Délégation aux outre-mer

Réunion du 17 décembre 2014 à 10h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de Mme Monique Orphé, rapporteure de la Délégation.

La Délégation procède à l'audition de M. le docteur Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français, sur le projet de loi relatif à la santé (n° 2302).

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Monsieur le président, je vous remercie d'avoir accepté de venir parmi nous. Votre organisation est la seule à avoir répondu à notre invitation – MG France n'a pas souhaité nous rencontrer. Pourtant, la santé outre-mer est un vrai sujet.

En tant que rapporteure de la Délégation aux outre-mer, j'ai souhaité vous entendre à l'occasion du projet de loi relatif à santé, présenté par Mme Marisol Touraine, le 15 octobre dernier. Le volet concernant les Outre-mer figurants initialement dans le projet de loi a disparu ; il n'en reste que l'article 56, qui renvoie à une loi d'habilitation.

La Délégation a tout de même tenu à être saisie sur quelques articles, que nous vous avons transmis. Même si l'organisation du système de santé fonctionne à peu près correctement outre-mer, des problèmes parfois inquiétants persistent, notamment à Mayotte. Nous souhaitons, par le biais de cette loi, apporter des solutions.

La Cour des comptes a consacré à cette question un rapport paru en juin 2014, qui dresse un tableau de l'organisation du système de santé dans différents départements d'outre-mer. Il montre que nos populations sont moins bien servies en professionnels de santé que dans l'Hexagone. Il relève également une propension à certains types de dépendance à un âge souvent moins élevé qu'en métropole. Enfin, à côté de maladies infectieuses mal éradiquées, d'autres sont apparues, dont certaines relativement nouvelles, comme la dengue, le chikungunya et tout récemment Ebola, qui présentent un réel danger pour nos territoires.

Votre confédération défend les praticiens qui exercent dans le cadre libéral. Elle a observé que le projet de loi, tel qu'il était rédigé, posait un certain nombre de difficultés : l'article 12, par exemple, et l'article 18 sur le tiers payant, déjà généralisé dans les Outre-mer. Le remboursement de la partie mutuelle poserait problème aux médecins.

Quelles sont les difficultés rencontrées par les médecins libéraux pour s'installer outre-mer, notamment à Mayotte et en Guyane ?

Quelles sont les particularités de la pratique médicale des médecins établis outre-mer ?

Quelles solutions préconisez-vous pour faire face à l'insuffisante densité médicale constatée outre-mer, que ce soit dans certains départements, comme la Guyane, ou dans certaines zones des DOM, comme en Guadeloupe ?

Que pensez-vous des solutions proposées sur ce point par la Cour des comptes ? Je pense notamment aux contrats d'engagement de service public ou aux postes de praticien territorial de santé.

Que pensez-vous de l'article 12 du texte, qui, à mon sens, doit être remanié par la ministre ?

Comment concevez-vous les relations de la médecine libérale avec le service public hospitalier, mais aussi avec les agences régionales de santé (ARS) ?

Que pensez-vous de l'article 18 du texte ?

Seriez-vous favorable à un guichet unique pour les remboursements des mutuelles aux praticiens ?

Que pensez-vous de l'extension de la CMU-c à Mayotte ?

Est-il vrai que les remboursements aux médecins au titre de la CMU-c sont souvent en retard ?

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docteur Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français

Notre organisation est très bien implantée, très majoritaire dans tous les DOM. J'ai travaillé avec les représentants de l'ensemble des DOM, Antilles, Guyane et Réunion, sur la liste des articles que vous nous aviez transmise.

Les difficultés rencontrées par les médecins libéraux pour s'installer outre-mer sont les mêmes qu'en métropole, à ceci près qu'elles sont amplifiées.

Aujourd'hui, lorsque les jeunes médecins sortent de la faculté, ils s'installent malheureusement peu en médecine libérale, pour la bonne et simple raison qu'ils n'en connaissent pas l'exercice. Les jeunes médecins généralistes font quelques stages dans des cabinets de médecine générale, les spécialistes aucun, ou très marginalement dans quelques établissements de soins privés – on compte quelques dizaines de stages sur l'ensemble de la France pour plusieurs milliers d'internes.

Aujourd'hui, il est difficile d'être médecin libéral, en raison de la charge de travail – 56 heures en moyenne par semaine – et de la lourdeur de l'exercice. Les charges administratives polluent notre exercice : notre coeur de métier, c'est le soin, pas la paperasserie. Ce à quoi s'ajoute un niveau de rémunération de l'acte médical très bas : vingt-trois euros en métropole pour une consultation chez le généraliste, cela reste très en deçà de la valeur des actes dans d'autres pays européens, alors même que, en sens inverse, la demande en soins de la patientèle s'alourdit : on ne va plus chez le médecin pour une bricole et c'est tout à fait normal. Les patients sont mieux informés et l'automédication s'est développée. Ils demandent conseil à leur pharmacien ou vont sur le net pour se procurer tel ou tel médicament alors qu'auparavant, on allait chez le médecin pour tout, y compris pour pas grand-chose.

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Jean-Paul Ortiz

Je vais y venir.

La demande en consultation est plus lourde. La médecine ayant contribué au vieillissement de la population, nous avons des patients beaucoup plus âgés, souvent polypathologiques, ce qui entraîne des consultations souvent très longues. Auparavant, les consultations étaient plus courtes, ce qui atténuait à la fois la charge et la valeur qui se répartissaient, le système de cotation étant presque un forfait de prise en charge dans le cadre d'une consultation. Cette évolution est très nette en métropole.

En outre-mer, les problèmes sont exactement les mêmes, avec probablement des pathologies intriquées plus importantes et notamment un problème d'éducation à la santé, qui exige un effort majeur, encore plus qu'en métropole. De ce fait, les consultations sont aujourd'hui très lourdes et c'est l'une des raisons de la désaffection des médecins pour l'outre-mer.

Ce à quoi vient s'ajouter un autre problème, de nature tarifaire. Les médecins généralistes bénéficient outre-mer d'une grille avec un tarif un peu plus élevé par rapport à la consultation en métropole, mais cet avantage tarifaire ne vaut que pour les consultations, qui représentent l'essentiel du chiffre d'affaires d'un généraliste, non pour les actes techniques effectués par les médecins spécialistes : la tarification est exactement la même qu'en métropole, qu'il s'agisse, pour un cardiologue, d'un électrocardiogramme, pour un gastro-entérologue, d'une fibroscopie gastrique ou d'une coloscopie, ou encore, pour un chirurgien, d'une prothèse de hanche ou d'une appendicite. Qui plus est, les frais d'hébergement du patient, dans le cadre d'une hospitalisation en clinique, par exemple, ne sont pas les mêmes qu'en métropole. Il y a en l'occurrence une anomalie tarifaire désincitative, en particulier pour les médecins spécialistes outre-mer. De ce fait, on a, comme partout, du mal à trouver des généralistes, mais encore plus à trouver des spécialistes.

Le cas de Mayotte est encore plus compliqué. Mayotte avait un certain nombre de médecins libéraux et un hôpital très peu médicalisé. De façon tout à fait logique, l'hôpital a « embauché » des médecins, dans le cadre de la départementalisation, pour renforcer l'équipe médicale. Le nombre de médecins à l'hôpital, multiplié par quatre ou cinq, est aujourd'hui extrêmement important, sachant que les offres salariales sont très alléchantes. Cela semble également logique, car il n'est pas simple de recruter quelqu'un pour aller exercer à Mayotte. Malheureusement, le fait d'offrir un salaire de type « métro » majoré de 70 % a créé un énorme appel d'air dans le milieu libéral, et tous les médecins libéraux ou presque qui exerçaient à Mayotte ont basculé vers l'hôpital. Aujourd'hui, il ne reste plus que dix ou douze médecins généralistes installés en ville à Mayotte. Il y a là un vrai problème en termes de tarification et une période transitoire difficile à gérer. C'est une situation très particulière, qui a quelque peu déstructuré le tissu libéral. Je ne parle pas des médecins spécialistes : il n'y en a pratiquement pas à Mayotte.

Il y a bien des particularités dans la pratique médicale des médecins établis outre-mer ; elles portent notamment sur les pathologies. Des formations complémentaires et une sensibilisation à la médecine tropicale sont indispensables. Autrement dit, encore plus qu'en métropole, il est nécessaire de prévoir des sessions de formation pour ces médecins, peut-être par le biais du développement professionnel continu ou de la formation médicale continue. Il faudrait également prévoir un dispositif spécifique pour les médecins libéraux, par exemple via un accompagnement des collectivités locales – pourquoi pas ? Cela ne représenterait pas une dépense bien importante. On pourrait fort bien envisager un droit à la formation médicale continue spécifique aux médecins des DOM et dont le financement serait pris en charge par les collectivités territoriales ; ce serait très difficile à obtenir dans le cadre conventionnel, alors que le coût financier, à mon avis, resterait extrêmement modéré.

J'en viens à votre question sur l'insuffisante densité médicale en outre-mer, que j'aborderai en m'appuyant sur ce que nous avons fait en métropole dans des endroits tout aussi défavorisés : dans ma région du Languedoc-Roussillon, le département de la Lozère a beaucoup souffert sur le plan de la densité médicale.

La preuve est faite aujourd'hui que les mesures coercitives ne marchent pas. Il y a d'ailleurs un parallélisme étonnant entre la vacance de postes hospitaliers et le manque de médecins libéraux : ce sont les mêmes cartes ! Là où l'on manque de médecins hospitaliers, on manque de médecins libéraux, et inversement : quand on n'a pas de problème d'un côté, on n'en a pas de l'autre. À l'évidence, la solution ne consiste pas à proposer des postes salariés aux jeunes médecins : ils ne s'installeront pas davantage. Les mesures coercitives tentées dans d'autres pays européens ou au Canada, par exemple, ont été un échec. Il faut sortir de ce schéma. Certains députés pensent qu'il suffit d'obliger les jeunes médecins à s'installer pendant plusieurs années là où l'on manque de médecins. Ils n'y iront pas. Ils continueront à faire des remplacements, du journalisme, de l'industrie, etc. C'est ce que l'on constate sur le terrain. Il faut définitivement tordre le cou aux mesures coercitives.

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Ne vaudrait-il pas mieux être incitatif ?

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Jean-Paul Ortiz

Oui, car cela marche. Il faut informer les jeunes sur les mesures incitatives, mais pour ce faire, il faut vraiment mouiller la chemise. Dans ma région, de jeunes internes viennent faire des gardes pendant le week-end pour découvrir l'exercice en Lozère. Des contrats sont passés avec des étudiants, avec des internes en troisième cycle d'études médicales. Le conseil général de la Lozère est allé jusqu'à organiser des week-ends de découverte du département, ouverts aux étudiants en médecine de deuxième et troisième cycles : une trentaine d'étudiants de la faculté de médecine de Montpellier sont ainsi venus, on leur a fait découvrir le département du point de vue touristique, on leur a fait faire du rafting ; bref, on a tout fait pour leur vendre l'exercice en Lozère. Parallèlement, les collectivités locales ont participé au financement de maisons de santé pluri-professionnelles. Bref, toute une action d'accompagnement a ainsi été engagée, proprement extraordinaire. Résultat des courses : le nombre d'étudiants qui envisage de s'installer d'ici deux à trois ans dans le département représente l'équivalent de 10 % de sa population de médecins généralistes. Aucun département de France n'atteint un tel taux : la moyenne se situe généralement en dessous de 5 %, sachant que la durée moyenne de vie professionnelle d'un médecin est de l'ordre de vingt-cinq ans. Il faut donc multiplier et accompagner les mesures incitatives, et en informer les jeunes.

Les mesures d'accompagnement, ce sont aussi les maisons de santé pluri-professionnelles, qui favorisent le travail en équipe. C'est ce que veulent les jeunes générations. Ce sont aussi les contrats territoriaux de médecine ambulatoire, les praticiens territoriaux de médecine générale (PTMG) devenant, avec la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, les praticiens territoriaux de médecine ambulatoire. Ces mécanismes incitatifs vont dans le bon sens et nous y sommes favorables. Mais si l'on ne veut pas en faire des mécanismes désincitatifs, il ne faut pas créer de nouvelles obligations pour le praticien territorial de médecine ambulatoire. Comprenons-nous bien : je ne veux pas favoriser l'installation de praticiens de secteur 2 ; je ne veux pas non plus que les praticiens qui s'installent dans le cadre de ces contrats ne fassent pas de prévention ou ne participent pas à la permanence des soins. Mais si vous voulez attirer les jeunes, encore faut-il que la mariée soit belle ! On n'attire pas les mouches avec du vinaigre… Il faut tenir compte de tous ces éléments, plus encore dans les DOM.

D'autant que, pour l'outre-mer, la distance représente une difficulté supplémentaire, qu'il s'agisse du prix du voyage-découverte ou des impacts familiaux. N'oublions pas que le médecin de demain sera majoritairement une femme, ce qui veut dire que l'approche du métier est un peu différente. Au demeurant, cela vaut aussi pour les hommes : les jeunes générations entendent désormais concilier vie personnelle et vie professionnelle. C'est un fait, une donnée sociétale. Que cela plaise ou non, il faut faire avec. Cela veut dire que, dès demain, les temps et les organisations de travail ne seront pas les mêmes et qu'il faudra s'y adapter. Et de ce point de vue, envisager de s'installer dans les DOM n'est pas si simple ; se pose le problème du conjoint, qui n'est pas aisé à gérer quand on sait les difficultés d'emploi outre-mer.

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Quelles mesures incitatives pourraient être mises en place pour leur permettre de s'installer outre-mer, notamment à Mayotte ?

À une certaine époque, beaucoup d'internes venaient à La Réunion dans le cadre du service militaire. Ils étaient très bien rémunérés et certains ont trouvé chaussure à leur pied et sont ensuite restés sur l'île. Cela a permis de combler notre manque de médecins.

Nous avons des jeunes de plus en plus diplômés qui s'orientent vers la médecine. Ne faudrait-il pas favoriser la formation des locaux, voire favoriser les échanges avec des pays de la zone outre-mer ?

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Jean-Paul Ortiz

En ce qui concerne les jeunes étudiants locaux, aujourd'hui, les internes connaissent très mal la médecine libérale et son exercice, ce qui est un obstacle à l'installation en milieu libéral. Il faut obtenir des doyens de faculté et de l'ARS le développement des stages de formation, pour les étudiants en médecine de deuxième cycle si possible, et forcément pour les étudiants de troisième cycle.

Cela étant, il faudra peut-être les accompagner. Je discute beaucoup avec les jeunes internes de médecine générale ou de médecine spécialisée. Il n'est pas possible de les emmener en week-end comme dans l'exemple de la Lozère, mais si l'on pouvait leur proposer un stage de formation de six mois dans le cadre de leur troisième cycle, soit dans des structures hospitalières publiques ou privées, soit dans des cabinets médicaux, avec un accompagnement financier des collectivités locales, par exemple, on aurait finalement l'équivalent de ce que vous décriviez avec le service militaire. Il est vrai que certains d'entre eux restaient ensuite sur place, parce qu'ils y avaient pris goût. Parfois même ils trouvaient l'âme soeur, terminaient leur formation et revenaient s'installer définitivement.

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En fait, vous préconisez un contrat tripartite entre les partenaires, hôpitaux ou cabinets, les collectivités et le postulant. C'est une forme de contrat qui reste à inventer.

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Jean-Paul Ortiz

Ce type de contrat existe déjà en partie dans certaines collectivités locales. Je pense au conseil général de Lozère, ainsi qu'à d'autres conseils généraux en métropole. Cela existe aussi par le biais des praticiens territoriaux de médecine ambulatoire. Cela étant, la problématique des DOM est un peu particulière : il faut compter avec le coût du premier voyage : on ne peut pas le laisser à la charge de l'éventuel postulant. Il y a aussi le prix du logement, qui n'est pas négligeable dans les DOM. D'où la nécessité d'encourager les mécanismes facilitateurs, quitte à faire preuve d'imagination. C'est sur ces questions qu'il faut travailler pour attirer les jeunes et favoriser leur installation. Mais de toute évidence, la ressource est là.

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Peut-on « imposer » cette formation de six mois dans les DOM, notamment pour connaître un peu mieux la médecine tropicale ?

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Jean-Paul Ortiz

Aujourd'hui, la formation dans un cabinet de médecine générale, avec un maître de stage, ce qu'on appelle « le stage auprès du praticien », est obligatoire pendant six mois au cours des trois années de troisième cycle d'un futur médecin généraliste. Je ne connais pas très bien l'état du développement des maîtres de stage dans les DOM ; il faudrait examiner cette question avec les Facultés pour savoir s'il y a suffisamment de terrains de stage, puis se pencher sur les aspects plus triviaux du voyage et de l'hébergement, que je viens d'évoquer. La formule peut avoir un certain succès. Encore faut-il mettre en place des mécanismes incitatifs et informer les jeunes, autrement dit aller dans les Facultés leur expliquer qu'ils ont l'opportunité de passer six mois dans les DOM et de découvrir des choses très différentes. Les jeunes sont très ouverts à ce genre d'expériences, on le voit dans leur comportement vis-à-vis de la médecine humanitaire.

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C'est une proposition très intéressante. Comme je suis rapporteur spécial pour le budget de l'outre-mer, nous pourrions, madame la rapporteure, combiner une action pour créer ce type de contrat spécifique et y introduire, au titre de la continuité territoriale, une possibilité de dérogation afin de rapprocher les postulants du territoire où ils veulent faire un stage. Cela résoudrait le problème du voyage.

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Jean-Paul Ortiz

Qui n'est pas neutre.

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Nous allons y travailler ensemble avec la Délégation et je ferai part de ces propositions dans le cadre du budget.

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Jean-Paul Ortiz

J'en arrive à votre question sur les conventionnements limités aux zones sous-représentées en termes de densité médicale.

Le conventionnement sélectif fait partie des mesures coercitives. On sait que cela ne marche pas, car si vous faites du conventionnement sélectif dans les zones dites « sous-denses », les médecins ne s'installeront pas. Dans la dernière période – j'espère que nous allons arriver à faire évoluer ces chiffres –, l'âge moyen de l'installation approchait les quarante ans. Les médecins sortant en général de la faculté vers l'âge de trente ans, cela signifie qu'ils mettent dix ans à s'installer. Ils font des remplacements, hésitent, font un peu de médecine salariée à l'hôpital ; cela ne leur plaît pas trop, ils vont ailleurs. Que voulez-vous, nous vivons dans la civilisation du zapping… Si, en plus, vous mettez en place des mesures coercitives pour les contraindre à s'installer dans un endroit donné, ils ne s'installeront pas du tout.

Quant à l'article 12, qui concerne le service territorial de santé au public, c'est une belle invention bureaucratique et technocratique. Tuez-moi ce machin ! Quel est le concept tel qu'il est écrit, même si la ministre s'en défend ? L'ARS met en oeuvre le service territorial de santé au public en y intégrant un certain nombre d'éléments, tels que l'organisation de la permanence des soins, les thèmes prioritaires du projet régional de santé etc. C'est l'organisation bureaucratique par l'ARS de la médecine de proximité, c'est-à-dire de la médecine générale et de la médecine spécialisée de proximité, en la centrant sur l'hôpital public, qui participe obligatoirement au service territorial de santé au public. Autrement dit, c'est un mécanisme descendant, de l'ARS vers la proximité, bureaucratique et hospitalo-centré. Je l'ai dit maintes fois à la ministre : il faut faire exactement l'inverse, c'est-à-dire travailler sur un mécanisme ascendant, facultatif, non hospitalo-centré et accompagné par les ARS. C'est ce que j'ai appelé les contrats territoriaux d'initiative libérale.

L'objectif, c'est d'améliorer la prise en charge de la population par les organisations de proximité. Mais les professionnels de santé en général, et particulièrement les médecins, n'ont pas attendu qu'un texte de loi ou une ARS vienne leur expliquer comment travailler et comment se coordonner pour prendre en charge tel ou tel problème de santé publique. Ils le font déjà dans beaucoup d'endroits, sous des formes diverses et variées. Ils se rencontrent, discutent entre eux d'une thématique – prise en charge des plaies chroniques avec les infirmières dans le secteur concerné, suivi des diabétiques de type 2 à domicile, etc.

Sur le terrain, de nombreux professionnels se sont déjà organisés et prennent en charge la population. Nous n'avons pas attendu que l'ARS organise la permanence des soins, qui fonctionne bien dans notre pays. Les médecins, à l'échelle d'un, deux ou trois cantons, dans ce que l'on appelle un secteur de garde, se réunissent deux, trois ou quatre fois par an, suivant un rythme qu'ils déterminent entre eux, organisent eux-mêmes la permanence des soins et transmettent le tableau de gardes au Conseil de l'ordre. Nous n'avons pas eu besoin d'organiser un service territorial de santé au public pour le faire. Pourquoi diable complexifier quelque chose qui marche ? Il faut faire l'inverse, c'est-à-dire discuter avec les professionnels des thèmes sur lesquels ils ont commencé à travailler entre eux, la façon de s'organiser, la partie du territoire à couvrir – un ou plusieurs cantons, un demi-département. Il faut se demander comment on peut les accompagner pour favoriser les échanges entre professionnels de santé, médecins, infirmières, pharmaciens, kinés, etc., afin de maintenir les populations à domicile. Il faut partir de cette richesse, en la faisant remonter, pas l'inverse.

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Jean-Paul Ortiz

Ce n'est pas ainsi qu'il est écrit. Il est écrit exactement l'inverse : l'hôpital participe obligatoirement au service territorial de santé au public, ce qui veut dire que l'hôpital est au centre du système. Moi, je dis que l'hôpital ne doit pas pouvoir se soustraire à une sollicitation des professionnels qui souhaiteraient l'impliquer sur des thématiques, dans le cadre d'un service territorial de santé ou d'un contrat territorial. Voilà ce que je souhaiterais voir inscrit dans le texte : l'hôpital ne peut pas se soustraire si on le sollicite, mais l'hôpital n'est pas obligatoirement dans le service territorial de santé. Les médecins libéraux sont assez grands pour s'organiser seuls ; ils n'ont pas besoin de l'hôpital pour cela.

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Je pense que ce point, qui fait l'objet d'une crispation, va, à votre demande, être réécrit par la ministre. L'objectif est bien de coordonner toutes les initiatives de terrain pour pouvoir ensuite les généraliser. À La Réunion, il y a beaucoup d'initiatives sur la permanence des soins, à Saint-Denis en particulier, mais pas partout. Quoi qu'il en soit, pour moi, l'article 12 n'indique pas que l'hôpital est au centre.

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Jean-Paul Ortiz

C'est pourtant ce qui est écrit.

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J'ai peut-être une mauvaise lecture ! Comment réécrire le texte de façon que le dispositif soit appliqué, et surtout élargi ?

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Jean-Paul Ortiz

Nous ne sommes pas loin dans l'approche de la problématique, à ceci près que c'est écrit à l'envers. Pour commencer, l'expression même de « service territorial de santé au public » est très mauvaise. Un de vos collègues socialistes m'a confié, entre quatre yeux, que cela faisait penser au STO et au service militaire et qu'il fallait faire disparaître le mot « service »… Ce n'est peut-être que de la phraséologie, mais ce n'est pas faux ! Je préfère l'idée d'un contrat territorial. Des choses se font sur le terrain : nourrissons-nous de cette richesse. Des médecins s'engagent bénévolement, en prenant sur leur temps personnel ; il faut les aider. L'ARS ne doit pas piloter, mais les accompagner, les aider à monter des dossiers, à mieux structurer les projets. Il y a un vrai problème de gouvernance autour de ces contrats territoriaux. La gouvernance doit être exclusivement aux mains des professionnels de terrain, surtout pas aux mains de l'ARS : elle va en faire un « machin » bureaucratique avec lequel nous allons passer notre temps à faire de la paperasserie. Au contraire, l'ARS doit être un facilitateur et un accompagnateur.

Vous dites, madame la rapporteure, que ce genre d'initiative ne se retrouve pas partout. Mais justement, si l'on n'aide pas les professionnels de santé qui ont commencé à tout mettre en oeuvre pour maintenir telle ou telle initiative ou pour développer telle ou telle thématique, ils vont s'essouffler et arrêter. Voilà le danger ! Il faut, au contraire, les accompagner et les aider, y compris sur le plan financier. Commençons par faire l'inventaire de ce qui marche aujourd'hui sur le terrain, préservons-le et accompagnons-le pour mieux le structurer. Demain, nous le dupliquerons ailleurs.

C'est ce que j'ai fait dans ma région. Des professionnels de santé libéraux, se rendant compte qu'il s'agissait d'une thématique compliquée et mal structurée, ont organisé, à Montpellier, la prise en charge du cancer du sein chez la femme. Ils se sont réunis et ont abordé les problématiques avec une psychologue et une assistante sociale pour faciliter le parcours de soins des patientes. Ils ont créé une association loi de 1901. L'Union régionale des professionnels de santé (URPS), que j'ai présidée pendant plusieurs années, les a accompagnés dans ce projet. Comme ils s'occupent aujourd'hui d'environ 1 000 patientes, l'ARS va leur accorder un petit financement. On peut penser que l'ARS a un peu tardé, encore que, pour ma part, je l'ai trouvée assez ouverte et réactive. Mais dans de nombreux endroits, ce n'est pas le cas : certaines ARS ne s'intéressent pas à ce genre d'initiative.

Ce qui a été fait à Montpellier est actuellement dupliqué dans les autres villes de la région. Quand ils ont constaté que cela marchait, les médecins d'autres villes en ont discuté avec leurs collègues de Montpellier et avec ceux de la région, qui leur ont expliqué ce qu'ils avaient fait. Finalement, ils ont décidé de faire pareil. C'est ce qu'il faut faire : procéder à l'inventaire de ce qui se fait, le consolider…

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Jean-Paul Ortiz

C'est l'ARS, avec l'URPS, qui est un bon interlocuteur en la matière. L'ARS doit faire l'inventaire de ce qui se fait, le consolider sur le terrain, l'accompagner, parfois aider à une structuration, mais en aucun cas piloter le projet.

Vous m'avez interrogé sur les relations de la médecine libérale avec le service public hospitalier ; je n'ai pas parlé de l'exclusion des cliniques privées du service public hospitalier. C'est aujourd'hui un problème, car les patients vont aussi bien à l'hôpital public que dans le privé. L'hospitalisation privée a aujourd'hui une activité de type mission de service public, qu'il faut prendre en compte dans la loi au lieu d'exclure les établissements.

Je n'ai pas vu la cartographie des services d'urgence dans l'hospitalisation privée. Il y en a beaucoup en métropole – 120 ou 130. Je ne sais pas s'il y en a dans les DOM. À ma connaissance, il n'y en a pas à La Réunion. Il n'y a aucune raison d'exclure les établissements de soins privés d'un certain nombre de missions de service public hospitalier, en particulier la prise en charge des urgences, ainsi que l'accueil des internes dans le cadre de leur formation. Cet article sur le service public hospitalier hérisse fortement les médecins spécialistes libéraux.

Vous me demandez ce que je pense de l'article 18 concernant le tiers payant pour les consultations médicales en ville : je n'en pense que du mal ! Les médecins n'en veulent pas.

La CSMF a toujours été favorable à un tiers payant social. Celui-ci existe réglementairement, et c'est nous qui l'avons fait inscrire dans la convention pour la CMU, la CMU-c et l'aide médicale d'État (AME). En 2015, il va s'étendre à l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS). Je l'ai dit à la ministre : il n'y aura aucune opposition de la part des médecins. Pas un médecin n'a élevé une moindre protestation concernant l'extension du tiers payant généralisé à l'ACS. Nous y sommes favorables pour des raisons sociales. Il n'y a aucune ambiguïté sur ce point, qui relève de l'éthique médicale. C'est ce que nous faisons déjà tous les jours dans nos cabinets pour les patients qui ne sont pas bien couverts et qui nous demandent d'encaisser leur chèque quinze jours ou un mois plus tard. Par ailleurs, les actes coûteux, au-delà de 90 euros, comme un scanner ou une IRM, sont déjà pris en charge en tiers payant, de même qu'une hospitalisation dans un établissement de soins privé ou à l'hôpital.

Ne sont donc concernées que les consultations d'une valeur relativement faible, de 23 à 90 euros. On me fera valoir qu'il peut s'agit de populations intermédiaires en situation momentanément un peu difficile ; les médecins connaissent ce genre de situations, car ce sont eux les derniers remparts sociaux dans notre pays. Ils prennent, au sens propre et au sens figuré, la température de la crise que vivent les Français. Quand un patient se retrouve au chômage, ou confronté à des difficultés professionnelles énormes, il dort mal, il souffre d'épigastralgie ou d'une colopathie, et il va voir son médecin. Voilà ce qui se passe dans nos cabinets. Si l'exercice médical est de plus en plus difficile aujourd'hui, c'est également à cause de cette crise sociale qui alimente nos consultations médicales.

Pourquoi ne voulons-nous pas du tiers payant généralisé ? Premièrement, parce que cela sera extrêmement difficile à mettre en oeuvre sur le plan technique. C'est déjà ce qui se passe avec la CMU et la CMU-c, où l'on relève des erreurs et des retards de paiement très importants. Une équipe de Lille, qui vient de mettre en place un observatoire des retards de tiers payant, estime à 10 % environ la proportion d'erreurs ou de non-paiement des actes en tiers payant pour la CMU et la CMU-c. Cela fait beaucoup…

Deuxièmement, le système va être coûteux et techniquement difficile à mettre en oeuvre. Les centres de santé ont évalué la gestion de la feuille de soins à 3,50 euros. Les pharmaciens font déjà du tiers payant pour tout, ce qui est normal car ils ont de grosses factures. L'une de vos collègues, pharmacienne et députée de la majorité, m'a confié que la gestion du tiers payant dans sa pharmacie lui coûtait quelque 800 euros par mois. Qui va payer une telle somme ? Croyez-vous que ce soit le moment de dépenser autant ? Pour les médecins, avec une consultation à 23 euros, il est hors de question de s'occuper de la gestion. Qui va le faire ? L'assurance maladie ? Les assureurs complémentaires ? Un économiste m'a fait part d'une estimation oscillant entre 800 millions et 1 milliard d'euros. Croyez-vous que ce soit le moment de consacrer autant d'argent à une mesure qui n'a aucun intérêt social réel ?

Une troisième raison, plus professionnelle, est avancée par les médecins, qui voient dans cette mesure une atteinte à leur indépendance. Celui qui paie commande, et la demande est faite par celui qui paie. Si ce sont les caisses qui paient directement les médecins, cela induit une dépendance accrue et insupportable vis-à-vis du payeur, en l'occurrence de l'assurance maladie. Que surviennent des retards de paiement ou des modifications tarifaires unilatérales, les médecins ne pourront rien faire : ils seront livrés pieds et poings liés au payeur. Aujourd'hui, le payeur, c'est le patient : c'est le patient qui demande, c'est le patient qui exige, c'est le patient qui choisit. Ce n'est pas pareil, la relation n'est pas la même. Si, demain, c'est la caisse d'assurance maladie ou un équivalent qui devient le payeur, cela modifiera considérablement la façon dont le métier est vécu.

Pour toutes ces raisons, la très grande majorité des médecins ne veut pas du tiers payant généralisé. Encore une fois, je l'ai dit à la ministre, je le redis et je le réaffirme, ce n'est pas un problème social.

J'en viens au guichet unique pour les remboursements des mutuelles aux praticiens. La ministre l'a dit elle-même : à supposer que l'on mène une étude de faisabilité du tiers payant généralisé, cela passe obligatoirement par l'instauration d'un circuit unique pour le médecin. Je ne vais pas, pour récupérer 6,90 euros sur ma consultation, envoyer une facture à 400 assureurs complémentaires différents ! Il faut passer par un guichet unique, mais ce sera très difficile à mettre en place, ne serait-ce que parce que les assureurs complémentaires ne sont pas d'accord avec l'assureur obligatoire. Du reste, les assureurs complémentaires ne sont pas intéressés du tout par cette idée de tiers payant généralisé, et pour une raison que je peux comprendre : comme ils travaillent dans le cadre d'un marché concurrentiel, ils tiennent à garder un lien direct avec les assurés qui les ont choisis. Les mutuelles sont plus favorables à ce dispositif, mais surtout pour des raisons idéologiques. Les autres assureurs, eux, veulent garder le contact avec leurs clients. Ils veulent apparaître sur les prises en charge et refusent l'anonymat d'un flux collectif.

Pour nous, médecins, il faudrait un flux unique, mais en face, ils n'en veulent pas. Cherchez l'erreur !

Quant à l'institution de la CMU-c à Mayotte, vous pourriez peut-être m'éclairer, madame la présidente. Pourquoi n'y a-t-il pas de CMU-c à Mayotte ? Est-ce une exception territoriale ?

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Avant de devenir un département, Mayotte était une collectivité et n'avait pas droit aux mêmes services. Aujourd'hui, une extension de la CMU-c à Mayotte en tant que département semble logique et légitime.

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Jean-Paul Ortiz

Si la CMU-c n'a pas été mise en place d'emblée, j'imagine qu'il devait y avoir des raisons très précises, peut-être d'ordre financier. Mais en tant que médecin, je ne vois pas pourquoi il y aurait une inégalité dans la couverture des populations défavorisées, au prétexte qu'elles habitent à Mayotte plutôt qu'à La Réunion, distante seulement de quelques centaines de kilomètres.

Concernant la prévention et l'article 4, qui traite des problèmes d'alcoolisme, les cadres syndicaux des DOM avec qui j'ai travaillé m'ont fait remarquer qu'il y avait un gros problème d'alcoolisme dans les DOM et que les règles y étaient souvent mal appliquées, en particulier pour ce qui touche à l'accès des mineurs à l'alcool. Il faudrait se pencher sur cette question et prévoir un accompagnement, qui relève peut-être du domaine réglementaire.

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J'ai rencontré le docteur Dietrich, qui travaille à l'hôpital sur ce sujet et prend en charge les patients. Il a écrit, il y a un mois, un excellent article sur l'alcoolisme à La Réunion. Il m'a alertée sur un certain nombre de problèmes posés dans la société réunionnaise, mais également sur le fait que l'ARS ne se préoccupe plus de cette question. J'ai l'intention de faire des propositions sur ce sujet, voire de mettre en place des sanctions concernant la vente d'alcool et de boissons sucrées.

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Jean-Paul Ortiz

L'article 5 a pour objectif d'apposer des pictogrammes en fonction de la composition des produits, notamment en sucre. J'ai appris que les produits élaborés localement étaient beaucoup plus sucrés que ceux élaborés en métropole.

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Jean-Paul Ortiz

Mais c'est également le cas pour les boissons gazeuses. C'est une situation que j'ignorais, et qui doit tenir à des raisons culturelles. Ne faudrait-il pas, en termes de santé publique, se pencher sur cette question pour ramener progressivement le taux de sucre à des niveaux habituels et alerter les populations ? Vous ne pouvez pas employer les mêmes pictogrammes, alors que la composition est différente.

Je me suis beaucoup intéressé à la composition en sel. Une expérience a été menée en Belgique, à l'échelle d'un canton où l'on a mesuré l'impact du sel sur l'apparition de l'hypertension artérielle dans la population. On a très progressivement diminué, sans le dire à la population, la teneur en sel du pain. On a ainsi observé au fil des ans, une différence significative quant à l'apparition de l'hypertension artérielle par rapport au reste du pays.

Je peux comprendre que le taux élevé de sucre observé à La Réunion, aux Antilles ou en Guyane procède d'habitudes alimentaires. Mais il faudrait que l'industrie agroalimentaire locale modifie la composition des produits pour diminuer progressivement la teneur en sucre. Si on agit brutalement, il y aura un choc dans la population, qui n'adhérera pas à ce changement. En revanche, si c'est fait progressivement, je ne vois pas pourquoi on n'y arriverait pas. Ce seraient, dans le cadre de la prévention, des dispositions intéressantes à faire remonter. À mon avis, ces idées pourraient être portées par la ministre, car elles semblent assez faciles à concrétiser, tout en étant peu coûteuses, et auront incontestablement un impact positif.

D'après les cadres syndicaux avec lesquels j'ai travaillé sur le projet de loi, le tiers payant dans les DOM se traduit, d'ores et déjà, par une perte de 10 % au niveau du ticket modérateur, et plusieurs heures par semaine passées à vérifier.

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Que préconisent-ils puisque le tiers payant est déjà largement utilisé ?

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Jean-Pierre Ortiz

Ils sont opposés à la généralisation du tiers payant. Ils appellent à une amélioration du dispositif qui se traduit déjà par beaucoup de pertes et de temps perdu.

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Jean-Pierre Ortiz

Bien sûr.

Mais ils refusent la généralisation, parce qu'ils veulent garder la possibilité de ne pas faire de tiers payant, en particulier pour les touristes. Il est vrai que c'est une part assez marginale dans l'activité d'un praticien des DOM, et que, généralement, ils refusent le tiers payant aux touristes. Allez récupérer 6,90 euros à la caisse de la MGEN du 78 ou de la Loire-Atlantique pour un acte fait à La Réunion ou aux Antilles… Je vous souhaite bien du bonheur ! Vous ne serez jamais payé.

L'article 26 concerne le service public hospitalier. Aujourd'hui, dans les établissements de soins privés, il y a forcément des dépassements puisque les tarifs, pour les médecins spécialistes exerçant en clinique, n'ont pas fait l'objet de la revalorisation dont ont bénéficié tous les autres tarifs, qu'il s'agisse des tarifs publics hospitaliers ou des consultations. Il faut résoudre ce problème. Faute de quoi, petit à petit, il n'y aura plus de médecins spécialistes libéraux dans les DOM.

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Jean-Pierre Ortiz

C'est précisément pour cela qu'ils sont en secteur 2.

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Vous croyez qu'une revalorisation va les inciter à revenir en secteur 1 ?

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Jean-Pierre Ortiz

C'est mécanique. Pourquoi ne pas imaginer un mécanisme de revalorisation de la valeur des actes techniques qui serait réservé, soit aux médecins exerçant en secteur 1, soit aux médecins ayant adhéré au contrat d'accès aux soins, autrement dit aux médecins qui se sont engagés à plafonner leurs dépassements ? Je suis sûr que cela fonctionnerait très bien outre-mer. À l'échelon de la caisse nationale d'assurance maladie, l'impact financier est minime.

L'article 56 autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnance, ce qui signifie qu'il n'y aura ni discussion ni concertation – c'est toujours un peu angoissant…

J'en reviens aux différentiels tarifaires. La consultation, pour les médecins, est facturée 10 % plus cher en Martinique et en Guadeloupe, 20 % à La Réunion et en Guyane. Pour les salaires, on est à + 20 % pour la Martinique et la Guadeloupe, + 30 % pour la Réunion et + 70 % pour Mayotte. Je ne comprends pas pourquoi il n'en va pas de même pour les actes techniques médicaux.

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Devrait-on diminuer cette sur-rémunération à Mayotte afin d'inciter à développer la médecine de ville ?

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Jean-Paul Ortiz

Pourquoi déshabiller Pierre pour habiller Paul ?

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Il faut tout de même trouver un moyen d'inciter les jeunes médecins à s'installer à Mayotte.

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Jean-Paul Ortiz

Le mécanisme de Mayotte a visiblement permis à l'hôpital de Mayotte de recruter des médecins.

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Et de développer l'hôpital. Du coup, les médecins ont quitté le secteur libéral pour travailler à l'hôpital. Et ne trouvant plus de médecins, les gens vont à l'hôpital…

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Jean-Paul Ortiz

Qui, de ce fait, se trouve engorgé. C'est le mécanisme habituel. Ce qui prouve au passage que les mesures incitatives, cela marche ! Des médecins venant de métropole vont travailler quelques années à Mayotte parce que les conditions sont extrêmement avantageuses. Cela veut dire qu'il faut soutenir la médecine de ville.

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Faut-il passer des conventions avec Madagascar, par exemple, pour permettre aux médecins de cette île de venir chez nous ?

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Jean-Paul Ortiz

Vous posez le problème des médecins à diplôme étranger, qui n'est pas spécifique aux DOM. C'est un problème qui nous interpelle dans notre République.

Aujourd'hui, la première année de médecine est commune avec la première année de pharmacie, de sage-femme et de kiné, avec un concours très sélectif à la fin de l'année, des taux de réussite très faibles pour les étudiants en médecine – 12, 15 ou 18 % pour certaines facultés suivant la localisation géographique – et d'excellents résultats pour le dernier reçu. Cette année, le dernier reçu à Montpellier avait 14,86 de moyenne. Il y a donc un nombre important de jeunes métropolitains ou originaires des DOM qui ne réussissent pas le concours de la première année de médecine, tout en ayant de bons résultats : échouer à 14,85, ce n'est pas être un mauvais étudiant…

Aujourd'hui, dans notre République, on est confronté à une inégalité insupportable. Je suis moi-même issu d'un milieu défavorisé. J'ai pu prendre l'ascenseur social et j'en suis fier. Mais aujourd'hui, c'est devenu impossible. Quand vous avez 14,85 de moyenne à Montpellier et que vous êtes collé au concours de médecine, il y a deux solutions : si vous êtes issu d'un milieu défavorisé, vous faites autre chose ; si vous êtes issu d'un milieu favorisé, vos parents se renseignent, ils vous envoient à Cluj, en Roumanie, paient 6 000 euros d'inscription à l'année, le voyage et l'hébergement. Vous faites vos études de médecine à Cluj et vous revenez avec votre diplôme, qui sera validé. Vous n'avez plus qu'à vous installer en France en tant que médecin. Voilà la réalité !

On va me dire que c'est l'Europe et que les diplômes sont équivalents. C'est vrai, mais il y a tout de même un vrai problème, qu'on n'aborde jamais. Entendons-nous bien : mes propos ne visent pas les médecins étrangers, mais les médecins à diplôme étranger, parmi lesquels vous avez effectivement des étrangers, mais aussi des Français issus des classes sociales les plus favorisées. Vous trouvez cela normal ? Personne ne dit rien, alors qu'ils représentent 25 à 30 % des nouveaux inscrits au Conseil national de l'Ordre des médecins. Cela n'a rien de marginal ! La moyenne des quatre dernières années tourne autour de 25 % de nouveaux inscrits au Conseil national de l'Ordre avec un diplôme délivré par une faculté non française – la moitié venant de facultés européennes, l'autre moitié de facultés extra-européennes.

J'entends les difficultés de la démographie médicale ; mais les déserts médicaux, ce sont des déserts tout court. Quand l'État a fermé la poste, la gare, le collège, que le médecin s'en va et qu'il ne trouve personne pour le remplacer, on crie au désert médical. N'allez pas demander à la médecine libérale de faire de l'aménagement du territoire ! Que l'État prenne ses responsabilités, qu'il accompagne les mouvements ! Cela étant, nous ne sommes plus à l'âge des chars à boeufs et des déplacements à cheval. Les gens peuvent faire dix, quinze ou vingt kilomètres et quand on fait des enquêtes sur le terrain, ils disent qu'ils y sont prêts. Une demi-heure de trajet, cela ne mène pas bien loin en région parisienne, mais dans un territoire rural, y compris à La Réunion, même si les routes ne sont pas toujours très bonnes, cela fait des kilomètres. On n'est pas obligé d'avoir un médecin dans chaque petit village. Il faut que les élus se rendent compte de cette réalité. On va regrouper les médecins, qui vont couvrir de gros bourgs, des populations de plusieurs milliers d'habitants. Et les gens se déplaceront.

Vous me parlez des médecins de proximité. Je n'ai rien contre les médecins de Madagascar. Mais je suis sûr que vous avez, à La Réunion, des jeunes de valeur qui ont fait une première année de médecine et qui ont été collés avec 14 de moyenne. S'ils voient qu'on ouvre largement la porte à des médecins de Madagascar qui sont allés se former dans d'autres pays européens où les mécanismes sont moins sélectifs, ils seront mécontents, à juste titre, et ils vous le reprocheront.

Au lieu de poser les vrais problèmes, on contourne les difficultés, sous des prétextes divers et variés – de crainte, par exemple, d'être taxé de raciste. Pour ma part, je suis très clair : je ne parle pas des médecins étrangers, mais des médecins à diplôme étranger.

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Monsieur le président, je vous remercie.

Si vous avez une contribution à apporter…

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Jean-Paul Ortiz

Vous l'aurez au moment de l'examen de la loi. J'étais avec Mme la ministre hier ; j'ai tout lieu de penser que certains éléments vont être modifiés.

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Je crois qu'elle est ouverte à des propositions sur certains articles du projet de loi.

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Jean-Paul Ortiz

Il le faut, car les médecins sont très mécontents.

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Jean-Paul Ortiz

Oui, et elle sera très suivie. Cela montre qu'il y a un vrai malaise.

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C'est pourquoi il était nécessaire de vous recevoir.

Monsieur le président, je vous remercie beaucoup pour votre contribution.

La séance est levée à 10 heures 30.