Séance en hémicycle du 17 septembre 2015 à 15h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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La séance est ouverte à quinze heures.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant la ratification du protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac (nos 2741, 3059).

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La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Madame la présidente, madame la rapporteure de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les députés, 120 milliards d’euros : tel est le chiffre vertigineux qui ressort de l’évaluation du coût social du tabac publiée il y a quelques jours par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies – OFDT. Derrière cette statistique, il y a des vies : celles des 78 000 Français qui meurent chaque année à cause du tabac ; celles de tous ceux qui, à cause du tabac, souffrent d’une pathologie pulmonaire, respiratoire ou d’un cancer ; celles des centaines de milliers de nos concitoyens contraints d’assister aux souffrances, et bien souvent aux terribles regrets, d’un proche qui a été fumeur.

Lutter contre le tabagisme, c’est donc d’abord une exigence de santé publique. Mais c’est infiniment plus que cela. Dans un pays où un jeune de 17 ans sur trois est un fumeur régulier, où les femmes enceintes fument davantage qu’ailleurs, où la consommation et l’achat de tabac progressent, c’est un combat de société. Ce combat, le Gouvernement est déterminé à le mener de front. Le protocole visant à éliminer le commerce illicite des produits du tabac, dont le Gouvernement vous demande aujourd’hui la ratification, est une arme supplémentaire dans cette bataille.

De quoi s’agit-il ? De répondre à un phénomène qui nuit à l’efficacité de nos politiques anti-tabac : le commerce illicite. Les divergences entre législations et l’absence de coordination européenne et internationale sont autant d’alliés objectifs du tabagisme. Selon l’Organisation mondiale des douanes, une cigarette sur dix circulant dans le monde appartiendrait au marché illicite. La France n’échappe évidemment pas à ce phénomène. Notre pays a fait le choix, parmi d’autres, de pratiquer des prix élevés du tabac pour en dissuader nos concitoyens et en particulier les plus jeunes. Or la France, particulièrement dans ses territoires frontaliers, est confrontée au trafic de cigarettes. Vendues moins cher, en l’absence de tout contrôle, elles sont un obstacle à l’efficacité de notre action.

C’est pour cela que notre pays a été, le 10 janvier 2013, l’un des premiers États à signer ce protocole issu de la Convention-cadre de lutte anti-tabac – CCLAT – de l’Organisation mondiale de la santé – OMS. Concrètement, il s’agit de lutter contre le commerce illicite à la racine, en agissant sur l’ensemble des acteurs qui y participent, depuis le simple revendeur jusqu’aux réseaux transnationaux organisés.

Le principal dispositif figurant dans ce protocole est la création d’un système global de suivi et de traçabilité des produits du tabac. Il s’agit de pouvoir identifier l’origine de chaque paquet commercialisé ou importé dans notre pays. Des discussions sont en cours, au niveau européen, pour préciser les recommandations opérationnelles qui devront être appliquées. Cette traçabilité sera assurée par des « tiers indépendants », eux-mêmes soumis au contrôle de la Commission européenne et d’un auditeur externe lui-même indépendant, afin de parvenir à une indépendance – tel est le maître mot ! – et à une transparence – c’est important aussi – complète du dispositif.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Les États membres auront un accès permanent aux données gérées par ce ou ces tiers indépendants – puisqu’ils peuvent évidemment être plusieurs. Les débats parlementaires portant sur le volet « tabac » du projet de loi de modernisation de notre système de santé ont montré, à l’Assemblée nationale et récemment au Sénat, que la représentation nationale est attachée au déploiement rapide d’un tel dispositif appliqué à l’enregistrement et à la traçabilité des données liées aux opérations d’importation et de commercialisation. La ratification de ce protocole vient ainsi renforcer notre arsenal de lutte anti-tabac. Il permet aussi le renforcement des sanctions pénales et la coopération internationale des services de répression des fraudes et des services judiciaires.

Ce protocole permettra aussi de protéger les buralistes, dans le moment de transition que connaît leur activité. Depuis plus de trois ans, j’ai, au nom du Gouvernement, une ambition affirmée : faire de la génération d’enfants qui naît aujourd’hui la première génération d’adultes non-fumeurs. Bien sûr, nous ne parviendrons pas aussi facilement à un « monde sans tabac », formule qui, je le rappelle, est retenue à l’échelle internationale. Mais, en tout cas, l’objectif doit bien être de libérer notre pays de son emprise. Ma conviction, c’est que nous n’y parviendrons pas sans des mesures fortes, audacieuses. Notre pays a trop souffert des déclarations de principe et des demi-mesures. L’adoption d’un programme cohérent et global de réduction du tabagisme doit nous permettre de franchir une nouvelle étape. Ce programme comprend un ensemble de mesures, dont le paquet neutre, qui a fait ses preuves en Australie, où le nombre de « premières cigarettes fumées » a diminué, et où les appels téléphoniques à l’équivalent de notre « Tabac information service » se sont multipliés.

Le programme national de réduction du tabagisme, c’est un tout : campagnes d’information, paquet neutre, restriction des lieux où l’on peut fumer, notamment ceux où se trouvent des enfants, aide au sevrage et lutte contre les trafics. Dans ce contexte, les buralistes font part de leur inquiétude, alors même que, depuis cette année, les ventes de tabac chez eux recommencent à augmenter, ce qui est aussi une source d’inquiétudes en matière de santé publique. Ils doutent de leur avenir. Je veux le dire à nouveau de la manière la plus forte qui soit : lutter contre le tabagisme, ce n’est évidemment pas s’en prendre aux buralistes. Mais soutenir les buralistes, ce ne peut pas être un renoncement à la lutte contre le tabagisme. C’est les accompagner dans la diversification de leurs activités. Pour cela, nous devons anticiper, innover et avancer collectivement. C’est la raison pour laquelle le député Frédéric Barbier anime depuis plusieurs mois un groupe de travail sur l’avenir des buralistes. Ses travaux avancent dans quatre directions : la sécurité des commerces, la lutte contre la contrebande, la rémunération et la diversification des activités. À partir de ces propositions, c’est bien le métier de buraliste de demain que nous devrons collectivement construire.

Avec la ratification du protocole qui vous est aujourd’hui proposé, la France poursuit son action volontariste à l’international. L’entrée en vigueur de ce protocole est subordonnée à sa ratification par au moins quarante États. Neuf pays l’ont ratifié à ce jour, dont seulement trois États membres de l’Union européenne : l’Autriche, l’Espagne et le Portugal. Nous espérons que la France complétera rapidement cette liste. En ratifiant ce texte, nous voulons envoyer un signal fort au niveau international, au moment même où la France a pris la tête d’une coalition internationale contre le tabac.

À l’issue du sommet qui a réuni à Paris, en juillet dernier, les ministres en charge de la santé de dix pays, une déclaration commune a été signée faisant référence au paquet neutre et à d’autres mesures de lutte contre le tabac, mais faisant aussi état de la volonté des États signataires de s’engager pour favoriser la ratification de ce protocole par le plus grand nombre d’États possibles. Cet engagement international, que je n’ose qualifier de croisade internationale, est absolument essentiel au vu du chemin qui reste à parcourir, mesdames et messieurs les députés ! Je l’ai dit, neuf pays ont ratifié ce protocole et la France sera le dixième, si vous le voulez bien : nous sommes loin des quarante ! Nous avons donc besoin d’être actifs et moteurs au niveau international. Les combats menés par la France vont précisément en ce sens.

Outre la mise en place du paquet neutre et la ratification du protocole de l’OMS, un combat nous mobilise aussi fortement : la recherche des voies d’une convergence entre les prix du tabac au sein de l’Union européenne.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

La France est le pays d’Europe continentale où le paquet de cigarettes est le plus cher : 7 euros en moyenne, contre 4,80 au Luxembourg ou 4,75 en Espagne. La Belgique a d’ores et déjà pris des mesures d’augmentation, ce qui est une excellente nouvelle. Mais nous devons faire évoluer la situation. La directive en vigueur sur les accises a fixé certaines règles minimales qui se révèlent insuffisantes. C’est la raison pour laquelle je viens de demander, avec Michel Sapin et Christian Eckert, à la Commission européenne de mettre en oeuvre une meilleure harmonisation de la réglementation sur la fiscalité des produits du tabac.

Mesdames, messieurs les députés, la ratification de ce protocole est une étape importante dans le combat que nous menons contre le tabagisme. Cette ratification nous permettra de lutter mieux encore contre le commerce illicite, qui sape l’efficacité de nos politiques de santé et fragilise l’économie de certains territoires frontaliers. Il s’agit là d’une nouvelle occasion de montrer que la France est à l’avant-garde. Je vous remercie de votre soutien et de votre engagement.

Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

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La parole est à Mme Linda Gourjade, rapporteure de la commission des affaires étrangères.

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Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a dit Mme la ministre, la France fait partie des tout premiers pays ayant signé le protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac adopté en novembre 2012. En votant ce projet de loi, nous serons aussi parmi les tout premiers à ratifier ce texte et nous contribuerons ensemble à rendre possible son entrée en vigueur au plan international. Je rappelle que cette entrée en vigueur n’aura lieu qu’après le dépôt du quarantième instrument de ratification. Au 4 septembre, seuls neuf États avaient ratifié le protocole.

La lutte contre le commerce illicite des produits du tabac est une priorité, compte tenu de l’ampleur de ce phénomène dans le monde entier et de ses conséquences néfastes à plus d’un titre. Le programme national de réduction du tabagisme, adopté en conseil des ministres au mois de septembre 2014, prévoyait d’ailleurs la ratification de ce protocole. Au plan fiscal, les pertes annuelles seraient de plus de 10 milliards d’euros au sein de l’Union européenne et de plus de 40 milliards de dollars dans le monde. Outre l’impact sur les finances publiques, les trafics illicites entravent la politique fiscale du tabac menée au service de la santé publique. Il convient de protéger les prix pratiqués en France dans le réseau des buralistes en renforçant la lutte contre le commerce illicite et contre les dérives des achats transfrontaliers.

Par ailleurs, s’il existe déjà des risques sanitaires très élevés pour les produits légaux du tabac, les risques sont évidemment majorés quand il s’agit de contrefaçons ou de cigarettes dont la vente n’est pas autorisée en France.

Enfin, le commerce illicite des produits du tabac est pour l’essentiel entre les mains de réseaux criminels organisés, qui prospèrent grâce à de tels trafics et peuvent ainsi en profiter pour financer d’autres activités relevant de cette criminalité organisée, notamment les trafics de stupéfiants et d’armes et la traite des êtres humains, voire des activités terroristes.

L’Organisation mondiale des douanes estime qu’une cigarette sur dix fumée dans le monde pourrait être issue du commerce illicite. Les trafics prennent des formes multiples. Ils peuvent concerner des produits du tabac authentiques mais détournés, des contrefaçons de marques légales ou encore les cheap whites, ces marques de cigarettes légales dans leur pays de production mais non autorisées ailleurs, par exemple en France. La marque de cigarettes Jin Ling, que l’on retrouve en Europe, serait ainsi produite à Kaliningrad, en Ukraine et en Moldavie.

Le protocole qui nous est soumis aujourd’hui par l’intermédiaire de ce projet de loi a pour objet de compléter et de renforcer les actions déjà engagées pour lutter contre les trafics.

Tout d’abord, le protocole permettra d’améliorer le contrôle de la chaîne logistique, par la délivrance de licences ou d’autorisations, par l’imposition d’une obligation de vérification diligente et par l’instauration de systèmes de suivi et de traçabilité interopérables qui permettront d’échanger des informations au moyen d’un point focal mondial et de retracer les mouvements des produits du tabac au plan international.

Une deuxième série de mesures, tout aussi utiles, concerne la répression des trafics. Les parties au protocole devront prendre leurs dispositions pour interdire en droit interne un ensemble d’actes constitutifs du commerce illicite des produits du tabac ou participant directement à ce phénomène. Le protocole demande que tous ces actes fassent l’objet de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives. En vue de faciliter la détection et la répression des trafics, le protocole favorise les livraisons surveillées et d’autres techniques d’enquête spéciales.

Le renforcement des coopérations internationales est un autre pilier du protocole. Ces coopérations doivent s’intensifier dans tous les domaines : les échanges d’informations, sous forme de données agrégées ou de données personnelles, dans le respect des législations nationales – c’est-à-dire, en France, la loi informatique et libertés – le renforcement des capacités, notamment grâce à la recherche de financements pour aider les pays en développement à mettre en oeuvre les engagements qu’ils souscriraient au titre du protocole, l’assistance administrative mutuelle ou encore la coopération judiciaire.

En France, les services de la douane ont déjà recours à une large palette de coopérations internationales, et notre dispositif est déjà très complet en matière de répression. Au plan mondial, le protocole a pour grande vertu de contribuer au rapprochement des mesures de lutte contre le commerce illicite. En ce qui concerne le dispositif de suivi et de traçabilité, qui est l’une des mesures les plus significatives du texte, la mise d’un point focal mondial permettra de sortir d’une simple logique régionale, en particulier européenne, qui constitue déjà un premier pas.

Si l’enjeu immédiat de notre débat cet après-midi est d’autoriser la ratification du protocole en France, il convient aussi d’essayer de faire en sorte qu’il entre en vigueur aussi rapidement et aussi largement que possible dans le monde. Je crois que l’on peut être ambitieux en la matière. La Convention-cadre de l’OMS à laquelle ce protocole se rattache est l’un des traités les mieux ratifiés dans l’histoire des Nations unies, avec plus de 180 parties à ce jour. Il faut espérer que le protocole connaisse un avenir aussi universel.

Des actions de sensibilisation aux enjeux du commerce illicite du tabac, de promotion du protocole et d’accompagnement dans sa mise en oeuvre peuvent aider à favoriser son entrée en vigueur. Je sais, madame la ministre, que vous prenez en compte la dimension globale de la lutte contre le tabagisme. La réunion internationale que vous avez organisée le 20 juillet dernier à Paris en témoigne notamment.

En France et en Europe, il reste aussi à compléter la mise en oeuvre du protocole en ce qui concerne le dispositif de marquage et de traçabilité. Sans attendre l’entrée en vigueur du protocole, les travaux nécessaires ont déjà été engagés au plan européen et nous attendons maintenant que la Commission européenne adopte des actes délégués et des actes d’exécution pour l’application du dispositif.

Des auditions que j’ai menées, je retiens que, s’il peut parfois demeurer quelques préoccupations, voire des divergences sur les modalités de mise en oeuvre, au regard notamment du rôle qui pourrait éventuellement être laissé aux fabricants de tabac, ce ne sont pas les stipulations du protocole qui sont en cause. Elles servent au contraire de boussole. Nous devons rester vigilants sur le respect plein et entier du protocole. C’est naturellement la lecture la plus extensive qui doit prévaloir. Je sais que vous y êtes attentive, madame la ministre, et que nous aurons peut-être l’occasion de revenir sur ce point à l’occasion de la discussion du projet de loi de modernisation de notre système de santé.

Je voudrais également mettre l’accent, même très brièvement, sur quelques-unes des propositions faites par la Commission européenne en juin 2013 dans le cadre d’une communication relative à une stratégie globale de lutte contre le commerce illicite du tabac.

Outre plusieurs questions techniques, mais essentielles pour l’efficacité de l’action qui est menée, telles que les échanges de renseignements et d’informations entre les différentes autorités de l’Union participant à la lutte contre la fraude douanière, la criminalité organisée et la criminalité transfrontalière, je voudrais insister sur la nécessité de continuer à plaider pour une plus grande harmonisation au plan européen. L’importance des différentiels de taxation et de prix crée un environnement favorable à la contrebande et au développement d’achats transfrontaliers, qui sont souvent disproportionnés. Si nous parvenions à aller dans le sens d’une plus grande convergence en Europe, il conviendrait évidemment de le faire par le haut.

Au bénéfice de ces quelques observations, je vous invite, mes chers collègues, à adopter le projet de loi.

Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

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Dans la discussion générale, la parole est à Mme Gilda Hobert.

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Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, une cigarette sur dix fumée dans le monde proviendrait du commerce illicite du tabac. C’est considérable quand on sait combien le tabac est un fléau de société.

Les chiffres nous le disent. Chaque année, il y a 6 millions de décès dans le monde, dont 10 % sont dus au tabagisme passif. C’est la première cause de décès évitable chez les adultes, un décès sur dix étant lié au tabac. La moitié du milliard de fumeurs dans le monde mourront d’une maladie liée au tabac. Plus préoccupant encore, la mortalité liée au tabac continue de croître : l’OMS prévoit que, d’ici à 2030, si rien n’est fait pour réduire le tabagisme, le nombre annuel de décès liés au tabac atteindrait plus de 8 millions.

Sa consommation a aussi un coût économique. Elle grève les dépenses directes de santé des fumeurs malades. Elle fragilise aussi les systèmes d’assurance maladie en raison de la prise en charge de long terme de maladies chroniques liées au tabac. En France, le tabac tue vingt fois plus que les accidents de la route. La prévalence du tabagisme a augmenté depuis 2005, particulièrement chez les jeunes, les chômeurs et les femmes âgées, et atteint désormais le tiers des fumeurs quotidiens, dont une grande partie se trouve chez les jeunes de 17 ans.

Le commerce illicite compromet l’efficacité des politiques de lutte anti-tabac. Il facilite l’accès aux produits du tabac, notamment pour les plus jeunes. Il rend moins efficaces les hausses du prix des produits du tabac par taxation promues par l’OMS. Rien qu’en Europe, les produits illicites du tabac représenteraient entre 6 % et 10 % du marché. Au niveau mondial, il a été estimé en 2010 que le total des pertes de revenus fiscaux pour les gouvernements serait de 40 milliards de dollars.

Il faut insister enfin sur le fait que ce commerce illicite est souvent lié aux réseaux de criminalité organisée – trafic d’armes, de drogue ou de médicaments – qui mettent en péril la sécurité publique.

Face à ce constat accablant, plusieurs politiques ont été décidées.

En France, après plusieurs rapports et avis, une nouvelle politique structurée de lutte contre le tabac a été entreprise. Dans cette perspective, le Président de la République a annoncé en février 2014 l’élaboration d’un programme national de réduction du tabagisme. Articulé autour de trois axes, protéger les jeunes, aider les fumeurs à arrêter et agir sur l’économie du tabac, ce programme a pour principaux objectifs de faire baisser de 10 % le nombre de fumeurs d’ici à cinq ans, de descendre en dessous des 20 % de fumeurs dans dix ans et de constituer la première génération née dans un environnement sans tabac en 2030. Espérons !

Au niveau européen, a été adoptée en avril 2014 une directive relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et produits connexes. Elle offre ainsi la possibilité aux États membres de mener des politiques sanitaires cohérentes sur le territoire de l’Union.

Cependant, l’essor du tabagisme dépasse largement notre territoire et celui de l’Union européenne. Sa mondialisation est facilitée par un ensemble de facteurs complexes et transfrontaliers, notamment la libéralisation des échanges commerciaux et le mouvement international des cigarettes de contrebande ou contrefaites.

C’est dans ce contexte qu’a été décidée l’élaboration d’instruments juridiques internationaux pour la lutte anti-tabac.

Ainsi, un protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac a été adopté en novembre 2012 lors de la cinquième conférence des parties de la Convention-cadre pour la lutte anti-tabac, placée sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé. Il vise à lutter contre ce trafic afin de compléter les politiques sanitaires de réduction du tabagisme. Il accroît les contrôles de la chaîne logistique par la mise en oeuvre de systèmes de suivi et de traçabilité, avec l’application d’un marquage unique, sécurisé et indélébile sur chaque produit. Il renforce les sanctions pénales pour le trafic et développe l’échange d’informations et la coopération internationale entre les services de répression de fraudes ainsi que les services judiciaires.

Lors de la cérémonie de signature du protocole, le 10 janvier 2013 au siège de l’OMS, douze États représentant les six régions de l’OMS l’ont signé. La France, représentant la région européenne, faisait partie de ces premiers signataires. Depuis le 10 janvier 2013, cinquante-cinq parties l’ont signé, dont quinze pays de l’Union européenne. Au 1er mars 2015, six parties l’avaient ratifié : Nicaragua, Uruguay, Gabon, Mongolie, Autriche, Espagne.

Sa ratification aura de grandes conséquences nationales, en premier lieu sur le plan sanitaire.

En effet, elle devrait permettre de mieux lutter contre le commerce illicite et donc de préserver l’efficacité de la politique fiscale française, qui veut des prix élevés pour rendre les produits du tabac moins accessibles, notamment pour les populations les plus vulnérables, et pour faire reculer la prévalence de consommation de tabac en France et, par conséquent, la prévalence de maladies liées à cette consommation.

L’efficacité des hausses significatives du prix sur la réduction de la consommation, en particulier chez les jeunes, qui présentent la plus grande sensibilité aux variations de tarif, a été soulignée par plusieurs organismes internationaux. Les derniers rapports sur la lutte contre le tabac en France formulent des recommandations convergentes sur la nécessité de poursuivre une politique des prix du tabac motivée par des considérations de santé publique.

La mise en oeuvre du protocole pourrait aussi avoir des conséquences fiscales positives. Le commerce illicite fait en effet perdre à l’administration fiscale française et européenne un montant significatif en termes de taxes et droits non récupérés.

La Commission européenne estime ainsi qu’il représenterait dans l’Union 8,5 %, et que sa part aurait augmenté de 30 % ces six dernières années. Le manque à gagner fiscal est lourd : il s’élèverait à plusieurs milliards de dollars au niveau mondial. Mais, comme vous l’avez dit, madame la ministre, il convient aussi d’accompagner les buralistes vers une diversification de leur métier. Ils contribueront ainsi, eux aussi, à cet enjeu de santé.

Il s’agit en effet de sauver des milliers de vies en France et des millions en Europe et dans le monde. Seule une réponse internationale forte et déterminée permettra de mettre fin à ces trafics, d’assurer une meilleure efficacité aux politiques de santé publique et de renforcer la sécurité dans les zones cibles de ces marchés. Assurément, le respect du protocole le permettra. C’est la raison pour laquelle le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutient le projet de loi autorisant sa ratification.

Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.

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Le projet de loi qui nous amène ici aujourd’hui et qui autorise la ratification du protocole de l’Organisation mondiale de la santé pour éliminer le commerce illicite de tabac fait l’objet d’un consensus, tant sur le fond que sur le fait que sa ratification doit être effective au plus tôt afin que soit mise en oeuvre une traçabilité indépendante des produits du tabac, pour en contrôler les flux.

Le protocole vise à éliminer toute forme de commerce illicite des produits du tabac en exigeant des parties qu’elles prennent des mesures pour contrôler efficacement la chaîne logistique de ces produits et qu’elles coopèrent au niveau international dans plusieurs domaines. En ce sens, il impose des obligations ambitieuses aux États membres, notamment en ce qui concerne les licences, la vérification diligente, le suivi et la traçabilité, la tenue des registres, les mesures de sécurité et les mesures préventives, les ventes sur internet, par télécommunication ou au moyen de toute autre technologie nouvelle, les zones franches et le transit international ainsi que les ventes en franchise de droits. Il prévoit en outre des sanctions lourdes à l’encontre des contrevenants.

Seuls les cigarettiers sont hostiles à ce texte, pour la simple et bonne raison qu’ils bénéficient du commerce parallèle du tabac. Ils se livrent à un lobbying intense depuis déjà deux ans, en dépit des intérêts de santé mais également de finances publiques. Rappelons que, selon l’OMS, l’élimination du commerce illicite du tabac rapporterait une manne fiscale de 31 milliards de dollars par an aux gouvernements, dont 10 à 15 millions de dollars aux seuls États membres de l’Union européenne.

En 2011, un rapport parlementaire des députés Jean-Louis Dumont, Thierry Lazaro et Jean-Marie Binetruy sur les conséquences fiscales des ventes illicites de tabac avançait que le manque à gagner annuel pour la France serait de l’ordre de 2,5 à 3 milliards d’euros. C’est une somme rondelette qui améliorerait sans doute l’état de nos finances publiques et permettrait certainement à nos collectivités locales de sortir de l’ornière dans laquelle la course aux économies et à la résorption de la dette les a enfermées. Ce lobby ne saurait nous faire détourner les yeux des objectifs du protocole, qui ne pourront être atteints que par la mise en place totale et sans réserve de ses dispositions.

Pour cela, il nous faudra rester extrêmement vigilants à ce que la lettre de son article 8 s’applique en respectant la volonté des parties signataires. À cette fin, il ne devra en aucun cas être remplacé par l’article 15 de la directive tabac, qui est une norme juridique inférieure au protocole de l’OMS, aux termes de l’article 216 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et qui prévoit de confier 80 % de la traçabilité des produits du tabac aux cigarettiers eux-mêmes.

Je rappelle que l’article 8 du protocole prévoit que chaque partie « instaure […] un système de suivi et de traçabilité contrôlé par elle » et que « les obligations auxquelles une partie est tenue ne sont pas remplies par l’industrie du tabac et ne lui sont pas déléguées », là où l’article 15 de la directive tabac se borne à imposer que les fabricants et importateurs « concluent un contrat de stockage de données avec un tiers indépendant ». Dans notre droit interne français, ces dernières dispositions sont retranscrites par l’article 569 du code général des impôts, qui les reprend à la lettre.

Or, le compte rendu du conseil des ministres du 29 avril 2015 précise que « les modalités relatives à la traçabilité des produits du tabac sont précisées par la directive 201440UE […] et les actes qui en découlent. Ces dispositions entreront en vigueur en 2019 pour les cigarettes et le tabac à rouler, et en 2024 pour les autres produits du tabac ». On en déduit que nous pouvons considérer que la directive tabac et l’article 569 du code général des impôts suffisent pour la mise en oeuvre des dispositions du protocole. Pourtant, ces dispositions sont manifestement contraires à l’article 8 de ce protocole et représentent un véritable blanc-seing pour les producteurs de cigarettes et dérivés du tabac.

En effet, comment imaginer que les objectifs du protocole puissent être atteints, en confiant la traçabilité aux cigarettiers, quand on sait que 95 % des cigarettes que l’on retrouve sur le marché parallèle sont des vraies cigarettes, fabriquées dans les usines de grands fabricants, alors que la contrebande, majoritairement venue de Chine, ne pèse pas plus de 5 % du volume total du trafic ?

Il ne faut pas chercher bien loin les raisons de cette omniprésence des cigarettes issues de la production légale sur le marché parallèle : dans un contexte de hausse des taxes, et donc des prix, et de politiques de lutte contre le tabagisme, les fabricants ont tout intérêt à ce qu’une partie de leur production circule à des prix cassés, particulièrement attractifs pour des populations cibles comme les adolescents.

L’OMS a ainsi identifié deux scenarii expliquant ce passage d’une production légale au marché parallèle : soit les cigarettes sont vendues légalement à des distributeurs installés dans des pays à la fiscalité avantageuse sur le tabac avant de se retrouver sous forme de contrebande dans les pays occidentaux ; soit ces cigarettes proviennent de pays de l’Europe de l’Ouest à la fiscalité plus douce en la matière tels que l’Espagne, Andorre ou encore la Belgique et le Luxembourg, où se fournissent légalement les revendeurs illégaux qui écoulent leur marchandise dans des pays tels que la France, l’Irlande ou le Royaume-Uni. Plusieurs fabricants font d’ailleurs l’objet d’enquêtes pour faits de contrebande passive, en direction notamment de la Grande-Bretagne.

Vous l’aurez compris, je resterai très attentif, tout comme l’ensemble de mon groupe de la Gauche démocrate et républicaine, à ce que la lettre et l’esprit de ce protocole de l’OMS soient respectés et ne soient pas sacrifiés sur l’autel des intérêts économiques des grands industriels du tabac. Je peux d’ailleurs d’ores et déjà vous annoncer que je proposerai une réécriture ou une suppression pure et simple de l’article 569 du code général des impôts lors de l’examen du prochain projet de loi de finances. Parallèlement, nous militerons au niveau communautaire pour que l’article 15 de la directive tabac soit modifié afin de le rendre conforme au protocole de l’OMS.

Vous permettrez, madame la ministre, que je profite de cette tribune, où nous évoquons la lutte contre le trafic et le commerce illicite de tabac, pour aborder un sujet parallèle qui gangrène encore plus notre pays, en particulier la Guyane que je représente ici : il s’agit du trafic de produits stupéfiants, notamment de cannabis et de cocaïne. La Guyane bat désormais tous les records et s’est muée depuis quelques années en une véritable plaque tournante de la drogue en provenance de Colombie vers la France et les autres pays de l’Union européenne.

Désormais, l’aéroport international de Cayenne a dépassé toutes les moyennes imaginables. La semaine dernière, ce ne sont pas moins de dix-neuf mules – ces personnes transportant sur elles des produits stupéfiants – qui ont été arrêtées au départ d’un vol vers Paris. Elles dissimulaient plusieurs kilogrammes de cocaïne. Les arrestations se font de plus en plus nombreuses et de plus en plus spectaculaires. Il ne se passe pas plusieurs mois sans que la douane ou la police des frontières n’annoncent une nouvelle prise record. Pourtant, le trafic ne ralentit pas. De fait, pour une mule arrêtée, combien passent à travers les mailles du filet ? Beaucoup, certainement : ce commerce ne connaît pas la crise auprès d’une jeunesse majoritairement venue de l’ouest guyanais et complètement désoeuvrée.

Ce trafic n’est bien sûr pas sans externalités extrêmement négatives pour la société guyanaise : une violence record, avec un taux d’homicide quatre fois plus élevé que dans les Bouches-du-Rhône, mais également une disponibilité sur le marché parallèle local de produits stupéfiants à moindre coût qui font des ravages toujours plus grands au sein d’une jeunesse oubliée, qui doit faire face à un taux de chômage de plus en plus élevé – il atteint près de 50 % chez les moins de 25 ans.

Je n’ai pas cessé de tirer la sonnette d’alarme, par le biais de questions orales ou écrites et par des courriers adressés aux ministres – le dernier en date militant en faveur de l’installation d’un scanner corporel à l’aéroport Félix Éboué. Pourtant, rien ne semble attirer durablement l’attention du Gouvernement sur ce problème qui ressemble de plus en plus à une véritable cocotte-minute prête à nous exploser à la figure à chaque instant.

Aussi, il me reste à espérer que le commerce illicite des produits stupéfiants et la lutte contre les réseaux de transit entre l’Amérique du Sud et l’Union européenne en passant par la Guyane sauront trouver le même écho que le trafic du tabac, auquel on est enfin en passe de trouver les réponses que nous attendions depuis bien des années. Le groupe GDR est, je le répète, favorable à la ratification de ce protocole. Je vous remercie de votre écoute, en espérant que vous n’oublierez pas le problème de la Guyane afin que nous puissions trouver rapidement des solutions efficaces.

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Le protocole de l’OMS pour éliminer le commerce illicite du tabac qui nous est présenté aujourd’hui est essentiel à notre politique de lutte contre le tabagisme. Ce protocole va nous donner les outils juridiques nous permettant de lutter encore plus efficacement contre le commerce parallèle de tabac.

Ce commerce parallèle est un véritable fléau. Il joue sur le prix du paquet alors même que nous savons, et l’OMS le dit aussi, que le prix est la meilleure arme contre le tabagisme. Un tiers des adolescents qui fument deviennent des adultes fumeurs réguliers. Or, le prix est un élément dissuasif chez les adolescents, beaucoup plus que chez les adultes. C’est en jouant en particulier sur le prix que l’on peut éviter que des jeunes ne se retrouvent sous l’emprise du tabac.

En ce sens-là, nous le voyons bien, le commerce parallèle du tabac sape notre politique de santé publique. Qui plus est, il ronge nos recettes fiscales et rogne le chiffre d’affaires des buralistes, qui maillent notre territoire d’autant de lieux de proximité.

Quelques chiffres pour montrer l’ampleur et la nocivité de ce phénomène. D’abord, l’Organisation mondiale de la santé estime que 12 % des 6 000 milliards de cigarettes commercialisées chaque année dans le monde font l’objet d’un commerce illicite. En France, ce sont plus de 20 % des cigarettes consommées qui sont achetées hors du réseau officiel des buralistes. Cela représente un manque à gagner fiscal de plus de 2,5 milliards d’euros chaque année, soit une somme supérieure à la baisse d’impôt que nous allons adopter en loi de finances ! Ce n’est pas rien. Imaginons nos marges de manoeuvre, notamment en matière de santé publique, si ces sommes entraient dans les caisses de l’État ! Et le manque à gagner pour les buralistes serait d’environ 250 millions d’euros par an.

Mais ce qu’il faut savoir également, c’est que plus de 90 % de ce commerce parallèle est composé de vraies cigarettes, fabriquées et commercialisées par les fabricants de tabac eux-mêmes. Ce sont eux les premiers bénéficiaires de ce trafic et de ce commerce parallèle ! Et ce sont eux parfois qui l’organisent et l’alimentent.

Ils le font de deux manières : soit ils vendent leurs cigarettes à des intermédiaires installés notamment dans des pays de l’Europe de l’Est, où les taxes sont quasiment inexistantes, et elles sont ensuite acheminées dans nos pays à forte fiscalité ; soit ils sur-approvisionnent les pays de l’Europe de l’Ouest à fiscalité douce, dans lesquels des vendeurs viennent constituer leur stock. Il faut savoir que quand les buralistes ont manifesté en septembre dernier, ils ont été soutenus et encouragés par les fabricants de tabac, ceux-là mêmes qui organisent ce commerce parallèle ! Quand on connaît les marges des cigarettiers, on ne peut que constater qu’ils poussent le cynisme jusqu’au bout.

Mes chers collègues, le tabac dans notre pays, c’est 78 000 morts chaque année. Quant au coût social estimé, j’allais parler de 47 milliards d’euros, mais vous l’avez évalué, madame la ministre, à 120 milliards… En tout cas, c’est énorme pour notre pays, et nous ne savons peut-être même pas vraiment comment l’évaluer. Les taxes et la TVA sur les ventes de tabac rapportent, elles, 14 milliards d’euros. Nous soutiendrons toutes les dispositions qui pourront nous être présentées pour réduire la consommation de tabac. Les chiffres que je viens de citer parlent d’eux-mêmes ! C’est la raison pour laquelle le groupe SRC soutiendra toutes les mesures proposées par le Gouvernement, notamment dans le cadre du projet de loi santé que vous défendez, madame la ministre, ainsi que du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale qui vont arriver.

Mais, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, la majorité parlementaire est très sensible à la situation des buralistes dont beaucoup, situés près des zones frontalières, dans les quartiers et les zones rurales, éprouvent des difficultés. J’ai ainsi demandé dès le mois d’avril 2015 à Frédéric Barbier, député du Doubs, de réfléchir aux mesures qu’il conviendrait de prendre pour garantir la pérennité des buralistes sans engager de dépenses nouvelles pour l’État. Il ne doit rendre son rapport que dans quelques semaines, mais il apparaît déjà que plusieurs mesures s’imposent : celles qui relèvent de la lutte contre le commerce parallèle, dont nous débattons aujourd’hui ; celles qui pourraient conduire à une amélioration de la rémunération des buralistes les plus fragiles par une meilleure répartition des recettes du tabac entre fabricants et buralistes ; enfin, celles qui plaident pour une harmonisation par le haut et au niveau de l’Europe de la fiscalité sur le tabac telle que proposée par la résolution européenne que nous avons adoptée en juin dernier.

Je ne détaillerai pas ici les dispositions contenues dans le protocole de l’OMS, tous ceux présents ici les connaissent. Je n’en citerai que quelques-unes : les actions sur la délivrance de licences pour l’importation, l’exportation et la fabrication de produits du tabac ; la mise en place de systèmes de suivi et de traçabilité ; les sanctions contre les responsables du commerce illicite. Ce protocole érige également en délit la production illicite et la contrebande transfrontalière.

C’est la raison pour laquelle le groupe SRC soutient ce projet de loi qui doit permettre à la France d’être le premier pays de l’Union européenne à mettre en place la traçabilité indépendante des produits du tabac. Il faut en avoir la volonté, madame la ministre, et le groupe majoritaire entend y contribuer à travers un dialogue avec le Gouvernement : nous souhaitons que cette traçabilité indépendante soit mise en oeuvre au 1er juillet 2016 car ce système permettra d’empêcher la circulation de cigarettes à bas prix, de récupérer, nous sommes en droit de l’espérer, des recettes fiscales supplémentaires, soit tout ou partie des 3 milliards d’euros annuels de manque à gagner fiscal, et surtout de stopper cette concurrence déloyale dont souffrent les buralistes. Je souhaite vraiment que ces objectifs soient partagés sur tous les bancs de notre hémicycle. Le groupe SRC tient à ce que ce protocole entre en vigueur après sa ratification le plus rapidement possible, parce que nous pensons qu’il en va de la qualité de notre politique de santé publique et de son efficacité.

Il est un dernier point sur lequel je souhaite attirer votre attention, même si vous nous avez déjà rassurés. Méfions-nous toujours des bonnes intentions qui se perdent dans les méandres du droit et qui créent de faux espoirs. Ainsi, ce protocole de l’OMS, la directive tabac et l’article 569 du code général des impôts évoquent tous les trois la traçabilité des produits du tabac. Pourtant, ils n’en parlent pas de la même manière et cela peut permettre au final, si nous n’y prenons garde, que le contrôle de la traçabilité de la production de cigarettes soit confié…aux fabricants eux-mêmes. Une telle perspective serait pour nous inadmissible. Il faut des instances et une traçabilité totalement indépendantes. Et se tourner vers l’Europe ne suffit pas : il faut vraiment que toutes les preuves d’indépendance soient réunies pour que la traçabilité puisse être mise en oeuvre. Dès que nous aurons ratifié le protocole, le lancement d’un appel d’offres, au moins pour notre pays, devrait nous rassurer sur cette question.

Il apparaît, madame la ministre, que la ratification de ce protocole par la France devra nécessairement, comme l’a dit mon ami et collègue Gabriel Serville, entraîner la modification de l’article 569 du code général des impôts, ce que nous proposerons, nous aussi, dès les prochaines discussions budgétaires.

Je cite pour conclure le docteur Chan, directeur général de l’OMS : « Le protocole est un instrument juridique unique au monde pour combattre et, à terme, éliminer une activité criminelle très perfectionnée. Pleinement appliqué, il renflouera les caisses de l’État et permettra de dépenser davantage pour la santé. »

La lutte contre le tabagisme demande une mobilisation de tous, une politique de santé publique sériée, offensive et résolue. Nous savons que vous vous y attachez, madame la ministre, au prix d’ailleurs de devoir bousculer un certain nombre de choses dans l’action quotidienne que vous menez. C’est pourquoi le groupe SRC vous apportera sur ce texte comme sur les autres son entier soutien.

Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

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Le tabac n’est pas un produit comme un autre : sa consommation constitue une des premières causes de mortalité en France avec, comme nous l’avons entendu, 78 000 décès par an, soit 200 morts par jour. La dangerosité du tabac est avérée socialement et sanitairement, mais il faut aussi rappeler qu’il joue un rôle économique certain. Je sais ce qu’il représentait pour l’emploi à la SEITA de Strasbourg – elle a fermé en 2009. Je sais ce qu’il représente pour la filière tabacole et, comme nous tous, j’ai conscience de ce qu’il représente pour les recettes fiscales de l’État. Malheureusement, je sais aussi que trop de jeunes collégiens fument avant de rejoindre leurs établissements scolaires et aussi que de nombreux buralistes ont été contraints de fermer, notamment dans la ruralité ou en zone frontalière, pour chute du chiffre d’affaires ou à défaut de repreneur. Les contrats d’avenir ont atténué les problèmes mais n’ont pas été des solutions définitives.

Le Sénat vient de supprimer, pour ma part avec raison, le paquet de cigarettes neutre, contre l’avis du Gouvernement. Madame la ministre, je ne comprends pas votre obstination sur ce point car les cigarettiers et les fumeurs auront vite trouvé la parade !

La baisse du tabagisme, en particulier chez les jeunes, est un enjeu de santé public majeur, il y a un consensus très large sur ce sujet. C’est d’ailleurs une majorité de droite qui redonné de la vigueur aux politiques de lutte contre le tabagisme, avec notamment le Plan cancer en 2003 et le décret interdisant de fumer dans les lieux publics – j’ai une pensée ici pour mon ancien collègue Yves Bur qui y a grandement contribué. En outre, la politique de hausses régulières du prix du paquet de cigarettes, un des moyens les plus efficaces pour dissuader nos concitoyens de fumer, a été initiée par le président Chirac et jamais interrompue depuis.

Député d’une circonscription frontalière avec l’Allemagne, je ne peux que me réjouir de la ratification de ce protocole visant à combattre le commerce illicite des produits du tabac, parfois plus lucratif et moins risqué que le trafic de stupéfiants. Nous sommes unanimes à partager l’objectif de lutte contre le tabagisme, mais les politiques mises en place ont souvent pour conséquence de fragiliser les buralistes en induisant un accroissement des transits illicites, notamment avec les pays limitrophes. Ainsi, en Alsace, chaque nouvelle augmentation du prix du paquet entraîne une baisse du chiffre d’affaires des buralistes. En cause, les achats réalisés directement en Allemagne, parfois de manière organisée, alors que ce pays est, lui aussi, signataire de ce protocole. En cause également toutes les autres formes de contournement du marché français.

Dans le cadre de ce débat, je crois aussi essentiel de rappeler que la lutte contre le commerce illicite des produits du tabac passe par une meilleure harmonisation au niveau européen. En effet, au-delà des réseaux internationaux, la première source d’évasion fiscale reste liée aux flux de voisinage. Les différences de taxation mais aussi le nombre de cigarettes par paquet et leur présentation sont des facteurs d’approvisionnement à l’étranger. Seule une harmonisation européenne peut mettre fin au trafic illicite et à ces multiples trafics pseudo-légaux. Vous avez eu raison, madame la ministre, de le souligner, comme d’autres collègues d’ailleurs.

Si nous avons parfois la fâcheuse habitude de voter ici la ratification de traités internationaux sans y prêter une grande attention, le texte qui nous est proposé aujourd’hui est extrêmement important et concerne la vie quotidienne de dizaines de millions de Français : outre les 26 000 buralistes, qui subissent de plein fouet l’impact du commerce parallèle de tabac, ce qui se traduit pour eux par un manque à gagner annuel de 250 millions d’euros, il y a les 10 millions de clients quotidiens, les 15 millions de fumeurs qui se demandent parfois si leur cigarette est contrefaite ou non, les familles qui craignent que leurs enfants tombent dans le tabagisme grâce aux cigarettes à bas prix qui circulent et, enfin, les contribuables français qui doivent financer – y compris les non-fumeurs, c’est un comble ! – le manque à gagner fiscal lié au trafic de tabac, estimé, on l’a dit, à 3 milliards d’euros par an.

Le protocole de l’OMS pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac vise à répondre à ces problèmes, à répondre à ce défi, et c’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains demande non seulement sa ratification la plus rapide mais également sa mise en oeuvre immédiate. Nous n’avons en effet que trop attendu.

La politique de lutte contre le tabagisme emprunte deux vecteurs principaux : la prévention par l’information et un niveau de prix élevé du fait d’une taxation lourde. S’agissant de prévention, je pense qu’on peut faire nettement mieux, notamment à destination des jeunes. L’Organisation mondiale de la santé considère que 12 % des 6 000 milliards de cigarettes commercialisées chaque année dans le monde font l’objet d’un commerce parallèle. C’est quatorze fois le marché légal français ! En France, en raison des prix plus élevés, le taux de cigarettes achetées hors du réseau des buralistes atteint les 25 %. On ne peut plus continuer ainsi. Il faut à ce stade insister sur un point dont on ne parle jamais : la contrefaçon de cigarettes étant extrêmement faible dans les vingt-huit États membres de l’Union européenne, y compris donc en France, on peut affirmer que l’immense majorité de ce commerce parallèle est constituée de cigarettes produites et commercialisées par les fabricants de tabac eux-mêmes.

La France est partie à la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac entrée en vigueur le 27 février 2005. Cette convention prévoit des protocoles d’application : le premier d’entre eux est le protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac, adopté le 12 novembre 2012 par la conférence des parties à Séoul. La France l’a signé le 10 janvier 2013, et reconnaissez au regard des enjeux que je viens de décrire, madame la ministre, qu’il est temps de le ratifier et de le mettre en oeuvre. L’Union européenne l’a signé le 20 décembre 2013 et a annoncé son souhait de le ratifier le 4 mai dernier, malheureusement sans concrétisation à ce jour.

Ce protocole vise à éliminer toute forme de commerce illicite des produits du tabac en exigeant des parties qu’elles prennent des mesures pour contrôler efficacement la chaîne logistique des produits du tabac et qu’elles coopèrent au niveau international dans plusieurs domaines. Il impose des obligations ambitieuses aux États en ce qui concerne les licences, la vérification diligente, le suivi et la traçabilité, la tenue des registres, les mesures de sécurité et les mesures préventives, les ventes sur internet, par télécommunication ou au moyen de toute autre technologie nouvelle, les zones franches et le transit

international ainsi que les ventes en franchise de droits. Il prévoit des sanctions plus lourdes pour les contrevenants et invite à une coopération internationale renforcée.

Concrètement, il s’agit d’imposer une traçabilité indépendante des produits du tabac qui soit, comme le précise le 12. de l’article 8 du protocole, totalement indépendante des fabricants de tabac. Une fois ratifié, il deviendra supérieur aux droits internes. Je souligne en particulier que le protocole aura une valeur supérieure à la directive européenne du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et à l’article 569 de notre code général des impôts.

Le protocole, la directive tabac et l’article 569 du code général des impôts traitent tous de la traçabilité des produits du tabac. Pourtant, ils comportent des différences.

L’article 8 du protocole stipule que chaque partie instaure « un système de suivi et de traçabilité contrôlé par elle » et que « les obligations auxquelles une partie est tenue ne sont pas remplies par l’industrie du tabac et ne lui sont pas déléguées ». L’article 15 de la directive tabac, en revanche, définit la traçabilité mais se borne à imposer que les fabricants et importateurs « concluent un contrat de stockage de données avec un tiers indépendant ». Nous connaissons le lobbying exercé par les cigarettiers à Bruxelles sur ce point.

Il en résulte que, à l’exception du stockage des données, la directive permet que l’industrie du tabac soit en charge de la traçabilité de ses produits, ce que le protocole interdit formellement. Une interdiction qui relève d’ailleurs du bon sens : comment peut-on être à la fois juge et partie ?

Contrairement à ce qu’indique le communiqué de presse du Gouvernement après l’adoption par le conseil des ministres du projet de loi autorisant la présente ratification, l’article 15 de la directive et l’article 569 du code général des impôts ne sont pas compatibles avec le protocole de l’Organisation mondiale de la santé. Comme l’ont évoqué M. Serville et M. le président Le Roux avant moi, la ratification de ce protocole par la France entraînera nécessairement l’obligation de modifier l’article 569 du code général des impôts. Je le proposerai moi aussi dans le projet de loi de finances.

L’article 216 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne fait en outre prévaloir les accords internationaux conclus par l’Union européenne sur tous les actes de droit communautaire. Les principes généraux du droit international public imposent ainsi à la France de faire prévaloir un traité général sur un accord géographique limité tel qu’un acte dérivé communautaire.

Ainsi, le groupe Les Républicains votera en faveur de la ratification de ce protocole et de sa mise en oeuvre dans les meilleurs délais.

Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Première cause de mortalité évitable en France, le tabac, responsable du décès de 73 000 personnes par an, soit 200 morts par jour, est un véritable fléau. Ce sujet ne souffre aucune controverse entre nous.

C’est un fléau qui, avec 700 000 décès par an au sein de l’Union européenne, et 6 millions de victimes dans le monde, s’étend bien au-delà de nos frontières. C’est aussi un drame sanitaire qui coûterait, selon la Cour des comptes, au moins 47 milliard d’euros par an à la solidarité nationale.

Ces chiffres révèlent l’insuffisance des politiques publiques nationales, européennes et internationales menées jusqu’à présent, aussi indispensables soient-elles. L’efficacité des politiques de lutte antitabac est en outre freinée par le commerce illicite des produits du tabac, qui accroît l’accessibilité et le caractère abordable des produits du tabac et nuit de ce fait à la santé publique.

Loin de disparaître, le marché parallèle des produits du tabac est en constante progression. Ce marché prospère en Europe de façon inquiétante. L’Union est confrontée à un afflux croissant de produits illicites d’autres marques en provenance de l’extérieur, ainsi qu’à une production et une distribution illicites accrues à l’intérieur de son territoire. Ainsi, selon le rapport de KPMG de 2014, la consommation de cigarettes illicites représente 10,4 % de la consommation en 2014, contre 8,4 % en 2007 – et ces chiffres sont vraisemblablement en-dessous de la réalité.

La France n’est pas épargnée. Elle est en effet le pays de l’Union européenne dans lequel la consommation de cigarettes vendues illégalement est la plus importante. Celle-ci a atteint le niveau record de 26,3 % de la consommation totale en 2014. Ainsi, plus d’une cigarette sur quatre fumées est désormais achetée en dehors du réseau des buralistes.

Nous savons combien l’impact financier du commerce illicite sur nos budgets est grave. Ces trafics font perdre à l’administration fiscale un montant significatif de taxes et droits d’accises. La mise en oeuvre du protocole qu’il nous est proposé de ratifier pourrait donc avoir des conséquences fiscales positives.

Nous savons aussi que la criminalité organisée joue un rôle important dans ce commerce, ses aspects lucratifs et peu risqués le rendant particulièrement attrayant aux yeux des organisations criminelles. Ces données révèlent que la lutte contre ce trafic est indissociable des politiques sanitaires de réduction du tabagisme. Elles démontrent la nécessité de renforcer notre arsenal législatif mais également d’harmoniser nos différentes législations.

En effet, le commerce illicite des produits du tabac n’est pas une spécificité européenne mais bien un problème mondial. De ce fait, une approche globale, au niveau international, s’impose. Les différences notables de prix, la complexité des règles applicables dans les différents pays – Frédéric Reiss le rappelait à l’instant – créent un environnement favorable à la fraude et à la contrebande. Elles sont autant de facteurs d’incitations à la pratique d’activités illégales.

Devant ces constats, nous ne pouvons que soutenir toute initiative internationale visant à lutter contre le commerce illicite, en l’espèce le protocole adopté il y a trois ans par la cinquième conférence des parties à la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac.

Ce protocole a plusieurs objectifs : accroître les contrôles de la chaîne logistique, renforcer les sanctions pénales pour le trafic de produits du tabac, mais également développer l’échange d’informations et la coopération internationale entre les services de répression de fraudes ainsi que les services judiciaires. Concrètement, ce texte impose notamment des obligations aux parties en matière de marquage et de traçabilité des produits liés au tabac. Une telle disposition devrait permettre à terme d’instaurer un régime mondial de suivi et de traçabilité favorisant l’échange d’informations, qui seront alors accessibles à toutes les parties.

L’encadrement du secteur du tabac constitue un autre point important de ce protocole. Il est indispensable. Toute activité économique en lien avec le commerce des produits du tabac devra être déclarée et autorisée par les autorités désignées par les parties au protocole. Ainsi, chaque partie devra prendre des mesures appropriées pour prévenir les pratiques irrégulières ou frauduleuses dans le fonctionnement du système de licences, les déceler et enquêter à leur sujet.

S’agissant de l’articulation de ce traité avec notre droit interne, l’étude d’impact indique que la plupart des dispositions du protocole, en particulier celles relatives à la coopération judiciaire, sont déjà en vigueur dans le droit français. L’étude précise que la conformité avec le droit communautaire des dispositifs de traçabilité et de marquage unique devrait être assurée au moyen d’un décret d’application instituant une obligation en la matière pour les produits du tabac. En revanche, nous ignorons quelles seront réellement les conséquences de ce protocole sur notre législation nationale. Pourrions-nous en savoir davantage sur les dispositions qui sont déjà appliquées en droit français et sur celles qui nécessiteront qu’il soit modifié ?

Enfin, au-delà du consensus qui nous rassemble sur la nécessaire lutte contre le commerce illicite, je souhaiterais évoquer la coordination indispensable de notre droit avec les politiques menées au niveau européen et international, et aussi, pourquoi pas, l’harmonisation fiscale dans ce domaine. En matière de lutte contre le tabac et contre le commerce illicite, les niveaux européens et internationaux sont incontestablement les niveaux de décision les plus pertinents.

Si les mesures proposées vont dans le bon sens, elles ne sont pas suffisantes pour lutter contre les effets des écarts dans les prix du tabac entre pays voisins, écarts qui ne cessent de se creuser. Sans contester la nécessité d’augmenter les tarifs des cigarettes, il apparaît que plus les tarifs augmentent, plus la contrebande se développe et plus les consommateurs recherchent du tabac loin de nos frontières.

Dans ma ville de Bar-le-Duc, à une centaine de kilomètres de la frontière belge et luxembourgeoise, les buralistes se plaignent toujours plus de la fuite des clients. Certes, des contrôles existent, mais ils ne font pas tout – d’autant que nous avons de moins en moins de moyens de contrôler. Il ne servirait à rien de renforcer la législation en matière de contrôle, on n’en a pas les moyens ! Le vrai problème reste celui de l’harmonisation sur le plan européen.

Les buralistes sont légitimement furieux. Conduits à s’endetter lourdement, exerçant un métier très difficile, ils voient la valeur de leur fonds de commerce s’écrouler. Sans contester les mesures mises en place par les gouvernements successifs, ils trouvent la méthode employée complètement folle. On veut les faire disparaître ? Chiche, mais alors en les indemnisant ! Et il faut arrêter de modifier la législation si vite que c’en est parfois grotesque. Il en va ainsi de l’instauration du paquet neutre, dans le cadre du programme national de réduction du tabagisme – Frédéric Reiss en a parlé : une mesure qui entraîne encore des investissements supplémentaires et qui n’était pas prévue. Les règles du jeu changent en permanence. En proposant cette mesure, le Gouvernement est allé au-delà des dispositions de la directive européenne.

On le voit, cette proposition de ratification du protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac va dans le bon sens, mais la France ne peut pas avancer seule en matière de lutte contre le tabac. Elle doit au contraire promouvoir cette démarche auprès de ses partenaires européens. Certains passent leur temps à taper sur l’Europe, mais ce dont nous avons besoin, c’est de renforcer les règles au niveau européen, sans quoi toutes les belles législations nationales ne sont guère que des rêves vite balayés par la réalité.

Mes chers collègues, la lutte contre le commerce illicite est indispensable et indissociable des politiques sanitaires de réduction du tabagisme. Parce que le tabagisme est un fléau contre lequel nous devons tous lutter, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants soutiendra bien évidemment le projet de loi autorisant la ratification du protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac. Il souhaiterait cependant que le débat soit posé comme il le devrait, dans un cadre harmonisé sur le plan européen.

Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.

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Le protocole qu’il nous est proposé de ratifier est un texte majeur. En plus du projet national, il doit s’inscrire dans un projet européen, visant à la sortie du tabac. Cet enjeu est de même importance que celui de la sortie du nucléaire. Or à ce jour, malgré les catastrophes effrayantes que nous avons connues dans ce domaine, le tabac a tué bien davantage que l’atome.

Les chiffres de l’étude publiée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies ces derniers jours confirment l’importance du drame pour notre pays : ils font état de 79 000 morts annuels, dont 50 000 dus au cancer, et de 680 000 malades d’infections cardiaques ou respiratoires, ce qui correspond à un coût pour notre pays de 120 milliards d’euros, dont 25 milliards pour le volet sanitaire. Ces chiffres nous imposent d’assumer notre objectif de préparer la sortie du tabac. Le commerce illicite est un fléau majeur, qui sert d’arme de dissuasion à ceux qui veulent contrer cet objectif et son outil de très loin le plus efficace, l’augmentation des prix.

Ce protocole est un texte complet et très structuré, dont l’outil principal est la mise en place d’une traçabilité des produits du tabac depuis le lieu de fabrication jusqu’au point de vente indépendamment de ceux qui en font le commerce – ce qui condamne le dispositif « Codentify » actuellement en vigueur. Je ne détaillerai pas les autres points du protocole, cela a déjà été fait de manière très précise.

Le texte répond à quatre types d’enjeux : des enjeux fiscaux, car le commerce illicite constitue un manque à gagner fiscal, estimé pour la France à 3 milliards d’euros, alors que l’on sait que les recettes de l’État – 14 milliards – sont très inférieures aux dépenses que ce même État supporte du fait du tabac ; des enjeux pour les buralistes, car le commerce illicite nuit à leur activité, alors même que nous devons les accompagner dans la préparation de la sortie du tabac ; des enjeux de santé publique, car ce commerce favorise la consommation en réduisant les effets des politiques fiscales et en banalisant et vulgarisant la démarche d’achat ; des enjeux de réglementation commerciale, laquelle nous impose de contrôler les activités des fabricants de tabac. Or ceux-ci ont été à plusieurs reprises impliqués directement ou indirectement dans l’organisation et la fourniture des trafics. Aujourd’hui encore, nous le savons, les cigarettiers sur-approvisionnent certaines régions. Andorre, par exemple, reçoit 873 tonnes de tabac pour 24 000 fumeurs, au lieu de 125 tonnes, soit six fois moins.

Le texte qui nous est proposé aujourd’hui met à notre disposition des outils stratégiques qui nous permettront d’agir, à condition de les utiliser et de veiller à ce que l’ensemble des dispositions prévues soient rigoureusement appliquées. Eu égard aux enjeux, il paraît urgent de prendre rapidement les mesures claires et précises nécessaires à la mise en place de ce dispositif stratégique.

Aujourd’hui, en Europe, la France rejoint l’Espagne et l’Autriche, qui ont déjà ratifié le texte. Quinze autres pays l’ont signé. Notre exigence aujourd’hui doit être d’accélérer la démarche des autres, et d’agir de toutes nos forces pour qu’une harmonisation fiscale européenne vienne compléter ce protocole de lutte contre le commerce illicite.

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Selon les règles européennes, cela est légalement possible.

Nous serons demain – mais nous le sommes déjà aujourd’hui – tous comptables du temps que nous aurons mis à y parvenir. Nous vendons le tabac au nom de l’État ; nous légiférons au nom des citoyens. Ne prenons pas le risque que l’on nous dise demain : vous saviez, et vous n’avez rien fait.

Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

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La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Quelques mots rapides pour remercier l’ensemble des intervenants de leur soutien à ce texte. Je commencerai en reprenant les mots par lesquels Mme Delaunay a conclu, et qui devraient nous rassembler : envers les générations futures, nous ne pouvons pas assumer la responsabilité de l’immobilisme ou de l’inaction car nous endosserions alors une faute non seulement morale, mais aussi sanitaire.

Nous devons nous donner les moyens de lutter efficacement contre les trafics. Je ne reviendrai pas sur les différents enjeux qui ont été évoqués au cours de la discussion, et ne reprendrai donc pas l’ensemble des volets – sanitaire, réglementaire, législatif – qui doivent composer une stratégie de lutte résolue contre le tabagisme. En revanche, plusieurs interpellations m’ayant été adressées sur ce qui nous concerne plus particulièrement aujourd’hui, à savoir la manière de mettre en oeuvre le protocole, je veux y répondre.

Mme Hobert et M. Le Roux ont insisté sur le caractère véritablement indépendant des « tiers indépendants ». En effet, il faut appeler un chat un chat : force est de constater que beaucoup de cigarettes circulant sur les marchés illégaux y sont placées par les fabricants de tabac eux-mêmes, qui se donnent ainsi les moyens de vendre à la fois par les voies légales et par les voies illégales. Ce sont des pratiques que nous ne pouvons pas tolérer. Cela suppose que ceux qui, aux termes du texte que nous examinons, vont contrôler la traçabilité des produits soient indépendants. C’est la raison pour laquelle, à l’occasion de l’examen en première lecture par l’Assemblée du projet de loi de modernisation de notre système de santé, un amendement a été adopté qui vise à préciser le caractère des tiers indépendants, qui devront l’être en particulier par rapport à ceux qui produisent le tabac. Cette disposition a été adoptée conforme par le Sénat, ce qui veut dire qu’elle est acquise.

Des interrogations sont apparues sur la signification précise de la notion de tiers indépendant, et j’ai pris bonne note de certaines interprétations qui pourraient être faites. M. Serville, M. Pancher et M. Reiss se sont demandé ce qu’il en serait de l’articulation entre la directive européenne et le protocole de l’OMS. Il est vrai que les définitions ne sont pas exactement les mêmes dans ces deux documents, mais elles sont parfaitement conciliables. Le protocole de l’Organisation mondiale de la santé demande aux parties de mettre en place des systèmes de suivi et de traçabilité placés sous leur contrôle, c’est-à-dire indépendants des industriels. La directive sur les produits du tabac, elle, impose de recourir à des tiers indépendants pour le stockage des données ; elle ne l’exige pas pour ce qui est de l’enregistrement, mais elle ne l’interdit pas pour autant. Il n’existe donc pas d’incompatibilité entre le protocole et la directive, et c’est à nous, État français, de nous engager résolument dans cette voie, en profitant des possibilités qui nous sont offertes.

Monsieur Le Roux, vous avez souhaité que la France puisse, sinon précéder le mouvement, tout au moins le suivre d’emblée – dès lors, bien évidemment, que le présent texte aura été adopté. Un volet du texte est laissé à l’appréciation des États signataires. Dès lors que le texte aura été voté, nous pourrons donc mettre en oeuvre les dispositions correspondantes le plus vite possible. Toutefois, une partie de la transposition appelant à une coopération entre les États signataires, nous serons sur ce point obligés d’attendre la ratification du protocole par les pays concernés.

Monsieur Reiss, vous avez insisté sur la nécessité d’agir au plan européen ; quant à vous, monsieur Pancher, vous avez affirmé qu’il était de la responsabilité de l’action publique de convaincre les autres États européens. Je veux vous assurer que nous sommes très actifs dans ces domaines – sur tous les sujets, d’ailleurs.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

La France s’est engagée à l’échelle internationale et européenne à être l’un des pays moteurs en matière de lutte contre le tabagisme. Nous ne ménageons pas nos efforts pour convaincre les autres États membres de l’Union européenne de ratifier le protocole, et la Commission de procéder à une réévaluation des prix. Je l’ai dit tout à l’heure, la stratégie des prix suppose une plus grande coordination et une meilleure coopération – la France étant l’un des pays d’Europe continentale où le prix du tabac est le plus élevé. Je veux donc vous assurer de l’engagement de notre pays et des pouvoirs publics en faveur d’une harmonisation européenne.

Je terminerai en vous remerciant, chacune et chacun, pour les propos que vous avez tenus et pour votre engagement. Il y va de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures – et aussi des générations actuelles.

Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J’appelle maintenant l’article unique du projet de loi.

L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Prochaine séance, lundi 28 septembre, à 16 heures :

Discussion du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.

La séance est levée.

La séance est levée à seize heures vingt-cinq.

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly