Séance en hémicycle du 13 janvier 2015 à 15h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance est ouverte à quinze heures.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Frédéric Boisseau ; Philippe Braham ; Franck Brinsolaro ; Jean Cabut, dit « Cabu » ; Elsa Cayat ; Stéphane Charbonnier, dit « Charb » ; Yohan Cohen ; Yoav Hattab ; Philippe Honoré ; Clarissa Jean-Philippe ; Bernard Maris, dit « Oncle Bernard » ; Ahmed Merabet ; Mustapha Ourrad ; Michel Renaud ; François-Michel Saada ; Bernard Verlhac, dit « Tignous » ; Georges Wolinski.

La semaine dernière, des êtres humains que le fanatisme transforma en automates de la mort ont assassiné des journalistes parce qu’ils étaient libres, ont abattu des policiers parce qu’ils étaient républicains, ont exécuté des citoyens parce qu’ils étaient juifs.

Ces marionnettes de la tyrannie avaient un but : faire tomber sur la France une chape d’effroi, pour que plus rien ne soit possible, si ce n’est la peur. Ils avaient un moyen : abolir le sentiment de fraternité, pour que, désormais, nous ne voyions aujourd’hui dans l’autre qu’un objet de méfiance, et demain un objet de haine. Ils ont voulu abolir la France des Lumières, cette France dont nous sommes les représentants, les héritiers, les garants.

La France de Charlie Hebdo, c’est la France de l’écriture et de la démesure, c’est la France des poètes, des pamphlétaires et des philosophes, c’est la France de l’irrévérence et de la fulgurance. En un mot, c’est la France.

Et puis, il y eut l’attentat antisémite, barbarie sans nom, sauvagerie ultime, qu’aucun mot ne peut qualifier.

En tout, ils étaient dix-sept. Dix-sept êtres humains que l’ignorance et l’obscurantisme n’ont pas laissé vivre. Dix-sept concitoyens que nous n’oublierons jamais.

J’exprime toute la solidarité et la compassion de l’Assemblée nationale aux familles des victimes de ces assassinats.

Avant-hier, dans les rues des villes et des villages de France, coeur gros et tête haute, notre peuple a montré aux barbares du monde entier que la République demeurait debout.

Debout, unie et reconnaissante, notamment à l’égard de la police de la République, dont les membres ont payé un lourd tribut à leur vocation de placer notre sécurité au-dessus de leur propre vie. Je veux, en votre nom à tous, dire à nos forces de l’ordre la fierté et la gratitude de la représentation nationale.

Le monde entier a pu voir la détermination d’un peuple qui a toujours traversé les épreuves de son histoire par sa capacité à se transcender, à dépasser toutes ses singularités pour se penser indivisible.

Et si la plus grande des gloires de la France était justement celle-là ? Que nous tous, ici, nous avons une famille, un pays de naissance, une rue de naissance, un coteau familier, une colline, un quartier qui nous définissent… Mais qu’à l’articulation de ces singularités naît cette identité supérieure à toute autre qu’on appelle la citoyenneté, cette identité qui permet que toutes les différences les plus belles ne soient pas des dissonances mais, au contraire, qu’elles deviennent les consonances les plus justes.

Et maintenant ?

Avant-hier, dans les rues de France, par la force de ces vagues déferlantes, comme par instinct de survie, l’esprit public s’est rallumé. Ce désir de résistance, c’est aussi une renaissance.Ces manifestations magnifiques d’unité nous confient à présent une responsabilité devant notre histoire. Elles devront aboutir, dans les jours, les semaines, les mois qui viennent, à des choix forts.

Unité de la nation et autorité républicaine, tel doit être notre équilibre vertueux.

L’unité nationale. En 2015, et pour longtemps encore, pourvu que nous sachions vivre ensemble ! Pas simplement cohabiter : vivre ensemble, c’est-à-dire faire société commune, ne pas se regarder en chiens de faïence, faire primer l’intérêt général sur les intérêts individuels et le droit sur la force, s’inscrire dans une aventure collective, une équipée patriotique.

Un patriotisme ouvert, éclairé, confiant. Un patriotisme qui se réapproprie son hymne et son drapeau au nom de la défense des valeurs et des instruments de la République.

Unité de la Nation, donc, et autorité républicaine.

Nous sommes bel et bien en guerre contre le terrorisme et la barbarie. Faire vivre et grandir nos valeurs, cela réclame des mots, mais aussi des actes.

Nul angélisme ni excuse sociologique devant les pousse-au-crime et les professionnels de la mort, aguerris ou apprentis. Et nulle complaisance à l’égard de ceux qui tenteront tous les raccourcis, tous les amalgames.

Le Président de la République et votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, souhaitent prendre des dispositions.

Que nos compatriotes sachent que cette assemblée saura prendre ses responsabilités au service de la sécurité de tous nos ressortissants, en tout point du territoire national et en dehors de nos frontières.

Elle entend démontrer à nos concitoyens que l’image d’unité populaire du 11 janvier n’est pas « pour solde de tout compte ».

L’unité nationale est le bouclier qui protège notre société de la division. L’État républicain sera le glaive levé contre ceux qui défient ce que nous sommes et ce que nous entendons perpétuer : cet art de France du vivre ensemble.

Et cela vaut aussi en Europe où notre pays se doit de porter l’étendard de la lutte pour la Liberté.

Nous, filles et fils de France, grand pays patiné par l’Histoire,

Nous voyons d’où nous venons…

Nous sentons qui nous sommes…

Plus encore depuis le 11 janvier, La Marseillaise aux lèvres, nous savons ce que nous voulons…

Vivre…

Vivre libres…

Vivre égaux…

Vivre ensemble, en fraternité…

Chérir quelques principes, au premier rang desquels la

laïcité. Elle ne saurait être négociable.

Ces valeurs, celles de la République, nous rappellent chaque jour qu’il n’est pas de plus grande fierté que celle d’être citoyens français et de plus grande mission que d’être ses serviteurs.

Mes chers collègues, je vous invite à présent, à la mémoire des dix-sept victimes de la barbarie, à observer une minute de silence.

Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence. – Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement chantent La Marseillaise.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

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Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues,

il y a six jours, on a voulu toucher la France en plein coeur. Il y a six jours, on a voulu semer la discorde et la terreur.

Dix-sept de nos compatriotes ont été assassinés, vous les avez nommés, monsieur le président de l’Assemblée nationale. Ils sont nos frères, ils sont nos héros. Je veux également avoir une pensée pour ceux qui lors de cette tragédie ont été blessés. Je veux leur dire que nous pensons à eux en cet instant.

Après ces journées sanglantes, après le sursaut républicain, laïc et citoyen, que le peuple de France a su manifester dans la gravité et la fraternité, s’attirant la solidarité et la participation de très nombreuses nations à travers le monde, le temps est désormais celui de l’hommage de la Nation tout entière.

Commence également le temps du Parlement, qui est celui de la réflexion, de la décision et de l’action.

Les Français, le week-end dernier, nous ont dit leur attachement viscéral et indestructible à la République et aux valeurs qui la fondent, au premier rang desquelles la liberté et la laïcité, sans céder à la tentation de la panique, de la peur, du repli !

Quelle leçon ! Quelle fierté ! Ils nous ont dit « je suis Charlie, je suis policier, je suis juif », témoignant de l’unité de la Nation face à chacun des siens. Ils nous ont dit leur fierté d’être Français avant toute chose.

Ils savent que le monde est instable, que la menace est toujours présente, protéiforme, que la vigilance s’impose. Ils attendent de nous que nous préservions les valeurs qui sont notre bien commun, en luttant plus efficacement encore contre ces terroristes, qui ont frappé si durement au coeur même de notre pays, dans sa capitale.

Ils attendent que nous le fassions ensemble, nous tous sur ces bancs, conscients chacun individuellement, je n’en doute pas, de notre responsabilité historique.

Mes chers collègues, travaillons ensemble – les événements le commandent – pour rendre toujours plus efficaces nos dispositifs de lutte contre cette internationale du crime sous prétexte religieux, sans a priori, mais sans rien sacrifier de nos libertés.

Travaillons ensemble pour accompagner nos forces, engagées, hors de nos frontières pour lutter contre les foyers djihadistes qui menacent le monde, au premier rang duquel les peuples musulmans eux-mêmes.

Mais aussi, travaillons ensemble pour que notre société ne fabrique pas en son sein ces « égarés de la République », qui cèdent à la haine et à la pulsion de mort, à la barbarie et à l’antisémitisme.

Travaillons ensemble pour que l’école soit pour chaque enfant le lieu par excellence de la transmission des valeurs de la République et pour accompagner les maîtres dans l’exercice de leur métier.

Travaillons ensemble pour redonner toujours à la laïcité la dimension protectrice qui est la sienne et en montrer l’absolue nécessité pour le respect de chacun.

Travaillons ensemble pour condamner tous les amalgames et donner force à la communauté nationale, qui fait toute leur place aux juifs de France, aux musulmans de France, aux catholiques de France, aux athées de France, mais qui refuse tout communautarisme.

Et puis, travaillons ensemble pour prendre appui sur ce véritable élan populaire, cet esprit du 11 janvier qui restera inscrit dans les consciences, pour précisément redonner du sens à la République et aux valeurs qui la fondent et rappeler qu’il n’y a qu’une loi en France : celle votée par les représentants du peuple, et qu’elle vaut partout. Personne ne peut s’en exonérer – aucun petit voyou, aucun esprit malade, aucun prédicateur de mort qui placerait je ne sais quelle parole ou quelle loi au-dessus de nos lois.

Et, ensemble, n’oublions pas que, toujours, les ferments de la division et de l’exclusion qui travaillent notre société sont là, prêts à prendre, quand ce n’est pas déjà fait, les coeurs et les esprits. Il y a une pédagogie de la République à réinventer pour que chacun porte nos valeurs communes.

Mes chers collègues, travaillons ensemble avec détermination. Ce travail, conduisons-le dans la clarté et dans la responsabilité – en tant que majorité nous exercerons la nôtre –, mais sans confusion, sans surenchère, sans posture, sans réflexe grégaire.

Monsieur le Premier ministre, vous nous trouverez présents pour renforcer toujours ce qui permet de prévenir et de mieux renseigner. Vous nous trouverez toujours présents pour soutenir l’action de nos forces dans le monde pour protéger la démocratie et la liberté. Nous avons tous au coeur et à l’esprit le bien commun et la sécurité de la Nation pour que vivent les valeurs qui fondent notre République et pour que la mémoire des dix-sept victimes de ces premiers jours de janvier 2015 soit pleinement et pour longtemps honorée.

Hommage leur soit rendu ! Au nom de mon groupe, je veux dire notre compassion, notre solidarité avec les familles et notre détermination à agir.

Applaudissements sur tous les bancs.

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La parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

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Dix-sept de nos compatriotes sont tombés sous les balles tirées par des terroristes qui ont perdu la raison humaine. La France pleure des journalistes et des dessinateurs qui avaient la liberté d’expression chevillée au corps. La France pleure des policiers qui ont été au bout de leur devoir. La France pleure des compatriotes juifs assassinés parce que, justement, ils étaient juifs.

Des barbares ont agi au nom d’une religion, l’islam, dont ils ont dévoyé le sens profond. Nous savons que c’est une douleur pour l’immense majorité de nos compatriotes musulmans.

Notre pays a souffert au plus profond de lui-même. Mais dimanche, la France, la République, les Français et le monde libre ont riposté, car ce qui est en jeu fondamentalement, c’est la guerre que des fanatiques nous ont déclarée. Ce qui est en jeu, ce sont les valeurs humanistes de la Révolution française que la France a offertes au monde en 1789. C’est la défense d’une civilisation, d’un héritage culturel et politique qui transcende toutes nos croyances, toutes nos convictions, toutes nos appartenances.

N’ayons pas peur de dire cette vérité aux Français ! N’ayons pas peur de dire que cet ennemi exècre notre héritage judéo-chrétie, qu’il exècre l’héritage de la Révolution française. En un mot, il veut la mort de la civilisation occidentale.

La tragédie de la semaine dernière était en germe dans les conflits où la France est engagée, en guerre – au Mali, en Irak. Notre pays doit poursuivre ces engagements car la barbarie à l’oeuvre est la même ici et là-bas. En massacrant des Kurdes, en violant et en traitant comme du bétail des milliers de femmes yézidies, en exterminant les chrétiens d’Orient, notre ennemi nous a signifié ce dont il était capable.

Les Français ont ouvert les yeux sur la réalité de cette barbarie et, dimanche, ils ont adressé un message à toute la classe politique – à vous, monsieur le Premier ministre, car vous dirigez le gouvernement de la France, mais à nous aussi, députés de la nation, car nous faisons la loi et nous contrôlons l’action des pouvoirs publics et du Gouvernement.

Il y a eu des failles, vous l’avez dit vous-même, monsieur le Premier ministre, et nous devons la vérité aux Français. Ils ne comprendraient pas que l’Assemblée nationale tergiverse et refuse la création d’une commission d’enquête dotée de tous les pouvoirs d’investigation.

À circonstances exceptionnelles, il faut aussi une loi exceptionnelle. Nous devons la voter sans trembler. Pour que les choses soient claires : si nous devions, pour un moment, restreindre les libertés publiques et la liberté individuelle de quelques-uns, il faudra le faire, en condamnant durement les personnes qui consultent de manière habituelle des sites internet qui font l’apologie du terrorisme, en censurant des sites et des chaînes de télévision qui véhiculent la haine, en autorisant nos services à arrêter des terroristes en puissance dès lors qu’on les soupçonne de préparer une action.

Reste la question fondamentale que se posent les Français : que faisons-nous pour neutraliser les milliers de Français partis faire le djihad, si par malheur ils reviennent ?

La solution, et la seule, c’est le placement en centres spéciaux de détention ou en prison – en un mot, l’enfermement des fous dangereux pour garantir la sécurité des Français.

S’ils sont binationaux, il faut prononcer la déchéance de nationalité. Quand on porte les armes contre la France, contre ses soldats, contre ses policiers, contre ses gendarmes, on ne mérite pas d’être Français. Cette loi, nous l’avons proposée en décembre. Il est grand temps que nous la votions ensemble.

Il est grand temps aussi que l’Europe prenne toutes ses responsabilités. La France a été touchée au coeur par la solidarité européenne qui s’est exprimée dimanche. Nos soldats, au Sahel et au Moyen-Orient, défendent les libertés de tous les Européens. Si l’on considère que c’est le sens de l’engagement français, alors le fardeau budgétaire doit être partagé.

La grande loi de sécurité nationale impose enfin un collectif budgétaire. Il n’y aura pas de guerre victorieuse sans effort de guerre, pour l’armée d’abord – vous ne ferez pas l’économie d’une révision de la loi de programmation militaire –, pour les services de renseignement, qui ont besoin de beaucoup plus de moyens, notamment en matière d’écoute et de géolocalisation ; pour la police et la gendarmerie, qui voient des islamistes qui se sont radicalisés en prison en sortir grâce à des aménagements de peine : voilà une faille béante !

Enfin, il y a l’école de la République. Si l’on accepte que des écoliers, des collégiens et des lycéens refusent une minute de silence à nos morts, alors on a déjà perdu ! Il faut abandonner la culture de l’excuse et sanctionner de telles dérives, en laissant les enseignants redevenir les hussards de la République, intraitables dans la défense de la laïcité et des valeurs républicaines.

« Bravo ! » et applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.

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Monsieur le Premier ministre, vous savez, comme nous, que ce combat durera de longues années. Il ne faut pas perdre une minute : il faut armer le pays pour ce combat. Nous sommes prêts et nous serons à vos côtés si vous décidez d’agir.

Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI et sur plusieurs bancs des groupes SRC et RRDP.

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La parole est à M. Philippe Vigier, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

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Jean, Stéphane, Bernard, Philippe, Georges, « Oncle Bernard », Mustapha, Elsa, Michel, Frédéric, Ahmed, Franck, Clarissa, Yoav, Philippe, Yohan, François-Michel : ils sont morts parce qu’ils incarnaient la République et ses valeurs.

La France est meurtrie dans sa chair. Nous sommes tous, chrétiens, juifs, musulmans, athées, meurtris dans notre chair. Les trente députés du groupe UDI partagent l’émotion qui traverse le peuple de France. À titre personnel, je veux vous faire partager mon émotion face à l’horreur, que j’ai déjà vécue, jeune interne au Val-de-Grâce, lors de l’attentat de la rue de Rennes en 1985.

La France vient de connaître les heures parmi les plus sombres de son histoire, avec des attentats d’une barbarie inouïe qui visaient à détruire ce qui nous rassemble.

Ces terroristes ont lâchement tué les journalistes de Charlie Hebdo car ils étaient des combattants de la liberté d’expression, qui n’acceptaient pas d’être muselés.

Ces terroristes ont abattu de manière ignoble ces policiers qui se mettaient en travers de leur chemin et qui incarnaient l’autorité de l’État.

Ces terroristes ont assassiné des Français parce qu’ils étaient juifs, espérant ainsi ébranler notre République, qui est une et indivisible.

Ils ont ainsi déclaré la guerre au lien qui nous unit au-delà de nos différences d’origine, de milieu social, de croyances ou d’opinions politiques.

Ils pensaient nous diviser, nous les héritiers de Voltaire et des Lumières ; ils nous ont rassemblés. Ils ont été traqués et châtiés par les forces de l’ordre, qui ont accompli un travail exemplaire. Ils ont réveillé la France éternelle et fraternelle, celle des millions de Françaises et de Français qui se sont levés pour dire « Nous continuerons à vivre libres ! », celle de Lassana Bathily, ce jeune Français de confession musulmane qui, au péril de sa vie, a sauvé ses frères juifs lors de la prise d’otages de la porte de Vincennes.

Cette vague d’émotion a parcouru la France, l’Europe et le monde entier. Un à un, les peuples se sont levés car ils savent qu’à travers la France, ce sont les valeurs universelles qu’elle porte en étendard qui ont été touchées. Dimanche, à Paris, le monde entier s’est rassemblé dans un moment de fraternité universelle. Européens, Africains, Israéliens, Palestiniens : ils étaient tous là.

Dans cette guerre contre l’islam radical et son idéologie meurtrière, notre détermination doit être à la hauteur de la radicalité de notre ennemi.

Lorsque la République est attaquée, la réponse ne peut être que « plus de République », pour que vive le sursaut fraternel du 11 janvier 2015, et « plus d’Europe » pour combattre ensemble le défi terroriste qui menace les peuples. Il n’y aurait pire réflexe que le repli sur soi, l’amalgame, l’engrenage et l’intolérance.

Cette haine qui grandit au sein de notre République est le fruit de l’intégrisme, du rejet de la différence, de l’exclusion, de la misère et, parfois, de certaines désespérances qui peuvent nourrir la tentation du fanatisme. Elle peut grandir dans nos quartiers, dans nos villages, dans nos écoles, dans nos prisons, lorsque la République abandonne et que la laïcité cède devant les communautarismes. C’est pourquoi notre école doit être au coeur du vivre ensemble.

La République doit être implacable face à ses ennemis, qu’ils agissent sur son sol ou qu’ils se trouvent à des milliers de kilomètres.

Vous avez évoqué des failles, monsieur le Premier ministre. Nous devrons nous poser toutes les questions et y apporter toutes les réponses, sans angélisme ni querelles politiciennes dans ce moment d’unité.

Nous devrons faire le choix politique de donner plus de moyens techniques et financiers à notre sécurité intérieure et à nos armées, être impitoyables face à ceux qui répandent la haine sur les réseaux sociaux, poser la question du retour en France de ceux qui sont partis faire le djihad, améliorer l’accès et le partage des informations nécessaires pour neutraliser et démanteler ces réseaux car ces attentats ne sont pas le fait d’actes isolés, lutter contre la radicalisation dans le milieu carcéral et repenser les réponses judiciaires.

Enfin, s’il est indispensable de renforcer les outils pour tarir les financements de ces organisations terroristes, nous sommes également persuadés qu’il est absolument vital de favoriser les grands projets de développement pour permettre au progrès économique, social et écologique d’irriguer les parties du monde dans lesquelles le fondamentalisme peut prospérer sur la misère.

La réponse, monsieur le Premier ministre, doit être française ; elle doit être européenne ; elle doit être mondiale.

Monsieur le Premier ministre, nous tenons à saluer l’attitude du Président de la République, votre attitude, celle du ministre de l’intérieur et de l’ensemble du Gouvernement face à ces attentats.

Applaudissements sur tous les bancs.

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Dans cette guerre où les enjeux souvent insoupçonnables s’entremêlent, nous sommes et serons à vos côtés, au service de l’intérêt supérieur de la Nation pour apporter une réponse à la hauteur de la menace qui pèse sur la France, patrie des Droits de l’Homme.

Applaudissements sur tous les bancs.

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La parole est à Mme Barbara Pompili, pour le groupe écologiste.

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Les terroristes n’ont pas choisi de frapper au hasard. Ils ont décimé une rédaction : la rédaction d’un journal symbole de la liberté d’expression et d’impertinence, un journal symbole du droit à l’outrance. Parce que l’outrance est une forme d’humour.

Un journal, enfin, adepte d’un anticléricalisme militant, qu’il ne faut pas confondre avec l’insulte aux religions, mais bien ramener à ce qu’il est : le refus de toute tentative d’imposer, par un clergé, par des clergés, quels qu’ils soient, des règles sociales autres que celles décidées démocratiquement.

Ils ont aussi froidement abattu des représentants des forces de l’ordre, des représentants d’un État laïc, dont ils refusent les règles.

Ils ont enfin tué des juifs, parce qu’ils étaient juifs.

Leurs victimes étaient la France, son identité : la liberté de création, la laïcité, l’ordre fondé sur la loi des hommes et notre capacité séculaire à voir des croyances différentes cohabiter en une seule et même nation. Une nation diverse. Une nation composée, non de communautés juxtaposées, dotées de règles spécifiques, mais de citoyens : des citoyens libres de respecter les préceptes de leur choix, mais des citoyens respectueux, mutuellement, des convictions et de la liberté d’autrui.

Ces citoyens ont marché ce week-end, innombrables, indénombrables. Rarement un silence aura eu une signification aussi claire. Ce silence nous disait : « Nous sommes la France. »

Cette clameur muette a été partagée bien au-delà de notre territoire, par la présence de chefs d’États à Paris – y compris par la présence apparemment incongrue de responsables politiques qui ne se distinguent pas par leurs pratiques démocratiques, mais dont nous pouvons nous réjouir qu’ils se soient considérés comme tenus de venir exprimer leur respect ; partagée aussi par les manifestations citoyennes et des messages bouleversants venus du monde entier.

C’est le même message qui nous est parvenu : « Soyez la France. »

Mes chers collègues, être la France, dans de telles circonstances, qu’est-ce que c’est ?

Être la France, c’est tenir bon. C’est tenir bon sur le principe de laïcité, c’est ne jamais – ne plus jamais – accepter qu’en République, puissent être invoquées des lois supérieures, baptisées divines ou de nature, qui viendraient s’imposer aux lois des hommes.

Être la France, c’est ne pas renoncer à voir la République tenir sa promesse d’égalité. Car les fascismes empruntent toujours le même lit des mêmes rivières : elles ont pour nom l’ignorance, la pauvreté, le chômage, le désespoir social et le sentiment d’injustice.

Rien n’excuse les pensées et les actes terroristes. Rien n’absout la haine, mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue que c’est en tarissant les sources des fascismes qu’on les combat le plus efficacement.

Le fascisme fait son nid dans toutes les idéologies, tous les courants de pensée, toutes les religions. C’est une idéologie politique qui prend l’apparence de la foi.

Être la France, c’est faire preuve de lucidité, regarder en face des situations que nous connaissons, sur lesquelles nous travaillons ici depuis des mois : la question de l’éducation et de l’absence de repères, la question de notre univers carcéral, qui constitue trop souvent une école du terrorisme, la question des nouveaux canaux d’expression et de diffusion de messages mortifères.

Être la France, c’est faire preuve d’humilité : le terrorisme auquel nous sommes confrontés n’est malheureusement pas un phénomène inédit. C’est même un terrorisme mondialisé, qui appelle des réponses globales, ce qui ne nous soustrait pas à nos responsabilités. D’autres pays ont eu à y faire face et ont adapté leurs législations. Sachons tirer les leçons de leurs expériences. Retenons de l’expérience américaine post-11 septembre que la restriction des libertés publiques ne s’est pas accompagnée d’un renforcement de la sécurité. À l’inverse, sachons nous inspirer de la réaction digne du Premier ministre norvégien qui, au lendemain d’un drame terrible, déclarait : « Nous ne devons pas renoncer à nos valeurs. Nous devons montrer que notre société ouverte peut faire face à cette épreuve. Que la meilleure réponse à la violence est encore plus de démocratie. Encore plus d’humanité. Mais jamais de naïveté. C’est quelque chose que nous devons aux victimes et à leurs familles. »

Être la France, enfin, c’est tenir un rang et des obligations au sein de la communauté internationale, dans le respect du droit international.

À la suite de cette séance, nous serons amenés à nous prononcer sur le prolongement de notre intervention en Irak : mon collègue François de Rugy exprimera le point de vue de notre groupe sur ce sujet.

Mes chers collègues, voici le message que je porte aujourd’hui, au nom de mes collègues écologistes : après le temps de l’hommage aux victimes, après le temps du recueillement commun, ouvrons le temps du diagnostic partagé. Sans arrières-pensées ni anathème. Et lorsque viendra le temps des décisions communes, gardons chevillé à l’esprit ce message, cette belle ambition qui marche : soyons dignes de la France, soyons la France et restons la France.

Applaudissements sur tous les bancs.

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La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

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Au nom de mon groupe, je m’incline avec émotion, avec respect, devant la mémoire des dix-sept victimes du fanatisme, tuées la semaine dernière.

Ils étaient journalistes, policiers ou clients d’une supérette casher. Tous exposés. Tous ciblés par la violence terroriste.

Des stylos et des crayons : c’étaient les seules armes des journalistes de Charlie Hebdo ; leurs seules armes, pacifiques, contre l’intégrisme et ses menaces de mort.

Puis, le 7 janvier, soudain, sur le papier à dessin, l’encre se tache de sang.

Charb, Cabu, Wolinski et leurs confrères étaient des sentinelles de la vérité. Avec Zola dans L’Aurore, avec Jaurès dans L’Humanité, la presse a souvent été en première ligne du combat pour la liberté. La liberté d’écrire, d’informer, d’échanger. « La libre communication des pensées et des opinions », selon les termes mêmes de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.

Le fanatisme peut toujours tuer. Il ne parviendra jamais à anéantir la liberté de la presse. D’autres journalistes prendront la relève et la parole à leur tour, pour dire leur conviction, leur vérité.

Contre l’intégrisme, le meilleur rempart, c’est évidemment la laïcité. Sans elle, la France pourrait devenir une République éclatée, une nation fragmentée en groupes distincts, fondés sur l’origine ou l’appartenance confessionnelle.

Le communautarisme sépare, retranche, fait perdre conscience d’un destin commun. Il est donc un risque majeur pour la démocratie.

La laïcité, quant à elle, celle des Radicaux comme Jean Zay, respecte toutes les croyances mais sépare religion et vie publique. Elle permet à tous de vivre ensemble par-delà leurs différences.

C’est ce que fait l’école de la République en accueillant sur les mêmes bancs tous les élèves, quelles que soient leur condition, leur conviction, leur confession, qu’ils s’appellent Jean, Yohann ou Rachid.

Les Français ont réagi avec infiniment d’esprit de fraternité en se mobilisant d’eux-mêmes, spontanément, pour dénoncer ces attentats. Une nation entière s’est dressée pour résister, pour refuser l’inacceptable. Elle l’a fait avec dignité, avec noblesse. Cet immense élan populaire montre la volonté de s’unir quand l’essentiel est enjeu.

Dans les circonstances présentes, le temps n’est plus aux divergences secondaires. Il est au rassemblement autour des grandes valeurs républicaines.

Les pouvoirs publics – et je tiens à leur rendre hommage – ont fait preuve d’une grande détermination, d’une action très résolue face à ces attentats. Mais, certes, le danger persiste.

D’où sans doute – sans qu’il s’agisse bien sûr de mesures d’exception – des décisions nécessaires à prendre : publier les décrets d’application de la récente loi sur le terrorisme de novembre 2014 ; renforcer les moyens matériels des forces de sécurité et du renseignement ; réformer les conditions carcérales des détenus les plus extrémistes ; empêcher la diffusion sur internet de messages faisant l’apologie des actes terroristes.

À l’opposé, une autre mesure, très différente, serait souhaitable : augmenter sensiblement les aides publiques à la presse écrite et spécialement à la presse d’opinion dont il faut évidemment considérer que Charlie Hebdo fait partie.

Mes chers collègues, la démocratie a une force considérable quand elle incarne une vaillance tranquille.

Ici même, en 1893, alors qu’une bombe venait d’être lancée dans l’hémicycle, le président de l’Assemblée, Charles Dupuy, avait déclaré : « Il est de la dignité de la Chambre et de la République que de pareils attentats ne troublent pas les législateurs… Messieurs, la séance continue. »

Aujourd’hui, une fois encore, en ce mois de janvier si particulier, si étrange, la démocratie continue.

Applaudissements sur tous les bancs.

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La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, mes chers collègues, monsieur le Premier ministre, dix-sept vies volées, celles de l’équipe et d’amis de Charlie Hebdo, celles de policiers, celles de concitoyens dont certains parce qu’ils étaient juifs – oui, parce qu’ils étaient juifs –, dix-sept visages, connus ou anonymes…

À travers le visage des victimes, c’est le visage de la France dans toute sa richesse et sa diversité, c’est la France qui a été agressée, c’est une partie d’elle-même qui a été assassinée par les barbares. C’est la République, ses valeurs, son histoire, sa lumière, sa laïcité qui viennent d’être frappées au coeur.

Dans un élan de fraternité d’une formidable puissance et d’une grande dignité, des millions de Français ont rendu hommage aux victimes et dit leur attachement à la liberté d’expression et de la presse.

Que notre pays est grand quand des millions de citoyens se retrouvent ainsi autour de valeurs partagées, quelles que soient leur situation sociale, leur couleur de peau, leur origine, leur religion !

C’est à cet élan d’espoir qu’il faut désormais donner force et durée contre tous les détournements prévisibles, alors que l’odeur de la guerre et du choc des civilisations, comme le poison de la division, se répandent déjà dangereusement.

Six jours après l’attaque contre l’équipe de Charlie Hebdo, nous continuons de penser, sans doute avec plus de force aujourd’hui encore, que le pays a besoin de refonder son avenir sur des choix politiques transformateurs et partagés, affrontant courageusement toutes les dominations, toutes les discriminations, toutes les inégalités.

Car, derrière ces crimes, c’est la communauté nationale dans son entier qui a été visée. Voilà pourquoi est monté ce cri : « Je suis Charlie ».

C’est pourquoi nous refusons tout amalgame, tout discours islamophobe qui tente de récupérer le drame national. Ce serait à la fois profondément injuste et dangereux. Les musulmans ne forment qu’une communauté, celle qu’ils forment avec nous, la communauté nationale

Applaudissements sur tous les bancs

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Eux aussi sont assassinés par les terroristes, eux aussi font vivre notre pays, sa police, son armée, ses écoles ou encore ses hôpitaux.

Notre peuple n’appelle pas à plus de stigmatisation, il appelle à plus d’union. Notre peuple souhaite légitimement voir sa sécurité garantie. Pour autant, il n’appelle pas à une réponse purement sécuritaire qui, in fine, mettrait en péril nos libertés, auxquelles il est tant attaché.

Un Patriot Act à la française n’est pas la solution. La solution réside, notamment, dans la détection et le suivi des individus dangereux, en particulier dans les prisons qui, on le sait, sont de véritables centres d’endoctrinement et de recrutement.

Aujourd’hui, mes chers collègues, la question fondamentale est sans doute celle-ci : vers quelle société, vers quel monde désormais avancer pour vivre demain, tous ensemble, ici, en France et partout ailleurs ? Quelle France voulons-nous ?

Les violences de la semaine dernière sont aussi le symptôme d’un système économique toujours plus inégalitaire, le symptôme d’un système social discriminant, le symptôme d’un système démocratique en ruine.

Un système qui livre aux idéologues fanatiques et criminels des relégués sociaux qui ont la faiblesse de croire qu’ils vont donner un sens à leur existence.

Pour garantir l’unité et la cohésion nationales, tous les leviers doivent être actionnés, de l’école au monde du travail, en passant par la culture et l’éducation populaire, pour que personne – je dis bien personne ! – ne soit abandonné sur le bord de la route.

Ces grands sujets de fond, beaucoup de ceux qui ont été lâchement assassinés n’hésitaient pas à les mettre sur la table : par un dessin, par quelques mots, par leur impertinence provocatrice, par leur intelligence, par leur soif de commun et d’humanité.

Nous ne pensons donc pas les trahir en exprimant ici, ce jour, devant la représentation nationale, notre souhait de voir changer la politique de notre pays et de l’Europe. N’est-il pas temps, comme le disait si bien Jean Ferrat, « que le malheur succombe » ?

Je voudrais finir en évoquant ma dernière rencontre, en décembre dernier, avec mon ami Charb. Il m’avait fait part des difficultés financières de Charlie Hebdo. Il m’avait demandé notre aide, et les députés du Front de gauche, de cette tribune, avaient relayé son inquiétude. Nous continuerons ce combat, pour sauver la presse libre et indépendante.

Pour conclure, je dirai à Charb, à Georges et à tous les autres, à toutes les victimes de ces jours de tragédie : ils ont voulu vous enterrer, ils ne savaient pas que vous étiez des graines.

Vifs applaudissements sur tous les bancs.

Vifs applaudissements sur tous les bancs. – Les députés des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP se lèvent.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Monsieur le président, mesdames et messieurs les ministres, madame et messieurs les présidents de groupe, mesdames et messieurs les députés, le président de l’Assemblée nationale, comme tous les orateurs, l’a dit avec force et sobriété : en trois jours, dix-sept vies ont été emportées par la barbarie.

Les terroristes ont tué, assassiné des journalistes, des policiers, des Français juifs, des salariés. Les terroristes ont tué des personnes connues ou anonymes, diverses par leurs origines, leurs opinions et leurs croyances. Et c’est toute la communauté nationale que l’on a touchée. Oui, c’est la France que l’on a touchée au coeur.

Ces dix-sept vies étaient autant de visages de la France, et autant de symboles : de la liberté d’expression, de la vitalité de notre démocratie, de l’ordre républicain, de nos institutions, de la tolérance, de la laïcité.

Nous avons reçu des marques de soutien et de solidarité du monde entier : de la presse, des citoyens qui ont manifesté dans de nombreuses capitales, des chefs d’État et de gouvernement. Tous ces soutiens ne s’y sont pas trompés : c’est bien l’esprit de la France, sa lumière, son message universel que l’on a voulu abattre. Mais la France est debout. Elle est là, elle est toujours présente.

À la suite des obsèques de ce matin, à Jérusalem, de la cérémonie éprouvante, belle, patriotique qui a eu lieu à la préfecture de police de Paris en présence du chef de l’État, et à quelques jours des obsèques de chacune des victimes, dans l’intimité familiale, je veux, comme chacun d’entre vous, rendre à nouveau l’hommage de la nation à toutes les victimes. Et la Marseillaise, qui a éclaté tout à l’heure dans cet hémicycle, était aussi une magnifique réponse, un magnifique message. Aux blessés, aux familles qui sont dans une peine immense, inconsolables, à leurs proches, à leurs collègues, à leurs confrères, je veux dire à mon tour, une nouvelle fois, notre compassion et notre soutien.

Le Président de la République l’a dit ce matin avec des mots forts, personnels : la France se tient et se tiendra à leurs côtés. Dans l’épreuve, vous l’avez rappelé, notre peuple s’est rassemblé dès mercredi. Il a marché partout, dans la dignité, la fraternité, pour crier son attachement à la liberté et pour dire un non implacable au terrorisme, à l’intolérance, à l’antisémitisme, au racisme et aussi, au fond, à toute forme de résignation et d’indifférence.

Ces rassemblements – vous l’avez souligné, monsieur le président – sont la plus belle des réponses. Dimanche, avec Président de la République, avec les anciens premiers ministres, avec les responsables politiques et les forces vives de ce pays, avec le peuple français, nous avons dit – et avec quelle force ! – notre unité. Et Paris était la capitale universelle de la liberté et de la tolérance. Le peuple français, une fois encore, a été à la hauteur de son histoire.

Mais c’est aussi, à nous tous sur ces bancs, un message de très grande responsabilité qui a été adressé : être à la hauteur de la situation est une exigence immense. Nous devons aux Français d’être vigilants quant aux mots que nous employons et à l’image que nous donnons. Bien sûr, la démocratie, que l’on a voulu abattre, ce sont les débats et les confrontations : ils sont nécessaires, indispensables, à sa vitalité, et ils reprendront, c’est normal. Loin de moi l’idée de poser, après ces événements, la moindre chape de plomb sur notre débat démocratique – et vous ne le permettriez pas, de toute façon.

Mais nous devons être capables, collectivement, de garder les yeux rivés sur l’intérêt général et de nous montrer à la hauteur dans une situation déjà difficile : sur le plan économique ; car notre pays est aussi fracturé depuis longtemps ; parce qu’il y a eu des événements graves – nous les oublions aujourd’hui – qui ont frappé les esprits à la fin de l’année à Joué-lès-Tours, à Dijon et à Nantes, même s’ils n’avaient pas de lien entre eux. Nous devons être à la hauteur de l’attente, de l’exigence, du message des Français.

Je veux, mesdames et messieurs les députés, en notre nom à tous, saluer – et le mot est faible – le très grand professionnalisme, l’abnégation, la bravoure, de toutes nos forces de l’ordre : policiers, gendarmes, unités d’élite.

Tous les députés, ainsi que les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent longuement.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

En trois jours, les forces de sécurité, souvent au péril de leur vie, ont mené un travail remarquable d’investigation sous l’autorité du parquet antiterroriste, traquant les individus recherchés, travaillant sur les filières, interrogeant les entourages afin de mettre hors d’état de nuire le plus vite possible ces trois terroristes.

Monsieur le ministre de l’intérieur, cher Bernard Cazeneuve, je veux vous remercier aussi.

Vifs applaudissements sur tous les bancs – les députés des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP se lèvent.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Vous avez non seulement trouvé les mots justes, mais comme j’ai pu le voir à chaque heure, vous étiez concentré sur cet objectif. Autour du Président de la République, également avec vous, madame la garde des sceaux,

Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP – murmures sur les bancs du groupe UMP

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

nous avons été pleinement mobilisés pour faire face à ces moments si difficiles pour la patrie et pour prendre les décisions graves qui s’imposaient.

Mesdames et messieurs les députés, à aucun moment nous ne devons baisser la garde. Je veux dire avec gravité à la représentation nationale, et à travers elle à nos concitoyens, que non seulement la menace globale est toujours présente, mais que des risques sérieux et très élevés demeurent, liés aux actes de la semaine dernière : risques liés à d’éventuels complices, ou encore émanant de réseaux de donneurs d’ordre du terrorisme international ou de cyberattaques. Les menaces proférées à l’encontre de la France en sont malheureusement la preuve. Je vous dois cette vérité, et nous la devons aux Français.

Debut de section - Permalien
Plusieurs députés du groupe UMP

Très bien !

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Pour y faire face partout sur le territoire, des militaires, des gendarmes, des policiers sont mobilisés. Les renforts de soldats affectés – en tout près de 10 000, c’est sans précédent et j’en remercie M. le ministre de la défense (Applaudissements sur de nombreux bancs) – permettent un niveau d’engagement massif. Plus de 122 000 personnes assurent la protection permanente des points sensibles et de l’espace public. Les renforts militaires serviront et servent en priorité à la protection des écoles confessionnelles juives, des synagogues et des mosquées.

Madame et messieurs les présidents, après le temps de l’émotion et du recueillement – il n’est pas terminé – vient le temps de la lucidité et de l’action. Sommes-nous en guerre ? La question a en réalité peu d’importance, car les terroristes djihadistes, en nous frappant trois jours consécutifs, y ont apporté une nouvelle fois la plus cruelle des réponses.

Il faut toujours dire les choses clairement : oui, la France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme, et l’islamisme radical.

Applaudissements sur de très nombreux bancs.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

La France n’est pas en guerre contre une religion, la France n’est pas en guerre contre l’islam et les Musulmans.

Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP et de nombreux bancs des groupes UDI et UMP.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Comme l’a rappelé le Président de la République ce matin, la France protégera, comme elle l’a toujours fait, tous ses concitoyens ; ceux qui croient comme ceux qui ne croient pas. Avec détermination et sang-froid, la République va apporter la plus forte des réponses au terrorisme : la fermeté implacable dans le respect de ce que nous sommes, un État de droit.

Le Gouvernement vient devant vous avec la volonté d’écouter et d’examiner toutes les réponses possibles : techniques, réglementaires, législatives et budgétaires – monsieur le président Jacob. À une situation exceptionnelle doivent répondre des mesures exceptionnelles.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Mais je le dis aussi avec la même force : jamais des mesures d’exception qui dérogeraient aux principes du droit et à nos valeurs.

Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

La meilleure des réponses au terrorisme, qui veut précisément briser ce que nous sommes, c’est-à-dire une grande démocratie, c’est le droit, c’est la démocratie, c’est la liberté et c’est le peuple français.

Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP et de nombreux bancs des groupes UDI et UMP.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

À cette menace terroriste, la République apporte et apportera des réponses sur son sol national. Elle en apportera aussi là où les groupes terroristes s’organisent pour nous attaquer, pour menacer nos intérêts comme nos concitoyens.

C’est la raison pour laquelle le Président de la République a décidé d’engager nos forces au Mali, un 11 janvier, le 11 janvier 2013, le jour où tombait notre premier soldat dans ce conflit, Damien Boiteux. Et la même nuit, monsieur le ministre de la défense, trois membres de nos services tombaient en Somalie. Le Président de la République a pris une telle décision pour venir en aide à un pays ami, menacé de désintégration par des groupes terroristes, le Mali, pays musulman.

Le Président de la République a décidé de renforcer notre présence aux côtés de nos alliés africains avec l’opération Barkhane. C’est un gros effort qu’assume la France, au nom, notamment, de l’Europe et de ses intérêts stratégiques, un effort coûteux : la solidarité de l’Europe doit être dans la rue, elle doit être aussi dans les budgets à nos côtés.

Applaudissements sur tous les bancs.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

C’est un effort impérieux.

Quelle belle image, en effet, donnaient dimanche dernier, coude à coude, des chefs d’État, des chefs de gouvernement, le Président de la République et le Président malien, Ibrahim Boubacar Keïta. C’était la meilleure des réponses pour dire que nous menons non pas une guerre de religion mais un combat pour la tolérance, la laïcité, la démocratie, la liberté et les États souverains, ceux que les peuples doivent se choisir.

Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Oui, nous nous battons ensemble, et nous continuerons de nous battre sans relâche.

C’est cette même volonté, curieuse concordance liée au calendrier, que vous exprimerez tout à l’heure en votant le prolongement de l’engagement de nos forces en Irak. C’est également notre riposte, claire et ferme – je m’exprimerai ici même dans un instant, le ministre des affaires étrangères le fera au Sénat – contre le terrorisme, et nous devons avoir pour nos soldats engagés sur les théâtres d’opérations extérieures à des milliers de kilomètres d’ici un profond respect et une grande gratitude.

Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC, RRDP, UMP et UDI.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

La menace est aussi intérieure, je l’ai souvent rappelé à cette tribune, et, face à la tragédie qui vient de se dérouler, s’interroger est toujours légitime et nécessaire. Nous devons apporter des réponses aux victimes, à leurs familles, aux parlementaires, aux Français. Il faut le faire avec détermination, sérénité, sans jamais céder à la précipitation, et je ferai mienne la formule du président Le Roux : il n’y a pas de leçon à donner, il n’y a que des leçons à tirer.

Le Parlement a déjà voté deux lois antiterroristes, la dernière il y a quelques semaines encore, à une très large majorité. Les décrets d’application sont en cours de publication.

Le Parlement s’est déjà saisi des questions relatives aux filières djihadistes. Ici même, à l’Assemblée nationale, le 3 décembre dernier, vous avez créé une commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes. Le président, M. Éric Ciotti, travaille étroitement avec le rapporteur, M. Patrick Mennucci. Au Sénat, depuis le mois d’octobre, il existe une commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe. Plusieurs membres du Gouvernement ont déjà été auditionnés. Les travaux doivent se poursuivre et je sais que le ministre de l’intérieur y est particulièrement attentif. Il a d’ailleurs déjà rencontré hier les groupes et les parlementaires qui travaillent sur ces questions.

Monsieur le président de l’Assemblée nationale, madame, messieurs les présidents de groupe, le Gouvernement est à la disposition du Parlement, sur tous ces sujets ou sur d’autres que nous avons déjà examinés, et je pense à la question épineuse, particulièrement complexe, mais qu’il faut traiter encore avec plus de détermination, celle des trafics d’armes dans nos quartiers.

Tirer des leçons, c’est d’abord prendre conscience que la situation change en permanence et que les services en charge du renseignement intérieur et la juridiction antiterroriste doivent être régulièrement renforcés.

Je tiens à saluer le travail de nos services de renseignement, DGSI, DGSE, services du renseignement territorial,

Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP, UMP et UDI

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

et la justice antiterroriste. La tâche de ces femmes, de ces hommes est par essence discrète et immensément délicate. Ils font face à un défi sans précédent, à un phénomène protéiforme, mouvant, qui se dissimule aussi, et, parce qu’ils savent travailler ensemble, ils obtiennent des résultats. À cinq reprises en deux ans, ils ont permis de neutraliser des groupes terroristes susceptibles de passer à l’acte. En France, comme dans l’ensemble des pays européens, le nombre de personnes qui se reconnaissent dans le djihadisme international a fortement augmenté en 2014. Dès l’examen de la loi antiterroriste en décembre 2012, j’ai dit qu’il y avait en France des dizaines de Merah potentiels. Le temps a confirmé dramatiquement et implacablement ce diagnostic.

Sans renforcement très significatif des moyens humains et matériels, les services de renseignement intérieur pourraient se trouver débordés. On dépasse désormais 1 250 individus pour les seules filières irako-syriennes, et il ne faut jamais négliger les autres théâtres d’opérations, les autres menaces, celles des autres groupes terroristes au Sahel, au Yémen, dans la corne de l’Afrique et dans la zone afghano-pakistanaise. Nous affecterons donc les moyens nécessaires pour tenir compte de cette nouvelle donne. En matière de sécurité, les moyens humains sont en effet essentiels. Nous en avons tenu compte depuis 2012.

En 2013, sur la base des enseignements des tueries de Montauban et de Toulouse, et des propositions formulées par la mission Urvoas - Verchère, une profonde réforme de nos services de renseignement a été accomplie avec la transformation de la Direction centrale du renseignement intérieur en Direction générale de la sécurité intérieure. La création de 432 emplois au sein de la DGSI a été programmée, afin de renforcer les compétences et de diversifier les recrutements – informaticiens, analystes, chercheurs ou interprètes. A ce jour, 130 postes sont déjà pourvus.

Nous avons aussi amélioré la coopération entre nos services intérieurs et extérieurs, et renforcé – même s’il faut encore faire davantage – nos échanges avec les services étrangers, à la suite de l’initiative que j’ai prise, il y a deux ans, avec les ministres européens, notamment avec la ministre belge, Joëlle Milquet, dont le pays est également confronté à ces problèmes. Cette initiative a été prolongée par Bernard Cazeneuve avec la réunion, place Beauvau, de nombreux ministres de l’intérieur.

Mais il faut aller plus loin. J’ai ainsi demandé au ministre de l’intérieur de m’adresser, dans les huit jours, des propositions de renforcement. Elles devront notamment concerner internet et les réseaux sociaux, qui sont plus que jamais utilisés pour l’embrigadement, la mise en contact et l’acquisition de techniques permettant de passer à l’acte.

Applaudissements sur de nombreux bancs.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Nous sommes aussi l’une des dernières démocraties occidentales à ne pas disposer d’un cadre légal et cohérent pour l’action des services de renseignement, ce qui pose un double problème. À ce titre, un travail important a été fourni par la mission d’information sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, présidée par Jean-Jacques Urvoas en 2013.

Un prochain projet de loi, quasiment prêt, visera à donner aux services tous les moyens juridiques pour accomplir leurs missions, tout en respectant les grands principes républicains de protection des libertés publiques et individuelles. Ce texte de loi, qui sera sans aucun doute enrichi par vos travaux, doit être – c’est ma conviction – adopté le plus rapidement possible.

Au cours de l’année, nous lancerons également la surveillance des déplacements aériens des personnes suspectes d’activités criminelles.

« Enfin ! » sur quelques bancs du groupe UMP.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

C’est le système de l’utilisation des données des dossiers passagers – PNR. La plateforme de contrôle française sera opérationnelle dès septembre 2015.

Il reste à mettre en place un dispositif similaire au niveau européen. J’appelle, de manière solennelle, dans cette enceinte, le Parlement européen à prendre, enfin, toute la mesure de ces enjeux et à adopter ce dispositif, comme nous le demandons depuis deux ans, avec l’ensemble des gouvernements, car il est indispensable. Nous ne pouvons plus perdre de temps !

Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, UMP, écologiste, RRDP, UDI et sur certains bancs du groupe GDR. « Très bien ! » sur quelques bancs du groupe UMP.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Mesdames et messieurs les députés, les phénomènes de radicalisation sont présents sur l’ensemble du territoire. Il faut donc agir partout. Le plan d’action adopté en avril dernier a permis de renouveler l’approche administrative et préventive.

La plateforme de signalement est particulièrement sollicitée par les familles. Elle a permis d’éviter de nombreux départs. Les préfets, en lien avec les collectivités territoriales, qui doivent être associées à ces démarches, mettent progressivement en place des dispositifs de suivi et de réinsertion des personnes radicalisées. Là encore, j’ai demandé au ministre de l’intérieur, en lien avec d’autres membres du Gouvernement, concernés par ces sujets, de m’indiquer les moyens nécessaires pour amplifier ces actions.

Les phénomènes de radicalisation se développent – nous le savons, vous l’avez dit – en prison. Cela n’est pas nouveau. L’administration pénitentiaire renforce d’ailleurs l’action de ses services de renseignement, en lien étroit avec le ministère de l’intérieur. Il faut, là aussi, accroître nos efforts dans nos prisons. Des imams, des aumôniers de tous les cultes y interviennent. Cela est normal. Cependant, il faut un cadre clair à cette intervention. Il nous faut aussi parvenir à une réelle professionnalisation.

Enfin, avant la fin de l’année, sur la base de l’expérience menée depuis cet automne à la prison de Fresnes, la surveillance des détenus considérés comme radicalisés sera organisée dans des quartiers spécifiques, créés au sein d’établissements pénitentiaires.

Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, UMP, UDI, écologiste et RRDP.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Une formation de haut niveau sera dispensée, aussi, aux services de la protection judiciaire de la jeunesse. Comprendre le parcours de radicalisation d’un jeune est toujours complexe. Nous savons la facilité avec laquelle certains jeunes délinquants de droit commun basculent dans des processus de radicalisation. Le passage de la délinquance de droit commun à la radicalisation et au terrorisme est un phénomène que les travaux de l’Assemblée nationale ont décrit à maintes reprises.

Nous devons savoir prendre les mesures qui s’imposent. Il faut, certes, accompagner, aider, suivre de nombreux mineurs menacés par cette radicalisation. Il faut aussi prendre acte de la nécessité de créer, au sein de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse une unité de renseignement, à l’instar de ce qui est fait dans l’administration pénitentiaire.

Pour tous ces axes de travail, mais aussi pour répondre aux besoins du parquet antiterroriste, j’ai demandé à la garde des Sceaux de m’adresser également des propositions dans les jours qui viennent.

Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Mesdames et messieurs les députés, la lutte contre le terrorisme demande une vigilance de chaque instant. Nous devons pouvoir connaître en permanence l’ensemble des terroristes condamnés, connaître leur lieu de vie, contrôler leur présence ou leur absence. Aussi, j’ai demandé au ministre de l’intérieur et à la ministre de la justice d’étudier les conditions juridiques de mise en place d’un nouveau fichier. Il obligera les personnes condamnées à des faits de terrorisme ou ayant intégré des groupes de combat terroristes, à déclarer leur domicile et à se soumettre à des obligations de contrôle.

Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et UMP.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

De telles dispositions existent déjà pour d’autres formes de délinquance à risque élevé de récidive. Nous devons les appliquer en matière d’engagement terroriste, toujours sous le contrôle strict du juge.

Mesdames et messieurs les députés, toutes ces propositions – comme moi, ne doutez pas qu’il y en aura d’autres –, avant leur mise en oeuvre et application, feront l’objet d’une consultation ou d’une présentation au Parlement, au-delà, naturellement, des textes législatifs.

Mesdames et messieurs les députés, les épreuves tragiques que nous venons de traverser nous marquent, marquent notre pays et marquent nos consciences. Nous devons pourtant être capables de poser rapidement, à chaque fois, un diagnostic lucide, aussi, sur l’état de notre société, sur ses urgences. Ce sont des débats que nous aurons l’occasion, évidemment, de mener.

Le premier sujet qu’il faut aborder, clairement, est la lutte contre l’antisémitisme.

Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et UMP.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

L’histoire nous l’a montré : le réveil de l’antisémitisme est le symptôme d’une crise de la démocratie, d’une crise de la République. C’est pour cela qu’il faut y répondre avec force.

Après Ilan Halimi, en 2006, après les crimes de Toulouse, les actes antisémites connaissent, en France, une progression insupportable. Il y a les paroles, les insultes, les gestes, les attaques ignobles, comme à Créteil, voici quelques semaines, qui, je l’ai rappelé dans cet hémicycle, n’ont pas soulevé l’indignation qui était attendue par nos compatriotes juifs.

Applaudissements sur tous les bancs.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Il y a cette inquiétude immense, cette peur que nous avons sentie, palpée, samedi, dans la foule, devant cet hypermarché casher, porte de Vincennes, ou à la synagogue de la Victoire, dimanche soir.

Comment accepter qu’en France, terre d’émancipation des juifs il y a deux siècles, mais qui fut aussi, il y a soixante-dix ans, l’une des terres de son martyr, comment peut-on accepter que l’on puisse entendre dans nos rues crier « Mort aux juifs ! » ? Comment peut-on accepter les actes que je viens de rappeler ? Comment peut-on accepter que des Français soient assassinés parce qu’ils sont juifs ? Comment peut-on accepter qu’un citoyen tunisien, que son père avait envoyé en France pour qu’il soit protégé, alors qu’il va acheter son pain pour le shabbat, meure parce qu’il est juif ? Ce n’est pas acceptable.

À la communauté nationale, qui peut-être n’a pas suffisamment réagi, à nos compatriotes français juifs, je leur dis que cette fois-ci nous ne pouvons pas l’accepter, que nous devons, là aussi, nous rebeller. Nous devons poser le vrai diagnostic : il y a un antisémitisme que l’on dit historique, remontant du fond des siècles, mais il y a surtout ce nouvel antisémitisme qui est né dans nos quartiers sur fond d’internet, de paraboles, de misère, sur fond de détestation de l’État d’Israël, qui prône la haine du juif et de tous les juifs.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Il faut le dire ! Il faut poser les mots pour combattre cet antisémitisme inacceptable.

Applaudissements prolongés sur tous les bancs.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Comme j’ai eu l’occasion de le dire, comme la ministre Ségolène Royal l’a dit ce matin à Jérusalem, comme Claude Lanzmann l’a écrit dans une magnifique tribune dans Le Monde, oui, disons-le à la face du monde, sans les Juifs de France, la France ne serait plus la France ! Ce message, c’est à nous tous de le clamer haut et fort. Nous ne l’avons pas dit, nous ne nous sommes pas assez indignés.

Comment accepter que dans certains établissements, collèges ou lycées, on ne puisse pas enseigner ce qu’est la Shoah ?

Applaudissements sur tous les bancs.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Comment peut-on accepter qu’un gamin de sept ou huit ans réponde à son enseignant qui lui pose la question « Quel est ton ennemi ? » « C’est le Juif. » ? Quand on s’attaque aux juifs de France, on s’attaque à la France et on s’attaque à la conscience universelle, ne l’oublions jamais !

Mêmes mouvements.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Et quelle terrible coïncidence, quel affront que de voir un récidiviste de la haine tenir son spectacle dans des salles bondées au moment même où, samedi soir, la nation, porte de Vincennes, se recueillait ! Ne laissons jamais passer ces faits et que la justice soit implacable à l’égard de ces prédicateurs de la haine !

Mmes et MM. les députés se lèvent et applaudissent vivement et longuement.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Je le dis avec force, ici à la tribune de l’Assemblée nationale : allons jusqu’au bout du débat, mesdames et messieurs les députés ! Quand quelqu’un s’interroge, un jeune ou un autre citoyen, et qu’il vient me dire, à moi ou à la ministre de l’éducation nationale : « Mais je ne comprends pas. Cet humoriste, lui, vous voulez le faire taire, et les journalistes de Charlie Hebdo, vous les portez au pinacle. »

Mais il y a une différence fondamentale, et c’est cette bataille-là que nous devons gagner, celle de la pédagogie, auprès de notre jeunesse. Il y a une différence fondamentale entre la liberté d’impertinence – le blasphème n’est pas dans notre droit et il ne le sera jamais (Applaudissements sur de nombreux bancs) – et l’antisémitisme, le racisme, l’apologie du terrorisme, le négationnisme qui sont des délits, qui sont des crimes et que la justice devra sans doute punir avec encore plus de sévérité.

Applaudissements sur tous les bancs.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

L’autre urgence, c’est de protéger nos compatriotes musulmans.

Applaudissements prolongés sur tous les bancs.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Ils sont eux aussi inquiets. Des actes anti-musulmans inadmissibles, intolérables se sont de nouveau produits ces derniers jours. S’attaquer à une mosquée, à une église, à un lieu de culte, profaner un cimetière, c’est, là aussi, une offense à nos valeurs. Le préfet Latron a en charge, à la demande du ministre de l’intérieur, en lien avec tous les préfets, de faire en sorte que la protection de tous les lieux de culte soit assurée. L’islam est la deuxième religion de France. Elle a toute sa place en France. Notre défi, pas seulement en France mais dans le monde, c’est de faire cette démonstration : la République, la laïcité, l’égalité homme-femme sont compatibles, sur le sol national, avec toutes les religions qui acceptent les principes et les valeurs de la République.

Applaudissements sur l’ensemble des bancs.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Mais cette République doit faire preuve de la plus grande fermeté, de la plus grande intransigeance face à ceux qui tentent, au nom de l’islam, d’imposer une chape de plomb sur des quartiers, de faire régner leur ordre sur fond de trafics et sur fond de radicalisme religieux, un ordre dans lequel l’homme domine la femme et où la foi, comme vous avez eu raison de le rappeler, madame la présidente Pompili, l’emporterait sur la raison. J’avais, ici devant cette assemblée, il y a quelques mois, évoqué les insuffisances et les échecs de trente ans de politique d’intégration.

Mais, en effet, quand de vrais ghettos urbains se forment, où l’on n’est plus qu’entre soi, où l’on ne prône que le repli, que la mise en congé de la société, où l’État n’est plus présent, comment aller vers la République saisir cette main fraternelle qu’elle tend ? Surtout, comment tirer un trait catégorique sur cette frontière, trop souvent ténue, qui fait que l’on peut basculer dans nos quartiers – pas d’angélisme, regardons les faits en face ! – de l’islam tolérant, universel, bienveillant vers le conservatisme, vers l’obscurantisme, l’islamisme et, pire, la tentation du djihad et du passage à l’acte ? Ce débat, il n’est pas entre l’islam et la société, c’est bien un débat au sein même de l’islam que l’islam de France doit mener en son sein,

Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, UMP, UDI, RRDP et écologiste

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

en s’appuyant sur les responsables religieux, sur les intellectuels, sur les musulmans qui nous disent depuis plusieurs jours qu’ils ont peur.

Comme vous tous, j’ai des amis français de confession et de culture musulmanes. L’un de mes plus proches amis m’a dit l’autre jour, les yeux pleins de larmes et de tristesse, qu’il avait honte d’être musulman. Je ne veux plus que dans notre pays, il y ait des juifs qui puissent avoir peur et je ne veux pas qu’il y ait des musulmans qui aient honte, parce que la République est fraternelle, elle est là pour accueillir chacun.

Mmes et MM. les députés se lèvent et applaudissent longuement.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

La réponse aux urgences de notre société doit être forte, et sans hésitation. Elle réside – ce sont mes derniers mots – dans la République et dans ses valeurs, en premier lieu la laïcité, qui est gage d’unité et de tolérance. La laïcité s’apprend bien sûr à l’école, qui en est l’un des bastions. C’est là, peu importent les croyances et les origines, que tous les enfants de la République ont accès, par l’éducation, au savoir, à la connaissance.

J’étais ce matin, avec la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, devant les recteurs de France. Je leur ai adressé un message de mobilisation totale, un message d’exigence, un message qui doit être répercuté à tous les niveaux de l’éducation nationale : le seul enjeu qui importe, c’est la laïcité, la laïcité, la laïcité ! C’est le coeur de la République, et donc de l’école !

Applaudissements sur tous les bancs.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

La République n’est pas possible sans l’école, et l’école n’est pas possible sans la République. Nous avons laissé passer trop de choses – je le disais il y a un instant – dans l’école. La laïcité, c’est la possibilité de croire ou de ne pas croire : face à l’attaque que nous avons connue, la France doit plus que jamais combattre pour l’éducation à ces valeurs fondamentales. C’est un autre aspect de notre réponse à ces attentats. Arborons fièrement ce principe, puisqu’on nous attaque à cause de la laïcité, à cause des lois que nous avons votées interdisant les signes religieux à l’école, et prohibant le port du voile intégral. Revendiquons ces lois, car elles doivent nous aider à devenir plus forts encore !

Applaudissements sur tous les bancs.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Au fond, une seule chose compte : rester fidèle à l’esprit du 11 janvier 2015, à ce jour où la France, après le choc, a dit « non » dans un mouvement spontané d’unité nationale, à cette France qui s’est retrouvée dans l’épreuve, à ce moment où le monde entier est venu à elle – car le monde sait, lui aussi, quelle est la grandeur de la France, et ce qu’elle incarne d’universalité. La France, c’est l’esprit des Lumières ; la France, c’est l’élément démocratique ; la France, c’est la République chevillée au corps. La France, c’est une liberté farouche ; la France, c’est la conquête de l’égalité ; la France, c’est une soif de fraternité. La France, c’est aussi ce mélange si singulier de dignité, d’insolence, et d’éloquence.

Rester fidèle à l’esprit du 11 janvier 2015, c’est donc être habité par ces valeurs. Rester fidèle à l’esprit du 11 janvier 2015, c’est répondre aux questions que se posent les Français. Rester fidèle à l’esprit du 11 janvier 2015, c’est comprendre que le monde a changé – il y aura un avant et un après – et riposter, au nom même de nos valeurs, avec toute la détermination nécessaire. Fermeté, unité, sont les termes qui ont été utilisés par le Président de la République ce matin encore.

Nous allons donc entretenir – je l’espère – comme un feu ardent cet état d’esprit, et nous appuyer sur la force de son message d’unité, en revendiquant fièrement ce que nous sommes. Nous le ferons en nous rappelant sans cesse nos héros, ceux qui sont tombés la semaine dernière, au nombre de dix-sept ; en nous souvenant toujours, également, de ces héros que sont les membres des forces de l’ordre. Nous avons encore ressenti beaucoup d’émotion ce matin, dans la cour de la préfecture de police de Paris, où vous étiez nombreux, venant de tous les bancs de cet hémicycle. C’est aussi cela, la France.

Au cours de cette cérémonie, trois couleurs me sont venues à l’esprit, les couleurs de ces trois policiers – deux policiers nationaux, et une policière municipale. Elles témoignaient de la diversité de leurs parcours et de leurs origines. Trois couleurs différentes, trois parcours, mais trois Français, trois serviteurs de l’État. Devant leurs cercueils, aux côtés de leurs familles, il n’y avait que trois couleurs, celles du drapeau national : c’est cela, au fond, le plus beau message.

Au mois d’avril dernier, je vous ai dit, dans cet hémicycle, ma fierté – que chacun d’entre vous partage – d’être Français. Après ces événements, après les marches de dimanche dernier, un sentiment nous a plus que jamais renforcés – je crois que nous le ressentons tous – : c’est la fierté d’être Français. Ne l’oublions jamais.

Mmes et MM. les députés se lèvent et applaudissent vivement et longuement.

La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur l’autorisation de la prolongation de l’intervention des forces françaises en Irak, suivie d’un débat et d’un vote, en application de l’article 35, alinéa 3, de la Constitution.

La parole est à M. le Premier ministre.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mesdames, messieurs les députés, le 19 septembre dernier, le chef de l’État a décidé de faire intervenir nos forces armées en Irak. Il l’a fait à la demande des autorités irakiennes, confrontées à l’organisation terroriste Daech. Le 24 septembre, je suis venu devant cette assemblée vous exposer les motifs et les conditions de l’engagement de nos moyens de défense, dans le cadre d’une coalition internationale. Le ministre des affaires étrangères et le ministre de la défense, Laurent Fabius et Jean-Yves Le Drian, vous ont régulièrement tenu informés, mesdames, messieurs les députés.

Si nous sommes intervenus, c’est parce que la stabilité de l’Irak était menacée. Son existence même était en danger. En conséquence, le risque était grand : celui d’une déstabilisation profonde de toute la région et, au-delà, de l’Europe et de la France. Depuis la chute de Mossoul au mois de juin, Daech avait en effet réussi à contrôler près d’un tiers du territoire irakien et à maîtriser les principaux points de communication et les axes stratégiques, menaçant la capitale : Bagdad. Daech montrait au monde son vrai visage : celui d’une organisation criminelle, ultraviolente et sectaire. Daech, c’est le synonyme du chaos : pillages, massacres et décapitations. Il y a aussi les prises d’otages, l’esclavagisme, le commerce des femmes, les persécutions contre les minorités chrétiennes et yazidis, et ce choix terrible laissé aux Sunnites de se rallier ou de mourir, ou encore la traque permanente des Chiites.

Nous devions agir pour affaiblir Daech, donc le terrorisme. Nous devions agir pour permettre aux Irakiens de restaurer la souveraineté de leur pays. Nous devions agir là-bas pour nous protéger ici. Ces objectifs, mesdames, messieurs les députés, n’ont pas changé.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Nous devons donc poursuivre l’action engagée. Car si des coups majeurs ont été portés, notre mission n’est pas achevée. Par conséquent, c’est en application de l’article 35 de la Constitution que je viens solliciter votre autorisation de donner mandat à nos armées de poursuivre leurs opérations.

En quatre mois, les premiers résultats militaires ont été atteints : l’offensive d’envergure lancée par Daech à l’été 2014 a été stoppée et des territoires repris. Nous devons ces premiers résultats – qui restent fragiles – à l’action d’une large coalition. Coordonnée par les États-Unis, celle-ci n’a cessé de se renforcer avec des partenaires venus d’Europe, d’Asie, d’Océanie et du Golfe. En tout, il s’agit de plus de soixante nations, dont une trentaine avec des moyens militaires directement impliqués. Je veux ici saluer l’engagement important des Européens et des pays arabes, qui avancent côte à côte dans un même combat.

Après quatre mois d’opérations contre Daech, le rapport de force sur le terrain s’est modifié, en particulier ces dernières semaines. Mais il doit être durablement inversé. L’organisation terroriste conserve en effet l’essentiel de son potentiel militaire. Elle a su adapter ses modes d’action et consolider ses positions défensives. La menace qu’elle fait peser à l’ouest de Bagdad demeure préoccupante. C’est pourquoi notre dispositif est monté progressivement en puissance. Le Gouvernement souhaite que la représentation nationale en soit informée, en toute transparence. Après une première phase de déploiement, le Président de la République a en effet décidé d’adapter nos moyens à l’évolution de la situation des forces irakiennes. Aujourd’hui, quinze avions de combat Rafale et Mirage 2000 sont engagés dans les opérations. Ils interviennent depuis les Émirats Arabes Unis et la Jordanie. Nous déployons aussi des moyens de soutien en ravitaillement en vol, en détection et en collecte de renseignement. Depuis la mi-septembre, nos avions ont réalisé plus de 300 missions, effectuant notamment trente-quatre frappes contre des infrastructures, des véhicules ou des postes de combat. Ces opérations aériennes ont affaibli le potentiel des terroristes. Elles ont aussi permis d’obtenir du renseignement, en particulier sur les combattants venus de l’étranger – ce qui nous ramène au début de cette séance. En plus de ces opérations aériennes, nous participons, avec d’autres pays partenaires, à la fourniture d’armement ainsi qu’au conseil et à la formation des combattants kurdes. Au total, notre dispositif s’élève à un millier de militaires. La France est ainsi, après les États-Unis, parmi les nations les plus impliquées dans la coalition.

Notre dispositif continuera d’évoluer : des militaires français vont participer à des missions de formation pour l’armée irakienne ; le groupe aéronaval avec le porte-avions Charles-de-Gaulle vient d’être engagé en mission opérationnelle programmée, ce qui l’amènera notamment dans le golfe arabo-persique, où il pourra participer à l’opération Chammal en fonction des besoins.

Au-delà des interventions armées, nous savons tous que la stabilité de l’Irak et celle de la région ne pourront pas être obtenues uniquement par des moyens militaires. Une stratégie politique d’ensemble, que Laurent Fabius a souvent rappelée dans cet hémicycle, est indispensable.

Tout d’abord, elle est indispensable en Irak, où l’action sur le terrain de la coalition ne peut venir qu’en appui d’un processus politique. Au cours des derniers mois, la situation s’est stabilisée sur ce point : le nouveau Premier ministre, Haider Al-Abadi, a pu constituer un gouvernement ouvert, incluant toutes les composantes politiques et ethniques. C’est maintenant un énorme travail de reconstruction qui doit être entrepris. Les chantiers sont immenses : réformes et modernisation de l’appareil de sécurité, lutte contre la corruption, mise en place d’un nouveau cadre fédéral qui garantisse le maintien de l’unité de l’Irak tout en permettant la représentation équitable des différentes communautés, et, bien sûr, reconstruction économique. La France est aux côtés du gouvernement irakien pour la mise en oeuvre de ce programme. C’est ce message de soutien que le Président de la République a adressé au Premier ministre irakien lorsqu’il l’a reçu le 3 décembre dernier, et c’est le sens de l’action déterminée que mène avec talent Laurent Fabius, à qui je veux rendre dans cet hémicycle un hommage tout particulier.

Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

La France concentre son action sur le théâtre irakien. Nous avons fait le choix de ne pas mener de frappes aériennes en Syrie. Nous l’assumons. Il est aussi celui de tous nos partenaires européens. Bien sûr, nous n’oublions pas que la situation de certaines villes assiégées, à savoir le martyre de Kobané comme celui d’Alep, ne peut laisser aucun d’entre nous indifférent. Notre ligne demeure la même : ni Bachar, ni Daech.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

Mais ce choix n’est pas synonyme d’immobilisme. Nous soutenons l’opposition syrienne qui combat les groupes djihadistes et nous nous tenons prêts, aux côtés de nos partenaires, à mener des actions renforcées de formation et d’équipement. En Syrie comme en Irak, il n’y a pas d’alternative à une solution politique. Celle-ci passe par une transition avec toutes les forces qui veulent reconstruire une nouvelle Syrie… mais sans Bachar. Nous devons y travailler avec les Nations unies, nos partenaires américains, les États voisins mais aussi avec les Russes.

Agir, c’est aussi continuer à nous mobiliser sur le plan humanitaire. Les pays de la région – Turquie, Liban, Jordanie – consentent d’énormes sacrifices pour accueillir des réfugiés syriens. Notre devoir est de les assister. Ce sont plus de 100 tonnes d’aide humanitaire que nous avons livrées. Il nous faut bien sûr poursuivre cette assistance, tout comme nous continuerons aussi à accueillir en France, au titre de l’asile, des familles syriennes et irakiennes appartenant aux minorités pourchassées.

Les interventions militaires, comme les solutions politiques, ne peuvent donner des résultats immédiats. Soyons lucides : réduire Daech est un objectif que nous n’atteindrons qu’à terme. Nous sommes donc engagés dans la durée. Abandonner aujourd’hui, quitter nos partenaires de la coalition, serait plus qu’un échec : ce serait abandonner l’Irak et ses populations aux terroristes, des assassins dont l’ambition territoriale n’a aucune limite. Car Daech a un programme : exporter sa terreur partout ; répandre le crime dans le monde ; menacer nos sociétés. Aujourd’hui, nous voyons les conséquences de cette stratégie : un Liban fragilisé par le poids des réfugiés, une Jordanie et une Turquie subissant de plein fouet le contrecoup de la crise syrienne.

Parce que les terroristes continuent de tuer, de massacrer, d’exterminer, nous devons poursuivre notre tâche.

Parce que le terrorisme continue de menacer l’équilibre de la région, de déstabiliser les pays voisins, nous devons poursuivre notre mission.

Parce que Daech continue de vouloir recruter et former des terroristes – dont des Français et des Européens – pour nous frapper, pour semer la terreur et la destruction sur notre sol, nous devons poursuivre notre stratégie.

Parce que la mission n’est pas terminée et que nous n’abandonnons ni nos partenaires, ni les Irakiens, nous devons poursuivre notre action.

Et parce que la France est un grand pays qui assume ses responsabilités, nous poursuivrons.

Nous poursuivrons aussi au Sahel. Nos inquiétudes se tournent vers la Libye, cet espace dont les immenses déserts non contrôlés du Sud deviennent un nouveau repaire pour le djihadisme.Nos inquiétudes se tournent aussi vers la région du bassin du lac Tchad, où prospère dangereusement la secte Boko Haram qui, ces derniers jours encore, a semé la terreur au Cameroun et au Nigeria, commettant des crimes effrayants. Je crois qu’il n’y a pas de mots pour les décrire. Je me suis rendu avec vous, monsieur le ministre de la défense, il y a un peu plus d’un mois, au Niger et au Tchad pour saluer l’engagement de nos troupes. Vous-même étiez au Tchad, au Niger et au Mali pour passer la Nouvelle Année aux côtés de nos soldats, dont je veux saluer le professionnalisme et l’engagement tout à fait exceptionnels.

Applaudissements sur tous les bancs.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, Premier ministre

J’ai déjà souligné il y a quelques instants que le terrorisme est la menace la plus grave à laquelle notre pays est confronté. Nous le savons. J’ai indiqué aussi le nombre d’individus de nationalité française ou résidant en France recensés pour leur implication dans le djihad en Irak ou en Syrie. Il ne s’agit pas de faire peur, mais d’être lucide : leur augmentation s’élève à 124 % en un an, 240 personnes de plus que lorsque je me suis exprimé devant vous le 24 septembre dernier. À ce jour, près de 400 individus combattent sur place, soixante-sept sont morts au cours des combats. Certains de nos compatriotes sont impliqués dans les atrocités commises par Daech. Beaucoup participent également à la propagande, et appellent à commettre des attaques sur notre territoire. Face à cela, il nous faut agir avec sang-froid, discernement et détermination.

J’ai indiqué il y a un instant les moyens que nous devrons mettre en oeuvre. Je le dis avec force : pour assurer la sécurité des Français, prévention, répression, fermeté sont importantes, mais la démocratie ne combat jamais aussi efficacement le terrorisme qu’en promouvant ses propres valeurs : la liberté, l’égalité, la tolérance.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, notre nation a été frappée en son coeur. Elle pleure ses morts. Mais notre Nation est forte, parce qu’elle sait se rassembler – vous en avez apporté une illustration magnifique. Notre Nation est forte parce qu’elle sait surmonter les épreuves et agir pour les prévenir. C’est ce que nous faisons sur notre territoire national ; c’est ce que nous faisons pour nos représentations et nos ressortissants à l’étranger – vous y veillez, monsieur le ministre des affaires étrangères –, et c’est aussi ce que nous faisons en prenant nos responsabilités en Irak comme au Sahel.

Engager des soldats français à l’extérieur de nos frontières n’est pas une décision qui se prend à la légère. Cette décision, qui relève du Président de la République, implique que des femmes et des hommes s’exposent, prennent des risques, font face au danger, à l’hostilité des combats, y laissant parfois leur vie, comme en Centrafrique ou au Mali. Pourtant, cette décision est nécessaire, parce que la guerre contre le terrorisme est un combat de longue haleine, qui implique d’agir avec constance, détermination, cohérence, en lien avec nos alliés.

Aussi, je demande à votre assemblée de permettre à la France d’agir conformément à ses valeurs et à ses intérêts. Je vous demande d’autoriser nos armées à poursuivre leurs opérations en Irak, au service de nos valeurs, au service de la démocratie.

Le tragique hasard qui a fait se succéder ces deux débats aura au moins l’avantage de nous permettre d’apporter une réponse forte au terrorisme : celle de la nation, unie autour de ses soldats engagés en Irak.

Applaudissements sur la plupart des bancs des groupes SRC et RRDP et sur plusieurs bancs du groupe UMP.

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La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

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Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et monsieur les ministres, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, ce vote sur la poursuite de l’intervention française en Irak a lieu alors que notre pays vient d’être attaqué par des criminels fanatiques dont le profil est similaire à ceux qui sévissent en Irak et en Syrie. Ici comme là-bas, la question des modalités de notre réponse à la barbarie se pose.

Notre réaction doit-elle se résumer à une logique sécuritaire et guerrière ? Telle n’est pas la conviction des députés du Front de gauche. Que veulent en effet les terroristes, si ce n’est toujours plus de violence, le carburant de leur propagande et de leur machine de haine ? Toute l’histoire des vingt dernières années en Irak, en Afghanistan et en Libye le démontre : les interventions militaires occidentales directes ont toutes eu pour résultat de renforcer les groupes armés islamistes. La stratégie de guerre au terrorisme se solde par un échec patent, produisant même les effets inverses de ceux recherchés.

Qu’en est-il de cette intervention ? Quatre mois après le début des bombardements, le peuple irakien continue de souffrir et les États-Unis ont décidé d’envoyer plus de 3 000 conseillers militaires supplémentaires. Les violences en Irak ont coûté la vie à plus de 15 000 personnes l’année dernière, soit deux fois plus qu’en 2013.

Le bilan est encore plus lourd en Syrie, du fait de la guerre civile. Avec plus de 76 000 morts en 2014, ce pays vient de connaître son année la plus meurtrière.

Derrière ces chiffres, il y a des atrocités, des sociétés meurtries, des peuples déchirés. Il est temps de réfléchir au sens et à l’efficacité de notre intervention militaire, conduite sous l’égide des États-Unis.

D’un côté, l’avancée de l’État islamique en Irak a été freinée par les frappes aériennes de la coalition, par l’action des forces kurdes et irakiennes, avec le soutien indispensable de la coalition, ainsi que de milices chiites et des pasdarans iraniens.

De l’autre, la coalition est impuissante sur le front diplomatique. L’action militaire n’a pas permis d’éliminer les capacités offensives de l’État islamique. Cette secte barbare – car il ne s’agit pas d’un État – reconstitue ses troupes et pratique la guérilla. Sa stratégie consistant à se mêler aux civils rend difficile la poursuite des bombardements. Ces islamistes tiennent toujours Mossoul ainsi que des pans entiers du pays, où ils font régner la terreur. Les civils en paient le prix fort, en particulier les minorités kurde, chrétienne et yézidie. Personne n’échappe à cet enfer, pas même les musulmans, qui essaient de fuir la folie meurtrière de Daech.

Face à ces forces obscures, l’inaction ne peut être de mise. Cependant, il est aussi de notre responsabilité de réaffirmer les principes du droit international face à la décision de l’exécutif d’engager la France sous un commandement américain et sous la tutelle de l’OTAN.

Faute d’avoir été informée par le Gouvernement, c’est par la presse que la représentation nationale a appris la décision de déployer un groupe aéronaval dans la région du Golfe persique, où le porte-avions Charles-de-Gaulle doit se positionner. Nous le répétons : la France doit retrouver une voix indépendante face à l’OTAN et aux États-Unis, dont nous ne partageons ni la vision du monde, ni les intérêts.

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Nous pouvons d’autant moins accepter le leadership américain que les États-Unis sont à l’origine du chaos irakien.

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Il est aussi temps de prendre nos distances avec les pétromonarchies. Ai-je besoin de rappeler que l’État islamique n’est pas un phénomène spontané ? Il résulte à la fois de l’effondrement de l’État irakien, laminé par George W. Bush en 2003, et de la guerre civile syrienne, alimentée depuis 2011 par les Américains et leurs satellites. Ironie de l’histoire, les États-Unis sont à la tête de la coalition contre Daech, tout comme ils avaient combattu Ben Laden, alors que celui-ci avait été utilisé par la CIA contre les Soviétiques. La guerre contre Daech est la conséquence de la destruction de l’armée irakienne par l’occupant américain.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C’est la « guerre contre le terrorisme » qui a conduit à l’extension internationale du djihad armé. Les peuples ne cessent de payer le prix de cette folle entreprise qui vise à refaçonner la carte de ces pays en y imposant la démocratie par la force, quitte à exploiter les extrémistes. N’est-ce pas Laurent Fabius qui, avant de se rétracter en mai 2013, avait refusé d’inscrire le Front al-Nosra sur la liste des organisations terroristes, au motif qu’il faisait du « bon boulot en Syrie » ? Dans le même temps, la France refuse de retirer le PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan, et le PYD, le parti de l’union démocratique, de la liste des organisations terroristes, alors que ce sont des forces démocratiques, qui défendent aujourd’hui la population de Kobané contre Daech.

Aujourd’hui, le groupe État islamique jouit d’une notoriété inégalée, qui lui permet de recruter dans le monde entier, et domine un territoire immense. L’intervention armée de l’Occident risque de nourrir le fantasme du « choc des civilisations ».

La division de l’Irak en entités ethniques et confessionnelles ne date pas de Daech, qui n’a fait que profiter de la situation. L’hypothèse d’un éclatement de l’Irak n’a cessé de se renforcer depuis l’invasion illégale du pays au nom de la « guerre globale contre le terrorisme » et du mensonge des armes de destruction massive.

Comment remédier à ce foyer du terrorisme international qu’est l’État islamique ? La solution ne réside pas dans de nouveaux bombardements, alors que les opérations précédentes n’ont fait qu’empirer la situation. Hormis dans des cas ponctuels d’urgence ou de légitime défense, la violence n’est pas une réponse durable aux crises, sauf à accepter d’entrer dans un cercle vicieux mortifère.

Tirons les leçons du bourbier afghan et de ce qui se passe en Libye ! Il faut attaquer le mal à la racine. Nous considérons que la réponse au défi lancé par le groupe « État islamique » ne doit pas être seulement militaire : elle doit aussi être politique, économique et diplomatique. Le « tout répressif » est incapable de venir à bout des aspirants au terrorisme, toujours plus nombreux, y compris en France.

Si la sécurité et la souveraineté de l’Irak relève des Irakiens et des acteurs de la région, la communauté internationale, qui a une responsabilité dans la situation actuelle, doit jouer un rôle. Une stratégie globale impliquant tous ses membres, notamment les pays du Golfe et la Turquie, doit conduire à priver les islamistes de leurs moyens militaires et financiers. Concrètement, il convient d’intensifier la lutte contre le trafic de pétrole, d’armes et d’argent qui alimente Daech. Le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une résolution en ce sens : elle doit être pleinement appliquée. La vente de pétrole rapporte quelque deux millions de dollars par jour à Daech, auxquels s’ajoute le milliard de dollars de subventions annuelles que lui versent des milliardaires sunnites du Golfe.

C’est l’avenir de l’Irak comme État nation qui est en jeu. La voie à suivre est celle du dialogue politique interne. La France doit se mettre au service de la paix, et non à celui de l’atlantisme. Telle est sa vocation, tel est son intérêt, telle est sa responsabilité morale.

Notre pays doit exploiter le capital de sympathie dont il jouit encore dans la région pour aider nos amis irakiens. Il doit prendre l’initiative d’une conférence réunissant, sous l’égide de l’ONU,tous les pays de la région, en particulier l’Iran, la Turquie et les monarchies du Golfe.

Il faut aider l’Irak, confronté à la difficile répartition du pouvoir entre ses différentes composantes ethniques et religieuses. Le nouveau Premier ministre irakien a fait un geste en direction de la communauté sunnite ; désormais, certaines tribus sunnites combattent les islamistes aux côtés de l’armée irakienne. Il a également lancé le chantier de la modernisation de l’armée irakienne – cela s’imposait eu égard à sa débandade de l’été dernier devant Daech. Les relations avec les Kurdes se sont elles aussi apaisées depuis la prise de fonction du Premier ministre.

Après des mois de frappes aériennes, l’engagement français reste entouré d’opacité et ses objectifs ambigus. La question de sa légalité se pose. À défaut d’un mandat de l’ONU, l’appel à l’aide du gouvernement irakien est certes susceptible de fonder une action armée, mais seulement temporairement, comme le stipule l’article 51 de la Charte des Nations Unies. De plus, l’extension des frappes de la coalition au territoire syrien, en dehors de tout cadre légal, pose problème.

Dès lors, dans la mesure où cette intervention se fait sous l’égide, non pas du Conseil de sécurité de l’ONU, mais de l’OTAN, et où nous doutons de l’efficacité de nouvelles frappes, nous nous abstiendrons, tout en précisant qu’il convient d’aider l’État irakien à éradiquer ces barbares.

Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.

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La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

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Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et monsieur les ministres, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la présidente de la commission de la défense, mes chers collègues, le calendrier parlementaire nous conduit aujourd’hui, après avoir rendu un vibrant hommage aux dix-sept victimes du terrorisme – ce fut, après la tragédie que vient de vivre la République française, une grande séance de notre assemblée –, à décider si nous devons apporter notre soutien à une prolongation de la présence des forces françaises en Irak.

On aurait pu craindre que face à l’horreur des massacres perpétrés sur notre sol, contre la liberté d’expression, contre les juifs de France, les Français cèdent à la panique et à la tentation du repli sur soi et du reniement de nos engagements. Il n’en est rien, au contraire. Dans la sérénité, dans la fraternité, instinctivement et massivement, les Français ont témoigné de leur attachement viscéral aux valeurs de la République, à la laïcité et au rayonnement de notre pays. Ils ont à nouveau pris conscience que la France avait une vocation universelle, qu’une grande partie du monde était à ses côtés dans la douleur et dans la peine. Ils ont à nouveau pris conscience que la France avait un rayonnement et une responsabilité dans le monde.

Nulle part, je n’ai entendu un seul de mes concitoyens demander que la France ne s’occupe plus de la marche du monde. Nulle part, je n’ai entendu un seul de mes concitoyens demander que la France se retire ou sursoie à ses engagements.

Combattre le terrorisme sur notre sol suppose que nous le combattions à sa source, là où il progresse, là où il essaie aujourd’hui de gagner la bataille contre les démocraties. Le 19 septembre était lancée, sous l’autorité du Président de la République, l’opération Chammal, afin d’assurer un soutien aérien aux forces armées irakiennes dans leur lutte contre le groupe terroriste Daech. Dans le cadre du débat qui eut lieu alors en vertu de l’article 35 de notre Constitution, vous nous aviez, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, indiqué cinq axes d’action. C’est à la lumière de ces axes stratégiques qu’il nous faut aujourd’hui décider si nous devons poursuivre notre engagement.

Le premier d’entre eux vise à stopper militairement la progression territoriale du mouvement terroriste Daech. Grâce à des missions de recueil de renseignement et à des frappes menées en coordination avec nos alliés dans la région, de nombreuses capacités offensives et logistiques du groupe terroriste ont été détruites et plusieurs sites stratégiques ont été repris et sécurisés. Ce fut notamment le cas de la raffinerie de Baïji, centre névralgique de la production pétrolière irakienne, ou encore du barrage de Mossoul, crucial pour l’approvisionnement du nord du pays en eau et en électricité. Parallèlement à nos raids aériens, nous continuons d’apporter aux peshmergas un soutien en équipement. Ce soutien sera renforcé par des actions de formation et d’entraînement par les forces armées de la coalition.

Si ces opérations militaires ont permis, mes chers collègues, d’enrayer la progression de Daech sur le territoire irakien, elles n’ont pas encore, à ce stade, inversé le rapport de forces sur le terrain, ni dans les zones insurgées de l’ouest, ni sur le front nord, ni le long de la vallée de l’Euphrate en direction de Bagdad. Daech maintient une forte pression sur la capitale en poursuivant ses opérations de harcèlement contre les forces de sécurité irakiennes et en multipliant les attentats, principalement dans les quartiers chiites de Bagdad, mais aussi dans certaines villes de la province du Kurdistan, notamment à Erbil. Au regard du premier objectif que vous aviez défini, Il nous faut donc poursuivre notre action.

Le groupe terroriste continue par ailleurs ses exactions à l’encontre des populations civiles, rendant plus nécessaire que jamais la réalisation de notre deuxième objectif stratégique, celui de l’aide humanitaire. Les Nations Unies estiment à 2,1 millions le nombre de déplacés irakiens, dont 850 000 se sont réfugiés dans la région autonome du Kurdistan et plus de 500 000 se retrouvent sans abri en plein hiver. Au regard de cet objectif aussi il nous faut poursuivre notre action.

Le tarissement des circuits de financement de Daech est le troisième axe, tout aussi essentiel, de la stratégie de la coalition. La contrebande de pétrole est leur principale manne financière, leur procurant des revenus estimés à deux millions de dollars par jour. Il est urgent dans ces conditions de détruire la vingtaine de puits de pétrole que contrôle encore Daech, mais aussi d’identifier et de sanctionner les établissements bancaires et autres grossistes impliqués dans ce marché parallèle. À ces revenus pétroliers s’ajoutent ceux issus du racket des populations locales, du trafic de drogue, mais aussi du trafic d’organes prélevés sur les combattants blessés ou tués ou sur les otages. Là aussi, tous les moyens doivent être déployés au niveau international pour démanteler les réseaux alimentés par ces pratiques ignobles. Tous ceux qui nous écoutent doivent savoir que ce sont là les pratiques de Daech et de ceux qui s’en réclament, et que ces pratiques d’asservissement n’ont rien à voir avec la religion. Daech se livre au trafic de drogue et au trafic d’organes pour financer la guerre qu’elle mène contre les démocraties et, dans ces pays, aux musulmans.

Juguler le flux de combattants étrangers vers l’Irak et la Syrie, telle est la quatrième ligne directrice de notre action. Ce phénomène est une véritable menace pour la région du Levant, mais aussi pour notre sécurité nationale. En effet, après avoir connu et commis les crimes les plus atroces, ces individus nous reviennent totalement désinhibés et mus par un pur instinct de violence.

Dans un tel contexte, les mesures de la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, récemment promulguée, sont les bienvenues. Elles seront complétées par d’autres, que nous aurons à coeur de mettre en oeuvre le plus rapidement possible, à votre initiative, monsieur le Premier ministre. Leur efficacité sera renforcée par une coopération accrue avec l’ensemble des pays de la région et de la coalition, mais aussi par le cinquième axe de notre stratégie : faire connaître la réalité des pratiques de Daech. En effet la guérilla de Daech s’accompagne d’une offensive médiatique mondiale, destinée à endoctriner des jeunes fragiles psychologiquement et à les inciter à couper tout lien familial pour rejoindre le Levant. Mais rien ne peut justifier, et sûrement pas la religion de paix qu’est l’Islam, les exactions que commet le groupe terroriste Daech. Ses membres n’obéissent à aucun principe, aucune valeur : seule la soif de pouvoir les guide, la religion n’est qu’un prétexte, une façade pour habiller leur prédation. La mise en scène macabre des exécutions d’otages, les assassinats de masse à l’encontre des minorités religieuses et des musulmans qui prennent les armes contre eux, les décapitations, les viols, l’esclavage sexuel et les grossesses forcées : voilà la réalité du groupe qui se fait appeler État islamique, mais qui n’est en vérité qu’une secte violente.

Mes chers collègues, nous ne laisserons pas les extrémistes, quels qu’ils soient, définir ce que nous sommes. Nous ne laisserons pas les terroristes nous dicter notre conduite. Nous ne laisserons pas des dictateurs aussi cyniques que sanguinaires nous manipuler. Bachar el-Assad a voulu utiliser la menace terroriste pour redorer son blason sur la scène internationale, mais la ficelle est trop grosse : ni la France ni ses alliés ne sont dupes de celui qui a donné la mort à près de 200 000 de ses concitoyens. En libérant ses dirigeants de ses prisons, en lui achetant du pétrole, en lui laissant carte blanche sur son territoire contre l’opposition modérée, le régime syrien a permis à Daech de se développer et de prendre l’ampleur que nous lui connaissons aujourd’hui. Si Bachar el-Assad croit qu’il redeviendra un interlocuteur crédible et légitime dans la région qu’il a contribué à déstabiliser, il fait fausse route. Nous continuerons sans relâche, avec nos partenaires, à prôner une transition politique, à former et équiper les combattants de l’Armée syrienne libre afin de desserrer le double étau du régime baasiste et de Daech, qui asphyxie le nord du pays, plus particulièrement les villes d’Alep et de Kobané. La France ne peut oublier qu’elle est le pays de la liberté.

Liberté, égalité, fraternité : telles sont les valeurs qu’incarnent aujourd’hui nos soldats. Ils assurent au quotidien la sécurité de notre territoire et de nos ressortissants —en métropole, en outre-mer et hors de nos frontières, notamment en Irak. Permettez-moi de rendre un hommage appuyé à leur professionnalisme, à leur courage, à leur excellence, qui font notre fierté nationale ainsi que notre réputation internationale. Ces femmes et ces hommes ne pourraient servir sous nos drapeaux sans le soutien de leurs proches, qui doivent vivre des mois durant dans l’angoisse de perdre un être cher. Je veux leur dire que la nation tout entière, ici représentée, leur est reconnaissante. Au nom de l’ensemble des parlementaires, je tiens à adresser aux familles des soldats tombés sur nos différents théâtres d’intervention nos plus sincères condoléances et à leur exprimer notre profonde gratitude.

Pour signifier à nos forces armées qu’elles ont le soutien plein et entier de la nation dans leur action au service de la paix et de la sécurité collective, j’invite, au nom de mes collègues du groupe socialiste, républicain et citoyen, l’ensemble des députés à autoriser la prolongation de l’opération Chammal. Oui, notre lutte contre la barbarie de Daech et ses affidés sera longue : montrons par un vote sans équivoque qu’elle sera sans relâche.

Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.

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La parole est à M. Pierre Lellouche, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

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Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mesdames les présidentes de commission, mes chers collègues, il est des coïncidences qui n’en sont pas. Après la semaine tragique que nous venons de vivre, au cours de laquelle notre pays s’est levé après avoir été frappé dans ce que nous avons de plus sacré et de plus cher, nos valeurs de liberté et de tolérance, voici que le calendrier parlementaire nous conduit à nous prononcer aujourd’hui sur l’opportunité de prolonger notre action militaire en Irak, commencée au début du mois d’août. Ce télescopage dans le temps et l’espace entre la défense de l’avant, via notre engagement contre l’État islamique en Irak et au Levant,et la défense de nos concitoyens contre l’agression terroriste en France même, résume parfaitement la situation, sans précédent depuis la fin de la guerre froide, à laquelle la France est désormais confrontée – et pour longtemps je le crains.

Car je le dis avec gravité : il s’agit bien d’une guerre, même si beaucoup répugnent encore à utiliser ce terme – j’ai été heureux, monsieur le Premier ministre, de vous entendre l’employer à l’instant. Cette guerre, que nous n’avons ni voulue ni choisi de livrer, est sans équivalent dans l’histoire moderne : une guerre qui nous est déclarée tous les jours sur les réseaux sociaux ; une guerre globale, qui se déploie simultanément sur de multiples théâtres, du Mali au Sahel et à la Libye, de l’Afghanistan au Pakistan, du Nigeria au Yémen et au Cameroun, et bien sûr en Syrie et en Irak ; une guerre qui frappe des dizaines de milliers de civils innocents de toutes confessions, d’abord dans les pays musulmans eux-mêmes, qui en sont les premiers foyers, mais aussi en Occident, à Boston, à Ottawa, à Londres, à Sydney, à Bruxelles, à Joué-lès-Tours, à Nantes et à Toulouse et, aujourd’hui à Paris.

Dans cette guerre contre le djihadisme mondialisé, mélange de barbarie moyenâgeuse et de high-tech du XXIe siècle, que colorent, d’un théâtre à l’autre, des spécificités régionales ou ethniques, la France se bat en première ligne, que ce soit au Mali et à travers l’immense bande sahélo-saharienne, ou, depuis plusieurs mois déjà, en Irak, au moyen d’éléments de sa force aérienne.

Mes chers collègues, de même qu’hier, le groupe UMP avait soutenu, sans réserve, l’action exemplaire de nos soldats, auxquels je veux rendre hommage, au Mali et dans le Sahel, de même nous soutiendrons d’une seule voix la poursuite de notre engagement en Irak.

Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.

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Les raisons en sont limpides.

Dois-je rappeler tout d’abord que nous sommes engagés en Irak à la demande du gouvernement légitime de Bagdad, sur la base de la résolution 2170 du 15 août 2014 du Conseil de sécurité des Nations Unies qui, en application du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, « demande instamment à toutes les parties d’empêcher la poursuite des crimes contre l’humanité commis par les forces de l’État islamique et du Front el-Nosra, contre les populations civiles musulmanes, kurdes, yézidies, au nord de l’Irak » ? Dois-je rappeler que notre intervention s’inscrit dans le cadre d’une coalition internationale composée de trente-deux pays, dont six États arabes ?

En sus de toutes ces raisons, il n’est pas inutile de rappeler les chaleureuses félicitations du porte-parole de l’État islamique à l’endroit des bouchers de Charlie Hebdo, qualifiés de « héros », et le fait que c’est au nom de l’État islamique que le troisième tueur, celui de Montrouge et de la porte de Vincennes, a revendiqué l’assassinat de cinq personnes, qu’il justifiait par « l’action de la France contre l’État islamique ». Dans ces conditions, c’est l’honneur et le devoir de l’opposition républicaine, comme de chacun d’entre nous, d’apporter son soutien total à nos soldats engagés en Irak. La France n’a ni l’option de la neutralité, ni celle, plus déshonorante encore, d’un retrait honteux dans l’espoir illusoire de se protéger.

Mes chers collègues, l’impératif d’un consensus bipartisan en faveur de notre engagement en Irak ne doit cependant pas nous interdire de faire connaître notre point de vue sur la stratégie et les moyens mis en oeuvre dans cette opération et, plus généralement, sur la conduite par la France de la guerre à laquelle elle est désormais confrontée. Car notre intervention en Irak, même relativement modeste et conduite dans le cadre d’une coalition, est grosse de risques sérieux, surtout si l’on ne prend pas la mesure exacte des enjeux de ce qui se passe actuellement au Moyen-Orient et dans le monde arabo-musulman.

Le premier risque est en effet celui de la sous-estimation. Ce qui se passe au Proche-Orient, et singulièrement en Syrie et en Irak, depuis le double choc des révolutions arabes et de la troisième guerre d’Irak – celle de George Bush junior –, ce n’est ni plus ni moins que l’implosion du système des États et des frontières tel qu’il avait été conçu au lendemain de la Première Guerre mondiale, sur la base du partage franco-britannique des dépouilles de l’Empire ottoman dans le cadre de accords Sykes-Picot.

La Syrie multiéthnique et multiconfessionnelle, telle qu’héritée du mandat français, a vécu et nul ne sait ce qui émergera demain de ce cratère de ruines et de ces millions de Syriens éparpillés du Liban à la Jordanie et jusqu’aux côtes de l’Italie.

Quant à l’Irak tel que conçu par ses géniteurs britanniques en 1920, c’est-à-dire un État dominé par les élites issues de la minorité arabo-sunnite, marginalisant la majorité chiite et déniant aux Kurdes le droit à l’autodétermination, qui leur avait pourtant été promis à la veille du Traité de Sèvres, cet État-là, qui avait perduré de Qassem à Saddam Hussein, a lui aussi de facto cessé d’exister. L’Irak a aujourd’hui éclaté en trois morceaux ethniques et religieux. En fait, sinon en droit, le Kurdistan est dès à présent indépendant. Il produit et vend son pétrole, et ce sont les peshmergas qui se battent dans le Sangar, soutenus par l’aviation occidentale et par nos livraisons d’armes.

L’Irak de Bagdad est désormais chiite, tout comme ce qui reste aujourd’hui de l’armée irakienne, qu’on a vu se débander en masse au mois de juin dernier face aux djihadistes sunnites de l’État islamique, pourtant six fois moins nombreux. Quant aux régions sunnites, ce sont elles qui constituent, grâce aux tribus et aux anciens cadres civils et militaires baasistes, aujourd’hui salafistes, le coeur du califat islamique dirigé par Baghdadi.

En effet, cet État islamique existe, ou est en passe d’exister – sur ce point mon analyse diffère de celle de M. Le Roux. Il contrôle le tiers de l’Irak, la partie orientale de la Syrie, des villes et des puits de pétrole. Il est puissamment armé et financé de l’extérieur. Il accueille chaque mois 1 000 djihadistes supplémentaires venus de l’étranger, qui s’ajoutent à ses 35 000 combattants.

On comprend dès lors les limites d’une intervention aérienne, même conséquente, d’autant qu’après les succès initiaux remportés dans le Sangar, les forces de Daech se sont repliées dans les villes, ce qui rend beaucoup plus complexes les missions de bombardement, sauf à accroître encore le nombre de victimes parmi les populations civiles.

À terme, tout dépendra donc de la capacité du gouvernement de Bagdad de s’entendre avec la minorité sunnite pour retourner les unes après les autres les tribus qui soutiennent l’État islamique. Pour qui connaît l’histoire sanglante de l’Irak – la conquête britannique a coûté 100 000 hommes à l’armée britannique de 1914 à 1917 et l’occupation américaine s’est traduite par la perte de 4 500 soldats américains et de 4 000 milliards de dollars en dix ans –, les perspectives d’un succès rapide grâce à la seule action de l’arme aérienne paraissent pour le moins hypothétiques.

C’est donc à un conflit long, à l’issue incertaine, auquel il faut nous préparer, un conflit dont nous n’avons pas fini de subir les retombées terroristes en Europe et en France : le Président de la République et le Premier ministre ont tout à fait raison sur ce point. Pour l’heure, notre engagement demeure modeste – une quinzaine d’avions de combat et une frégate, soit 10 % environ de l’effort de la coalition – et relativement peu coûteux, hors surcoût des mirages déployés en Jordanie et de l’engagement du Charles de Gaulle.

Mais, en dépit de sa modestie relative, cet engagement a aussi, monsieur le Premier ministre, un coût politique : celui du suivisme – c’est le deuxième risque – par rapport à une politique américaine pour le moins erratique dans cette partie du monde. Qui ne se souvient du brusque revirement du Président Obama, à l’été 2013, lorsque Washington décida finalement de ne pas sanctionner l’emploi par Bachar al-Assad d’armes chimiques contre son propre peuple, laissant la France de M. Hollande dans une situation pour le moins embarrassante ? Et qui peut dire aujourd’hui, dans une Amérique libérée de toute dépendance énergétique grâce à son pétrole et à son gaz de schiste et qui se rapproche de l’Iran, quelle sera, après Obama, la politique américaine à l’égard du monde arabe sunnite ? Entre un pôle chiite stable, piloté par l’Iran, et un monde sunnite divisé et déchiré par le salafisme, qui sait de quel côté l’Amérique penchera demain ?

Le risque pour la France – c’est le troisième – est d’autant plus réel que l’on peine à entrevoir les contours d’une stratégie autonome de la France dans cette région du monde. Nous voulions hier bombarder le régime alaouite de Bachar al-Assad et soutenir militairement la résistance dite modérée ; aujourd’hui, la France veut être à la fois contre Daech et contre Bachar. Soit, mais comment combattre alors un adversaire – l’État islamique – présent des deux côtés de la frontière ? Et comment dans ces conditions sauver le Liban et la Jordanie du chaos qui les menace à court terme, alors que par ailleurs nous refusons de dialoguer de ces questions avec ces deux acteurs clefs que sont la Russie et l’Iran ?

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Entre les incertitudes américaines et l’émergence de nouveaux rapports de force dans l’ensemble de la région, il y a pourtant place pour une grande politique étrangère française, qui pourrait entraîner nos partenaires européens, à condition d’engager une réflexion en profondeur sur le devenir de l’ensemble de la région et de ces quatre États clefs que sont l’Irak, la Jordanie, le Liban et la Syrie.

Le quatrième risque vous concerne directement, monsieur Le Drian, et tient à un travers que nous ne connaissons que trop bien : il s’agit de l’inadéquation entre nos ambitions et nos moyens. Une dotation de 31,4 milliards d’euros – le chiffre magique – est tout simplement insuffisante pour assurer l’exécution des missions confiées à nos forces armées sur les différents théâtres d’opérations. Peut-on à la fois protéger le Mali, sécuriser le Sahel, reconstruire la Centrafrique, combattre l’État islamique, et désormais protéger les Français sur leur propre territoire, avec un budget qui ne cesse de se réduire comme peau de chagrin ? Cette année, et vous le savez mieux que personne, monsieur le ministre, il manquera un milliard de surcoût des opérations extérieures, les OPEX, 3,5 milliards de factures impayées et 2,5 milliards de ressources exceptionnelles qui ne seront pas au rendez-vous, soit au total près de sept milliards d’euros, l’équivalent d’une annuité complète d’équipements de nos armées, hors nucléaire !

Pourtant, notre action en Irak, comme l’actualité le prouve, doit avoir désormais pour priorité absolue un impératif de défense strictement national – cela a été dit tout à l’heure par le Premier ministre – : mieux connaître les filières de combattants djihadistes d’Europe et de France afin de les démanteler ; mieux coordonner la défense de l’avant et la défense du territoire en termes de renseignement, de pilotage politique et stratégique. Autant de tâches qui restent à accomplir et qui doivent aller de pair avec le renforcement indispensable des moyens de lutte contre le terrorisme à l’intérieur : amélioration du renseignement et renforcement de la législation, comme nous l’avions suggéré, en vain, lors de la discussion de la loi Cazeneuve il y a quelques semaines.

Il faut espérer que, sur l’ensemble de ces points, l’extraordinaire mobilisation de notre pays, dimanche dernier, permettra d’avancer sur la base d’un consensus bipartisan. Après l’émotion et la compassion, le temps de l’action est venu.

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Alors oui, mes chers collègues, l’UMP votera avec fermeté mais, vous l’avez compris, avec lucidité, la prolongation de l’opération Chammal en Irak, dans l’espoir que celle-ci favorisera à terme, et la stabilisation de la région, et l’éradication de la menace terroriste sur notre propre sol.

Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI et sur plusieurs bancs du groupe SRC.

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La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

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Monsieur le Président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, qu’il s’agisse de l’intervention de la France au Mali ou en République Centrafricaine, le Groupe UDI a, dans les moments difficiles, toujours apporté son soutien au Président de la République et au Gouvernement, dans un esprit de responsabilité et d’union nationale. Nous l’avons fait en conscience, car nous estimons que la sécurité des Maliens et des Centrafricains, et plus largement celle de tout l’arc sahélien, ainsi que celle des Français et des Européens, en dépendait.

Permettez-moi d’abord de saluer, comme l’a fait Philippe Vigier, notre président de groupe, le courage et le professionnalisme des militaires français, qui servent leur pays, dans des conditions souvent très difficiles, avec courage et abnégation. Au total, cent-deux de nos valeureux soldats sont tombés au champ d’honneur – quatre-vingt-neuf en Afghanistan, neuf au Mali, quatre en République Centrafricaine – pour défendre le droit et la liberté. Ils sont la fierté de la France. Je tiens, nous tenons, à leur rendre hommage.

Aujourd’hui, alors que nous sommes appelés à prolonger l’engagement de nos forces aux côtés de nos alliés pour combattre le monstre Daech en Irak, la France se réveille sonnée par les tragiques événements de la semaine dernière. Une France sonnée, mais une France debout ! Nous avons vécu en quelques jours des événements d’une violence inouïe, mais également un dimanche citoyen, digne d’un 25 août 1944, moment rare au cours duquel le peuple de France se lève pour réaffirmer sa fierté nationale et sa fraternité républicaine.

Monsieur le Premier ministre, vous avez tout à l’heure prononcé un discours d’une grande tenue, qui fait honneur à la République et au débat démocratique.

Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur les bancs du groupe SRC.

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Avant-hier, le monde entier avait les yeux rivés sur notre pays, la France des Lumières, qui a toujours su dire non à tous les obscurantismes ; celle du chevalier de La Barre, exécuté en 1766 pour blasphème ; la France de la liberté d’expression et de conscience, la France de la démocratie et des droits de l’homme. Le monde entier a rendu hommage aux journalistes deCharlie Hebdo, aux policiers abattus et aux citoyens tombés sous les balles des terroristes, dont certains parce qu’ils étaient juifs. Ne les oublions pas ! Ne les oublions jamais !

Alors que nous avons, trop longtemps et trop naïvement, cru pouvoir cantonner la menace terroriste loin de nos frontières, nous prenons enfin conscience que le mal est aussi en train de nous gangrener de l’intérieur. Nous devons dès à présent tout faire pour que les événements tragiques que nous avons vécus sur notre sol, ne se reproduisent pas en France, et nulle part ailleurs.

Rappelons-nous que, alors que la France pleurait ses dix-sept victimes, trente-huit Yéménites mouraient dans un attentat à la voiture piégée à Sanaa. N’oublions pas non plus les deux journalistes tunisiens exécutés en Libye, ni les deux mille personnes sauvagement assassinées que pleure le Nigeria, victimes de la folie destructrice et barbare de Boko Haram.

Revenons à la menace permanente que fait peser Daech en Irak et en Syrie, qui reste la plus significative et nécessite à ce titre un engagement déterminé et exemplaire de notre part. Ne nous y trompons pas en effet : ces « califoutraques » islamistes entendent annihiler notre vision universaliste et humaniste ;leurs agissements visent à soumettre le monde à leur vision obscurantiste et rétrograde de la société. Frapper uniquement la tête de l’hydre Daech en Irak, c’est oublier que c’est en Syrie qu’il puise ses ressources humaines et logistiques et que des puissances régionales l’ont soutenu financièrement.

Comme l’exemple libyen nous le rappelle, les seules frappes aériennes ne sauraient suffire à éradiquer Daech, qui, comme Al-Qaïda, fait des émules au sein de la nébuleuse djihado-terroriste en exploitant le terreau de la pauvreté et de l’ignorance, qu’il faut combattre avec tout autant d’ardeur et de fermeté. D’où une légitime interrogation que nous devons formuler clairement : celle de la réalité d’une menace du même ordre, pour nous tout aussi préoccupante, si ce n’est plus, dans la zone saharo-sahélienne.

Il ne faut pas oublier que, comme les crises malienne et centrafricaine, la situation irakienne se nourrit également d’interactions avec son voisinage et les grands conflits de la région. Des massacres et des exactions contre la population civile sont perpétrés sans relâche par Daech. Les plus fragiles en sont les victimes quotidiennes : femmes violées, enfants asservis, personnes âgées maltraitées. Les communautés yézidie et kurde sont persécutées, les chrétiens d’Orient martyrisés.

La France ne pouvait pas rester silencieuse face à cette barbarie. Lorsque les fondements de l’humanisme sont attaqués et que la France est appelée à l’aide, elle se doit de réagir. Les actions terroristes de ces derniers jours nous confirment que nous devons être plus que jamais intransigeants et déterminés en Irak, mais aussi en Syrie, au Sahel, en Libye, et même sur notre propre sol. En effet, nous savons que 1 200 à 1 400 Françaises et Français ont rejoint le djihad, certains venant même de départements ruraux tel que le Tarn. La menace étant globale, notre réponse doit être globale.

Le Groupe UDI le répète inlassablement : face à des adversaires déterminés dans leurs convictions, fussent-elles outrageusement erronées, dénaturant la réalité de l’Islam, il est urgent de construire une défense commune, collective et solidaire entre Européens conscients de leur communauté de destin. C’est notamment parce que cette dernière se forge dans les moments difficiles que nous devons oeuvrer pour une Europe de la sécurité et de la défense, qui sache passer à l’offensive sans hésitation quand les fondements universels de nos sociétés sont attaqués, comme ils l’ont été la semaine dernière. La gravité et l’ampleur de la situation nous imposent de rechercher les conditions d’une mobilisation européenne et internationale, tant sur le plan humanitaire qu’au niveau du soutien militaire.

Le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi l’a du reste parfaitement exprimé, à l’occasion de sa visite officielle à Paris en novembre dernier : puissance régionale, l’Égypte est prête à agir de concert avec ses partenaires de la Ligue arabe comme de l’Union européenne.

Outre la Russie, la Turquie et les monarchies du Golfe, elles aussi concernées par ce conflit, il ne faut pas oublier l’Iran. Ce pays doit revenir dans le jeu politique et diplomatique de la région.

La France a une vocation universelle mais elle n’est plus une puissance universelle. Elle n’a pas les moyens de compenser seule l’impuissance internationale. En revanche, elle a, encore et toujours, vocation à susciter l’élan collectif des nations du monde.

Le grand dessein d’un grand pays comme le nôtre reste d’être partie prenante de la décision, mais aussi de donner du temps et de la profondeur à sa politique étrangère, qui doit retrouver des inspirations gaulliennes, et non être tributaire de la tyrannie de l’émotion.

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De plus, au regard des heures tragiques que nous venons de vivre, nous ne pouvons plus reculer face à la nécessité d’une meilleure coordination européenne en matière de renseignement et de contre-terrorisme, à partir des outils existants, comme la stratégie européenne de lutte contre le terrorisme, et en en appelant à la création d’un véritable service de renseignement mutualisé.

Il nous faudra aussi oeuvrer à une meilleure coordination au sein de notre propre communauté du renseignement. Je veux profiter de l’occasion pour saluer l’action quotidienne de ses agents, qui a permis de déjouer de nombreuses tentatives d’attentats.

En outre, compte tenu du coût en temps de crise des opérations extérieures ainsi que de la nécessaire mobilisation de nos soldats et de nos forces de sécurité sur le territoire national, le groupe UDI estime nécessaire d’ouvrir concrètement le chantier de la solidarité européenne en matière de financement de ces opérations.

La loi de programmation militaire actuellement en vigueur n’est plus crédible, tant l’enracinement et le développement des menaces sécuritaires l’ont dès à présent rendu obsolète. Pire, cette LPM ne nous donne pas les moyens dont nous avons besoin pour permettre aux Français de vivre en sécurité.

La défense étant une mission régalienne de l’État, nous vous demandons solennellement, monsieur le Premier ministre, de nous soumettre un nouveau projet de loi de programmation militaire, qui permette à nos forces armées et de sécurité d’assurer leurs missions dans de bonnes conditions et à la France de tenir son rang.

Monsieur le Premier ministre, par son idéologie meurtrière et ses actions ignobles, le mouvement terroriste Daech représente une menace que nous devons combattre de manière intraitable.

Nous sommes tous Charlie, et nous sommes tous Kobané. Pour ces raisons, le groupe UDI soutiendra d’une manière forte et déterminée, quoique vigilante, la prolongation de l’intervention des forces françaises en Irak.

Applaudissements sur les bancs des groupes UDI etUMP et sur quelques bancs des groupes SRC et RRDP.

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La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.

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Monsieur le Président, monsieur le Premier ministre, madame et monsieur les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mesdames les présidentes de commission, chers collègues, je souhaite, avant d’apporter ma contribution au débat qui nous occupe, m’associer à l’hommage du président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone et exprimer, au nom du groupe écologiste, notre solidarité avec les familles des victimes ainsi que notre reconnaissance aux forces de police et de gendarmerie de notre pays qui assurent, parfois au prix de leur vie, la sécurité de nos concitoyens.

Le groupe écologiste saisit également l’occasion de rendre hommage aux soldats de l’armée française engagés sur notre territoire ainsi qu’à l’étranger. Nous saluons également, de manière très claire, l’action menée par le Président de la République face aux terribles attentats qui ont frappé notre pays. Le discours que vous avez prononcé tout à l’heure, monsieur le Premier ministre, tout comme l’action de votre gouvernement, notamment de vos ministres Bernard Cazeneuve, Jean-Yves Le Drian et Laurent Fabius, qui se sont trouvés en première ligne, doivent également être salués.

Nous venons de traverser l’une des épreuves les plus douloureuses de notre histoire contemporaine. Les attaques perpétrées contre Charlie Hebdo et contre des agents de police, ainsi que dans l’épicerie casher de la porte de Vincennes, resteront gravées dans notre mémoire collective.

Dans ce contexte d’émotion extrême, il est cependant de notre responsabilité de ne pas céder à la précipitation et d’apporter des réponses concrètes, rigoureuses et fermes aux questions que soulève notre dispositif de lutte contre le terrorisme.

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Le hasard a voulu que nos obligations constitutionnelles nous conduisent à nous prononcer aujourd’hui sur la prolongation de l’intervention militaire française en Irak, où nos armées combattent l’État islamique, ou du moins l’ acteur majeur du djihad international qui se présente comme tel.

Parce que la France se déclare « solidaire du camp du droit contre la politique de l’agression », pour reprendre la formule employée par le président François Mitterrand lors du déclenchement de la première guerre du Golfe, il me semble nécessaire de rappeler la résolution de l’ONU qui fonde notre intervention.

Il s’agit de la résolution no 2178 du 24 septembre 2014, placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui autorise le recours à la force en cas de non-respect. Par cette résolution, le Conseil de sécurité des Nations Unies appelle les États membres à « s’attaquer à l’ensemble des causes du phénomène » terroriste. Cela implique, non seulement de se positionner sur la scène internationale comme partie prenante d’une lutte globale contre le développement de la menace terroriste, mais également de prendre des dispositions internes afin d’empêcher toute radicalisation, de juguler le recrutement, d’interdire aux combattants terroristes de voyager, ou encore de lutter contre l’extrémisme violent ou l’incitation à la commission d’actes terroristes.

Les termes employés par le Conseil de sécurité de l’ONU sont sans équivoque : prendre de telles mesures n’est pas seulement souhaitable, c’est une obligation.

C’est dans cet esprit, dans le cadre d’une action de la communauté internationale, que le groupe écologiste aborde la question de la lutte contre le terrorisme en général et le débat sur la prolongation de l’intervention militaire française en Irak en particulier.

Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, il y a un quasi-consensus dans cet hémicycle pour affirmer que nous sommes confrontés à un phénomène d’une ampleur et d’une nature particulières. L’actualité nous a douloureusement rappelé que cette menace pouvait sévir en France. Mais elle frappe également d’autres pays, à commencer par ceux qui sont majoritairement musulmans.

Le président du Niger Mahamadou Issoufou a, dans un entretien accordé hier au journal Libération, évoqué une « seule et même internationale terroriste » allant du Moyen-Orient au Sahel en passant par certains pays du Golfe.

Cette menace s’enracine dans une idéologie totalitaire, une sorte de nouveau fascisme. Dans une tribune publiée le 9 août dernier, l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin affirmait d’ailleurs que « l’islamisme est à l’islam ce que le fascisme fut en Europe à l’idée nationale, un double monstrueux et hors de contrôle, à cheval sur l’archaïsme et la modernité ».

Cette idéologie instrumentalise la religion, dévoyée pour être mise au service d’un projet politique, qui vise à prendre le pouvoir dans certains États – c’est le cas des talibans en Afghanistan depuis plus de vingt ans – ou à en créer de nouveaux, comme Daech tente aujourd’hui de le faire sur un territoire à cheval sur l’Irak et la Syrie. D’ores et déjà il y prélève l’impôt, remplace les tribunaux civils par des tribunaux islamiques, contrôle l’administration et lève des troupes.

C’est également le cas dans certaines zones du Sahel ou de l’Afrique de l’Ouest, comme au Nigeria, où le groupe terroriste Boko Haram contrôle un territoire grand comme la Belgique et commet depuis deux ans les pires atrocités.

Face à cette menace, le rôle de la France est d’abord de participer à l’effort international – le cas échéant dans le cadre d’interventions militaires – pour ne pas laisser se constituer des zones de concentration terroriste. Je veux rappeler ici que, lorsqu’il s’est agi d’intervenir au Mali, en Irak ou en Syrie, la France a été au rendez-vous, sous l’impulsion du Président de la République, François Hollande, au nom de la protection des populations et du respect du droit. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Cette menace nous impose également d’adapter notre législation pour garantir à nos concitoyens tout à la fois la liberté et la sécurité. Celles-ci ne sont pas antinomiques mais indissociables.

C’est au nom de ces principes que le groupe écologiste avait apporté, il y a quatre mois, un soutien conditionnel à l’intervention militaire en Irak. Aujourd’hui, parce qu’il n’est pas d’intervention militaire d’envergure qui ne s’inscrive dans le temps long, la poursuite de cette opération nous paraît cohérente.

Cependant, le contexte de tension que nous avons connu ces derniers jours ne doit en aucun cas nous conduire à abaisser notre niveau d’exigence et de vigilance quant aux principes, aux valeurs et aux objectifs qui justifient notre engagement militaire. J’avais exprimé il y a quatre mois un certain nombre de réserves et d’interrogations relatives à l’opération Chammal. Plusieurs d’entre elles conservent leur pertinence.

En premier lieu, les crises syrienne et irakienne sont venues rappeler l’enchevêtrement des problématiques sécuritaires et communautaires. Aujourd’hui, les tensions opposant chiites, sunnites, kurdes et minorités chrétienne, yézidie et sabéenne, tout autant que les inégalités et la pauvreté, constituent un terreau sur lequel prospèrent les idéologies fondamentalistes.

En septembre, le groupe écologiste avait appelé à la tenue d’une conférence internationale dont la France pourrait prendre l’initiative. Cette conférence permettrait notamment de proposer de nouveaux modèles d’administration respectueux des droits des minorités qui sont au coeur des problématiques régionales, ou de définir des principes de gestion et de partage des ressources en eau comme en hydrocarbures.

En second lieu, nous devons nous interroger sur les contradictions de nos relations avec les populations kurdes d’Irak et de Syrie. En Irak, les peshmergas constituent tout autant un relais militaire de premier plan pour la coalition qu’un rempart de poids dans la lutte contre l’idéologie de l’État islamique. En Syrie, les soldats du parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, et du parti de l’Union démocratique, le PYD, appuient les opérations de la coalition, comme ce fut récemment le cas pour celles conduites dans le massif de Sinjar.

Dès lors, comment expliquer que certaines de ces organisations qui sur le terrain combattent avec nos armes demeurent inscrites sur les listes des organisations terroristes de l’Union européenne ou que certaines de leurs instances représentatives en France soient tenues à l’écart des relations bilatérales ?

En outre, compte tenu du périmètre relativement limité de l’intervention française, notre pays assurant moins de 3 % des frappes aériennes en Irak et ne participant pas aux opérations en Syrie, comment garantir que notre autonomie stratégique sera respectée et que notre voix sera entendue ? La question se pose d’autant plus que nos partenaires européens refusent de s’affirmer, sur ce terrain comme sur d’autres, comme des acteurs diplomatiques et militaires, ce que nous regrettons.

Les échecs des interventions en Afghanistan, en Irak et en Libye ont par ailleurs montré les limites d’une stratégie américaine exclusivement militaire.

En Irak, comme l’a dit le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, nous devons soutenir la transition politique en encourageant la formation d’un gouvernement dont la composition soit à l’image de la diversité de la population irakienne. En Syrie, où la répression du régime et l’État islamique ont fait plus de 200 000 morts, la coalition doit à tout prix imposer une opération humanitaire d’envergure. Elle doit également soutenir un projet politique de transition fondé sur la réunification des oppositions syriennes. Nous tenons à dire très clairement que nous partageons le refus du Président de la République d’une réhabilitation du régime de Bachar El-Assad à l’occasion de cette intervention.

Enfin la crise irakienne doit nous amener à nous interroger sur le jeu trouble de certaines puissances régionales. Je pense bien entendu au rôle du Qatar et de l’Arabie Saoudite, qui hier finançaient l’État islamique et qui aujourd’hui interviennent à nos côtés.

Mais je pense également à la Turquie, qui, pour des raisons de politique intérieure et au mépris de ses engagements internationaux, se refuse à venir en aide aux kurdes de Kobané. Ce même pays fait par ailleurs preuve d’un laxisme flagrant à l’égard des combattants originaires de France ou d’autres pays européens qui transitent par son sol avant de rejoindre les rangs de Daech.

Voilà, mes chers collègues, les principes qui fondent aujourd’hui la position du groupe écologiste : sang-froid, fermeté, et exigence.

Comme l’avait dit Michel Rocard dans cet hémicycle en 1991, « si nous nous honorons d’être pacifiques, nous nous devons d’être fermes. La volonté de paix est une chose. Une autre est l’impuissance. Et l’histoire nous enseigne combien la seconde peut ruiner la première ».

Le groupe écologiste votera donc en faveur de la prolongation de l’intervention des forces françaises en Irak.

Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC et UDI.

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La parole est à M. Jacques Moignard, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.

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Monsieur le Président, madame et monsieur les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mesdames les présidentes de commission, chers collègues, comme nous l’ont rappelé les événements tragiques que nous venons de vivre, la France, comme d’autres États de l’Union européenne, est aujourd’hui confrontée au basculement de plusieurs centaines d’individus dans l’engagement radical violent. Ce basculement s’opère le plus souvent en lien avec des filières qualifiées de djihadistes.

C’est sans relâche, et avec une détermination sans faille, que nous devons poursuivre la lutte contre les actions terroristes fomentées sur notre propre territoire comme sur les théâtres d’opérations étrangers.

Je ne peux poursuivre mon propos sans que résonnent à nouveau dans nos consciences les mots prononcés il y a quelques minutes à cette tribune. Émouvants, vibrants, chaleureux et sensibles, ces mots et ces phrases prononcés avec conviction et autorité reflètent la sensibilité profonde du peuple de France.

Monsieur le Premier ministre, vos propos ont rappelé, par leur éclat et par leur force, le socle du fait républicain. Notre République vit des convictions que vous avez évoquées et son exaltation traduit notre détermination sans faille.

Sur les territoires irakiens et syriens qu’elle contrôle, Daech, organisation terroriste issue d’une branche dissidente d’Al-Qaïda, s’est autoproclamée depuis juin dernier « État islamique en Irak et au Levant ». Devenue l’organisation terroriste la plus puissante dans la région, elle représente un danger à plus d’un titre.

Le danger réside d’abord dans son idéologie. Sous couvert de principes islamiques, Daech prône une doctrine mafieuse et criminelle visant à asservir les populations sous son contrôle. Elle y parvient en menant une épuration ethnique et religieuse aux conséquences humaines et humanitaires désastreuses, en exécutant presque systématiquement les militaires et miliciens des armées irakiennes et syriennes faits prisonniers, ainsi que les rebelles syriens, et en massacrant des civils, notamment les Yézidis ou des tribus sunnites hostiles à l’État islamique, quand ce ne sont pas des otages occidentaux. Les méthodes d’exécution, barbares, sont toujours les mêmes – fusillades, décapitations et crucifiements –, et valent à l’État islamique d’être accusé, à juste titre, de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre l’humanité par l’ONU, la Ligue arabe, les États-Unis et l’Union européenne.

Cette organisation est également dangereuse du fait de l’immense territoire qu’elle contrôle désormais. Depuis juin dernier, l’État islamique s’est lancé dans un processus de conquête territoriale fulgurant, en conquérant d’abord Mossoul, et avec elle toute la province de Ninive, puis l’ouest de la province de Kirkouk, le nord de la province de Salah ad-Din, dont la ville de Tikrit, ainsi qu’Al-Qa’im, son poste-frontière, puis Tall Afar. En août, c’était au tour du Kurdistan irakien et de plusieurs villes, dont Zoumar, Sinjar et Qaraqosh, de tomber.

À ce jour, l’organisation terroriste a étendu son influence sur environ un tiers des territoires irakien et syrien, dont elle contrôle les principaux points de communication et axes stratégiques que sont les villes, les fleuves et les postes-frontières. C’est sur ce vaste territoire que, depuis le 29 juin dernier, l’État islamique en Irak et au Levant a rétabli le califat, avec à sa tête Abou Bakr al-Baghdadi, proclamé calife sous le nom d’Ibrahim. Ce sont désormais Alep et Bagdad qui sont visées par cette expansion terroriste, Daech ambitionnant d’établir à terme un califat sur un vaste territoire allant du Levant – Syrie, Liban, Jordanie, Palestine –à l’Irak.

Cette organisation est dangereuse parce qu’elle dispose de moyens financiers et d’une force combattante considérables. Sans une fortune estimée à deux milliards de dollars, alimentée par des sources de financements diverses – des donateurs privés, le butin de la banque centrale de Mossoul, l’exploitation des puits de pétrole et le racket pratiqué dans les zones qu’il contrôle –, l’État islamique ne pourrait mener ses actions barbares. Il ne pourrait pas non plus y parvenir sans une force combattante d’environ 30 000 individus venus d’Irak et de Syrie pour la plupart, mais aussi d’Occident.

La loi que nous avons votée en décembre et qui vise à renforcer la lutte contre le terrorisme trouve dans ce contexte toute sa justification. En effet, en autorisant l’interdiction administrative de sortie du territoire, elle empêchera des Français, souvent très jeunes, de quitter le territoire national pour apprendre la lutte armée ou se radicaliser davantage, devenant à leur retour un danger pour la sécurité nationale.

Par son organisation, ses méthodes et ses objectifs, Daech fait donc montre d’une dangerosité exceptionnelle qui a pris, en quelques mois, une ampleur considérable.

Face à cette menace durable pour toute la région du Proche et Moyen-Orient et pour le monde entier, la France n’a pas tardé à réagir.

Il est utile, en cet instant, de préciser que parmi les sept principes qui encadrent l’engagement de nos forces armées à l’étranger édictés par le Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale figurent notamment« le caractère grave et sérieux de la menace contre la sécurité nationale ou la paix et la sécurité internationales » et « la définition de l’engagement dans l’espace et dans le temps ». C’est ce dernier principe qui justifie notre débat d’aujourd’hui.

Dans ce contexte, parallèlement aux frappes aériennes américaines menées début août contre l’État islamique dans le nord de l’Irak – il convient de rappeler que ces frappes font des États-Unis le premier contributeur de l’opération militaire, la France venant en deuxième position –, notre pays a commencé par envoyer de l’aide humanitaire aux réfugiés fuyant l’avancée de l’État islamique. Par la suite, la France a livré des armes aux forces kurdes et irakiennes, en première ligne dans le combat contre les djihadistes.

À la demande du gouvernement irakien, dans le cadre des résolutions adoptées à l’unanimité – il faut le rappeler – par le Conseil de sécurité des Nations unies, une large coalition internationale s’est formée.

La France a pris l’initiative d’organiser à Paris, le 15 septembre dernier, une conférence internationale pour la paix et la sécurité en Irak. Réunissant vingt-neuf pays et organisations, dont onze États de la région, cette conférence a permis de souligner l’urgente nécessité de mettre un terme à la présence de l’État islamique dans les régions d’Irak où il a pris position.

Dans cette perspective, les participants se sont engagés à soutenir le nouveau gouvernement irakien dans sa lutte contre l’État islamique, par une aide militaire appropriée aux besoins exprimés par les autorités irakiennes, dans le respect du droit international et de la sécurité des populations civiles. Ils ont exprimé leur attachement à l’unité, à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de l’Irak en apportant leur plein soutien à son nouveau gouvernement. Par ailleurs, les partenaires internationaux ont condamné les crimes et les exactions massives commis contre les populations civiles, notamment contre les minorités les plus vulnérables, qui peuvent être considérés comme des crimes contre l’humanité.

Quatre jours seulement après la conférence, la France lançait l’opération Chammal, qui mobilise 800 militaires et un dispositif important comprenant neuf avions Rafale, six avions Mirage, un ravitailleur, un avion de patrouille maritime et une frégate antiaérienne. Comme je l’ai dit, la France est, en termes de capacités militaires, le deuxième contributeur de la coalition.

Cette opération, toujours réalisée en étroite coordination avec nos alliés présents dans la région, vise à acquérir du renseignement sur les positions, les mouvements et les vulnérabilités des terroristes, tout en nous tenant prêts à assurer des frappes en cas d’identification de cibles d’opportunité au sol.

Très active, cette opération a permis des avancées significatives. Durant ces deux dernières semaines, la force Chammal a ainsi réalisé quarante-cinq missions aériennes, au cours desquelles huit frappes ont permis la neutralisation d’une dizaine d’objectifs au sol. L’une de ces frappes a été réalisée le 24 décembre, dans la région de Kirkouk, sur un bâtiment abritant des combattants de Daech. Le 2 janvier, deux aéronefs sont intervenus dans la même région pour neutraliser les terroristes ainsi qu’un poste de combat.

Dans cette véritable guerre d’usure, les frappes aériennes de la coalition commencent à porter leurs fruits. Comme l’a dit M. le ministre de la défense, l’armée terroriste piétine contre la ligne de défense des peshmergas ; dans certains cas, elle recule même face aux forces de sécurité irakiennes. En somme, l’offensive de Daech a été arrêtée mais le mouvement de recul n’a pas été engagé.

Grâce à ces frappes, les forces kurdes irakiennes ont pu, par exemple, infliger récemment un sérieux revers à l’État islamique dans la région de Sinjar. En décembre, elles ont lancé leur plus importante offensive afin de reconquérir un territoire d’environ 2 000 kilomètres carrés.

Ainsi, Daech se trouve en difficulté sur plusieurs fronts. Le groupe a dû se retirer de certains territoires d’Irak conquis l’été dernier, au sud de Bagdad, à l’est du pays, près de la frontière avec l’Iran, et au nord, au Kurdistan.

Malgré ces avancées significatives, l’État islamique constitue toujours une menace grave pour l’Irak, mais aussi pour l’ensemble de la communauté internationale. Faire face à une telle menace nécessitera donc une action de long terme de la communauté internationale et, plus particulièrement, de notre pays. Par conséquent, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutient la prolongation de l’intervention des forces françaises en Irak.

Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs du groupe SRC.

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La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.

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Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et monsieur les ministres, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission de la défense, chers collègues, nous sommes engagés en Irak parce que Daech, cette organisation terroriste qui insulte l’islam et les valeurs universelles, fait peser une menace mortelle sur le Moyen-Orient et menace la sécurité de l’Europe et de la France. Les attentats commis contre la rédaction de Charlie Hebdo et contre nos concitoyens juifs dans un magasin cacher montrent bien que notre territoire n’est pas à l’abri.

Dans ces circonstances dramatiques, lorsque les valeurs de l’humanité sont bafouées, nous devons nous rassembler autour des valeurs de la République : la liberté, et d’abord la liberté d’expression, mais aussi l’égalité, car nous sommes tous égaux devant la menace, et la fraternité, car celle-ci demeure la meilleure réponse à la haine. C’est ce que nos compatriotes ont exprimé massivement dimanche dernier, dans un élan magnifique d’hommage aux victimes et une totale détermination à se défendre face au terrorisme sans jamais rien céder sur nos valeurs ni sur notre volonté de vivre ensemble.

Le nombre exceptionnel de messages de soutien qui nous sont parvenus de toute la planète, y compris de plusieurs pays du Moyen-Orient engagés à nos côtés dans la guerre contre Daech, dit assez clairement que la menace terroriste est mondiale. Le Président de la République l’a rappelé ce matin en rendant hommage aux policiers Franck Brinsolaro, Clarissa Jean-Philippe et Ahmed Merabet : « Le fanatisme tue les musulmans. » C’est vrai en Afrique, en Irak, en Syrie, en France et ailleurs.

En Irak, c’est précisément le gouvernement qui nous a appelés à l’aide, et cette opération a le soutien de tous les États de la région. J’ajoute que le Conseil de sécurité a appelé à combattre Daech par tous les moyens, conformément à la Charte des Nations Unies, et à soutenir les forces qui luttent sur le terrain contre cette organisation. La montée en puissance des frappes de la coalition a incontestablement été efficace : elle a donné de l’air aux forces régulières irakiennes ainsi qu’aux Peshmergas du Kurdistan, qui ont pu enrayer la progression de Daech et amorcer par endroits la reconquête.

Monsieur le ministre de la défense, l’action des forces françaises est une nouvelle fois exemplaire. À mon tour, j’exprime mon profond respect pour nos militaires, dont le grand professionnalisme, la bravoure et l’engagement forcent notre admiration. Nos forces aériennes s’illustrent par la précision de leurs frappes et un souci constant d’éviter les dommages collatéraux. Je n’oublie pas non plus la contribution de nos marins, qui participent aux contrôles aériens à bord de la frégate Jean Bart,…

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…ni celle de nos forces spéciales qui ont formé les peshmergas à l’utilisation des armes que nous leur avons livrées. Notre dispositif est souple et calibré en fonction de l’évolution de la situation sur le terrain : il a ainsi été progressivement renforcé, entre autres par l’arrivée des Mirage 2000 en Jordanie.

Je soutiens aussi le Gouvernement dans son souci d’obtenir de nos alliés américains un partage complet du renseignement.

Ces premiers résultats confirment le bien-fondé de la stratégie choisie, celle d’un soutien aérien aux forces terrestres irakiennes, auxquelles il incombe principalement de mener cette guerre, car nous ne devons pas nous substituer aux Irakiens ni à leurs voisins immédiats. Cette région du monde a trop souffert des ingérences occidentales ; elle doit aujourd’hui, avec notre aide, bâtir les éléments qui assureront sa stabilité et son développement.

C’est tout le sens de la stratégie politique que nous menons parallèlement à notre engagement militaire. Daech se nourrit des divisions entre les Irakiens, et son action ne sera contrecarrée que lorsque le gouvernement de ce pays aura rétabli un minimum de confiance en l’État. La diplomatie française, par la voix du ministre des affaires étrangères, a mis en garde le précédent gouvernement irakien contre sa politique sectaire et a salué la nomination d’un nouveau premier ministre pour favoriser la réconciliation nationale. Aujourd’hui, nous pesons de tout notre poids diplomatique pour faire avancer le processus politique.

Le maintien de l’Irak dans ses frontières actuelles suppose qu’un nouveau contrat soit conclu entre tous les citoyens, selon des termes qu’il leur appartient de définir. À cet égard, les signaux envoyés par le premier ministre Al-Abadi sont encourageants – je pense en particulier à l’accord conclu avec le gouvernement régional du Kurdistan – mais, évidemment, le chemin est encore trop long.

Notre stratégie politique encourage aussi l’union de l’ensemble des acteurs régionaux, qui ont tous intérêt à la défaite de Daech mais peinent à constituer un front uni. Nous devons encourager le dépassement des oppositions entre chiites et sunnites, au profit d’une vision qui fassent que toutes les puissances régionales soient garantes de leur sécurité collective.

Mes chers collègues, une fois de plus, notre pays est engagé dans une intervention militaire afin de défendre sa propre sécurité et ses valeurs. Notre débat – le troisième de ce type depuis le début de la législature – s’inscrit dans un contexte tragique, mais qui a suscité chez nos compatriotes une réaction admirable de force et de dignité. C’est dans cet esprit de rassemblement et de détermination, qui fait depuis plusieurs jours notre fierté de citoyens français, comme l’a souligné M. le Premier ministre, que je vous invite à mon tour à voter en faveur de la prolongation de cette intervention.

Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe RRDP.

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La parole est à Mme la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées.

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Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, chers collègues, il y a quelques jours encore, notre débat aurait pu passer pour un exercice de pure forme, alors que l’opération dont nous débattons aujourd’hui est utile, et même indispensable. Elle met en oeuvre des moyens aériens de pointe et d’une haute technicité, comme cela vient d’être rappelé. Sa valeur militaire est indéniable et sa valeur symbolique n’est pas moins importante.

Elle matérialise le soutien de la France à un pays, l’Irak, qui subit la pression d’une organisation qui se plaît à ressembler à une caricature d’obscurantisme féroce. Elle est cohérente avec le combat que notre pays mène au nom de beaucoup d’autres et en alliance avec de nombreux pays africains dans la zone saharo-sahelienne. Il faut donc voter la prolongation de l’intervention des forces françaises en Irak.

Mes chers collègues, les événements de la semaine dernière doivent nous amener à nous interroger sur la cohérence de nos choix. L’irruption, ou plutôt le retour du terrorisme sur le territoire national est une épreuve de vérité. Au fond, peu importent les motivations du terrorisme, ici ou au Sahel : le terrorisme est un mode d’action, pas une idéologie.

La lutte que nous avons à mener se situe à deux niveaux. Sur le plan des principes, il nous faut inlassablement promouvoir la République et ses valeurs de fraternité comme antidote à tous les fanatismes.

En matière d’action régalienne, nous devons nous doter de tous les outils de prévention des actions violentes contre nos concitoyens, vous l’avez dit avec force, monsieur le Premier ministre. Je fais partie de ceux qui pensent que le premier devoir de l’État envers les Français est la protection du territoire national et de ses habitants. Nous ne pouvons donc pas choisir entre la capacité d’action hors de nos frontières et le maillage de notre territoire par les armées, comme le suggèrent certains médias. Nous avons besoin des deux.

La commission du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale avait étudié des hypothèses faisant des effectifs la variable d’ajustement du budget de la défense. Elle a finalement retenu celle qui préservait le mieux les effectifs. Aujourd’hui, je ne suis pas certaine qu’il ne faille pas revoir à la hausse les formats alors arrêtés.

Debut de section - Permalien
Plusieurs députés du groupe UMP

Très bien.

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En effet, face à une situation de crise qui semble malheureusement devoir durer, le concours des forces armées à la sécurité du territoire et des populations n’est pas une mission de circonstance : c’est au contraire la première et la plus importante de leurs missions. Conformément aux engagements exprimés par le ministre de la défense, ici dans cet hémicycle et devant la commission de la défense, je souhaite, non pas une révision mais un examen à mi-mandat de la loi de programmation militaire.

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Je souhaite que 2 015 soit l’année des décisions qui prendront en compte ces besoins nouveaux – pourquoi pas une réserve citoyenne présente sur notre territoire ? – qu’une triste actualité vient de révéler. Je rappelle à ceux qui l’auraient oublié que tant le Livre blanc sur la défense, la loi de programmation militaire que les divers exercices financiers de ces dernières années avaient anticipé les événements que nous avons, malheureusement, vécu ces derniers jours.

Les besoins en matière de renseignement ou de continuum défense- sécurité nationales, mais également le déploiement de 10 000 hommes en OPEX étaient non seulement prévus, mais financés.

Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.

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Mes chers collègues, je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que le vote sur la prolongation de l’intervention des forces françaises en Irak donnerait lieu à un scrutin public. Je fais d’ores et déjà annoncer le scrutin dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. le ministre de la défense.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves le Drian, ministre de la défense

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je tiens d’abord à remercier les présidentes de la commission des affaires étrangères et de la commission de la défense de leurs propos. Le ministre de la défense que je suis sera toujours prêt à se rendre devant vos commissions, mesdames, pour faire le point sur les opérations en cours, que ce soient l’opération Chammal ou les autres.

Aux différents orateurs qui se sont exprimés, je tiens à dire à quel point j’ai apprécié l’hommage qu’ils ont rendu aux forces armées. Celles-ci sont aujourd’hui engagées sur quatre théâtres d’opérations, puisqu’aux opérations Chammal, Sangaris et Barkhane, il faut désormais ajouter un théâtre intérieur. Nos forces armées sont engagées sur trois théâtres extérieurs et un théâtre intérieur, sans compter notre présence au Liban et, dans une moindre mesure, dans d’autres lieux.

À menace globale, réponse globale. De plus en plus action de sécurité intérieure et action de sécurité extérieure interfèrent l’une avec l’autre. Les forces armées sont à la hauteur de leurs responsabilités et remplissent leur tâche avec courage et professionnalisme. Vous avez bien voulu, les uns et les autres, le rappeler et je suis très heureux de ces encouragements.

Je veux d’abord souligner l’importance de diagnostiquer ce qu’est Daech. Vous avez été nombreux à y faire référence, M. Moignard en particulier. Nous affrontons une menace tout à fait inédite. La nouvelle génération du terrorisme post Ben Laden que constitue Daech est d’un niveau sans précédent.

De par sa nature et sa dimension, Daech change complètement la donne, que ce soit par le nombre de ses combattants – 40 000 –, ses capacités militaires – chars, blindés, armements lourds, missiles – sa capacité d’intervention – Daech mène à la fois des opérations conventionnelles, des opérations de type terroriste ou de guérilla urbaine – ou encore par sa dimension internationale : Daech est une force capable de recruter très largement à l’étranger. Outre les recrutements français dont il a beaucoup été question, cette organisation recrute en Arabie saoudite, au Maroc, etc, soit près de 10 000 étrangers sur 40 000 combattants. Ce chiffre impressionnant montre que nous sommes face à un type radicalement nouveau de terrorisme. C’est la raison pour laquelle il m’arrive souvent de parler d’armée terroriste ou de terrorisme militarisé. C’est là une raison supplémentaire d’intervenir.

En outre, Daech a une très grande maîtrise de la communication et dispose d’importants moyens financiers. Cette organisation est capable de recruter non seulement des jeunes vulnérables, mais également des ingénieurs, des techniciens, des informaticiens, des universitaires. Telle est la force du califat, qui fusionne le pouvoir politique et religieux, le calife étant le successeur de Mahomet. Il convient de prendre toute la mesure de ce terrorisme d’un type nouveau qui appelle de notre part un combat vigilant, ferme, radical et déterminé, celui que nous menons.

Monsieur Candelier, même si je respecte les raisons que vous avez évoquées à l’appui de votre choix de l’abstention, elles ne me semblent pas tout à fait justes. Jamais, monsieur Candelier, l’OTAN n’a été présente dans l’opération contre Daech. La coalition s’est réunie à Paris le 15 septembre dernier à l’initiative du Président de la République. C’est à partir de la conférence de Paris et de la résolution 2170 des Nations unies que la coalition s’est engagée. Il ne s’agit pas d’une initiative de l’OTAN ; il n’y en a jamais eu et il n’y en aura pas.

Le groupe aéronaval évoqué par le Premier ministre a appareillé aujourd’hui pour une mission programmée de longue date. Si le Président de la République se rend demain sur le porte-avions, c’est parce que c’est là que la cérémonie des voeux aux armées doit avoir lieu, puisque c’était au tour de la marine de recevoir le Président de la République.

Le porte-avions, il est vrai, se rendra dans le golfe arabo-persique et en Inde, conformément à sa mission initiale, et il sera à la disposition du Président de la République si d’aventure cela se révélait nécessaire.

Les cinq objectifs que vous avez rappelés, monsieur Le Roux, restent les axes de notre stratégie. Plus précisément, le volet militaire comporte six objectifs. Il s’agissait d’abord de bloquer l’avance de Daech : l’objectif a été atteint. Le deuxième objectif est d’affaiblir son organisation : c’est en cours, même si Daech fait preuve d’une grande capacité à innover et à s’adapter à la nouvelle donne militaire dans les zones sur lesquelles il exerçait jusqu’ici sa pression.

Notre troisième objectif est d’apporter notre soutien à ceux qui se battent au sol : c’est ce que nous faisons, une centaine de nos officiers formant les peshmergas ou les forces de sécurité irakiennes. Quatrièmement, avec les Britanniques et les Américains, nous exportons de l’armement et aidons les militaires à les utiliser et nous apportons notre soutien aux combattants non-djihadistes en Syrie. La cinquième étape sera la reconquête par les Irakiens et les peshmergas de l’intégralité du territoire irakien et nous appuierons les forces au sol le moment venu.

Oui, monsieur Lellouche, ce sera long. Nous l’avons toujours dit et nous continuons à le dire. Oui, les interrogations sur l’estimation des risques dans cette région sont légitimes. Oui, il est nécessaire de mener une guerre globale.

Oui, il est nécessaire de se préoccuper du Liban et de la Jordanie, et c’est ce que nous faisons. Le renforcement de l’armée libanaise a été acté par un dispositif initié par l’Arabie Saoudite et la France. Nous avons installé une base en Jordanie pour attaquer Daech.

Il est un point sur lequel j’ai une divergence d’appréciation avec vous, monsieur Lellouche, ainsi qu’avec la présidente de la commission de la défense et M. Folliot, qui ont aussi évoqué le sujet. Si nous intervenons aujourd’hui sur quatre théâtres différents – trois extérieurs et le théâtre intérieur –, c’est dans le strict respect de la loi de programmation militaire : c’est elle qui nous permet de le faire. Aujourd’hui, 10 000 hommes sont mobilisés pour l’opération intérieure et environ 10 000 pour les opérations extérieures, sans compter les 8 000 hommes prépositionnés, en particulier en Afrique.

Cela, c’est la loi de programmation militaire qui le rend possible, même si je reconnais avec vous que c’est difficile. Comme toute loi de programmation militaire, la PLM actuellement en vigueur est adaptée à l’évaluation des nouvelles capacités et des nouvelles menaces. C’est ce cadre en effet qui nous a permis de renforcer la cybersécurité, les forces spéciales, les capacités de renseignement, ou encore le ravitaillement en vol : c’est la prise en compte de la nécessité de ces évolutions qui la distingue de la PLM précédente.

Ainsi que vous le soulignez, madame la présidente de la commission de la défense, il importe désormais, en application de l’article 6 de la loi de programmation militaire, que nous examinions à mi-parcours les nouvelles menaces et capacités pour adapter la loi à la situation nouvelle. Je l’avais indiqué avant les attentats et je maintiens ma position.

Monsieur Folliot, les questions que vous avez posées seront évoquées lors de la réunion des ministres de la défense de l’Union européenne qui doit se tenir dans quelques jours. S’agissant du financement des opérations, le Premier ministre a tenu des propos extrêmement clairs.

J’ai en partie répondu à vos observations, monsieur de Rugy.

Je me réjouis par ailleurs de vous entendre soulever la question de Boko Haram. Il me semble en effet qu’il y un risque de voir se constituer dans les semaines, voire les jours qui viennent, un nouveau califat, en Afrique cette fois, contre lequel il faudra trouver les moyens de se défendre et constituer les coalitions nécessaires à cet effet.

L’engagement du Qatar et de l’Arabie saoudite dans la coalition est clair, monsieur de Rugy : je vous rappelle que l’état-major de celle-ci est établi au Qatar.

Au sein de cette coalition, monsieur Candelier et monsieur Lellouche, la France conserve son droit de parole et son autonomie. Loin de faire preuve du suivisme vis-à-vis des États-Unis que vous lui reprochez tous deux, quoiqu’en des termes différents, la France joue sa propre partition. Deuxième puissance engagée en termes de capacité de frappe, en nombre et en force, elle possède en effet des capacités de renseignement et d’action qui lui assurent cette autonomie au sein de la coalition à laquelle elle participe aux côtés des États-Unis.

Voilà pourquoi, mesdames et messieurs les députés, je souhaite, comme le Premier ministre et la quasi-totalité des orateurs qui se sont exprimés, que vous donniez à nos forces les moyens de poursuivre leur action pour assurer notre sécurité face à une menace globale, celle du terrorisme, qui a frappé ces jours derniers Paris. C’est ainsi que nous pourrons l’attaquer à la racine, autrement dit l’éradiquer.

Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP et sur quelques bancs des groupes UDI et UMP.

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Je vais maintenant mettre aux voix la déclaration du Gouvernement sur l’autorisation de la prolongation de l’intervention des forces françaises en Irak.

Il est procédé au scrutin

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Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants: 502 Nombre de suffrages exprimés: 489 Majorité absolue: 245 Pour l’adoption: 488 contre: 1 (La déclaration du Gouvernement sur l’autorisation de la prolongation de l’intervention des forces françaises en Irak est adoptée.)

Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP et sur quelques bancs des groupes UDI et UMP.

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La Conférence des présidents, réunie ce matin, a arrêté les propositions d’ordre du jour suivantes pour la semaine du 2 février 2015 :

Lundi 2, mardi 3, mercredi 4 et vendredi 6 février : suite de la discussion du projet de loi pour la croissance et l’activité.

Il n’y a pas d’opposition ?

Il en est ainsi décidé.

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Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Questions à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

La séance est levée.

La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly