Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Marie-Françoise Bechtel
Question N° 98456 au Ministère de la justice


Question soumise le 9 août 2016

Mme Marie-Françoise Bechtel attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur la circulaire du 12 février 2010 prise par la ministre de la justice de l'époque, Mme Alliot-Marie. Cette circulaire s'appuie sur la loi du 29 juillet 1881 relative à la presse pour demander aux parquets la poursuite en justice des personnes appelant au boycott de certains produits israéliens, même lorsque, en dépit de cet étiquetage, ces produits proviennent de territoires occupés par cet État. Cette réglementation incite donc depuis 2010 à punir les actions militantes d'associations qui dénoncent le non-respect du droit international par l'État d'Israël. Interdire ce militantisme est contraire à la liberté d'expression qui peut trouver de limitation que dans des cas très rares. Les actions consistant à sensibiliser l'opinion publique et les consommateurs français à travers la provenance des produits sur le fait de la colonisation de territoires de Palestine entrent dans le cadre d'une pratique normale de la liberté d'expression et ne peuvent être assimilées à de la provocation, à la discrimination ou à la haine raciale comme croit pouvoir l'affirmer la circulaire Alliot-Marie. Si les cas de condamnation restent rares et si plusieurs militants ont été relaxés en cour d'appel (2014) ou par la Cour de cassation (2013), le maintien de la circulaire du 12 février 2010 pourrait toutefois mener à des condamnations prenant appui sur l'arrêt de la Cour de cassation du 20 octobre 2015 faisant suite à un jugement en cour d'appel à Colmar du 27 novembre 2013. Par cet arrêt, 14 militants du mouvement Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS) ont été condamnés à 28 000 euros de dommages et intérêts pour avoir participé à une manifestation dans un magasin Carrefour dans le Haut-Rhin. Il serait préjudiciable que l'interprétation de la Cour de cassation s'impose désormais en France alors que les appels au boycott de BDS ne sont pas considérés comme illégaux dans d'autres pays comme la Grande-Bretagne, la Belgique ou l'Allemagne. Alors que la France est l'un des rares pays démocratiques où l'appel au boycott est ainsi considéré comme illégal, l'abrogation de cette circulaire marquerait l'engagement du pays pour la liberté d'expression des militants favorables au respect du droit international. Maintenir cette directive paraît d'autant moins logique aujourd'hui que la France, à la fin du mois du juin 2014, a suivi l'exemple de plusieurs pays européens et s'est mise en conformité avec les lignes directrices UE-Israël via un addendum sur le site Internet du ministère des affaires étrangères déconseillant aux entreprises françaises de se livrer à des échanges commerciaux avec les entreprises israéliennes installées dans les territoires occupés. Elle lui demande donc s'il entend abroger cette circulaire du 12 février 2010.

Réponse émise le 11 octobre 2016

Les opérations appelant au boycott de produits israéliens sont susceptibles de caractériser le délit de provocation publique à la discrimination à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une nation, prévu et réprimé par l'article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881. Si cette qualification pénale n'interdit pas la libre critique de la politique d'un État ou l'expression publique d'un choix personnel, elle prohibe en revanche les messages et comportements appelant à la discrimination d'une ou plusieurs personnes uniquement au regard de leur nationalité, notamment, comme le prévoit l'article 225-2 du code pénal, lorsque la discrimination consiste à entraver l'exercice d'une activité économique. Au regard de la multiplicité des faits en divers points du territoire national, il est apparu nécessaire d'assurer une réponse cohérente de la part du ministère public. Deux dépêches ont été adressées le 12 février 2010 et le 15 mai 2012 aux parquets généraux afin de rappeler les difficultés procédurales liées à l'application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et, plus précisément s'agissant de la mise en œuvre de son article 24 alinéa 8. La Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprises, notamment dans ses arrêts du 28 septembre 2004 et du 22 mai 2012, des décisions de cours d'appels qui, pour condamner des prévenus poursuivis pour des faits de boycott de produits israéliens, avaient considéré que les articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881 renvoyaient aux articles 225-1 et 225-2 du code pénal et incriminaient notamment le fait de provoquer par des discours ou par des écrits à la discrimination portant entrave d'une activité économique. La Cour de cassation a réaffirmé cette position dans un arrêt du 20 octobre 2015, et précisé que l'exercice de la liberté d'expression pouvait être soumis à des restrictions ou sanctions qui constituent, comme en l'espèce, des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la défense de l'ordre et à la protection des droits d'autrui. Il appartient au procureur de la République d'apprécier les éléments constitutifs de l'infraction dans son contexte particulier et de choisir une réponse pénale individualisée, conformément à la circulaire de politique pénale du 2 juin 2016.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.

Inscription
ou
Connexion