Commission des affaires étrangères

Réunion du 8 décembre 2015 à 17h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition du général Didier Castres, sous-chef d'Etat major Opérations.

La séance est ouverte à dix-sept heures.

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Mes chers collègues, je souhaiterais évoquer la mémoire de Denis Pietton, disparu hier des suites d'une longue maladie. Ancien ambassadeur au Liban, il connaissait très bien le Moyen-Orient. Après avoir dirigé le cabinet de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, il fut nommé ambassadeur au Brésil puis à la tête de l'Institut français. Homme très compétent et d'une grande gentillesse, son décès est une grande perte pour la diplomatie française.

Nous avons le plaisir et l'honneur de recevoir aujourd'hui le général Didier Castres qui, sous l'autorité du chef d'état-major des armées, est en charge des opérations extérieures et intérieures dans lesquelles les forces armées françaises sont engagées. Comme nous le faisons régulièrement dans cette enceinte, je souhaiterais saluer le dévouement, le courage et la compétence de nos forces armées. Général, vous évoquerez dans votre exposé l'opération Chammal conduite en Irak et en Syrie. Quel est le bilan de nos frappes en Syrie depuis les attentats du 13 novembre dernier ? Où en est la coopération avec nos alliés en matière de renseignement ? M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense nous a indiqué que les échanges avec les Américains s'étaient intensifiés. Comment les Russes réagissent-ils ? Ils ont formulé des demandes et des propositions vis-à-vis desquelles les Américains nous ont conseillé la prudence. Quelle est votre appréciation des interventions russes en Syrie ? J'ai reçu il y a quelques jours des casques blancs syriens, qui apportent aux populations habitant les zones contrôlées par Daech une aide humanitaire et médicale, et qui affirment que l'essentiel des frappes russes ne visent toujours pas Daech et les groupes extrémistes. En outre, des marchés et des hôpitaux continuent d'être touchés. Dans quel état se trouvent les forces terrestres pouvant être mobilisées contre Daech ?

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Général Didier Castres

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, exactement un an et demi après la prise de Mossoul par Daech, il est toujours difficile d'établir un bilan complet de la situation, tant les partis à cette crise sont nombreux et tant les équilibres locaux et internationaux sont fragiles. Avant de décrire la situation sur le terrain et les perspectives que l'on peut tracer pour ce conflit, ce qui est somme toute le plus facile, je voudrais mettre en évidence ce que je considère comme les facteurs d'évolution de la crise. J'aborderai enfin le rôle et la place de la France au sein de la coalition contre Daech.

Un an et demi après la brutale irruption de Daech en Irak, la crise au Levant me parait connaître 5 évolutions majeures.

En premier lieu, j'observe que le conflit est en voie d'internationalisation, singulièrement en Syrie. L'Iran est militairement présent avec ses Pasdarans et sa force Al-Qods, le Liban également à travers le Hezbollah, ainsi que des miliciens chiites, irakiens, pakistanais et afghans pour un volume total estimé à 10 000 à 15 000 combattants. Il y a également de l'ordre de 4 000 à 6 000 soldats russes déployés en Syrie, appuyant ou s'appuyant sur une quarantaine d'avions de chasse, une trentaine d'hélicoptères et sur un volume significatif de matériels terrestres, chars, artillerie sol-air, artillerie sol-sol servis par des soldats russes . Au titre d'accords anciens, nous trouvons également 1 200 à 1 500 soldats turcs dans le nord de l'Irak. Enfin, des forces spéciales américaines, turques et probablement d'autres en provenance de pays du Golfe complètent cette mosaïque militaire. Les tensions naissantes entre la Russie et la Turquie d'une part et entre la Russie et la coalition d'autre part, témoignent d'ailleurs de cette internationalisation.

En second lieu, j'observe que la coalition peine à s'accorder tant sur les plans militaire que politique. Beaucoup d'agendas différents et la définition des objectifs, comme la façon de les rallier, restent une question pendante. Sur le plan militaire, la coalition soutient une opposition modérée qui pour l'heure, ne dispose pas de la masse critique, ni des objectifs partagés qui lui permettraient de s'imposer aux autres composantes de l'opposition et de combattre efficacement Daech. En parallèle, certains groupes bénéficient d'un soutien puissant d'Etats tiers, alors même qu'ils ne sont pas considérés comme ‘'fréquentables'' par la coalition. Dès lors, même si l'on note des progrès dans le dialogue politique, ainsi que dans la cartographie des groupes d'opposition, ces questions restent une pomme de discorde au sein de la coalition.

En troisième lieu, l'irruption de la Russie sur le théâtre syrien constitue un fait majeur. Cette intervention traduit une stratégie qui s'articule autour de trois axes. Le premier axe est celui d'une démonstration de puissance. La Russie apporte en effet la preuve, déjà esquissée déjà à travers l'annexion de la Crimée, qu'elle dispose d'une armée moderne. Ce n'est plus l'armée qui est intervenue en Tchétchénie : elle est capable de conduire des opérations complexes et de projeter des forces à l'extérieur de la Russie. L'outil militaire russe se révèle complet, comme le montrent les tirs de missiles de croisière, depuis les airs ou depuis un sous-marin. De même, les raids de bombardiers stratégiques effectués sur la Syrie en faisant le tour de l'Europe illustrent leur capacité en la matière. Cette démonstration de puissance constitue probablement un message destiné à l'OTAN. Le deuxième axe de cette stratégie la Russie vise à la placer en acteur majeur de la recomposition du Proche et Moyen-Orient tout en garantissant ses intérêts stratégiques. L'enjeu, pour les Russes, est celui de l'accès aux mers chaudes et à leurs ports. Enfin, il s'agit également pour la Russie de répondre à la menace de l'islamisme radical : les combattants étrangers de Daech comptent en effet, dans leurs rangs, 4 000 russophones dont 2 000 Russes.

Le quatrième point que je voudrais évoquer est celui de la prétendue absence de stratégie globale contre Daech, ce qui a donné lieu à de nombreuses critiques. Pourtant, elle existe, elle est cohérente et globale même si elle présente des faiblesses. Cette stratégie globale comprend cinq volets. Le premier tend à l'assèchement des ressources financières internationales de Daech. A cet effet, un groupe a été mis en place, piloté par les États-Unis et ouvert à l'ensemble des membres de la coalition. Le deuxième volet vise à entraver les flux de combattants étrangers ralliant Daech. Un autre groupe placé sous le pilotage de l'Allemagne, mène les travaux à cette fin. Le troisième volet concerne le « contre-narratif », en d'autres termes la riposte à la propagande de Daech, en particulier sur Internet. Sur ce point les chiffres parlent d'eux-mêmes: 2 370 sites francophones pro-Daech ont été identifiés, représentant environ le quart des sites pro-Daech existants. Ceux-ci génèrent, chaque jour, quelques 41 000 tweets, qui drainent 2,8 millions de « followers »… Ce califat ‘'immatériel'' sera peut-être plus difficile à combattre que le pseudo califat physique qui s'étend de Mossoul à Raqqah. Un quatrième groupe s'attache aux aspects de la gouvernance et de la reconstruction post-conflit : institutions, forces de sécurité, économie, ... Enfin, le cinquième volet est l'intervention militaire en elle-même. Cette dimension ne représente donc que l'une des actions de la stratégie mise en oeuvre par la coalition contre Daech. En la matière, la stratégie initiale qui est en train de s'affiner, vise l'endiguement de Daech, dans l'attente de la montée en puissance des forces armées locales. En Irak, 15 000 soldats ont été formés. Cette formation a été assez efficace. En Syrie, au contraire, il n'a pas été possible d'identifier des recrues fiables, auxquelles de l'armement aurait pu être confié ; la difficulté de trouver des alliés locaux, en nombre, organisation et motivation suffisante, au sol contre Daech y est très grande. Mais cette stratégie militaire souffre de quelques faiblesses pour produire des effets rapides. Faiblesse des moyens engagés par la coalition, pour commencer. Alors qu'à l'occasion de la première guerre du Golfe, la coalition effectuait 2 000 sorties d'aéronefs de tous types par jour en moyenne, les opérations menées au Kosovo 800 sorties par jour et l'intervention en Libye 250 sorties par jour, les opérations actuelles en Irak et en Syrie ne donnent lieu qu'à 100 sorties par jour – les trois quarts en Irak et un quart en Syrie. Une deuxième difficulté réside dans l'absence d'implication des Sunnites dans le combat contre Daech. Enfin, l'absence de troupes au sol pour exploiter l'action de la coalition et réoccuper les espaces dont on a chassé Daech est un facteur ralentissant de la campagne militaire : aucun conflit militaire ne peut se gagner sur la seule base d'une campagne aérienne. Certes, 145 000 kurdes combattent au Kurdistan irakien et 7 000 à 8 000 kurdes le font en Syrie, mais il sera difficile de les inciter à aller combattre Daech au-delà de la zone d'implantation territoriale kurde habituelle.

Enfin, la dernière tendance générale à signaler est la connexion désormais établie - même si elle n'en reste qu'à un état embryonnaire à ce stade-, entre les théâtres irako-syrien et libyen..

Maintenant que les tendances générales de ce conflit sont établies, je voudrais vous brosser le tableau de la situation en Syrie et en Irak.

En Irak, les indices de l'affaiblissement de Daech s'accumulent. Sur tous les fronts Daech est en défensive. L'organisation terroriste conserve néanmoins un pouvoir de nuisance et de harcèlement important, mais n'est plus capable de mener de grandes offensives. Toutefois, en dépit de pertes très lourdes, son attractivité ne faiblit pas. Chaque semaine, nous estimons qu'une centaine d'hommes et femmes rejoignent le Levant en provenance de l'étranger.

En Syrie et depuis l'engagement des Russes, les forces armées syriennes sont passées à l'offensive partout et progressent sans pour autant inverser de façon définitive les rapports de forces avec les groupes armés d'opposition. Les mouvements d'opposition sont eux en difficulté, mais montrent une forte résilience et bénéficient de livraisons de matériels et d'armements en provenance d'un certain nombre de pays. La plupart de ses mouvements pratique une politique opportuniste et se reconfigurent en permanence, s'alliant ou s'opposant entre eux, selon les circonstances et les objectifs. Ceci rend difficile une identification et une classification certaine.

Quelles sont les perspectives à douze ou dix-huit mois ? En réponse à une rupture probable de sa continuité géographique, Daech devrait essayer de défendre une zone qui continue d'incarner le califat, soit dans l'est de la Syrie, où Daech bénéficie de plus de liberté d'action et de circulation, soit du côté de Mossoul, en raison de sa valeur symbolique. Si la pression militaire s'accentuait encore sur Daech, alors l'organisation terroriste devrait essaimer vers de nouveaux territoires, en renvoyant, une partie des combattants étrangers dans leurs pays d'origine. La Libye, pays sans État, déjà infecté par le terrorisme djihadiste et riche en ressources naturelles, constitue à ce titre une proie idéale pour Daech. Le Yémen, le Sinaï pourraient également être visés. Il faut donc s'attendre à la fois à un déplacement du centre de gravité de Daech et au retour des combattants étrangers dans leurs pays d'origine.

Quel est la réalité de l'engagement de la France dans la situation actuelle ? Avec l'engagement du groupe aéronaval, ce sont désormais 3 700 hommes qui participent à la lutte contre Daech. Mais l'action de la France ne consiste pas uniquement en des frappes aériennes. Les armées ont aussi déployé en Irak des soldats, pour soutenir les peshmergas kurdes et les forces de sécurité irakiennes. La France fournit également des matériels et de la formation. Environ 330 frappes ont été réalisées depuis le début de l'engagement français contre Daech, en Irak et en Syrie. Environ 750 à 800 bombes ont été délivrées.

S'agissant du poids de la France dans la coalition, il faut rappeler qu'avant l'engagement du groupe aéronaval, la France ne représentait que 4 % des sorties aériennes. En application des ordres donnés par le Président de la République, après le 13 novembre, notre contribution a été multipliée par trois ou quatre. Depuis cette date, les avions français ont détruit six objectifs majeurs, dont deux camps d'entraînement, deux centres de commandement et deux usines de fabrication d'engins explosifs improvisés. Enfin, hier matin, un objectif important a été frappé avec six missiles de croisière Scalp et une dizaine de bombes.

En parallèle, la coopération avec les Américains progresse, notamment à travers des protocoles qui permettront une plus grande fluidité dans les échanges de renseignement. Quant aux relations avec les Russes, elles se limitent, au plan militaire, à un dispositif de coordination, afin d'éviter des collisions aériennes ou maritimes.

En conclusion, cette campagne nécessite de la patience, de la constance et de la persévérance. Nous ne parviendrons à défaire les deux dimensions du « califat » - matérielle et immatérielle - qu'à travers une stratégie globale, dont le volet le plus urgent me parait être de rallier les Sunnites au processus de règlement de cette crise.

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Vous ne nous avez pas dessiné d'heureuse perspective en affirmant qu'une victoire militaire, longue et difficile à obtenir, aboutirait au retour des combattants étrangers dans nos pays.

Sur combien de combattants Daech et l'opposition modérée peuvent-ils compter ?

Connaissez-vous précisément l'organisation militaire de Daech ? La structure est-elle pyramidale ou certaines cellules bénéficient-elles d'une autonomie comme dans al-Qaïda ?

Que fait-on pour associer les sunnites au règlement militaire et politique de la situation ? J'ai rencontré des peshmergas qui tentaient de nouer des relations de confiance avec des tribus dans la région de Mossoul. L'intégration d'éléments sunnites dans l'encadrement de l'armée irakienne progresse-t-elle ?

La structuration de l'opposition syrienne a notamment été confiée à la Jordanie, qui doit identifier les groupes modérés et radicaux, l'Organisation des Nations unies (ONU) devant ensuite publier la liste qui lui sera soumise. Où en est-on de ce travail ?

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Général, vous avez affirmé que la coalition déployait de faibles moyens militaires par rapport à des campagnes passées. Est-ce volontaire ? Si tel était le cas, pourriez-vous nous indiquer quels pays placent ainsi la coalition en difficulté ?

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La solution au problème posé par Daech est politique. Quelle est l'ampleur de la force armée sur laquelle peut compter l'État islamique ? De quels moyens militaires avons-nous besoin pour éradiquer Daech ? Devons-nous intensifier les bombardements ? Combien de soldats faudrait-il déployer au sol ? Cette guerre peut durer aussi longtemps que celle d'Afghanistan, même si les conditions diffèrent.

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Général, je souhaite souligner la précision de votre intervention, ainsi que le courage et le dévouement de notre armée. Le risque d'une augmentation des actions de Daech à l'extérieur du Levant semble réel à court et moyen terme. Députée du Xe arrondissement de Paris, je trouve cette perspective particulièrement inquiétante. Un quotidien publié sur l'Internet s'est fait l'écho d'une récente publication francophone de Daech dans laquelle les enseignants français étaient identifiés comme la nouvelle cible de l'organisation terroriste. Celle-ci souhaite s'attaquer à notre école, aux valeurs qu'elle incarne et notamment à la laïcité. Quel écho et quel crédit peut-on accorder à cette information ?

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J'aimerais également connaître le nombre de combattants de Daech, général ; on nous avait donné le chiffre de 30 000 à 40 000 dont la moitié d'étrangers, mais on lit que cet effectif aurait doublé. De quelle estimation disposez-vous ?

Certains de nos interlocuteurs ont fait état de critiques sur le choix d'attaquer Raqqah. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Lors d'un récent petit-déjeuner, un invité nous a dit que nos services avaient tenté d'éliminer Abdelhamid Abaaoud et son réseau, et qu'une frappe l'avait visé le 8 octobre dernier à Raqqah.

Des articles de presse ont rapporté qu'une frappe française aurait causé la mort de 28 personnes, dont des enfants dans une école de Mossoul. Le ministre des affaires étrangères et du développement international a insisté sur les précautions que l'on prenait pour que nos actions provoquent le moins de victimes civiles possible. Les éléments que vous pourriez fournir sur ce sujet nous seraient très précieux.

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Général Didier Castres

Quelles sont les forces en présence ? En Syrie et en Irak, Daech compte 30 000 combattants, dont 40 % d'étrangers. A ce nombre s'ajoute les auxiliaires qui travaillent sous la contrainte de Daech. Parmi les étrangers, provenant d'une centaine de pays, nous estimons le nombre d'Européens à 5 000 et celui des russophones à 4 000. 9 000 à 12 000 combattants sont présents sous l'étendard de Daech en Syrie. 1 920 Français se seraient engagés pour Daech, dont environ 140 ont été tués et 570 – dont 200 femmes – se trouvent actuellement en Syrie et en Irak. Les autres tentent de rentrer, sont déjà partis ou se dirigent vers une autre destination.

Le fonctionnement de Daech se révèle extrêmement pyramidal et adapté à la situation dans laquelle il évolue ; il est réparti par wilayas, dirigées par un ouléma s'il n'y a pas de combats ou par un chef militaire dans le cas contraire. Le conseil militaire d'Abou Bakr al-Baghdadi adresse des directives à chaque wilaya, mais les ordres sont appliqués avec beaucoup d'autonomie.

Les mouvements d'opposition syriens rassemblent une centaine de milliers d'individus. L'action et l'idéologie des plus radicaux d'entre eux – Daech, Jabhat an-Nusra qui est affilié à al-Qaïda, et d'autres groupes salafo-nationalistes ou salafo-internationalistes comme Ahrar al-Sham et Jaysh al-Islam – ne sont pas conciliables avec les critères retenus par la coalition ; or, ils représentent 80 % de l'opposition syrienne, si bien que seuls 20 000 combattants appartiennent à des formations modérées. Ceux-ci ne sont pas regroupés dans une armée structurée, mais font partie de milices de quartier ou de village qui défendent leur territoire. La coalition a mis en oeuvre un programme devant permettre la montée en puissance de l'opposition syrienne modérée ; 150 hommes parmi le millier volontaires ont été sélectionnés pour rejoindre le projet, 100 ont été formés, mais une fois la frontière franchie, ils ont vendu leur armement à des membres de Jabhat an-Nusra ou ont été contraints de le leur remettre. Cet échec nous a montré que la formation de l'opposition syrienne modérée n'était pas réaliste à court terme. On peut en revanche se battre avec les Kurdes syriens et irakiens, même si cela pose des problèmes diplomatiques avec la Turquie, et avec les forces de sécurité irakiennes (FSI). Les Kurdes syrienscomptent pour leur part entre 10 000 et 15 000 combattants. Les FSI n'intègrent pas beaucoup d'éléments sunnites. On les estimait à un million de soldats lorsque Daech a envahi Mossoul, mais il ne doit pas y en avoir plus de 140 000 à 150 0000. Les Kurdes, soutenus par les Américains, ont réussi à créer quelques unités sunnites en Syrie qui se battent à leur côté dans les régions d'al-Hasaka et de Kobané, mais cela reste insuffisant pour que les sunnites aient l'impression qu'on leur prépare une place. Enfin, une nébuleuse de milices chiites, soutenues par l'Iran, a fait son apparition, mais on ne peut pas toujours les comptabiliser dans les forces luttant contre Daech.

Les Forces Armées Syriennes, fidèles au régime, rassemblaient 250 000 hommes au début du conflit. Leur effectif a été depuis divisé par deux depuis. A cela s'ajoutent des forces de défense nationale qui regroupent des milices alaouites, chrétiennes, druzes et chiites comptant au total entre 40 000 et 60 000 combattants. L'armée syrienne tient encore parce qu'elle combat, mais elle se trouve profondément déstructurée et mettra de nombreuses années à se réorganiser.

La coalition ne regroupe que 154 chasseurs, et seuls deux pays de l'Union européenne – la France, et le Royaume-Uni depuis une semaine – opèrent en Syrie. Les Belges vont participer. Les Allemands vont apporter des moyens de reconnaissance. J'ignore le caractère volontaire ou non de la modestie des moyens déployés, mais je constate que seuls deux États européens se sont engagés pour lutter contre cet ennemi. Il existe certes une question de droit international pour cette intervention, et certains de nos partenaires ne lisent pas les résolutions de l'ONU comme les Américains et nous. Cela illustre bien toutefois la faiblesse des moyens de la coalition et le manque de mobilisation de la communauté internationale, à commencer par les Européens.

Doit–on et peut-on aller combattre au sol ? Il est clair que les bombardements seront insuffisants pour reprendre le contrôle des zones tenues par les terroristes. Sur cette question, je voudrais simplement vous donner quelques ordres d'idées. Des travaux de planification ont été lancés avec les États-Unis pour évaluer le nombre d'hommes nécessaires à une opération non de maintien, mais d'imposition de la paix ; on avait conclu qu'il faudrait 150 000 soldats au sol et 100 avions de chasse. La Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) déployée en Afghanistan comptait à son acmé 150 000 hommes, preuve qu'il est possible de déployer un tel contingent. Elle s'appuyait en outre sur des forces afghanes formées de 330 000 combattants. A ce stade, une opération de contre-insurrection en Syrie est hors de portée des pays arabes et « hors de la volonté » des pays occidentaux.

La publication mensuelle à laquelle vous avez fait allusion, madame Dagoma, s'intitule Dar al-Islam ; il s'agit d'une revue francophone à la qualité technique extraordinaire, ce qui prouve que Daech dispose de véritables professionnels en la matière. Elle est mise en ligne chaque mois depuis un an et demi ; son équivalente en langue anglaise se nomme Dabiq. Dar al-Islam a identifié les policiers, puis les militaires et aujourd'hui les enseignants comme cibles des actions terroristes.

S'agissant de Abdelhamid Abaaoud, nos premières frappes à Raqqah ne le visaient pas mais elles visaient directement un centre de commandement de Daech.

La soi-disant information selon laquelle l'une de nos frappes aurait tué 28 enfants dans une école de Mossoul a été transmise par un général irakien à l'équivalent de l'Agence France-Presse (AFP) en Allemagne ; nous avons téléphoné à ce journaliste pour l'informer que nous allions démentir car ces allégations étaient fausses. La dépêche a été retirée dans la soirée.

Depuis un an et demi, Daech a tout fait pour se protéger des frappes aériennes. Ainsi, les dirigeants se réunissent dans des hôpitaux, les tribunaux islamiques dans des cours d'école et les chefs militaires dans des mosquées. Il faut donc en permanence s'assurer que nos frappes ne feront pas de victimes civiles. Nous bombardons des cibles à Raqqah, car des renseignements nous font penser que les attentats commis en France et en Europe ont été commandités et planifiés depuis cette ville. En outre, les Kurdes syriens avancent en direction de Raqqah, et il faut appuyer ceux qui se dirigent vers les deux têtes de l'hydre que sont Mossoul et Raqqah. Mossoul comptant 1,4 million d'habitants et Raqqah 250 000, il paraît plus envisageable, dans un premier temps, de s'attaquer à la ville syrienne. Il faudra en tout cas couper les communications de Daech entre ces deux villes, car cela pourrait fortement déséquilibrer le califat.

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Nous vous remercions, général, de nous avoir fourni des réponses aussi précises et d'avoir démenti de fausses informations.

La séance est levée à dix-huit heures.