Délégation aux outre-mer

Réunion du 16 février 2016 à 17h00

Résumé de la réunion

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  • amérindien
  • guyane
  • outre-mer
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La réunion

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La séance est ouverte à 17 h.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président.

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Mes chers collègues, je commencerai cette réunion en exprimant notre satisfaction de voir Mme Ericka Bareigts, membre de notre délégation, nommée secrétaire d'État chargée de l'égalité réelle – à cela s'ajoute pour moi un motif de contentement particulier puisqu'elle est réunionnaise. Je lui adresse, en notre nom à tous, des félicitations et lui souhaite tout le succès possible dans une mission qui n'a rien de facile.

Avant de donner la parole à notre collègue Marie-Anne Chapdelaine pour la présentation de son récent rapport sur les suicides des jeunes Amérindiens de Guyane, je voudrais vous rappeler que dans quelques jours, le conseil des ministres sera saisi d'un projet de loi traduisant une vaste réforme du code du travail.

Même sans en connaître le détail, nous en savons assez aujourd'hui sur ses orientations générales pour pressentir que ce projet va, sur plusieurs points, intéresser particulièrement les outre-mer. Il est probable qu'il aborde le délicat sujet des négociations collectives sur lequel la spécificité des outre-mer fait débat.

Notre collègue Mme Monique Orphé m'a fait connaître depuis longtemps déjà qu'elle serait heureuse de pouvoir s'investir dans l'examen des incidences de la réforme projetée sur les outre-mer et de représenter notre délégation dans le débat.

Je vous propose de la nommer – sous réserve, bien sûr, selon l'usage, du dépôt du projet de loi – rapporteure de la Délégation sur la réforme du code du travail.

Y a-t-il des oppositions ?

Je constate qu'il n'y en a pas. Il en est ainsi décidé.

Mme Marie-Anne Chapdelaine présente à la Délégation le rapport sur les suicides des jeunes amérindiens en Guyane française remis au Premier ministre le 30 novembre 2015.

Nous allons maintenant, conformément à ce qui devient une bonne tradition, entendre la présentation d'un travail réalisé par un membre de la Délégation sur un sujet intéressant les outre-mer.

Nous avons déjà entendu, en 2015, l'exposé de M. Serge Letchimy sur sa mission auprès de la ministre de l'écologie, relative à la récupération des déchets automobiles, et celui de M. Ibrahim Aboubacar sur le document Mayotte 2025 dans la préparation duquel il s'est beaucoup impliqué.

Aujourd'hui, Mme Marie-Anne Chapdelaine nous parlera du rapport qu'elle a élaboré avec notre collègue du Sénat Aline Archimbaud sur le suicide des jeunes Amérindiens de Guyane. Afin de préparer nos échanges, une synthèse vous a été adressée par voie électronique jeudi dernier.

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Monsieur le président, mes chers collègues, je commencerai par vous exposer les raisons qui ont motivé ce rapport.

Les autorités sanitaires ont mis en évidence un taux de suicide chez les Amérindiens huit à dix fois supérieur à la moyenne pour la Guyane et la métropole. Ce phénomène concerne avant tout trois peuples amérindiens de l'intérieur – les Wayampis, les Wayanas et les Tékos – et commence à s'étendre aux Bushinenge, autre peuple de Guyane. Certains de nos collègues parlementaires guyanais ont fortement alerté Mme la ministre des outre-mer sur cette situation puis le Président de la République lors de sa visite en Guyane. Des associations se sont également manifestées.

Le Premier ministre a par la suite décidé de nommer deux parlementaires en mission, deux parlementaires de métropole, Mme Aline Archimbaud, sénatrice, et moi-même, pour rédiger un rapport sur le suicide des jeunes Amérindiens en Guyane. Dans notre travail, nous avons dès le départ pu compter sur l'appui de nos collègues guyanais, notamment de Mme Chantal Berthelot, et je tiens à les remercier ici.

Compte tenu de l'ampleur de la tâche et de l'enjeu de la mission, la modestie s'imposait à nous : ce nombre élevé de suicides met en jeu la survie même d'un peuple premier. (Mme Chantal Berthelot entre dans la salle de réunion).

J'étais en train de dire, madame Berthelot, que nous nous étions beaucoup appuyés sur les parlementaires guyanais et que vous aviez été pour nous une personne-ressource.

Pour remplir nos objectifs, nous avons d'abord cerné les ressources à notre disposition en métropole. Nous avons rencontré des ethnologues, des psychologues, des associations. Puis nous sommes parties sur le terrain, où nous avons eu la chance de bénéficier de l'appui du préfet, du recteur d'académie, ainsi que du sous-préfet aux communes de l'intérieur. Nous avons rencontré des responsables de diverses institutions, des élus locaux et nationaux, des syndicats, des professionnels du milieu sanitaire.

Nous avons également tenu à entendre les habitants. L'une de nos grandes interrogations était d'ailleurs de savoir si les gens viendraient à nous. Ils l'ont fait : le bouche-à-oreille a fonctionné et nous avons pu recueillir des témoignages, quelquefois véhéments.

Les causes de l'augmentation du nombre de suicides sont multiples. Le premier facteur est l'isolement : la forêt constitue une barrière plus forte encore que l'eau. À cela s'ajoute le désoeuvrement : ces territoires sont marqués par l'absence de perspectives. Nous avons rencontré des jeunes qui avaient fait avec leurs parents le pari de l'éducation et allaient se former sur le littoral : certains avaient étudié dans des conditions tellement dégradées qu'ils n'avaient pu construire aucun projet de vie ; d'autres, en retournant chez eux, étaient confrontés à l'absence de débouchés économiques. Des très nombreux jeunes ne parviennent pas à trouver leur place. Il faut prendre en compte aussi des facteurs identitaires et culturels : ce peuple aux traditions séculaires a voulu se tourner vers la modernité, sans toutefois être pleinement accompagné dans cette double culture. Le problème de la reconnaissance des cultures se pose ; on nous a tout le temps demandé pourquoi la France n'a pas signé la fameuse convention 169 de l'Organisation internationale du travail (OIT) relative aux peuples indigènes et tribaux. Nous avons pris note de ce propos, mais, bien entendu, il appartient au seul Gouvernement de prendre position dans ce débat.

Causes sanitaires, intrafamiliales, identitaires et culturelles se mêlent pour expliquer cette recrudescence de suicides.

La France est fière d'avoir le premier domaine maritime du monde mais elle oublie que c'est grâce aux outre-mer, dont certains territoires subissent une rupture d'égalité. Nous nous sommes félicités de la nomination de Mme Bareigts comme secrétaire d'Etat à l'égalité réelle : les gens que nous avons rencontrés sont fondés à nous parler du problème. Dans les communes de l'intérieur en Guyane, des équipements et services considérés comme courants chez nous ne sont même pas assurés aux habitants. Je pense à l'eau, au gaz, à l'électricité. Cette réalité matérielle accentue un certain désoeuvrement, qui peut être source de mal-être.

Nous avons rencontré des populations qui ont envie de se prendre en charge, des élus qui se battent pour leur territoire. Et nous avons constaté que la République n'était pas toujours rendez-vous.

Certes, le préfet a mis en place une cellule régionale pour le mieux-être des personnes de l'intérieur qui réunit tous les acteurs concernés. Certes, le recteur a envoyé des intervenants en langue maternelle pour faciliter l'accès à l'éducation des enfants qui ne maîtrisent pas encore totalement le français. Mais le manque de moyens est source de multiples obstacles pratiques. Par exemple, les communes n'ont pas assez de ressources pour mettre en place des cantines à midi dans les écoles. Ne faudrait-il pas que l'État se substitue à elles pour assurer l'égalité sur le territoire de la République ?

À cela s'ajoutent les problèmes liés au foncier, à l'orpaillage, à l'empoisonnement au mercure, dont quelques études tendent à prouver – cela n'est pas avéré pour l'instant – qu'il serait à l'origine de malformations neurologiques.

Dans nos préconisations, Aline Archimbaud et moi avons essayé d'être les plus pragmatiques possible. Nous nous sommes demandé comment lutter concrètement contre le mal-être chez les jeunes et nous avons formulé une liste de propositions.

Personne ne s'étonnera que je commence par l'éducation ! Il nous semble important de régler la question du logement des lycéens amérindiens. Pour faire leurs études, ils se rendent sur le littoral, principalement à Cayenne, or les internats des établissements où ils sont scolarisés ne sont pas ouverts le week-end. Ils sont donc contraints de trouver des familles pour les héberger en fin de semaine, des familles qui ne sont pas ou sont peu contrôlées et dont le logement ne se situe pas forcément près des établissements. Ces jeunes, déracinés, se trouvent ainsi livrés à eux-mêmes. Et je vous laisse imaginer les conséquences pour les jeunes filles. Certaines, parties faire des études afin d'améliorer leur situation, reviennent dans leur village avec un bébé : ce n'est pas tout à fait le modèle de réussite sociale dont elles rêvaient.

Une autre forme de déracinement est vécue par les femmes enceintes qui sont contraintes de se rendre sur le littoral deux mois avant leur accouchement, et qui se demandent ce que va devenir leur famille. Tout cela parce qu'on n'a pas encore tiré tous les profits de la télémédecine.

Lors de notre visite à Maripasoula, nous avons pu prendre la mesure des souffrances vécues par les collégiens – donc des enfants de seulement douze ans parfois – qui ne peuvent retourner dans leur famille pendant deux mois faute de moyens de transport adéquats : s'il y a une pirogue le samedi pour les emmener chez eux, à deux heures de trajet, il n'y en a pas le dimanche pour les ramener au collège.

Nous avons encore été confrontées dans certains établissements au mauvais entretien des locaux.

En métropole, les parents d'élèves seraient déjà intervenus auprès de l'inspection d'académie. Il va falloir faire preuve d'inventivité et trouver des solutions pour que ces situations changent.

Je dois souligner que nous avons trouvé le personnel éducatif très en pointe alors que l'on nous avait dit que les enseignants n'étaient pas volontaires. En réalité, ils étaient bien volontaires ; ils aimeraient seulement pouvoir retourner à Cayenne plus souvent et bénéficier d'une meilleure adaptation des vacances scolaires, ce qui a été fait en partie par le recteur pour les vacances de Noël.

Il manque le petit déclic qui permettrait d'opérer des changements. Les populations se prennent en charge. Mais, élue de Bretagne, donc d'esprit décentralisateur, j'ai été surprise par la demande de reconnaissance qu'elles ont explicitement adressée à l'État.

Une autre de nos propositions vise à consolider le dispositif des intervenants en langue maternelle en zone amérindienne. C'est une demande récurrente des populations. Les enfants en âge scolaire n'ont pas toujours le niveau exigé en langue française et il serait bon de faciliter leur transition vers le milieu scolaire.

En matière de santé, il existe des dispositifs mais ils sont coûteux et inadaptés. Pour descendre l'Oyapock en pirogue, un psychiatre mettra une semaine pour rester seulement vingt-quatre heures sur place. Pour le même prix, ne pourrait-on préférer une journée de voyage en avion pour quatre jours de consultation ? Le dispositif de prise en charge psychiatrique, notamment après une tentative de suicide, reste un grand problème car tout suivi de long terme est impossible. De la même façon, le recteur nous a expliqué que les difficultés de transport l'empêchaient d'envoyer du personnel, du fait notamment de l'absence de lignes de transports fluviaux.

Nous proposons de mettre en place des mutualisations entre la préfecture, les services médicaux et l'éducation nationale. Il faut garantir une sécurisation des transports fluviaux.

Il importe de résoudre ces problèmes matériels : il est possible de le faire car cela ne nécessite pas des sommes astronomiques. Les gens arrivent déjà à se débrouiller avec des bouts de ficelle ; il s'agit de parvenir à mettre un peu de liant.

Je continuerai avec les infrastructures et le développement.

La République n'a pas donné l'accès au téléphone à ces territoires alors que le Suriname voisin, qui est l'un des pays les pauvres du monde, et le Brésil assurent partout une couverture téléphonique en 4G et 3G. Lors d'une réunion d'une cinquantaine de personnes à Talhuen, les habitants nous ont dit vouloir bénéficier des mêmes services qu'en métropole. Certains jeunes nous ont demandé pourquoi la mission locale avait fermé et si, en métropole, elles étaient aussi fermées. Des mères de famille, révoltées par les dégâts causés par l'orpaillage clandestin sur l'écosystème, nous ont demandé si dans les villes de métropole, nous supporterions qu'il y ait de telles zones de non-droit.

Nous avons entendu des jeunes, diplômés ou non du baccalauréat, nous faire part de leur souhait de démarrer dans la vie et de ne plus être des assistés. C'est une dimension très importante à prendre en compte : les populations veulent se prendre en main et demandent simplement un peu d'aide. Elles veulent être reconnues pour ce qu'elles sont, y compris au plan culturel.

Le parc de Guyane, qui fait un travail formidable, pourrait offrir à ces jeunes une autre issue que la désespérance, l'alcool, le mal-vivre d'une double culture : un emploi qui leur donnerait une place dans la société.

La lettre de mission insistait sur les transformations envisageables. Le Conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinenge (CCPAB) a un statut un peu bâtard : il dépend de l'État mais doit être rattaché à la nouvelle collectivité territoriale et s'il ne dispose pas de moyens financiers suffisants, il ne pourra être autonome. Cette instance n'a pas de budget propre et les membres du CCPAB ne sont même pas défrayés de leurs frais de déplacement, même s'ils doivent venir du fin fond de la Guyane pour pouvoir siéger à Cayenne. Nous avons formulé quelques préconisations pour que le CCPAB soit considéré comme un équivalent des comités consultatifs, voire d'un conseil économique et social.

Nous avons pris acte de très fortes demandes concernant le foncier, en précisant que notre mission ne couvrait pas ce domaine. Cela fait partie du problème de la reconnaissance de la culture puisque l'État possède 80 % du foncier. Dans certaines zones de droit coutumier, les habitants peuvent certes se livrer à des cultures traditionnelles, mais cela ne suffit plus. La question qui se pose est celle des possibilités de développement des communes amérindiennes.

Nous avons remis notre rapport le 30 novembre dernier à Mme la ministre des outre-mer, en présence du cabinet de Mme la ministre des affaires sociales. Nous avons eu des contacts avec les membres du cabinet de Mme la ministre de l'éducation nationale et nous devrions bientôt rencontrer le Premier ministre – notre rendez-vous avait été reporté car il devait avoir lieu juste au moment des attentats.

La ministre des outre-mer nous a promis d'intégrer quelques-unes des mesures que nous préconisons dans le pacte d'avenir pour la Guyane. J'aimerais ici insister sur le fait que les changements que nous appelons de nos voeux ne réclament pas tous des moyens financiers supplémentaires.

J'ai découvert des gens qui se prenaient en main, qui avaient conscience des problèmes. Il faut les aider. La République ne doit abandonner personne. Nous avons apporté notre petite pierre à un édifice qui a déjà commencé à se construire. Sachez qu'Aline Archimbaud et moi-même nous resterons mobilisées aux côtés de nos collègues guyanais pour soutenir leurs revendications et pour faire avancer les choses.

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Nous pouvons remercier Marie-Anne Chapdelaine pour ce rapport.

Ce bref aperçu de vos constats et préconisations montre que vous avez découvert des réalités qui vous ont surprise, réalités que nous ne connaissons pas dans les autres départements et territoires d'outre-mer. Donner un coup de projecteur sur cet aspect particulier était d'autant plus important.

Le pacte d'avenir pour la Guyane, que présentera Mme Pau-Langevin, tentera de répondre en partie à vos préconisations

Il appartiendra à la Délégation et à nos collègues guyanais de faire suivre d'effets vos propositions.

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Je remercie Marie-Anne Chapdelaine pour son intéressant travail.

Le plan santé pour les outre-mer élaboré par Chantal de Singly sera décliné par territoire et tiendra compte des spécificités locales. Il serait bon que le problème particulier des suicides des jeunes Amérindiens ainsi que de l'addictologie soit pris en compte dans ce cadre.

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La situation des jeunes Amérindiens a été une découverte pour moi.

Une de mes collègues, employée communale, s'est rendue à Camopi où l'une de ses filles occupe un poste à mi-temps de psychologue. Elle m'a jointe avant le carnaval pour me dire que les enfants qu'elle avait rencontrés éprouvaient un grand mal-être et m'a demandé s'il serait possible de les inviter à Petit-Canal. J'ai accepté et ils sont venus. Ils ont défilé pour le carnaval, et ils sont aussi allés à la messe, non pas avec leurs habits traditionnels parce qu'ils respectent leurs coutumes mais avec des costumes comme les nôtres – j'ai pris des photos que j'ai montrées au sénateur Georges Patient lors d'une rencontre avec la ministre des outre-mer. J'ai pu constater comme ils étaient sclérosés : il y a quelque chose de bloqué en eux, ils n'arrivent pas à participer au carnaval, bien plus, à entrer pleinement dans la vie.

Il est difficile d'admettre que sur un territoire de la République française, il y ait des jeunes aussi isolés, touchés par le fléau de la drogue et de l'alcool, qui ont des difficultés à être scolarisés et qui, lorsqu'ils le sont, ne peuvent revenir dans leur famille le week-end. Il est difficile d'admettre qu'il y ait des jeunes qui manquent d'un suivi psychologique alors que dans les autres départements et territoires d'outre-mer il existe des centres médico-psychologiques. Il y a vraiment quelque chose à faire.

Il a été question du foncier. On a fait venir des gens d'ailleurs pour planter. Mais on aurait pu aussi aider les Amérindiens à planter sur leur territoire, ce qui les aurait aidés à mieux se nourrir. Car là aussi, il y a un problème.

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Je tiens à remercier Marie-Anne Chapdelaine et Aline Archimbaud pour le travail qu'elles ont fourni. Leur rapport a été lu, et est beaucoup travaillé, actuellement, en Guyane. Leur tâche n'a pas été simple : elles ont eu un programme très chargé et se sont heurtées à des difficultés logistiques. La Guyane est un beau pays mais il n'est pas toujours très aisé de s'y déplacer. En outre, le monde des Amérindiens est un monde en soi, avec des codes très particuliers. Il n'était sans doute pas évident d'y pénétrer.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je tiens à saluer l'initiative du Gouvernement. Mme la ministre des outre-mer, lors de sa visite à Maripasoula au début de l'année 2015, a été sensibilisée à la problématique des suicides des jeunes Amérindiens, que l'on peut considérer comme un échec pour notre société. Que le Premier ministre ait diligenté des parlementaires en mission montre l'intérêt du Gouvernement pour cette question.

Nous souhaitons, bien sûr, que cet intérêt se traduise par des mesures concrètes. Gabriel Serville et moi avons besoin de tous nos collègues pour mener ce combat : il faut que les propositions formulées dans le rapport soient prises en compte. L'attente est très grande.

Le rapport constitue une précieuse source d'informations et permet une appropriation facile grâce à la liste des propositions argumentées.

Je commencerai par le CCPAB, institué dans la loi de 2007 pour prendre en compte les problématiques propres aux populations amérindiennes et bushinenge. Ses membres, qui se sont saisis à la fin du mois de janvier du rapport, approuvent votre proposition de transformation en grand conseil coutumier.

C'est une transformation importante, à mes yeux, car elle permettrait de légitimer ce que l'on attend d'une instance consultative dotée d'une dimension culturelle spécifique. Pour l'heure, l'État français se refuse à signer la convention 169 de l'OIT, en vertu du principe posé par l'article 1er de la Constitution : « La France est une République une et indivisible ». Il ne reconnaît pas les peuples autochtones et donc les conseils coutumiers, à l'exception de la Nouvelle-Calédonie.

Pour assurer sa cohésion sociale, la Guyane aurait pourtant besoin que la France accepte de prendre en compte les particularités de ces deux peuples, qu'il s'agisse de leurs codes socio-culturels ou de leurs façons de fonctionner.

Je tiens à souligner que les quinze propositions prioritaires n'appellent pas toutes des financements supplémentaires mais de la volonté, de la coordination, une mutualisation de moyens.

J'insisterai sur une proposition en particulier, la proposition n° 8 relative au logement des lycéens, sur laquelle s'accordent les proviseurs de lycée, les principaux de collège et le recteur. Nous attendons la mise en place concrète de la collectivité territoriale de Guyane pour disposer de moyens supplémentaires afin d'assurer la présence de surveillants et d'animateurs le week-end. Nous espérons tous que cette mesure sera mise en oeuvre rapidement.

La proposition relative à la mise en place de centres médicopsychologiques à Camopi et Maripasoula, en liaison avec l'hôpital de Cayenne et l'hôpital de Saint-Laurent, recueille elle aussi un large accord.

Une réunion annuelle de suivi peut paraître parfois lourde. En l'occurrence, elle apparaît nécessaire pour faire un point d'étape sur la mise en oeuvre des différentes propositions.

J'exprimerai ici le souhait, monsieur le président, que la Délégation nous accompagne dans nos démarches, même si je sais que Mme la ministre des outre-mer est très sensible à ces questions. Il faut que le Gouvernement puisse trancher.

La proposition n°7 sur la collation servie aux élèves me tient aussi particulièrement à coeur. Vous avez compris, chers collègues, combien les distances posent de problèmes pour les transports. En tant que parents ou futurs parents, nous ne pouvons admettre que des enfants, après s'être réveillés très tôt pour pouvoir se rendre dans leur établissement scolaire, restent toute une journée sans rien manger ou bien se nourrissent de choses à bannir au plan diététique alors que les plans santé ont montré le poids du diabète et de l'hypertension en outre-mer. Le rôle de la société est d'accompagner. Généraliser l'accès à une collation me semble indispensable. J'espère que Mme la ministre, que je sais sensible à ces questions, va se battre pour que ce service soit mis en place. Il faut que nous montrions que nous l'appuyons afin qu'elle puisse gagner ses arbitrages interministériels.

Cette semaine, l'Assemblée nationale aborde des sujets très sensibles pour la Guyane. Aujourd'hui, la Délégation aux outre-mer entend Mme Marie-Anne Chapdelaine sur son rapport et demain, la commission du développement durable organise une table ronde sur l'orpaillage illégal. Cette pratique est un vrai fléau pour notre territoire et elle nourrit le mal-être des populations amérindiennes et bushinenge. Les garimpeiros, orpailleurs illégaux sans foi ni loi, pillent les abatis des populations, exercent des violences sur les habitants, les femmes en particulier, et se livrent à la surchasse et à la surpêche. Ils sont à l'origine d'une pollution de l'eau au mercure, avec les conséquences que l'on sait en termes d'atteintes à la chaîne alimentaire et de malformations neurologiques.

Dans une dizaine de jours, nous allons aborder la deuxième lecture du projet de loi relatif à la biodiversité. Si la Guyane représente une part importante du domaine maritime de la France, elle a une place particulière dans la préservation de la biodiversité à travers la forêt amazonienne. En ce domaine, les Amérindiens, forts d'un savoir-faire millénaire, jouent un rôle décisif. Les députés de Guyane ont besoin du soutien de leurs collègues pour que ce rôle trouve une reconnaissance dans la loi : reconnaissance de leur apport pour l'humanité et reconnaissance de leur culture propre.

Je terminerai par les langues pour regretter, monsieur Gosselin, que la droite ne nous ait pas suivis dans la reconnaissance des langues minoritaires. Il importerait de reconnaître et valoriser les langues amérindiennes, qui sont en train de se perdre. Je sais que M. Gosselin partage mes regrets.

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Attention à l'interprétation des pensées, ma chère collègue ! (Sourires)

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Enfin, il ne nous a pas échappé que le plan santé pour l'outre-mer, évoqué par Mme Orphé, pourrait intégrer ces problématiques. Mme Chantal de Singly s'est rendue en Guyane et j'ai eu l'occasion de lui écrire pour appeler son attention sur ces sujets. Il importerait de créer un Observatoire du suicide en Guyane, à l'instar des instances existant sur le territoire hexagonal. Il pourrait intégrer la cellule régionale pour le mieux-être des personnes de l'intérieur qui permet une approche spécifique du suicide dans les populations amérindiennes et bushinenge.

Nous comptons sur l'appui de la Délégation pour que la ministre des outre-mer et le Premier ministre rendent des arbitrages favorables à la mise en oeuvre des propositions formulées dans le rapport de Mme Chapdelaine.

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Ces réalités, madame Berthelot, vous les connaissez mieux que personne. Vous avez bien raison d'insister sur la nécessaire implication du Gouvernement. Mais il ne s'agit pas seulement d'une question de politique. Mme Chapdelaine a dit que la République n'était pas au rendez-vous. Et à vous entendre les uns et les autres, on ne peut que trouver invraisemblable que dans un département français, la République une et indivisible ait oublié une grande partie de ses habitants.

Nous avons prévu d'auditionner Mme la ministre des outre-mer sur la question particulière du pacte d'avenir pour la Guyane. Il faut espérer que les choses pourront avancer, d'autant que les propositions du rapport n'exigent pas des sommes considérables.

La Délégation plaidera auprès de Mme Pau-Langevin pour que ces questions soient prises en compte le plus rapidement possible et que les propositions qui peuvent être dès maintenant mises en oeuvre le soient.

C'est une question de suivi. La Délégation se doit d'insister sur ces situations intenables. Comment, par exemple, peut-on laisser des enfants sans collation ? Nous sommes tous responsables, notamment par méconnaissance – ce qui est mon cas comme d'autres.

Vous pouvez compter sur moi, si c'est nécessaire, pour vous apporter toute l'aide qui soit en mon pouvoir.

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Je tenais à être présent à cette réunion de la Délégation car j'estime qu'il s'agit d'un sujet grave. De façon générale, notre pays n'a pas l'ambition qu'il devrait avoir en matière de prévention des suicides. Et en disant cela, je n'intente aucun procès au Gouvernement, ces questions dépassant les clivages politiques. En France, rappelons-le, le suicide est la première cause de mortalité chez les jeunes.

En lisant le rapport de Mme Chapdelaine, j'ai découvert des chiffres qui m'ont alarmé, ébahi. Je savais que le taux de suicide était important chez les Amérindiens mais je n'avais pas imaginé qu'il atteignait de telles proportions. C'est un premier intérêt du rapport que de mettre en avant ces éléments quantitatifs bruts, avant même d'aborder concrètement le problème humain.

J'emboîte le pas au président de la Délégation. Nous pouvons partager non seulement le diagnostic mais aussi – sous réserve d'un inventaire plus précis – l'essentiel des préconisations. Je n'ai pas le sentiment qu'elles impliquent de consacrer des sommes astronomiques, même si les distances et les difficultés d'accès, l'absence de raccordement à un réseau d'eau et d'électricité, sans même évoquer la couverture en 3 G ou 4 G, compliquent forcément les choses. Je ne néglige pas non plus l'importance du phénomène identitaire chez les quelque 10 000 Amérindiens de Guyane : la perte de repères entraîne des difficultés à savoir qui on est. Je prends aussi en compte les efforts entrepris dans le cadre du pacte d'avenir pour la Guyane.

La transformation du Conseil consultatif en conseil coutumier est une piste à creuser. En Nouvelle-Calédonie, il existe un Sénat coutumier. Autrement dit, la République a reconnu la place d'une civilisation, d'une culture, d'une langue particulières. Ce qui a été fait dans une collectivité d'outre-mer, certes dotée d'un statut spécifique, pourrait trouver sans difficultés majeures à s'appliquer en Guyane.

La fierté est un sentiment à ne pas négliger. Moi qui suis normand, je revendique d'être normand. Cela fait partie de ma culture, de mes racines. On peut être normand et français comme on peut être guyanais, amérindien et français.

Sur les langues autochtones, madame Berthelot, la révision de la Constitution en vue de l'intégration de la Charte des langues régionales n'est pas d'actualité. Toutefois, le cadre législatif actuel permet déjà de prendre en compte les langues régionales. Et je ne vois pas ce qui empêcherait très concrètement de mettre en valeur les langues amérindiennes.

Cet ensemble de propositions m'apparaît cohérent et mérite une attention partagée. Je tiens à remercier Marie-Anne Chapdelaine et Aline Archimbaud pour leur rapport, qui pourrait recevoir l'assentiment unanime de la Délégation, et qui est la preuve qu'un travail conjoint entre notre assemblée et le Sénat peut être productif.

Je terminerai pour exprimer à nouveau le regret que la prévention du suicide dans notre pays ne constitue pas une plus grande cause d'engagement collectif.

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Je tiens à remercier encore nos collègues guyanais, en présence de Chantal Berthelot, de la confiance qu'ils nous ont faite et de l'aide qu'ils nous ont apportée. Devant l'ampleur de la tâche, il fallait rester modeste : nous aurions pu nous y perdre.

La République est une et indivisible. L'égalité réelle doit s'appliquer partout. Il importe de la rendre telle, aussi, dans le territoire intérieur de la Guyane : ses habitants ont droit aux mêmes choses que les autres Français.

Les habitants amérindiens vivent des situations qui mettraient nos concitoyens de métropole dans les rues et provoqueraient un déferlement de parents d'élèves aux portes de nos permanences. Ils attendent beaucoup de la République. Nous devons être au rendez-vous.

Très modestement, je serai aux côtés de mes collègues guyanais pour que les choses avancent. La République, c'est la diversité, que le Mont-Saint-Michel soit en Bretagne ou en Normandie !

Je terminerai par deux remarques.

En Bretagne, les enseignants du collège public des îles du Ponant se déplacent pour dispenser leurs cours dans divers sites. Pourquoi ce qui est possible en Bretagne ne le serait pas en Guyane, si c'était bien la solution ?

Lorsque nous avons visité un village, une superbe boîte aux lettres d'un mètre sur un mètre a attiré mon attention mais bien vite, quelqu'un m'a fait remarquer que les lettres s'y entassaient parce que le courrier n'était jamais relevé.

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Une telle chose ne devrait pas être possible sur le territoire de la République. Les services publics doivent être accessibles à tous.

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Je vous remercie, madame Chapdelaine, pour cette présentation et pour votre travail.

Quelqu'un demande-t-il encore la parole ?

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Monsieur le président, pourrait-on envisager d'adresser une lettre au Premier ministre dans laquelle nous exprimerions le voeu unanime de la Délégation de voir mises en oeuvre les propositions du rapport de Marie-Anne Chapdelaine et Aline Archimbaud ?

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Oui, la Délégation est toujours libre d'émettre un voeu en ce sens. Je me charge, mes chers collègues, si vous le voulez bien, de l'exprimer en votre nom (Assentiment).

La séance est levée.