Séance en hémicycle du 27 novembre 2014 à 9h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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La séance est ouverte à neuf heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles (nos 1986, 2352).

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Debut de section - Permalien
garde des sceaux

Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, nous examinons ce matin une proposition de loi déposée par les sénatrices Muguette Dini et Chantal Jouanno, ainsi que par leurs collègues du groupe UDI au Sénat.

La proposition de loi initiale, qui se référait à des infractions dites occultes ou clandestines, tels que les abus de biens sociaux et les abus de confiance, visait à reporter le point de départ du délai de prescription pour les crimes sexuels et les agressions violentes, ce que l’on peut entendre sans difficulté. En effet, la nature de ces agressions commises sur des mineurs ainsi que le traumatisme qui en découle peuvent évidemment conduire à revoir le délai permettant aux victimes de saisir la justice pour faire exercer l’action publique.

Le rapporteur de la commission des lois du Sénat, plutôt que de reporter le point de départ du délai de prescription, a préféré allonger ce délai de dix ans pour les délits et les crimes, le portant ainsi à vingt ans pour les premiers et à trente ans pour les seconds. Je rappelle que le droit commun prévoit un délai de trois ans pour les délits et de dix ans pour les crimes.

C’est un sujet extrêmement lourd. Personne ne peut s’opposer à la préoccupation visant à faciliter la dénonciation, même tardive, de ces crimes et à faire justice à ses victimes. Des études d’experts sont évidemment disponibles, mais nous n’en avons pas besoin pour supposer que ces agressions peuvent entraîner, chez les victimes, un sentiment de peur, de honte, de culpabilité, une véritable sidération voire, dans certains cas, une amnésie. Personne n’est insensible à ces situations et au traumatisme qu’elles peuvent provoquer.

D’ailleurs, notre droit positif considérait déjà qu’une dérogation au droit commun était nécessaire pour ce type d’agressions. Le droit actuel prévoit ainsi que le délai de prescription du droit commun, soit dix ans après la commission des faits pour les crimes et trois ans pour les délits, ne s’applique pas aux crimes sexuels.

Les articles 7 et 8 du code de procédure pénale, en référence à son article 706-47, ainsi qu’aux articles 222-10 et 227-26 du code pénal, traitent ainsi des meurtres ou des assassinats précédés ou accompagnés d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie, les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, la traite, la prostitution, le proxénétisme. Toutes ces infractions, exécutées sur mineurs, font l’objet d’un délai de prescription plus important. Il part de l’âge de la majorité, et il s’étend à vingt ans pour les crimes et à dix, voire vingt ans, pour les délits. Jusqu’à l’âge de 38 ans, la victime peut donc dénoncer un crime subi lorsqu’elle était mineure.

Je sais bien que tout cela est très difficile à entendre. Il est très difficile à entendre que cette dérogation prend en compte ces situations particulières. Il est important, pour les victimes en général et pour les victimes de ce type de crimes et d’agressions en particulier, que le droit soit solide.

Or la proposition de loi adoptée par le Sénat, qui reporte de dix ans le délai de prescription en maintenant l’âge de la majorité comme point de départ, pose problème. Certes, il est important de permettre aux victimes, dont le traumatisme a pu entraîner une révélation tardive des agressions subies, de faire engager une action publique, donc d’obtenir réparation de leur préjudice. Il convient cependant d’envisager les conséquences de ces dispositions.

La proposition de loi aurait en effet pour conséquence de pouvoir engager l’action publique jusqu’à l’âge de 48 ans. Dans de telles situations humaines, un raisonnement chiffré est difficile. Vous connaissez l’aisance avec laquelle je manie les chiffres, en général. Devant des situations humaines aussi sensibles, ils me mettent en difficulté car je perçois bien leur dimension à la fois impitoyable et parfois obscène.

Il demeure que ce report entraîne certaines difficultés, notamment pour exercer une action publique efficace. Plus le temps passe, plus le risque de dépérissement des preuves est élevé, plus les témoignages pouvant corroborer les déclarations de la victime risquent d’être atténués et indirects et plus les constatations qui peuvent être effectuées sur le corps de la victime sont problématiques.

Il existe par conséquent un risque indiscutable de transformer ces procès en confrontations, parole contre parole, donc de susciter de faux espoirs.

Nous avons ainsi le devoir de soulever les difficultés induites par cette proposition de loi, qui ne sont pas anodines. En effet, la proposition de loi, telle qu’elle est conçue, risque incontestablement d’être censurée si une question prioritaire de constitutionnalité est posée.

Aucun d’entre nous n’a oublié ici notre traumatisme causé par la décision du Conseil constitutionnel relative au harcèlement sexuel. Les QPC ont ceci de dévastateur, lorsqu’elles sont validées par le Conseil constitutionnel, qu’elles font tomber les procédures en cours. Même si le Parlement et le Gouvernement montrent de la célérité pour armer à nouveau le droit de façon à sanctionner ces infractions, une période de latence est inévitable.

Nous l’avons vécu : nous avons très rapidement rétabli le harcèlement sexuel et alourdi sa sanction. De même, nous avons aligné la sanction du harcèlement moral, pour le punir plus sévèrement. Il n’empêche que, durant un certain laps de temps, il a fallu essayer de rattraper des procédures, en les requalifiant. Certaines d’entre elles ont été annulées. Qu’une infraction de cette nature puisse non seulement être invalidée, mais aussi provoquer la chute de plusieurs procédures entraîne un effet moral, qui est terrible.

Pour ces raisons, le Gouvernement, qui est extrêmement sensible à la nécessité que toutes les conditions soient remplies pour que justice soit faite aux victimes, veut tenir compte des réalités. Souvent, le milieu familial où ces exactions, ces agressions, ces crimes sont commis empêche les victimes de porter plainte. Il est d’abord bien difficile au mineur de réaliser ce qui lui arrive, puis, lorsqu’il a grandi, d’obtenir le soutien nécessaire pour dénoncer les faits. Il lui est encore plus difficile de franchir le pas de la dénonciation publique, donc d’exposer des faits relevant de son intimité dans le champ de l’espace public, de surmonter l’hostilité qui peut se manifester au sein de sa famille, avec des menaces qui peuvent être proférées, de façon directe ou indirecte, puis, de se retrouver face à son agresseur.

Voilà les freins les plus fréquents à la dénonciation de ces agressions, même si nous ne devons pas oublier que, dans certaines situations, une amnésie partielle ou totale aura occulté ces faits pendant un temps relativement long. Il demeure que les situations les plus fréquentes de non-dénonciation ou de dénonciation tardive, sont celles qui interviennent dans le cadre familial où, de plus, des conflits de loyauté travaillent le mineur envers sa famille, frappée d’opprobre et souvent déchirée.

Le droit apporte une partie des réponses à ces freins puisqu’il prévoit des dérogations au secret professionnel des médecins et personnels sociaux qui signaleraient des agressions ou atteintes sexuelles, des privations, des maltraitances, touchant des personnes vulnérables ou mineures. Il sanctionne aussi le non-signalement de ces agressions, lorsqu’elles sont connues.

Mais le droit a également prévu, notamment par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, de mettre en place dans tous les départements des cellules de regroupement et de traitement d’informations préoccupantes.

La question de la politique publique et de l’efficacité des structures, dispositifs et mécanismes existants se pose naturellement. Parmi ceux-ci, on trouve l’Observatoire national de l’enfance en danger et le service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée, dont le fonctionnement doit être étudié.

La remontée des statistiques et leur fiabilité posent également problème. De même, les signalements sont source d’interrogations : ils connaissent, notamment en milieu éducatif, un pic à la veille des vacances, en mai et juin, pic qui doit être interrogé. Cette augmentation s’expliquerait-elle par une inquiétude à laisser les enfants en proie à des parents maltraitants durant les grandes vacances ?

Il nous faut donc connaître la situation, la mesurer le plus précisément possible et y apporter toutes les réponses de droit, solides, en matière de politique publique.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

C’est dans cet esprit que le Gouvernement travaille. C’est pourquoi nous avons souhaité transposer avec un an d’avance la directive « victimes » d’octobre 2012, qui prévoit le suivi individualisé des victimes, alors que nous avions jusqu’à la fin de l’année 2015 pour le faire. Le Sénat a déjà examiné le projet portant transposition de cette directive.

Cette transposition anticipée prendra effet dès que le texte aura été examiné par l’Assemblée nationale, mais elle nous permet de prendre en compte toute une série de normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes.

Comme vous le savez, j’ai décidé l’année dernière d’expérimenter le suivi individualisé des victimes dans huit tribunaux de grande instance. Ce suivi a été mis en application au début de l’année 2014 et son évaluation, qui sera réalisée à la fin de l’année, nous permettra de préciser, par décret, les modalités de la transposition de la directive « victimes ». Car les victimes d’agressions sexuelles, notamment celles qui étaient mineures au moment des faits et qui portent plainte, méritent un accompagnement plus ajusté et plus proche.

Nous avons également décidé d’un effort budgétaire qui permettra aux associations d’intervenir de façon plus continue, plus proche et plus massive auprès des victimes.

Ce n’est pas satisfaisant, j’en conviens, car nous avons en tête ces situations qui échappent au droit, aux dispositions et aux dispositifs actuels ainsi qu’à tous nos efforts en matière de politique publique.

Il demeure que cette modification partielle du droit de la prescription produit plus de difficultés qu’elle ne résout de problèmes. Je sais que l’Assemblée nationale est très intéressée par le rapport d’information que Jean-Jacques Hyest a remis au Sénat en 2007. La commission des lois a prévu de le prolonger, et elle a pour cela chargé deux parlementaires de l’approfondir en traitant la question du report des délais de prescription pour les infractions « occultes ou dissimulées ».

Les crimes sexuels dont nous parlons sont une part des infractions occultes ou dissimulées et une part de l’ensemble des crimes sexuels. C’est pourquoi il me paraîtrait plus satisfaisant d’envisager une modification du droit de la prescription qui permettrait de traiter dans son ensemble la question des crimes sexuels occultes et dissimulés.

Je suppose que la commission des lois prévoit pour les parlementaires chargés d’approfondir la question un calendrier relativement serré, mais objectivement, même si cela peut nous gêner, on ne peut établir de comparaison immédiate avec les délits financiers dissimulés…

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Personne ne fait cette comparaison. Cela n’a rien à voir !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Si j’en parle, messieurs les députés, c’est que les auteurs de la proposition de loi y font référence. Je ne fais que répondre à cet argument.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Les auteurs de la proposition de loi y font référence, pour justifier…

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Messieurs, le sujet ne mérite pas cette mauvaise querelle.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Si je m’exprime sur cet argument…

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

…c’est justement par respect pour les sénatrices qui considèrent, et elles se sont expliquées sur ce point devant le Sénat, qu’il est injuste d’inscrire dans la loi un report de délai de prescription pour les infractions financières d’abus de confiance et d’abus de biens sociaux, mais de ne pas accepter d’inscrire un report de délai de prescription pour les crimes sexuels.

Je n’ai pas procédé à une comparaison abusive…

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

…je n’ai fait que répondre à un argument qui a été évoqué. Et je vous invite, monsieur le député, à relire le Journal officiel du Sénat.

Je réponds donc à cet argument : les infractions dont nous débattons ce matin exigent des signalements, qui sont obtenus à partir d’éléments matériels. Or dans les cas d’agression sexuelle, plus le temps passe, plus le risque de dépérissement des preuves est important. C’est pourquoi je considère qu’il serait plus solide d’envisager le report du délai de prescription pour l’ensemble des crimes occultes et dissimulés, plutôt que pour cette seule catégorie de crimes.

Que vous ne vouliez pas convenir de votre erreur, c’est votre droit, mais il vous suffit de lire le Journal officiel du Sénat pour comprendre qu’il s’agit d’un véritable argument et non d’une comparaison abusive.

Voilà ce que je voulais vous dire concernant cette proposition de loi, dont nous allons écouter la discussion avec le plus grand intérêt.

Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.

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La parole est à Mme Sonia Lagarde, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

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Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a été adoptée par le Sénat, le 28 mai 2014, dans le cadre d’une journée d’initiative parlementaire du groupe UDI-UC du Sénat. Le groupe UDI a demandé son inscription à l’ordre du jour de notre assemblée avec l’espoir que, sur un sujet aussi sensible, nous puissions dépasser les clivages politiques pour adopter un texte susceptible de recueillir un consensus.

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Les, agressions sexuelles sont des infractions particulièrement douloureuses, difficiles à dénoncer et à l’origine de traumatismes psychologiques extrêmement lourds. Le législateur doit savoir tenir compte de ces particularités pour adapter le régime de la répression de ces infractions et faciliter l’action en justice des victimes.

Je rappellerai en préambule quelques chiffres. Selon la dernière enquête de victimation de l’Institut national de la statistique et des études économiques et de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, réalisée en 2012, 383 000 personnes majeures, âgées de 18 à 75 ans, ont déclaré avoir été victimes d’une ou plusieurs agressions sexuelles en 2010 ou 2011 – soit en moyenne 191 500 personnes sur une année. Mais en 2011, seulement 23 000 plaintes ont été déposées auprès des services de police ou de gendarmerie. Quant au nombre de condamnations, il est encore plus faible : 9 950, réparties en 1 250 condamnations pour viol et 8 700 pour agression sexuelle de nature correctionnelle.

Cet écart entre le nombre de faits déclarés dans le cadre des enquêtes de victimation et le nombre de faits dénoncés et condamnés peut s’expliquer par deux facteurs.

Premièrement, près de la moitié des faits sont commis dans le cadre familial, soit par un conjoint ou ex-conjoint, soit par un membre de la famille, ce qui explique que les victimes hésitent souvent à porter plainte, par crainte de ne pas être crues mais aussi de bouleverser la cellule familiale.

Deuxièmement, nombre de victimes, en particulier lorsqu’elles sont mineures, mais pas seulement, sont atteintes par un phénomène d’amnésie traumatique : pour surmonter le choc et la violence de l’agression subie, les victimes enfouissent les faits dans leur inconscient, jusqu’au jour où ces faits refont surface, à l’occasion par exemple d’une psychothérapie ou d’un événement tel qu’un décès, une naissance – ou encore une autre agression. L’amnésie peut aussi avoir été causée par l’utilisation par le violeur de drogues qui font perdre à la victime la conscience de ce qui lui est infligé.

Dans une certaine mesure, la loi tient déjà compte de la situation particulière dans laquelle se trouvent les victimes d’agressions sexuelles puisqu’elle prévoit, au bénéfice des victimes mineures au moment des faits, des règles dérogatoires en matière de prescription de l’action publique.

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Enfin, le délai de prescription est allongé de dix à vingt ans pour les crimes et de trois à dix ans, voire vingt ans pour les délits, et le point de départ de la prescription est reporté au jour de la majorité de la victime.

Mais ces règles ne sont pas toujours suffisantes pour permettre aux personnes qui ont été victimes durant leur enfance d’agir en justice. Il n’est pas rare que la prise de conscience d’infractions sexuelles vécues pendant l’enfance intervienne après l’âge de quarante ans, trop tard pour permettre à la victime d’agir en justice contre l’auteur des faits. En outre, ces règles ne sont pas applicables aux majeurs, pour lesquels les délais de prescription de dix ans pour les crimes et trois ans pour les délits ne font l’objet d’aucun aménagement.

Partant de ce constat, la proposition de loi déposée par Muguette Dini, Chantal Jouanno, François Zocchetto, Michel Mercier et le groupe UDI-UC du Sénat proposait pour toutes les infractions sexuelles, que la victime soit mineure ou majeure, de reporter le point de départ de la prescription de l’action publique au jour où les faits étaient apparus à la victime, dans des conditions permettant 1’exercice de l’action publique.

Cette règle aurait remplacé la règle actuelle du report du point de départ de la prescription pour les infractions sexuelles subies par des mineurs au jour de leur majorité.

Mais ce texte soulevait deux difficultés.

La première tenait au fait qu’en supprimant le bénéfice du report de la prescription au jour de leur majorité, qui aujourd’hui s’applique de plein droit, ce texte faisait régresser la situation des victimes mineures.

La seconde difficulté tenait à sa rédaction, qui n’était pas assez précise et encourait le risque de censure constitutionnelle pour atteinte aux principes de légalité des délits et des peines, d’égalité devant la loi et de nécessité des peines.

Pour ces raisons, le Sénat, à l’initiative du rapporteur Philippe Kaltenbach et avec un avis de sagesse de la part du Gouvernement, a modifié le texte de la proposition de loi pour substituer à la nouvelle règle de report qui était proposée un allongement des délais de prescription pour les faits commis contre les mineurs, en conservant la règle actuelle de report du point de départ à la majorité.

Dans le texte adopté par le Sénat, les délais passent de vingt à trente ans pour les crimes et, pour les délits, de dix à vingt ans ou de vingt à trente ans selon la nature du délit concerné.

En tant que rapporteure de la proposition de loi, je considère que ce texte va dans le bon sens et devrait pouvoir faire consensus parmi nous.

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Le 12 novembre dernier, la commission des lois a adopté la proposition de loi, les membres du groupe SRC s’abstenant sur le vote des articles et le vote final. Plusieurs membres de ce groupe ont fait valoir qu’une réforme globale du droit de la prescription leur paraissait nécessaire et le président de la commission a proposé de confier à nos collègues Alain Tourret et Georges Fenech une mission d’information sur cette question en vue de l’élaboration d’un texte global.

Aujourd’hui, le dépôt d’une motion de rejet préalable par nos collègues socialistes laisse malheureusement présager le rejet de cette proposition de loi. Pour ma part, je considère que l’adoption de ce texte et le fait de mener une réflexion globale sur la prescription sont tout sauf incompatibles.

La proposition de loi, telle qu’elle a été adoptée par le Sénat puis par la commission des lois de notre assemblée, s’inscrit au fond dans la continuité d’évolutions antérieures. Elle constitue donc une évolution – mais pas une révolution, à la différence du texte initial de la proposition de loi qui était effectivement très novateur. Or cette évolution, il faut le rappeler, est très attendue par les victimes, dont le désarroi est immense lorsqu’elles découvrent qu’elles ne peuvent plus porter plainte parce que le délai de prescription est clos.

L’argument du dépérissement des preuves, que vous avez mis en avant, madame la ministre, en réponse à la question que je vous ai posée avant-hier lors de la séance de questions au Gouvernement, ne me convainc pas : grâce au progrès de la police technique et scientifique et au suivi médical des enfants qui ont été victimes de viol ou d’agressions sexuelles, il peut être possible de prouver des faits trente ans après leur commission aussi bien que vingt ans après celle-ci.

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Dix ans qui n’ont donc que peu d’effet sur l’état des preuves, mais qui peuvent faire une différence considérable pour les victimes : différence entre l’amnésie, c’est-à-dire, concrètement, l’incapacité à porter plainte à la conscience des faits, et la possibilité de dénoncer effectivement les faits terribles qu’elles ont subis et donc, tout simplement, d’obtenir justice.

Mes chers collègues, aujourd’hui, je ne vous demande pas de choisir entre le respect des principes fondamentaux qui gouvernent légitimement le droit de la procédure pénale et celui que nous inspirent ces victimes et leur soif de justice. Ce n’est pas aujourd’hui l’objet de notre débat. Car entre ces deux exigences, le Sénat a montré qu’il existait un chemin, et il a ouvert la voie. Aujourd’hui, il s’agit d’offrir une réponse à la fois immédiate, simple et concrète à une détresse que nul ne peut nier. C’est pour ces raisons, chers collègues, que je vous demande d’adopter cette proposition de loi.

Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.

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La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

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Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure, chers collègues, en l’absence de notre président qui nous rejoindra tout à l’heure, il me semble pertinent de rappeler à l’orée du débat ses propos tenus en commission lors de l’examen du texte. Le président Urvoas a tout d’abord rappelé que le sujet est d’une grande importance et d’une force humaine lourde et qu’il faut donc l’aborder de façon très circonspecte en ayant bien conscience de la responsabilité qui incombe à la commission des lois et au législateur, celle de faire la loi, car la loi mal faite dessert les victimes comme la justice.

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Le président Urvoas a ensuite rappelé que six dispositions législatives ont modifié les règles de prescription depuis 1989. La jurisprudence, en particulier celle de la Cour de cassation, n’a cessé de revisiter ces sujets au point de laisser planer un aléa, en raison des nécessités des décisions qu’elle a à prendre, sur la compréhension de la règle de procédure pénale. Une telle situation pose énormément de problèmes et ne peut plus être acceptée. Tel était le sens de la première partie de l’intervention du président Urvoas. Il a ensuite émis une deuxième suggestion, rappelant la nécessité de nous réapproprier la question dans son ensemble sur la base du rapport du sénateur Hyest publié en 2007 évoqué tout à l’heure par Mme la garde des sceaux.

Notre président a aussi rappelé l’expérience très positive menée à propos des difficultés de cet ordre que constitue le travail conjoint de nos collègues Tourret et Fenech sur la révision des condamnations pénales qui a abouti à un dispositif très largement et très sereinement approuvé par notre assemblée. Le président Urvoas a suggéré de mettre en oeuvre la même méthode à propos des délais de prescription et même évoqué l’hypothèse que nos deux collègues ouvrent le chantier. Il me semblait nécessaire d’évoquer à cet instant la position du président Urvoas lors de l’examen en commission de la proposition de loi.

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Dans la discussion générale, la parole est à Mme Maina Sage.

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Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure, monsieur le vice-président de la commission des lois, mes chers collègues, nous défendons aujourd’hui cette proposition de loi car nous estimons que les agressions sexuelles ne sont pas des infractions comme les autres. Je le dirai à plusieurs reprises car il s’agit du fil conducteur du texte.

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Leur nature, le traumatisme qui en résulte et la situation de vulnérabilité dans laquelle elles placent les victimes incitent souvent celles-ci à enfouir leurs souvenirs au plus profond d’elles-mêmes pendant de longues années jusqu’à ce que la réalité les rattrape soudainement et violemment. Rien n’est plus évocateur et ne peut mieux rendre compte des dégâts causés par de telles agressions que le témoignage des victimes. Le but n’est pas d’engager un débat passionné mais véritablement de peser les mots qu’elles emploient pour parler du sujet. Je rapporterai donc quelques exemples, en particulier les propos cités par Muguette Dini au mois de mai dernier lorsqu’elle a présenté le texte devant la Haute assemblée.

Elle a évoqué l’histoire d’Ariane, haut fonctionnaire en poste dans un ministère, qui a subi des violences au cours de sa petite enfance. Ariane racontait au sujet de son père : « Il m’a violée entre huit et onze ans et demi puis s’est arrêté parce que, à partir de ce moment-là, j’aurais pu me retrouver enceinte. À dix ans, j’ai fait une tentative de suicide par électrocution. J’ai été frappée d’amnésie de tous ces viols et de ma tentative de suicide pour ne m’en souvenir qu’à quarante-deux ans, dans la nuit du 13 au 14 novembre 2012, trente longues années au cours desquelles je n’ai pas vécu mais survécu, dissociée et saccagée, à toutes les tortures que j’avais subies ».

Olivier, cinquante-deux ans, pilote et instructeur dans l’aviation d’affaires, se souvient : « Pensionnaire dans un établissement religieux, j’ai subi à dix ans des violences sexuelles graves assorties de tortures de la part d’un surveillant laïc. Quand j’ai quitté l’établissement pour entrer au collège, j’ai décidé que plus jamais je ne me laisserai faire. Je me suis procuré une carabine démontable, toujours à portée de main, y compris à l’école. »

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Ne rigolez pas, monsieur, il s’agit d’un sujet sérieux.

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Ce sont les termes de la déclaration que je suis en train de citer. Olivier poursuit : « J’ai enfoui tout cela et n’en ai jamais parlé à mes parents. Ces souvenirs sont remontés à la surface quarante ans plus tard en retrouvant des camarades sur des réseaux sociaux. Je me rends compte maintenant des effets délétères de ces agressions : colères extrêmes, surréaction face à des événements anodins, perte de confiance en moi et désir d’autodestruction ».

Ce ne sont là que deux exemples parmi des centaines de milliers d’agressions sexuelles perpétrées chaque année en France. Aux yeux des victimes, souvent trop âgées pour être entendues par la police et la gendarmerie, le vote de cette proposition de loi constitue un espoir, celui de voir jugés les auteurs de ces crimes après une longue période d’amnésie, une fois les souvenirs remontés à la surface, et de commencer enfin un travail de recherche de la vérité, de reconstruction et parfois de pardon, quand c’est possible.

Bien entendu, nous ne remettons pas en cause le délai de prescription, qui a aussi son utilité dans notre société. Il constitue une forme de droit à l’oubli indispensable, pour certains, à la stabilité de notre société. Mais, je le répète, les agressions sexuelles ne sont pas des infractions comme les autres. Elles sont très souvent passées sous silence en raison des phénomènes d’amnésie traumatique mais aussi de leur fréquente commission dans le cadre familial, ce qui rend leur dénonciation très difficile. On imagine bien la lourde difficulté de porter plainte dans ces cas-là. C’est pourquoi les chiffres officiels dont nous disposons et dont il est difficile d’établir la fiabilité statistique ne sont que la partie émergée de l’iceberg. En effet, 10 300 cas de violences sexuelles sur majeurs et 16 000 de violences sexuelles sur mineurs ont été recensés en 2012 alors que l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice fait état de 470 000 agressions sexuelles par an ! On est très loin des réalités !

L’élue de Polynésie française que je suis souhaite évoquer aussi le cas de l’outre-mer. Les cas de violence conjugale y sont plus fréquents qu’en métropole et la situation s’aggrave en raison des difficultés économiques que connaissent nos territoires. Pascale Vion, rapporteure au Conseil économique, social et environnemental, a réalisé une étude sur le sujet démontrant que la particularité de nos territoires, isolés et éparpillés mais où tout le monde se connaît, explique qu’il n’est pas facile d’avoir le courage de porter plainte, on le comprend. En outre, et sans reprendre tous les chiffres, il existe encore dans nos territoires, malheureusement, des pratiques qui sont presque excusées. Dans l’un d’entre eux, que je ne citerai pas, l’inceste « porte bonheur » ! On voit là tout le travail de communication et de prévention qui est nécessaire afin d’aider les femmes à comprendre leurs droits et trouver la force de franchir le pas.

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Mais cela prendra beaucoup de temps. Il s’agit de renforcer à long terme nos politiques publiques d’accompagnement et de prévention destinées aux femmes en mettant véritablement en oeuvre des stratégies sur de nombreuses années. Mais que faisons-nous, pendant toutes ces années ? Tel est vraiment le message que le groupe UDI entend faire passer aujourd’hui. Nous comprenons, madame la ministre, les raisons qui vous amènent à préférer une réforme globale du délai de prescription, mais pensez aux victimes !

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Personnellement, je suis favorable à l’imprescriptibilité de telles agressions qui ne devraient faire l’objet d’aucune prescription !

Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.

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Franchir le pas et les dénoncer est très difficile pour les victimes, d’autant plus qu’elles impliquent souvent un membre de leur famille et qu’une certaine forme d’amnésie est assez courante dans ces cas-là. En outre-mer, qui plus est, tout le monde se connaît, nous vivons dans de petits villages ! En Polynésie, nous sommes 270 000 habitants et certaines îles éloignées n’en comptent que 200 ou 300 ! Tout se sait, ce qui change complètement la vie des victimes et constitue pour elles une difficulté supplémentaire !

Des arguments ont été avancés contre ce que nous proposons. Pas plus tard qu’hier, on se demandait si attendre aussi longtemps est véritablement efficace et profite aux victimes. Nous essayons de vous convaincre, vous qui êtes la majorité, et j’aimerais vraiment que nous puissions nous unir, que nous parlions de ce texte d’une seule voix, en cette semaine de célébration des droits.

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Nous avons commémoré hier ensemble l’acte fort et courageux de Simone Veil. Le groupe UDI a soutenu la proposition de résolution, tout comme l’UMP, signifiant clairement notre volonté commune de faire avancer le droit des femmes. Nous avons célébré la semaine dernière les vingt-cinq ans des droits de l’enfant.

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Oui, il faut s’unir ! Nous, à droite, savons le faire, mais pas eux !

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Je suis persuadée, chers collègues de la majorité, que la question vous tient à coeur tout comme à nous. Je ne pense pas qu’elle oppose un camp à un autre. Personne n’a le monopole du coeur ! Il s’agit de responsabilité et de conscience personnelle !

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J’en appelle aux élus présents aujourd’hui ! Je vous demande d’y réfléchir. Vous mènerez demain une étude afin de déterminer s’il est possible d’harmoniser globalement les délais de prescription et faciliter la preuve des actes, mais je parle aujourd’hui des victimes ! C’est à elles que je pense aujourd’hui et j’aimerais que vous y pensiez aussi. Il s’agit pour nous de changer une virgule pour faire passer un délai de vingt à trente ans. Ne me parlez pas du risque de dépérissement des preuves qui est objectivement le même, que le délai de prescription soit de vingt ans ou de trente ans !

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Nous avons déjà franchi le pas et dérogé au droit commun en arrêtant un délai de vingt ans. Ne me dites pas qu’avec un délai de vingt ans, le risque n’est pas le même ! Que le délai soit de vingt ou trente ans, nous en sommes au même point et les risques sont quasiment les mêmes ! En revanche, pour les victimes, cela change tout ! La première fois que j’ai entendu parler de la proposition de loi, j’ai demandé pourquoi on s’en tenait à un allongement de dix ans. Pourquoi pas vingt ou trente de plus ? Je le répète pour la troisième et dernière fois, les infractions en cause ne sont pas de la même nature que les autres ! Personnellement je suis favorable à leur imprescriptibilité car ce qui est intolérable ne saurait bénéficier d’un droit à l’oubli. De tels crimes contre les personnes sont à mon sens du même ordre qu’un crime contre l’humanité. Il s’agit d’un crime contre un être humain, qu’il soit mineur ou majeur.

Je conclurai en vous disant que, pour les professionnels et les victimes elles-mêmes, l’échec de la procédure judiciaire est moins douloureux – même si, naturellement elle l’est – que l’impossibilité d’y avoir recours.

Je vous invite à y réfléchir et à soutenir cette proposition de loi.

Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.

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Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le vice-président de la commission des lois, chères et chers collègues, cette proposition de loi a pour objectif de permettre aux victimes, mineures au moment des faits, et en cas d’amnésie post-traumatique, de pouvoir mettre en oeuvre l’action publique, c’est-à-dire, pour dire les choses très clairement, de pouvoir déposer plainte. Je salue la volonté initiale des rédactrices de ce texte de tenter de trouver une solution juridique acceptable et je note, comme Mme la garde des sceaux l’a fait, les réelles difficultés rencontrées par le Sénat, qui a substantiellement modifié le texte initial.

On est tous d’accord : personne ne peut, ici, considérer que les violences sexuelles ne sont pas des infractions graves ; personne ne peut nier qu’elles sont insupportables pour les victimes et pour la société. Personne, ici, ne va le contester, tant cela relève de l’évidence.

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Les infractions sexuelles sont destructrices car elles touchent au coeur de l’intimité des victimes, qui se sentent coupables, alors même que l’auteur a souvent tendance à se victimiser.

Les auteurs sont presque toujours des proches de leur proie ; ils n’ont aucun mal à instaurer un climat de confiance et les faits, qui s’inscrivent dans la durée – souvent plusieurs années –, sont rarement isolés.

Comment expliquer une amnésie post-traumatique subie par un enfant mineur, souvent dans sa plus tendre enfance ? L’enfant, du fait du lien très proche avec son agresseur, ne peut pas avoir conscience et connaissance au moment des faits de la nature de l’interdit, puisqu’il est un enfant et qu’il a confiance. L’enfant a peur et trouve trop dangereux de parler, la première de ses craintes étant de ne pas être cru. L’agression est refoulée, tant elle est inconcevable, inimaginable, impensable par un enfant qui, nécessairement, attend protection et affection de la part de l’adulte ayant la charge de lui, que ce dernier appartienne à sa famille ou à son entourage proche. Surtout, un mécanisme de déni, qui a été bien expliqué, se déclenche tout simplement pour que la victime ne sombre pas. Seul, finalement, le corps intérieur de la victime garde en mémoire les faits. La souffrance intérieure s’exprime et s’extériorise sous différentes formes : la dépression, des addictions, de l’anorexie, de la boulimie, des mutilations, des scarifications, des tentatives de suicide. Les médecins voient ces situations régulièrement dans leur cabinet.

Je tiens à indiquer que les petits garçons sont autant victimes que les petites filles mais la libération de leur parole leur est bien plus difficile, parce qu’ils souffrent encore plus que les petites filles d’un sentiment de honte, qui les accable. Nous commençons à peine à évoquer cette question, notamment dans le cadre sportif.

Posons-nous objectivement, et sans utiliser la situation des victimes, la question suivante : augmenter les délais de prescription, en les poussant toujours au-delà des limites, est-ce réellement – je dis bien : réellement – aider à accompagner les victimes et répondre à leurs attentes, qui consistent à être reconnues comme telles ?

Exclamations sur les bancs du groupe UMP.

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Il faut aussi oser l’affirmer : quelle est la vocation d’un procès pénal plus de quarante ans après les faits ? Va-t-on condamner à une peine privative de liberté, plus de quarante ans après les faits révélés, une personne souvent âgée et insérée alors que, de surcroît, on sait que l’on est confronté, malgré les progrès de la science, à un dépérissement des preuves, dans un domaine où, justement, la question de la preuve est la plus difficile à rapporter ? De ce fait, tout en ayant très bonne conscience, ne va-t-on pas faire vivre à la victime un véritable enfer procédural ?

Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.

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C’est la parole officielle du parti socialiste !

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Pour accompagner des victimes dans ce cadre, je peux vous dire que la réponse institutionnelle négative qui peut succéder à des années de silence et de souffrance est souvent un rouleau compresseur extrêmement difficile à vivre. Pourquoi ? Parce que la victime…

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Je vous prie de ne pas m’interrompre. Nous ne vous avons pas interrompus. Vous pouvez m’écouter également.

Parce que la victime, disais-je, va être soumise à des questions intimes intrusives, à plusieurs expertises psychiatriques et psychologiques, à des enquêtes sociales qui vont fouiller sa vie privée.

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Toute sa vie privée va être passée au peigne fin, et la victime va devoir raconter les détails les plus intimes de sa vie privée. Compte tenu de la nature des faits et de l’amnésie, il est de surcroît logique – c’est typique de ce genre de faits – que la mémoire soit parcellaire, que les détails soient flous et que des erreurs ou des maladresses puissent être commises.

L’auteur présumé risque précisément de s’engouffrer dans la moindre contradiction, et ce alors même que l’on sait aujourd’hui que la victime peut avoir, de bonne foi, occulté certains points, en avoir minoré d’autres ou les avoir oubliés. Rien n’est pire pour une victime que d’être niée en sa qualité et ses droits et de s’entendre dire qu’elle n’est pas crédible et qu’elle affabule.

Il faut aussi s’interroger sur la question de savoir jusqu’où peut jouer la fonction particulière de catharsis du procès, et s’il faut prendre le risque de la faire jouer, toujours dans l’intérêt de la victime.

Pour lutter contre ce fléau, il faut informer les enfants le plus tôt possible. Il faut leur apprendre le respect du corps, de leur corps comme du corps d’autrui. C’est bien par des politiques publiques volontaristes et innovantes que, le plus tôt possible, l’enfant peut être protégé et informé. Il faut que les professionnels soient aussi bien, voire mieux formés, pour détecter au plus tôt des situations familiales problématiques.

Par conséquent, ouvrir la prescription à trente ans, c’est faire courir le risque de l’échec faute de preuves (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI), c’est obliger la victime à se souvenir de tout et ne jamais se tromper, c’est aussi augmenter le risque global d’une erreur judiciaire. En somme, rien qui puisse aider la victime à participer à la réparation de son traumatisme et à la reconquête de l’estime de soi.

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Ce texte est une réponse inadaptée à une très bonne question,…

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…à une question qui nécessite, comme l’a dit M. le vice-président de la commission des lois, un travail minutieux, réfléchi. La réforme des prescriptions ne se fera pas et ne peut pas se faire par pointillisme.

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Elle nécessite un examen global de toutes les infractions et de toutes les peines, de manière à être cohérent et intelligible pour tous les justiciables. Nous allons nous atteler à ce vaste chantier, et c’est pourquoi nous déposerons une motion de rejet de ce texte.

Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.

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J’invite l’ensemble de nos collègues à retrouver le calme et la sérénité, et à faire preuve d’écoute.

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Il y a des choses qui sont difficiles à entendre !

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Monsieur Geoffroy, s’il vous plaît !

La parole est à M. Alain Tourret.

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Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteure, les problèmes relatifs à la prescription sont compliqués et n’ont fait que se compliquer au fur et à mesure des ans.

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On doit d’abord se poser la question suivante : faut-il ou ne faut-il pas un régime de prescription ? Il y a eu beaucoup de réflexions à ce sujet et, dans de nombreux pays, les solutions ont divergé. Le droit à la prescription peut s’appliquer par le droit à l’oubli, par la sanction du pouvoir exécutif, lorsqu’il n’a pas exercé les poursuites dans les délais et par la notion de dépérissement des preuves.

Deuxième chose : la prescription, en France, s’applique de manière différente en matière de faits et de peines. Nous sommes l’un des seuls pays à avoir deux systèmes de prescription.

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Dès lors, posons-nous la question suivante : faut-il ou ne faut-il pas maintenir la prescription ? Je pense qu’il faut, incontestablement, maintenir un système de prescription. Alors même que la notion de dépérissement des preuves est perçue désormais dans un sens exactement inverse, de nouveaux systèmes scientifiques permettent de trouver de nouvelles preuves, ne serait-ce que par les recherches sur l’ADN. À partir de là, on comprend qu’une réflexion différente doit s’engager.

Par ailleurs, l’allongement de la durée de la vie conduit à appréhender de façon un peu différente les problèmes de prescription.

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En 1840, la durée de la vie était de quarante ans et la prescription durait vingt ans pour un crime qui avait fait l’objet d’une condamnation mais pour lequel on n’avait pas arrêté la personne en question. Actuellement, alors que la durée de vie est de quatre-vingt-cinq ans, on conçoit que les choses changent profondément. En effet, on peut admettre qu’un système de prescription puisse être la sanction de ce que j’ai indiqué, mais il est très difficile d’admettre que des criminels puissent, à travers un tel système, échapper à leurs responsabilités.

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On s’est bien rendu compte, tant du côté que du législateur que de celui des magistrats, que le système clochait.

Du côté du législateur, on a d’abord créé l’imprescriptibilité ; or, plus on allonge la durée de la prescription, plus on se rapproche de l’imprescriptibilité, ce qui est très dangereux. Cela revient en effet à banaliser l’imprescriptibilité, qui s’applique, comme vous le savez, aux crimes contre l’humanité, dont on sait, après le choc de la Seconde Guerre mondiale, ce qu’ils ont représenté. Donc, premier élément de réflexion : il y a, à côté de la prescription, l’imprescriptibilité ; aller trop loin dans la durée de la prescription, c’est se rapprocher de l’imprescriptibilité et, à partir de ce moment-là, je le répète, c’est banaliser le crime contre l’humanité, ce qui est très dangereux.

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Ce n’est pas moi seul qui le dis : des dizaines de professeurs de droit criminel ont dit ça.

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Par ailleurs, on a additionné un certain nombre de lois, pour tâcher de trouver des solutions, au cas par cas, aux problèmes de prescription.

Faut-il ajouter une nouvelle loi ? Je ne pense pas que ce soit opportun.

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En ce qui concerne la jurisprudence, je suis obligé de constater qu’elle a créé des systèmes extraordinairement différents pour, en réalité, lutter, à chaque fois, contre la prescription.

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Faisons d’abord un rappel historique et juridique : pourquoi le délai de prescription du recel ne court qu’à partir du moment où il s’arrête ? On peut légitimement se poser la question.

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Oui, on a inventé la notion d’infraction continue, qui est, en elle-même, incompatible avec la notion de prescription, qu’on le veuille ou non.

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On est allé très au-delà, bien évidemment, s’agissant des infractions économiques. En la matière, on va devoir m’expliquer une fois pour toutes pourquoi un abus de biens sociaux portant sur 1 000 euros est imprescriptible, alors qu’un meurtre ne l’est pas.

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On voit bien que la jurisprudence a engagé un mouvement progressif en ce sens. Cela a d’abord été le cas des infractions occultes, puis des infractions complexes. La décision rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation la semaine dernière nourrit la réflexion et conduit à se demander comment des magistrats ont pu, in fine, arriver à dire que l’on ne pouvait pas invoquer la prescription alors même qu’elle était manifestement acquise. Relisez cette décision : les magistrats ont dû se rapporter à des analyses de fait très complexes permettant de dire que l’infraction était en elle-même occulte, ce qui rendait imprescriptible le crime en cause.

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D’où, en effet, la nécessité de légiférer. Avec Georges Fenech, nous avons d’ailleurs proposé au président Urvoas qu’une véritable réflexion puisse s’établir en la matière.

Il faut préciser que nous disposons déjà de sources, à commencer par le rapport Hyest, qui a été déposé au Sénat : c’est un excellent rapport, que je vous invite à lire.

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Les sénateurs ont voté la proposition de loi !

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Que dit le rapport Hyest ? Qu’il faut rompre avec le système actuel, qui ne garantit plus aucune sécurité. Or il est nécessaire, mes chers collègues, de garantir une sécurité juridique : sans sécurité juridique, il n’y a pas de possibilité d’établir un État de droit.

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Or actuellement, les lois s’additionnent aux lois en matière de prescription, les décisions s’ajoutent aux décisions, et nous n’y arrivons plus. L’invention est complète. Au moment de l’affaire Guy Georges, on a été obligé d’invoquer, pour pouvoir le poursuivre, la notion de recel de cadavre. Convenez que c’était étonnant : il avait tué tout une série de jeunes femmes, le crime était patent, mais comme la prescription s’appliquait, on a été obligé de pondre toute une théorie sur le recel de cadavre pour arriver à dire que ce n’était qu’à partir du moment où l’on avait découvert le cadavre que la prescription pouvait commencer à courir.

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Certes, mais ce que je veux dire par là, c’est que soit nous abandonnons la prescription, soit nous faisons quelque chose de régulier.

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Mais on ne peut s’en remettre systématiquement à l’insécurité et à l’imagination – qui sera toujours extraordinairement fertile – des juristes et des magistrats. Voilà pourquoi je pense que voter une nouvelle loi sur la prescription ne ferait qu’ajouter à la confusion…

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… et qu’il est d’abord nécessaire d’opérer une fusion entre les deux prescriptions, la prescription sur les faits et la prescription sur les condamnations, et de redéterminer, en fonction de l’évolution de la vie et de la société, un système clair de prescription. Oui ou non, admettons-nous que l’on puisse mettre des exceptions ou laisser le choix aux magistrats, ou bien alors bâtissons-nous – et ce serait notre honneur de législateur – un système clair et précis ? Les justiciables sont en droit d’exiger du législateur la sécurité juridique. Cette sécurité n’existe plus.

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Le justiciable est pour le droit et la justice !

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C’est pourquoi je vous propose de reprendre de manière beaucoup plus globale l’ensemble du droit de la prescription. Notre collègue Hyest nous y invite à travers son rapport extrêmement intéressant. Relisez-le : il formule sept propositions. Le rapport porte sur le régime des prescriptions civiles et pénales, mais je m’attache simplement à la prescription pénale. Son auteur le dit, nous ne pouvons plus continuer ainsi. Madame la garde des sceaux, il est absolument indispensable de revenir à une loi claire ; car sans loi claire, il n’y a pas de justice.

Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.

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Madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteure, permettez-moi d’abord de dire à ces messieurs que l’on peut très bien débattre dans cet hémicycle sans insulter les orateurs ; et je trouve dommage que l’on ait pu insulter ma collègue Colette Capdevielle lors de son intervention. C’est vraiment regrettable.

L’examen de cette proposition de loi déjà débattue au Sénat intervient au lendemain de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes…

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…et me donne donc l’occasion de réaffirmer notre opposition forte et déterminée à toutes ces formes de violences qui représentent un des pires fléaux de notre société.

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C’est la journée nationale de l’hypocrisie !

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Je m’exprime aussi en tant que parlementaire d’un département où ce problème est encore trop prégnant, comme partout en outre-mer, même si on observe actuellement une dynamique de lutte contre ce que je qualifierais de cancer pour la société réunionnaise.

Ce texte me donne également l’occasion de rappeler que les violences conjugales qui s’expriment de diverses façons, verbales, psychologiques, physiques, sexuelles, sont une grave atteinte au droit fondamental des personnes à vivre en sécurité, une atteinte à la dignité, et qu’elles doivent faire l’objet d’un combat sans concession.

Les chiffres sont là, des chiffres effrayants, qui montrent que c’est encore un combat d’avant-garde et qui nous obligent à la plus grande vigilance : en 2011, 2,2 millions de personnes de 18 à 75 ans ont subi des violences physiques ou sexuelles. Parmi ces victimes, 383 000 ont subi des viols, des tentatives de viol ou des attouchements sexuels. Les victimes atteintes par ce fléau sont à 80 % des femmes, et même à 95 % dans le cas des violences conjugales.

Si elles donnent lieu à de plus en plus de dénonciations, ces violences se heurtent encore trop souvent à la loi du silence, notamment s’agissant des violences sexuelles.

Nous faisons ici face à « un fléau de l’ombre », pour reprendre les termes du docteur Muriel Salmona, spécialisée dans la prise en charge des victimes de violences.

Le droit pénal français punit sévèrement la délinquance sexuelle. Avec la Grande-Bretagne, la France est non seulement le pays dans lequel les condamnations sans sursis total sont les plus prononcées, mais également celui où les peines privatives de liberté prononcées sont les plus lourdes, condamnations qui ne répondent cependant pas au grand nombre d’actes recensés.

Néanmoins, si la loi punit sévèrement ce phénomène, il existe des délais de prescription qui éteignent l’action publique de la victime. Cette prescription varie entre trois et vingt ans en fonction de l’infraction – vous l’avez dit, madame la ministre – et ce sont là des délais qui, au regard de cette proposition de loi, paraissent inadaptés lorsque la victime souffre d’amnésie traumatique.

L’amnésie traumatique est la conséquence d’une souffrance trop forte, d’un choc émotionnel qui conduit parfois la victime à refouler l’événement subi, voire à le nier. La prise de conscience peut en effet intervenir très tardivement, après le délai de prescription, et les victimes qui souhaitent porter plainte se heurtent malheureusement à cette barrière.

Je le disais au début de mon propos : la violence, d’où qu’elle vienne, est à condamner et à sanctionner fermement. Notre responsabilité de législateur est de protéger la victime, et nous le faisons de mieux en mieux.

Néanmoins, si, sur le fond, cette proposition de loi soulève un vrai problème – il ne s’agit pas de le nier, car j’ai été destinataire à la Réunion de courriers en ce sens, encore très récemment –, elle risque de se heurter à un vrai problème d’inconstitutionnalité, que Mme la ministre et ma collègue Colette Capdevielle ont largement évoqué : un risque au regard du principe de légalité des délits et des peines découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen d’abord, et un risque au regard du principe d’égalité des victimes devant l’action en justice ensuite, qui pourrait même causer une régression pour certaines victimes âgées de moins de 38 ans, en les obligeant à apporter la preuve du jour où elles ont pris conscience des faits, alors qu’elles ont aujourd’hui la possibilité de porter plainte sans avoir à justifier du caractère tardif de leur démarche. C’est bien de faire des lois ; encore faut-il qu’elles soient justes et ne créent pas d’autres inégalités.

D’autre part, je ne suis pas convaincue que cette proposition soit la réponse la mieux adaptée aux victimes souffrant d’une amnésie traumatique. La prise en charge de ce type de violence ne saurait en effet se résumer à cette seule proposition. Si l’on permet à la victime d’ester en justice plus longtemps, en augmentant ce délai et en créant un droit imprescriptible, on augmente aussi les difficultés à rassembler les preuves et les témoignages. Dès lors, ne risque-t-on pas d’exposer cette victime à un jugement encore plus pénalisant pour elle, surtout si l’auteur reste impuni en raison des difficultés mentionnées plus haut ?

La victime ne risque-t-elle pas d’être exposée à un deuxième traumatisme faute de réparation ? Non, madame la députée, je ne suis pas certaine que l’échec d’une procédure soit moins douloureux !

Cette loi mérite d’être plus globale, pour prendre en compte les différents aspects des violences sexuelles – viol, mais aussi inceste –, et surtout pour envisager des solutions plus adaptées et plus efficaces pour aider les victimes à sortir le plus rapidement possible de ce type de traumatismes et leur permettre de se reconstruire. Elle doit permettre de répondre au souhait du docteur Salmona, que je partage et que je vous rapporte en ces termes : « Je souhaite que nous arrivions à lutter contre le déni, la minimisation, la loi du silence…

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… le retournement pervers qui fait de la victime la coupable – coupable de ne pas s’être assez protégée, de ne pas s’être défendue comme il aurait fallu, coupable de mensonges, coupable d’avoir provoqué le viol –, la méconnaissance, l’absence de reconnaissance et l’abandon où sont laissées actuellement la grande majorité des victimes, pour que leurs droits soient enfin reconnus – droit à vivre sans violence, droit à être protégées, accompagnées, soignées, droit à une justice digne de ce nom et à des réparations, car ces violences ont un impact très important sur la vie des victimes, sur leur santé, sur leur vie personnelle et professionnelle. »

J’ai entendu ce qu’a dit Mme la ministre au sujet de la mission conduite par la commission des lois et de la réflexion en cours au sein de la délégation aux droits des femmes. Je vous fais confiance, madame la ministre, pour qu’une vraie loi digne de ce nom, avec des moyens, voie le jour rapidement.

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Ce n’est pas une vraie loi, celle dont nous discutons aujourd’hui ? Quel mépris !

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Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, à l’origine de traumatismes psychologiques extrêmement lourds, les agressions sexuelles, en particulier celles ayant pour victimes des mineurs, sont des agressions difficiles à dénoncer, car elles présentent un caractère de « clandestinité ». En raison de leur nature, de la situation de vulnérabilité dans laquelle elles placent la victime, elles font souvent l’objet d’une prise de conscience ou d’une révélation tardive.

Ainsi, selon la dernière enquête de victimation de l’Institut national de la statistique et des études économiques et de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, réalisée en 2012, 383 000 personnes majeures, âgées de 18 à 75 ans, ont déclaré avoir été victimes d’une ou plusieurs agressions sexuelles en 2010 ou 2011, soit 191 500 personnes sur une année. Cependant, en 2011, seules 23 000 plaintes ont été déposées auprès des services de police ou de gendarmerie. Quant au nombre de condamnations, on relève 1 250 condamnations pour viol et 8 700 pour agression sexuelle de nature correctionnelle, soit 9 950 condamnations au total.

Cet écart entre le nombre de faits déclarés dans le cadre des enquêtes de victimation et le nombre de faits dénoncés tient à plusieurs facteurs. D’abord, près de la moitié de ces faits sont commis dans le cercle familial, ce qui peut expliquer que les victimes hésitent souvent à porter plainte.

Ensuite, pour surmonter le choc extrême et la violence de l’agression subie, nombreuses sont les victimes qui enfouissent ces faits dans leur inconscient, jusqu’au jour où ils refont surface, que ce soit à l’occasion d’une psychothérapie ou à la suite d’un événement de la vie, comme un mariage, un divorce, un deuil ou la naissance d’un enfant. Le phénomène d’amnésie traumatique étant maintenant connu des professionnels, la loi doit tenir compte de ces particularités et évoluer en ce sens, pour adapter le régime de la répression de ces infractions et faciliter l’action en justice des victimes.

Cette situation particulière dans laquelle se trouvent les victimes d’agressions sexuelles, la loi en tient déjà compte, en prévoyant des règles dérogatoires en matière de prescription de l’action publique au bénéfice des victimes mineures au moment des faits. Dans ce cas, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a porté la durée du délai de prescription de dix à vingt ans pour les crimes ou les délits assimilés aux crimes et de trois à dix ans pour les autres délits ; le point de départ de la prescription est reporté au jour de la majorité de la victime.

Mais le fait est que ces règles semblent encore inadaptées, car elles ne sont pas toujours suffisantes pour permettre aux personnes victimes d’agressions sexuelles au cours de leur enfance d’agir en justice. Rien ne peut en effet permettre de prédire à quel âge la victime sortira du déni.

C’est la raison pour laquelle j’avais rédigé en octobre 2005 une proposition de loi tendant à rendre imprescriptibles les crimes et les délits de pédophilie, convaincu que l’imprescriptibilité est aussi un outil de prévention contre la récidive ; car si une victime n’a pas la force de porter plainte pour elle-même, elle peut trouver cette force pour protéger d’autres enfants en danger, voire ses propres enfants. Pour cela, j’estime que la victime devrait pouvoir porter plainte à n’importe quel moment de sa vie : ces crimes constituent une vraie atteinte à l’humanité.

Dans la proposition de loi que je viens de mentionner et qui avait été déposée sur le bureau du Sénat sur l’initiative de Mmes Muguette Dini et Chantal Jouanno et de MM. Michel Mercier et François Zocchetto prévaut le même constat : il n’est pas rare que la prise de conscience de telles agressions intervienne après l’âge de quarante ans, soit trop tard pour permettre à la victime d’intenter des poursuites contre l’auteur des faits. En outre, ces règles ne sont pas applicables aux personnes majeures, pour lesquelles les délais de prescription de dix ans pour les crimes et de trois ans pour les délits ne font l’objet d’aucun aménagement.

Dans sa version initiale, la proposition de loi prévoyait donc, sans modifier la durée du délai de prescription pour les différentes catégories d’infractions concernées, le report du point de départ du délai de prescription au jour où les victimes, majeures comme mineures, frappées d’amnésie traumatique auraient recouvré la mémoire des faits qu’elles avaient subis. Cette disposition aurait remplacé la règle actuelle, qui reporte le point de départ de la prescription pour les infractions sexuelles subies par les mineurs au jour de leur majorité. Une version différente a cependant été retenue dans le texte adopté par le Sénat, car on a considéré que cette rédaction présentait de grandes fragilités juridiques.

Ce texte soulevait, il est vrai, plusieurs difficultés. En supprimant le bénéfice du report de la prescription au jour de la majorité, qui s’applique aujourd’hui de plein droit, il faisait régresser la situation des victimes mineures. Par sa rédaction insuffisamment précise, il faisait courir un risque de censure constitutionnelle pour atteinte aux principes de légalité des délits et des peines, d’égalité devant la loi et de nécessité des peines.

Il a donc fallu trouver un autre dispositif qui respecte l’esprit des auteurs de la proposition de loi initiale : on a substitué à la nouvelle règle de report initialement proposée un allongement des délais de prescription pour les infractions commises sur les mineurs, tout en conservant la règle actuelle de report du point de départ à leur majorité. Dans le texte adopté par le Sénat, les délais passeraient de vingt à trente ans pour les crimes, et de dix à vingt ans ou de vingt à trente ans pour les délits, selon la nature du délit concerné. Les délais de prescription applicables aux infractions sexuelles commises sur des mineurs, déjà très dérogatoires au droit commun, peuvent en effet encore apparaître inadaptés lorsque, de nombreuses années après, à l’occasion d’un événement ou d’une prise en charge psychothérapeutique, les faits ressurgissent brutalement dans la mémoire de la victime devenue adulte.

Ainsi, même si j’aurais souhaité qu’on puisse aller encore plus loin pour améliorer la cohérence du droit de la prescription, notamment par une disposition visant à améliorer la situation des victimes de viol majeures au moment des faits et qui auraient été frappées d’amnésie, je ne vois aucune raison de s’opposer à l’adoption de ce texte utile pour les trop nombreuses victimes. Bien au contraire ! Nous avons toutes les raisons de voter ce texte qui va dans le bon sens et qui permet de préserver l’équilibre entre la prescription et la volonté de donner à la victime du temps supplémentaire pour dénoncer les faits qu’elle a subis.

Pour conclure, madame la ministre, mes chers collègues, deux jours après la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, je voudrais vous dire qu’il nous reste du travail pour améliorer notre arsenal juridique de lutte contre la délinquance sexuelle, pour faciliter les démarches et inciter les victimes à porter plainte, afin de permettre à ces dernières de se reconstruire et de protéger d’autres victimes potentielles de leurs agresseurs.

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Je pense à deux types d’agressions en particulier : le viol entre époux, dont la réalité est trop souvent niée, et le viol dans le cercle amical, qui touche les adolescents ou les jeunes adultes, pour lesquels le regard des autres et la pression sociale sont tels qu’ils incitent au silence et à la non-dénonciation des faits.

Enfin, deux jours après cette journée internationale de mobilisation, je regrette l’hypocrisie de ceux qui ont affirmé sur tous les tons combien cette proposition de loi était formidable et l’ont laissé adopter en commission des lois pour vouloir ensuite, dans l’hémicycle, la trucider par une motion de rejet préalable assassine.

Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.

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Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, cette proposition de loi, présentée au Sénat par Muguette Dini et Chantal Jouanno, est inscrite à l’ordre du jour de la niche parlementaire du groupe UDI par notre rapporteure Sonia Lagarde.

Elle revient sur un sujet grave et régulièrement évoqué : la prescription des crimes et délits sexuels. Cette question, très sensible et douloureuse pour les victimes et leur entourage, est en outre difficile à traiter, ce qui explique que le législateur y revienne régulièrement.

En effet, nous parlons des victimes féminines et masculines d’agressions sexuelles, notamment de viols. L’extrême gravité de ces infractions est aujourd’hui unanimement reconnue et le législateur comme l’ensemble de la société doivent s’assurer qu’elles soient lourdement sanctionnées.

Comme le rappelait hier Mme Lagarde lors de la séance de questions au Gouvernement, selon l’ONU, 70 % des femmes dans le monde ont été ou seront au cours de leur vie exposées à la violence en raison de leur sexe. Cette question demeure trop souvent sous-estimée par les autorités. Cela s’explique notamment par le faible nombre de personnes qui portent plainte ; elles représentent environ 12 % des victimes estimées. De nombreuses raisons sont susceptibles d’expliquer ce phénomène ; l’une d’entre elles, certes pas la plus fréquente, est l’amnésie des personnes qui ont été victimes d’agressions sexuelles particulièrement traumatisantes.

Il est avéré que des agressions sexuelles peuvent faire l’objet d’une prise de conscience ou d’une révélation tardive « en raison de leur nature, du traumatisme qu’elles entraînent, et de la situation de vulnérabilité particulière dans laquelle elles placent la victime ». Elles possèdent, en outre, « un énorme pouvoir de sidération et de colonisation du psychisme des victimes ».

Pour remédier à cela, l’intention des signataires de la proposition de loi était à l’origine de reporter le point de départ du délai de prescription au jour de la révélation des faits par la victime. Comme les débats l’ont montré au Sénat, si l’intention était fort louable, une telle mesure posait en pratique de nombreux problèmes. Il aurait notamment fallu prouver la matérialité de la révélation tardive de l’infraction pour la victime, ce qui en pratique est délicat.

C’est la raison pour laquelle, sous l’impulsion du groupe socialiste du Sénat, la proposition de loi a été modifiée pour ne plus contenir que la proposition de porter le délai de prescription de vingt à trente ans après la majorité pour les délits sexuels les plus graves et de dix à vingt ans pour d’autres délits sexuels commis sur les mineurs.

Rappelons que les délais généraux de prescription de l’action publique en matière pénale sont de dix ans pour les crimes, trois ans pour les délits et un an pour les contraventions. Pour les infractions sexuelles, les délais sont différents selon que la victime est mineure ou majeure. Ils sont allongés si la victime est mineure, pour tenir compte, justement, de la plus grande vulnérabilité des enfants et de l’extrême difficulté pour eux d’en parler. Ainsi, le dépôt de plainte peut se faire dix ans après la majorité pour les infractions dites improprement « les moins graves », et de vingt ans après la majorité, soit jusqu’à trente-huit ans, pour les infractions les plus graves ; viol, attouchements sexuels sur mineurs, attouchements commis par un ascendant, par une personne ayant autorité, ou par plusieurs personnes. Si la victime est majeure, le délai de prescription est de dix ans à compter de la date des faits pour le viol et de trois ans pour les autres infractions sexuelles. Il y a également des exceptions pour d’autres crimes – terrorisme, stupéfiants – ou pour les infractions occultes – tromperie, dissimulation de preuve – ou accompagnées de manoeuvres de dissimulation, comme l’abus de biens sociaux.

Toutefois, de manière générale, lorsque l’action publique est déclenchée des années après les faits, il y a deux soucis principaux. Le premier concerne la difficulté de prouver les faits sauf en cas d’aveux du coupable ou de présence de preuves ADN, puisque celles-ci peuvent être fiables même si elles sont découvertes après le délai de prescription. Les enjeux de cette question des preuves ADN méritent d’ailleurs vraiment d’être approfondis. Le second tient au sens d’une justice prononcée des décennies après les faits. Il peut être légitime de se demander si la victime trouvera toujours réparation tant d’années après les faits.

Il s’agirait donc par cette proposition de loi de renforcer l’exception déjà existante pour la prescription des délits sexuels. Or, en vingt-cinq ans, le législateur a déjà modifié le droit de la prescription en matière pénale à au moins six reprises. Cette loi serait donc au moins la septième sur le sujet. Nous sommes ainsi en train de constituer un droit d’exception par petites touches, sans vision globale.

Vous m’objecterez que dans le cadre contraint des niches parlementaires qui sont attribuées aux groupes minoritaires, vous n’avez guère les moyens de présenter un tel travail, chers collègues du groupe UDI. Néanmoins, notre rôle en tant que législateur est de faire le droit et, au besoin, de l’améliorer, en gardant toujours à l’esprit ses principes généraux et un souci de cohérence.

D’ailleurs, l’allongement de la prescription de l’action publique de vingt à trente ans pour une seule catégorie d’infractions et une seule catégorie de victimes semble non conforme au principe constitutionnel de proportionnalité des crimes, des délits et des peines.

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La gravité des agressions sexuelles ne justifie que difficilement un droit d’exception. Pourquoi un régime particulier pour les violences sexuelles et pas, par exemple, pour les meurtres, qui continueraient à être prescrits au bout de dix ans, ou encore pour les infanticides ? De même, la pénalisation serait différente selon l’âge des victimes, puisque l’allongement de la prescription est réservé aux victimes mineures, de sorte que l’amnésie d’une victime récemment majeure ne serait pas prise en considération.

L’établissement des règles de droit, surtout en matière pénale, requiert donc selon nous une vue d’ensemble. Le récent arrêt de la Cour de cassation plaide d’ailleurs en ce sens. C’est pourquoi nous estimons bienvenue la proposition du président de la commission des lois Jean-Jacques Urvoas visant à proposer à nos collègues Alain Tourret et Georges Fenech, qui ont engagé un travail de fond sur la révision des condamnations pénales au sein de leur mission d’information, de traiter la question d’une révision d’ensemble de la prescription.

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C’est pour cela que, tout en comprenant les motivations légitimes à l’origine de cette proposition de loi et en réaffirmant avec force sa volonté d’une meilleure prise en compte des crimes et délits sexuels par les institutions, le groupe écologiste s’abstiendra sur cette motion de rejet.

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Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, pour tout vous dire, prendre la parole à la fin de cette discussion générale me permet d’éprouver de façon grandissante un sentiment que j’avais déjà ressenti à la fin des travaux de la commission et qui peut être résumé aujourd’hui par un seul adjectif : abasourdi. Je suis abasourdi.

Je suis abasourdi par le hiatus entre les belles et grandes déclarations faites la main sur le coeur par les députés de gauche, qui affirment être les seuls à pouvoir défendre ces belles causes que sont les luttes contre toutes les formes de violences, en particulier celles qui sont faites aux femmes et qui sont doublées d’agressions sexuelles, et le scénario incroyable qui a été imaginé et qui d’ailleurs, je le vois bien, vous met terriblement mal à l’aise, chers collègues de la majorité. En effet, rien n’a été dit ou presque en commission. Vous avez laissé voter le texte, car il ne serait tout de même pas convenable de se prononcer contre une telle proposition de loi, mais c’était pour échafauder ensuite toute une stratégie, fondée sur la vérité du droit, que vous seriez les seuls à détenir, et qui aboutit à nous dire que précisément parce que cette proposition de loi est excellente il ne faut surtout pas la voter.

Vous ne souhaitez même pas aller jusqu’au bout de votre démarche, ce qui aurait pourtant permis aux Français de savoir qui veut quoi dans cette assemblée et qui consisterait à ce que nous examinions le texte aujourd’hui et que mardi, en séance publique, le doigt de chacun ne tremble pas sur le bouton. On aurait ainsi pu voir quels sont les députés de la nation qui veulent mettre un terme à cette grave question de la difficulté à faire valoir la violence que l’on a subie il y a très longtemps suite à des agressions sexuelles…

Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI

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…et quels sont ceux qui trouvent de belles excuses derrière M. le président de la commission des lois, pour lequel j’ai énormément de respect par ailleurs, mais qui porte là un énorme chapeau. Il souhaite en effet faire valoir le droit en opposant sa démarche à ce qui serait seulement le souci d’accorder à une certaine clientèle une certaine attention et sans considération de la sécurité juridique.

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Ce que je ressens aujourd’hui, je l’avais déjà ressenti voilà quelques années ; un certain nombre d’entre vous étaient présents, d’autres ne l’étaient pas. C’était en 2005 lorsque, ici même, à la tribune, je défendais au nom de mon groupe une proposition de loi que, d’ailleurs, j’étais déjà allé chercher au Sénat – tiens, le scénario se répète – et qui nous valut la première grande loi de lutte contre les violences faites aux femmes, qui devait être suivie de la deuxième, en 2010. Et je me souviens combien j’avais eu de mal à faire admettre dans cet hémicycle que le viol puisse exister entre époux, et, une fois admis ce triste et malheureux fait, qu’il constituait par ailleurs, par définition, puisque nous avions voulu légiférer sur l’ensemble des violences faites aux femmes, une circonstance aggravante.

Nous sommes aujourd’hui dans la même situation. Vous avez la main qui tremble face à cette vraie question, pas nous. Vous avez raison, madame la ministre, et je le dis au vice-président de la commission des lois : il faudra travailler, nous ne l’avons sans doute pas fait assez, à un droit de la prescription cohérent. Mais loin de nous empêcher, cela nous oblige.

Nous devons, sans argutie, sans hypocrisie, avec une détermination absolue, faire ce qu’attendent de nous les victimes : adopter cette proposition de loi. Vous pourrez ensuite saisir le Conseil constitutionnel afin qu’il dise si ces dispositions sont contraires aux principes généraux que la Constitution nous oblige à suivre en matière de prescription. Cet avis apportera des éléments nécessaires au travail auquel la commission des lois se prépare.

Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.

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Comme Sébastien Huyghe l’a déclaré, le groupe UMP votera cette excellente proposition de loi, et de façon plus déterminée encore après avoir entendu les orateurs ce matin.

Un dernier mot, sur les sénateurs. Ils vous sont très confortables lorsqu’ils vous donnent raison, beaucoup moins lorsqu’ils vous tiennent tête : je veux rendre hommage à Muguette Dini et Chantal Jouanno et à tous leurs collègues socialistes qui ont fait en sorte que nous examinions aujourd’hui ce beau texte !

Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.

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Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, je ne suis pas membre de la commission des lois et je n’ai aucune compétence en matière civile, pénale ou médicale qui me distingue dans ce débat.

Je suis ici parce que j’ai été saisi par la détresse de femmes qui ont subi un viol ou une agression sexuelle lorsqu’elles étaient mineures, victimes de la violence d’un homme qui incarnait l’autorité, père, frère, parent, enseignant, prêtre.

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De ces rencontres j’ai retenu une douleur, celle d’avoir subi un crime, auquel s’ajoutait un déni de justice. J’ai vu des femmes installées dans leur vie professionnelle, de mère, d’épouse, dont l’existence a basculé à l’issue d’une longue occultation. Des souvenirs enfouis ont soudain émergé, de façon parfois brutale, à nouveau brûlants.

Ce sont ces souffrances qui m’ont conduit à venir ici, pour rechercher avec vous comment rendre justice à ces victimes qui ont subi, pendant une longue période de leur vie, une amnésie post-traumatique.

Cette pathologie est étroitement liée à l’âge des victimes. Près de 60 % des enfants abusés ou violés développent une amnésie partielle des faits, et 40 % d’entre eux une amnésie totale qui peut durer de longues années avant que la mémoire leur revienne. Une étude d’un psychiatre américain montre ainsi que 38 % des femmes qui ont subi des abus sexuels dans leur enfance sont amnésiques dix-sept ans après les faits.

Les spécialistes expliquent désormais très bien ce phénomène. Sans trop entrer dans le détail – j’en suis d’ailleurs incapable –, on sait que des événements insupportables peuvent être occultés, remisés dans une partie du cerveau appelée l’amygdale, contrairement à la mémoire quotidienne qui est abritée par l’hippocampe. Lorsqu’elle est libérée, cette mémoire émotionnelle fait revivre les violences subies, avec la même intensité que lors de la survenue des faits, même après plusieurs décennies. Souvent, de longues années de soins sont encore nécessaires pour pouvoir s’exprimer et témoigner.

Dès lors, la question de la durée et du point de départ du délai de prescription appliqués à des faits dont la victime ne prend conscience que tardivement doit être posée. C’est le mérite de cette proposition de loi qui nous vient du Sénat.

J’entends les réserves qui ont été exprimées : elles sont de plusieurs ordres et je voudrais brièvement les évoquer. L’allongement de la prescription de l’action publique viendrait bousculer une hiérarchie des prescriptions. Le délai de trente ans étant actuellement réservé aux crimes de guerre, serait-il possible d’aller plus loin pour de « simples crimes du quotidien » ? Cette distinction résiste-t-elle à la réflexion ? Le viol en série, crime de guerre, ou le viol isolé, c’est toujours un viol pour la victime, la négation de son individualité, de son intimité, de sa sexualité, de son identité, de son humanité. J’ai bien du mal à comprendre cette distinction.

J’entends aussi l’argument selon lequel faire courir le délai de prescription à compter de la date de sortie de l’amnésie post-traumatique pourrait conduire de facto à une forme d’imprescriptibilité dont ne relèvent, dans notre droit, que les crimes contre l’humanité. Je suis moi aussi attaché à cette proportionnalité et au maintien d’une exception s’agissant des crimes contre l’humanité. Mais j’observe également que la jurisprudence n’a cessé d’allonger les délais de la prescription, ou, plus précisément, de leur donner un point de départ glissant : je pense aux infractions instantanées à effet retardé, aux infractions continues, aux infractions répétées, aux infractions occultes ou clandestines et aux infractions qui s’accompagnent de manoeuvres de dissimulation.

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Sans vouloir traiter les sujets de la même façon, ce qui est valable pour l’abus de bien social ne le serait-il donc pas pour l’abus d’un adulte sur un enfant mineur ?

Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Comparaison n’est pas raison. Et la comparaison, cette fois, ne choque pas l’opposition !

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Comparaison n’est pas raison, j’en suis d’accord. Je comprends que la question du point de départ du délai de prescription ne peut dépendre de la subjectivité d’une victime, réelle ou prétendue.

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Mais là encore, interrogeons-nous. Alain Tourret l’a dit, les évolutions de la science ont bouleversé le fonctionnement de la justice. Les traces ADN sont aujourd’hui prises en compte par les services d’enquête pour élucider des affaires et servent à établir la culpabilité devant un tribunal. Dès lors que les sciences humaines permettent de mieux comprendre et d’identifier l’amnésie post-traumatique, serait-il si incohérent d’en tenir compte pour le déclenchement de la procédure ?

Madame la ministre, avant-hier, dans cet hémicycle, les députés arboraient un ruban blanc, marquant l’attention nouvelle portée aux violences faites aux femmes. Enfin, nous sortons du déni dans lequel étaient enfermées de trop nombreuses épouses, concubines, maîtresses, filles, soeurs.

Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.

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Aujourd’hui, il nous est demandé de faire évoluer notre droit afin que le crime contre l’enfance soit pleinement reconnu, en tenant compte de ce que nous savons désormais de la psychologie humaine.

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Madame la présidente, dans quelques instants, une motion de rejet préalable sera probablement adoptée, qui viendra interrompre l’examen de ce texte. Je vous demande de m’accorder trois minutes supplémentaires.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous ne les avez pas. Il n’y a pas de raison. Je vous demande donc de conclure.

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Je conclus. Un argument m’a ébranlé, celui de l’intérêt de la victime elle-même : incapable, après des décennies, d’apporter des preuves et potentiellement soumise aux soupçons d’affabulation, la victime pourrait voir les portes de la justice se refermer comme un piège, dans lequel elle se trouverait en position d’accusée. Mais à qui appartient-il d’en juger ? N’est-ce pas aux victimes elles-mêmes d’apprécier les risques qu’elles courent ? Ce sont les questions que je voulais…

Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.

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Merci.

La discussion générale est close.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Sans vouloir évoquer l’ambiance qui a pu régner ici sur un sujet aussi lourd, je pense que personne n’a le moindre doute sur la nécessité de faire en sorte que justice soit rendue à ces victimes. Il s’agit d’enfants qui ont été abusés par des adultes, lesquels exerçaient parfois – facteur aggravant – une autorité au sein de la famille. Ces enfants se retrouvent à la fois emprisonnés par ces drames et dans des conflits de loyauté, craignant de nuire à leur famille. C’est donc une cascade de drames qu’ils vivent.

J’observe que les débats en commission, tout à fait intéressants, n’ont pas débouché sur un vote unanime, y compris au sein de votre groupe, monsieur Geoffroy.

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Mon groupe a adopté la proposition de loi !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Je ne mets pas en doute la sensibilité de ces députés qui ont choisi de ne pas voter le texte.

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Tous les députés se sont prononcés en faveur de la proposition !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Non, monsieur le député, relisez le compte rendu !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Non, car je respecte la séparation des pouvoirs. Mais j’ai le scrupule de savoir comment les parlementaires débattent, et je lis les comptes rendus.

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Mais ce que vous dites est faux. C’est un mensonge !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Des députés UMP ont choisi de ne pas voter ce texte. Ce que je veux dire, monsieur Geoffroy, c’est que cela ne signifie absolument pas qu’ils ne sont pas sensibles au sujet, qu’ils ne sont pas déterminés à apporter une réponse. Il s’agit tout simplement d’un faux procès.

En 2013, lors de l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, nous avons eu ce débat sur les délais de prescription. Comme l’a rappelé tout à l’heure M. Tourret, la question est compliquée, car les normes sont différentes et la jurisprudence s’est accumulée.

La démarche qui consiste à considérer qu’il faut consolider toute modification du droit de la prescription est une démarche responsable. Elle ne signifie pas que le sujet traité est mineur, mais que l’on s’efforce d’apporter une solidité juridique, afin que ce qui est fait soit utile.

Comme le vice-président de la commission des lois l’a rappelé tout à l’heure, deux députés de la commission des lois, qui ont montré leur capacité, sur un sujet très difficile et très lourd, à travailler ensemble, à auditionner avec utilité et à produire un travail de grande qualité, pourraient explorer cette question. Cette méthode a déjà abouti à une très bonne proposition, de loi qui a fait sa navette en quelques mois, et qui a été adoptée

Il ne s’agit donc ni de se défausser ni de renoncer à prendre au sérieux le sujet. La question de la prescription est telle qu’il convient de traiter les choses efficacement pour éviter de porter préjudice d’une façon ou d’une autre, avec la meilleure volonté du monde, aux victimes.

Madame Sage, vous avez rappelé qu’en Polynésie et plus généralement outre-mer, parce que tout le monde se connaît et que les habitants sont peu nombreux, le regard social, le regard de la famille, de l’environnement immédiat jouent un rôle inhibiteur sur les victimes. C’est vrai outre-mer, oui. Mais c’est vrai partout. Les outre-mer, madame Sage, ont un effet grossissant. Ils révèlent combien il est nécessaire de légiférer, mais aussi de faire en sorte que les secours soient portés à ces enfants le plus tôt possible.

Il n’y a pas d’incompatibilité entre, d’une part, la prolongation – si le législateur le décide – des délais de prescription, ou le report de leur point de départ et, de l’autre, le souci d’entourer les enfants de suffisamment d’adultes vigilants pour qu’il soit mis fin à ces drames le plus tôt possible et que l’on puisse rendre justice à ces enfants, y compris lorsqu’ils sont encore des enfants.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

C’est pour cette raison que j’insiste tout particulièrement sur les politiques publiques, les dispositifs existants, les statistiques et leur fiabilité, sur la nécessité d’entourer les enfants de personnels médicaux dans les écoles, d’enseignants, de personnels sociaux, ou d’autres adultes qui soient en mesure de détecter certains signes et de donner l’alerte. Ces mesures ne sont pas du tout incompatibles avec la nécessité d’apporter toute modification nécessaire à notre droit de la prescription à condition de ne pas fragiliser notre dispositif juridique.

Je ne fais de procès à personne, malgré ce que j’ai pu entendre à la volée dans cet hémicycle, pour une raison simple : l’engagement politique a pour ressort principal la préoccupation de l’autre, le souci d’agir sur la vie de l’autre, pour lui faire du bien.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Quels que soient nos désaccords ponctuels, quelles que soient des rivalités parfois imaginaires….

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Eh bien si, des rivalités ont parfois pu naître autour de questions fondamentales, des rivalités imaginaires voire opportunistes au sens où elles permettaient d’user de recours à des moments particulièrement opportuns, mais peu importe.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Sur un sujet pareil, je ne doute pas de la sensibilité de quelque élu que ce soit, car l’on ne se présente pas à des élections, l’on ne s’engage pas en politique si l’on n’est pas mû par le souci de l’autre. Je ne ferai le procès de personne mais je crois que nous devons veiller à ce que l’action publique soit solide et efficace.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En l’occurrence, il faut commencer par la rendre possible !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Nous pouvons mener l’action publique sur plusieurs terrains en même temps : le terrain juridique, le terrain législatif, le terrain judiciaire mais aussi sur celui de l’accompagnement. Pour nous tous, le plus satisfaisant est de mettre un terme aux violences faites aux enfants, le plus tôt possible et le plus efficacement possible, même s’il convient de garantir aux victimes la possibilité de recourir à la justice, même très tard, même extrêmement tard.

Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.

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J’ai reçu de M. Bruno Le Roux et des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Sur la motion de rejet préalable, je suis saisie par le groupe de l’Union des démocrates et indépendants d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

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Nous n’avons pas l’habitude de nous cacher ! Croyez-vous peut-être nous faire peur ? Vous pouvez garder pour vous vos tentatives de pression !

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Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la rapporteure, monsieur le vice-président de la commission des lois, mes chers collègues, cette proposition de loi présentée par les sénatrices Muguette Dini et Chantal Jouanno pose une bonne question. Je l’ai déjà dit.

Quel drame pour des victimes d’infractions sexuelles, mineures au moment des faits, que de se voir opposer la prescription de l’action pénale, mais c’est bien la réponse juridique que tente d’apporter aujourd’hui cette proposition de loi qui pose difficulté. En effet, comment traiter correctement sur le plan pénal la mise en jeu de l’action publique pour une victime de viols ou d’agressions sexuelles lorsque la victime, mineure, et souvent tout jeune enfant, a subi un choc émotionnel tel que le traumatisme subi a pu provoquer une amnésie totale ?

En droit français, le droit de la prescription de l’action publique varie en fonction de la gravité de l’infraction : dix ans pour les crimes, trois ans pour les délits et un an pour les contraventions. Ce principe connaît cependant des exceptions de plus en plus nombreuses. Les délais sont ainsi plus courts pour des infractions au droit de la presse et plus longs pour certaines infractions considérées comme causant un trouble particulièrement grave à l’ordre public.

Seuls les génocides et les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles, selon une position toujours réaffirmée. Rendre d’autres crimes imprescriptibles provoquerait une véritable rupture en droit pénal français et il est hors de question de l’envisager dans le cadre d’une simple proposition de loi.

Des délais plus longs ont été instaurés pour un certain nombre d’infractions troublant la paix sociale : crimes et délits de guerre, terrorisme et infractions sexuelles. S’agissant des crimes et délits commis contre les mineurs, le droit de la prescription a été réformé à six reprises depuis 1989.

Le texte initial tel que proposé à la commission des lois du Sénat n’était pas acceptable sur le plan constitutionnel, ce qui a d’ailleurs été reconnu à l’unanimité, en particulier par sa rédactrice. Il laissait en effet à la victime la possibilité de déposer plainte sans limitation de durée, faisant d’elle le maître du déclenchement de l’action publique.

Les sénateurs ont admis cette difficulté de taille et ont tenté en séance publique de sauver le texte, le modifiant radicalement et substantiellement en allongeant les prescriptions à caractère exceptionnel au bénéfice des seules victimes mineures : trente ans pour les crimes de nature sexuelle et vingt ans pour les délits d’agression sexuelle.

De surcroît, sur un plan juridique, telle qu’il est rédigé, ce texte couvre un nombre considérable d’infractions dont la gravité est très variable au regard des peines encourues, au point de ne pas répondre toujours au voeu de ses partisans. Prenons ainsi les deux extrêmes : de l’assassinat avec tortures à la consultation d’un site pédopornographique, nous passons d’une peine de réclusion à perpétuité à deux ans d’emprisonnement.

Le droit de la prescription, particulièrement confus et inadapté, doit aujourd’hui être remis à plat. Les principes étaient pourtant clairs dans les textes mais ils ont été rendus opaques du fait d’une jurisprudence fluctuante de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui fait peser sur le point de départ de la prescription bien des incertitudes, créant ainsi une insécurité juridique totale, ce qui n’est plus acceptable à présent.

La législation sur les prescriptions est à évolution variable et exorbitante du droit commun au bénéfice des mineurs victimes.

Depuis une vingtaine d’années, les articles 7 et 8 du code de procédure pénale organisent, en matière d’infractions sexuelles commises sur mineurs, un régime doublement dérogatoire : d’une part, le point de départ du délai de prescription de l’action publique ne commence à courir qu’à partir de la majorité de ces derniers, afin de leur permettre d’agir une fois passé le délai de dix ans de l’action civile, et, d’autre part, la durée de la prescription est passée de dix à vingt ans pour les crimes sexuels et certains délits assimilés.

Or les infractions concernées par cette proposition de loi sont fixées de façon indirecte et passablement opaque par les articles 7 et 8 du code de procédure pénale, qui renvoient à l’article 706-47 du même code, lequel figure dans le titre XIX, dont l’intitulé est ambigu : « De la procédure applicable aux infractions de nature sexuelle et de la protection des mineurs victimes ».

Enfin, du point de vue constitutionnel, un allongement de la prescription de l’action publique de vingt à trente ans, tel qu’il figure dans cette proposition, présenterait un caractère particulièrement fragile.

La prescription de trente ans est actuellement réservée aux crimes de guerre caractérisés notamment par les viols en série, au terrorisme et au crime de trafic de stupéfiants, d’où un risque réel de violation du principe de proportionnalité des délits, des crimes et des peines.

La discrimination légale entre le statut de la victime d’une infraction sexuelle selon qu’elle est ou non mineure pourrait à la longue paraître excessive au regard du respect de l’échelle des peines. Quid de la victime âgée de 18 ans et un mois ? En pratique, l’effet de seuil se fera sentir, en particulier pour la victime qui n’aura pas eu la possibilité de parler avant ses 48 ans. La question de la constitutionnalité d’un tel texte se pose donc clairement.

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Vous n’êtes pas le Conseil constitutionnel ! Laissez-le se prononcer !

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Les questions prioritaires de constitutionnalité sont prêtes, avec les conséquences que Mme la garde des sceaux a très justement dénoncées.

Cette motion de rejet préalable a pour objet de faire reconnaître que ce texte est contraire à des dispositions constitutionnelles. En outre, il n’est plus possible aujourd’hui d’aborder la question des prescriptions infraction par infraction : une réforme d’ensemble est devenue indispensable.

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C’est la conclusion d’une mission parlementaire du Sénat, conduite en 2007 par MM. Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung pour revisiter tout le droit de la prescription afin de le moderniser et de le rendre cohérent car, en matière pénale comme en matière civile, la situation actuelle du droit de la prescription est devenue source de confusion et d’insécurité, à rebours du principe de sécurité juridique qui devrait prévaloir.

Parmi les recommandations de la mission d’information j’ai retenu la deuxième – « Veiller à la cohérence du droit de la prescription, en évitant les réformes partielles » –, mais aussi la troisième : « Préserver le lien entre la gravité de l’infraction et la durée du délai de la prescription de l’action publique afin de garantir la lisibilité de la hiérarchie des valeurs protégées par le code pénal, en évitant de créer de nouveaux régimes dérogatoires ».

Enfin, lors de l’examen de ce texte en commission des lois, le président Jean-Jacques Urvoas, au vu des explications développées, a proposé de mettre en place dans les meilleurs délais une mission confiée à MM. Tourret et Ciotti pour revoir la question des prescriptions en matière pénale – allongements, point de départ du délai, nature de l’infraction.

Nous n’avons, à gauche, aucune leçon à recevoir dans le domaine de la protection effective des victimes. N’avons-nous pas ouvert, dans tous les tribunaux de grande instance, des bureaux affectés à la défense et à l’accompagnement des victimes ?

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Pour l’ensemble de ces raisons, je vous remercie de bien vouloir voter cette motion de rejet préalable présentée par le groupe SRC.

Applaudissements sur certains bancs du groupe SRC.

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Nous n’avons aucune raison de nous taire !

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S’il vous plaît, un peu de silence !

La parole est à Mme la rapporteure.

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En commission, comme lors de la discussion générale, de nombreux collègues sont intervenus pour souligner combien le sujet auquel nous sommes confrontés pose une vraie question et combien il nous appartient, en tant que législateurs, d’entendre ces victimes et de leur apporter les bonnes réponses.

Je ne redirai pas l’étonnement qui est le mien de voir le groupe socialiste déposer une motion sur ce texte, pourtant adopté avec les voix des sénateurs socialistes, représentés notamment par notre ancienne collègue Catherine Génisson.

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Je veux simplement souligner l’incohérence de la position qui est la vôtre aujourd’hui, chers collègues du groupe SRC.

En matière de crimes et délits sexuels commis sur des personnes mineures, notre droit prévoit d’ores et déjà un régime de prescription dérogatoire, compte tenu des phénomènes que je viens de rappeler. Ce texte, comme je l’ai indiqué, ne constitue en aucun cas une révolution ; ce n’est qu’une simple évolution visant à adapter notre droit à un phénomène qui est désormais scientifiquement documenté : l’amnésie traumatique.

À plusieurs reprises, le législateur a manifesté son intention de tenir compte de la spécificité de ces faits et de celle de ces victimes afin d’aménager le régime commun de la prescription. Aujourd’hui, il ne s’agit donc que de pousser le dispositif un cran plus loin, et en aucun cas de bouleverser l’équilibre général.

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Au risque de me répéter, j’ajoute que nous débattons d’un texte qui est attendu des victimes, et qui apporte une réponse tout à la fois immédiate et concrète à leur détresse.

Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.

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En tout état de cause, vous adresseriez un très mauvais signal aux victimes et aux associations qui se sont mobilisées en faveur de ce texte.

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Enfin, l’élue de Nouvelle-Calédonie que je suis tient, comme l’a fait Mme Sage tout à l’heure, à vous rappeler un dernier élément qui me tient à coeur. Dans le pays dans lequel je vis, les femmes, en particulier les femmes kanakes, subissent une violence particulière. Une femme sur quatre y est battue, contre une sur dix en métropole. Tous les jours, elles subissent des violences physiques, des viols, des agressions. Or, comme vous l’avez vous-même rappelé, madame la ministre, la Nouvelle-Calédonie est un petit pays où tout se sait et, dans le monde kanak, il est extrêmement difficile de dénoncer quelqu’un, voire de porter plainte. Si elle était adoptée, cette proposition de loi s’étendrait par son dernier article aux territoires d’outre-mer, et en particulier à la Nouvelle-Calédonie.

C’est pourquoi je vous invite, chers collègues, à rejeter cette motion pour passer au fond du sujet et à l’examen des articles de la proposition de loi.

Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.

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La parole est à M. le vice-président de la commission des lois.

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…laquelle consiste à entamer aussi vite que possible les travaux de la mission susceptible de revisiter l’intégralité des enjeux de la prescription.

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Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission !

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La proposition qu’il a formulée me paraît intégrer du même coup les problématiques que soulève Mme la rapporteure dans son texte. La démarche que suggère le président Urvoas, chers collègues, est d’une pertinence que notre assemblée ne saurait ignorer.

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Ce n’est pas l’un à la place de l’autre !

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Je rappelle qu’en juillet 2012, le premier texte examiné au cours de la législature était celui par lequel nous avons été contraints à revoir dans l’urgence les dispositions relatives au harcèlement sexuel.

Rires et exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI

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mais à rappeler simplement l’enjeu, car cela relève de la responsabilité du président de la commission des lois, dont je traduis ici la position ?

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Ce n’est pas le président de la commission des lois qui fait la loi !

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Il y a quelques années, nos collègues ont, dans cet hémicycle, réuni les éléments constitutifs du délit de harcèlement. Le texte a été adopté. Or, plusieurs années après, le texte a été annulé à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité. Quelle a été la conséquence la plus lourde de cette annulation ? Pour de nombreuses victimes qui attendaient une décision, il n’a pas été possible de rendre justice. Quant aux autres, madame la rapporteure, elles se sont trouvées dans l’impossibilité d’engager la moindre action.

Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.

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Eh bien, en juillet dernier, nous avons – tous ensemble – accompli un travail remarquable, madame la garde des sceaux, pour remédier à cette situation.

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Que nous sommes-nous dit alors ? Que nous devions prêter la plus grande attention à tous les éléments qui constituent la loi de procédure et de répression pénale, car nous nous heurtons constamment à l’obstacle des questions prioritaires de constitutionnalité. Je vous rappelle qu’entre la garde à vue et les dispositions de saisine et d’accompagnement des particuliers, de nombreux textes ont, ces dernières années, été rendus nécessaires par la censure constitutionnelle ou par des décisions de la Cour de cassation.

Tel est donc le problème qui se pose à nous, et particulièrement à la commission des lois. Nous avons la responsabilité de ne pas adopter des avancées qui, parce qu’elles ne sont pas consolidées, risqueraient de mettre en danger les victimes que nous cherchons à protéger. Voilà le problème de fond !

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Non, le problème de fond n’est pas celui-là !

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Ce texte ne porte aucun risque d’insécurité juridique !

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Se pose un problème de hiérarchie, et c’est le sens de notre proposition que de le traiter au fond. Il faut en effet résoudre ce problème – y compris en allant dans le sens de ce qui est proposé ce matin – en tenant compte de l’ensemble du modèle de prescriptions que contient notre code, faute de quoi nous mettrons en danger les victimes que nous voulons précisément protéger.

« Mais non ! » sur les bancs des groupes UDI et UMP.

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Nous en venons aux explications de vote.

La parole est à M. Philippe Vigier, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

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Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, il est des moments dans la vie d’un Parlement où, quels que soient les sujets en discussion, les clivages doivent disparaître, surtout lorsqu’il s’agit d’une question de société comme celle qui est soulevée ce matin.

Pourtant, cette semaine fut belle : mardi, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, vous avez pu constater que le groupe UDI a apporté son plein soutien aux dispositions que le Gouvernement a souhaité prendre.

« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UDI.

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Hier encore, ici même, quarante ans après que Simone Veil a, par la loi sur l’interruption volontaire de grossesse, donné aux femmes le droit de disposer de leur corps, nous avons été présents en masse pour adopter un texte qui constitue une avancée forte.

Et voici qu’aujourd’hui nous débattons de cette proposition de loi. Le calendrier est ainsi fait que cette semaine, sur tous les bancs, nous nous sommes donc saisis de ce drame que sont les violences et les sévices faits aux femmes.

Or, je suis effondré, madame la ministre ! Oui, je suis effondré à cause de l’attitude du Gouvernement et celle des députés socialistes, dont on a bien vu que certains étaient très gênés tout à l’heure.

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Je suis effondré de constater que vous faites de la politique sur de tels sujets ! C’est indigne, venant d’un gouvernement qui nous a toujours expliqué qu’il est indispensable d’être sensible et d’apporter les mêmes droits aux uns et aux autres.

Quel message vous adressez aux victimes ! Cela fait sept ans qu’est paru le rapport parlementaire dans lequel MM. Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung expliquaient que l’on ne pouvait plus attendre.

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Sur le présent texte, le Sénat a effectué un travail formidable ; tous les groupes politiques y ont reconnu qu’il fallait aller de l’avant.

Face à cela, quels sont vos arguments ? Celui de l’insécurité juridique ? Le souci de ne pas mélanger la politique de prévention et la répression ? Le fait que, en matière de délais de prescription, un travail complet soit en cours ? Ces arguments ne tiennent pas debout un seul instant ! Rendez-vous compte du message que vous envoyez aux victimes, qui vous regardent, vous entendent et vont vous lire !

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Lorsque j’étais biologiste, une femme est venue me voir un jour, me disant qu’elle avait été violée. Je vous le dis avec émotion, madame la ministre : en écartant ce texte d’un revers de main, vous agissez de manière incompréhensible et inacceptable. En rejetant ce texte, la gauche aura délaissé toute morale !

Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.

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Nous n’avons aucune leçon à recevoir de vous !

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Et nous, pas davantage, surtout de la part de quelques députés commis d’office pour venir voter !

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La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

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Je remercie Mme la ministre et M. le vice-président de la commission, car ils m’ont, par leurs interventions, donné tous les éléments qui justifient la position du groupe UMP, laquelle consiste naturellement à repousser cette motion de rejet préalable.

Madame la ministre, vous avez conclu votre propos – le compte rendu de la séance en fera foi – en disant, parce que vous savez bien qu’il ne faut pas rompre le lien avec les victimes, qu’il faut répondre à leurs attentes et le faire vite. Eh bien, c’est précisément l’objet de cette proposition de loi.

Monsieur le vice-président de la commission, vous nous dites que la sécurité juridique est nécessaire. Certes, mais alors il ne faut pas que le président de la commission des lois s’autoproclame juge de la constitutionnalité des propositions de loi.

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Il faut aller jusqu’au bout et, pour ce faire, il faut avoir le courage d’étudier le texte.

Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.

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Une fois le texte étudié, il faudra avoir le courage, mardi prochain, d’appuyer sur le bon bouton pour montrer si, oui ou non, nous voulons que les victimes aient enfin le droit à réparation. Le courage consistera ensuite à saisir le Conseil constitutionnel, qui jugera si nous sommes allés trop loin.

Même mouvement.

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Vous avez fait référence à ce qui s’est passé en 2012 : c’est précisément parce qu’une question prioritaire de constitutionnalité a été déposée à l’époque que nous avons été obligés de travailler comme nous l’avons fait en juillet, à la hâte, mais dans l’unanimité !

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Justement : si le Conseil constitutionnel est saisi, votre argument concernant la question prioritaire de constitutionnalité sera sans valeur, puisque vous savez très bien que cette procédure ne peut pas être déclenchée concernant un sujet déjà jugé par le Conseil constitutionnel.

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Il faut donc aller au bout des choses. Aller au bout, c’est étudier la proposition de loi ; aller au bout, c’est, comme nous le ferons mardi prochain, voter ce texte avec la détermination qui est la nôtre.

Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.

Il est procédé au scrutin.

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Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants: 63 Nombre de suffrages exprimés: 61 Majorité absolue: 31 Pour l’adoption: 30 contre: 31 (La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)

Exclamations et vifs applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP. – Murmures sur les bancs du groupe SRC.

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J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi, en vous demandant de retrouver votre calme, chers collègues.

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Je suis saisie d’un amendement, no 3 , tendant à supprimer l’article 1er.

La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour le soutenir.

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Cet amendement vise à supprimer l’article. En effet, la durée de vingt ans de la prescription de l’action pénale pour certains crimes est déjà exceptionnelle, et son allongement de dix ans n’est pas souhaitable. Une prescription de trente ans ne paraît pas de nature à donner à toutes les victimes le temps nécessaire pour porter en justice les faits dont elles souffrent, car un effet de seuil se fera toujours sentir.

Les victimes seront, le cas échéant, amenées à témoigner d’événements parfois vieux de quarante ans et plus, et à courir en conséquence de gros risques liés à des difficultés de preuve ainsi qu’aux exigences du procès pénal.

Enfin, il faut rappeler que la prescription de trente ans n’est admise en droit français que pour des crimes particuliers : les crimes de guerre caractérisés par des crimes de viols en série, le terrorisme et le crime de trafic de stupéfiants.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.

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Je ne comprends pas bien pourquoi Mme Capdevielle ne retire pas son amendement.

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Dès lors que nous avons décidé d’aborder la discussion des articles, nous n’allons pas voter à l’inverse de ce que nous venons de faire.

Madame Capdevielle, tout le monde est favorable à la réforme du droit de prescription, mais il n’y a aucune incompatibilité entre une réforme d’ensemble de ce droit et l’amélioration relative aux délits et aux crimes sexuels que prévoit notre proposition de loi. Je ne comprends pas le fondement de cette polémique. J’appelle donc mes collègues à voter contre votre amendement.

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Au vu de ce qui vient d’être dit, je sollicite, madame la présidente, une suspension de séance de cinq minutes.

Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.

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C’est honteux ! Gardez un peu d’honneur, quand même !

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Allez chercher vos collègues commis d’office ! Préparez les bus !

La séance, suspendue à onze heures quarante-cinq, est reprise à onze heures cinquante-cinq.

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Le car de transport de la rue de Solférino est-il réparé ?

Sourires.

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Sur l’amendement no 3 , je suis saisie par le groupe de l’Union des démocrates et indépendants d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

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Il faut passer au vote, madame la présidente !

Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.

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Cinq minutes, monsieur Vigier ! Respectez les règles !

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Un peu d’humour, chers collègues ! Je comprends que ce n’est pas drôle quand on est commis d’office !

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Que voulait dire la sonnerie, madame la présidente ?

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Je m’étonne que vous l’ayez oublié, mon cher collègue. Quand un scrutin public est annoncé, la sonnerie retentit dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Le scrutin ne peut intervenir que cinq minutes après.

Ayant reçu la demande de scrutin public du groupe UDI, je l’ai annoncé et la sonnerie a donc retenti. Les cinq minutes sont en train de s’écouler. Je ne saurai procéder au scrutin avant la fin du temps réglementaire.

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Nous n’en sommes qu’à deux minutes quarante-sept, monsieur Lagarde.

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N’égrenez pas les secondes, madame la présidente, cela va devenir stressant !

Sourires.

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Depuis deux ans et demi, le temps nous paraît beaucoup plus long !

Il est procédé au scrutin.

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Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants: 50 Nombre de suffrages exprimés: 48 Majorité absolue: 25 Pour l’adoption: 20 contre: 28 (L’amendement no 3 n’est pas adopté.)

Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.

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La parole est à M. Olivier Faure, pour soutenir l’amendement no 1 rectifié .

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Cet amendement vise à revenir au texte initial de la proposition de loi déposée au Sénat, en faisant en sorte que le délai de prescription ne coure qu’à compter du moment où s’interrompt le phénomène d’amnésie post-traumatique.

À cet égard, je souhaite revenir sur le débat qui est intervenu au Sénat au sujet de la constitutionnalité de la disposition que tend à réintroduire cet amendement.

Le rapporteur du Sénat a considéré que le texte initial portait atteinte au principe d’égalité devant la loi. Je cite son rapport : « [Le principe d’égalité des justiciables devant la loi commande] au législateur de traiter les auteurs d’une même infraction dans des conditions similaires. Or, en faisant reposer le point de départ du délai de prescription sur l’évolution du psychisme de la victime, la proposition de loi aboutirait, dans certains cas limites, à une imprescriptibilité de facto des faits commis, tandis que dans d’autres, une conscientisation précoce par la victime des faits subis interdirait à la justice de poursuivre des faits identiques passé un délai de vingt ans. »

L’argument constitutionnel qui nous est opposé est réversible. En réalité, le principe d’égalité doit permettre à des personnes qui ont subi les mêmes sévices, les mêmes crimes de pouvoir se prévaloir de la même façon du droit.

En l’occurrence, des personnes qui n’ont pas conscience de leur traumatisme, en raison du phénomène de l’amnésie post-traumatique, devraient – avec un délai de prescription court, de cinq ans – pouvoir voir ce droit reconnu au moment où ce phénomène s’interrompt.

Tel est le sens du présent amendement.

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L’amendement no 1 rectifié s’inscrit dans la même logique que celle qui a guidé les auteurs de la version initiale de cette proposition de loi : il s’agissait de prendre en compte la notion d’amnésie post-traumatique pour la computation de la prescription de l’action publique.

Néanmoins, en écartant la règle selon laquelle les prescriptions acquises ne peuvent pas être remises en cause, ce texte serait vraisemblablement contraire au principe constitutionnel de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères.

Pour cette raison et malgré l’intérêt que présente cet amendement dans son objectif, la commission a émis un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.

L’amendement no 1 rectifié n’est pas adopté.

L’article 1er est adopté.

Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.

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Je suis saisie d’un amendement, no 4 , tendant à supprimer l’article 2.

La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour le soutenir.

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Amendement de conséquence, dans la suite de la demande de suppression de l’article 1er.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.

L’amendement no 4 n’est pas adopté.

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La parole est à M. Olivier Faure, pour soutenir l’amendement no 2 rectifié .

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Je m’efforce de comprendre notre débat. Lors de la discussion générale, j’ai entendu de nombreux orateurs, notamment de l’opposition, expliquer qu’il fallait tenir compte des traumatismes, notamment des amnésies post-traumatiques.

La commission des lois du Sénat a sensiblement modifié la proposition de loi initiale et a complètement bouleversé le droit de la prescription, ce qui a pu poser des difficultés. Cela a été relevé ce matin par Mme la garde des sceaux et par un certain nombre d’intervenants du groupe socialiste.

Le présent amendement vise, de même que l’amendement no 1 rectifié , à tenir compte du phénomène d’amnésie post-traumatique.

Votre position, mes chers collègues, conduit à provoquer un différend indépassable, dans la mesure où vous touchez à l’ensemble du droit de la prescription sans tenir compte de sa cohérence. La proposition initiale du Sénat, que je reprends à travers mes amendements, permettait de modifier le moment où commence la prescription, sans toucher au droit de la prescription lui-même. Votre position me semble à bien des égards contradictoire, voire contraire à l’intérêt des victimes.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Sagesse.

L’amendement no 2 rectifié n’est pas adopté.

L’article 2 est adopté.

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La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement no 5 rectifié , tendant à supprimer l’article 4.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Sagesse.

L’amendement no 5 rectifié n’est pas adopté.

L’article 4 est adopté.

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Nous avons achevé la discussion des articles de la proposition de loi

Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.

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Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble de la proposition de loi auront lieu le mardi 2 décembre, après les questions au Gouvernement.

La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à douze heures quinze.

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L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative au financement de la recherche oncologique pédiatrique par l’industrie pharmaceutique (nos 1187, 2377).

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La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, rapporteur de la commission des affaires sociales.

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Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier les membres de la commission pour leur accueil et pour l’intérêt qu’ils ont porté à cette proposition de loi, examinée le 19 novembre dernier. Les débats suscités par son examen ont été particulièrement riches et je me réjouis de constater que ses objectifs sont partagés sur l’ensemble des bancs de notre assemblée. Cependant, l’analyse détaillée de ses dispositions n’a pas eu lieu, chacun de ses articles ayant fait l’objet d’amendements de suppression adoptés par la majorité en commission.

C’est pourquoi je crois nécessaire de rappeler aujourd’hui ce qui a motivé la rédaction de cette proposition de loi, d’en rappeler le contenu et de rassurer en répondant point par point aux réticences exprimées en commission. Peut-être parviendrai-je à vous convaincre d’adopter un texte en phase avec des objectifs que chacun partage.

Premier rappel : pourquoi cette proposition de loi ? Ce texte est né du constat que les cancers pédiatriques présentent des caractéristiques très spécifiques. La plupart ont des taux de guérison souvent proches de zéro et une épidémiologie très faible, faisant de la plupart d’entre eux des maladies orphelines. Partant, il est logique que l’industrie soit peu intéressée par la perspective de rechercher des molécules dont elle ne pourrait amortir le coût. Seuls les financements publics peuvent donc pourvoir à la recherche dans ce segment spécifique : c’est l’objet de cette proposition de loi que de les susciter.

Deuxième rappel : que propose-t-elle ? À l’article 1er, je me suis inspiré des dispositifs en vigueur mettant à contribution les profits de l’industrie pharmaceutique pour opérer un prélèvement minime, de 0,15 %, que je vous propose en outre, par voie d’amendement, de ramener à 0,05 %. Il s’agit de récolter 10 millions d’euros au profit de l’Institut national du cancer, afin de financer des mesures de recherche spécifiques de recherche oncologique pédiatrique.

À l’article 2, je propose de généraliser la personnalisation des protocoles proposés aux jeunes, enfants et adolescents, atteints de cancer. Cette disposition est en parfaite cohérence avec celles de l’article 1er, mais également avec le plan cancer en cours, comme je vais l’illustrer.

Faute, en effet, d’un examen de chaque alinéa de ce texte, les informations ont peut-être manqué sur l’organisation de ce dispositif. Revenir point par point sur les hésitations qui ont conduit à l’adoption d’amendements de suppression en commission me permettra précisément de l’éclairer en détail. De fait, j’ai constaté l’intérêt de principe de tous les commissaires pour ce texte. Sur tous les bancs, nombreux étaient les collègues qui semblaient prêts à adopter la logique d’une recherche spécifique pour les cancers pédiatriques.

La première objection soulevée est que le troisième plan cancer couvre largement l’objet de la proposition de loi. J’ai souligné à plusieurs reprises la qualité de ce plan, dont les objectifs convergent avec ceux de la proposition de loi : personnalisation, attention particulière à la situation des enfants, analyse génomique de tumeurs, dont trois pédiatriques. Toutefois, je relève qu’en dehors de ce dernier programme bien précis de séquençage génomique, peu de dispositions portent sur la recherche et de tels programmes ont besoin de financements européens.

D’où ma conclusion, que bon nombre d’entre vous partagent certainement, qu’il faut financer des dispositifs de recherche spécifiques, non pas contre le plan cancer, mais en complément de celui-ci. Il reviendrait bien entendu à l’INCA d’allouer ces ressources pour pouvoir les rendre efficaces.

Pour répondre à l’argument selon lequel le plan cancer couvre l’ensemble des besoins, mes travaux de rapporteur m’ont tout de même conduit à relever les besoins suivants, qui ne sont actuellement pas couverts.

Il faut d’abord financer des appels d’offres attractifs sur ce segment de l’oncologie, en encourageant notamment les recherches en immunothérapie : les chercheurs doivent être encouragés à entreprendre des travaux intéressant ces cancers très rares et disposer de perspectives de carrière suffisamment stimulantes. Il est paradoxal de constater aujourd’hui qu’il existe des appels à projets, notamment en immunologie, lorsqu’il s’agit de cancers chez les adultes, mais pas pour les cancers des enfants.

Il faut également systématiser la personnalisation des traitements en développant les moyens de recherche translationnelle, c’est-à-dire les tests in vivo des traitements possibles à un cancer avant administration sur le patient. Dans ce domaine non plus, il n’existe pas d’appels à projets.

Il faut aussi créer un lieu unique de collecte des prélèvements de tumeurs pédiatriques rares. Les chercheurs ont en effet des difficultés pour se fournir auprès des différents centres en matière biologique qui permettrait d’étendre leurs recherches.

Il faut encore financer des études épidémiologiques plus systématiques auprès des familles.

Il faut enfin équiper plus largement les chercheurs, par exemple en technologies de séquençage à haut débit.

Ce sont là autant de mesures propres à donner un contenu concret, accessible rapidement, à l’objectif du plan et de cette proposition de loi, et de personnaliser le plus possible les protocoles proposés aux patients. Pour ces objectifs, de nouvelles ressources sont nécessaires. Elles représenteront un progrès considérable pour les enfants et adolescents, mais les adultes en bénéficieront aussi grâce aux découvertes qu’elles permettront et aux effets d’apprentissage.

Deuxième point : le mode de financement de ces mesures. Il s’agit d’un dispositif d’équilibre, qui porte, si vous adoptez l’amendement que je propose, sur 0,05 % des profits français de l’industrie pharmaceutique et s’inspire des dispositifs en vigueur sur cette assiette, avec un taux de 0,17 % pour la contribution de base et, depuis cette année, de 1,6 % pour la contribution additionnelle.

Le dispositif que je propose prélève une ressource sur les activités pharmaceutiques rentables pour financer de la recherche oncologique jugée non rentable par le secteur privé. Cela semble logique, et d’autant plus qu’une partie des contributions mises en place par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014 et que j’ai évoquées finance pour 17 millions d’euros l’organisme de gestion du développement professionnel continu : je vous propose de prélever 10 millions d’euros seulement, destinés à financer non des formations, mais la recherche.

Je reste par ailleurs ouvert à la mise en place d’un financement alternatif si, compte tenu de la modicité des sommes en jeu, le Gouvernement en prenait l’initiative, l’essentiel étant, au-delà des différences politiques, de parvenir à nos objectifs sur le plan de la recherche et d’élargir le compas dans lequel sont aujourd’hui enfermés nombre de chercheurs.

Troisième point : il faut affecter ces ressources à la recherche oncologique pédiatrique. Cette démarche repose sur le fait que les cancers pédiatriques constituent un ensemble de pathologies très spécifiques : très grande rareté des cas, faiblesse de l’effort de recherche privé, paysage génétique particulier au regard de celui des adultes, qui se transforme fortement avec les années.

Il est donc cohérent de diriger des ressources spécifiques vers des cancers spécifiques ; c’est ce que vous propose le groupe UDI.

Certains collègues se sont inquiétés du fléchage d’une ressource vers la recherche sur une pathologie spécifique, mais ce mécanisme est déjà couramment employé. Je crois d’ailleurs que, tous ici, nous soutenons le Président de la République, qui se bat pour maintenir le principe d’une taxe sur les billets d’avion dont le produit finance la recherche sur le SIDA.

Quatrième point : financer la recherche pédiatrique aurait pour effet d’opposer les publics – c’est-à-dire les adultes aux enfants ou adolescents. Or, il n’en a jamais été question et je n’ai reçu nulle remarque d’associations ou de chercheurs à sujet : chacun comprend l’impératif thérapeutique et social qu’il y a à se préoccuper spécifiquement des cancers pédiatriques. Au contraire, le plan cancer fait de l’accompagnement des enfants et mineurs une priorité : la financer à crédits constants consisterait précisément à lui affecter de la ressource théoriquement dévolue à la recherche en faveur des adultes. Or, la ressource que je propose permettra précisément de financer une priorité du plan cancer sans priver du moindre euro les autres publics.

En outre, les progrès que nous réaliserons chez les mineurs bénéficieront in fine à tous : mettre en oeuvre le maximum de ce qui est scientifiquement possible pour l’individualisation des traitements – comme la systématisation des tests précliniques in vivo – permettra de généraliser rapidement ces possibilités en faveur des adultes. Nous aurons alors suscité des moyens et de nouvelles pratiques.

J’espère, mes chers collègues, que ces éléments sont de nature à vous convaincre d’adopter ce texte. Je le répète, le dispositif porte sur un montant très modeste – 10 millions d’euros –, il accompagne et complète les mesures du plan cancer et permettra de financer des besoins spécifiques non couverts aujourd’hui, mais clairement identifiés par la communauté scientifique. Sa mise en oeuvre serait en outre suivie chaque année par le Parlement.

Malgré des divergences, les débats en commission ont montré l’intérêt de tous pour la perspective d’ouvrir davantage de capacités de recherche dans le domaine du cancer pédiatrique. Je vous invite donc à examiner son contenu en détail et à l’amender si vous le souhaitez. Chacun peut se l’approprier et l’enrichir. Pour un montant somme toute limité, il nous offre une occasion rare d’accélérer les progrès dans la guerre que nous menons tous ensemble contre le cancer.

Un sujet devrait nous rassembler : la carence de recherche en cancérologie pédiatrique est une honte pour notre pays, car on ne peut pas dire aux parents concernés par une soixantaine de cancers qui touchent chaque année 400 à 450 enfants environ qu’il n’y a pas de protocole efficace ni de recherche dans le domaine qui les concerne, pour la seule raison que ce n’était pas rentable pour l’industrie thérapeutique. C’est la raison pour laquelle je vous propose que la puissance publique puisse intervenir et dise que, si on ne trouve pas toujours, on n’a pas le droit de ne pas chercher et de laisser ces familles dans une impasse, victimes parfois de charlatans et de marchands d’espoir.

Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

Debut de section - Permalien
Ségolène Neuville, secrétaire d’état chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion

Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le sujet qui nous rassemble aujourd’hui est très grave – vous avez eu raison, monsieur Lagarde, de le souligner.

La lutte contre le cancer, notamment lorsqu’il survient chez l’enfant, est et sera toujours une priorité du Gouvernement, quel qu’il soit, car cette lutte dépasse très largement les logiques partisanes. C’est une priorité pour les patients, enfants et adultes, pour leurs familles, les soignants et les chercheurs.

Nous poursuivons tous le même objectif : vaincre ce fléau, ce qui suppose de développer et de produire des médicaments permettant de guérir les enfants. Ce sont bien, en effet, les médicaments qui permettront d’avancer, de les soigner et de les guérir. Nous devons conjuguer nos efforts et considérer avec beaucoup d’attention toutes les initiatives. C’est dans cet esprit, monsieur le député, que la ministre de la santé et moi-même avons étudié avec beaucoup d’attention votre proposition de loi.

Tout d’abord, je souhaiterais préciser quelques données. Selon vous l’effort de recherche sur les cancers pédiatriques ne représenterait que 1,5 % à 3 % des financements de la recherche. Or, la France n’a à rougir ni de ses efforts ni de ses résultats en matière de recherche en oncologie pédiatrique. Bien au contraire, nous sommes en pointe sur ce sujet. D’après les chiffres des deux premiers plans cancer, en effet, entre 2007 et 2011, 38 millions d’euros ont été alloués à la recherche sur les cancers pédiatriques, sur un budget total estimé à 350 millions d’euros. Le calcul est simple : cela représente 10 % du financement de la recherche publique en cancérologie, alors que le taux d’incidence des cancers pédiatriques représente moins de 1 % de l’incidence globale des cancers. Ces chiffres attestent de la priorité donnée aux cancers pédiatriques.

Pour ce qui est des taux d’incidence et de prévalence des cancers pédiatriques en France, je rappelle qu’on dénombre 1 700 nouveaux cas par an chez les enfants de moins de 15 ans et 700 nouveaux cas pour les adolescents et jeunes adultes de 15 à 25 ans. L’ensemble de ces cancers aboutissent malheureusement à 500 décès par an.

Au-delà de ces chiffres, je voudrais également rappeler que les investissements majeurs opérés ces dernières années profitent à la recherche en oncologie pédiatrique comme en oncologie adulte. Un exemple simple, mais important, est celui des investissements en termes d’infrastructure, comme les plateformes de séquençage à haut débit, dont quatre ont déjà été mises en place en 2014 et vingt-huit le seront à terme, et qui permettent de séquencer le génome de ces tumeurs, y compris chez l’enfant. Vous savez l’importance de ce séquençage pour l’individualisation des traitements, que vous préconisez.

De nombreuses actions spécifiques à la lutte contre les cancers pédiatriques sont prévues dans le troisième plan cancer, conformément à la volonté du Président de la République et aux annonces faites en février dernier. Un certain nombre de ces actions ont déjà été mises en oeuvre depuis le mois de février.

Ainsi, en 2014, nous avons labellisé et financé un groupe coopérateur national en cancérologie pédiatrique, qui réunit tout à la fois des chercheurs, des cliniciens et des associations de parents et dont la mission est de rédiger de nouveaux protocoles de recherche et d’essais cliniques.

Par ailleurs, un appel à projets a été lancé, visant à créer des centres d’essais précoces dédiés aux cancers pédiatriques. Ces centres seront labellisés dès le début de l’année 2015 et sont destinés à lancer des essais de phase 1 ou de phase 2, c’est-à-dire des essais extrêmement précoces, avec de nouveaux médicaments immédiatement disponibles pour les jeunes patients dont les premiers traitements seraient en échec.

En 2015, enfin, un programme d’actions intégrées de recherche sera mis en place sur les tumeurs pédiatriques. Ce programme de recherche est financé tant par l’Institut national du cancer que par l’ARC – l’Association pour la recherche sur le cancer – et la Ligue contre le cancer. Chaque année, un nouveau thème est priorisé dans le cadre de ces programmes d’actions intégrées de recherche ; je tiens à souligner que le thème retenu pour 2015 est celui des tumeurs pédiatriques, confirmant ainsi la volonté générale, tant celle du Gouvernement que celle de l’ensemble des institutions qui travaillent sur le sujet, de faire des tumeurs pédiatriques une priorité.

Je veux enfin vous signaler que le programme ACSÉ – Accès sécurisé à des thérapies ciblées innovantes –, initié en 2013 pour permettre l’accès sécurisé aux médicaments innovants, est ouvert aux enfants, dès lors qu’une anomalie moléculaire cible du médicament est détectée. Deux essais cliniques sont déjà ouverts dans ce programme : il s’agit des essais utilisant le crizotinib et le vémurafénib.

Aujourd’hui, la question qui doit animer nos débats n’est pas celle de la création ou non d’une nouvelle taxe sur l’industrie du médicament. Notre ambition qui, je le crois, nous est commune, doit être de donner un nouvel élan à la recherche industrielle pour le développement des médicaments en cancérologie pédiatrique. Il ne faut pas oublier que c’est l’industrie pharmaceutique qui développe et qui produit les médicaments, et non l’Institut national du cancer ; ce dernier fait de la recherche mais ne développe pas et ne produit pas les médicaments.

Votre objectif, monsieur le député, est juste et nous le partageons. Mais les solutions que vous proposez sont possiblement contre productives, et je vais vous donner quelques raisons.

La taxation des laboratoires pharmaceutiques ne les incitera pas à développer plus de médicaments pour traiter les cancers pédiatriques. Vous avez très bien expliqué les raisons pour lesquelles ils ne sont pas forcément incités à fabriquer ces médicaments ; mais en les taxant sur cet aspect, nous risquons d’obtenir un effet pervers qui pourrait conduire au contraire les laboratoires à se sentir dédouanés et à se désengager du sujet.

Des mesures adoptées dans d’autres pays fonctionnent, notamment aux États-Unis avec le Creating Hope Act, qui cherche à l’inverse à inciter l’industrie pharmaceutique à accélérer la recherche sur les médicaments permettant de lutter contre les cancers pédiatriques.

Votre proposition serait de majorer de 0,15 % – même si j’ai compris que vous alliez l’amender et qu’il serait plutôt question de 0,05 % – une contribution assise sur le chiffre d’affaires des exploitants de sociétés pharmaceutiques pour financer l’Institut national du cancer. Or celui-ci est un opérateur aujourd’hui entièrement financé par une subvention pour charge de service public de l’État. La situation financière de l’Institut national du cancer est aujourd’hui préservée, selon la volonté du Président de la République et permet, de l’avis même de ses dirigeants, de soutenir des programmes de recherche.

Il nous faut plutôt travailler aux conditions d’une meilleure attractivité de la recherche industrielle sur les médicaments permettant de lutter contre les cancers pédiatriques. Il faut donc travailler à une redéfinition des critères des essais thérapeutiques sur ces maladies rares, qui ne sont pas forcément adaptés à de petits effectifs – vous avez souligné à juste titre que certains cancers pédiatriques sont en réalité des maladies orphelines, car le nombre de cas est très faible. Il est donc nécessaire de retravailler sur les critères des essais thérapeutiques, d’abord parce qu’il s’agit d’enfants, mais aussi parce que les effectifs peuvent être extrêmement faibles.

Il faut par ailleurs poursuivre les actions de simplification administrative engagées par le Gouvernement qui permettent une accélération des essais cliniques, telle que la convention unique en matière d’essais industriels, autorisant une réduction considérable du délai d’attente avant de démarrer un essai clinique.

Il nous faut également favoriser les conditions d’une coopération internationale dans les études, d’autant plus que le règlement européen sur les essais médicamenteux, adopté au printemps dernier, vise à renforcer l’attractivité de l’Europe en matière de recherche industrielle.

Enfin, il faut poursuivre le développement de l’accès précoce à l’innovation à travers les autorisations temporaires d’utilisation de cohorte ou nominatives, ainsi que la mise en place de mesures incitatives pour les industriels, telles que celles que je citais tout à l’heure.

La deuxième partie de votre proposition de loi porte sur l’individualisation. Pour vous répondre, je veux rappeler qu’actuellement, en première ligne – c’est-à-dire le premier traitement que l’on donne à un enfant atteint de cancer –, 100 % des enfants en France sont traités dans le cadre d’un protocole pour leur permettre de bénéficier des traitements les plus récents. Dans les faits, les traitements évoluent de façon continue depuis les années 1970 et permettent d’enregistrer des progrès importants. Le meilleur exemple est probablement celui du taux de guérison des leucémies aiguës,…

Debut de section - Permalien
Ségolène Neuville, secrétaire d’état chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion

…qui est passé de 10 % à 90 % en quarante ans grâce aux protocoles de recherche clinique qui se sont succédé dans cette pathologie. Actuellement, en cas d’échec de la première ligne, les traitements de deuxième ou de troisième ligne font l’objet d’essais cliniques et permettent, dans l’ensemble des cancers pédiatriques, un taux global de guérison de 80 %.

Si des progrès importants restent à réaliser pour certaines pathologies, notamment certaines tumeurs rares, ils nécessitent avant tout des essais cliniques. Pour les cancers très rares, la stratégie est de mener des essais à l’échelon européen plutôt que d’individualiser les essais au cas par cas. En effet, pour pouvoir aboutir à des résultats fiables, il faut que l’effectif étudié soit suffisant et, pour cela, il faut des essais multicentriques non seulement en France, mais aussi en Europe, pour pouvoir aboutir à des résultats statistiquement satisfaisants.

La médecine dite personnalisée, que vous évoquez également dans votre rapport, permet d’accéder aux thérapies ciblées. Elle est en cours de développement, en France et dans le monde, chez l’enfant comme chez l’adulte. C’est l’un des axes majeurs de travail du troisième pan cancer qui prévoit de réaliser le séquençage complet du génome des tumeurs de l’enfant, à la recherche de nouvelles cibles thérapeutiques.

Je veux vous assurer que l’engagement de la ministre de la santé sur ce sujet est total et je vous annonce qu’un essai clinique va démarrer très prochainement, qui permettra le séquençage du génome de la tumeur de chaque enfant qui est ou sera en échec de traitement. Il n’y aura plus un seul enfant en France en échec de traitement qui n’aura pas droit au séquençage du génome de sa tumeur pour permettre de détecter précisément la cible contre laquelle il faudra lutter. Une fois que le séquençage aura été fait, il conviendra de proposer au malade le médicament, s’il en existe déjà un, ou d’engager l’industrie pharmaceutique à le produire.

Notre stratégie doit donc être avant tout de favoriser les essais cliniques innovants chez les enfants par une structuration lisible et rassurante pour les industriels. J’ai évoqué le groupe coopérateur national qui rassemble les chercheurs, les cliniciens et les familles, ainsi que les centres labellisés par l’Institut national du cancer pour les essais de phase précoce pédiatriques.

Je peux vous dire également que des négociations sont d’ores et déjà en cours entre l’Institut national du cancer et les industriels. Il s’agit d’inciter ces derniers à proposer systématiquement leurs molécules chez l’enfant dans le cadre du programme CLIPP de développement d’essais précoces.

Mesdames et messieurs les députés, le rapport d’exécution de la première année du plan cancer sera remis au Parlement en février 2015. Ce sera l’occasion de faire le point avec vous sur l’avancée de la recherche, notamment en matière de cancers pédiatriques.

Enfin, en 2016, commenceront les débats pour la révision du règlement européen relatif aux médicaments à usage pédiatrique. C’est dans ce cadre que la France doit formuler, avec d’autres pays, des propositions innovantes. C’est au niveau européen que nous devons avancer pour moderniser la réglementation des essais pédiatriques, pour faciliter leur réalisation, en prenant exemple, entre autres, sur le Creating Hope Act que j’ai cité tout à l’heure. C’est dans le cadre de ce règlement européen qu’il faut innover en matière d’incitation financière pour encourager la recherche industrielle. La France prend toute sa part dans cette mobilisation européenne et soutient ces changements réglementaires.

Pour conclure, monsieur le député, je sais que nous partageons le même objectif, avec la même volonté, la même conviction ; mais nous divergeons sur les méthodes pour y parvenir. Il ne faut pas perdre de vue l’objectif, qui est la mise à disposition de médicaments, parce que ce sont eux qui sauvent les enfants. Or cela dépend de l’industrie pharmaceutique, qui développe ces médicaments et les fabrique. Le Gouvernement n’est donc pas favorable à votre proposition de loi car elle risque d’aboutir au résultat inverse en désincitant encore plus l’industrie pharmaceutique sur ce sujet.

Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.

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Dans la discussion générale, la parole est à M. Yannick Favennec.

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Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « La lutte contre le cancer est l’une des grandes causes qui fédère, qui rassemble, au-delà des sensibilités, des clivages, des alternances ». C’est par ses mots que s’ouvrait le discours du Président de la République, lors de la présentation du plan cancer 2014-2019, le 3 février dernier. Ils prennent aujourd’hui une résonance toute particulière, alors que notre assemblée s’apprête à examiner la proposition de loi de notre collègue Jean-Christophe Lagarde relative au financement de la recherche oncologique pédiatrique par l’industrie pharmaceutique.

Si nous avons souhaité débattre aujourd’hui de cette question si brûlante, si douloureuse, c’est parce que nous considérons qu’il est impératif d’apporter une réponse forte à la lutte contre les inégalités face au cancer.

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Cet enjeu a d’ailleurs été mis en avant par François Hollande lors de la présentation du dernier plan cancer, lorsqu’il déclarait que ce troisième plan de la lutte contre le cancer s’était fixé comme ambition « de donner les mêmes chances à tous, partout en France, pour guérir du cancer ».

Si notre groupe a souhaité l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour de sa journée d’initiative parlementaire, c’est bien que nous estimons que l’excellence de notre système de santé se mesure à sa capacité à garantir un accès équitable à des soins de qualité et à l’innovation thérapeutique.

Nous avons également toutes et tous conscience de la gravité du sujet : 350 000 nouveaux cas de cancer sont déclarés chaque année, 1 700 concernant des enfants âgés de moins de 14 ans et 700 des adolescents âgés de 14 à 19 ans. Derrière ces chiffres, ce sont des vies qui basculent, des familles à qui des équipes médicales sont contraintes d’annoncer qu’il n’existe pas de traitement à la maladie de leur enfant.

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Et si la maladie est toujours un drame, peu importe l’âge auquel elle frappe, nous savons que ce drame suscite pourtant une émotion particulière lorsqu’il touche des enfants.

C’est pourquoi je souhaite m’adresser un instant à nos collègues du groupe SRC. Je tiens à le leur dire sans détours : les amendements de suppression des deux articles que vous aviez déposés en commission et que vous re-déposez aujourd’hui ne sont pas à la hauteur du débat que nous avons souhaité en déposant cette proposition de loi.

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Vous pouvez ne pas être d’accord avec les solutions proposées dans ce texte pour lutter contre les cancers pédiatriques. C’est votre droit le plus fondamental.

Mais si, comme nous le croyons, vous partagez le constat qui a présidé à l’élaboration de cette proposition de loi, si vous reconnaissez la nécessité de tout mettre en oeuvre pour lutter plus efficacement contre les cancers pédiatriques, il est alors de votre responsabilité de vous saisir de ce texte et de l’amender ; il est de votre devoir de faire des propositions.

La suppression de ces dispositions est d’autant plus regrettable qu’elle ne traduit pas l’esprit constructif dans lequel se sont déroulés les travaux en commission.

Elle ne reflète pas non plus le consensus qui est apparu sur la nécessité de soutenir davantage la recherche sur les cancers pédiatriques.

Je veux vous faire partager une conviction : alors que l’ensemble des groupes parlementaires soutiennent les objectifs de cette proposition de loi, je crois que nous aurions eu tout intérêt à la voter à l’unanimité en commission.

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Nous nous serions présentés aujourd’hui en séance publique, devant le Gouvernement, devant vous, madame la secrétaire d’État, forts de ce consensus et nous aurions ainsi pu demander qu’il se traduise par des engagements de votre part sur des mesures concrètes.

J’en viens maintenant au fond de la proposition de loi de notre collègue Jean-Christophe Lagarde. Elle vise à apporter une réponse à une double carence en matière de recherche oncologique pédiatrique et de prise en charge des enfants et des adolescents atteints du cancer.

En premier lieu, il s’agit de pallier une mobilisation insuffisante de la recherche en matière d’oncologie pédiatrique, en instaurant une taxe sur le chiffre d’affaires des laboratoires pharmaceutiques. Le produit de cette taxe serait spécifiquement affecté au financement d’une recherche indépendante en faveur des enfants victimes du cancer.

En effet, le rapporteur l’a d’ailleurs souligné, l’Institut national du cancer alloue à la recherche oncologique pédiatrique 10 % de ses ressources annuelles. Il s’agit certes d’un effort budgétaire significatif de la recherche publique, mais il est insuffisant eu égard à la complexité des pathologies concernées et du désintérêt du secteur privé pour ces maladies, qui ne peut d’ailleurs s’expliquer que par 1’absence de rentabilité.

J’entends les réserves des uns et des autres sur le principe même de la création d’une nouvelle taxe ou sur son taux. Il me semble que les deux amendements que propose notre rapporteur permettent d’y répondre.

Le premier vise à baisser le taux de la taxe, pour porter son rendement de 30 à 10 millions. Je veux rappeler que le produit de la contribution sur le chiffre d’affaires des laboratoires pharmaceutiques, votée par cette majorité avec le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, s’élève aujourd’hui à près de 400 millions d’euros. C’est quarante fois plus que la taxe proposée et je pense qu’à cet égard, nous pouvons tous convenir que celle-ci ne mettrait pas en danger cette industrie, ni sa capacité d’innovation.

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Nous tenons également à saluer une deuxième avancée proposée par notre rapporteur. Elle répond aux interrogations qui ont pu être soulevées sur le principe même de la taxe, en prévoyant qu’elle ne s’appliquerait que jusqu’en 2019, date à laquelle un nouveau plan cancer sera défini.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ainsi, cette taxe ne permettrait de financer la recherche sur les cancers pédiatriques que dans l’attente d’un nouveau plan cancer, plus ambitieux encore en la matière.

Il s’agirait ainsi de prolonger le troisième plan cancer 2014-2019, qui érige le traitement des cancers pédiatriques en priorité et qui prévoit le financement du séquençage de tous les génomes tumoraux pédiatriques.

Oui, la recherche sur les cancers pédiatriques doit être davantage soutenue, sans attendre 2019 ni le prochain plan cancer.

Le deuxième objectif de cette proposition de loi est d’améliorer les chances de guérison des enfants atteints de cancers rares, faisant partie de maladies dites « orphelines », pour lesquels les traitement sont inadaptés, en favorisant l’individualisation des traitements des cancers pédiatriques.

L’article 2 propose en ce sens de garantir par la loi la définition d’un protocole particulier prenant en compte les spécificités des publics mineurs, pour la plus grande individualisation possible de la prise en charge.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les dispositions de cette proposition de loi sont essentielles pour accompagner le plan cancer et permettre à la recherche sur les cancers pédiatriques de profiter du formidable mouvement de progrès en matière de lutte contre le cancer.

Les perspectives de progrès thérapeutiques sont prometteuses, l’enjeu est immense pour les enfants et les adolescents qui sont touchés par cette maladie.

Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.

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Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise par le groupe UDI concerne le financement de la recherche oncologique pédiatrique par l’industrie pharmaceutique.

Autant le dire de suite, en oubliant les clivages politiques traditionnels et les polémiques politiciennes : notre groupe est sensible à cette proposition.

Il faut tout d’abord constater, effectivement, que le développement des médicaments et des traitements en cancérologie pédiatrique a toujours été en retard par rapport à la cancérologie des adultes, pour ne pas dire négligé par les industriels de la pharmacie.

De nombreux médicaments sont prescrits avec beaucoup de retard chez l’enfant, souvent en l’absence d’essais cliniques par les laboratoires pharmaceutiques, pour lesquels les indications pédiatriques ne sont pas prioritaires.

Visiblement et malheureusement, la logique de rentabilité financière des laboratoires laisse sur le bord du chemin la recherche sur le traitement des cancers de l’enfant.

Dans cet esprit, la proposition de taxer à hauteur de 0,05 % les laboratoires pharmaceutiques permettra de créer un fonds spécifique très utile. Cela dégagera une somme supplémentaire, précieuse pour la recherche, sans mettre en danger la santé financière des grands groupes pharmaceutiques, lesquels dégagent au demeurant de confortables bénéfices.

En cette période de crise et de difficultés pour nos concitoyens, les efforts de tous les acteurs, notamment dans le secteur de la santé sont indispensables. Et je n’ose pas croire, madame la secrétaire d’État, que la création de ce fonds serait utilisée comme prétexte par les laboratoires pour réduire leurs engagements. C’est d’ailleurs à cette mobilisation que nous invitent les différents plans cancer.

Si les deux premiers plans cancer ont effectivement permis d’allouer un financement important à la recherche entre 2007 et 2011, il est notoire que ces financements ne sont toujours pas suffisants – d’une manière générale et plus particulièrement en ce qui concerne la recherche sur les cancers de l’enfant.

Le troisième plan cancer, lancé en février dernier par le Président de la République pour les prochaines années, va dans le bon sens et accélère le pas. Il rendra sans doute possibles des avancées significatives, avec une dotation financière conséquente. De nombreuses actions sont prévues, comme le financement d’un groupe coopérateur national en cancérologie pédiatrique. De même, un appel à projet a été lancé, visant à créer des centres d’essais précoces consacrés aux cancers pédiatriques. En outre, en 2015, un programme d’actions intégrées de recherche sera mis en place sur les tumeurs pédiatriques. Nous nous en félicitons. Ce futur plan cancer devrait également se traduire par de belles avancées visant à mieux associer les patients et leurs représentants dans les recherches en cours et à venir, ainsi que dans le développement des essais cliniques innovants.

C’est pourquoi, au vu de ces avancées et de la teneur du plan cancer, je m’interroge, chers collègues du groupe UDI, sur le fait que vous n’ayez pas évoqué votre proposition de loi lors de nos débats sur le budget de la Sécurité sociale.

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Votre proposition aurait pu être mise à l’agenda parlementaire plus tôt, ce qui aurait permis un débat plus serein, ainsi qu’une issue plus satisfaisante et plus rapide pour nos concitoyens.

Cela étant, le groupe RRDP, je l’ai dit, est sensible à votre proposition.

Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.

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L’article 2, notamment, permet de se pencher sur le cas des maladies rares et orphelines qui souffrent d’un manque de moyens de recherche évident.

Pourtant, dans le monde, environ 8 000 maladies orphelines seraient recensées. En France, elles toucheraient, prises dans leur ensemble, plus de personnes que le cancer. C’est dire à quel point il importe d’engager une recherche conséquente pour trouver des traitements et aider les patients.

En tout état de cause, il me semble que la future loi sur la santé devrait pouvoir apporter une meilleure réponse, ou des réponses, à ce problème. La volonté du Gouvernement, et la vôtre, madame la secrétaire d’État, je le sais, est entière. Nous avons tous à coeur de déployer des politiques publiques toujours plus efficaces pour développer la recherche et lutter contre la maladie.

Dans cet esprit, pour le groupe RRDP, la recherche oncologique pédiatrique doit être renforcée. Chaque jour compte pour les malades, chaque jour compte pour leurs familles.

Dès lors, majoritairement, nous émettons un avis favorable à cette proposition de loi, afin de donner un signal fort. La nation doit pouvoir se rassembler sur de tels objectifs.

Je le dis à mes collègues de l’UDI : nous pouvons, nous, membres de la majorité, soutenir certaines de vos propositions quand elles sont bonnes ; j’aimerais que chez vous, dans l’opposition, la réciproque puisse être vraie. Nos concitoyens attendent aussi cela de leurs représentants.

Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et UDI.

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La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la discussion de la proposition de loi relative au financement de la recherche oncologique pédiatrique ;

Discussion de la proposition de loi relative au coût du passage de l’examen du permis de conduire.

La séance est levée.

La séance est levée à treize heures.

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly