Commission des affaires étrangères

Réunion du 17 novembre 2015 à 17h45

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • bachar
  • daech
  • el-assad
  • russe
  • syrie

La réunion

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Audition, conjointe avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international.

La séance est ouverte à dix-sept heures quarante-cinq.

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Jean-Pierre Raffarin, président

Monsieur le ministre, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, chers collègues sénateurs, il est important de bien montrer aux Français l'importance que nous attachons à la capacité de l'État d'être rassemblé pour faire face à la tragédie. En ces jours de tristesse et de mobilisation nationale autour de nos institutions, il existe de petits moments de soleil ; la présence des députés parmi nous en est un, et je remercie le ministre pour sa disponibilité en cette période difficile.

Mme Guigou et moi-même allons introduire notre débat, puis trois questions de sénateurs seront posées, suivies de trois questions de députés. Nous laisserons ensuite le ministre répondre, avant de poursuivre s'il y a d'autres interventions.

Monsieur le ministre, nous sommes tous marqués par l'intervention du Chef de l'État, hier, devant le Parlement réuni en Congrès, notamment en ce qui concerne la politique étrangère, compte tenu d'un certain nombre d'orientations qu'il a définies.

Notre interrogation est forte sur plusieurs sujets.

Tout d'abord, en ce qui concerne la définition de l'ennemi, la clarification est de plus en plus nette. L'ennemi, c'est l'État islamique, c'est Daech. Nous hiérarchisons nos objectifs et clarifions bien cette position. Il y a là un point qui nous rassemble tous ici : quand on fait la guerre, on la fait contre un ennemi identifié et localisable.

Nous avons également entendu le Président de la République rejoindre l'idée d'une seule coalition, que la Russie puisse notamment intégrer, afin qu'il y ait, sur le terrain, une seule stratégie contre Daech, et qu'une alliance se forme avec nos partenaires sur ce sujet.

Vous nous direz par ailleurs l'évaluation que vous faites des discussions qui se tiennent à Vienne en vue d'une sortie de la crise syrienne, et vous nous préciserez comment vous ressentez l'association des sunnites aux responsabilités, ce qui constitue l'un de nos objectifs fondamentaux.

Vous nous donnerez peut-être également votre appréciation des frappes françaises réalisées en Syrie, mais c'est un sujet plus militaire que diplomatique.

Je laisse à présent la parole à Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, en lui souhaitant la bienvenue.

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Merci beaucoup, monsieur le président, mes chers collègues, de nous accueillir au Sénat. Nous nous réjouissons de cette réunion.

Nous sommes tous encore sous le coup de cette terrible tragédie. Les victimes ne sont pas encore toutes identifiées. Les jours à venir vont être très douloureux. Les services publics de sécurité et de secours ont été admirables.

Hier, le Président de République a présenté des décisions lors du Congrès du Parlement, au cours d'un très beau moment d'unité nationale. Les terroristes de Daech n'attendent qu'une chose, que notre pays se divise. Il est donc très important que l'on puisse multiplier les moments d'échange et d'analyse commune pour essayer d'être plus efficaces et plus pertinents dans nos réactions.

Comme vous, j'ai plusieurs questions à poser au ministre, que je remercie pour sa disponibilité à l'égard du Parlement.

Tout d'abord, où en est-on sur le terrain face à Daech ? Daech est maintenant limité dans son expansion, a subi des revers assez sérieux en Irak. Les attentats ne sont-ils pas une façon de compenser ce relatif faux plat, de continuer à alimenter la surenchère dans l'horreur ? Que vise donc Daech ? Pourquoi notre pays est-il sa principale cible ? Sans doute est-ce en raison de ce que représente la France, mais votre analyse m'intéresserait beaucoup, monsieur le ministre.

En second lieu, à la suite des annonces du Président de République - formation d'une grande coalition, nouvelle proposition de résolution au Conseil de sécurité des Nations unies - comment voyez-vous les évolutions dans les prochains jours ? La Russie vous paraît-elle, après les réunions de Vienne et du G20, susceptible de réaliser des ouvertures dans le sens que nous souhaitons ? Qu'en est-il de l'Iran ? Quel va être le contenu de la résolution que notre pays va proposer aux Nations unies ?

En Syrie, on voit bien que l'ensemble des pays réunis maintenant autour de la table souhaite une solution politique et ne croit pas aux solutions militaires, même si des actions en ce sens sont nécessaires. Comment voyez-vous le jeu des différents acteurs ? Pensez-vous qu'un processus vers une transition soit engagé -même si nous avons bien compris qu'il existait toujours des divergences sur le sort de Bachar al-Assad ?

Enfin, s'agissant des frappes militaires, que pensez-vous que l'on puisse obtenir des Européens ? Le ministre de la défense a confirmé à l'Assemblée nationale qu'il avait demandé l'activation de l'article 42-7 du traité de Lisbonne, qui constitue une clause d'assistance mutuelle. Le traité prévoit également une clause de solidarité. Il semble que la proposition française ait reçu un accueil favorable de nos partenaires. Comment voyez-vous la suite ?

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Jean-Pierre Raffarin, président

La parole est aux sénateurs.

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Christian Cambon, sénateur

Monsieur le ministre, j'aimerais évoquer les objectifs que la France s'est fixés pour lutter contre Daech - ou l'État islamique. Une précision serait du reste utile à ce sujet, car un certain nombre d'experts préconisent d'utiliser l'expression d' « État islamique », alors que vous-même avez expliqué plusieurs fois qu'il ne fallait pas l'employer. J'aimerais avoir votre sentiment sur ce point.

Je veux revenir sur ce qui se passe actuellement - et que nous approuvons : je veux parler des bombardements ciblés sur les installations militaires. Tout le monde sait que ces bombardements ne mettront pas fin à la domination de Daech, tous les experts le disent.

En revanche, on en sait un tout petit peu plus sur la manière dont Daech se finance, et notamment sur cette fameuse « contrebande du pétrole » qui prend une forme bien identifiable, puisqu'on parle de mille à deux mille camions sur des routes conduisant vers le sud de la Turquie. Ce sont des objectifs bien identifiables. Les forces aériennes françaises ont montré que de petits pickups, au Mali, pouvaient être détruits dans l'instant. Une bonne stratégie ne consisterait-elle pas à couper ces routes pour empêcher toute contrebande ?

Vous revenez de Turquie. Le comportement de M. Erdoğan ne laisse pas de poser des questions. Avez-vous obtenu des engagements de la part du premier ministre turc pour faire en sorte qu'il lutte contre cette contrebande ? S'il veut s'associer au mouvement de lutte contre le terrorisme, voilà un moyen efficace : faire en sorte que des oligarques turcs cessent de gagner de l'argent en achetant du pétrole de contrebande ! Ne pensez-vous pas que, parmi les objectifs que les armées françaises peuvent se fixer, il peut y avoir aussi, de manière plus prégnante, la fin de ce trafic de camions, qui rapporte chaque jour des centaines de millions de dollars à l'État islamique - ou à Daech, suivant l'appellation que l'on doit employer ?

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Cédric Perrin, sénateur

Monsieur le ministre, peut-on envisager de résoudre la question de Daech sans un dialogue stratégique avec la Turquie et l'Iran ?

En second lieu, jusque à quel point peut-on soutenir l'Arabie saoudite sans cautionner l'évolution de son prosélytisme radical ?

Quelle est votre vision de l'alternative politique pour les sunnites irakiens une fois Daech éradiqué, ainsi que je l'espère ?

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Jean-Marie Bockel, sénateur

Beaucoup de choses ont été dites à propos de la Syrie. Y a-t-il aujourd'hui un changement de pied s'agissant de la priorité qui doit être donnée à la lutte contre Daech ?

Quelles conséquences cela aura-il dans cette période de transition ? Tout le monde a le départ du président syrien à l'esprit, mais j'ai le sentiment que la question est aujourd'hui de savoir comment gérer la situation d'ici là. Qu'est-ce qui est acceptable, qu'est-ce qui ne l'est pas ?

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Monsieur le ministre, depuis quelques jours, les événements se sont télescopés, avec des réunions programmées à Vienne, le G20, auquel vous avez participé et, malheureusement, les attentats terroristes, qu'il s'agisse de l'avion civil russe, en Égypte, ou de ceux de Beyrouth et de Paris. C'est pourquoi la diplomatie connaît une phase active et accélérée.

Pouvez-vous nous préciser en quoi consisterait la saisine du Conseil de sécurité des Nations unies ? Qui en est à l'initiative ? Comment faire pour que cela passe la rampe du Conseil de sécurité ?

La coalition internationale qui a été évoquée serait une véritable réponse coordonnée aux attentats. Quel en serait le périmètre ?

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Monsieur le ministre, quelle va être la réponse de l'Europe à la fois sur le plan diplomatique, mais aussi sur le plan du financement des actions militaires qui vont être nécessaires ?

A-t-on déjà une idée, dans cette affaire, de la solidarité européenne, qui ne s'est pas manifestée jusqu'ici ?

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Monsieur le ministre, je ne vais pas citer Edgar Faure et le monde qui change, mais avez-vous véritablement changé d'avis concernant les sanctions à l'égard de la Russie ? Je sais que vous étiez extrêmement modéré en la matière - je vous en donne acte - et que nous avons suivi les ultras Européens et les Américains.

S'agissant de la Syrie, nous sommes dans l'attente : avez-vous fondamentalement changé d'avis sur le fait de savoir qui est l'ennemi ?

Enfin, la Turquie, dont je reviens, joue un drôle de jeu, un jeu d'apprenti sorcier, tout comme l'Arabie saoudite. Vous avez donné une conférence à Paris à laquelle je n'étais pas présent, mais j'ai compris que vous tentiez d'amener l'Arabie saoudite à un changement. Comment la nouvelle ligne française peut-elle être acceptée par notre client majeur qu'est l'Arabie saoudite ?

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Jean-Pierre Raffarin, président

Monsieur le ministre, vous avez la parole.

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Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

Merci à tous d'avoir pris sur votre temps pour que nous puissions aborder ces questions très importantes. Je trouve excellent que nous puissions être rassemblés pour aborder des sujets aussi importants. Beaucoup d'autres questions auraient pu intervenir, mais vous avez rassemblé les principales. Ce sont des sujets sur lesquels le Président de la République et moi-même avons travaillé tous ces jours-ci.

Après ces attentats terribles de vendredi, nous avons jugé bon que j'aille à Vienne, le samedi, pour la réunion sur la Syrie, étant donné le rapport entre les deux.

Le Président de la République étant obligé de rester à Paris, il m'a demandé - ce que j'ai fait avec beaucoup d'intérêt, de plaisir et d'honneur - de le remplacer au G20. Je vous en parlerai : cela donne l'occasion de voir beaucoup de gens. Hier, le Président de la République s'est adressé au Congrès du Parlement, à Versailles.

La semaine prochaine, nous irons d'abord à Washington, puis à Moscou. entre-temps, pour la COP 21je m'en vais ce week-end en Inde, en Afrique du Sud et au Brésil, afin de visiter quelques pays dont il m'a semblé qu'ils étaient plus difficiles à convaincre que d'autres.

Au milieu de tout cela, je trouve tout à fait normal et légitime de vous rendre compte.

Je prendrai les questions dans le désordre, beaucoup se recoupant…

Sur le plan militaire, il est évident que l'adversaire, l'ennemi, c'est Daech, mais aussi Jabhat al-Nosra, qui sont des organisations considérées comme terroristes par les Nations unies elles-mêmes.

Dès le début, nous avons dit - et cela rejoint la question de la coalition - que toutes les forces devaient être concentrées contre cet ennemi.

Lorsque le président Poutine a avancé sa proposition de grande coalition, je me trouvais aux Nations unies, et j'ai répondu au nom de la France que c'était une bonne idée dès lors que trois conditions étaient remplies, en premier lieu que les Russes frappent Daech, et non les éléments modérés, en second lieu qu'il existe une transition politique - j'y reviendrai - et enfin qu'on se préoccupe des questions humanitaires - les « barrels bombs » - et de la libération de plusieurs zones.

Il peut y avoir bien des évolutions et des adaptations. C'est tout à fait normal, et le contraire serait absurde, mais constatons que, si les choses se poursuivent comme aujourd'hui, c'est le président russe qui revient sur une de ses conditions, 80 % des frappes russes étant jusqu'à présent destinées à l'opposition modérée. Ce n'est pas tout à fait un hasard si des frappes massives sont intervenues aujourd'hui sur Raqqah.

Il y a à cela à mon sens deux raisons. En premier lieu, les Russes se sont rendus à l'évidence : l'explosion de l'avion égyptien étant bien d'origine terroriste, ils ont voulu répliquer. En second lieu, la France elle-même a montré le chemin en bombardant durement Raqqah.

L'un des préalables que nous avons mis à cette coalition internationale, qui doit être la plus large possible, est désormais rempli par les Russes - surtout s'ils continuent.

Pour ce qui est du politique, je serai amené, en répondant à vos questions à propos de Vienne, à être plus nuancé. Le Président de la République et moi-même avons la même attitude. Il n'existe pas, comme je le lis parfois dans les journaux, une ligne Fabius, une ligne Hollande, une ligne Valls. Nous délibérons de tout cela ensemble et prenons la même position. Tel ou tel peut avoir intérêt à laisser entendre certaines choses, mais la réalité, c'est qu'il n'y a qu'une seule politique.

Nous continuons à considérer que nous ne parviendrons pas à une unité syrienne telle que celle définie dans le texte de Vienne, où chacun aura le droit de cité, une Syrie libre si, au bout du processus, Bachar al-Assad continue à présider aux destinées de son pays. Nous continuons d'en être convaincus, non pas seulement pour des raisons morales, mais pour des raisons d'efficacité, du fait de l'Histoire.

Ce n'est toutefois pas la même chose de considérer que ceci doit intervenir au début du processus ou à tel ou tel moment de celui-ci. C'est de la diplomatie, c'est normal.

Pour ce qui est de l'aspect politique, il existe une différence d'approche entre la France, la Russie et l'Iran. L'aspect humanitaire reste important car, tous les jours, la population, , reçoit des bombes, et il faut trouver des solutions.

Vous m'avez invité à vous parler de Vienne. Il s'agit de la seconde réunion que nous tenions. L'intérêt réside dans le fait que nous sommes une quinzaine autour de la table - membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, Iran, Arabie saoudite. C'est là un fait nouveau et positif.

La première réunion a été difficile Le texte de départ, assez détaillé, abordait les questions de la réunion de l'opposition, du cessez-le-feu, du gouvernement d'union, du changement de Constitution, de l'élection. La nouvelle réunion convoquée samedi dernier, a été assez dure elle aussi, mais nous sommes davantage entrés dans les détails. Je pense que le texte a été publié. Celui-ci fixe tout un processus, et c'est nouveau.

Il précise ce que l'on va essayer de faire pour réunir l'opposition, bâtir un gouvernement de transition et une nouvelle constitution. Au bout du compte, des élections auront lieu. La question était décisive, les Russes et les Iraniens, paradoxalement, estimant que c'est aux Syriens de décider tout de suite s'ils souhaitent ou non que Bachar al-Assad demeure président, alors qu'il a été déjà réélu il y a un an et demi. Nous avons fait valoir que, le moment venu, il faudrait que les Syriens votent, mais qu'il y avait auparavant toute une série de procédures à mettre en oeuvre.

À quoi sommes-nous arrivés ? Tout d'abord, la balle va passer entre les mains du Conseil de sécurité des Nations unies, et en particulier des membres permanents, dont la France. M. de Mistura, qui est un diplomate chevronné, a essayé de réunir tout le monde. À chaque étape, c'est le Conseil de sécurité qui va déterminer si l'on peut avancer ou non. C'est la première innovation car, pour le moment, le Conseil de sécurité n'était pas vraiment impliqué

Nous estimons bien sûr qu'il faut que les parties interviennent, mais elles ne trouveront pas seules la solution.

Chaque étape du processus présente des difficultés immenses ; cependant, des dates ont été arrêtées.

Tout d'abord, pour aller vers un cessez-le-feu, il faut que l'opposition se rassemble. Je pense que cela se fera à Riyad Ce sont les Saoudiens qui, à différents égards, détiennent les éléments pour essayer de réunir l'opposition.

Quelle opposition ? Tout le monde s'accorde pour dire qu'il ne s'agit pas de l'opposition terroriste. Qui est terroriste, et qui ne l'est pas ? Certains sont incontestablement terroristes, ceux qualifiés comme tels par les Nations unies - essentiellement Daech et les mouvements relevant d'Al-Qaïda.

Pour le reste, toute une série de questions demeure. Dans nos conversations, nous définissons trois catégories, les verts, les rouges et les jaunes. Les verts, ce sont ceux qui ne posent pas de problème, mais qui ne sont généralement pas les plus armés. Les rouges sont les deux mouvements que je viens de citer, les jaunes étant toutes les catégories intermédiaires. Il faut se mettre d'accord sur les catégories autorisées et celles qui ne le sont pas.

Il y a là toute une discussion : qui va opérer le choix ? Est-ce que ce sont les Nations unies ou le Conseil de sécurité ? On achoppe là sur la même difficulté, chacun défendant les siens. Finalement, cette question n'est pas tranchée.

Voilà une première difficulté. Il faut que l'opposition se rassemble et qu'elle soit non terroriste.

En second lieu, il va ensuite falloir parvenir à créer un gouvernement. On fait là référence à Genève I, qui comporte une grande ambiguïté. Genève I précise qu'il faudra un « gouvernement de transition doté de tous les pouvoirs exécutifs ». Ce n'est donc plus Bachar al-Assad qui le détiendra. Les Russes, ayant fait préciser que le choix devrait être réalisé « par consentement mutuel », font valoir ce point à chaque fois qu'ils ne sont pas d'accord.

Si on passe les deux premières étapes, la troisième est le cessez-le-feu, non avec Daech et Jabhat al-Nosra, mais entre le gouvernement syrien - du moins son armée - et l'opposition.

La phase suivante est constituée par la mise en place d'un gouvernement de transition. Les Russes, les Américains et la France ont échangé des noms. J'ai dit que nous l'avons déjà fait dans le passé, mais dès que les noms sont connus, la famille est assassinée ! Il faut donc le faire dans le secret le plus total.

Nous nous sommes mis d'accord sur la rédaction d'une Constitution, même avec les Iraniens. il existe une définition de ce que nous voulons pour la Syrie. Une fois que ce sera fait, l'élection présidentielle aura lieu dans un délai de 18 à 24 mois, en associant la diaspora.

Je vous renvoie au texte de Vienne, qui a été étudié à la virgule près, et qui est très important. C'est en effet celui sur lequel toutes les parties prenantes se sont mises d'accord. Il s'agit d' « un engagement à l'unité de la Syrie, son indépendance, son intégrité territoriale et son caractère non religieux ».

Par ailleurs, l'engagement est pris « que les institutions de l'État restent intactes ». Il est très important de faire la distinction entre Bachar al-Assad et les institutions pour ne pas revivre l'affaire irakienne si tout s'écroule, « sans considérations de l'ethnicité ou de l'appartenance religieuse ». Tous les membres présents ont accepté ces principes fondamentaux. Ce n'est pas une petite affaire. On a naturellement bataillé pour y parvenir.

Voilà ce que nous avons obtenu à Vienne. Toute la question est ensuite de savoir ce que cela va donner. La diplomatie doit bien entendu jouer, mais à partir d'un rapport de forces. Il n'est pas de diplomatie sans rapports de force sur le terrain.

Concernant les Etats-Unis, bien évidemment, les attentats de Paris, ce qui s'est passé avec l'avion égyptien et au Liban, ainsi que les menaces qui existent sur le territoire des États-Unis font que les Américains essayent de trouver une solution. Ils savent qu'ils doivent s'engager Quant aux Russes, au départ, le président Poutine est intervenu pour protéger son protégé, garder sa base de Tartous et conserver sa place dans le grand jeu mondial. Au fur à mesure, il s'est aperçu des bénéfices que cela pouvait lui apporter, beaucoup venant maintenant le solliciter, mais aussi des énormes problèmes que cela pose, et notamment du coût humain et financier de cette opération. En outre Vladimir Poutine pense à ses propres intérêts au Moyen-Orient : s'il a tous les sunnites contre lui, cela pose un très gros problème. Les Russes sont donc à la fois satisfaits d'être un élément déterminant dans ce jeu, mais veulent cependant s'en sortir.

Après le discours du président Hollande, hier, Vladimir Poutine a saisi la balle au vol. Il vient d'envoyer un message à sa marine en estimant, le Charles-de-Gaulle appareillant, que l'on peut considérer les Français comme alliés. Il a été ravi que le président Hollande lui dise qu'il allait se rendre à Moscou la semaine prochaine, mais quand on évoque des sujets sur lesquels nous sommes en désaccord, comme le fait que Bachar el-Assad doive partir à terme, il nous fait savoir que, si les Russes ne sont pas mariés avec le président syrien, leur règle est de ne pas toucher au régime, même si cela peut arriver si les choses évoluent.

Beaucoup d'interprétations sont données de la rencontre qui a eu lieu il y a quelques semaines entre Vladimir Poutine et Bachar el-Assad, en Russie. Il semble que Vladimir Poutine ait dit à Bachar el-Assad qu'il fallait qu'il commence à considérer un certain nombre de choses.

Quant aux Iraniens, autant on peut avoir des moyens de pression sur les Russes, et comprendre les inconvénients qu'il y a pour eux à rester là où ils sont, autant c'est beaucoup plus difficile pour les Iraniens, tout d'abord parce que nous n'avons pas voulu lier l'affaire nucléaire à leur présence dans la région - et je pense que nous avons eu raison. Sauf si l'on découvrait un certain nombre de choses, l'accord sur le nucléaire est maintenant passé.

L'idée que les Iraniens, même s'ils ont des pertes humaines par centaines vont s'en aller d'eux-mêmes de Syrie ou être d'accord pour que Bachar el-Assad s'en aille - sauf à ce que son remplaçant soit son frère - est un raccourci bien rapide.

Les Russes nous assurent qu'ils vont en faire leur affaire, mais c'est un peu plus compliqué. Vous m'avez demandé comment les choses allaient avancer. Je pense que cela peut avancer avec les Russes si nous manoeuvrons bien ; avec les Iraniens, c'est une autre paire de manches !

La France a une prise sur l'opposition syrienne modérée, notre pays l'ayant toujours soutenue par ailleurs. Les choses sont pour elle très difficiles, toute leur famille ayant été décimée par Bachar el-Assad. Au début, ils voulaient passer Bachar el-Assad par les armes avant même toute discussion. Nous n'en sommes plus là, mais sans une perspective de changement, nous n'arriverons à entraîner ni les dirigeants ni les Syriens qui vivent hors de Syrie. Il faut bien admettre que les habitants d'Alep, qui sont depuis longtemps bombardés par Bachar el-Assad, à qui l'on demande de discuter à présent avec lui sans savoir ce qui va arriver ensuite, peuvent manquer d'enthousiasme.

Le risque est qu'ils refusent le cessez-le-feu ou qu'ils se tournent vers Daech, dont les membres sont sunnites comme eux. C'est le problème que nous avons, à moindre échelle, en Irak.

Les pays extérieurs - Qatar, Arabie saoudite, Émirats, Oman - discutent avec les Russes, et utilisent les arguments économiques qu'ils peuvent employer, qui sont importants dans cette affaire. Il faut avoir à l'esprit que, même s'ils sont hostiles à Bachar el-Assad, leur grand ennemi demeure l'Iran. Ils se détermineront donc par rapport à la question iranienne.

Quant à la Turquie, j'ai compris que vous n'aviez pas tous une opinion totalement positive des Turcs - en bon langage diplomatique. J'ai rencontré hier M. Erdoğan, qui a été réélu triomphalement. Que dit-il de la Syrie et des affaires européennes ? Il demande une « no-fly zone » ou une « no-Daech zone » au nord de la Syrie et au Sud de la Turquie. Il estime - son raisonnement est assez puissant - que si l'on ne veut pas que les Syriens pénètrent en Turquie, puis en Europe, il faut une zone où ils ne risquent pas d'être frappés.

Le problème vient du fait que les Etats-Unis sont sceptiques à cette idée. Il faudrait en effet au moins 20 000 personnes au sol pour tenir tout cela. C'est très compliqué du point de vue des avions et on n'a pas de certitude. Or, on ne peut pas le faire sans les Américains.

On voit du même coup le problème que cela pose par rapport à la question de l'immigration, déjà très difficile, peut-être objectivement moins en France que dans les Balkans

Voilà où en sont les Turcs. Ils étudient ce qui se passe en Syrie ; ils sont très opposés à Bachar el-Assad, mais tiennent également compte des conséquences que cela peut avoir sur les Kurdes - PKK, PYD, etc.

Quand on met tout cela bout à bout, je pense que la France a raison d'être dans le jeu, d'essayer de rapprocher les points de vue. Avec Vienne, nous avons maintenant quelque chose sur la table qui n'existait pas auparavant, mais on ne peut assurer que l'on va pouvoir tenir les dates. Il faut toutefois pousser en ce sens.

Bizarrement, l'accord de Vienne est passé complètement inaperçu, mais il est vrai que c'était au lendemain de la tragédie française. C'est pourtant quelque chose d'important. Nous devons nous retrouver dans un mois environ ; on verra comment les choses vont avancer sous l'impulsion des Nations unies.

J'aborde à présent les questions de Mme la présidente Guigou - Mossoul, Raqqah, etc. Que se passe-t-il sur le terrain ?

Nous avons montré aux Américains, il y a déjà plusieurs semaines de cela, des clichés photographiques où 2 000 camions, en file indienne, attendaient d'être ravitaillés. Je vais fâcher M. Myard, mais une partie de ces cargaisons vont chez Bachar al-Assad…

Nous-mêmes avons étudié cette question scandaleuse. Ces gens apportent des ressources à Daech : pourquoi ne leur tire-t-on pas dessus ?

Il y avait un risque que des attaques contre ces camions soient constitutifs d'un crime de guerre, dès lors que les conducteurs ne sont pas assimilés à Daech et ne sont pas des militaires. Qu'ont fait les Américains à ce sujet ? Ils ont distribué des prospectus au-dessus des camions. Une partie des véhicules et des chauffeurs est partie. Ils ont ensuite bombardé et touché de nombreux camions.

Il est évident, le droit demeurant le droit, qu'il faut quand même trouver une solution. Cela n'a pas de sens ! C'est un des éléments d'approvisionnement principaux. Pour couper cette filière - et cela explique la stratégie que nous avons utilisée - il convient de couper la route principale entre Mossoul et Raqqah.

Nous agissons à partir de nos propres renseignements, mais nous n'avons pas les mêmes moyens que les Américains. Ils se sont engagés à le faire. Nous partageons l'hypothèse formulée par Mme Guigou. Daech a subi des revers, comme à Sinjar ou ailleurs. Selon une stratégie classique, ils veulent exporter la guerre à l'extérieur, en Europe bien sûr, et s'ils le peuvent, aux États-Unis ou dans d'autres pays.

Hier, lors du G20, nous discutions avec le président de Malaisie et le Premier ministre de Singapour. Il existe maintenant au sein de Daech une légion « Asie du Sud-Est », spécialisée, à partir de recrutements locaux, pour atteindre les pays de la région. Tout le monde a maintenant peur.

Je ne reprendrai pas ce qui a été dit, et qui est tout à fait juste, mais le format des attentats de Paris augmente cette peur. Chacun est touché.Lisez la revendication de Daech sur ce qui s'est passé. J'ai attiré l'attention de Mme Merkel sur ce point. Ils expliquent avoir visé le stade parce qu'il n'y a rien de plus populaire que le football, et que la France et l'Allemagne sont des pays qui ont pris position contre eux. Ils ont attaqué le Bataclan et les restaurants parce qu'il s'agissait de centres de la perversité, etc.

Je n'apprécie pas le débat - et je souhaite que l'on partage la même impression - qui porte sur le fait de savoir si nous avons été agressés parce que nous sommes intervenus en Syrie. Ils cherchent à nous atteindre pour ce que nous sommes, que personne ne se fasse d'illusions ! Tout ce qui n'est pas sous leur domination ou leur idéologie doit être détruit, qu'il s'agisse de musulmans qui ne répondent pas à leurs injonctions, ou des catholiques. C'est une affaire de légitime défense.

Les crimes de janvier ont été commis alors qu'on n'était pas encore intervenu en Syrie. Ne nous égarons donc pas ! Lorsqu'on est attaqué et menacé, il faut se défendre, sans quoi on n'est pas digne de représenter son pays.

Une question a été posée à propos de la terminologie. On en parlait ce matin lors de la visite du Premier ministre du Qatar. Il ne faut pas fuir les mots. Camus disait : « Il faut désigner les choses telles qu'elles sont », mais il faut aussi penser aux musulmans. Je ne connais pas la traduction des termes « État islamique » en arabe, mais le Premier ministre du Qatar nous a expliqué refuser les mots d' « État islamique », d'abord parce qu'il ne s'agit pas d'un État, ensuite parce que cela s'apparente, sur le plan du vocabulaire, au mot de « musulman ». Les Qataris reconnaissent que ce sont certes des musulmans, mais qui abusent de la religion. Nous avons choisi la dénomination de Daech parce que tout le monde la comprend et qu'elle constitue en plus - bien que je ne parle pas arabe - une désignation péjorative.

On ne va toutefois pas s'enfermer dans ce débat ; les deux termes peuvent être utilisés. Chacun fera comme il l'entend.

Pour ce qui est de la résolution au Conseil de sécurité, un certain nombre ont déjà été déposées. Ce n'est pas ce qui va bouleverser les choses. J'ai toutefois bien compris le sens de votre question. C'est nous qui tenons la plume, et nous allons le faire de façon que tout le monde puisque voter cette résolution anti-Daech, qui sera très claire et qui doit afficher un rassemblement dans un esprit de coalition.

Il fallait le faire, mais ce n'est pas ce qui va bouleverser les choses...

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Robert del Picchia, sénateur

Les Chinois l'accepteront-ils ?

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Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

Oui.

Quid de l'article 42-7 du traité de Lisbonne, qui n'a encore jamais été utilisé ? Jean-Yves Le Drian, après que le président Hollande en ait fait l'annonce, l'a expliqué à ses collègues ministres de la défense, qui ont trouvé l'idée très bonne. L'invocation de cette clause relève de deux ordres : tout d'abord, c'est la première fois que cet article est utilisé. La France ayant bel et bien été attaquée, le cadre s'applique bien, beaucoup plus que l'article 5 de l'OTAN, qui vise d'autres circonstances et qui, si on l'appliquait, risquerait d'être en contradiction avec la prétention de rassembler tout le monde. Politiquement et symboliquement, il s'agit donc d'une affaire importante.

Vous avez vu ce qui s'est passé à l'issue du discours du Président de la République. On verra ce que cela donne, mais la Commission européenne, dans ses déclarations, a laissé entendre, la France étant à peu près la seule à dépenser de l'argent pour la défense, et étant attaquée, qu'il faudrait en tenir compte.

Ce n'est pas non plus une raison pour faire n'importe quoi du point de vue économique...

Les ministres de la défense ont annoncé ce matin qu'ils étaient disposés à apporter une aide à la France. Que va-t-on leur demander ? On est en train d'y travailler avec le ministre de la défense. Cela peut être une participation aux frappes en Syrie et en Irak - certains peuvent l'accepter, d'autres non - des contributions en effectifs et en moyens à la MINUSMA, car ce qu'on n'aura pas à faire d'un côté, on pourra le faire de l'autre, des contributions aux missions européennes d'entraînement et de formation, que ce soit EUTM Mali ou l'EUMAM RCA, même si nous ne sommes pas seuls, ou encore la mise à disposition de nos forces, au Sahel essentiellement, des moyens de soutien dont nous manquons : avions ravitailleurs, avions de transport, hélicoptères lourds notamment.

La défense est en train d'en faire le recensement, et nous allons envoyer les lettres.

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Robert del Picchia, sénateur

Qui pourrait nous aider militairement parlant ? La Belgique ?

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Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

Certains ont quand même des éléments, même si, c'est parfois difficile. Les Anglais s'appuient sur le drame français. On en a parlé hier avec David Cameron, Ils essaient de changer de position. Il faut toutefois qu'ils présentent l'affaire au Parlement. Il semble que les attentats français les aient vraiment touchés très profondément. Les Anglais sont également menacés. M. Perrin m'a interrogé sur l'Arabie saoudite. Nous parlons bien sûr beaucoup avec les Saoudiens ; j'ai rencontré encore hier le roi et le ministre de la défense. Mon interrogation porte plus sur l'Iran. Peut-on mettre d'accord l'Iran, l'Arabie saoudite, et quelques autres ? Il faut le souhaiter, mais c'est très compliqué. Ce conflit remonte à bien longtemps, et les solutions ne peuvent être les mêmes que celles que la France a trouvées en adoptant la laïcité, qui est ici, sans mauvais jeu de mots, une bénédiction

La France a connu depuis le Moyen âge des guerres de religion épouvantables, qui ont duré jusqu'au XVIII e siècle et qui n'ont été réglées que lorsque nous avons pu faire le départ entre l'ordre du religieux et l'ordre du politique ou du civil, avec la création de l'État par les philosophes, Hobbes, etc., et, bien plus tard, avec la séparation de l'Église et de l'État. Ce concept, dans les pays dont nous parlons, est inconcevable. Il existe une confusion entre le religieux et le politique depuis des siècles, qui est en train d'être réactivé.

Le rôle de la France, je le répète ici, indépendante, est de parler avec tout le monde et d'essayer, tout en défendant nos propres intérêts, de trouver des solutions de paix. Nous allons continuer en ce sens, tout en sachant que c'est très difficile.

M. Dufau, m'a demandé quel doit être le périmètre de la coalition internationale. Le plus vaste possible ! De ce point de vue, il n'y a pas de contradiction entre ce que nous avons dit il y a quelques semaines, ce qu'ont dit les Russes et ce que veulent les Américains.

Jusqu'à présent, la coalition consistait seulement à se prévenir mutuellement lorsqu'on envoyait des avions dans les airs, afin qu'ils ne se considèrent pas comme ennemis les uns les autres. Si on échange des renseignements, si on peut avoir des capacités d'attaques communes, c'est autre chose.

L'un des participants au G20 disait une chose simple, que doivent penser beaucoup de nos concitoyens : Daech est certes constitué de monstres, mais ne représente que 30 000 ou 40 000 personnes. Si l'ensemble des nations du monde coalisées ne sont pas capables de les anéantir, il y a quelque chose qui ne va pas ! Ce n'est évidemment jamais si simple, mais il faut de temps en temps revenir à des considérations assez basiques.

Monsieur Myard, la sanction à l'égard de la Russie est un autre débat. Il s'agit de la question ukrainienne. On a déjà traité le sujet. J'entends des critiques sur notre politique étrangère, mais quel pays arrive à faire en sorte que les uns discutent avec les autres ? C'est bien la France ! Dans le format Normandie, nous avons deux problèmes ; celui du cessez-le-feu avance quelque peu ; quant au problème politique pour l'application des accords de Minsk, les Russes affirment qu'ils ne bougeront pas tant que nous n'aurons pas réglé la question constitutionnelle, et les Ukrainiens, qui sont de plus en plus anti-Russes, alors que M. Porochenko a besoin d'une majorité au Parlement, ne veulent pas se plier à ce que demandent les Russes.

Dès lors qu'on ira dans le sens du processus de Minsk - auquel on ne parviendra pas avant la fin de l'année - on pourra évidemment alléger les sanctions, mais encore faut-il que ledit processus soit respecté.

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Yves Pozzo di Borgo, sénateur

Qu'en est-il de la présence au sol ? Qui va y aller ? Les Kurdes, les Iraniens, les Turcs, les Américains ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Hier, lors du discours du Président de la République devant le Congrès du Parlement, nous avons relevé une évolution manifeste de la position de la France concernant la situation en Syrie.

Vous étiez précédemment en contact avec l'opposition syrienne et l'armée syrienne libre, et vous ne vouliez pas entendre parler de Bachar el-Assad. Vous nous dites aujourd'hui qu'il faut parler avec tout le monde. Je le pense, mais pourquoi écarter Bachar el-Assad des discussions ? Pourquoi ne pas parler avec un adversaire ?

En second lieu, le nombre de réfugiés est aujourd'hui important. Ils éprouvent toutes les difficultés à rejoindre notre pays. Nous sommes prêts à les accueillir, mais il est pratiquement impossible d'obtenir des visas : il faut aller soit à Ankara, soit à Beyrouth. Ne peut-on trouver une solution pour que ceux qui le souhaitent puissent obtenir un visa en Syrie ?

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Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

Nous avons tout un dispositif en matière de visas. Je ne puis vous donner les chiffres, que je n'ai pas revus récemment, mais il existe un dispositif pour accueillir un nombre important de réfugiés syriens. Certes, leur nombre est très faible par rapport au nombre total de réfugiés. Vous avez eu l'occasion d'en accueillir certains ; je l'ai fait aussi. Dès lors qu'ils ont une attache avec la France...

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Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

Il s'agit de pays en guerre. Il y a en outre, vous le comprendrez - et je pense que personne ne le contestera - quelques vérifications à effectuer. Chacun comprend de quoi je veux parler : il ne s'agit pas de faire venir des Syriens qui auraient pour objectif de s'en prendre à la France. Les instructions politiques sont d'être ouvert, sans être naïf.

Si vous avez des cas particuliers, vous pouvez me les signaler. Je l'ai dit également à nos consulats et à nos ambassades.

Je n'en ai pas parlé, mais nous avons évidemment pris les dispositions pour renforcer notre personnel et les protections extérieures, et je veux rendre hommage aux personnels du Quai. Dans les attentats, ce sont eux qui ont les contacts avec les familles. Vous imaginez à quel point c'est difficile. C'est un travail très pénible et les fonctionnaires le font de manière formidable, avec tact et efficacité. Je veux leur rendre ici hommage.

S'agissant de la question de la présence au sol, nous n'y sommes vraiment pas favorables pour ce qui nous concerne. Je sais qu'un grand homme disait qu'on parle toujours des leçons de l'Histoire, mais que l'Histoire n'apporte jamais de leçons. Peut-être, mais quand même, les leçons récentes de l'Histoire rappellent qu'une présence au sol se transforme très vite en armée d'occupation et, du même coup, par un rejet de la population. On aboutit donc exactement à l'inverse du but poursuivi. Vous avez tous des exemples à l'esprit.

Il faut toutefois des personnes au sol. Qui sont-ils ? Soit des Syriens, soit des Arabes proches. Il existe - et ce n'est pas négligeable - une armée syrienne libre. Certains groupes armés, ou qui peuvent l'être, ne sont pas des groupes terroristes.

On peut aussi compter sur les Kurdes, qui sont des combattants extrêmement courageux. On trouve aussi d'autres populations, qui sont voisines, mais pas de troupes au sol des pays de l'ouest. Le Président de la République et moi-même considérons que des troupes au sol constitueraient une grave erreur politique.

Enfin, vous évoquez le fait de parler avec tout le monde. Je ne voudrais pas qu'il y ait de confusion dans votre esprit, même si je crains de vous décevoir. Nous n'avons pas changé d'avis sur le fait, au bout du compte, qu'il n'existe pas de Syrie, au sens de Vienne, avec Bachar el-Assad comme perspective. Il est le principal responsable de la mort d'une grande partie de son peuple ! Mettez-vous un instant à la place des Syriens dont la famille a été victime de Bachar el-Assad à qui on va expliquer que c'est lui qui va diriger le pays pour la décennie à venir : c'est inacceptable ! Par souci d'efficacité, il faut un gouvernement d'union. Avec qui le composer ? Je vous le répète depuis longtemps, au point de vous lasser : il faut faire appel à des éléments du régime et de l'opposition dite modérée.

Les éléments du régime ne sont pas nécessairement des anges, mais si nous ne voulons pas assister à un écoulement des institutions et arriver à la situation irakienne, il faudra bien s'entourer. Il faudra également adjoindre des éléments de l'opposition.

Dans la discussion, lorsqu'il s'agira de composer le gouvernement, il y aura bien évidemment des représentants de Bachar el-Assad. Une chose est de discuter, une autre est de dire à quelqu'un qu'il sera, de toute éternité, le dirigeant de son pays.

J'ai entendu un député échanger avec Bachar el-Assad. Vous avez lu la déclaration de ce dernier qui, au-delà de quelques zakouski, dit en gros que la France n'a qu'à s'en prendre à elle-même concernant les actes terroristes. Un député français ne peut l'accepter ! Je ne peux partager cette conception.

Ne confondons pas tout ! Les parlementaires sont libres. La discussion a lieu avec les différentes parties prenantes, mais il faut arriver à la paix en Syrie, à la liberté et à un régime qui permette à chacun de vivre et de coexister. Nous ne croyons pas un instant que l'on puisse y arriver en disant, comme l'Iran, que c'est à Bachar el-Assad de présider aux destinées de son pays. L'opinion fait l'amalgame, et c'est notre rôle, aux uns et aux autres, me semble-t-il, dans une matière aussi compliquée, de dire où nous voulons aller.

Le Président de la République l'a dit avec beaucoup de force hier : il ne faut pas cacher les difficultés, qui sont grandes, ni le fait que les risques continuent à exister. Le Premier ministre insiste souvent sur ce point, d'où les décisions qui sont proposées. Il ne faut pas non plus cacher que les autres pays courent également des risques, mais il convient de tracer la piste.

Il faut accepter de s'adapter, et des modifications peuvent survenir. M. Poutine, jusqu'à hier, frappait à 80 % l'opposition modérée, et envoie aujourd'hui ses bombardiers sur Raqqah. C'est très bien ! Cela prouve que la France n'a pas eu tort d'y envoyer ses propres avions, ni de dire qu'elle était prête à se rapprocher de tous ceux qui désirent travailler dans un sens positif.

Merci à tous. (Applaudissements).

La séance est levée à dix-neuf heures.