La réunion

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Présentation, ouverte à la presse, du rapport d'information sur la Libye (Mme Nicole Ameline, présidente – MM. Philippe Baumel et Jean Glavany, co-rapporteurs).

La séance est ouverte à neuf heures trente.

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Nous entendons aujourd'hui nos collègues Nicole Ameline Jean Glavany et Philippe Baumel qui vont nous présenter les grandes lignes du rapport adopté par la mission d'information sur la Libye. Cette mission était composée également de : Chantal Guittet, Jean-Claude Guibal, François Loncle et Jean-Luc Reitzer.

Votre rapport témoigne du travail de la mission d'information sur un sujet dont l'importance stratégique est tout à fait capitale, pour la France. Il l'est tout autant pour l'Europe, dont la mobilisation en faveur d'un règlement politique ne semble pas à la hauteur des enjeux, alors que notre ministre de la défense est allé jusqu'à qualifier la Libye de « conflit d'après-demain ». Vous indiquez dans votre rapport qu'un accord et possible mais bute encore sur des obstacles, vous nous direz lesquels, mais surtout, qu'il faut modifier le paradigme des négociations pour les faire aboutir. Vous nous direz comment.

Vous évoquez aussi l'importance de s'appuyer sur un consensus régional solide : comment la France, forte de ses relations de confiance avec tous les voisins de la Libye, notamment l'Égypte, le Tchad et l'Algérie, peut-elle y contribuer ? Question incidente : quel est l'impact de la crise libyenne sur la Tunisie, dont la situation politique et sécuritaire est, on le sait, déjà fragile ?

Votre rapport contient enfin des informations qui viendront nourrir le groupe de travail sur le terrorisme que nous avons créé car il contient des informations utiles sur le terrorisme en Libye et les moyens de le combattre. Je serai pour ma part très attentive à ce que vous pourrez nous dire des positions de Daech en Libye – on nous dit que ce pays serait devenu la porte de l'Afrique pour cette organisation et que des combattants partis en Irak ou en Syrie y seraient rappelés – sans oublier d'autres groupes terroristes (Ansar al-Charia par exemple) qui prospèrent à la faveur du vide institutionnel.

Je vous rappelle qu'au terme de notre réunion, la commission sera appelée à se prononcer sur l'autorisation de publier ce rapport et non pas sur le contenu lui-même du rapport.

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C'est avec un sentiment d'urgence que nous vous présentons aujourd'hui ce rapport sur la situation en Libye.

D'abord en raison de l'importance stratégique de cette crise pour la France et l'Europe. La Libye, pas plus que la Syrie, ne sont des questions lointaines, bien au contraire. Le premier message de ce rapport est que l'instabilité de notre voisinage nous concerne au premier chef.

Parce que la détermination dont nous faisons preuve pour éradiquer la menace terroriste en Irak ou en Syrie, restera vaine tant que des États faillis leur offriront un repli stratégique. Nous l'avons vu avec Al-Qaida dont le centre de gravité a migré vers la péninsule arabique, la Corne de l'Afrique et le Sahel. Le scénario à l'oeuvre sous « l'ère Al-Qaida » se reproduit sous nos yeux en Libye. Dans ce pays, Daech contrôle désormais 200km de côtes autour de Syrte, l'ancien berceau du régime de Kadhafi, et pourrait s'étendre à la faveur du vide politique qui s'installe dans le pays.

Considérer la Libye comme un conflit secondaire revient par conséquent à commettre une erreur stratégique grave, que nous pourrions chèrement payer : si nous échouons à stabiliser la Libye, attendons-nous à ce que Syrte succède à Raqqa comme capitale de l'État islamique. A deux heures des côtes européennes, un pays surarmé pourrait être menacé d'implosion si le conflit persiste. Nos interlocuteurs ont même parlé de somalisation, d'irakisation de la Libye.

Le deuxième constat de ce rapport, c'est que seule une voie politique permettra aux libyens de sortir de ce que certains appellent la « deuxième guerre civile ». L'urgence c'est donc aussi et avant tout celle de la signature d'un accord.

Cet accord entre Tripoli et Tobrouk est possible, il a été paraphé, et un gouvernement d'union nationale annoncé en octobre dernier. Pourtant, les deux Parlements rivaux de Tobrouk et Tripoli l'ont rejeté. Nous sommes donc au point de bascule où l'accord est à portée de main mais où les plus extrêmes, qui ont intérêt au statu quo, prennent en otage les négociations. La Libye est aujourd'hui à un tournant de son histoire : elle a le choix entre « l'accord et la destruction ».

Soit un accord politique solide est atteint et le gouvernement d'union nationale parvient, avec le soutien de la communauté internationale, à asseoir sa légitimité et à stabiliser le pays.

Soit les forces centrifuges, qui ont un intérêt direct à la partition etou à la fragmentation du pays l'emportent. Dans cette hypothèse, c'est le pourrissement durable d'un conflit dans lequel aucune des parties n'est en mesure de l'emporter, qui est le plus à craindre, car il pourrait remettre l'existence même de la Libye en question, mais aussi la stabilité de l'ensemble de la région. Ce scenario catastrophe n'est évidemment pas à exclure.

Il n'y a pourtant pas d'inexorabilité au conflit et à la fragmentation. Il y a d'abord de réels facteurs d'unité en Libye – la population elle-même, pour commencer, qui est lasse de cette guerre et de ce qui retarde l'accord. Il y aussi des forces modérées et une société civile sur lesquelles il faut savoir s'appuyer. Ainsi, dans le Sud, dans l'Est, des accords de cessez-le-feu locaux ont été passés, qui doivent être intégrés au processus politique à haut niveau. Par ailleurs, la Libye est un pays riche, qui dispose de fortes réserves, de ressources hydrocarbures qui, hasard de la géographie, sont au centre du pays. Par ailleurs, rien plus qu'une menace extérieure ne fait l'unanimité chez les libyens, il y en a deux, qui sont corrélées : l'expansion de Daech qui est un facteur d'unité puissant au sein de la population et la menace d'une intervention militaire étrangère, qui tout à la fois heurte le patriotisme des Libyens et les incite à régler leur problème entre eux.

Il faut donc se donner enfin les moyens de gagner la paix.

Le premier point à souligner est que la mobilisation de la communauté internationale en faveur du règlement de ce conflit doit être à la hauteur des enjeux, elle ne l'est pas aujourd'hui. Il faudrait qu'un petit groupe de pays européens soient à l'avant-garde sur le sujet, je pense notamment à l'Italie, la Grande-Bretagne, l'Espagne, l'Allemagne et la France. Car la Libye est un test pour la crédibilité de l'Union européenne dans son voisinage Sud.

L'appui de l'Europe sera évidemment technique – nous attendons la reprise rapides des programmes de soutien financés par l'Union – mais il doit aussi être politique : les instruments multilatéraux comme la politique de voisinage de l'Union, mais aussi le dialogue en format 5+5 doivent être activés pour avoir ce dialogue politique avec les Libyens.

Le deuxième point sur lequel il faut je crois insister, c'est la dimension régionale de la crise. Pour les pays de la région, nous avons pu le constater lors de notre mission en Egypte, en Tunisie et en Algérie, la Libye est une menace existentielle. Nous partageons les inquiétudes du Caire, qui, déjà confronté au djihadisme au Sinai et frappé régulièrement par des attentats, craint pour sa propre stabilité, nous partageons aussi celle de Tunis, laboratoire des printemps arabes, qui accueille aujourd'hui 1,5 million de Libyens alors que la situation économique, sociale, politique et sécuritaire est déjà fragile et qui a été touchée par des attentats préparés en Libye. Nous partageons aussi les inquiétudes d'Alger, qui pointe l'attaque d'In Amenas au Mali comme l'un des premiers contre coups du chaos libyen, et craint que ce chaos n'emporte avec lui le Sahel. Nous partageons enfin celles du Tchad et du Niger, car les frontières dans cette région sont poreuses et difficile à contrôler. Notre conviction est que les voisins de la Libye ont un rôle crucial à jouer dans la stabilisation du pays.

Le rapport insiste sur la nécessité de changer le paradigme des négociations afin qu'elles aboutissent à la faveur de l'arrivée du nouvel envoyé spécial des Nations-Unies. Il insiste aussi, et je le répète, sur la nécessaire mobilisation quant à la situation sécuritaire et la lutte contre le terrorisme en Libye. Il me semble que quelques pays européens et les pays de la région doivent ensemble pousser leurs partenaires libyens à l'accord, et se préparer à jouer un rôle de premier plan dans le soutien à la transition libyenne. La France entretient des rapports étroits avec l'ensemble de ces pays, elle peut contribuer à forger un fort consensus au niveau régional, et international, pour sortir de l'impasse.

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Vous avez le rapport, je ne vais donc pas le lire, mais me borner à quelques remarques.

La Libye est un pays peu peuplé, et riche, même si les revenus de la rente pétrolière sont en chute libre. Il y a en Libye quelques grandes zones d'influence : Tripoli au nord-est, Tobrouk au nord-est, entre les deux 200 km de côtes contrôlés par Daech, puis le sud, qui se partage entre Toubous, Touaregs et tribu arabes.

Dans les faits, c'est un pays complètement désorganisé au sens où il est dénué d'institutions étatiques solides ou d'une administration capable de relayer la politique d'un gouvernement. Le pouvoir est éclaté entre diverses légitimités. Les milices sont les maîtres du jeu au plan sécuritaire. Ce pays n'a jamais eu un appareil d'État en dehors du clan Kadhafi. Quand ce dernier a été éliminé, il n'est plus rienh resté.

Au plan politique, je reprendrai le mot d'une experte italienne Claudia Gazzini, rencontrée à Dakar : « la médiation des Nations-Unies, qui devait unir deux gouvernements rivaux, a finalement débouché trois gouvernements », car le gouvernement d'union nationale annoncé en octobre par Bernardino León a été rejeté par les autorités de Tobrouk et de Tripoli.

Les apparences sont toutefois trompeuses car ces gens se parlent. On peut voyager dans toute la Libye, même Bernard Henry Lévy a pu s'y rendre. On peut emprunter une ligne aérienne régulière pour aller de Tobrouk à Tripoli.

Nous avons d'ailleurs fait l'expérience, avec Jacques Myard, de ces apparences trompeuses en Libye. Il y a deux ans, lors d'un voyage, les représentants de la communauté française de Tripoli nous avaient demandé de faire lever les avertissements aux voyageurs sur le site du Quai d'Orsay au motif que la Libye n'était pas un pays dangereux. Le lendemain matin, un attentat touchait notre ambassade.

La Libye n'est pas encore plongée dans le « chaos ». Après ces six mois de travaux, une mission organisée en Egypte, nous ressortons avec une conviction profonde, Néanmoins, je porte ici une conviction profonde : le pourrissement de la situation, probable en l'absence d'accord solide, c'est un tapis rouge pour Daech, qui est bel et bien organisé. J'en veux pour preuve La Libye, comme l'expliquait Abou Bakr al-Baghdadi, est organisée en trois wilayas. Ce n'est donc pas une menace légère.

Les services de sécurité tunisiens, que nous avons rencontrés, nous ont dit leur certitude que l'ensemble des attentats récents en Tunisie ont été organisés et planifiés depuis la Libye. J'y ajoute l'inquiétude de nos services, et la conviction du ministre Jean-Yves Le Drian de l'éventuelle jonction entre Daech en Libye et les mouvements du Sahel. Il y a donc urgence. Sans réaction puissante des Libyens et de la communauté internationale, nous ne savons pas ce à quoi ce pourrissement peut mener.

Quelques mots sur l'intervention de 2011 : pour le rapport, nous avons souhaité trouver une rédaction consensuelle. La situation est telle, l'état d'urgence dans notre propre pays Nous avons, pour cette analyse lucide, reprise l'expression d'Hubert Védrine, « ni toute blanche ni toute noire ». L'intervention a permis d'éviter un massacre, ce qui doit être porté à son crédit. Cependant, il est exact que, d'une part, on nous a, a raison, reproché d'avoir tordu la résolution 1973 du Conseil de Sécurité ce qui nous est d'ailleurs régulièrement reproché par les Russes, et, d'autre part, nous n'avons pas su imposer l'accompagnement de la transition libyenne. Sur ce point, la responsabilité est aussi bien la nôtre que celle des Libyens.

Je terminerai sur les travaux de médiation de l'ONU, qui se trouvent aujourd'hui à un point de bascule. Bernardino León, à qui nous avons parlé longuement à Tunis, a accompli un travail considérable pour élaborer un compromis, pas à pas. Ce travail n'a hélas pas encore abouti. L'échec de sa mission s'explique peut-être par le fait qu'il a trop pratiqué le bilatéralisme là où il aurait fallu mettre les différents acteurs dans une pièce et leur imposer de trouver un compromis, en s'appuyant sur les voisins de la Libye notamment. La communauté internationale ne l'a par ailleurs pas suffisamment soutenu en imposant la pression qu'il aurait fallu, au nom de la vieille logique de la carotte et du bâton. Enfin, les révélations qui ont été faites par le Guardian sur les liens de Bernardino León et les Emirats arabes unis ont décrédibilisé le processus de négociation.

Un nouveau représentant vient de le remplacer, il y a donc urgence absolue à aider ce nouveau représentant à changer le paradigme des discussions. Il faut notamment à tout prix empêcher la prise en otage des négociations par les extrêmes, notamment les présidents des parlements rivaux, alors même que la majorité des parlementaires, modérés, sont favorables à l'accord.

Pour résumer, la communauté internationale doit donc forcer la porte de l'accord et se trouve dans l'obligation ardente d'accompagner la transition.

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J'aimerais ici insister rapidement sur le sud libyen, véritable « guerre oubliée » de cette crise, mais dont il faut bien saisir les tenants et aboutissants, car c'est une des clés de la crise. Il y a deux problèmes au Sud de la Libye, qu'il faut absolument dissocier :

– le premier est politique, il concerne l'opposition des trois groupes qui y vivent aujourd'hui : Touaregs, Toubous et tribus arabes.

– le deuxième est sécuritaire : le sud libyen est un espace immense et incontrôlable, où transitent tous les trafics, de stupéfiants, d'armes, d'êtres humains. C'est aussi un lieu de passage – moins que d'implantation (les djihadistes sont aujourd'hui davantage implantés au Nord en Libye) – pour des djihadistes qui opèrent ailleurs en Afrique subsaharienne

Premier problème, un problème politique. Trois groupes majeurs se partagent le contrôle du Sud libyen.

Les Toubous, de la frontière soudanaise à la zone d'OubariSebha, les Touaregs, dans l'Ouest, entre Ghadamès au Nord jusqu'à Oubari et les tribus arabes, qui sont présentes tant à l'Ouest qu'à l'Est.

Les Touaregs, quelques dizaine de milliers d'individus sont présents dans le sud-ouest, les Toubous, environ 300 000, sont également présent au Niger et au Tchad.

Enfin, les principales tribus arabes du Sud libyen sont aussi présentes en Cyrénaique (les Zuwayya cohabitent avec les Toubous dans l'oasis de Koufra).

Sous Kadhafi, l'apparente stabilité de la région reposait sur un système de type mafieux. Dans le cadre de sa politique régionale, Tripoli hébergeait tous les groupes rebelles comme levier d'influence potentiel sur ses voisins. Par ailleurs, le guide de la Jamahiriya « parrainait » les principaux chefs de clans et prélevait sa part sur les trafics. L'ancrage du régime dans la région était basé sur la mise en concurrence des communautés.

Sa disparition en 2011 a relancé la compétition entre les groupes. Dans le Sud-ouest, plus peuplé que le Sud-Est, les communautés Touareg, Toubou et Ouled Suleiman sont en concurrence pour le contrôle des villes (Ubari, Sabha, Murzuq), des axes routiers et des ressources économiques. A Sabha, Toubous et Ouled Suleiman se livrent à des affrontements chroniques.

Depuis septembre 2014, une nouvelle ligne de clivage est apparue entre Toubous et Touaregs à Oubari, ville qui accueille une forte minorité touboue.

Au Sud-est, la région de Koufra est le théâtre d'affrontements entre Toubous et Arabes Zwai pour des raisons tant politiques qu'économiques.

L'enjeu principal de ces affrontements armés est le contrôle des routes de trafics et des installations pétrolières. Mais ils sont surtout le symptôme de reconfigurations profondes suite à la chute du régime.

La révolution a provoqué des déclassements et reclassements politiques qui ne sont pas encore stabilisés.

La lutte se caractérise notamment par une affirmation des Toubous, dotés d'une nouvelle légitimité révolutionnaire après avoir été marginalisés par le régime. Les Toubous bénéficient de ce renversement et les Touaregs ne veulent pas perdre leur place ni être privés de leurs ressources économiques. Ainsi c'est l'influence accrue des Toubous à Oubari, qui a commencé de créer des tensions avec la majorité touareg en août 2014. Par ailleurs, le Fezzan est la « dernière région à avoir rejoint la révolution, en restant le fief et le refuge des vaincus face aux persécutions de certains révolutionnaires ». Pour cette raison même, c'est une des clés de la résolution de la crise libyenne. La question de la réconciliation, qui est au coeur de la crise libyenne aujourd'hui, y est centrale

Enfin, le conflit obéit comme partout en Libye à des enjeux très locaux mais la dynamique de guerre civile depuis 2014 a accentué les rivalités car le camp de Tripoli et les autorités de Tobrouk y soutiennent des acteurs opposés

Les Touaregs sont pour la plupart alliées à Tripoli (c'est notamment grâce à leur appui qu'ils ont récupéré Al-Sharara, l'un des gisements de pétrole les plus importants du pays, en novembre 2014), tandis que les Toubous bénéficient pour la plupart de l'aide du camp adverse, celui de Tobrouk, qui réunit notamment les anciens kadhafistes. Le général Haftar est accusé de fournir du matériel de guerre aux Toubous, tandis que les autorités à Tripoli sont accusées d'armer les Touaregs depuis Sharara. Ces soutiens ont tendance à attiser dangereusement les rivalités.

Le deuxième problème qui se pose au Sud est de nature sécuritaire

Le sud libyen est un lieu de transit pour tous les trafics qui prospèrent dans la région, mais aussi pour des groupes terroristes.

Les déplacements des terroristes entre le Sud de la Libye et la Bande Sahélo-Saharienne sont facilités par un corridor stratégique : la Passe de Salvador. Elle est située à la triple frontière de l'Algérie, du Niger et de la Libye. C'est une zone d'une importance majeure, la France y a implanté une base avancée à Madama, située à 100 kilomètres de la frontière libyenne, pour lutter contre la menace djihadiste. Les groupes terroristes parviennent néanmoins à déjouer la surveillance aérienne en formant « de petits convois de un, deux ou trois pick-up pour ne pas être repérés. Certains se déplacent même à dos de chameau. »

Le Sud n'est pas aujourd'hui une zone d'implantation mais de transit des djihadistes. Mais il y a deux risques majeurs :

– d'abord, des groupes terroristes, dont Daech, chercheraient à s'implanter dans ces territoires (notamment vers Koufra) afin de profiter de la manne que représente l'ensemble des trafics dans la zone.

– ensuite, et surtout, la dimension sahélienne de l'affaire ne doit pas être oubliée. Il existe des risques de reflux et d'implantation d'extrémistes depuis le Mali, qui pourraient tendre à faire du Sud libyen une zone de refuge, tout en tissant, et c'est la le vrai risque, celui d'une jonction Nord-Sud, des liens avec les islamistes de Benghazi et de Derna. Le Sud de la Libye est donc un enjeu régional fondamental pour le Tchad, soutien de la France au sein de l'opération Barkhane, qui craint de ne pouvoir faire face aux attaques terroristes. Elle est un enjeu important pour le Niger et le Mali, qui eux aussi doivent faire face à Boko Haram.

Que pouvons-nous en tirer comme conclusion ?

Tout d'abord, et pour ce qui est de la guerre entre Toubous, Touaregs et tribus arabes, il est possible d'inverser la tendance au déchirement, en favorisant le dialogue entre ces communautés. Les Libyens n'ont d'ailleurs pas attendu pour tenter la signature d'accords locaux. C'est un processus difficile, car les exactions commises contre les vaincus du régime ont bouleversé le paysage politique. Il y a urgence, car la situation humanitaire et sécuritaire est de plus en plus alarmante dans le Sud. L'aide peine à arriver jusque dans ces zones reculées.

Ensuite, il faut aussi impérativement intégrer d'avantage l'ensemble de ces communautés au dialogue national. Cette intégration et le maintien de bonnes relations avec les différents communautés est d'autant plus capitale qu'il est impossible d'espérer contrôler les frontières, ni lutter efficacement contre les terroristes, sans les avoir à nos côtés. La France peut ici jouer un rôle important car elle entretient de bonnes relations, pour certaines très anciennes, avec toutes les communautés au Sud de la Libye.

Enfin, nous partageons les inquiétudes des pays voisins de la Libye, car ce pays pourrait faire basculer le désordre stable du Sahel. Notre pays prend toute sa part dans la lutte contre le terrorisme et pour la stabilisation de la région sahélo-saharienne, mais elle y est bien seule, il faut donc d'une part, mobiliser nos partenaires européens sur le sujet, et d'autre part, pousser à la suite du dispositif Barkhane et en lien avec la force africaine en attente et les pays de la région, à la création d'une instance de concertation sur la sécurité dans la zone sahélo-saharienne au sens large à l'image de l'organisation de la sécurité en Europe.

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Merci pour ce passionnant rapport qui est précis et intéressant, et merci d'y avoir évité toute polémique inutile.

J'aimerais vous interroger sur le rôle de l'Europe dans le règlement de la crise libyenne, mais aussi sur celui de la France.

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Une question pour Philippe Baumel : on entend dire que les Toubous et les Touaregs envisagent de signer prochainement un accord. Qu'en est-il ? Concernant les milices, qui jouent un rôle important, comment leur rôle évolue-t-il ?

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Je partage ce que dit Jean Glavany. Effectivement, Kadhafi était l'État, et dès lors que l'on a éliminé son clan, il ne reste plus rien. On ne l'avait pas prévu, mais on ne peut pas prévoir l'histoire.

Le seul problème que je vois dans ce rapport, c'est l'emploi de deux mots-valise dont le sens m'échappe, qui sont : « communauté internationale » et « Europe ».

Sur le fond, il y a un problème majeur : l'État islamique prospère dans le Sud, ce qui a pour conséquence de mettre en danger le Tchad et les États voisins. Or, des puissances étrangères ont aidé l'État islamique, en particulier la Turquie, notamment par la livraison d'armes.

Quelle réponse apporter ?

Peut-être pourrait-on organiser un mandat international, mais cela serait illusoire. Je crois que deux États, l'Algérie et l'Égypte, pourraient intervenir. L'Algérie ne le fera peut-être pas, mais l'Égypte est déjà intervenue par voie aérienne, à l'occasion de quoi les États-Unis avaient restreint son usage d'avions américains, ce qui avait permis à la France de proposer les siens. Quant à nous, je ne crois pas que cela soit possible.

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Jean Glavany a parlé de chaos. Il y a en Libye environ vingt millions d'armes. Quels sont les risques d'exportation du conflit vers l'Europe ?

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On pouvait craindre que ce rapport soit empreint d'une tonalité partisane mais je constate avec plaisir que ce n'est pas le cas.

Je souhaiterais cependant ajouter un point. Le rapport aurait pu établir un lien avec la situation en Irak et en Syrie. Le pourrissement en Libye durera aussi longtemps que la situation ne sera pas réglée dans cette région, un peu comme dans le cas du Liban, sur lequel nous avons également travaillé.

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Comme souvent, les femmes et les enfants sont les premières victimes de ce conflit. Quelle est la place accordée aux femmes dans la reconstruction de la Libye ?

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Parmi les métastases de l'État islamique, il y a bien sûr la Libye, mais il y a aussi le Yémen. Il nous faut surveiller cette nouvelle Syrie que nous devons à nos amis saoudiens.

Concernant la Libye, il existe en effet un lien direct entre les combattants de l'État islamique en Libye et en Syrie. Cette année, 500 combattants tunisiens auraient transité entre les deux pays en empruntant la compagnie Turkish Airlines, ce à quoi il faut ajouter trois bateaux affrétés en Turquie et interceptés qui transportaient du matériel de guerre vers la Libye.

Concernant l'avenir de la Libye, tous les éléments sont réunis pour qu'un État émerge. Il y a des gens éduqués et des gens riches. Pourrait-on trouver dans la charte des Nations unies la possibilité d'organiser en Libye une sorte de tutelle internationale ?

Deuxième point concernant l'avenir : dans l'hypothèse où la Libye se décomposerait du fait d'une intervention étrangère par procuration, et si Daech prospérait dans le Sud, faisant la jonction avec les mouvements djihadistes du Sahel, que ferions-nous avec nos 3 000 militaires de l'opération Barkhane ? C'est un point que nous n'avons pas pris en considération quand nous avons déclenché cette opération.

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Vous avez fait un travail remarquable et consensuel.

Sans vouloir revisiter l'histoire, les Russes ne sont pas les seuls à avoir dit que nous avions outrepassé le mandat que nous confiait la résolution 1973 du Conseil de Sécurité en 2011. Même David Cameron l'a reconnu. Le sauvetage de Benghazi était une bonne chose, mais la suite a été catastrophique. Mais tout cela appartient au passé, même si suis heureux de m'être opposé à cette intervention.

L'opération Barkhane peut être adaptée, mais aujourd'hui, c'est une opération qui fonctionne bien, de même que l'unité stationnée à Madama, au Niger.

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Lorsque nous sommes allés, Pierre Lellouche et moi, à Tripoli, peu après l'intervention de 2011, nous avons eu l'impression d'être accueillis en libérateurs. C'était très marquant, mais nous confondions alors Tripoli avec la Libye. Le reste du pays était plus complexe.

Je me suis rendu à Madama, où sont stationnées deux types d'unités.

Il y a les Nigériens, qui sont environ 200 et qui sont logés dans le fort de Madama, construit en 1927 pour limiter les incursions italiennes et qui avait été abandonné depuis longtemps, jusqu'à l'opération Barkhane. Les Nigériens doivent contrôler la frontière, mais ils ne sont pas assez nombreux pour vérifier le chargement de tous les camions qui passent devant eux.

Il y a par ailleurs les Français, mais quelle est leur mission ? On nous dit que c'est le renseignement, mais le renseignement repose sur les éléments basés à Gao et sur les drones. Je suis étonné qu'il n'y ait pas encore eu d'attentat à Madama.

Quant à la frontière, environ 100 000 réfugiés l'ont passée l'année dernière et 200 000 l'auront passée cette année, mais il n'y a rien sur ce sujet.

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Concernant les relations entre Toubous et Touaregs, différentes tentatives de médiation ont été conduites ces derniers mois pour aboutir à un accord de cessez-le-feu. A cet égard, une médiation initiée par le Qatar s'est récemment soldée par un échec. Certains responsables des communautés en appellent à la médiation de la France, parce que notre pays est capable de dialogue avec toutes les parties.

Les combats entre Toubous et Touaregs se sont par ailleurs intensifiés autour de la ville d'Oubari – stratégique pour le contrôle des multiples trafics de la région. Si l'accord n'est pas encore acquis, Toubous comme Touaregs sont en revanche conscients de la nécessité de mettre fin au conflit.

S'agissant de la mission confiée à nos militaires de la base avancée de Madama, elle ne consiste pas à arrêter le flux des migrants. Je rappellerai à cet égard le sort cruel réservé aux migrants en Libye.

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Plusieurs questions font référence à des points abordés succinctement lors de notre présentation mais très développés et explicités dans le rapport.

Nous insistons par exemple sur les liens entre la Libye et la Syrie et l'Irak: à cet égard, la déclaration d'Al-Baghdadi démontre à quel point Daech vise explicitement la Libye et la considère comme partie intégrante du projet de califat. Nous développons également la question de l'influence des puissances étrangères dans le conflit, notamment les accusations de double jeu mené par la Turquie que vous évoquiez.

S'agissant de la réévaluation du dispositif militaire de l'opération Barkhane, ce sujet n'a pas été développé dans le rapport car il ne faisait pas l'objet de notre mission. Cependant, nous rappelons que toute évolution dramatique de la situation en Libye – et notamment l'expansion souhaitée par Daech du nord vers le sud – poserait inévitablement la question de la réévaluation de notre dispositif militaire.

Concernant la défiance répétée de M. Jacques Myard à l'égard de la notion de la communauté internationale, je rappelle que l'ensemble des parties libyennes discutent sous l'égide de l'ONU et de son Représentant Spécial – hier, M. Bernardino Léon ; aujourd'hui, M. Martin Kobler. Certes, le dialogue n'a pas encore abouti – et peut ne pas aboutir –, mais c'est le Représentant Spécial du Secrétaire général de l'ONU en Libye qui conduit les négociations. Nous devons donc l'aider au mieux afin de déboucher sur un accord concret et objectif.

A propos des milices, c'est en effet l'une des questions les plus difficiles. Il y aurait aujourd'hui en Libye plus de 300 milices, 200 000 à 250 000 personnes armées et des millions d'armes. L'intégration des milices dans une force nationale – police ou armée – est donc une question centrale et un chantier difficile. Nous devons nous assurer que les arrangements militaires soient décidés en étroite relation avec les pouvoirs locaux et les milices influentes, sans quoi le processus sera voué à l'échec.

Sur la proposition de mise sous tutelle du pays, je suis très dubitatif. Malgré l'éclatement du pays et la démultiplication des milices et des pouvoirs locaux, il reste un sentiment national extrêmement fort en Libye. Tout le monde sait qu'il suffirait de mettre un soldat étranger sur le sol libyen pour que nous assistions aussitôt à l'union nationale. L'idée d'une mise sous tutelle me paraît donc purement théorique.

Quant à la France, elle bénéficie d'une très belle image dans toutes les parties libyennes. Sa voix est attendue et respectée par les libyens mais également par les pays riverains : en particulier l'Egypte, l'Algérie et la Tunisie, lesquels sont extrêmement préoccupés par la situation libyenne. Il y a donc une conjonction de pays riverains avec lesquels nous pourrions trouver les forces d'une coalition, il en va de même avec le Tchad. Le rapport formule des propositions sur le rôle que pourraient jouer la France et l'Union européenne.

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L'Europe est aujourd'hui anti-stratégique car elle n'a pas compris que sa sécurité est à 360 degrés. Une partie des pays européens a un tropisme vers la Russie tandis qu'une autre partie n'a pas pris conscience de la présence de menaces au Sud de la méditerranée. J'estime que nous devrions disposer d'une Task Force européenne focalisée sur la rive sud de la méditerranée. L'Europe doit en effet requalifier ses priorités comme sa politique de voisinage. Nous ne pouvons pas répondre à la question libyenne qu'à travers l'opération Sofia, il nous faut adopter une approche très institutionnelle.

Je note par ailleurs que la configuration régionale est plutôt positive. Des pays comme l'Égypte sont très engagés sur l'accord politique et ont fait fi de leurs différences, offrant des conditions favorables pour effectuer une pression à tous les niveaux.

De façon générale, nous sommes confrontés à un arc de crises qui dépasse de très loin la Libye mais qui n'est pas traité aujourd'hui de manière adéquate. J'estime que nous devrions adopter rapidement une approche globale sur le sujet.

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Je vous remercie d'avoir bien mis en exergue les risques de diffusion de la menace à partir du territoire libyen, jusqu'à la profondeur du territoire africain. Nous discuterons en conférence des présidents de la forme sous laquelle nous pourrions poursuivre nos travaux sur la Libye. Approbation à l'unanimité.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

La séance est levée à onze heures.