Séance en hémicycle du 2 avril 2015 à 15h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance est ouverte à quinze heures.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Éric Ciotti et plusieurs de ses collègues relative à la légitime défense des policiers (nos 2568, 2678).

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La parole est à M. Éric Ciotti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

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Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, je remercie M. le ministre de sa présence cet après-midi pour l’examen de la proposition de loi que j’ai l’honneur d’avoir déposée au nom du groupe UMP. Cette proposition de loi s’inscrit dans un contexte marqué par l’augmentation des violences et des risques auxquels sont confrontées les forces de l’ordre. Elle vise à apporter une réponse claire et mesurée, j’insiste sur ce point, aux attentes de ceux qui, au quotidien, ont la lourde mission et l’immense responsabilité d’assurer notre sécurité, quelquefois au péril de leur vie.

Ce texte devrait donc, je l’espère, nous rassembler et faire l’objet d’un soutien sur tous les bancs. En effet, nous ressentons tous, quels que soient nos convictions et les bancs sur lesquels nous siégeons, un profond respect, je dirais même une admiration pour les femmes et les hommes qui assurent notre protection au quotidien. Ces missions sont dangereuses et exposent ceux qui les accomplissent à des risques importants. Les attentats qui ont frappé notre pays les 6, 7 et 8 janvier dernier l’ont rappelé : parmi les dix-sept victimes assassinées par les terroristes se trouvaient trois policiers. Ils sont morts parce qu’ils portaient cet uniforme symbole de cette autorité républicaine que certains voulaient détruire.

Meurtrie, notre nation a répondu de façon exceptionnelle, en montrant à ceux qui voulaient la mettre à genoux que, face à la terreur, elle se dressait déterminée, solidaire et unie. Or, la difficulté de cette lutte croît de jour en jour. Les criminels, les terroristes, qui disposent de plus en plus souvent d’un arsenal militaire, n’hésitent plus à s’en prendre aux forces de l’ordre. L’uniforme, symbole de l’autorité légale et républicaine, ne protège plus ; au contraire, il devient une cible et expose celles et ceux qui le portent. Depuis 2004, et pour la seule police nationale, le nombre de fonctionnaires tués et blessés en mission a connu une augmentation continue : 36 tués en mission, 112 en service, 52 000 blessés en mission, 123 000 en service, chiffres dramatiques qui traduisent malheureusement la réalisation trop fréquente des risques pesant sur les forces de l’ordre.

Il est par conséquent urgent de fournir aux forces de l’ordre les moyens appropriés pour exercer leurs fonctions dans de bonnes conditions. Au-delà des moyens humains et matériels se pose la question des moyens juridiques, trop souvent laissée de côté et qui passe inévitablement par le renforcement de la protection pénale des forces de l’ordre, notamment s’agissant de l’usage de la force armée. Le monopole de la violence légitime, pour reprendre les mots du sociologue Max Weber, doit s’appliquer partout et en tout lieu sur le territoire de la République. Or, les règles relatives à cet usage sont souvent peu intelligibles, peuvent faire l’objet d’interprétations diverses et varient d’un corps à l’autre.

En effet, il est difficilement compréhensible, alors qu’ils font face aux mêmes dangers, exercent des missions similaires et qu’ils sont soumis à un code de déontologie commun, que les gendarmes et les policiers soient régis par des doctrines d’emploi de la force armée différentes. Alors que les gendarmes bénéficient de dispositions particulières prévues au code de la défense, les policiers sont placés dans une situation rigoureusement identique à celle de tout un chacun et traités comme n’importe quel particulier. C’est en effet, pour la police, le droit commun qui s’applique, c’est-à-dire la légitime défense prévue par le code pénal.

Trois conditions doivent être réunies pour qu’elle puisse utilement être invoquée : la nécessité, la proportionnalité et la simultanéité. Ces trois conditions prohibent l’usage d’armes face à des individus en étant démunis, alors qu’il est possible de tuer quelqu’un à mains nues. Elles imposent fréquemment aux forces de l’ordre d’attendre la réalisation du danger pour y répondre et exposent donc les agents publics à des risques mortels. Trop souvent, des policiers hésitent à agir alors même que leur intervention est nécessaire, par crainte de se situer hors du cadre juridique applicable. Le droit existant fait peser sur les agents publics une incertitude regrettable, une insécurité dangereuse pour eux mais également pour ceux dont ils ont la lourde tâche d’assurer la protection.

Vous le savez, monsieur le ministre, ce constat n’est pas seulement le mien. Tous les syndicats de police entendus dans le cadre des travaux préparatoires de notre commission ont exprimé leur sentiment d’insécurité face aux règles de la légitime défense telles qu’elles prévalent aujourd’hui. La direction générale de la police nationale, elle aussi, a admis par la bouche de la directrice de l’inspection générale de la police nationale, Mme Monéger, que le cadre légal actuel ne permettait pas de faire face à toutes les situations auxquelles peuvent être confrontées les forces de l’ordre. Il est donc urgent de modifier notre droit pour fournir aux forces de l’ordre les moyens juridiques d’assumer leur rôle de façon ferme mais équilibrée. Telle est l’ambition de ce texte, que j’ai l’honneur de rapporter.

À titre liminaire, je souhaiterais revenir sur deux points essentiels qui ont fait l’objet d’interrogations ou d’erreurs d’interprétation. D’une part, et j’insiste sur ce point, le dispositif proposé n’introduit pas une présomption de légitime défense. La proposition de loi ne prévoit pas une impunité et n’empêchera pas des poursuites et d’éventuelles condamnations si les dépositaires de l’autorité publique agissent en dehors des hypothèses prévues. Elle n’entraînera pas un renversement de la charge de la preuve, ni une présomption de culpabilité à l’égard de la victime de la force armée.

D’autre part, et c’est là aussi essentiel, le dispositif qu’entend introduire cette proposition de loi ne s’affranchit en aucun cas des exigences du droit européen et de l’interprétation qu’en a faite la Cour européenne des droits de l’homme. Il ne s’agit aucunement de prévoir un permis de tuer ou de donner aux forces de l’ordre un blanc-seing pour ouvrir le feu, comme j’ai pu hélas le lire dans certains articles ou propos caricaturaux.

Le texte qui vous est soumis met en place une doctrine d’emploi de la force armée pour les dépositaires de l’autorité publique, qui s’accompagne d’une irresponsabilité pénale lorsque les actions des agents s’inscrivent dans son cadre. Il s’inspire des dispositions prévues à l’article L. 2338-3 du code de la défense pour les gendarmes, mais offre un encadrement plus rigoureux.

Je voudrais à ce stade apporter trois précisions. En premier lieu, le texte ne vise pas seulement la police mais les dépositaires de l’autorité publique, notion plus large qui englobe, outre les policiers et les gendarmes, les douaniers ou encore les magistrats. Ce choix rédactionnel fait écho à la nomenclature des Nations unies, qui vise les responsables de l’application des lois, et permet de toucher l’ensemble des serviteurs de la République qu’entend protéger le texte. Il est évident que ne seront concernés que ceux d’entre eux qui peuvent être amenés, dans le cadre de leurs fonctions, à faire usage d’une arme de service.

En deuxième lieu, les armes mortelles ne sont pas les seules susceptibles d’être utilisées par les forces de l’ordre : le texte concerne également les armes non mortelles, telles que les lanceurs de balles de défense.

En troisième lieu, les hypothèses dans lesquelles le recours à la force armée est possible sont rigoureusement encadrées, tout en permettant de combler les lacunes et pallier les insuffisances du droit existant. D’une part, la proposition de loi, à ses trois derniers alinéas, étend des cas figurant déjà dans le code de la défense, dans la mesure où ils portent sur des situations qui peuvent être rencontrées par d’autres agents que les seuls gendarmes. D’autre part, et surtout, elle introduit trois hypothèses précises et opportunes dans lesquelles la force armée peut être employée.

Le 1° du texte autorise cet emploi en cas de danger imminent. Il permettra ainsi de riposter utilement face à un tueur fou qui a déjà tué, s’apprête à recommencer mais qui, au moment où il peut être neutralisé, a rangé son arme. Mme Monéger a évoqué ce cas lors de son audition devant la commission des lois, et l’on peut songer à Breivik en Norvège. Le 2° offre une protection pénale aux agents qui font usage de leur arme lorsqu’ils subissent des violences graves. Le lynchage du commissaire Illy en 2007 à Sarcelles par une bande non armée mais qui a failli le tuer, ou l’agression inqualifiable du gendarme Nivel en 1998, illustrent le sérieux de telles situations et la nécessité de prévoir une riposte garantissant la sauvegarde de l’intégrité physique des agents. Enfin, le 3° autorise l’emploi de la force armée lorsque des individus dangereux et armés refusent de déposer leurs armes malgré deux sommations. Afin d’éviter de figer le droit et d’imposer aux agents un prononcé de sommations trop précis, un amendement vous proposera de n’inscrire dans le code pénal que le contenu général des sommations.

Ces trois points ont recueilli l’assentiment des organisations syndicales de la police nationale, qui y voient un dispositif équilibré et opérationnel. Bien sûr, le syndicat majoritaire des gardiens de la paix, Alliance, a beaucoup défendu cette proposition mais le syndicat des officiers et celui des commissaires ont également exprimé leur soutien à ce dispositif équilibré.

Vous avez pu le constater, ce texte est loin des caricatures qui ont pu en être faites : il est ferme, mais il est bien encadré, a fortiori avec les amendements que je vous invite à voter, qui prémunissent le dispositif de toute dérive, et il est compatible en tout point avec la convention européenne des droits de l’homme.

Nous aurions pu, dès 2012, apporter aux forces de l’ordre la réponse qu’elles attendent en adoptant la proposition de loi de nos collègues Guillaume Larrivé et Philippe Goujon.

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Hélas, malgré sa solidité et son opportunité, elle n’avait pas été votée. Nous avons une seconde occasion, monsieur le ministre, de renforcer la protection pénale de ceux qui risquent leur vie pour notre sécurité. Il serait irresponsable de la laisser passer. Nos policiers méritent d’être protégés. Ils jouissent de la considération unanime de la nation : saisissons aujourd’hui cette occasion pour l’exprimer, non pas dans les discours, mais dans les actes.

Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mesdames et messieurs les députés, la proposition de loi relative à la légitime défense des policiers qui est présentée aujourd’hui par Éric Ciotti porte sur un sujet particulièrement important et sensible, qui mérite d’être traité avec la plus grande rigueur.

Cette proposition de loi vise à créer un article 122-6-1 dans notre code pénal, afin d’une part d’harmoniser les textes qui régissent l’usage des armes par les policiers et les gendarmes en situation de légitime défense, et d’autre part d’élargir les cas de légitime défense en assouplissant les conditions d’utilisation des armes.

Monsieur le rapporteur, laissez-moi tout d’abord vous dire que je partage votre souci de renforcer, dans le strict respect du droit, la sécurité des policiers et des gendarmes face aux violences dont ils font l’objet. C’est là une préoccupation constante de tout ministre de l’intérieur, et c’est du reste la raison pour laquelle la question du cadre juridique de l’usage des armes par les policiers est très régulièrement posée. Confrontés à de nouvelles formes de criminalité, ces derniers risquent en effet leur vie pour protéger nos concitoyens et faire respecter, sur l’ensemble du territoire national, les lois de la République.

Nous connaissons tous le prix que, trop souvent, ils payent dans l’accomplissement de leurs missions. Ainsi, l’année dernière, quatre policiers ont été tués en opération, et près de 9 000 ont été blessés. Depuis le début de l’année 2015, la police nationale déplore la perte de deux agents en mission, tandis que plus de 850 ont été blessés. La gendarmerie nationale, quant à elle, a perdu en 2014 trois des siens en opération. Cette même année, plus de 1 750 gendarmes ont par ailleurs été blessés au cours d’une agression. Déjà plus de 360 l’ont été depuis le début de cette année. Je donne ces chiffres pour rappeler la réalité des violences dont les forces de l’ordre font l’objet – car je ne suis pas de ceux qui théorisent les violences policières face à la réalité des données.

L’utilisation d’armes lourdes par les réseaux de la grande délinquance et plus encore la montée de la menace terroriste nous imposent en outre un devoir de vigilance particulière. Chacun d’entre nous se rappelle comment, au mois de janvier dernier, deux policiers nationaux ainsi qu’une policière municipale ont perdu la vie en accomplissant leur devoir, frappés à mort par des terroristes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé, sans tarder, de moderniser l’armement des policiers et d’améliorer les mesures de protection dont ils bénéficient : je pense à l’octroi de gilets pare-balles et de casques balistiques.

Il ne me semble donc pas anormal que, dans ce contexte, nous réfléchissions également à la possibilité de clarifier le cadre juridique qui permet aux policiers et aux gendarmes de faire usage de leurs armes. C’est, monsieur le rapporteur, ce que vous proposez.

Comme vous le savez, le droit actuel prévoit que les policiers, hors opérations de maintien de l’ordre et interventions en milieu carcéral, ne peuvent utiliser leur arme de service qu’en situation de légitime défense. Selon la jurisprudence, celle-ci, pour être constatée, suppose que trois conditions impératives soient réunies. Le danger doit tout d’abord être réel et actuel. Ensuite, la riposte doit relever d’une absolue nécessité. Enfin, cette riposte doit être proportionnée à la menace. Je relève que ces conditions ont été tout à fait intériorisées par les forces de l’ordre. Je veux d’ailleurs rendre hommage au courage et au sang-froid dont les policiers et les gendarmes font preuve au quotidien dans l’exercice de leurs missions souvent difficiles et dangereuses, comme je viens de le rappeler à l’instant.

Mais il est vrai que les circonstances récentes peuvent amener à s’interroger sur la manière d’interpréter ces conditions. Certes, il ne fait aucun doute que tout policier ou tout gendarme confronté à des terroristes ayant ouvert le feu sur lui se trouve en situation de légitime défense. Dans de telles circonstances, il est donc autorisé à utiliser son arme.

Mais d’autres situations peuvent poser question. Ainsi, un tireur d’élite ayant dans son viseur un preneur d’otages armé, qui à un moment précis ne menace pas réellement la vie des personnes qu’il retient, se trouve-t-il en situation d’absolue nécessité justifiant qu’il puisse faire usage de son arme ? Et que dire d’un policier ou d’un gendarme confronté à des agresseurs particulièrement dangereux, ayant tué mais prenant la fuite sans menacer quiconque de façon immédiate ? De telles hypothèses, qui constituent des situations nouvelles mais qui peuvent devenir courantes, conduisent donc à un questionnement légitime sur le régime juridique de la légitime défense et sur celui qui encadre l’usage des armes par les forces de l’ordre.

Néanmoins, en raison de leur complexité juridique comme de leurs implications pratiques, ces interrogations appellent, de notre part à tous, une réflexion approfondie, au nom même de la sécurité juridique que nous devons aux policiers comme aux gendarmes. Nous ne pouvons nous satisfaire de propositions qui soient imprécises ou juridiquement contestables.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Or, examinée à l’aune de tels critères, la proposition de loi qui nous est soumise présente, monsieur le rapporteur, trois ensembles de difficultés que je souhaite pouvoir analyser, avec vous, au fond.

La première de ces difficultés réside dans l’intention affichée de soumettre aux mêmes règles, lorsqu’ils s’agit pour eux de faire usage de leurs armes, policiers et gendarmes.

Il s’agit en apparence, bien entendu, d’une mesure de bon sens à laquelle je ne peux moi même que souscrire. Le code de la défense prévoit en effet que les gendarmes peuvent recourir à leurs armes non seulement en ripostant à une agression qui met leur vie en danger, tout comme les policiers, mais aussi, après sommations verbales, dans deux cas de figure précis. D’abord, en cas de voie de fait, pour défendre le terrain qu’ils occupent, lorsqu’il n’existe pas d’autres moyens de contraindre une personne qui cherche à échapper à leur garde à s’arrêter ou alors pour immobiliser un véhicule. Ensuite, dans le cadre de leur mission militaire, pour défendre une zone de défense hautement sensible.

Mais la réalité est que l’usage des armes, quel que soit son cadre, et qu’il soit le fait d’un policier ou d’un gendarme, est subordonné par la jurisprudence à la réunion de conditions de nécessité absolue et de proportionnalité très précisément définies par l’article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, garantissant le droit à la vie.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

La Cour européenne des droits de l’homme considère ainsi qu’un contrôle de cette double condition s’impose, et elle l’applique de la même façon et avec la même rigueur aux policiers comme aux gendarmes.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Je devine que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’inspire pas nécessairement une approbation sans réserves à certains parlementaires de l’opposition.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Mais la Cour de cassation elle-même considère que l’usage d’une arme ne peut être justifié que lorsqu’il s’avère absolument nécessaire au regard de la situation. C’est pourquoi elle apprécie au cas par cas, dans les affaires dans lesquelles des policiers ou des gendarmes, sans distinction, ont eu recours à leurs armes de service, si ces derniers se trouvaient ou non en état de légitime défense. Cette jurisprudence s’applique donc aussi bien aux policiers en état de légitime défense qu’aux gendarmes utilisant leurs armes dans le cadre des dispositions du code de la défense.

Ainsi, au vu des jurisprudences convergentes et constantes de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation, il est possible d’affirmer que les conditions d’usage des armes par les policiers et les gendarmes ont déjà été harmonisées dans un sens restrictif. Par conséquent, l’objectif d’harmonisation poursuivi par la proposition de loi que nous examinons est déjà réalisé, de fait, dans l’ordre juridique français.

Laisser entendre aux policiers, à travers une réécriture du code pénal, qu’ils pourraient à l’avenir faire usage de leurs armes en dehors du cadre de la légitime défense, sous couvert d’alignement sur le régime réputé plus permissif de la gendarmerie, constituerait donc, monsieur le rapporteur, une impasse sur le plan juridique.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Notre responsabilité consiste, au contraire, à ne pas entretenir les forces de l’ordre dans cette illusion. En outre, il convient que les policiers et les gendarmes apprécient au cas par cas, dans l’immédiateté, les conditions dans lesquelles ils peuvent faire usage de leurs armes. En pareille matière, apporter des modifications juridiques ayant des conséquences si concrètes sur le terrain mérite absolument d’être pesé.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

J’entends, sur les bancs de l’opposition, que l’on m’incite à changer la loi. Mais si nous décidions de la changer, monsieur Myard, vous qui êtes un juriste très avisé, vous savez qu’elle ne pourrait de toute façon pas contenir des dispositions qui, sur le plan conventionnel, nous placeraient en décalage par rapport au contenu de la convention européenne des droits de l’homme.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

D’ailleurs, le juge constitutionnel lui-même y veillerait.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Mais il faut être extrêmement précis sur ces sujets, sous peine de nous retrouver avec des propositions de loi qui certes peuvent faire plaisir, mais qui entraîneraient ceux auxquels elles s’adressent dans une impasse juridique. Ce n’est pas le souhait du Gouvernement.

Le souhait du Gouvernement est de travailler sur les problèmes évoqués par le rapporteur et de les traiter en droit de façon rigoureuse afin d’y apporter des solutions. Je n’ai pas désaccord avec Éric Ciotti sur la nécessité de protéger les policiers et les gendarmes. J’estime que c’est de mon devoir de le faire. J’ai d’ailleurs pris, immédiatement après mon arrivée au ministère, des mesures qui ont été renforcées suite aux événements de janvier pour que cette protection soit effective. Mais si nous devons faire évoluer le droit, ce n’est pas en contravention avec les règles auxquelles le législateur doit se conformer lorsqu’il élabore lui-même la loi.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

La deuxième interrogation que suscite cette proposition de loi porte sur l’extension des cas de légitime défense et des conditions d’usage des armes. Sur ce point, le texte appelle à mon sens les mêmes interrogations et les mêmes objections. Il instaure, dans son alinéa 2, un nouveau cas de légitime défense aux profit des « dépositaires de l’autorité publique qui accomplissent un acte de défense lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ». Par là-même, il remet en cause, au seul bénéfice des personnes dépositaires de l’autorité publique, les strictes conditions définissant la légitime défense.

D’une part, cette disposition supprime la condition liée au caractère réel et actuel de la menace, de telle sorte que l’acte de défense pourrait intervenir après l’agression et sans limitation de temps. Toute course-poursuite faisant suite à un acte de violence pourrait ainsi, théoriquement, donner lieu à des tirs contre les individus pourchassés par les forces de l’ordre. On voit bien que, dans la pratique, une telle éventualité ne serait pas réservée aux attaques terroristes et pourrait survenir dans des cas de délinquance ordinaire.

D’autre part, cette disposition rend superflues les conditions de proportionnalité et d’absolue nécessité, qui ne borneraient donc plus la riposte. De simples voies de fait, par hypothèse, autoriseraient les forces de l’ordre à faire usage de leurs armes. Or je n’ai, pour ma part, entendu aucun policier ni aucun gendarme réclamer de pouvoir bénéficier d’une aussi grande latitude dans l’utilisation de ce que vous avez appelé, en convoquant Max Weber, la violence physique légitime. Ce serait là faire peser sur eux une très lourde responsabilité et, du même coup, nous exonérer à bon compte de la nôtre. Car nous ne devons pas nous tromper sur ce point essentiel : les policiers et les gendarmes attendent de l’autorité publique qu’elle définisse et encadre les conditions d’usage de la force, non qu’elle se repose entièrement sur leurs capacités d’appréciation.

Mais, en tout état de cause, ces dispositions sont absolument – ce qui pose un réel problème de droit, et non un problème politique – contraires à l’article 2 de la convention européenne des droits de l’homme tel qu’il est interprété par la Cour européenne des droits de l’homme comme par la Cour de cassation.

Cette proposition de loi soulève enfin, à titre presque accessoire, une objection touchant aux personnes auxquelles s’appliqueraient ces nouvelles dispositions. Car les dépositaire de l’autorité publique que vise le texte, ce ne sont pas seulement les policiers et les gendarmes !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Ce sont les représentants de l’État et des collectivités locales, c’est-à-dire le Président de la République, les membres du Gouvernement, les présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil constitutionnel, les préfets et sous-préfets, les présidents des conseils régionaux et départementaux, les directeurs et sous-directeurs régionaux et départementaux des services extérieurs de l’État ! Ce sont les maires, leurs adjoints, et enfin les officiers ministériels, les avocats aux conseils, les notaires, les huissiers ! Vous avouerez que ces personnalités, si respectables soient-elles, et elles le sont absolument, ne sont pas les premières concernées par l’extension des cas de légitime défense.

Mesdames, messieurs, je ne voudrais pas, en passant cette proposition de façon rigoureuse au tamis de considérations de droit, vous donner l’impression que je méconnais la gravité des questions auxquelles ses auteurs ont voulu apporter une réponse. Comme je vous l’ai dit, monsieur Ciotti, je partage votre souci d’améliorer la protection des forces de police et de gendarmerie. Mais je souhaite le faire dans le respect des principes conventionnels et constitutionnels, des principes de droit qui rendent nos réponses plus fortes lorsqu’ils les inspirent.

J’ai songé aux obligations qui sont les nôtres à leur égard en m’adressant il y a quelques jours à la nouvelle promotion des officiers de police de l’école de Cannes-Écluse, qui a choisi de se placer sous le patronage d’Ahmed Merabet et de Franck Brinsolaro, leurs camarades tombés sous les balles des terroristes le 7 janvier dernier.

Être policier, être gendarme, ce n’est pas exercer un métier comme les autres. C’est un métier où l’on prend son service chaque matin en acceptant de pouvoir croiser sur son chemin, avant de rentrer chez soi, la violence, dans ses formes parfois les plus extrêmes, les plus lâches et les plus abjectes. Rares sont en réalité les professions dont ceux qui les embrassent savent qu’ils exposeront leur vie pour le bien commun. Avec les militaires et les sapeurs-pompiers, les policiers et les gendarmes appartiennent ainsi à cette aristocratie républicaine du courage et du risque consciemment assumé.

C’est précisément parce qu’ils acceptent un tel risque que nous nous devons de leur offrir la garantie d’une protection vigilante et juridiquement incontestable.

Je ne vous recommande donc pas d’oublier cette proposition de loi. Je ne vous demande pas de considérer que la question de l’usage des armes par les policiers et les gendarmes est superflue. Je vous propose au contraire de poser cette question complexe en prenant toutes les précautions juridiques et d’y réfléchir en consultant les premiers concernés, les policiers et les gendarmes eux-mêmes. Vous l’avez fait, et j’ai commencé à le faire moi-même.

Le Gouvernement propose donc de ne pas retenir à ce stade cette proposition de loi afin de réunir dans un groupe de travail les inspections de la police et de la gendarmerie nationales – vous avez d’ailleurs évoqué la responsable de l’inspection générale de la police nationale, qui fait un travail remarquable – ainsi que des parlementaires de la majorité et de l’opposition, notamment le président de la commission des lois et vous-même, monsieur Ciotti, qui faites un travail qui mérite d’être pris en compte. Sur de tels sujets, en effet, on n’a pas besoin de chercher systématiquement la confrontation et l’opposition. La protection des forces de l’ordre face aux risques auxquels elles se trouvent exposées est un sujet sur lequel nous pouvons accepter de cheminer ensemble, dans le respect des principes que je viens d’indiquer.

Je vous remercie donc, monsieur Ciotti, pour cette proposition de loi, qui porte sur un sujet qui mérite d’être traité. Elle pose un certain nombre de problèmes en droit, que je viens d’évoquer, mais je ne propose cependant pas de l’écarter et de se résigner à ne pas traiter le sujet. Je propose la mise en place d’un groupe de travail associant mon administration et les parlementaires de la majorité et de l’opposition afin que nous puissions cheminer de façon consensuelle. En attendant l’avancement de ces travaux, monsieur le rapporteur, je vous saurais bien entendu gré de bien vouloir retirer cette proposition de loi. Voyez à quel point nous sommes constructifs.

Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.

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Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Goujon.

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Monsieur le ministre, vous nous avez expliqué les raisons pour lesquelles vous souhaitiez le retrait de cette proposition de loi, des raisons juridiques notamment. Mais le problème, c’est que rien ne se passe sur ce sujet. En vous écoutant, j’avais l’impression d’entendre votre prédécesseur il y a trois ans, qui nous faisait les mêmes promesses, sans que rien n’ait bougé depuis.

Si cette proposition de loi a été déposée par M. Ciotti, et cosignée par plusieurs d’entre nous, c’est justement en raison de l’absence de toute mesure prise depuis le rejet de la précédente proposition de loi, déposée par le groupe UMP le 6 décembre 2012, ainsi que de la prise de conscience par nos concitoyens du dévouement et de l’engagement des forces de l’ordre, auxquelles nous rendons hommage, à la suite du drame qui a frappé notre pays en janvier dernier.

L’urgence est avérée, dans un contexte d’explosion des violences à l’encontre des dépositaires de l’autorité publique. Depuis 2004, 112 policiers, dont 36 en mission, ont été tués sous l’uniforme, et 52 174 policiers ont été blessés en mission, avec une forte hausse au cours des trois dernières années. Les exemples ne sont que trop nombreux de policiers mortellement touchés par les tirs des délinquants ou renversés par des véhicules parce qu’ils n’osent pas riposter, comme à Villiers-le-Bel en 2007, à Chambéry, en Corse, à la préfecture du Cher en 2012, ou, en 1999, ce policier fauché par Amédy Coulibaly dans la circonscription de Guy Geoffroy, qui, après avoir été blanchi par l’IGS, fut muté dans le sud en raison des menaces pesant sur sa vie.

Dans toutes ces situations, il y a un dénominateur commun : le doute, sinon la crainte quant aux conséquences juridiques de la riposte dans une situation de légitime défense. Cela contribue sans nul doute au malaise ressenti par 94 % des policiers, tandis que 62,7 % d’entre eux disent ressentir du stress et voient leur motivation diminuer selon un sondage publié récemment.

Puisque des mesures de protection s’imposent en faveur de ceux qui vont jusqu’à risquer leur vie pour notre sécurité, nous avions proposé, avec Éric Ciotti et Guillaume Larrivé, dans le contexte du rapport Guyomar, d’améliorer la protection juridique des policiers lorsqu’ils sont victimes dans l’exercice de leurs fonctions ou mis en cause par des tiers.

Notre proposition de loi précisait les modalités d’emploi légitime de leur arme de service par les policiers en proposant d’aligner ces règles sur celles de la gendarmerie. Son rejet par le Gouvernement s’était accompagné, comme cet après-midi, d’un engagement à avancer sur ces questions.

Or, plus de deux ans plus tard, l’exposition des policiers au risque d’être victimes de violences dans l’exercice de leurs fonctions n’a cessé de croître. Cette proposition de loi n’est donc évidemment pas de pure circonstance électorale, vous l’avez bien compris.

La situation s’est même dégradée sur le plan juridique, puisque, vous l’avez rappelé et c’est la triste réalité, la jurisprudence européenne, suivie par la Cour de cassation, a acté, en le conditionnant à un critère d’absolue nécessité, une neutralisation partielle de l’article L. 2338-3 du code de la défense, qui permet aux gendarmes de faire usage de leurs armes de service dans certaines hypothèses précisément énumérées. Quant aux autres dépositaires de l’autorité publique, leur responsabilité pénale est engagée dans le cadre du droit commun en cas d’usage de leur arme de service, sauf s’ils prouvent qu’ils étaient en situation de légitime défense ou d’état de nécessité.

Or ces deux possibilités ne permettent pas de faire face à ces situations extrêmes mais d’une brûlante actualité où un tueur, après avoir abattu plusieurs personnes, en prend d’autres en otage. Alors que le risque est manifeste, la doctrine juridique ne couvrirait pas pénalement les policiers qui riposteraient face à un tel individu.

Outre la menace terroriste, dont vous avez rappelé hier encore devant la commission des lois, monsieur le ministre, qu’elle demeurait extrême, la diffusion croissante d’armes de combat au sein même de la petite délinquance – dont le Premier ministre et vous-même avez pu vous rendre compte lors d’une visite dans les quartiers nord de Marseille, où ce sont des tirs de kalachnikov qui ont accueilli les autorités – n’a plus rien d’exceptionnel. Et l’utilisation de cette catégorie d’armes ne se limite évidemment pas à la ville de Marseille.

Plus que jamais, une réponse législative s’impose, par une harmonisation des dispositions juridiques sécurisantes des deux forces. Le groupe UMP appelle la majorité à prolonger l’esprit d’union républicaine qu’elle exige de l’opposition en toutes circonstances en votant ce texte.

La justesse d’appréciation que confèrent aux policiers une formation adaptée et l’autorisation de porter et de faire usage d’armes à feu lorsqu’ils sont attaqués dans le cadre de leurs fonctions plaide pour cette avancée législative.

Si nous partageons bien le constat que policiers nationaux et gendarmes se retrouvent face à une menace identique, il serait hypocrite de notre part de ne pas envisager en toute logique une protection juridique équivalente.

La réponse apportée par cette proposition de loi est donc politiquement juste et juridiquement pondérée. De surcroît, les amendements de M. Ciotti – que, j’espère, nous pourrons examiner – qui prévoient de restreindre la possibilité d’usage de leur arme comme le périmètre de l’exemption de responsabilité pénale aux seuls dépositaires de l’autorité publique détenteurs de jure d’une arme, garantissent la proportionnalité du dispositif. Il ne s’agit évidemment pas d’étendre de manière déraisonnée l’usage des armes à feu par les policiers.

Si la Cour européenne des droits de l’homme condamne l’usage des armes à feu sur une personne qui ne portait pas d’arme et n’avait pas commis d’infraction violente, tel n’est pas le cas si celle-ci a commis une infraction violente et porte une arme à feu. C’est pourquoi l’article unique de cette proposition de loi n’est pas incompatible avec le droit européen.

En outre, cette proposition de loi présente l’avantage de concerner également les gendarmes adjoints volontaires, là où le droit en vigueur ne protège aujourd’hui que les officiers et sous-officiers.

Il s’agit donc non pas de créer une présomption d’irresponsabilité pénale, contrairement à ce que certains pourraient prétendre, mais bien de permettre aux policiers de répondre dans l’urgence à des agressions et dangers imminents précisément listés, qui sont les mêmes que pour les gendarmes. La liste, nous la connaissons.

Cette possibilité de recourir à la force armée n’enjoint pas à l’agent public d’utiliser exclusivement une arme mortelle. L’utilisation d’une arme non létale ayant causé une blessure regrettable, très grave, a d’ailleurs amené pour la première fois aujourd’hui même une cour d’assises à condamner un gendarme à deux ans de prison.

Je vous appelle donc, mes chers collègues de la majorité, à défendre, en adoptant cette très attendue proposition de loi, réclamée par les syndicats de policiers, ceux qui risquent leur vie pour leurs concitoyens et à qui la nation, notamment dans le cadre du plan Vigipirate alerte attentat, demande un sacrifice et un dévouement constants. Ils ne sauraient comprendre un simple rejet de ce texte alors même que vous, monsieur le ministre, ou la majorité, pourriez l’amender.

Le groupe UMP espère que vos appels à l’union nationale ne resteront pas lettre morte une fois de plus, non par respect de l’opposition, qui, pour sa part, respecte cet esprit en votant vos lois antiterroristes et demain une loi sur le renseignement bien qu’elle ne constate pas forcément de réciprocité s’agissant de ses propres propositions de loi, mais par respect pour les policiers, pour lesquels, je le sais, vous avez une très grande estime et une très grande admiration, et qui méritent un bouclier législatif.

Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, légiférer sur la question de l’usage légal de la force, de la légitime défense dans une société démocratique, est toujours difficile et sensible.

La question de l’usage de la force armée et de l’encadrement par notre droit de la possibilité d’utiliser une arme, même par les dépositaires de l’autorité publique, revêt une importance capitale et met en question l’essence même de notre modèle politique. Elle a trait au fondement de notre pacte républicain, qui veut que la puissance publique dispose du monopole de la violence légitime. C’est l’expression d’un choix collectif, hérité de notre histoire et de notre conception de l’État.

S’il y a un contre-modèle, c’est bien le modèle américain. Aux États-Unis, la Constitution reconnaît le droit de porter des armes et d’en faire usage en légitime défense. Cette banalisation des armes à feu, défendue par de puissants lobbies, conduit hélas fréquemment à des excès, comme nous le rappellent trop souvent les cas de fusillades dans des lycées ou des universités. Nous ne voulons pas de ce modèle, et je crois que cette opinion est partagée sur l’ensemble des bancs de cette assemblée.

Avant tout, je tiens à saluer le travail extraordinaire des policiers, qui exercent avec courage, professionnalisme et disponibilité des missions essentielles et ô combien difficiles. Beaucoup d’entre eux risquent leur vie et s’exposent quotidiennement au danger. Au lendemain des événements tragiques du mois de janvier, au cours desquels trois policiers ont trouvé la mort, la représentation nationale se doit de leur rendre un hommage appuyé pour leur dévouement et leur professionnalisme.

Je tiens ici à rappeler quelques chiffres. Depuis 2004, ce sont 112 policiers qui ont perdu la vie en intervention. L’année 2014, marquée par le décès de quatre policiers, aura été la plus meurtrière depuis 2009. À ce lourd bilan s’ajoute celui des policiers blessés, soit plus de 5 800 en 2014, sans parler des chocs et des traumatismes psychologiques, qui conduisent parfois au suicide. On le sait, le suicide de policiers est un véritable fléau. Ces réalités, quand nous parlons de légitime défense des policiers, nous ne devons jamais les oublier.

Dans ce contexte, les policiers sont en droit d’attendre de la société qu’elle leur accorde un cadre protecteur digne de ce nom. Ils sont en droit d’attendre de la République qu’elle leur donne tous les moyens nécessaires pour se prémunir contre les risques auxquels ils sont quotidiennement exposés lors de leurs opérations. Les policiers interviennent souvent dans des conditions d’urgence et de tension extrêmes. Il est de notre devoir de leur fournir un cadre parfaitement clair, leur permettant de prendre les décisions qui s’imposent dans ces conditions très difficiles, pour concilier préservation de la vie d’autrui et protection des forces de l’ordre.

Pour permettre aux forces de l’ordre d’accomplir leurs missions avec toute la sérénité possible, il ne faut pas qu’elles soient systématiquement exposées à un risque juridique, en plus des risques encourus dans le cadre de leurs fonctions. Le tracé de cette frontière, entre les éventuelles atteintes à la vie que la force armée entraînera et les intérêts que son usage défendra, est souvent très difficile à établir. Comment encadrer l’usage de la force armée ? À quelles conditions peut-on estimer qu’un acte a été commandé par la nécessité de la légitime défense, en réaction à une atteinte injustifiée ? Nous devons prendre tout le temps nécessaire pour étudier ces questions essentielles.

Le présent texte propose de définir un cadre légal de protection pénale, en cas de recours à la force armée, dans le but de protéger au mieux les policiers dans leurs difficiles missions et de remédier à la différence de traitement entre policiers et gendarmes. Sur le principe, l’objectif est louable, puisqu’il s’agit de donner aux forces de police les moyens nécessaires à leur défense, eu égard aux situations exceptionnelles auxquelles elles peuvent parfois avoir à faire face.

Notre rapporteur Éric Ciotti part du constat suivant : les policiers sont soumis au droit commun et ne peuvent recourir à la force armée qu’en cas de légitime défense. Cette dernière suppose la réunion de trois conditions : la nécessité, la proportionnalité et la simultanéité entre l’atteinte et la riposte. Cette simultanéité est une condition restrictive. Elle ne permet pas la riposte préventive, à la différence de l’état de nécessité qui fait référence au danger imminent.

Les gendarmes, quant à eux, ne sont pas pénalement responsables s’ils font un usage de la force armée absolument nécessaire, après sommations. De fait, les policiers et les gendarmes, également confrontés à des situations exceptionnelles, sont inégaux dans leur usage de la force armée. Faut-il pour autant aligner le régime appliqué aux gendarmes sur celui des policiers ?

En premier lieu, si inégalité il y a, elle n’implique pas une impunité des gendarmes. Leur usage de la force armée n’est pas soumis au régime de droit commun, mais il n’en est pas moins strictement encadré. Cet usage, dans les hypothèses énumérées par le code de la défense, doit être « absolument nécessaire ». Par ailleurs, une circulaire du 2 février 2009 est venue renforcer les exigences liées à la nécessité absolue et à l’absence d’alternative à l’emploi des armes. En outre, le groupe UDI croit à l’importance du dualisme sur lequel est fondée l’organisation de nos forces publiques de sécurité. C’est sur ce dualisme que repose la société française, entre une force de police à statut civil et une force de police à statut militaire, soumise au devoir de réserve. La gendarmerie doit conserver cette spécificité au regard des caractéristiques propres à la mission qui est lui est dévolue.

En second lieu, nous observons que le texte mentionne les « personnes armées ». Bien que nous fassions, par principe, confiance au professionnalisme et au jugement des policiers, nous estimons que cette notion est trop imprécise. Cette disposition couvre-t-elle à la fois les armes par nature et par destination ? On peut craindre que ce champ très large ne nuise à l’exigence de proportionnalité qu’il est indispensable de respecter lorsque des vies sont en jeu.

Certes, cette proposition de loi ne va pas aussi loin que le texte qui a été débattu au Sénat et qui préconisait ni plus ni moins que d’instaurer une présomption de légitime défense. Néanmoins, nous parlons bien là d’un régime de quasi-irresponsabilité pénale, ce qui n’est pas anodin. Lorsqu’il s’agit de légiférer sur des questions aussi fondamentales qui touchent à notre sécurité, à nos droits et à nos libertés, nous devons éviter plusieurs écueils, en particulier celui qui consisterait à banaliser l’usage des armes à feu, alors que notre législation a su l’encadrer strictement.

Les actes de tir doivent rester confinés à des situations exceptionnelles extrêmes. L’équilibre est fragile, mais il est pourtant nécessaire, car c’est de lui que dépend le lien de confiance entre nos forces de sécurité et la population. Il faut donc des garanties nécessaires à l’alignement des conditions d’emploi des armes. À cette fin, une attention particulière doit être portée au maintien des moyens nécessaires, qui manquent cruellement actuellement, pour garantir un niveau élevé de formation des forces de police, notamment pour ce qui concerne le maniement des armes, la sensibilisation au droit pénal et les dimensions psychologiques en cause – stress et maîtrise de soi en situation de danger. C’est ainsi que nous pourrons améliorer la capacité des fonctionnaires à faire face aux réalités opérationnelles.

Mes chers collègues, le groupe UDI estime que nous devons prendre le temps nécessaire à l’établissement d’un juste équilibre entre la protection des forces de l’ordre et celle de nos concitoyens, et prévoir des garanties effectives à l’alignement des conditions d’emploi des armes, garanties qui semblent insuffisantes dans ce texte. Par conséquent, la majorité du groupe UDI s’abstiendra sur cette proposition de loi.

Je voudrais exprimer maintenant ma position personnelle. Affirmer que la reconnaissance d’un droit de légitime défense dûment défini est de nature à créer un équilibre fragile, une zone grise entre banalisation de l’utilisation des armes et légitime défense, est une précaution louable mais qui fait fi, à mon sens, de la réalité du terrain. La police française justifie déjà, aujourd’hui, d’un niveau de formation et d’entraînement exceptionnel, tant physiquement que dans l’analyse des situations, comme le prouvent les résultats aux concours de la police française en comparaison avec ses homologues internationaux. Il importe de préserver et de renforcer ce niveau dans une démarche d’amélioration continue. Si un cadre légal et réglementaire précis s’impose, je fais pleinement confiance, pour ma part, au jugement et au discernement des forces de police dans leur interprétation de la légitime défense qui doit être, par définition, immédiate.

Étant moi-même, hélas, menacé et protégé lors de tous mes déplacements, vivant en permanence, depuis près d’un an, avec des officiers de sécurité, je vois l’importance de se sentir en sécurité auprès de professionnels dévoués. Je tiens à cette occasion à les remercier pour leur disponibilité sans faille. Nous vivons aujourd’hui dans un monde où tout un chacun peut acheter des armes de guerre pour quelques centaines d’euros, même sur internet, et s’en servir dans l’unique but de tuer. Au-delà de leur présence, je suis rassuré de savoir que ces officiers peuvent légitiment utiliser leur arme s’ils le jugent nécessaire.

Les policiers ne disposent en général que d’armes de poing, alors que le grand banditisme et les djihadistes brandissent de plus en plus fréquemment des armes de guerre. Pensons là encore à ce malheureux policier tué lors de l’attaque de Charlie Hebdo. Jusqu’à quand un policier, un gardien de la paix devront-ils être agressés ou menacés pour riposter ? Jusqu’à quand devront-ils attendre que l’agresseur pointe son arme vers eux pour être légalement autorisés à se défendre ? N’avons-nous pas assez appris, ces derniers mois, l’importance qu’il y a pour un policier d’être armé et de pouvoir utiliser son arme ?

Je tiens à mon tour à rendre hommage à Clarissa Jean-Philippe, à Franck Brinsolaro et à Ahmed Merabet, nos policiers lâchement assassinés dans l’exercice de leurs fonctions en janvier dernier. Leur assassinat nous force à repenser notre système pénal. Nul doute que nos forces de l’ordre savent constater un danger imminent, à la fois pour leur personne et pour les citoyens qu’ils protègent. Le législateur doit aux garants de notre sécurité le droit d’exercer leur métier en toute sérénité. C’est pourquoi, pour ma part, je voterai pour cette proposition de loi, parce que j’ai confiance en eux.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la légitime défense des policiers, c’est d’abord un rapport de confiance entre le ministre et les forces de l’ordre. Si ce rapport de confiance n’existe pas, tous les dévoiements sont possibles. Je tiens à vous rendre hommage, monsieur le ministre, pour l’action que vous menez place Beauvau, dans le cadre de la si difficile mission qui vous est impartie.

Cette légitime défense pose un certain nombre de problèmes, du fait de l’irruption ces derniers temps de grands délinquants et de terroristes qui utilisent des armes lourdes et n’hésitent pas à faire feu de manière pratiquement préventive. Auparavant, nous avions affaire à de vieux parrains organisés, tout cela a totalement explosé. Policiers et gendarmes doivent donc pouvoir riposter ou faire usage de leurs armes en situation de légitime défense. Vous avez fort bien rappelé, monsieur le ministre, les trois conditions : il faut que le danger soit réel et actuel ; que la riposte soit absolument nécessaire ; qu’elle soit proportionnée à la menace. Un équilibre s’est établi avec la jurisprudence qui a conduit à la définition puis au contrôle de ces trois critères. Faut-il aller au-delà ?

Je comprends les préoccupations de M. Ciotti, mais je vois également les difficultés qu’il y a à remettre en cause un équilibre difficilement établi au cours des années. Quels sont les risques à le faire ? Définir une présomption de légitime défense conduirait à une présomption d’irresponsabilité. Or, nous en sommes d’accord, c’est inconcevable. M. Guéant appelait cela le « permis de tuer ». Ce n’est pas ce vers quoi s’engage M. Ciotti, et je lui en donne acte. Il faut donc qu’il y ait une proportionnalité incontestable entre la menace et la riposte. Cette notion de proportion est la base même de tout le système de la légitime défense.

Quelles sont les difficultés qui peuvent apparaître ? Tout d’abord, il y a une incompréhension entre nous, monsieur le ministre, s’agissant de la différence entre les règles qui s’appliquent aux policiers et aux gendarmes. Les gendarmes sont des forces militaires qui exercent essentiellement en milieu rural. Les policiers sont des civils, par définition, qui ont une action essentiellement urbaine. Admettons que le travail soit plus difficile en milieu urbain qu’en milieu rural – je rappelle toujours, non sans un sourire, que dans ma bonne ville de Vire, en vingt ans, un seul coup de feu a été tiré, malheureusement par un gendarme au moment où il prenait son arme. Il s’est blessé le pied…

Sourires.

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C’était la seule fois ! Ce n’est pas la même chose à Deauville, à Paris, à Lyon ou à Marseille.

Par conséquent, j’ai du mal à comprendre qu’il y ait des règles différentes entre les forces de police et de gendarmerie.

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D’autant que les conditions d’intervention sont plus difficiles en secteur urbain, c’est-à-dire dans le secteur de la police. C’est pourquoi je comprends très bien que M. le ministre ait demandé la création d’un groupe de travail afin de rechercher un consensus républicain en la matière. En effet, les gendarmes et les policiers ont le droit d’être soumis à des règles précises. On peut invoquer l’urgence, mais au-delà, il faut la sécurité. Je suis d’ailleurs tout à fait favorable, monsieur Ciotti, à ce qu’il y ait une véritable discussion sur le problème de l’indignité nationale, comme je l’ai dit ce matin. Je pense que ce serait une occasion de nous retrouver.

Tout le monde reconnaît que nous avons fait un excellent travail, Georges Fenech et moi, sur la question de la révision des décisions pénales et de la prescription. Le fait de confier une mission à deux parlementaires d’opinions différentes, ou à un groupe un peu plus élargi d’ailleurs, en totale collaboration avec le ministère et avec les services de la commission des lois, permet de rapprocher dans la plus grande précision les positions en présence.

Car j’ai bien compris, monsieur le ministre, votre préoccupation : tout cela doit être millimétré. En effet, si on déplace les équilibres, on risque d’aboutir à un déséquilibre. Nous aurions tout intérêt, les uns et les autres, à nous retrouver dans la volonté de rechercher, pour les forces de l’ordre, un consensus républicain.

C’est ce que la nation attend. J’ai été très fortement impressionné de voir comment des centaines de milliers de personnes se sont retrouvées dans l’action des forces de l’ordre. Ce n’était pas le cas jadis. Nous avons là un capital à entretenir. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je crois que vous avez raison d’évoquer « l’aristocratie républicaine du courage ».

Le groupe de travail que vous proposez, dans lequel nous nous retrouverions tous, mes chers collègues, sur un sujet qui ne devrait pour des élus de la république ne poser aucun problème, permettrait, chacun l’admettra, dans un délai bref de trouver une solution. Il faut assurer à nos policiers et à nos gendarmes la possibilité d’agir avec courage et sécurité, pour le bien-être et la sécurité de la nation.

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Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, nous étudions aujourd’hui la proposition de loi relative à la légitime défense des policiers présentée par M. Ciotti. Ce texte part du principe que les conditions d’utilisation des armes à feu par les policiers sont trop restrictives et ne suffisent pas à garantir leur sécurité. Il propose donc d’assouplir les règles de légitime défense qui s’appliquent aux forces de l’ordre, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles elles peuvent utiliser leur arme sans risquer de poursuites pénales.

Actuellement, c’est le droit commun de la légitime défense qui s’applique aux policiers. Cette proposition de loi vise donc à modifier les dispositions du code pénal afin d’aligner les règles qui régissent l’usage des armes à feu des fonctionnaires de police sur celles des gendarmes. Elle vise à créer un régime d’irresponsabilité pour les policiers en cas d’usage de leur arme, basée sur une présomption de légitime défense.

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La proposition de M. Ciotti n’est pas nouvelle. Cette idée revient régulièrement à l’ordre du jour parlementaire, toujours à l’initiative de la droite ou de l’extrême droite, chaque fois qu’un nouveau drame ravive la polémique sur les conditions de travail des policiers ou qu’une échéance électorale approche.

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Son objet, comme celui des précédentes, va dans le sens de l’assouplissement de la légitime défense au bénéfice des policiers. Ce fut parfois aussi au bénéfice des citoyens... Je ne citerai quelques exemples : il y a eu la proposition de loi de M. Roustan, en 2010, pour redéfinir la légitime défense,…

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…celle de 2011, de Mme Barèges, sur le cadre légal de l’exercice du métier des forces de sécurité, et d’autres encore, jusqu’à celle de M. Collard en 2015. Aucune d’entre elles n’a abouti.

C’est aussi, il est vrai, une revendication ancienne des policiers, formulée régulièrement notamment par le syndicat Alliance, qui déclare qu’elle permettrait d’assurer une meilleure protection juridique des forces de l’ordre lors de leurs interventions. Cette revendication repose sur des arguments professionnels, selon lesquels la légitime défense de droit commun nuirait à leur efficacité et les mettrait en danger car il leur faut attendre d’être menacés par une arme pour pouvoir se servir de la leur.

Mais une telle revendication relève aussi et surtout d’une opposition traditionnelle à l’égard des juges. Les policiers estiment que les magistrats font une interprétation restrictive des règles de la légitime défense, souvent en leur défaveur. Ils se disent « à la merci des magistrats » selon leurs propres termes, ce qui illustre bien le climat de défiance et des suspicions qui existe vis-à-vis de la justice. Mais, dans le même temps, les victimes de violences policières se plaignent du traitement défavorable de la justice.

Les policiers arguent également d’une inégalité face aux dangers et réclament un alignement de leur statut sur celui des gendarmes, au motif que ceux-ci peuvent tirer après sommation et ne sont pas soumis à la règle de la légitime défense. Mais c’est oublier que, par principe, les gendarmes, qui sont des militaires, n’ont pas le libre choix de se servir de leurs armes…

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…et que la procédure est encadrée.

Notre ministre de l’intérieur a eu l’occasion de clore cette rivalité des corps en rappelant que la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales définit les conditions dans lesquelles on peut engager la force : proportionnalité, et extrême nécessité. Ainsi, les conditions d’usage de la force telles qu’elles ressortent de la loi et de la jurisprudence sont exactement identiques dans la police et dans la gendarmerie.

La proposition de loi remet en cause l’équilibre entre le danger et la riposte, équilibre qui doit caractériser la légitime défense. Celle-ci est reconnue dans notre code pénal comme la possibilité de faire usage de la force de manière immédiate et proportionnée pour mettre fin à une agression contre soi ou contre autrui. Or avec ce texte, l’usage d’une arme deviendrait possible pour les forces de l’ordre de manière préventive, à l’encontre d’une menace ou d’un danger imminent et non proportionné. La légitime défense ne serait plus conditionnée au fait d’être soi-même sous une menace pour sa vie ou son intégrité corporelle.

L’une des meilleures réponses à la question de la présomption de légitime défense pour les policiers a été apportée en janvier 2012 par Claude Guéant, alors ministre de l’intérieur : « L’état actuel du droit, même s’il est difficile pour les policiers, représente un bon équilibre […]. Ce qu’il faut, de notre côté, c’est que nous assurions au policier un supplément de formation continue afin qu’il puisse se remémorer, y compris dans ses gestes, la façon dont le droit doit être intégré à son action […] mais on ne peut pas donner aux policiers un permis de tirer, ce n’est pas possible. »

Dans votre proposition de loi, monsieur Ciotti, aucune borne n’est mise à l’usage des armes par les forces de sécurité,…

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…hormis un argument de situation ou de cadre de service. Elle propose l’impunité des policiers et des gendarmes agissant pour leur propre défense en cas de violence ou voie de fait – coups de feu, mais aussi jets de pierres ou fumigènes. Elle laisse des zones d’ombre puisqu’elle n’envisage aucunement l’hypothèse d’une menace par arme blanche ou par un autre objet, pas plus que l’éventualité d’une réponse par une arme ou un moyen non létal, sauf pour arrêter un conducteur.

Monsieur Ciotti, votre proposition de loi est périlleuse car, dans notre droit, les présomptions de légitime défense reposent sur des circonstances de fait et non sur la qualité de la personne auteur des faits.

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Elle vise à créer un cas de droit différent : ce ne seraient plus les circonstances de fait mais la qualité de policier qui ferait présumer la légitime défense. Le Conseil constitutionnel pourrait y trouver une atteinte à l’égalité, un policier ne pouvant être exonéré de justifier de l’usage de son arme à feu. C’est une garantie pour lui-même, et une garantie que nous devons à nos concitoyens dans notre État de droit.

Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a enregistré 194 réclamations pour violences policières en 2014 ; la moitié se sont déroulées en Île-de-France, un cas sur cinq en Seine-Saint-Denis dont je suis l’élue, département où les jeunes, plus particulièrement touchés par l’exclusion professionnelle, vont plus vite à la confrontation avec, en face d’eux, des jeunes policiers frais émoulus, mis en situation difficile dès la sortie de leur formation. Doit-on rajouter à leur inexpérience et à leur stress une déresponsabilisation de l’usage de leur arme ?

Cette loi existerait-elle qu’elle ne pourrait pas faire obstacle à la mise en examen du policier concerné, à cette notification officielle des charges qui ouvre les droits de la défense. L’existence d’une présomption de légitime défense ne peut faire obstacle aux poursuites et ne changerait rien à la procédure judiciaire. C’est à la fin du processus, au stade de l’établissement de la culpabilité qu’elle entre en compte, et c’est le travail du juge d’instruction de rechercher si les circonstances de l’infraction établissent cette présomption ou l’écartent. Elle n’empêchera jamais la mise en examen d’un policier !

Votre proposition de loi ne précise pas non plus si les autres forces de l’ordre sont également concernées, comme les forces d’appoint telles que les polices municipales... et pourquoi pas un jour les buralistes ! On pourrait finir par l’armement de tous nos citoyens, franchissant l’étroit fossé qui nous sépare de l’autodéfense !

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Si l’État fait son boulot, nos concitoyens n’auront pas besoin de s’armer !

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Je ne crois pas que le pistolet soit le meilleur ami de la police.

Vous nous dites, monsieur Ciotti, que les circonstances ont changé. Il est vrai que les récents événements terroristes nous ont tous traumatisés, mais l’assassinat de deux policiers lors de l’attaque de Charlie Hebdo ou celui de la policière municipale de Montrouge n’auraient pas été évités avec un droit de tirer : ils ont été abattus par surprise, sans possibilité de se défendre. La question de la légitime défense ne s’est malheureusement pas posée. Les méthodes des terroristes vont nécessiter des réponses policières adaptées, mais rien ne serait plus dangereux que de laisser la panique l’emporter sur la raison, de mettre en péril les citoyens, de multiplier les bavures sous ce seul prétexte. Faudrait-il armer les gardiens, les agents de sécurité et que sais-je encore ?

Il faut entendre les policiers quand ils parlent de l’aggravation de leurs conditions de travail. Nous faisons nôtre leur complainte sur le traitement qui leur a été infligé : réduction drastique des effectifs, soit une suppression de 14 000 postes entre 2007 et 2012 due à la révision générale des politiques publiques, pression exercée sur eux par l’instauration de la politique du chiffre, inégale répartition territoriale des effectifs… Je ne détaillerai pas les réformes qui avaient modernisé la police et la gendarmerie sous les gouvernements de gauche. Si M. Vaillant était là, il en parlerait mieux que moi.

Dans une enquête de la direction des ressources et des compétences de la police rendue publique lundi dernier, 3 500 fonctionnaires de police ont livré leur quotidien : ils sont nombreux à évoquer un malaise dans leur rang et un climat social plutôt mauvais, et très réservés sur leurs conditions matérielles, les possibilités d’avancement et l’organisation du travail. Précisons que les craintes sur leur propre sécurité ne sont pas particulièrement mises en avant dans ce questionnaire. Ils souffrent surtout de la dégradation de leur relation avec la population et confirment que le fossé s’agrandit depuis des années. Cette proposition de loi n’est pas de nature à rassurer la population et à créer la proximité, la communication et le respect qu’ils espèrent.

Les événements de janvier ont permis à la population de montrer sa solidarité et sa reconnaissance pour les représentants des forces de l’ordre qui ont été assassinés, sa conscience de la dangerosité de leur travail. Mais elle a aussi exprimé son besoin de protection. À cet égard, je rappelle que le code de déontologie des policiers affirme avoir « pour ambition de contribuer au renforcement du lien entre les forces de sécurité intérieure et la population, en plaçant explicitement celle-ci au coeur des préoccupations des policiers et des gendarmes. »

C’est une embellie que nous n’espérons pas passagère, et c’est dans ce sens que le groupe socialiste souhaite travailler à la reprise d’un dialogue républicain autour de besoins nouveaux et adaptés aux circonstances auxquelles sont confrontés les policiers. Il s’agit de construire les outils d’aujourd’hui pour les problèmes d’aujourd’hui. Améliorer les conditions de travail des policiers, ce n’est pas seulement faciliter l’usage de leur arme de service : cela passe aussi par le renforcement de leur formation aux situations de crise, par l’amélioration de leur équipement, par le renforcement de leur présence sur le terrain, améliorée avec la création de 500 postes de policiers et de gendarmes chaque année depuis le début du quinquennat, et enfin par l’actualisation du budget de la sécurité et par le rétablissement de la confiance entre la police et la justice.

C’est à tous ces objectifs que je vous propose de nous atteler. Le groupe socialiste ne votera pas cette proposition de loi mais est disponible pour réfléchir à la protection indispensable et renforcée des policiers, et aux perspectives d’amélioration des conditions de travail et de sécurité des forces de l’ordre, aux côtés de tous les républicains de l’hémicycle.

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Nous pourrions mener une mission qui fasse le point sur la réalité du problème, avec une étude d’impact sérieuse qui permette d’envisager une évolution convenable, hors du contexte de surenchère des temps électoraux.

Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.

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Monsieur le ministre, vous savez que ce matin, j’ai eu des mots très durs pour votre collègue de la justice. Ce ne sera pas le cas à votre égard.

Sourires.

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Je vous prends pour un homme sérieux. Essayons donc de parler sérieusement d’un problème sérieux : celui de l’application du régime de la légitime défense aux policiers.

La proposition de loi d’Éric Ciotti mérite d’être prise en considération. Vous l’avez d’ailleurs dit, monsieur le ministre. Pour quelles raisons portons-nous au débat ce type de problème ? Je viens d’entendre que c’était une tradition de la droite, de l’extrême droite, des policiers, bref de tous ces méchants qui soulèvent la question de la légitime défense… Certains de mes collègues socialistes en ont parlé comme s’il s’agissait véritablement d’invoquer le mal absolu, mais non ! Vous êtes d’ailleurs vous-même conscient du problème, puisque vous avez souhaité équiper les policiers de protections supplémentaires. C’est bien qu’il y a véritablement un problème dans l’exercice de leur activité professionnelle.

La raison en est très simple, et malheureusement pas nouvelle – elle ne fait qu’être amplifiée par les médias à propos du terrorisme : depuis vingt ans, la situation de l’armement des délinquants a beaucoup évolué. Vous le savez. Aujourd’hui, une Kalachnikov, c’est 3 000 euros.

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Effectivement : 3 000 euros, c’est pour une Kalachnikov de bonne qualité ! Un AK-47 dernier modèle, quasiment neuf, provenant des marchés balkaniques, moyen-orientaux ou autre – celui dont se sont servis les terroristes récemment – c’est 5 000 euros.

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Ce phénomène concerne non seulement le terrorisme, mais aussi la délinquance. On le voit bien : ça tire pour n’importe quelle raison, à tout bout de champ, sans sommation. On comprend donc que, dans ces conditions, ceux qui sont les cibles naturelles, les forces de l’ordre, soient quelque peu inquiets pour leur propre sécurité.

Vous avez dit, monsieur le ministre, que la présente proposition de loi posait deux problèmes : l’extension des cas de légitime défense et des conditions d’usage des armes, et l’assimilation des policiers aux gendarmes. Pour ma part, j’aurais tendance à penser que si l’on se contentait d’assimiler les deux statuts, ce serait déjà un grand progrès !

Je crois d’ailleurs que vous allez être obligé de le faire. En effet, cela a été dit, le code de la défense, par l’article L. 2338-3, octroie aux gendarmes un statut particulier. Si nous laissons les choses en l’état, avec ces possibilités supplémentaires accordées aux gendarmes, la première question prioritaire de constitutionnalité qui arrivera fera s’écrouler le code de la défense ! Il sera en effet bien difficile de soutenir devant le Conseil constitutionnel qu’à mesure égale, il puisse exister une différenciation entre gendarmes et policiers. Je vous assure donc qu’il suffira d’un avocat un peu sourcilleux pour que le statut de la gendarmerie souffre.

En réalité, le fait d’aligner les policiers sur les gendarmes permettrait de régler pas mal de problèmes. D’abord, bien que les gendarmes soient des militaires, vous les avez sous votre tutelle, monsieur le ministre, ce qui n’était pas le cas auparavant. Il s’agit donc d’un statut mixte. D’autre part, et cela aussi a été dit, la répartition des effectifs entre gendarmerie et police ne correspond pas simplement à la division entre zones rurales et zones urbaines : il arrive que l’on trouve des gendarmes dans des zones urbaines et des policiers dans des zones rurales. La mixité s’installe.

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Cela se produit de plus en plus, en fonction des nécessités. Bien qu’urbaine, ma circonscription dispose ainsi de quelques effectifs de gendarmerie parfaitement opérationnels, ce dont je me félicite.

Alors, que faire ? Il a été dit beaucoup de mal de l’article 2 de la convention européenne des droits de l’homme. En réalité, quand on regarde de près ses décisions, on s’aperçoit que la Cour de cassation est bien plus nuancée que vous ne le prétendez. En effet, dans sa jurisprudence, on s’aperçoit qu’elle utilise deux critères pour identifier les cas de légitime défense pour un gendarme. En premier lieu, elle examine de très près la question du commandement de l’autorité légitime. Prenez l’affaire des paillotes, qui a défrayé la chronique : la Cour de cassation a parfaitement bien analysé l’affaire, en disant que la responsabilité des gendarmes était en cause dès lors que l’autorité avait donné un ordre illégitime. Le deuxième critère est issu d’une jurisprudence plus récente, puisqu’elle date de 2013, mais qui est fondée sur un pourvoi en cassation de 2003 : c’est celui de l’absolue nécessité en l’état des circonstances de l’espèce. Nul besoin donc d’aller à la Cour européenne, c’est l’avocat qui vous le dit !

Sourires.

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Mais l’on sait bien que les avocats ont une fâcheuse tendance, lorsque les affaires vont mal, à tout renvoyer à la Cour européenne, ce qui provoque l’embouteillage que l’on connaît...

Je trouve donc que la réponse équilibrée et intelligente qui a été donnée aux problèmes de la gendarmerie pourrait parfaitement s’appliquer aux policiers, qui en retireraient la même protection.

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Cela étant, votre proposition de constituer un groupe de travail me satisfait tout à fait, monsieur le ministre.

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Sauf que cela avait déjà été promis il y a trois ans !

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Néanmoins, vous qui êtes un admirateur de Clemenceau,…

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…vous savez bien qu’il préconisait, pour étouffer un problème, de nommer une commission… J’espère que ce n’est pas votre idée, monsieur le ministre !

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En tout cas, vous répondriez aux attentes des policiers si, dans la situation exceptionnelle que nous connaissons, vous mettiez rapidement en place les moyens de protection dont ils ont besoin. Voilà qui relève non pas de la démagogie, mais bien de la nécessité du service public.

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Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, « l’État est une communauté humaine qui revendique avec succès le monopole de l’usage légitime de la force physique sur un territoire donné », écrivait le célèbre sociologue Max Weber. La remise en cause de l’autorité et de ses représentants que l’on observe aujourd’hui menace donc gravement le pacte social qui nous unit. La culture de l’excuse est devenue la lunette à travers laquelle un trop grand nombre de politiques et de magistrats observent notre société, tandis que les policiers tombent sous les balles des terroristes, des criminels, des trafiquants, des bandits.

Depuis 2004, pas moins de 112 policiers ont été tués en service et 123 782 blessés en mission. Ces tristes statistiques se sont aggravées depuis 2009, avec un pic en 2014. L’avenir ne nous incite pas à l’optimisme : les Français portant l’uniforme sont devenus des cibles clairement définies par l’État islamique. Triste souvenir que celui des trois policiers froidement abattus en janvier dernier par Coulibaly et les frères Kouachi. Nos forces de l’ordre sont confrontées à une menace terroriste et criminelle de plus en plus grande du fait de l’importation d’un arsenal de guerre venu notamment des Balkans, à prix dérisoire.

Face à cette mutation de la violence, les moyens des acteurs de la paix civile ont gravement diminué. Depuis 2009, le nombre de policiers est en baisse constante, les cartouches sont rationnées, les équipements vieillissants. L’image d’autorité de la police se délite. Cette déconsidération ne peut être dissociée de la multiplication des suicides chez les policiers.

Cette réalité est le résultat d’une politique pénale inefficace, accordant à de trop nombreux individus une impunité propice à la récidive et à l’escalade, ce qui donne aux forces de l’ordre un sentiment d’inutilité. Face à des agressions de plus en plus graves, le sentiment d’injustice des policiers est légitime : ils ne bénéficient pas du même régime que les gendarmes, alors qu’ils sont confrontés aux mêmes dangers et que les deux corps sont désormais regroupés sous l’égide du ministère de l’intérieur. Il est totalement incohérent de placer les policiers sous le régime du droit commun de la légitime défense applicable au citoyen lambda ! L’harmonisation de la protection pénale de l’ensemble des forces de l’ordre, inscrite dans la proposition de loi discutée aujourd’hui, semble donc indispensable.

Ce texte permet de nous interroger sur l’application restrictive faite par les tribunaux de la notion de légitime défense. La condition d’immédiateté n’a aucun sens : un individu qui court les armes à la main demeure dangereux tant pour le policier que pour les tierces personnes. La notion de « danger imminent » introduite par le texte permet de surmonter cette difficulté en prenant en considération la globalité de l’action nécessaire pour faire cesser la menace que constitue le déplacement d’un individu armé.

Toutefois, autoriser les policiers à faire usage de leur arme lorsque des individus armés refusent de déposer la leur après deux sommations paraît déconnecté des réalités. Un policier représente lui-même une injonction à la loi. Dès lors, tout individu armé manifestant une hostilité à son égard s’expose à une riposte selon la légitime défense. Les deux injonctions préconisées peuvent-elles être prononcées à haute et intelligible voix dans une situation d’hyper-stress ? Et qu’en est-il si l’agresseur ne comprend pas le français ? Rappelons-nous l’attaque de Charlie Hebdo ! À titre d’exemple, un agresseur armé d’un couteau aura l’avantage sur une personne portant une arme à feu à partir de sept mètres. Il est très difficile dans de telles situations d’adresser ces injonctions avant de riposter.

Se pose également la question de l’application judiciaire stricte de la proportionnalité. Comment exiger d’une personne agressée d’être capable d’analyser froidement et mécaniquement une situation d’angoisse extrême ? C’est une question de survie, pour soi ou pour autrui, qui défie toutes les lois rationnelles. Le jugement mathématique de certains magistrats, méconnaissant totalement l’état émotionnel des personnes, conduit à désarmer psychologiquement des policiers qui peuvent hésiter à tirer, au prix de leur vie ou de celles de nos concitoyens. Voilà pourquoi je rejoins mon collègue Gilbert Collard sur la nécessité de mettre en place la présomption réfragable de légitime défense, afin de réaffirmer la confiance a priori et la probité de principe accordée aux forces de l’ordre face aux délinquants.

J’entends déjà fuser de la bouche de certains élus l’argument absurde du « permis de tuer ». Cet argument n’est bizarrement pas opposé à la présomption de légitime défense qui est actuellement en vigueur pour les gendarmes – pour la simple raison que l’existence de cette présomption n’a jamais conduit les gendarmes à l’utilisation zélée et irresponsable de leur arme à feu et ne constitue en aucun cas une irresponsabilité pénale !

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Faire ainsi deux poids, deux mesures est profondément vexant et discriminatoire pour nos policiers. Les policiers ne se lèvent pas le matin en se fixant un objectif d’individus à abattre ! Ce sont des serviteurs de l’État de droit, qui n’hésitent pas à mettre leur vie en jeu pour la sécurité de nos concitoyens. Faisons-leur confiance, moyennant une meilleure formation sur l’utilisation de leurs armes à feu.

Chers collègues, votre proposition affiche de louables intentions, mais ne va pas jusqu’au bout des choses. Je la voterai, en espérant qu’elle servira de base à une amélioration globale de l’application de la légitime défense et de la protection des forces de l’ordre.

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Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je prends la parole avec gravité. J’ai encore en mémoire l’attentat de janvier dernier contre Charlie Hebdo et, surtout, l’image insoutenable de ce policier blessé, à terre, qu’un assassin vient achever d’une balle dans la tête. C’est avec ce souvenir que je prends la parole.

C’est contre cette barbarie-là qu’il faut nous unir.

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Nous avons raison d’essayer de le faire, et j’entends les appels de l’opposition en ce sens. Mais l’union nécessite que chacun fasse un pas en avant. Or le choix des thèmes de débat de ce matin, que vous saviez quelque peu irritants – à tort ou à raison, la question n’est pas là – pour certains d’entre nous, ne favorise guère l’union !

Exclamations sur les bancs du groupe UMP.

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Malgré cela, nous faisons preuve d’ouverture. Nous faisons preuve d’ouverture parce qu’il est nécessaire de lutter contre cette barbarie. Et nous le faisons doublement.

D’une part, M. le ministre a expliqué qu’il jugeait nécessaire de réunir un groupe de travail afin d’avancer sur ces questions et d’examiner les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. D’autre part, Mme Pochon et M. Tourret ont eux aussi souligné la possibilité et la nécessité de constituer un groupe de travail.

À ceux qui prétendent que lorsqu’on veut enterrer un problème, on crée une commission,…

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…je réponds que M. Tourret est la preuve vivante que les commissions peuvent déboucher sur quelque chose ! Il a travaillé avec M. Fenech sur la procédure de révision des condamnations pénales, et un accord a été trouvé entre les deux côtés de l’hémicycle. Il est en train de travailler sur les délais de prescription, et un accord est sur le point d’être conclu, dans le sens d’un allongement des délais – je ne crois pas trahir de secret en le disant, monsieur Tourret. C’est donc que ce travail en commun est possible. Nous pouvons parfaitement avancer unis sur ces questions, parce que la République doit, en effet, se défendre contre les barbares.

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Toutefois, en l’état, je ne pense pas que nous puissions voter votre proposition de loi, monsieur le rapporteur.

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Non, monsieur Myard, c’est la poursuite logique de mon argumentation.

Nous ne pouvons pas la voter pour plusieurs raisons. En premier lieu, cette proposition de loi est dangereuse pour les policiers que vous souhaitez protéger.

Exclamations sur les bancs du groupe UMP.

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Mais non, elle est protectrice ! Vous raisonnez faux !

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En effet, elle ne définit pas l’« arme » utilisée par l’agresseur. Or vous savez fort bien que s’il peut s’agir d’une arme à feu, et c’est visiblement ce à quoi vous pensez, cette arme peut aussi être un couteau, un bâton, une pierre ou une autre arme de jet. Cela pose quand même problème.

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Ensuite, cette proposition de loi est très compliquée, puisqu’elle envisage cinq cas permettant aux forces de l’ordre d’ouvrir le feu.

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Il sera extrêmement difficile de savoir dans quel cas l’on se trouve.

Troisième difficulté : le système de sommation envisagé est lui aussi très complexe. D’ailleurs, pour l’heure, il n’existe pas dans la police.

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Les policiers seraient-ils incapables d’apprendre ?

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Ils sont parfaitement capables d’apprendre, monsieur Myard, mais si nous examinons aujourd’hui la question avec calme, dans le cadre d’un débat serein, sans que personne ne nous menace physiquement…

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M. Myard ne viendrait pas me frapper, monsieur Goasguen !

Sourires.

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Bref, à part nous livrer à des échanges verbaux un peu vifs, nous ne courons aucun danger. Les policiers et les gendarmes, eux, ont à répondre avec précision à un danger imminent. Et c’est précisément la dernière difficulté soulevée par cette proposition de loi : certains réflexes sont acquis par la formation, et l’on ne peut y toucher sans une mûre réflexion.

Cette réflexion, nous vous y appelons. Je pense que nous pouvons travailler ensemble sur le sujet. Telle est en tout cas la proposition que le ministre vous a faite, ainsi que la majorité, par l’intermédiaire de plusieurs orateurs. À mon tour, je propose donc que nous travaillions ensemble, au mieux de l’intérêt de la République.

Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.

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La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

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D’abord, je voudrais remercier M. le ministre, qui a souligné la pertinence de ce débat. Vous avez, monsieur le ministre, rappelé, en des termes très mesurés, que ce questionnement sur l’amélioration des dispositions de notre droit visant à protéger nos policiers, et plus généralement les membres des forces de l’ordre, les détenteurs de l’autorité républicaine ayant vocation à faire usage de la force armée, est légitime. J’en profite pour répondre dès maintenant aux orateurs qui ont souligné que la référence aux dépositaires de l’autorité publique était trop large : j’ai déposé un amendement pour préciser le champ d’application de cette proposition de loi et le réduire, naturellement, aux seuls détenteurs de l’autorité publique pouvant être amenés à faire usage de la force armée dans un cadre réglementaire ou légal.

Vous avez donc souligné, monsieur le ministre, la pertinence de ce questionnement. Cela rejoint, nous le savons, les travaux qui sont aujourd’hui conduits par la direction générale de la police nationale. Vous évoquez un rapport, j’y reviendrai, nous avions aussi déjà travaillé sur le rapport Guyomar, qui avait motivé d’ailleurs la proposition de loi de nos excellents collègues Philippe Goujon et Guillaume Larrivé. Le débat est donc bel et bien réel, à mille lieues des caricatures, du moins de l’intervention caricaturale de Mme Pochon, qui a répété des propos qu’elle avait déjà tenus en commission et qui sont l’expression d’une approche très idéologique dont je ne crois pas qu’elle ait sa place en l’occurrence. Nous ne sommes pas là pour exprimer une position de droite ou d’extrême droite,…

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…nous sommes là pour améliorer la protection de ceux qui prennent des risques pour assurer la sécurité de nos concitoyens. Un débat juridique me semble donc nécessaire.

Vous nous invitez, monsieur le ministre à nous associer à une démarche consensuelle, dans le cadre d’une commission. Claude Goasguen a souligné les menaces auxquelles cette proposition expose, mais pourquoi pas ?

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Il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps !

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Simplement, aujourd’hui, le débat est ouvert. Notre vocation, notre mission, notre rôle, notre devoir, à nous législateur, à l’Assemblée nationale, c’est de faire avancer le droit. Et je crois qu’il faut aujourd’hui le faire en menant à bien ce débat. C’est ainsi que je proposerai tout à l’heure, je l’ai dit, des amendements concernant les dépositaires de l’autorité publique, ou alors apportant des clarifications sur la question des sommations, que Dominique Raimbourg a posée de façon légitime. Le débat est donc bel et bien ouvert.

Vous avez évoqué, tout à l’heure, monsieur le ministre, des problèmes juridiques, notamment la possibilité que cette proposition de loi contrevienne à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et à l’article 2 de la convention européenne des droits de l’homme, relatif à la protection de la vie humaine. Je ne reviendrai pas sur le débat qui a eu lieu ce matin sur les contraintes croissantes auxquelles est soumis notre droit, notamment dans les matières régaliennes qui forment, monsieur le ministre, votre champ de compétence. Alors que la souveraineté législative devrait nous appartenir, c’est de moins en moins le cas – mais c’est un autre débat.

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Ce que je veux souligner, c’est que la proposition des lois que j’ai eu l’honneur de déposer est tout à fait conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme…

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Absolument ! Et à celle de la Cour de cassation !

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…et de la Cour de cassation. Le premier alinéa de son article unique ne contrevient pas aux exigences de la jurisprudence de la CEDH. Il ne vise pas la force armée, il se borne à poser, d’une manière générale, le principe d’une irresponsabilité pénale lorsqu’on se défend face à une atteinte. Ce principe doit se comprendre, évidemment, à l’aune du droit européen et s’applique dans une série très limitée de cas dans lesquels le recours à la force armée est autorisé. Vous avez rappelé que l’usage de celle-ci doit répondre, c’est un élément essentiel de la jurisprudence, aux exigences de nécessité et de proportionnalité, mais elles sont bien rappelées dans la proposition de loi. L’utilisation de la force armée en cas de danger imminent ou de violences graves et la riposte mesurée face à un danger patent sont des notions qui irriguent ce texte et qui assurent une parfaite adéquation de la riposte aux intérêts à défendre.

Monsieur le ministre, je crois qu’il faut faire avancer aujourd’hui notre droit. M. Dominique Raimbourg rappelait tout à l’heure cette image qui a choqué, qui a bouleversé les Français, l’image de ce policier abattu, achevé sur un trottoir de Paris. Je rappellerai cette autre image de la manifestation du 11 janvier dernier, celle de ce citoyen qui embrasse un CRS, une image qui en efface d’autres que l’histoire, notamment en mai 1968, avait gravées.

Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans le même contexte. L’uniforme ne protège plus, il expose. Si nous ne prenons pas aujourd’hui nos responsabilités, nous serons contraints d’y revenir. Alors n’attendons pas que des événements encore plus graves, encore plus tragiques ne surviennent. Prenons aujourd’hui nos responsabilités.

Il ne s’agit ni de présomption de légitime défense, en aucun cas, ni de permis de tuer, à plus forte raison. Cette proposition équilibrée est le fruit d’une réflexion, elle a été approuvée par la plupart des organisations syndicales, elle a été l’objet d’un travail mené par la première organisation syndicale, Alliance, majoritaire aujourd’hui chez les gardiens de la paix.

Elle est attendue, elle est réclamée, et elle introduit trois innovations majeures en termes juridiques. Elle introduit notamment la notion de danger imminent dans le cadre des raisons qui peuvent légitimer le recours d’un détenteur de l’autorité publique à la force armée. C’est un point qui a été soulevé pendant les auditions par la directrice de l’inspection générale de la police nationale, qui a elle-même évoqué le vide juridique auquel nous sommes confrontés dans la situation où un tueur fou range son arme après avoir commis ses actes criminels mais continue de représenter un danger majeur imminent – la référence, l’exemple tragique, c’est Breivik, en Norvège, je l’ai déjà dit. Il faut pouvoir le neutraliser. C’est ce cas qui a été évoqué par la directrice de l’IGPN devant notre commission, et je reprends très exactement ses propos. Il y a là un vide juridique. Vous travaillez sur ce problème, monsieur le ministre, vos services y travaillent, et je vous en sais gré, mais la proposition de loi introduit précisément cette notion.

S’agissant des violences graves aussi, il y a un vide qu’il convient de combler. Certains ont évoqué les questions de l’usage des armes, de la définition de la force armée, de la proportionnalité. Mais on peut aussi tuer, on le sait, avec une batte de base-ball, on peut tuer à mains nues ! Je rappelais le guet-apens dont avait été victime le commissaire divisionnaire Jean-François Illy, à Sarcelles, pris dans un traquenard dans l’exercice de ses fonctions, attaqué par une dizaine de personnes, qui l’ont massacré, qui l’ont laissé quasiment pour mort : il n’y avait pas une seule arme à feu, et il a pourtant failli y laisser la vie ! Nous introduisons donc cette notion de violence grave pour améliorer la protection des forces de l’ordre.

Il y a, enfin, cette question des sommations. Il s’agit, c’est vrai, de rapprocher le régime du code de la défense nationale, qui s’applique aux militaires de la gendarmerie, et le régime applicable aux policiers. Nous proposons de préciser les modalités de ces sommations par voie d’amendement.

Monsieur le ministre, je vous remercie pour vos avancées. Vous avez souligné la pertinence de ce débat. Vous avez dit qu’il n’était pas inutile, pour ne pas dire caricatural, comme l’a suggéré Mme Pochon. Vous avez dit qu’il y avait un vrai questionnement. Répondons-y donc, allons au bout du débat et profitons de ce vecteur législatif pour faire avancer la protection de nos policiers. Nous le leur devons.

Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.

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Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Je veux d’abord remercier le rapporteur et l’ensemble des parlementaires qui se sont exprimés pour la qualité de leurs propos. Il y a dans ce débat, dans des proportions que j’invite chacun à déterminer, de la politique et du droit. C’est le cas souvent dans les débats dont ces questions sont l’objet, et parfois il arrive que les questions de droit soient aménagées, contournées, réinterprétées pour atteindre le but politique que l’organisation à laquelle on appartient a décidé d’atteindre.

Je ne considère d’ailleurs pas qu’il soit fondamentalement illégitime de raisonner ainsi quand on appartient à une organisation politique dont un certain nombre de responsables sont très motivés sur ces sujets, parfois même très empressés, pour ne pas utiliser un autre adjectif, mais ce n’est pas ma démarche : je considère que, sur ces questions, les considérations de droit doivent l’emporter sur toutes les autres, parce que c’est la meilleure manière de défendre nos policiers conformément à notre culture républicaine, conformément aux valeurs de la République.

Deuxièmement, je pense que nous ne sommes pas obligés de nous opposer sur ces questions. Les policiers ne nous le demandent pas. Ils demandent, surtout après les événements de janvier, que nous soyons capables de nous rassembler par-delà ce qui peut nous séparer pour les défendre au nom des principes et des valeurs de la République, en les incarnant partout où nous parlons d’eux, notamment dans cet hémicycle. Je pense, ensuite, que nous leur devons cette manière d’aborder le sujet, parce que, comme nous l’avons dit tous ensemble ici, les policiers comme les gendarmes s’exposent au péril de leur vie pour assurer la sécurité des Français. Le sacrifice de leur vie nous impose cette exigence de hauteur et de rigueur lorsque nous abordons cette question.

Enfin, je veux insister sur un point. Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu’il y a une consubstantialité de la violence à la police. Cela n’a jamais été mon point de vue. Et quand je considère ceux qui sont tombés sous le feu des terroristes ou des délinquants au cours des derniers mois ou des dernières années, quand je considère ceux qui ont été blessés dans le cadre de manifestations, dans des contextes de plus en plus violents, je constate que ceux des blessés et des tués qui appartiennent aux forces de l’ordre sont infiniment plus nombreux que les autres – c’est sans commune mesure. Je trouve donc qu’il y a, dans la théorisation de la consubstantialité de la violence à la police, une forme d’approche ou de posture qui correspond à l’exact inverse de ce qu’est la réalité.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

C’est d’ailleurs une approche très blessante pour ceux qui défendent les Français en s’exposant. Ce n’est pas la mienne, je tiens à le dire très clairement.

Par conséquent, il n’y a pas d’un côté ceux qui veulent protéger absolument les forces de l’ordre dans l’exercice de leur mission et de l’autre ceux qui, habités par une forme d’angélisme, se l’interdiraient par posture. Cette posture n’est pas la mienne et je m’estime, comme vous, comptable de la défense des forces de l’ordre dans les missions qui sont les leurs.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Alors maintenant, entrons dans le fond du sujet.

Tout d’abord, est-il légitime que les textes fondant les conditions de recours à la force ou d’usage du feu soient différents selon que le représentant des forces de l’ordre est un policier ou un gendarme ? Alain Tourret et Claude Goasguen ont posé la question, et un certain nombre d’entre vous.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Dès lors qu’ils remplissent des missions de maintien de l’ordre en France, policiers et gendarmes sont placés dans des situations semblables, mais ils ne remplissent pas pour autant les mêmes missions. Et ce qui justifie la différence de traitement sur laquelle vous m’interrogiez, monsieur Tourret, c’est que les gendarmes, je voudrais quand même le rappeler, sont appelés, parce qu’ils sont militaires, à participer à des opérations militaires extérieures – ils sont actuellement présents en Centrafrique, il y a des relèves régulières.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Ils participent également à la défense d’instances ou de structures militaires très sensibles, et ils parviennent aussi, par ailleurs, à se mobiliser en nombre pour la défense de sites industriels extrêmement sensibles, comme les centrales nucléaires.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Donc, si l’on prend en considération la totalité des missions de la gendarmerie nationale et de la police…

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Nous parlons des missions de maintien de l’ordre !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Pour ce qui concerne le maintien de l’ordre, les missions sont bien entendu semblables, mais la diversité d’ensemble explique que les textes qui régissent ces deux corps ne soient pas de même nature.

Cette multiplicité des missions de la gendarmerie est la raison pour laquelle je ne pense pas qu’une question prioritaire de constitutionnalité fondée sur le principe d’égalité pourrait remettre en cause son statut. Ces éléments me permettent de vous répondre à tous deux : voilà les raisons qui justifient le fait que des textes différents régissent les activités de la police et de la gendarmerie.

Cependant, bien que ces textes soient différents, dans la réalité, le régime applicable à la police et à la gendarmerie est le même. Pourquoi cela ? Parce que la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de cassation considèrent que les trois principes régissant la légitime défense en cas d’opération de maintien de l’ordre sur le territoire national s’appliquent de manière identique aux deux forces.

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La jurisprudence assimile les deux régimes : c’est bien ce que j’ai dit ! Nous sommes tout à fait d’accord sur ce point !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Pour résumer, nous avons des textes différents qui régissent des forces dont les missions sont différentes, mais une jurisprudence, tant européenne que nationale, qui applique le même régime aux deux forces en matière de légitime défense.

Monsieur Ciotti, si l’objectif de votre texte est de faire en sorte que le même régime s’applique aux deux forces, alors je vous répète que c’est déjà le cas ! C’est déjà le cas par l’effet de la jurisprudence européenne et de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Une troisième question se pose : compte tenu des nouvelles menaces qui émergent, que Meyer Habib, Philippe Goujon, Dominique Raimbourg ou Élisabeth Pochon ont évoquées, faut-il fixer de nouvelles règles ? Je réponds que oui. Nous sommes d’accord pour fixer de nouvelles règles : l’inspection générale de la police nationale et celle de la gendarmerie nationale y travaillent. Je suis prêt à leur associer des parlementaires dans un groupe de travail, car je souhaite que les nouvelles règles opérationnelles soient totalement fondées en droit.

On me répondra, sur les bancs de l’opposition, que c’est trop long, qu’on a déjà fait le coup, qu’on ne peut pas attendre la Saint-Glinglin. Je comprends tout à fait cet argument, et je vous assure que je ne suis pas enclin à attendre : quand on est ministre de l’intérieur, on n’est jamais sûr d’être encore en poste le jour de la Saint-Glinglin !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Je suis donc partisan d’agir rapidement. Je propose que ce groupe de travail soit constitué dès maintenant et qu’il rende ses conclusions à la fin du premier semestre pour que la commission des lois soit saisie d’un texte, si M. le président de la commission des lois veut bien l’accepter, au mois de juin.

Vous semblez, monsieur Ciotti, avoir beaucoup d’estime pour Mme Monéger, voire un certain emballement pour sa pensée. Cela tombe bien, moi aussi : c’est une excellente fonctionnaire de mon administration. Elle pourra venir s’exprimer devant la commission des lois, ainsi que son homologue de la gendarmerie. Et si vous voulez bien de moi, je pourrai même être là aussi !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Nous pourrons alors évoquer tous les sujets, et les traiter de concert.

Je vous ai donc présenté toutes les considérations d’ordre juridique qui se présentent. Je vous ai garanti que cette question n’a pas vocation à être différée sine die, qu’il ne s’agit pas, comme d’autres l’ont dit, de créer une commission pour enterrer le problème.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Je ne crée pas de commission, et je n’enterre pas le problème.

Monsieur Ciotti, je ne doute absolument pas que votre proposition de loi soit uniquement motivée par la volonté de protéger les policiers, et en aucun cas par celle de faire plaisir à tel ou tel membre de l’organisation politique à laquelle vous appartenez. Je vous demande donc de la retirer, pour que nous puissions répondre ensemble aux policiers qui attendent de nous des décisions concrètes sur ces questions sérieuses.

Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.

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J’appelle maintenant l’article de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté de texte.

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La parole est à M. Jacques Myard, inscrit sur l’article.

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Monsieur le ministre, êtes-vous frappé de procrastination ? Je trouve que vos arguments ne font pas mouche. Vous reconnaissez que la proposition d’Éric Ciotti soulève un vrai problème, et qu’elle le fait de manière sereine, en respectant l’intégralité des lois de la République. Mais vous nous dites par ailleurs qu’il est urgent d’attendre, au motif de retravailler le texte !

Vous vous appuyez sur deux arguments de fond. Premièrement, vous expliquez que la Cour de cassation interprète la loi de sorte que pour qu’il y ait légitime défense, la réponse doit être nécessaire, simultanée et proportionnelle. En tant que républicain, je ne souhaite pas entendre cet argument dans cet hémicycle. Le législateur, c’est nous, c’est le Parlement ! Cet argument n’est donc pas recevable par cette assemblée. Si cette loi était adoptée par les deux chambres du Parlement, la Cour de cassation devrait s’incliner, sous réserve de l’intervention du Conseil constitutionnel. Ne vous cachez donc pas derrière la Cour de cassation, cet argument n’est pas recevable.

Ensuite, encore mieux que la Cour de cassation, vous vous référez à la CEDH. Monsieur le ministre, ne me dites pas cela, pas à moi ! C’est une juridiction internationale. Comme toute juridiction internationale, elle sait jusqu’où elle peut aller. À l’heure actuelle, des critiques s’élèvent contre elle, non seulement en France, mais dans toute l’Europe et permettez-moi de dire très directement que les magistrats de la CEDH doivent sentir le vent du boulet !

Cela s’appelle, comme mes maîtres me l’ont appris – dont l’un, pas des moindres, a même présidé la Cour internationale de justice, après m’avoir eu comme élève…

Sourires.

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L’élève ne dépasse pas toujours le maître !

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Bref, cela s’appelle la politique juridictionnelle. La Cour est capable d’adopter des positions conformes aux souverainetés nationales. Il ne faut pas se cacher derrière la CEDH. Parler de la République, c’est bien, la défendre, c’est mieux !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Monsieur Myard, je ne comprends pas pourquoi les questions européennes vous courroucent toujours ainsi !

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Vous avez l’habitude des gens qui se courroucent, avec M. Valls !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Je n’arrive pas à m’y habituer. À chaque fois, je m’en étonne : vous vous fâchez, vous vitupérez, vous morigénez de la belle manière le droit européen…

Sourires.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Je suis tout à fait d’accord avec vous sur le fait qu’il faille respecter la souveraineté du Parlement dans l’élaboration de la loi. Mais vous savez très bien que lorsque le Parlement élabore la loi, il ne peut méconnaître la hiérarchie des normes. Vous me l’avez fait remarquer vous-même à l’occasion de l’examen d’autres textes.

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La hiérarchie des normes, oui, mais pas la CEDH !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Et pourquoi pas la CEDH ? À chaque fois que nous examinons un texte, nous veillons à sa conformité avec la CEDH.

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Oui, mais la Cour va changer de jurisprudence !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

C’est le cas pour le projet de loi relatif au renseignement, dont nous avons discuté hier longuement. Je crois me souvenir que vous étiez présent, mais que vous ne vous êtes pas courroucé comme vous l’avez fait à l’instant ! Il appartient aussi au législateur, lorsqu’il légifère, de veiller à cette conformité.

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Nous en venons aux amendements.

Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 1 et 9 , qui tendent à supprimer l’article unique de la proposition de loi.

La parole est à Mme Elisabeth Pochon, pour soutenir l’amendement no 1 .

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Nous proposons en effet de supprimer cet article. Je n’exposerai pas à nouveau mes arguments, par égard pour les oreilles de M. Ciotti, qui les trouvera idéologiques. Quoi qu’il en soit, nous maintenons que cette loi ne permettra pas de garantir la protection et des policiers et des citoyens. Le groupe socialiste est très préoccupé par la sécurité des policiers et le prouve régulièrement en soutenant une politique qui améliore leurs conditions de travail.

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L’amendement no 9 est défendu.

Quel est l’avis du rapporteur sur ces deux amendements de suppression ?

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Il est bien entendu négatif. Le refus de cette proposition de loi est une erreur majeure. C’est même une faute que d’interrompre ainsi un débat dont même M. le ministre a reconnu la pertinence à ce stade. Vous n’avez pas, madame Pochon, mobilisé beaucoup d’autres arguments que ceux que je dénonçais tout à l’heure. Ils sont purement idéologiques. Cette position n’est pas recevable, pas acceptable.

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Parce que cette proposition de loi vient de l’opposition, vous allez interrompre le débat, alors que cette question est très grave et que notre proposition est pertinente. Jacques Myard a soulevé tout à l’heure de vrais problèmes – je ne reviendrai pas sur la question de notre capacité à faire la loi, au-delà de la jurisprudence. Vous avez parlé, monsieur le ministre, de la hiérarchie des normes. L’interprétation de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que donne la CEDH est de plus en plus évolutive, Guillaume Larrivé l’a démontré de manière brillante récemment. Si nous voulons encore maîtriser notre législation, si nous voulons rester capables de régler des problèmes essentiels, régaliens, concernant la sécurité de nos concitoyens, les flux migratoires et la lutte contre le terrorisme par exemple, alors il nous faudra mener ce débat. Attention à ne pas nous soumettre sans réagir à l’interprétation toujours plus extensive de la CEDH ! Je tenais à dire cela, après l’intervention de Jacques Myard.

Je le répète, ce serait une faute de voter cet amendement et d’interrompre ainsi ce débat. Cela adresserait un très mauvais signal à nos policiers.

Exclamations sur les bancs du groupe SRC.

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Ce n’est pas avec votre texte que nous leur enverrons un bon signal ! Nous devons faire preuve de conscience, de responsabilité !

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Ils méritent notre considération, notre soutien, notre protection. C’est sur ce point que nous devons avancer, que nous devons faire évoluer les choses. Nous pourrons le faire en harmonie avec M. le ministre, puisqu’il nous l’a proposé, mais de grâce n’interrompez pas le débat à ce stade. Cela représenterait un vrai signe de défiance, dans un moment où nos policiers ont au contraire besoin de la confiance de la représentation nationale.

Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.

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Les policiers ont notre confiance et notre soutien !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Monsieur Ciotti, vous avez l’air très désireux d’aller au bout de ce débat. Je vous demande pour la dernière fois de retirer cette proposition de loi afin de pouvoir poursuivre dans le cadre rationnel que j’ai proposé.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

C’est cela qui nous permettra de travailler tous ensemble à un texte protégeant les policiers.

Vous avez été élu brillamment, ce matin, président du conseil général des Alpes-Maritimes. Je vous en félicite.

Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Dans ce contexte, vous serez certainement d’humeur raisonnable. Je vous propose donc de retirer ce texte. À défaut, je suis favorable aux amendements de suppression.

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Monsieur le ministre, vous voulez que je sois courroucé ? Eh bien à présent je le suis !

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Il n’est pas admissible d’arrêter le débat de cette manière ! Vous fuyez le débat, monsieur le ministre ! Ce n’est pas acceptable. Nous pourrions aller au bout de l’examen de ce texte. Vous pourriez très bien le modifier, en attendant de l’améliorer encore par la suite : jusqu’à nouvel ordre, il y a encore un Sénat, en dépit des propos tenus par le Président de la République !

Vous fuyez, c’est très clair. Vous êtes vraiment frappés de procrastination.

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Je serai bref, monsieur le président. Je tiens simplement à dire que nous ne refusons pas du tout le débat, que nous ne voulons pas l’étouffer. Au contraire, M. le ministre propose de constituer un groupe de travail, et d’y associer l’opposition. Que vouloir de plus ? Par ailleurs, nous répétons que la proposition de loi n’est pas acceptable en l’état. C’est nous qui acceptons de faire des efforts pour aboutir, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, à l’unité républicaine contre la barbarie.

Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.

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Monsieur Raimbourg, nous souhaitons simplement remplir notre rôle et notre mission : débattre du texte qui a été soumis à cet hémicycle.

Que Mme Pochon ne tienne pas compte des préoccupations des policiers est une chose.

Exclamations sur les bancs du groupe SRC.

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Elle a été caricaturale, permettez-moi de l’être à mon tour !

Mêmes mouvements.

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Ce qui me gêne, c’est que sa démarche va à l’inverse des intentions du ministre, du moins telles que nous les avons comprises. M. Cazeneuve nous a dit être à l’écoute et vouloir réunir rapidement un groupe de travail. Tant mieux. Son prédécesseur s’était montré aussi ouvert, en décembre 2012 lorsque, avec Guillaume Larrivé et Éric Ciotti, nous avions déposé notre texte, mais rien ne s’est passé depuis...

Bref, nous sommes prêts à entendre la proposition que nous fait le ministre, sans mettre en cause sa bonne foi. Mais je ne comprends pas pourquoi nous ne pourrions pas entreprendre ce travail d’analyse dès maintenant, en commençant d’ailleurs par voter les amendements qui suivent et dont la plupart visent à restreindre l’usage des armes par rapport à ce que prévoit le texte initial.

Votre démarche va à l’inverse des intentions du ministre de l’intérieur, et de surcroît laisse imaginer que cette ouverture n’ira pas à son terme.

Les amendements identiques nos 1 et 9 sont adoptés et l’article unique est supprimé. En conséquence, les amendements nos 2 , 10 , 3 , 4 , 5 , 6 , 7 et 8 deviennent sans objet.

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L’Assemblée ayant supprimé l’article unique de la proposition de loi, il n’y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la Conférence des présidents.

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Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la santé.

La séance est levée.

La séance est levée à dix-sept heures.

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly