Commission des affaires étrangères

Réunion du 7 octobre 2015 à 9h45

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition de M. Jean-Christophe Belliard, directeur d'Afrique et de l'océan Indien au ministère des Affaires étrangères et du Développement international pour un point de situation sur le Burkina Faso et un point sur les liens entre la situation de certains pays africains et les flux migratoires.

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq

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Nous recevons M. Jean-Christophe Belliard, directeur d'Afrique et de l'Océan Indien au ministère des Affaires étrangères et du Développement international, que la Commission souhaite entendre dans un premier temps sur la situation préoccupante du Burkina Faso. La transition fragile enclenchée en octobre 2014 s'est interrompue lors du coup d'État du 17 au 22 septembre derniers. La France a d'emblée apporté son soutien au président Kafando en exigeant non seulement son rétablissement et en l'hébergeant dans la résidence de l'Ambassadeur lorsqu'il nous a semblé que sa sécurité était compromise. Ce soutien sans faille à la poursuite du processus de transition s'est avéré payant, et notre Commission s'en félicite. Plusieurs questions restent néanmoins en suspens : la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest, la CEDEAO, a-t-elle joué le rôle que l'on peut attendre d'elle ? Quelles seront les suites judiciaires données à cette tentative de coup d'État ? La transition vous paraît-elle remise en cause et le calendrier électoral sera-t-il respecté ? Qu'en est-il de la candidature aux élections législatives et présidentielle de membres de l'ancienne majorité ?

La Commission souhaite également entendre M. Belliard sur la question des migrations, qui proviennent notamment de trois pays africains : l'Érythrée et la Somalie – il s'agit surtout de demandes d'asile – et le Nigéria. Le cas érythréen intéresse particulièrement notre Commission : ce pays de plus de six millions d'habitants est à l'origine de l'un des plus importants flux de migrants vers l'Europe, poussés au départ par le comportement de leur État. Le service militaire s'y apparente à un système universel de travail forcé, et le soutien de l'Érythrée à certains groupes armés présents en Somalie est préoccupant.

En Somalie, la mission des Nations Unies, l'AMISOM, a lancé une offensive contre les chabab en juillet et semble avoir remporté quelques succès. Toutefois, les progrès sont lents – c'est peu de le dire – et la situation de ce pays demeure chaotique. Depuis le pic qu'elles ont connu en 2011, les activités de piraterie ont diminué mais n'ont pas cessé et semblent même s'être diversifiées. Le trafic d'armes et d'être humains perdure, et les sociétés privées de sécurité poursuivent leurs activités illicites. Quels progrès peut-on espérer dans ce pays ?

Au Nigéria, enfin, le président Buhari, dont l'élection a suscité un certain espoir, a cherché dans le discours qu'il a prononcé devant l'Assemblée générale des Nations Unies à mobiliser davantage la communauté internationale pour l'aider à lutter contre Boko Haram, qui menace non seulement le Nigéria mais aussi ses voisins – le Cameroun, le Niger et le Tchad. Concernant les migrations économiques, M. Cazeneuve, que nous avons reçu le 30 septembre dernier, a insisté sur la nécessité de travailler avec les pays de transit, en particulier le Niger. La ville d'Agadez constitue en effet l'une des principales étapes des flux migratoires en direction de la Libye, puis de l'Europe. Des initiatives sont-elles prises sur ce sujet ? Les propositions françaises de conventions de partenariat avec la Mauritanie et le Niger qui portent sur le contrôle des frontières, la lutte contre la fraude documentaire et l'accompagnement des migrants lors de leur retour ont-elles été favorablement accueillies ?

Peut-être pourrez-vous également nous donner votre point de vue sur ce que peut apporter la prochaine conférence de Malte entre l'Union européenne et l'Union africaine, notamment sur ces questions préoccupantes de mobilité.

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Jean-Christophe Belliard, directeur d'Afrique et de l'Océan indien au ministère des affaires étrangères

Aujourd'hui, le Burkina Faso se trouve quelque part entre 1789 et 1793. Le pire, toutefois, semble passé. La tentative de coup d'État du général Diendéré a échoué, principalement parce que les Burkinabés eux-mêmes, et en particulier l'armée nationale, s'y sont opposés. En effet, le coup d'État est le fait d'un régiment spécial qui constituait autrefois la garde présidentielle de M. Compaoré. Forte du succès obtenu voici un an, la société civile s'est associée au reste de l'armée nationale, en poussant M. Diendéré à jeter l'éponge sans effusion de sang. Le régiment présidentiel est dissout et la situation est redevenue normale, le président Kafando s'étant même rendu à New York pour participer à l'Assemblée générale des Nations Unies – un symbole fort.

La période de transition doit s'achever prochainement. Il reste à fixer la date des élections, qui devaient se tenir dans quelques jours. Sur ce point, la communauté internationale (ONU, CEDEAO, Union africaine) a toujours été unanime. Je tiens à saluer le travail de l'Ambassadeur de France qui a joué, un rôle majeur dans la résolution de cette crise, tout en laissant les institutions africaines sur le devant de la scène.

Plusieurs problèmes persistent, en particulier celui de l'inclusivité des élections, que demande, non seulement la communauté internationale (CEDEAO, Union africaine), mais aussi les partis politiques burkinabés eux-mêmes. De leur point de vue, en effet, les résultats des élections ne seraient pas affectés par la présence de la mouvance de l'ex-président Compaoré, que les récents événements ont grandement décrédibilisée. Mieux vaut donc, de ce fait, ne pas l'exclure du processus électoral. Cependant, la société civile, très en pointe et organisée autour du mouvement du « Balai citoyen », s'y oppose. C'est dans ces conditions que le président Kafando, modéré et sincère, il est l'homme de la situation car, loin de chercher à conserver le pouvoir, il recherche une voie de sortie – doit composer entre la société civile, les partis politiques et la communauté internationale.

Le débat sur l'inclusivité des élections n'est donc pas encore clos, ce qui représente une incertitude, et donc un risque pour le processus électoral. Dans le même temps, des arrestations ont eu lieu, dont celle de l'ancien ministre des affaires étrangères, M. Jibril Bassolé, soupçonné d'avoir trempé dans la tentative de putsch du général Diendéré. On voit donc que les choses ne sont pas encore stabilisées.

J'en viens à la question des migrations. Elle est principalement liée à la situation qui prévaut au Proche-Orient et l'on parle moins de son volet africain. Celui-ci s'explique par la situation de la Libye par laquelle, en l'absence d'État, passent les flux migratoires actuels. Le processus de paix libyen pourrait, prochainement, déboucher sur la constitution d'un gouvernement d'union nationale, qui permettrait à la Libye de faire face, à la fois au terrorisme et aux flux migratoires. En attendant, l'Europe prend la mesure de la réalité des migrations venues d'Afrique. En vue de la conférence de La Vallette, l'Union européenne a entamé un travail préparatoire à la création d'un fonds de 1,8 milliard d'euros, qui permettrat de financer des mesures de soutien au principaux pays d'origine, en particulier les pays sahéliens comme le Niger, afin d'y fixer davantage les populations. Je note qu'alors que Mme Ashton ne s'était jamais rendue en Afrique pendant son mandat, Mme Mogherini, quant à elle, s'y intéresse manifestement. Elle vient d'annoncer une aide budgétaire financière substantielle aux pays du Sahel – en particulier le Niger et le Tchad, dont les dépenses de sécurité ont décuplé depuis deux ans pour faire face aux crises sécuritaires de la région, notamment le Mali, Boko Haram, et la Libye.

Nous encouragerons l'Europe à faire encore davantage. Elle a commencé à le faire avec nos partenaires africains, y compris l'Union africaine : une réflexion est en cours sur différents points de fixation, ou hot spots. Le Niger, par exemple, aura bientôt 50 millions d'habitants alors qu'il est dépourvu de ressources. Faute de perspectives, les habitants du Sahel choisissent l'exil, le plus souvent vers le Sud, notamment la Côte d'Ivoire – dont un tiers de la population n'est pas ivoirienne – et le Nigéria. La France souhaite que l'Europe consacre le plus de fonds possibles à ces pays du Sahel, de façon à ce qu'ils parviennent à retenir leurs populations.

S'agissant de l'Afrique orientale, on parle beaucoup de l'Érythrée, moins du Soudan et de l'Éthiopie. Je me trouvais au Caire lors de l'assassinat d'Éthiopiens, en Libye, par Daech : l'Ambassadeur d'Éthiopie en Égypte m'a alors précisé que la moitié d'entre eux étaient, en fait, érythréens. À leur arrivée en Europe, bon nombre d'Érythréens sont sans doute Soudanais ou Ethiopiens. Il y a évidemment un problème érythréen, mais il concerne aussi le Soudan et l'Éthiopie. L'Érythrée impose à ses jeunes un service militaire illimité, ce qui les pousse à partir. L'Éthiopie, pays de 90 millions d'habitants, ne parvient pas, malgré une croissance de 10 % depuis dix ans, encore à offrir du travail à tous : l'émigration y est donc surtout économique. Le Soudan, enfin, est le théâtre de trois guerres (Darfour, Sud-Kordofan, Nil bleu), ce qui explique que ses habitants cherchent à fuir le pays.

Quant au Nigéria, pays de 200 millions d'habitants, première économie de l'Afrique, qui fait face au problème du terrorisme de Boko Haram, il représente une soupape de sécurité importante pour les pays de la région. Lorsque le problème de Boko haram sera résolu, et le président Buhari s'y emploie, il sera susceptible d'accueillir le trop plein de population de la région. Les populations du Sahel se dirigeront alors vers le Sud, et non vers le Nord.

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Nous nous sommes réjouis de la manière dont il a été mis un terme au putsch qui s'est produit au Burkina Faso : il était en effet inacceptable et inexcusable, mais il était aussi prévisible, compte tenu des dérives de la transition. Explication ne vaut en aucune façon justification, cela va de soi. Toutefois, malgré les efforts déployés pour nous rassurer, notamment en France, la transition n'est pas aisée, loin s'en faut. Il est donc nécessaire que les élections se tiennent rapidement, comme l'ont dit hier le Président de la République et le président du Ghana. Or, le fait que la date n'en soit pas encore fixée est très inquiétant. Certains acteurs de la transition ont en effet intérêt au statu quo ; « pourvu que ça dure ! », se disent-ils comme autrefois la mère de Napoléon.

S'il faut qu'elles soient rapides, les élections doivent aussi être inclusives : ce n'est pas un propos de donneur de leçons, mais un principe universel. Tout citoyen qui n'a pas été condamné par la justice est éligible ; pourtant, certains acteurs de la transition trient les candidats. À ce propos, si le président Kafando exerce sa mission avec sagesse, d'autres autour de lui font systématiquement preuve d'esprit de vengeance – je pense au président du Conseil national de transition, cette assemblée nommée et non élue. Ces personnes, qui ont intérêt au report le plus lointain des élections, freinent la transition. Sans intervenir de manière excessive, nous devons donc être très fermes sur certains principes afin que les élections soient inclusives et rapides.

J'ajoute que M. Djibril Bassolé a rendu de nombreux services, non seulement à la France mais aussi à son pays – je pense à l'affaire des otages et au règlement de la crise malienne. Il serait triste qu'il soit incarcéré ou qu'il subisse un traitement pire encore : j'espère que nous serons actifs le concernant.

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À eux trois, les pays de la corne de l'Afrique – Soudan, Éthiopie et Érythrée – ont 140 millions d'habitants. Autrement dit, leur potentiel migratoire est bien plus explosif que celui de la Syrie. Comment expliquez-vous que l'on commence à peine à prendre la mesure du problème ? La France et l'Europe ont-elles un plan pour s'en préoccuper ?

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La société civile manifeste depuis de nombreuses années son attachement à la démocratie : dès 1983, elle manifestait contre l'arrestation arbitraire de Thomas Sankara, et en 2014 contre Blaise Compaoré. Pensez-vous que cette mobilisation puisse trouver un écho dans la sous-région et sur le continent, où les sociétés civiles s'efforcent de faire progresser la démocratie ? D'autre part, on a beaucoup entendu l'évêque Paul Ouedraogo au cours de la transition : selon vous, l'église a-t-elle joué et doit-elle jouer un rôle dans ce type de crise ?

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Le continent africain est désormais un champ migratoire mondialisé. Les déplacements massifs de populations prennent leur source en Afrique, à l'échelle régionale ou interétatique, comme le montrent les flux migratoires entre le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire, qui sont principalement dus au développement des productions agricoles et industrielles. Ces migrations historiques perdurent, même si les espaces migratoires sont aujourd'hui en pleine recomposition, compte tenu des aléas des conflits, des exigences économiques et des difficultés auxquelles se heurtent les migrants hors du continent. Ceux-ci ajustent sans cesse leurs trajectoires. Que pouvez-vous nous dire de ces nouveaux itinéraires qu'empruntent les populations migrantes en Afrique ?

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Les drames qui se produisent au Proche-Orient ont pour effet d'occulter les exactions, les enlèvements et les assassinats que continue de perpétrer Boko Haram au Sahel. Quelles sont aujourd'hui les activités de ce groupe ?

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Il appartiendrait selon vous à l'Union européenne de se mobiliser mais, monsieur Belliard, nous sommes l'Union européenne ! Qui donc commande à Bruxelles : la Commission et ses vaticinations technocratiques, ou les États ? Ce sont les États. Je rappelle d'autre part que l'Union européenne coûte chaque année 9 milliards d'euros à la France. Si elle rapatriait certaines de ces lignes budgétaires, la France aurait davantage de moyens pour agir par elle-même et montrer qu'elle s'intéresse à l'Afrique – qui n'est qu'à deux heures d'avion de Paris. Enfin, vous semblez minorer les facteurs démographiques, qui sont pourtant au coeur du sujet. Autrefois, lorsque je me trouvais en poste au Nigéria, ce pays comptait 80 millions d'habitants ; ils sont aujourd'hui 200 millions – et encore, bien malin qui saurait les compter. Ils seront 340 millions dans vingt ans ; combien de temps cela durera-t-il ? Quel est donc le taux d'accroissement démographique du Burkina Faso et du Niger ? M. Fabius évoquait un taux de 5 % à 7 % par an : à ce rythme, il est impossible de se développer ! Le ministère des affaires étrangères prévoit-il des programmes de stabilisation de la population ?

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Après la période d'instabilité politique qu'il a traversée, le Burkina Faso fait face à un problème d'accès aux soins. J'ai récemment rencontré une association humanitaire toulousaine qui a transformé un autobus en dispensaire médical très bien équipé et spécialement destiné aux contrées reculées du Burkina Faso, où nombreux sont les habitants qui sont éloignés des problématiques de santé. Quelle aide sanitaire la France peut-elle apporter à ce pays ? Quel rôle jouent les organisations non gouvernementales, et peuvent-elles agir librement ?

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Le mal absolu dont souffre le continent africain est le problème démographique. Les dernières statistiques montrent que la très grande pauvreté recule partout dans le monde sauf en Afrique, où l'explosion démographique n'est pas contrôlée. En 2030, l'Afrique aura deux milliards d'habitants. Or, ce problème n'est pas que celui de l'Afrique ; c'est aussi le nôtre. Les deux clefs du contrôle démographique sont l'éducation et la santé. Où en sont les politiques de contrôle de la natalité en Afrique ? Le fonds de 1,8 milliard mis à disposition par l'Union européenne portera-t-il sur l'éducation et la santé ?

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Les experts du G5 du Sahel, créé en février 2014, et ceux de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime travaillent pour établir le cadre juridique et institutionnel de la coopération en matière de sécurité et de défense des États membres dudit G5. Deux textes sont en discussion : le premier est un projet d'accord multilatéral entre les États de la région concernant l'organisation et le fonctionnement d'une plateforme de coopération en matière de sécurité, et le second un projet de règlement intérieur fixant l'organisation et le fonctionnement du comité de défense et de sécurité. Quel regard portez-vous sur cette intégration, et quel potentiel de coopération existe-t-il avec la France ?

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Qu'en est-il des migrations intra-africaines ? Il y aurait 60 millions de migrants sur le continent. Quelles conséquences ce phénomène migratoire a-t-il sur l'alimentation ? Quant au fonds qu'envisage de créer l'Union européenne, comment s'assurer qu'il sera utilisé pour stabiliser et développer les pays concernés, dès lors que la plupart d'entre eux sont des États déstructurés, voire inexistants ?

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Chacun convient que la stabilisation de la situation au Burkina Faso passe par l'organisation au plus vite d'élections démocratiques. Les autorités de la transition étaient-elles prêtes pour organiser le scrutin du 11 octobre ? La fiabilité de la liste électorale est-elle un enjeu comme elle l'est ailleurs dans la région, au Bénin par exemple ? Il semble bien que le coup d'État avorté – même s'il a fait onze morts et de nombreux blessés – a décrédibilisé la mouvance des soutiens de Blaise Compaoré, incarnée par le général Diendéré. Des négociations ont-elles vraiment lieu entre le gouvernement, les partis politiques et la société civile sur la question de l'inclusivité des élections ? Des propositions de calendrier sont-elles envisagées ?

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Jean-Christophe Belliard, directeur d'Afrique et de l'Océan indien au ministère des affaires étrangères

Au Burkina Faso, il est possible que les élections soient organisées rapidement, car la commission électorale indépendante a accompli un bon travail – ce qui n'est pas toujours le cas ailleurs. Le Burkina Faso est un pays solide, structuré, qui s'appuie sur des institutions et une société civile fortes. Le niveau de conscience politique y est élevé. En revanche, le caractère inclusif des élections est plus problématique, car la société civile est particulièrement militante en la matière. La communauté internationale pousse en ce sens, néanmoins.

Le cas du Burkina Faso peut-il servir d'exemple ailleurs sur le continent ? Au fond, ce pays n'a jamais digéré l'assassinat de Thomas Sankara, qui demeure au coeur de toutes les réflexions. Toutefois, le renversement du gouvernement par la population, descendue dans la rue, voici un an, n'est pas passé inaperçu au Congo Brazzaville, par exemple, où l'opposition est déjà mobilisée en vue du référendum du 25 octobre prochain, et où le président Sassou a perdu certains de ses alliés politiques.. Le véritable modèle, néanmoins, est plutôt celui du Nigéria, car ce pays, si complexe, a connu une alternance démocratique. En Afrique du Sud, le pouvoir reste aux mains de l'ANC. Au Nigéria, le président sortant, battu, a accepté le résultat des élections. Le 29 mai, lors d'une cérémonie à Abuja, il a rendu hommage à son successeur, qui a fait de même. Autrement dit, si ce pays, si complexe, a réussi son alternance, alors d'autres peuvent le faire également.

Les églises jouent un rôle de modération, non seulement au Burkina Faso, mais ailleurs aussi en Afrique : en République démocratique du Congo et au Congo Brazzaville, par exemple, les évêques et les archevêques tâchent de bâtir des ponts entre les uns et les autres, et il n'est pas surprenant qu'ils aient dirigé des conférences nationales dans d'autres pays, car ils créent la possibilité d'un dialogue.

Il est vrai que la corne de l'Afrique compte 140 millions d'habitants, mais tous ne sont pas destinés à se déverser en Europe. L'Éthiopie, à elle seule, compte près de 100 millions d'habitants ; or, son taux de croissance atteint 10 % depuis dix ans. Nombreux sont toutefois les jeunes qui cherchent à émigrer, surtout dans les pays du Golfe, mais il ne faut pas s'attendre à un phénomène migratoire de masse. De même, les Soudanais migrent généralement vers le Golfe et, en Europe, leur destination privilégiée est le Royaume-Uni, pour des raisons linguistiques. Quant à l'Érythrée, sa principale filière d'émigration concerne la Suède et, dans une moindre mesure, le Royaume-Uni.

Depuis quelques années, les itinéraires convergent vers la Libye. Autrefois, les filières migratoires passaient principalement par le Maroc et l'Espagne, mais ces deux pays ont mis en place des politiques qui ont contribué au tarissement des flux, lesquels, à présent, qu'ils soient originaires d'Afrique de l'Ouest ou d'Afrique de l'Est, convergent vers la Libye. La crise que traverse ce pays est au coeur du problème. Or, en l'absence de gouvernement et d'interlocuteur en Libye, il est difficile de contrôler les choses, à la fois à terre et sur mer (l'opération navale de l'Union européenne ne peut se déployer pleinement). Accessoirement, la persistance de la crise libyenne est susceptible De compliquer, à nouveau, les choses au Mali.

Le Nigéria aura autant d'habitants que les États-Unis dans vingt ans, et davantage que la Chine à la fin du siècle. Au Niger, le taux de fécondité est de l'ordre de 7,1 enfants par femme. La question de la démographie africaine est si importante qu'aucun pays, seul, n'a la capacité de la résoudre ; c'est à la communauté internationale de se mobiliser. Le Fonds des Nations Unies pour la population travaille dans ce sens. Toutefois, le problème possède une dimension culturelle et religieuse. Le Niger, par exemple, est un pays, démocratique, qui fonctionne, mais son président doit composer avec un socle culturel particulier. Des efforts sont consentis, des moyens sont alloués, mais il n'appartient pas à la France, seule, de mobiliser des ressources qu'elle n'a pas. C'est à l'Europe d'agir et de mutualiser les moyens qu'elle consacre à cette question – car c'est plus facile à 28. Lors de l'élargissement de l'Union européenne, peu de nouveaux États membres étaient conscients de la réalité africaine. Tous ont aujourd'hui pris la mesure du problème. Le fonds de 1,8 milliard d'euros que j'ai mentionné s'ajoute à l'ensemble des initiatives des pays membres, soit un montant total de l'ordre de 10 à 15 milliards d'euros pour stabiliser les populations africaines, en particulier dans le Sahel, mais pas uniquement, car il s'agit également de favoriser la croissance dans les pays du golfe de Guinée. La croissance de la Côte d'Ivoire atteint aujourd'hui 10 % . Le Nigéria souffre aujourd'hui de la baisse des prix du pétrole et de Boko Haram, mais représente une nouvelle frontière pour l'avenir. Je rappelle que 90 % des migrants africains ne se rendent pas en Europe, mais, ailleurs, en Afrique. La pression migratoire sur l'Europe fait l'actualité, mais les flux migratoires africains sont essentiellement dirigés vers le Sud – Sahéliens en Côte d'Ivoire, Maliens au Gabon, Congolais en Afrique du Sud – que vers le Nord.

S'agissant de l'action humanitaire et sanitaire, les collectivités territoriales conduisent déjà des projets au Burkina Faso, qu'il faut poursuivre en dépit du contexte budgétaire. Toutes les initiatives sont les bienvenues ; néanmoins, il faut aussi conduire de grands projets pour lesquels l'échelle européenne est la plus adaptée.

Depuis six mois, l'emprise géographique de Boko Haram s'est considérablement réduite. Ce groupe est en difficulté, parce que les pays de la région se sont unis : le Tchad a déployé 2 500 hommes au Nigéria et autant au Cameroun, à quoi s'ajoutent 2 500 soldats nigériens au Nigéria. C'est à l'initiative de la France que les pays de la région ont mis en place, à Paris, un mécanisme de coordination, de sorte que les Africains se saisissent eux-mêmes du problème. La France a agi au Mali, puis a passé le relai à l'Union africaine puis aux Nations Unies. En RCA, la France a agi de concert avec l'Union africaine, puis a passé le relai aux Nations Unies. Avec le traitement du dossier Boko Haram, nous approchons de notre but : que l'Afrique gère elle-même ses problèmes. Avec les Britanniques et les Américains, nous soutenons les pays de la région (renseignement, coordination, matériels) pour qu'ils règlent, eux-mêmes, le problème posé par Boko Haram. J'ajoute que le nouveau président nigérian, M. Buhari, est un homme du Nord, originaire de l'État de Borno, fief de Boko Haram. Il manifeste une forte volonté d'agir – même si la modernisation de l'outil militaire nigérian ne saurait se produire du jour au lendemain. Comme les terroristes du Nord du Mali, Boko Haram a été, à un moment, sur le point de prendre une grande ville (Maiduguri). Il n'a, aujourd'hui, plus les moyens de conquérir des villes et des territoires, mais conserve encore la capacité de perpétrer des attentats – comme, il y a quelques jours, à Abuja ou encore au Tchad. Il est important que les pays africains soient en mesure de régler, eux-mêmes, leurs problème.

C'est tout l'objet du G5 africain : les pays de la région – Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad – agissent, concrètement et de concert, en conduisant des opérations conjointes et transfrontalières. L'Afrique est à la manoeuvre, conformément au souhait exprimé lors du sommet de l'Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique de 2013, lors du sommet UE-Afrique de 2014 et aussi lors du sommet États-Unis-Afrique. Les 55 pays africains ont la volonté politique d'aller dans ce sens, et on peut, je crois, être optimiste de ce point de vue. Nous n'avons plus vocation à intervenir çà et là en Afrique ; au contraire, nous pouvons aider les Africains à agir par eux-mêmes.

La question du contrôle de la natalité, qui vaut pour l'Afrique mais aussi pour le monde arabo-musulman, est complexe et se caractérise par une forte dimension culturelle. Que deviendra le Niger lorsqu'il aura 50 millions d'habitants ? Le cadre bilatéral n'est pas adapté pour y répondre. L'Afrique, les Nations Unies, la communauté internationale doivent agir ensemble pour relever cet immense défi.

J'en viens à la conférence de Malte. La préparation progresse, mais les pays africains ont des réticences sur certains aspects, notamment sur la question des retours (ou réadmission). Il s'agit d'un tout, avec des obligations partagées entre les deux continents.

À la question migratoire est liée celle des trafics : le trafic de drogue a pris des proportions très importantes, profitant de l'instabilité de la Guinée Bissau où les militaires sont encore à la manoeuvre. Ces trafics alimentent les filières sahéliennes, où les trafiquants transportent tantôt des migrants, tantôt de la drogue, et peuvent être, également, à d'autres moments, terroristes. Au Mali, le cessez-le-feu n'a pas été respecté dans deux localités : Menaka et Anefis, qui sont, précisément, deux noeuds de communications situés sur les voies qu'empruntent les trafiquants.

À la Vallette, l'Europe et l'Afrique doivent se concerter pour, ensemble, trouver des solutions conjointes sur l'ensemble des aspects de ce dossier (contrôle des frontières, développement à long terme, information des migrants potentiels, lutte contre les réseaux de trafiquants).

Examen, ouvert à la presse, du projet de loi autorisant la ratification du protocole facultatif à la convention relative aux droits de l'enfant établissant une procédure de présentation de communications (n° 3040), rapporteur – M. Serge Janquin.

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L'ordre du jour appelle enfin l'examen du projet de loi autorisant la ratification du protocole facultatif à la convention relative aux droits de l'enfant établissant une procédure de présentation de communications. Je donne donc la parole au rapporteur, M. Serge Janquin.

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La convention relative aux droits de l'enfant entrée en vigueur le 2 septembre 1990 a pour objet de reconnaître et protéger les droits spécifiques des enfants, et s'articule autour de quatre grands principes : la non-discrimination, l'intérêt supérieur de l'enfant, le droit à la vie, à la survie et au développement de l'enfant et l'opinion de l'enfant. 195 Etat en sont aujourd'hui partie, en faisant le texte de droit international le plus consensuel.

Deux protocoles facultatifs ont été adoptés le 25 mai 2000 et sont entrés en vigueur en 2002 : l'un concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, l'autre concernant l'implication des enfants dans les conflits armés. Le projet de loi qui nous est soumis vise à ratifier le troisième protocole facultatif à cette convention, qui a été adopté le 19 décembre 2011 et qui est entré en vigueur le 14 avril 2014.

La construction de la reconnaissance internationale des droits de l'homme, et plus particulièrement des droits de l'enfant puisque c'est l'objet du protocole qui nous est soumis aujourd'hui, au-delà du caractère un peu procédural des mesures qui vont être précisées, vise à assurer le caractère effectif de la garantie des droits de l'enfant, notamment dans les pays où, malheureusement, il sont encore trop peu reconnus voire pas reconnus du tout.

On pourrait ici rappeler l'aphorisme de Montaigne : « C'est une idée folle de vouloir gouverner les hommes » et d'ajouter : « surtout au niveau planétaire »... mais, ni les uns ni les autres, nous n'acceptons de nous résigner à l'impuissance, au renoncement. Je vous invite à voir, à travers ces dispositions, une étape supplémentaire et essentielle qui rend possible une espérance que nous partageons tous, la victoire du droit contre la barbarie.

La France a toujours eu un rôle actif en matière de droits de l'enfant, dans les instances onusiennes comme à l'échelon européen au travers notamment de l'adoption de lignes directrices. Elle a ratifié la Convention le 7 août 1990 et les deux premiers protocoles le 5 février 2003. Elle a joué un rôle important dans les négociations du troisième protocole, qu'elle a signé le 20 novembre 2014 à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de la convention. 52 Etats l'ont signé et 18 l'ont déjà ratifié.

L'intitulé du Protocole est quelque peu réducteur, car en réalité, de nouvelles compétences sont conférées au Comité des droits de l'enfant au travers de l'institution de trois nouvelles procédures : deux procédures de communication et une procédure d'enquête dans le cadre de l'examen d'une communication ou à l'initiative du comité.

Vous me permettrez de rappeler en quelques mots les modalités actuelles d'application et de suivi de la convention relative aux droits de l'enfant et ses protocoles additionnels.

La Convention relative aux droits de l'enfant prévoit un mécanisme de surveillance confié au Comité des droits de l'enfant, dont le rôle est donc essentiel dans le dispositif quoiqu'il ne dispose pas de pouvoirs contraignants à l'égard des États. Organe international indépendant composé de 18 experts, il est chargé d'étudier les rapports que les États parties doivent soumettre tous les cinq ans, étant précisé que ceux qui ont ratifié les protocoles additionnels doivent fournir des rapports complémentaires sur la mise en oeuvre de ces textes.

Ce Comité tient chaque année trois sessions à Genève, d'une durée de trois semaines. Il entend les Etats à huis clos puis rédige des observations finales dans lesquelles il expose ses préoccupations et recommandations, qui doivent être rendues publiques par les États en leur sein. Si les missions et le fonctionnement du Comité des droits de l'enfant sont donc très proches de celui des autres comité onusiens, il ne disposait pas de la compétence pour examiner des requêtes individuelles. C'est pour remédier à cette carence qu'un groupe de travail a été établi par le Conseil des droits de l'homme des Nations-Unies le 17 juin 2009, qui a abouti au troisième Protocole.

Les négociations entre les délégations participantes à la rédaction à compter de mars 2010 ont porté sur de nombreux points : le champ des communications et leur recevabilité naturellement, mais aussi la création simultanée de deux autres nouvelles procédures : une procédure de communications interétatiques sur déclaration et une procédure d'enquête qui peut être refusée par les Etats.

Je présenterai successivement les trois procédures, en indiquant les effets pour notre pays et en explicitant les raisons pour lesquelles des déclarations interprétatives seront déposées. J'ajoute que la France ne s'opposera évidemment pas à l'application de la procédure d'enquête à son égard. En revanche, il n'est pas prévu d'autoriser des communications interétatiques la concernant, dans l'attente de connaître la pratique du Comité pour l'application d'une procédure dont on peut imaginer qu'elle sera très marginale.

Le Protocole est un texte relativement court de 24 articles dont le préambule rappelle les principes onusiens attachés aux droits de l'enfant et souligne que ces enfants peuvent avoir de grandes difficultés à se prévaloir des recours disponibles. Il encourage donc les mécanismes appropriés de recours et rappelle le rôle important des institutions nationales et spécialisées qu'il renforce et complète. Il existe en France un Défenseur des Droits, qui a pour mission de défendre l'intérêt supérieur et les droits de l'enfant et qui est assisté dans cette mission par le Défenseur des enfants. Il est susceptible d'être saisi par des enfants, des particuliers comme par des associations, pour intervenir en médiateur ou devant le juge lorsque le tribunal est saisi. Le Défenseur des droits a d'ailleurs enjoint le Gouvernement au début de cette année à faire procéder à sa ratification pour que la France puisse l'inclure dans son rapport au Comité de 2016.

L'article 1er du Protocole confère les nouvelles compétences créées au Comité des droits de l'enfant pour les seules violations de droits énoncés dans un instrument auquel l'État est partie et dès lors que l'État est partie au Protocole.

L'article 2 fixe les principes généraux guidant l'exercice des fonctions du Comité, à savoir l'intérêt supérieur de l'enfant et les droits et l'opinion de l'enfant « en fonction de l'âge et du degré de maturité de l'enfant ». L'article 3 prévoit l'adoption par le Comité d'un règlement intérieur relatif aux nouvelles fonctions qui lui sont conférées qui doit garantir des procédures adaptées aux enfants et comporter des garanties visant à empêcher que l'enfant ne soit manipulé par ceux qui agissent en son nom. Ce règlement intérieur a été adopté en 2013 et est annexé au rapport. Il est expressément prévu que le Comité puisse refuser d'examiner une communication s'il considère qu'elle ne sert pas l'intérêt supérieur de l'enfant.

L'article 4 prévoit que l'État partie doit veiller à accorder des mesures de protection aux individus qui communiquent ou coopèrent avec le comité. En droit français, par exemple, des mesures d'assistance éducative peuvent être prises. Une mesure de protection est précisément établie : l'identité de la personne ou du groupe n'est pas révélée publiquement sans le consentement exprès des intéressés.

Les articles 5 à 12 du Protocole sont relatifs à la procédure de présentation des communications.

Les procédures de présentation de communications onusiennes ne sont pas des recours juridique au sens strict, car les personnes ne déposent pas de plaintes ou de recours. Comme dans une procédure juridique classique, les comités vérifient la recevabilité et le bien-fondé des communications à l'aune des conventions et protocoles. La procédure n'aboutit pas à un jugement, mais à des constatations non contraignantes qui peuvent être accompagnées de recommandations. Mais on peut aujourd'hui constater le risque de réputation lié aux recommandations des autres comités onusiens, par exemple du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes.

Concernant la France, certaines situations politiquement sensibles sont assez régulièrement pointées du doigt par des associations, des juridictions notamment européennes et les comités onusiens dont le comité des droits de l'enfant. Lors de l'examen des rapports périodiques déposés par la France, sont abordés des sujets comme l'accueil des enfants handicapés, la situation des centres éducatifs fermés et surtout la situation des mineurs étrangers isolés ou des mineurs étrangers retenus dans les zones d'attente. Il ne serait pas étonnant que les communications portées devant le Comité des droits de l'enfant portent essentiellement sur ce dernier sujet.

La situation de ces mineurs reste en effet perfectible, même si des progrès ont été accomplis depuis 2013, année de mise en oeuvre d'un protocole spécifique. Rappelons à cet égard que le juge des référés du Conseil d'État, le 6 janvier 2015, se fondant sur la Convention des droits de l'enfant, a considéré que le placement en rétention administrative et l'éloignement forcé d'un enfant mineur devaient être entourés de garanties particulières et, ces conditions n'étant pas réunies, a enjoint à l'administration d'examiner la demande de regroupement familial au bénéfice de l'enfant dans un délai de quinze jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Conformément aux articles 5 et suivants du protocole, des communications peuvent être présentées par des particuliers, des groupes de particuliers, au nom de particuliers ou encore au nom de groupes de particuliers, auquel cas ces derniers doivent avoir donné leur consentement, sauf justification de l'action dans leur intérêt. L'expression « groupe de particuliers » doit s'entendre de particuliers directement victimes d'une même violation et qui saisissent, dans une même communication, le comité. Une association ne peut pas présenter une communication en tant que victime directe.

L'article 6 prévoit la possibilité pour le Comité de soumettre à l'urgente attention de l'État concerné une demande de prise de mesures provisoires, dans le cas où cela s'avère nécessaire dans des circonstances exceptionnelles pour éviter qu'un préjudice irréparable ne soit causé. Le caractère non-obligatoire de ces mesures a fait l'objet de controverses lors des négociations et il paraît utile, même si la rédaction est très encadrée, de confirmer ce caractère par le dépôt d'une déclaration. Je souligne que toutes les mesures provisoires prononcées contre la France par la CEDH à l'exception d'une seule concernaient des affaires d'éloignement du territoire.

La recevabilité des communications se fonde sur les mêmes critères que dans les autres procédures de communications. Deux motifs d'irrecevabilité appellent néanmoins des commentaires car ils justifient le dépôt d'une déclaration interprétative.

– Le premier concerne l'examen au titre d'une autre procédure internationale d'enquête ou de règlement, ceci pour éviter la multiplication de procédures concernant une même affaire. Il serait précisé que cela couvre les procédures régionales européennes, donc principalement de la Cour européenne des droits de l'homme ;

– Le second motif d'irrecevabilité problématique est le très classique épuisement des voies de recours interne. Ainsi rédigée, cette condition ne pourrait jouer pour la France puisqu'aucun mineur ne peut directement saisir la justice. La déclaration précisera qu'elle s'entend comme l'épuisement des voies de recours exercées dans le cadre d'une procédure dans laquelle l'enfant a été entendu ou représenté.

Le Comité est tenu d'examiner les communications qui lui sont adressées aussi rapidement que possible et sans délai lorsqu'il a demandé des mesures provisoires. Ses séances se tiennent à huis clos. Lorsqu'il examine des communications concernant des droits économiques, sociaux et culturels, le Comité tient compte de la marge d'appréciation dont les États parties disposent dans la mise en oeuvre de ces droits. L'État doit soumettre une réponse écrite dès que possible, dans un délai de six mois, détaillant les mesures qu'il a prises ou qu'il envisage de prendre. Au-delà des six mois, le dialogue peut se poursuivre, y compris dans le cadre des rapports périodiques.

L'article 12 institue une procédure d'examen de communications interétatiques, permettant à un État partie de signaler au Comité qu'un autre État ne s'acquitte pas de ses obligations au titre de la Convention ou de ses protocoles facultatifs. C'est une innovation. Cette procédure ne peut toutefois être engagée que si les deux États parties ont reconnu la compétence du Comité en la matière, ce qui peut être fait à tout moment et révoqué à tout moment également, sans effet néanmoins sur les procédures en cours. Sur les 18 États ayant ratifié le Protocole, six ont accepté cette compétence : l'Albanie, l'Allemagne, la Belgique, le Chili, le Portugal et la Slovaquie.

Une procédure d'enquête est prévue aux articles 13 et 14 du Protocole, troisième procédure ainsi créée par le Protocole. Le Comité peut examiner de sa propre initiative des cas où un État partie porte gravement ou systématiquement atteinte aux garanties de la Convention et de ses protocoles facultatifs. Il n'est pas nécessaire qu'une communication lui soit présentée. Cette procédure est donc à distinguer des deux premières.

Cette enquête peut s'accompagner d'une visite sur le territoire après accord de l'Etat partie concerné. La coopération de l'Etat est sollicitée à tous les stades de la procédure. L'État a six mois au plus après réception des résultats de l'enquête et des observations et recommandations du Comité pour présenter ses observations. Au-delà, le suivi se poursuit , le Comité pouvant inviter l'Etat à soumettre des renseignements complémentaires sur les mesures prises à la suite de l'enquête y compris dans le cadre de la procédure de rapports périodiques.

Les États parties peuvent déclarer qu'ils ne reconnaissent pas cette compétence au Comité. Cette non-reconnaissance peut porter sur les droits énoncés dans la Convention ou dans l'un de ses protocoles, ou sur l'ensemble de ces droits. Les États peuvent à tout moment retirer leur déclaration. Un seul Etat ayant ratifié le Protocole a utilisé cette faculté : Monaco.

Les articles 15 à 24 du Protocole prévoient les dispositions finales, très classiques. Le Protocole sera en vigueur pour la France trois mois après la date du dépôt de son instrument de ratification, étant précisé que la France déposera une déclaration interprétative sur le modèle de celles faites pour les autres comités en matière de droits de l'homme, tendant à préciser la compétence temporelle du Comité aux des communications liées aux actes postérieurs à l'entrée en vigueur.

En conclusion, ce troisième Protocole est un instrument pertinent qui vise avant tout à doter le comité des droits de l'enfant de la compétence d'examiner des communications individuelles. Il faut souhaiter que cela constitue un réel levier d'action dans les États où les procédures internes de défense des droits des enfants sont faibles ou inexistantes. Quant à la procédure d'enquête, elle est un complément utile qui permet au Comité d'agir contre les atteintes graves et systématiques à la Convention, circonstances dans lesquelles il peut être difficile de présenter une communication. La procédure d'enquête a aussi une fonction préventive et l'on peut espérer que son existence incitera les États parties à mieux garantir les droits des enfants.

La ratification n'appellera pas d'adaptation de notre droit, sous réserve des déclarations interprétatives nécessaires. En pratique, le Comité communiquera avec la France par l'intermédiaire de notre mission permanente à Genève et le ministère des affaires étrangères et du développement international assurera la coordination interministérielle des visites du Comité et des rapports périodiques.

J'ai été saisi comme certains d'entre vous j'imagine par des organisations notamment l'UNICEF qui s'inquiète des déclarations interprétatives qui seront déposées à l'occasion de la ratification et je tiens à répondre à ces préoccupations légitimes. Je précise déjà qu'il s'agit bien de déclarations interprétatives et non pas de réserves et qu'elles ne restreignent donc pas la portée du texte.

Concernant la compétence temporelle du Comité, elle est similaire à celles faites pour les autres comités conventionnels en matière de droits de l'homme. Dans le protocole, elle n'est pas à l'article 7g relatif à la procédure de recevabilité des communications présentées, mais bien à l'article 1er relatif à la compétence conférée au Comité d'examiner des communications. La déclaration interprétative est conforme à l'article 20 paragraphe 2 qui énonce : « Si un Etat devient partie au Protocole après l'entrée en vigueur de celui-ci, ses obligations vis-à-vis du Comité ne concernent que les violations des droits […] qui sont commises postérieurement à l'entrée en vigueur du présent Protocole pour l'Etat concerné ». Il n'y a donc aucune restriction de la compétence du Comité. La notion de persistance des faits ne doit pas être confondue avec celle de persistance des effets. La déclaration interprétative permet de viser expressément les omissions et pas uniquement des actes positifs comme fait générateur, ainsi que les évènements, permettant d'ailleurs d'appréhender de nombreuses situations de persistance des faits.

Concernant les mesures provisoires, là encore, la déclaration interprétative n'a pas pour objet ni pour effet de restreindre la portée du texte mais de confirmer le caractère non obligatoire des mesures provisoires recommandées, pour éviter toute confusion à ce sujet à l'avenir, car ce point a été débattu et tranché pendant les négociations. Les autorités françaises, saisies par le Comité des droits de l'enfant de la gravité exceptionnelle de la situation, apprécieront, cette situation, prendront les mesures qu'elles jugeront nécessaires, ces mesures pourront être celles recommandées par le Comité ou d'autres, et ces décisions pourront faire l'objet de recours juridiques, le cas échéant avec effet suspensif. Il convient de rappeler que la France a des obligations juridiques afférentes à la situation particulière des enfants, qu'elle ne peut prononcer des mesures qui ne seraient pas entourées d'un certain nombre de garanties et que les juridictions la rappellent à l'ordre à défaut (la Cour de Cassation, le Conseil d'Etat et la CEDH). J'ajoute que le Défenseur des droits peut, lorsqu'une mise en demeure n'est pas suivie d'effet, directement saisir le juge des référés compétent.

Sous le bénéfice de toutes ces observations, je vous recommande l'adoption du projet de loi de ratification.

Après l'exposé du rapporteur, un débat a lieu.

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Le rapporteur a répondu aux questions que je voulais poser car j'ai été alertée par l'Unicef France qui estime que les quatre déclarations interprétatives peuvent limiter la portée du projet. Je m'interrogeais également sur le fait que chaque Etat puisse interpréter la convention selon ses propres critères. Cela ne pose-t-il pas des problèmes quant à l'homogénéisation de son application ?

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Je ne le pense pas. Les Etats parties à la convention sont libres de déposer des déclarations interprétatives dans la mesure où les règles internes diffèrent d'un pays à un autre. Il ne s'agit pas de réserves. Par ailleurs, le processus d'harmonisation est progressif. C'est, in fine, la pression diplomatique au sein des Nations-unies qui permettra de faire avancer les choses en ce sens, sans qu'il s'agisse d'instaurer une nouvelle Cour pénale Internationale, laquelle aurait été refusée par la plupart des Etats.

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Nous nous réjouissons de ce protocole. Cependant, je ne perçois pas en quoi la première déclaration interprétative de la France relative à la compétence temporelle apporte des éléments nouveaux. Cette dernière confère au Comité des droits de l'enfant des compétences pour accepter et examiner les communications comme l'énonce déjà l'article 1er.

Enfin, si je comprends bien l'économie générale du texte, nous comptons sur l'examen de certaines communications par le Comité pour mobiliser l'opinion publique. N'est-ce pas une faute de tropisme occidental ? Les atteintes portées aux droits des enfants mobilisent et touchent en priorité nos opinions publiques occidentales. En revanche, les opinions intérieures paraissent peu mobilisables dans le reste du monde. Certes, il est nécessaire de faire passer les messages que nous estimons universels sur la protection des droits de l'Homme et de l'enfant, mais n'y a-t-il pas là un brin d'utopie ?

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Pourriez-vous nous préciser les incidences sur le droit français en matière d'interruption volontaire de grossesse ?

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Les problèmes relatifs à l'adoption et à la gestation pour autrui ont-ils été évoqués dans les discussions ? Le Vatican a-t-il participé aux discussions ?

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M. Thierry Mariani, ces questions ne faisaient à ma connaissance pas l'objet du champ des négociations sur les compétences du Comité des droits de l'enfant. Le Saint-Siège est partie à la convention mais n'a pas signé le protocole.

Concernant l'interruption volontaire de grossesse, une réserve a été formulée par la France lors de la ratification de la convention relative aux droits de l'enfant qui exclut toute atteinte à ce qu'a décidé la France en la matière dans son droit positif.

M. Jacques Myard, vous avez raison, mais nous pouvons parfois accélérer l'Histoire. S'agissant par exemple des droits de la femme : si des efforts restent à faire, les spécialistes pointent les évolutions positives réalisées dans le monde ces dernières années. Enfin, la folle idée qu'a été l'appel du 18 juin n'est-elle pas l'exemple d'une utopie qui s'est réalisée ?

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Jouons-nous donc sur l'opinion publique ?

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Cela fait partie des outils, c'est aussi de la communication. Je rappelle en outre que cette convention a été ratifiée par 195 Etats. Il ne s'agit donc pas d'imposer un modèle occidental au reste du monde.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n°3040).

La séance est levée à onze heures quinze