sont intrinsèquement liés à la démocratie et à la richesse du débat politique.

Pour autant, il nous faut ici rappeler que les journalistes disposent déjà d’une protection juridique qui leur garantit une certaine indépendance contre les éventuelles dérives de leurs propriétaires. Ainsi, la clause de cession permet au journaliste de démissionner tout en bénéficiant de l’assurance chômage lorsque l’entreprise pour laquelle il travaille change d’actionnaire. En outre, un dispositif similaire s’applique si le journaliste apporte la preuve d’un « changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal », y compris en l’absence de transformation de l’actionnariat. Il semble donc qu’à force de réécriture, l’article 1er de ce projet de loi complexifie plus qu’il ne renforce la protection des journalistes contre d’éventuels abus.

Si nous pouvons comprendre le souhait du rapporteur d’affirmer que chaque entreprise éditrice de presse ou audiovisuelle doit se doter d’une charte déontologique, il apparaît également qu’une telle charte relève du domaine éditorial de chaque média concerné. À nos yeux, elle doit résulter d’une discussion – j’emploie sciemment ce terme – au sein des rédactions, et non pas devenir le sous-produit d’une négociation sociale. Nous espérons que notre amendement sur ce point fera l’objet d’un avis favorable, car sa rédaction a au moins le mérite de simplifier la procédure d’élaboration de la charte.

Par ailleurs, d’autres dispositions restent en suspens et nous attendons encore d’être convaincus de leur pertinence à l’occasion de ce débat. Si le maintien du nouvel article 10 ter, qui porte sur la numérotation des chaînes, nous semble être une mesure importante pour les téléspectateurs car elle permet un traitement équitable, transparent, homogène et non discriminatoire des chaînes de télévision, nous restons plus réservés concernant les articles renforçant les prérogatives ex ante du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Nous considérons qu’ils témoignent surtout d’une conception quelque peu désuète de sa mission de régulation dans un paysage audiovisuel bouleversé notamment par le développement de l’économie numérique et des réseaux sociaux.

Il est certain que la défiance des citoyens envers les médias doit collectivement nous interpeller. Certes, on ne peut se satisfaire que seul un quart des Français juge les journalistes indépendants du pouvoir, comme l’indiquent de récentes études, mais croyez-vous sincèrement que le renforcement des missions du CSA contribuera à apaiser ce climat de suspicion ?

Vous le savez, le groupe UDI est depuis longtemps réservé sur le rôle du CSA, en raison notamment des modalités de nomination de ses membres. En effet, puisqu’ils ne sont soumis à aucune exigence ni de compétences ni d’expérience, l’absolue impartialité de cette institution peut au moins être questionnée. Par ailleurs, nous avons déjà eu plusieurs occasions de constater que le CSA éprouve déjà des difficultés à s’acquitter de ses missions traditionnelles, notamment celle de veiller au respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion, comme en témoignent régulièrement les distorsions entre les différentes formations politiques en ce qui concerne les temps d’antenne.

Plus précisément, le fait que le CSA formule des recommandations au moment de la signature des conventions et définisse en amont les dispositions censées empêcher une ingérence future des actionnaires rompt avec sa mission de contrôle a posteriori. En outre, la volonté d’ériger le CSA en juge, voire en arbitre, sur le plan déontologique, alors qu’il possède également une compétence de désignation, peut s’avérer conceptuellement gênante.

Vous conviendrez également que, mises à part de très rares exceptions, sévèrement condamnables, force est de constater que les publications françaises travaillent et éditent librement. Les rédactions de Libération, d’I-Télé, de l’Express ou encore du Monde, pour n’en citer que quelques-unes, s’organisent et se sont déjà mobilisées afin que les organes de presse demeurent indépendants de leurs actionnaires respectifs. Les industriels et les dirigeants ont bien compris les risques évoqués par Chateaubriand et en ont accepté, en bonne intelligence, les contraintes. Comme le précisait, en effet, l’auteur des Mémoires d’outre-tombe : « Plus vous prétendez comprimer [la presse], plus l’explosion sera violente. Il faut donc vous résoudre à vivre avec elle ».

Mes chers collègues, avant de conclure, permettez-moi d’aborder enfin le délicat sujet de la protection des sources. Parce qu’ils informent le citoyen et peuvent éclairer l’opinion, les journalistes sont les fers de lance de la démocratie et de la liberté d’expression, mais cette liberté doit s’accompagner de sérieuses garanties quant à la véracité des propos rapportés. La protection des sources est ainsi le corollaire d’une parole crédible. L’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales le dit sans ambages : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».

Dernière réforme dans ce domaine en France, la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes a constitué une indéniable avancée puisqu’elle a fait de la protection des sources des journalistes un principe général en l’inscrivant dans le cadre hautement symbolique de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Aujourd’hui, ce droit peut toutefois être amélioré pour assurer une prévention suffisamment efficace des atteintes injustifiées au secret des sources. Prévue dans un projet de loi en 2013, la protection du secret des sources des journalistes n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée. Nous saluons donc l’inscription dans la loi de manière plus claire et plus limitative des conditions permettant de porter atteinte à ce secret, tout en veillant à ce que « protection » ne rime évidemment pas avec « impunité ».

Les récentes attaques qui ont frappé notre territoire nous conduisent à être particulièrement vigilants sur les critères permettant une atteinte au secret des sources, notamment celui de la prévention ou la répression soit d’un crime, soit d’un délit constituant une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la nation, voire sur l’intégration à ces critères du terrorisme ainsi que du crime organisé. Aussi bien, si nous avons souligné nos points de divergences sur le rôle du CSA, madame la ministre, nous ne saurions, pour autant, nous opposer à un texte qui propose de définir de façon plus claire et plus limitative les conditions permettant de porter atteinte au secret des sources. C’est pourquoi, jusqu’à la fin de son examen, nous demeurons perplexes sur cette proposition de loi.

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