Séance en hémicycle du 26 mai 2016 à 15h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance est ouverte à quinze heures.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi de Mme Marie-George Buffet et plusieurs de ses collègues pour tendre à l’autonomie des femmes étrangères (nos 3682, 3759).

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Dans la discussion générale, la parole est à M. Marc Dolez.

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Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, madame la rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république, mes chers collègues, cette proposition de loi, qui vise à favoriser l’autonomie et l’indépendance des femmes étrangères, résulte d’un long processus de travail mené avec le monde associatif, dont l’expérience de terrain s’est révélée particulièrement utile. Ce travail a mis en lumière la disparité des situations et l’insuffisance de la protection législative pour garantir les droits des femmes étrangères séjournant sur le sol français.

Celles-ci peuvent en effet être victimes de différents types de violences : esclavage moderne, exploitation des mineures, traite des êtres humains, système prostituteur, polygamie, violences de toutes sortes contre les femmes sans papiers. Dans toutes ces situations, la protection accordée aux femmes étrangères reste encore limitée ; le plus grand nombre d’entre elles n’en bénéficient pas. Certes, des dispositions législatives ont été adoptées ces dernières années afin d’améliorer la situation des femmes étrangères sans toutefois leur reconnaître un véritable statut.

La loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers comporte ainsi plusieurs dispositions spécifiques, comme le renouvellement de plein droit de la carte de séjour temporaire ou du titre de séjour pour les victimes de violences familiales. De même, aux termes de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, la première délivrance de la carte de séjour temporaire est désormais accordée de plein droit à l’étranger qui dépose plainte contre une personne qu’il accuse d’avoir commis à son encontre les infractions relatives à la traite des êtres humains ou qui témoigne dans une procédure pénale en cours pour ces mêmes infractions.

La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a autorisé, pour sa part, la délivrance de la carte de résident de plein droit en cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, tandis que le renouvellement de la carte de séjour temporaire est accordé de plein droit à l’étranger qui a déposé plainte dans le cadre d’une infraction liée à la traite.

Toutes ces mesures représentent indéniablement des avancées, mais restent très insuffisantes pour garantir aux femmes étrangères un véritable statut, et leur permettre de se soustraire durablement aux situations de violences. Plus largement, l’insuffisance des protections ne leur permet pas d’exercer pleinement leurs droits, en particulier pour avoir accès à un logement ou à un travail. Le constat s’impose : aujourd’hui, l’autonomie des femmes étrangères n’est toujours pas une réalité en France.

Cette situation n’est pas acceptable ; la République se doit d’y remédier. Telle est la philosophie de cette proposition de loi, que notre collègue Marie-George Buffet défend avec détermination, et qui vise à donner aux femmes étrangères un véritable statut, pour mettre fin aux différentes situations qui causent – ou favorisent – leur dépendance à l’égard de leur famille, de leur conjoint, ou encore de leur employeur, qui profiterait de leur situation irrégulière. Ces femmes doivent bénéficier des protections nécessaires à l’exercice plein et entier des droits qui leur sont reconnus au titre de leur droit de séjour. Il s’agit, bien sûr, des droits universels et fondamentaux, mais également des droits sociaux, pour les aider à s’intégrer pleinement à notre société : droit à la santé et à un logement décent, droit au travail ou à un revenu de subsistance.

Pour notre part, nous regrettons vivement que les modifications adoptées par la commission des lois limitent la portée du texte en supprimant en particulier deux articles essentiels, et d’abord l’article 1er, qui vise à porter à quatre années – contre une année actuellement – la durée de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ». Il s’agit de donner aux femmes étrangères le temps nécessaire pour construire leur vie en France. Cet allongement leur permettrait en effet d’engager une véritable démarche d’intégration sans pour autant être menacées de perdre leur droit de séjour à brève échéance en cas de mésentente avec leur conjoint – que ce dernier soit de nationalité française, ou qu’il soit un étranger titulaire d’un titre de séjour.

L’article 3, ensuite, est indispensable pour pallier les carences de la loi du 7 mars 2016 et garantir que la dissolution de la vie commune, lorsqu’elle résulte d’un comportement violent dont la femme est victime, ne puisse lui porter un préjudice supplémentaire en matière de droit au séjour. C’est pourquoi nous soutiendrons les amendements de rétablissement de ces deux articles qui nous semblent indispensables dans la mise en oeuvre d’un statut autonome pour les femmes étrangères.

Nous soutenons fortement, par ailleurs, les autres dispositions de ce texte, puisqu’il s’agit d’établir des protections nouvelles. L’article 4 étend ainsi la protection des victimes de violences conjugales aux victimes de violences familiales dans le cadre du regroupement familial. Quant aux dispositions des articles 5 et 6, elles permettent aux étrangers de rester en France en cas de dépôt de plainte pour des violences conjugales ou pour certaines infractions comme la répudiation. Ces deux articles s’inscrivent en cela dans le prolongement de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites aux femmes, en complétant les procédures prévues par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile – CESEDA.

Pour toutes ces raisons, les députés du Front de gauche souhaitent que cette proposition de loi soit très largement adoptée par notre assemblée, si possible dans sa version initiale, afin d’être totalement opérationnelle.

Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

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Madame la rapporteure, votre proposition de loi pour tendre à l’autonomie des femmes étrangères soulève une question très lourde, que j’ai moi-même évoquée à plusieurs reprises à cette tribune. J’en ai beaucoup discuté à l’occasion de l’examen du rapport d’information que j’ai déposé en février 2016 relatif à la protection et l’accompagnement des femmes victimes de violences. Je suis donc ravie de pouvoir parler de ces sujets, et d’accepter certains articles de ce texte.

Je voudrais vous parler de l’histoire des femmes que j’ai rencontrées au cours de ma vie de parlementaire. C’est l’histoire d’une jeune femme algérienne, contrainte par sa belle-famille française d’abandonner ses études, désocialisée, privée de ses papiers et de tout moyen de paiement, et réduite à la condition d’esclave domestique. C’est l’histoire de cette jeune guinéenne contrainte par son époux français de se livrer à la pornographie et de se prostituer. C’est aussi l’histoire de cette jeune pakistanaise abandonnée à l’étranger, sans passeport ni billet de retour, par un mari français qui venait d’apprendre son infertilité.

Toutes ces femmes que j’ai reçues dans ma permanence, et tant d’autres au sujet desquelles j’ai appelé l’attention du Gouvernement et de la préfecture, avaient reçu un ordre de quitter le territoire. C’est que l’on nomme – vous l’avez très bien dit, madame la rapporteure – la double peine administrative : toutes ces femmes doivent lutter non seulement pour se défaire de l’humiliation, de l’emprise et parfois même des coups d’un mari violent, mais aussi pour se maintenir sur le sol français, ne serait-ce que pour y faire valoir leurs droits.

Bien sûr, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile interdit, par principe, le retrait du titre de séjour en cas de violences, mais le conditionnement du droit au séjour à la poursuite de la vie commune, et l’incertitude quant à l’appréciation, par l’administration, de ces situations de violence, constituent toujours les moteurs du chantage exercé sur ces femmes étrangères.

Il s’agit bien d’un chantage, en effet : l’inégalité entre les époux au regard de leur droit au séjour nourrit et aggrave les rapports de domination que l’on constate d’ores et déjà dans les situations d’emprise conjugale. C’est la menace du retrait des papiers, du retour au pays, de la honte jetée sur la famille ; la crainte de ne pas retrouver de mari dans certaines cultures qui n’admettent pas le divorce aussi sereinement que la nôtre. Ces menaces sont mises à exécution lorsque la rupture de la vie commune est dénoncée aux autorités par le conjoint violent lui-même. J’ai même connu des cas où le conjoint avait mis son épouse à la rue, changé les serrures de leur appartement, et dénoncé son départ au préfet.

Dans un pays où seulement 16 % des victimes de violences conjugales portent plainte, nous devons avoir conscience que sortir du silence est une démarche encore plus difficile pour une étrangère. C’est pourquoi nous avons choisi, en 2010, de lier la compétence du préfet lorsqu’une victime est couverte par une ordonnance de protection. Mais comme je le rappelais en février dernier dans mon rapport fait au nom de la délégation aux droits des femmes, les 2 500 ordonnances prononcées l’an dernier sont encore bien loin de répondre à l’ampleur des violences conjugales et familiales dans notre pays.

Nous avons tous connaissance d’exemples concrets dans nos circonscriptions, qui nous sont rapportés dans nos permanences : cela montre que ces dispositions restent très insuffisantes. Je vous remercie donc, madame la rapporteure, d’ouvrir le débat sur un certain nombre d’enjeux, que vous soulevez avec pertinence.

Le premier enjeu est, bien évidemment, la sécurisation des parcours d’intégration. Il faut assurer l’autonomie des femmes dont l’intégration ne doit pas être appréciée selon le bon vouloir de leur conjoint. Nous ne pouvons pas accepter que chaque renouvellement de titre de séjour soit l’occasion d’un chantage.

La délivrance de titres pluriannuels que nous avons votée il y a à peine trois mois était en la matière un engagement fort, et je crois qu’elle répond en partie à cette nécessité de desserrer l’étau. La commission a fait preuve de sagesse en ne modifiant pas ces dispositions récentes qu’il appartiendra à nos successeurs d’évaluer. Je partage également avec vous la conviction que les accords bilatéraux, initialement négociés pour accorder des dispositions plus favorables aux ressortissants de pays avec lesquels nous avons une histoire commune, n’ont pas suivi l’évolution du droit commun en matière de protection des personnes. Je regrette comme vous que la réponse ne soit pas en la matière de nature législative, espérant que l’évolution des consciences, à l’heure où l’Algérie adopte à son tour une législation sur les violences conjugales, permettra au Gouvernement de prendre des initiatives pour consolider ces acquis.

La commission des lois a choisi de concentrer ses efforts sur ce que je considère être le coeur de votre proposition : l’accès au droit. Le groupe socialiste soutient votre volonté d’améliorer et de clarifier la rédaction des dispositions proposées pour lever les dernières réticences, et j’espère vraiment que nous pourrons, lors de leur examen, aboutir à une solution satisfaisante.

Certes, je comprends, madame la rapporteure, monsieur le secrétaire d’État, la crainte d’un détournement de ces dispositions pour se maintenir indûment sur le territoire. J’avais d’ailleurs moi-même accepté de retirer, lors du débat sur le texte de loi relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes, un amendement partageant vos ambitions en contrepartie de la possibilité d’en reprendre ultérieurement les objectifs par voie de circulaire. Mais je puis vous assurer que permettre à un plaignant étranger de faire valoir ses droits devant la justice, même s’il est en définitive débouté, constitue une atteinte à l’ordre public bien moins grave que de renoncer à poursuivre et à condamner les auteurs de violences conjugales car cela porte gravement atteinte à l’ordre public ; ce que je considère comme du laxisme face à de telles situations, c’est l’impunité.

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Car c’est bien l’impunité qui pousse certains hommes à chercher à l’étranger une femme qui sera plus facile à soumettre et qui les conduit encore trop souvent, une fois l’expulsion et le divorce prononcés, à récidiver. Les risques de détournement existent évidemment, disais-je.

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Je vous prie de conclure d’un d’une phrase, madame la députée !

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Ces risques nous invitent à légiférer avec équilibre et discernement, mais sans refuser de voir que de vraies difficultés existent, qu’elles aboutissent à des décisions humainement insupportables – même involontairement – et contraires aux objectifs que nous poursuivons. Notre position est donc conditionnée aux engagements que vous pourrez prendre aujourd’hui pour faire évoluer concrètement cette situation, mais, vous l’aurez compris, le groupe socialiste accueille favorablement cette proposition de loi dans le texte de la commission et votera les articles 4 et 5, qui permettront à ces femmes de retrouver leur dignité.

Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

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Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a choisi de profiter de sa niche traditionnelle pour débattre d’un droit fondamental de notre République : la protection des droits des femmes, plus particulièrement la protection des droits des femmes étrangères amenées à émigrer sur notre territoire français, ainsi que l’indique le titre de la proposition de loi.

Contrairement à ce que certains peuvent penser, et je le regrette, le fait d’aborder cette problématique n’est pas en France une évidence. En effet, traditionnellement, nos textes législatifs et réglementaires relatifs à l’entrée et au séjour des personnes étrangères en France n’établissent pas de distinction entre les hommes et les femmes.

Je ne suis pas sûr du tout cependant qu’il faille sexualiser – je n’aime pas ce terme, mais n’en ai pas trouvé de meilleur – le droit. Malgré tout, cette proposition de loi permet de nous poser utilement la question de savoir s’il est pertinent ou non d’établir des droits spécifiques aux femmes qui entrent dans notre pays car, parfois, les réalités sociales, économiques, familiales, culturelles, les représentations ont leurs spécificités à cet égard. Je remercie la rapporteure, Mme Buffet, de nous conduire aujourd’hui à cette réflexion et à nous interroger sur l’interaction entre les textes et les réalités matérielles et idéologiques.

Mais venons-en au contenu de la proposition de loi.

La proposition initiale comportait sept articles : quatre d’entre eux ont été supprimés en commission par des amendements de députés du groupe socialiste, amendements qui pointaient des incohérences juridiques dans la rédaction desdits articles. Ainsi, l’article 2 avait pour objet de faire valoir la supériorité des dispositions françaises en matière de séjour des étrangers et du droit d’asile sur les accords bilatéraux négociés alors que cette mesure aurait été manifestement contraire à l’article 55 de notre Constitution, lequel prévoit la supériorité des traités internationaux sur le droit national. Nous ne pouvons donc que nous féliciter de la suppression de l’article 2 qui aurait été déclaré inconstitutionnel. Il ne reste aujourd’hui dans le texte qui nous est proposé que les articles 4, 5 et 6.

L’article 4 vise à combler une lacune du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en matière de protection des victimes de violences dans le cercle familial. En effet, l’article L 431-2 du même code prévoit que le titre de séjour remis régulièrement au conjoint d’un étranger au motif du regroupement familial peut, en cas de rupture de la vie commune, faire l’objet pendant trois ans d’un retrait ou d’un refus de renouvellement, à moins que la rupture ne résulte que de violences conjugales ou d’un décès. Au passage, je souhaite rappeler que ce dispositif date de la loi dite « Sarkozy » du 26 novembre 2003, complétée par la même majorité en 2006, et que les initiatives en la matière ne sont pas l’apanage d’un seul camp, mais qu’elles sont transpartisanes. Le groupe Les Républicains reconnaît cependant la nécessité d’apporter des améliorations au dispositif actuel.

En effet, les violences ne sont pas forcément infligées par le conjoint ; elles peuvent aussi être commises au sein de la fratrie. Il convient donc, comme le prévoit déjà par ailleurs le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, de privilégier la notion de « violences conjugales ou familiales ». En conséquence, nous sommes tout à fait favorables à cet article 4 que nous le voterons sans réserve.

L’article 5 automatise la délivrance d’un titre de séjour en cas de condamnation définitive d’un conjoint, ou ex-conjoint, pour une infraction pénale, même s’il s’agit d’une contravention. L’article L. 316-4 du CESEDA prévoit, depuis la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes – je salue le travail réalisé alors par le rappoteur Guy Geoffroy – qu’une carte de résident peut être délivrée à l’étranger ayant déposé plainte contre son conjoint, son concubin ou son partenaire de pacte civil de solidarité lorsque celui-ci est définitivement condamné. La rupture de la vie commune ne peut constituer un motif pour refuser la délivrance de la carte.

Le droit actuel réserve en conséquence à l’autorité administrative une compétence discrétionnaire dans de telles situations, tandis que l’article 5 de la proposition de loi prévoit une compétence liée du préfet et la délivrance automatique de la carte de résident. Or, l’obtention d’un titre de séjour au bénéfice d’une personne dont le conjoint serait condamné à une simple contravention n’est pas, sauf mauvaise compréhension de ma part – auquel cas vous ne manquerez pas de me corriger – exclue par le dispositif. Vous avez évoqué en commission, madame la rapporteure, l’article 222-13 du code pénal qui prévoit la qualification en délit ou crime de toutes violences commises sur conjoint, ascendant ou descendant, mais il ne tient compte que des violences volontaires, et non des autres infractions pénales qui entrent dans la catégorie des contraventions, en l’occurrence les violences involontaires. Ainsi, une condamnation définitive pour atteinte involontaire à l’intégrité physique n’ayant entraîné aucune interruption temporaire de travail, une imprudence ayant causant un dommage, serait susceptible d’entrer dans le champ de cet article. Si l’on ajoute à cela que le préfet perdrait tout pouvoir d’apprécier la situation et d’apporter une réponse au cas par cas, vous comprendrez que nous restions très sceptiques devant le dispositif proposé.

L’article 6 prévoit un mécanisme général de délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à tout étranger présumé victime de violences dès lors que des procédures civiles ou judiciaires sont en cours et que celui-ci ne constitue pas une menace à l’ordre public. Bien que cet article ait été amendé en commission pour limiter les infractions permettant cette obtention à celles prévues aux articles 222-9 et 222-11 du code pénal qui définissent des violences volontaires dites « graves », je souligne, là aussi, que l’administration n’aura aucun pouvoir d’appréciation en dehors de la menace à l’ordre public. J’ajoute que, contrairement à l’article 5, l’article 6 ne prévoit pas la condamnation définitive de l’auteur, mais qu’il évoque simplement des procédures en cours. Cette rédaction n’apporte pas de garanties suffisantes et permettrait même, dans certains cas, des dévoiements préjudiciables au système d’attribution des titres de séjour temporaires. Nous ne pouvons en conséquence pas soutenir cet article.

Nous avons donc aujourd’hui à nous prononcer sur une proposition de loi qui initialement contenait sept articles ; quatre d’entre eux ont été supprimés en commission des lois. Nous sommes favorables à l’article 4 qui privilégie la notion de « violences conjugales ou familiales » sur les seules violences conjugales prévues actuellement par le CESEDA. Mais nous ne pouvons pas approuver l’article 5 qui automatise la délivrance d’un titre de séjour en cas de condamnation définitive d’un conjoint ou ex-conjoint pour une infraction pénale, même s’il ne s’agit que d’une contravention. Et nous sommes également opposés à l’article 6 qui prévoit un droit au titre de séjour pour l’étranger victime de violences si une procédure civile ou pénale est en cours, même si cet article a été amendé par la commission.

Cette opposition à la quasi-totalité des articles nous conduira donc à voter contre cette proposition de loi. Cela ne nous empêche pas pour autant de souhaiter que des instructions précises soient à nouveau données aux préfets, d’une part, pour que les pièces exigées par les préfectures pour apprécier la réalité des violences ne diffèrent pas considérablement d’une préfecture à l’autre et, d’autre part, pour que certaines préfectures cessent de subordonner l’octroi ou le renouvellement des cartes de séjour à des conditions particulières qui ne sont pas explicitement prévues par les textes, par exemple la production systématique d’une ordonnance de protection.

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Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis afin de discuter de la proposition de loi du groupe GDR « pour tendre à l’autonomie des femmes étrangères ». Ce texte vise à favoriser l’indépendance des femmes étrangères résidant légalement en France : il s’agit, d’une part, de leur garantir une protection dans le droit français, et, d’autre part, de leur permettre de disposer d’un titre de séjour qui ne les place pas dans une situation de dépendance vis-à-vis de leur conjoint ou de leur famille. Il s’agit ainsi, pour l’essentiel, d’améliorer les conditions de résidence légale de ces femmes.

Depuis le début de la législature, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants n’a cessé de se positionner en faveur du droit des femmes et de la lutte contre les violences qui leur sont infligées, que celles-ci soient d’ailleurs physiques ou psychologiques. Entre autres propositions, les députés de l’UDI avaient notamment souhaité, lors de l’examen de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité entre les femmes et les hommes, donner compétence au juge des affaires familiales pour ordonner l’évacuation du conjoint violent dans le cadre d’une ordonnance de protection en cas de mise en danger de la personne victime de violences exercées au sein du couple.

En effet, un rapport parlementaire paru en janvier 2012 constatait que la mise en oeuvre de l’ordonnance de protection était souvent beaucoup trop lente. D’ailleurs, la loi de 2014 a introduit fort justement des dispositions visant à protéger les femmes étrangères victimes de violences conjugales, à l’instar de l’exonération de taxes et de droits de timbre lors de la délivrance et du renouvellement de leur titre de séjour. En outre, le renouvellement de la carte de séjour d’une étrangère victime de violences conjugales est permis, quelle que soit la cause de la rupture de la vie commune, pendant toute la durée de la procédure engagée. En cas de condamnation des auteurs de violences, cette même loi prévoit la délivrance de plein droit d’une carte de résident.

Tout récemment, la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a porté une attention toute particulière aux ressortissants étrangers victimes de violences au sein du couple ou de la famille. Elle contient des mesures visant à accroître la protection des victimes de violences physiques ou psychologiques dans le cadre familial, comme le renouvellement de plein droit de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » du conjoint de Français victime de violences conjugales.

Le groupe UDI considère que la lutte contre les violences faites aux femmes, pour leur autonomie et leur indépendance, ne peut être menée en multipliant les dérogations à la législation sur les titres de séjour et au droit des étrangers, comme le suggérait le texte initial de Marie-George Buffet.

Je tiens, madame la rapporteure, à saluer votre ambition, noble, de vouloir redonner de l’autonomie aux femmes qui subissent des violences et se retrouvent dans l’incapacité de déposer plainte. Sachez que nous sommes conscients de l’existence de situations dans lesquelles des femmes, par crainte de se voir retirer leur carte de séjour, sont contraintes de demeurer au sein d’un foyer abusif. Malgré les apports des nouvelles dispositions législatives de 2014 et de 2016, leur dignité et leurs droits ne sont toujours pas suffisamment garantis.

Nous devons faire en sorte que moins de femmes se voient ainsi reléguées au rang d’épouses subordonnées à la nationalité de leur conjoint. Pour autant, les solutions préconisées par cette proposition de loi ne nous semblent pas adaptées, en dépit des travaux de la commission des lois qui ont permis de supprimer plusieurs articles particulièrement problématiques.

Je pense notamment à l’article 1er, qui portait à quatre ans la durée de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », et qui était bien évidemment antinomique avec le principe de progressivité du droit au séjour.

L’article 2, qui avait pour ambition de faire bénéficier les femmes victimes de violences des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, plus favorables que celles prévues par les accords bilatéraux conclus avec leur pays d’origine, était tout bonnement contraire à la Constitution, les traités ou accords bilatéraux ayant une valeur supérieure aux lois.

Avec la suppression de la moitié de ses articles, force est de constater que la proposition de loi a été considérablement vidée de sa substance. Seul l’article 4, qui étend utilement la protection des victimes de violences conjugales aux victimes de violences familiales dans le cadre du regroupement familial, nous semble opportun. Il s’agissait là de combler une lacune fort dommageable pour les victimes.

Quant aux dispositions restantes, elles demeurent problématiques car elles rendent automatique, donc sans avis discrétionnaire de l’autorité administrative, la délivrance de la carte de séjour dans certains cas. Elles rendent notamment obligatoire la délivrance en cas de plainte pour violences, une hypothèse qui nous paraît par trop imprécise. Pour ces raisons, le groupe UDI ne peut soutenir ce texte en l’état.

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Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, je tiens d’abord à remercier Mme Buffet pour cette proposition de loi. Ce texte a été vidé d’une grande partie de son contenu, mais ce qu’il en reste est bien là.

J’ai essayé de réfléchir sur cette proposition d’humanité, qui vise à protéger les femmes du chantage à la carte de séjour. Ces femmes faibles appartiennent à des clans, à des familles et à des employeurs. En tant que juriste, j’aurai toujours à l’esprit la situation d’esclavage dans laquelle des familles françaises ou étrangères tiennent des femmes sur le territoire. Malgré des condamnations sévères, l’esclavage moderne cela existe dans notre pays : il faut le savoir.

Voici ce qu’a déclaré Colette Capdevielle en commission : « Il est exact que les femmes étrangères subissent la précarité et la discrimination plus que d’autres : femmes, étrangères, dominées, ces difficultés se cumulent. Souvent, elles ne peuvent pas déposer plainte, notamment après des violences conjugales : elles risquent de perdre leur titre de séjour, mais aussi la garde de leurs enfants, et elles subissent parfois un chantage de leur propre famille restée au pays.Vous avez décrit ce poids du patriarcat… »

Comme le disait Mme Capdevielle, ces femmes doivent avoir les mêmes droits que toutes les autres : droit à la justice, droit à un statut légal protecteur. Mais elles doivent aussi pouvoir s’émanciper de leur conjoint, sans perdre leur droit au séjour. Cela me semble particulièrement important. Dire qu’elles doivent avoir accès au droit, c’est tout dire.

Madame Lagarde, considérons les dispositions que contient encore ce texte, et essayons de revoir, en les étendant, la situation de ces femmes étrangères. Il appartient au Gouvernement de prendre des initiatives sur le plan des conventions internationales. Celles-ci, qui prennent en compte la situation spécifique des femmes dans tel ou tel pays, protègent mieux que le droit interne. À mon sens, c’est la meilleure des solutions.

Le texte peut paraître insuffisant, ce qui suscite un certain malaise. Mais au regard de ce qui est fait vis-à-vis de la situation de ces femmes, en régression, il a le mérite d’exister. Certes, le Gouvernement a agi depuis 2012 – des circulaires rappellent les critères de délivrance – mais, reconnaissons-le, les résultats sont faibles. Ce texte nous est présenté, saisissons-le ! Il s’agit d’une proposition d’humanité, et je soutiendrai toujours les propositions d’humanité.

Applaudissements sur les bancs du socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

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Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, contrairement à ce que vous pourriez croire, je n’ai pas abordé ce texte avec une quelconque prévention. Comme avocat, j’ai eu l’occasion de rencontrer des femmes qui, effectivement, étaient victimes du chantage à la carte de séjour. Cela peut vous étonner que je le dise, mais c’est vrai.

Mais, l’honnêteté m’oblige à le dire, j’ai aussi rencontré des hommes qui étaient victimes d’un chantage judiciaire. Or ce texte, qui est inspiré par de bonnes intentions et qui s’inscrit dans une certaine réalité, me paraît tout à fait insuffisant. Mon expérience des prétoires m’amène en effet à craindre qu’il ne fasse proliférer des chantages contraires. Pour obtenir la carte de séjour ou sa prorogation, on pourra monter des coups, organiser des situations qui donneront l’impression que l’on est la victime, alors qu’on ne l’est pas !

Ce texte n’envisage pas assez la fraude qu’il peut – certes involontairement – engendrer. On risque de voir proliférer des montages, des organisations, afin d’utiliser le texte pour obtenir ce que l’on veut. Comprenez-moi bien : pas plus que vous, je n’ai envie de laisser la femme étrangère abandonnée. Mais en même temps, le vieux routier des procédures que je suis – Alain Touret me comprendra peut-être – sait que l’homme et la femme, parfois, vivent bassement, et que la loi peut être détournée, utilisée, manipulée.

Vous n’y avez pas pris garde, madame la rapporteure, car vous êtes la belle âme des belles âmes – je vous le concède volontiers. Vous êtes de ces gens qui ont la chance de vivre en apesanteur ; ce n’est pas donné à tout le monde. Je dis les choses comme elles sont ! Il y a les soutiers de la vie, ceux qui sont dans le réel et savent que – hélas ! – la nature humaine n’est pas toujours très belle.

Ce texte, que je ne condamne pas fondamentalement, représente un grave danger dans la mesure où il permettra toutes les spéculations et montages imaginables. Vous ne pensez même pas à cela. Où sont les dispositions qui réprimeraient les abus de l’usage de ce texte ? Il n’y en a pas !

Alain Touret a raison : ce problème ne peut être réglé que dans le cadre juridique des conventions internationales. Malheureusement, vous passez à côté. Donnez-nous des garanties, posez-vous la question de l’usage abusif que l’on pourra faire de ce texte et pensez aussi aux hommes, car il n’y a pas que les femmes qui soient victimes de violences ! Ayez une vue générale, pesez le pour et le contre, et prenez en considération l’intérêt général, au-delà des cas individuels, anecdotiquement dramatiques !

Une fois qu’un texte existe, il est exploité, détourné, utilisé. D’un secours, on peut en faire une arme ! Malheureusement, et c’est le principal reproche que je vous fais, vous n’avez pris aucune mesure pour éviter le commerce judiciaire qui permettrait à des étrangers voulant abuser de la loi de mettre en place des systèmes de captation et de fraude. Une fois de plus, les garanties n’y sont pas !

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La discussion générale est close.

La parole est à Mme Marie-George Buffet, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

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Chers collègues, je vous remercie pour vos interventions. Bien sûr, les différentes lois que nous avons adoptées ces dernières années contenaient des avancées. Je pense à la loi relative aux violences faites aux femmes, dont Guy Geoffroy était rapporteur, à la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et à celle relative au droit des étrangers. Mais la réalité nous rappelle que ces lois ne traitent pas suffisamment de la question centrale : le droit à l’autonomie. La réalité, ça n’est pas seulement le prétoire et les tribunaux. La réalité, c’est ce que vivent les associations, dans les quartiers. Ce sont ces femmes que nous accueillons dans nos permanences.

De quoi parle-t-on ? De quelques mois dans la vie de ces femmes. Celles-ci arrivent en France par l’intermédiaire du regroupement familial, ou par mariage, puis elles découvrent la réalité : parfois ce n’est pas le conjoint qu’elles espéraient, parfois son comportement ou celui de la belle-famille n’est pas celui qu’elles attendaient ; mais elles ne veulent pas partir, ou plutôt elles ne peuvent pas partir, car elles ont peur de perdre leur carte, qui leur a été donnée dans le cadre du regroupement familial. Voilà ce qu’il nous faut traiter.

Nous avons tous des exemples en tête. Moi, j’ai celui d’une femme qui est arrivée en France et qui a eu un enfant dans l’année ; ensuite, on a tout fait pour qu’elle reparte, tout – les coups, etc –, car l’enjeu était l’enfant. Cette femme n’ose pas porter plainte ; je n’arrive pas à l’accompagner jusque-là.

Il faut donner à ces femmes les moyens de leur autonomie. Cela demande un peu de temps : d’où l’article 1er. Cela implique qu’à chaque fois qu’il y a un risque, elles aient droit à une carte temporaire. Voilà le sujet que nous traitons par cette proposition de loi. Ce n’est pas un texte énorme, ce n’est pas un texte bavard, c’est un texte qui veut juste répondre à cette question : a-t-on le droit à l’autonomie ?

Et je ne cherche pas à créer, cher collègue, des droits spécifiques.

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Pour cela, il faut des réponses adéquates.

La loi sur la parité n’est pas une loi destinée spécifiquement aux femmes ; c’est une loi qui dit que pour qu’il y ait pleine démocratie, il faut apporter un correctif et faire en sorte qu’il y ait autant de femmes que d’hommes dans les lieux de pouvoir. On assure le droit des femmes à la démocratie : il s’agit non pas d’accorder un droit spécifique, mais de faire en sorte que les hommes et les femmes aient les mêmes droits. De même, il faut que les femmes étrangères aient les mêmes droits que les hommes étrangers. Tel est l’objet de cette proposition de loi.

Quant au danger d’un appel d’air, d’une fraude généralisée… Vous savez, il suffit d’être en contact avec ces hommes et ces femmes ! Le retour chez eux, par exemple, est quasi impossible, car la famille portera probablement un jugement sur ce mariage qui n’a pas pu aller jusqu’au bout. Qu’ils appellent à venir les rejoindre ? Non : ils sont au contraire dans une position de repli. Je pense donc que l’on ne craint rien ; et quant à moi, je préfère sauver quelques dizaines de femmes des coups de leur conjoint, quand bien même il y aurait deux ou trois cas de fraude. Je prends ce risque, car c’est celui de l’humanité.

Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

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J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.

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La commission a supprimé l’article 1er.

Je suis saisie d’un amendement no 2 , visant à rétablir l’article. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le soutenir.

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Cet amendement, qui tend à rétablir l’article, a été adopté par la commission lors de la réunion prévue au titre de l’article 88 du règlement. Il n’a donc plus d’objet.

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Il a été accepté par la commission au titre de l’article 88, mais il vous faut néanmoins le soutenir en séance plénière, madame la rapporteure.

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En effet, madame la présidente.

Il s’agit d’avoir assez de temps pour assurer l’indépendance et l’autonomie des femmes étrangères, en leur délivrant une carte de séjour valable plusieurs années.

Comme je l’ai dit, cet amendement a recueilli un avis favorable de la commission.

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La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, pour donner l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 2 .

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Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’état chargé des anciens combattants et de la mémoire

Prévoir que la carte de séjour pluriannuelle « vie privée et familiale » doit avoir dans tous les cas une durée de quatre ans reviendrait à remettre en cause la logique qui a présidé à l’adoption de la loi du 7 mars dernier. Celle-ci prévoit en effet que la durée de cette carte, qui est attribuée après une carte de séjour d’un an, est de quatre ans, sauf pour deux catégories de public, qui auront une carte de deux ans : les conjoints de Français et parents d’enfants français, car ils peuvent bénéficier d’une carte de résident après trois années ; les étrangers dont les liens personnels et familiaux en France sont intenses, anciens et stables. Il s’agit dans ce dernier cas d’étrangers entrés irrégulièrement en France et régularisés, pour lesquels il convient d’établir des exigences particulières en matière d’intégration et donc de prévoir un traitement différent des autres catégories qui ont régulièrement accédé au séjour. L’intégration et le respect des conditions de délivrance de la carte pourront ainsi être vérifiés lors du renouvellement de la carte pluriannuelle de deux ans. La création d’une carte de séjour « vie privée et familiale » d’une durée de quatre ans n’est pas opportune, car elle ne correspond pas à la logique du parcours d’intégration de l’étranger.

Les victimes de la traite des êtres humains sont exclues du bénéfice d’une carte de séjour pluriannuelle, puisqu’elles ont vocation à se voir délivrer de plein droit une carte de résident dès lors que la personne mise en cause a été définitivement condamnée. De plus, la sécurisation du parcours d’intégration des étrangers victimes de la traite des êtres humains est assurée dans la mesure où la première délivrance et le renouvellement de la carte de séjour temporaire sont de plein droit durant toute la procédure pénale, de sorte que les victimes de la traite des êtres humains bénéficient d’un droit au séjour pérenne.

Enfin, la délivrance de la carte de séjour temporaire prévue à l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne s’inscrit pas dans la logique d’un parcours d’intégration, mais répond à un objectif de protection et de prise en charge des victimes de la traite des êtres humains qui coopèrent avec les autorités.

Par conséquent, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

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Il y a un problème – cela a d’ailleurs été un peu difficile ce matin, en commission.

Je comprends parfaitement le sens de cet amendement, qui vise à sécuriser le parcours d’intégration des étrangers que nous accueillons au titre de la vie privée et familiale, qu’ils soient conjoints de Français ou qu’ils bénéficient du regroupement familial. Toutefois, la création de titres de séjour pluriannuels était un engagement du Président de la République, et nous l’avons concrétisé en février dernier. Concrètement, l’obligation de justifier chaque année de la poursuite de la vie commune pour obtenir un renouvellement du titre de séjour va disparaître à l’issue de la première année : ce sont autant d’occasions de chantage aux papiers en moins pour les auteurs de violences.

Bien sûr, il reste la première année, mais c’est je crois que vérifier la poursuite de la vie commune après un an relève d’un équilibre nécessaire entre la protection des personnes et la lutte contre les fraudes en matière de mariage. Nous avons déjà accompli un grand pas avec la mise en place des titres pluriannuels. Laissons ce dispositif entrer en vigueur, et évaluons-le. C’est sur la façon dont on traite concrètement les situations de violence avérée au cours de la première année que l’on doit avancer, plutôt qu’en faisant de la vie privée et familiale une situation dérogatoire au droit commun. C’est pourquoi le groupe socialiste ne souhaite pas que cet amendement soit adopté.

L’amendement no 2 n’est pas adopté.

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La commission a supprimé l’article 3.

Je suis saisie d’un amendement no 3 , tendant à rétablir l’article. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le soutenir.

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Lorsque la préfecture doit prendre une décision, la situation familiale – même si elle n’est pas le seul élément d’appréciation – compte énormément. Il me semble donc important que le mariage, le pacte civil de solidarité et le concubinage soient pris en considération dans les conditions familiales. S’il y a rupture de la vie commune, la préfecture refusera en effet de remettre la carte à l’un ou l’autre membre du couple.

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Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’état chargé des anciens combattants et de la mémoire

Cet amendement n’est pas utile dans la mesure où, à la différence des conjoints de Français ou de ceux entrés en France dans le cadre du regroupement familial, l’existence d’une communauté de vie n’est pas une condition pour le renouvellement de la carte de séjour temporaire délivrée sur le fondement du 7° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : elle n’est qu’un élément d’appréciation. Un préfet commettrait donc une erreur de droit s’il rejetait une demande de renouvellement en motivant sa décision uniquement par la rupture d’une communauté de vie. Dans un tel cas, le préfet doit examiner l’ensemble de la situation de l’étranger au vu des critères mentionnés par l’article susdit, qui lui interdit de refuser le renouvellement d’un titre si une telle décision devait porter atteinte au droit de la personne ou au respect de sa vie privée et familiale.

En tout état de cause, les personnes victimes de violence bénéficient des dispositions de l’article L. 316-3 du même code, qui prévoient la délivrance et le renouvellement de plein droit d’une carte « vie privée et familiale » au bénéficiaire d’une ordonnance de protection, et de celles de l’article L. 316-4 relatives à la délivrance d’une carte de résident à l’étranger qui a déposé plainte pour des faits de violence exercée au sein du couple en cas de condamnation définitive de la personne qui les a commis.

Par conséquent, le Gouvernement est défavorable à l’amendement.

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Je dois avouer que cet amendement me laisse perplexe. Le renouvellement du titre « vie privée et familiale » prévu par le 7° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’est en effet pas explicitement conditionné à la poursuite de la vie commune, contrairement au renouvellement prévu par le 4°.

Cela amène notre groupe à suivre l’avis de la commission et à s’opposer à l’amendement.

L’amendement no 3 n’est pas adopté.

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La parole est à Mme Pascale Crozon, inscrite sur l’article.

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La disposition prévue par l’article est satisfaite en l’état du droit. L’inclusion des violences familiales n’est, pas selon nous, de nature à soulever des difficultés juridiques particulières. Par conséquent, nous voterons cet article.

L’article 4 est adopté.

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La parole est à Mme Pascale Crozon, inscrite sur l’article.

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Cet article permettra de délivrer automatiquement une carte de résident à l’étranger ayant déposé plaine contre son conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité en cas de condamnation définitive de ce dernier pour violences conjugales. Comme je l’ai dit, nous sommes déjà intervenus à plusieurs reprises en ce sens, notamment par l’intermédiaire d’amendements. C’est pourquoi nous voterons l’article.

Avec Mme Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, nous avions d’ailleurs proposé d’inclure cette disposition dans la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Nous sommes très satisfaites de la retrouver dans le présent texte !

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L’article 5 vise à modifier l’article L. 316-4 du CESEDA, ainsi rédigé : « En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident peut être délivrée à l’étranger ayant déposé plainte pour une infraction mentionnée au premier alinéa de l’article 132-80 du code pénal ». La modification apportée concerne l’automaticité de la mesure : on remplace « peut être » par « est ».

Pour répondre aux inquiétudes exprimées par notre collègue Lurton, la délivrance de plein droit prévue à l’article 5 concerne les infractions faisant l’objet de peines aggravées et commises par le conjoint. Il s’agit d’une liste limitée ; les violences involontaires qu’il a mentionnées ne sont pas incluses dans ce périmètre.

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La parole est à Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

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Je me félicite de l’adoption probable de cet article. Nous aurions souhaité aller un peu plus loin dans la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et dans la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées – je le dis, même si je sais que nous ne l’obtiendrons plus. Avant une condamnation définitive, les procédures sont longues, il peut y avoir des appels et la victime reste dans une situation d’insécurité. Je connais le cas d’une personne sortie de la prostitution et qui a fait condamner sa proxénète ; mais celle-ci a fait appel et peut donc continuer son activité. Celle qui l’a traduite devant les tribunaux est contrainte de faire renouveler son titre de séjour chaque année, avec à chaque fois beaucoup de difficultés.

Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, nous venons de recevoir le rapport du Défenseur des droits sur les droits fondamentaux des étrangers en France.

Dans un paragraphe sur les violences faites aux femmes, ce rapport souligne que les préfectures n’obéissent pas forcément aux excellentes circulaires du Gouvernement. Bien que celles-ci soient très claires, les préfectures font parfois du zèle, par exemple en demandant une ordonnance de protection pour protéger les femmes victimes de violence, alors que ce point n’apparaît pas dans les textes.

L’article 5 est adopté.

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La parole est à Mme Pascale Crozon, inscrite sur l’article.

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La rédaction de cet article n’est pas satisfaisante. En 2014, 193 000 plaintes ont été enregistrées pour des faits de violence volontaire, dans le cadre familial pour 60 % d’entre elles, conduisant à 58 000 condamnations, dont 30 % dans le cadre familial.

S’ils ne précisent pas la nationalité des victimes, ces chiffres montrent combien le Gouvernement a raison de mentionner que cet article aurait une portée plus large que son objectif, et pourrait être volontairement détourné. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons la suppression de l’article 6.

Ces chiffres montrent aussi que la réalité du phénomène dépasse de très loin les 2 500 ordonnances de protection qui ont été délivrées. Cette mesure ne peut pas être le seul outil des préfets sur le sujet.

Votre préoccupation, madame la rapporteure, reste donc entière. C’est pourquoi nous souhaitons retravailler à la rédaction de cet article : nous verrons quel véhicule législatif pourra être utilisé dans les mois qui viennent.

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La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement de suppression no 5.

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Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’état chargé des anciens combattants et de la mémoire

L’article 6 de la proposition de loi entend créer un cas de délivrance de plein droit d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à l’étranger victime d’infractions, lorsque les violences ont entraîné une mutilation, une infirmité permanente ou une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours, si les procédures civiles et pénales liées aux violences sont en cours.

Il étend la délivrance d’une carte de séjour temporaire de plein droit – carte jusqu’alors réservée aux victimes de violences conjugales ou familiales, ainsi qu’aux victimes de la traite des êtres humaines – à toutes les victimes, quelle que soit la nature des violences ou le contexte dans lequel elles ont lieu.

Ce nouveau cas de délivrance d’un titre de séjour est pourtant d’une nature différente des deux cas précités. En effet, s’agissant des victimes de la traite des êtres humains, il y a un lien entre la traite et la délivrance du titre de séjour, en ce que la traite a conduit le bénéficiaire du titre en France, a priori contre son gré. La traite est donc constitutive de la migration de la personne en France. Une fois arrivée, celle-ci dénonce les auteurs du délit. Il y a une logique à ce que la victime, au lieu d’être renvoyée dans son pays, obtienne un titre de séjour qui, de surcroît, contribue à la protéger contre le réseau dont elle a été victime.

S’agissant des violences conjugales ou familiales, cet article vise à octroyer aux victimes un droit au séjour autonome, en dépit de la disparition du lien familial ou privé, dont elles pouvaient se prévaloir auparavant, dans la mesure où elles sont non pas les auteurs mais les victimes de cette rupture. Dans les cas de violence visés par cet article, il n’y a de lien ni avec la traite des êtres humains ni avec la rupture, imposée à la victime, de ses liens privés et familiaux en France.

Ainsi, alors que cette proposition de loi vise à renforcer l’autonomie des femmes étrangères, par sa rédaction, elle pourrait aboutir à délivrer une carte de séjour temporaire à l’auteur de telle violence, lorsque la victime se serait défendue en infligeant elle-même à son agresseur des violences entrant dans le champ d’application des articles 222-9 et 222-11 du code pénal.

Le champ d’application de cet article est donc manifestement trop large pour constituer un motif d’admission au séjour. Les notions de victimes d’infractions et de procédures civiles ou pénales en cours restent imprécises…

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Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’état chargé des anciens combattants et de la mémoire

…et ne permettent pas de circonscrire clairement quelle personne pourrait être visée. Ces notions pourraient donner lieu à des détournements, qui seraient contraires aux objectifs poursuivis de protection de personnes vulnérables. C’est pourquoi le Gouvernement demande la suppression de l’article 6.

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La commission a donné un avis favorable à cet amendement de suppression, ce que je regrette. J’espère en effet, madame Crozon, qu’il sera possible de retravailler cet article et de l’inscrire dans la future loi « Égalité et citoyenneté ». Vous reconnaissez vous-même que cette disposition répond à un besoin.

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Les procédures sont très longues : elles durent parfois des mois, voire des années. La victime des violences doit pouvoir continuer à vivre en France, à s’y défendre. C’est donc un vrai sujet. J’espère que nous aurons l’occasion de travailler sur cette question et d’y répondre lors du débat sur le projet de loi « Égalité et citoyenneté ».

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J’entends le Gouvernement et je comprends que cet article était trop large, pas assez précis, quoiqu’il englobe des cas très concrets, que nous pourrions évoquer. Je m’interroge seulement sur l’argument de M. le secrétaire d’État selon lequel les auteurs de violences pourraient bénéficier d’une carte de séjour, la victime se défendant par des violences. Ces cas sont très spécieux.

Il demeure nécessaire de protéger ces femmes dans leur vie privée et professionnelle et surtout, de les protéger de ce chantage aux papiers, lorsque le mari violent met sa compagne à la porte, en conservant ses documents, donc en la plaçant en situation illégale.

Je vous entends donc, madame Buffet. Nous pouvons nous engager à travailler avec vous dans le cadre de la loi dite PLEC, en prévoyant un amendement destiné à améliorer le sort des femmes étrangères victimes de violences.

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Je comprends bien votre souci, madame la rapporteure. Comme je vous l’ai déjà dit, nous travaillerons dans le cadre du projet de loi « Égalité et citoyenneté » non seulement pour essayer de réécrire cet article, mais aussi pour inscrire les articles 4 et 5.

L’amendement no 5 est adopté. En conséquence, l’article 6 est supprimé et l’amendement no 4 tombe.

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Dans les explications de vote, la parole est à M. Gilles Lurton, pour le groupe Les Républicains.

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Au terme de notre examen, il reste de cette proposition de loi un article 4, qui privilégie la notion de violences familiales ou conjugales, auquel nous sommes favorables et que nous avons voté sans réserve, et un article 5 au sujet duquel il existe des différences d’interprétation dans les préfectures. Comme je l’ai dit, le Gouvernement doit rappeler aux préfets que les circulaires doivent être appliquées de façon identique dans toutes les préfectures. Nous sommes entièrement d’accord sur ce point. Mais l’article 5, tel qu’il est rédigé, enlève tout pouvoir discrétionnaire aux préfets, et nous ne pouvons donc pas l’approuver. En conséquence, nous voterons contre cette proposition de loi.

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La parole est à Mme Catherine Coutelle, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

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Je remercie Marie-George Buffet pour son engagement et pour cette proposition de loi, même si celle-ci a été amputée. Comme l’a dit Pascale Crozon, nous introduirons les dispositions que nous allons adopter dans le projet de loi « Égalité et citoyenneté » afin qu’elles puissent s’appliquer plus rapidement.

La proposition de loi est adoptée.

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L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Jacques Candelier et plusieurs de ses collègues relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918 (nos 274, 3754).

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La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées.

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Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, madame la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, chers collègues, dans trois jours, le centenaire de la bataille de Verdun sera officiellement commémoré lors d’une cérémonie présidée par le Président de la République et la chancelière de la République fédérale d’Allemagne, dans la nécropole nationale de Fleury-devant-Douaumont.

La bataille de Verdun a coûté la vie à près de 300 000 soldats des deux camps, tandis que plus de 400 000 combattants furent blessés. Au terme des quatre années de la Première guerre mondiale, la France compte 1,3 million de tués ou de disparus. Aux soldats français morts au combat s’ajoutent ceux décédés ensuite, en raison de blessures, d’infections ou par gazage. Au total, 16,5 % des 7,8 millions de Français mobilisés sont morts, laissant 700 000 orphelins et 600 000 veuves. La France rurale subit une véritable saignée.

Parmi ces victimes de la Grande guerre, il y a ceux dont on ne veut pas parler, ceux qui ne méritent pas les honneurs de la patrie, ceux dont les familles ont dû se cacher pour porter le deuil : les fusillés pour l’exemple.

Eux aussi, pourtant, ont été pris dans l’enfer des tranchées, noyés sous le flux parfois incessant des tirs des « marmites » de l’artillerie lourde, meurtris dans leur chair, la faim au ventre, le froid agressant leurs corps. Ils se sont battus au nom de la France, pour la France, se levant de la terre avec pour seul horizon les barbelés adverses. Et parfois, épuisés par les combats, par l’attente, n’en pouvant plus d’être réduits à de la chair à canon, certains ont renoncé. Était-ce infamant ? Peut-être, parfois, mais la plupart du temps, non !

Ce n’était pas infamant de reculer de quelques dizaines de mètres, surpris par une attaque, pour mieux repartir au combat. Ce n’était pas infamant de ne pas sortir de sa tranchée, quand devant vos yeux s’amoncellent les corps de vos camarades tombés par vagues lors d’absurdes attaques. Ce n’était pas infamant de ne parler que corse ou breton et de ne pas être en mesure d’expliquer sa blessure.

Pourtant, nombre de soldats français sont morts sous les balles de leurs camarades pour de tels faits. Combien d’exécutés pour s’être égarés dans la confusion des combats, pour avoir été faussement accusés de s’être automutilés, pour avoir appliqué un ordre donné par un capitaine mort au combat et incapable de les défendre, pour avoir été tiré au sort, après avoir refusé une énième percée inutile et sanglante ?

Les histoires du soldat Lucien Bersot, exécuté pour ne pas avoir voulu porter le pantalon taché de sang d’un camarade mort au combat, ou du sous-lieutenant Chapelant, fusillé attaché à son brancard, sont les plus connues. Mais nombre d’ouvrages d’historiens racontent en détail les histoires de ces autres hommes morts, d’une manière ou d’une autre, en ayant défendu la patrie, au cri de « Vive la France ! ».

Le Parlement n’a pas pour mission de juger, et ce n’est pas la prétention de la présente proposition de loi. Aujourd’hui, il est simplement question de s’interroger sur la place que la nation souhaite réellement accorder à ces soldats au sein de sa mémoire. En déposant une proposition de loi visant à procéder à une réhabilitation des fusillés pour l’exemple de la Première guerre mondiale, les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine poursuivent modestement le combat entamé dès les premiers mois de la Grande guerre par certains de nos illustres prédécesseurs, comme les députés Jean Parvy, Louis Andrieux, Jean-Baptiste Giray, Aristide Jobert ou Paul Meunier, qui s’exclamait à la tribune en 1916 : « Il faut en finir, messieurs, avec les crimes des conseils de guerre ».

Si l’on s’en tient aux chiffres publiés dans le rapport sur la question remis par Antoine Prost au Gouvernement en octobre 2013, on dénombre 56 exécutions pour faits d’espionnage, 53 pour crimes et délits de droit commun, 14 exécutions sommaires connues, et 618 fusillés pour manquement à la discipline militaire. C’est à ces derniers, et à ces derniers seulement, que la présente proposition de loi s’adresse.

Contrairement aux idées reçues, les mutins de 1917 sont loin de constituer la majorité des fusillés. En effet, au cours des dix-sept premiers mois de la guerre, d’août 1914 à fin décembre 1915, le général André Bach a recensé près de 500 exécutions. Inversement, alors que la plupart des historiens estiment que les mutineries de 1917 ont concerné 40 000 à 80 000 soldats, elles ne donnèrent lieu qu’à 27 exécutions. Les mutineries collectives ont donc été moins réprimées que les renoncements individuels.

En 1914, la justice militaire repose presque intégralement sur le code de justice militaire du 9 juin 1857, modifié par la loi du 18 mai 1875. Mais au début de la guerre, le Gouvernement est à Bordeaux, le Parlement ajourné, et les autorités politiques, effrayées par la perspective de la débâcle, encouragent le commandement militaire à se montrer répressif.

Adolphe Messimy, ministre de la guerre, écrit ainsi au généralissime Joffre, le 20 août 1914 : « Il vous appartient de prendre des mesures et de faire des exemples ». Avant même la fin de ce mois d’août 1914, le Gouvernement donne – par décret – carte blanche au commandement militaire.

En septembre sont institués des conseils de guerre spéciaux à trois juges – les cours martiales – qui peuvent juger suivant une procédure simplifiée et sans possibilité de recours. Ces cours martiales jugeront souvent « au petit bonheur, au tirage au sort » comme le dénonçait le 10 décembre 1915 à la tribune Jean Parvy, député de la Haute-Vienne.

Cette justice expéditive et parfois aveugle s’accompagne d’un processus d’humiliation et de dégradation. Le Parlement se réunit de nouveau, à compter de décembre 1914, et de nombreux députés retrouvent leur siège après avoir été mobilisés. Certains d’entre eux, témoins d’exécutions, s’emparent de ce qu’ils considèrent comme un scandale d’État ou, à tout le moins, une injustice.

Le député de l’Aube Paul Meunier, membre de la commission de la réforme judiciaire et de législation civile et criminelle, se lance en mars 1915 dans un combat en faveur d’une réforme de la justice militaire qui aboutira à la promulgation de la loi du 27 avril 1916 relative au fonctionnement et à la compétence des tribunaux militaires.

En juin 1917, lors de la répression des mutineries, Philippe Pétain obtient la suspension temporaire du recours pour les condamnés à mort. Pendant cinq semaines, 600 soldats sont condamnés à mort pour une trentaine d’exécutions.

Après cette date, le fonctionnement de la justice militaire ne connaît plus de transformation fondamentale et, face aux erreurs, quelques réhabilitations sont obtenues, alors même que le conflit se poursuit.

Au sortir de la guerre, les familles des fusillés doivent supporter la honte qui entoure la mort de leur époux, de leur fils, de leur frère. De multiples récits témoignent des humiliations, des demandes de déménagement, des curés refusant de sonner les cloches et des têtes se détournant.

Plusieurs lois d’amnistie ou instaurant des recours contre les condamnations prononcées durant la guerre sont adoptées et promulguées en 1919, en 1921, en 1924 et en 1928.

Surtout, le 9 mars 1932 est adoptée la loi créant une Cour spéciale de justice militaire, compétente pour réexaminer tous les jugements rendus par les conseils de guerre. Elle siégera entre 1933 et 1935 et permettra, notamment, la réhabilitation des caporaux de Souain et des fusillés de Flirey. Au total, une quarantaine de fusillés seront ainsi réhabilités dans l’entre-deux-guerres.

Par la suite, durant une cinquantaine d’années, la réhabilitation des fusillés fait moins débat. Finalement, en novembre 1998, à l’occasion d’un discours prononcé à Craonne lors des commémorations de l’armistice, le Premier ministre, Lionel Jospin, rend un hommage inédit aux fusillés pour l’exemple. Dix ans plus tard, le 11 novembre 2008, c’est au tour de Nicolas Sarkozy, Président de la République, de saluer la mémoire de tous les soldats de la Grande guerre, sans exception, y compris les fusillés.

Entre ces deux dates, de nombreux travaux d’historiens ont éclairé d’une lumière nouvelle la question des fusillés pour l’exemple. De nombreuses associations, comme Libre Pensée, l’Association républicaine des Anciens combattants – l’ARAC –, et la Ligue des droits de l’homme ont, animées d’un nouvel espoir, repris le combat.

Dans le même temps, de nombreux conseils municipaux, généraux et régionaux ont adopté des résolutions en faveur de la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple. Certaines communes ont pris l’initiative d’inscrire le nom de leurs fusillés au fronton des monuments aux morts.

Aujourd’hui, nombre de cadavres demeurent toutefois « dans le placard de la Grande guerre » selon les mots de l’historien Jean-Yves Le Naour. À la suite de la remise du rapport d’Antoine Prost, le Président de la République, François Hollande, a évoqué, le 7 novembre 2013, la mémoire de tous ceux qui furent passés par les armes. Il a, à cette occasion, annoncé qu’un espace serait consacré aux fusillés au sein du musée de l’Armée aux Invalides, en novembre 2014, et que les dossiers seraient publiés sur un site internet. Mais comment s’en satisfaire alors que le Canada, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni ont adopté, au cours des années 2000, des lois de pardon ou de réhabilitation ?

Face aux atermoiements du Gouvernement, il est de notre devoir, comme le firent nos prédécesseurs dès décembre 1914, de rendre hommage à ces soldats.

En exécutant de la sorte ses soldats, et en refusant d’affronter pleinement la question de leur souvenir, la nation s’est, en quelque sorte, infligée la flétrissure qu’elle entendait leur faire porter. Elle ne parvient toujours pas, aujourd’hui, à ôter ce kyste mémoriel.

C’est pour cette raison qu’il lui faut procéder à une réhabilitation collective et générale des fusillés et demander pardon à leurs descendants pour les avoir oubliés, stigmatisés et rejetés, alors même que, dans l’ensemble, ceux-ci ont pour la plupart combattu, brandissant leurs baïonnettes face à l’artillerie pour défendre la patrie.

C’est à ce prix que la nation cessera d’être hantée par Alphonse, Octave, Louis, Eugène, Paul, Émile, Lucien et les autres. C’est à ce prix que nous pourrons rendre justice à ceux ayant connu l’épreuve tragique de l’épée qui se baisse, du bruit fracassant des douze coups de fusil et du bruit mat des balles qui pénètrent dans les corps, du coup de grâce dans la tempe, de la parade devant le corps.

Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’état chargé des anciens combattants et de la mémoire

Madame la présidente, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, l’Assemblée nationale examine aujourd’hui un projet de loi visant à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple durant la Première guerre mondiale.

Nous tous ici sommes attachés à la mémoire de ces soldats, de ces pères de famille, de ces étudiants à peine majeurs, qui ont éé plongés malgré eux dans l’enfer des tranchées et de Verdun, qui ont connu le froid, le fer et le feu, la terreur et la mort.

Qui n’est pas aujourd’hui touché par l’histoire de ceux qui, refusant parfois une mort inévitable, ont préféré la vie ? Qui n’est pas sensible à l’histoire de ceux qui ont été victimes de l’arbitraire et de l’injustice ? Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, l’histoire du soldat Lucien Bersot qui fut, pour avoir refusé de porter le pantalon souillé de sang de l’un de ses camarades, fusillé le 13 février 1915, mais qui fut réhabilité le 12 juillet 1922. Ce qui le maintient vivant dans la mémoire de chacun de nous, ce n’est pas tant la procédure de réhabilitation de 1922 que les mots de l’écrivain Alain Scoff et les images du réalisateur Yves Boisset.

À l’instar de nombreux Français, je me souviens de Lucien Bersot non pas en raison de sa réhabilitation en 1922 par un arrêt de la Cour de Cassation, mais parce que j’ai pu voir en 1997, comme des milliers de téléspectateurs, le téléfilm qui racontait son histoire sur une chaîne du service public.

Vous êtes, monsieur le rapporteur, aussi sensible que le Gouvernement sur ce point. Vous voulez que cette mémoire vive. Je le veux aussi. Nous avons déjà fait beaucoup, et sans doute même plus, en ce sens, que d’autres gouvernements : nous continuerons dans cette voie.

Dès le 1er août 2013, en prévision du lancement du cycle commémoratif du centenaire de la Grande guerre, mon prédécesseur, Kader Arif, confiait un rapport sur la mémoire des « fusillés pour l’exemple » à Antoine Prost ainsi qu’à un comité d’historiens de toutes sensibilités. Il invitait en particulier le comité à entendre les associations militant pour la réhabilitation des fusillés et à écouter, sans aucun tabou, leurs arguments.

Le 7 novembre 2013, le Président de la République lançait officiellement le cycle commémoratif de la Première guerre mondiale : dans ce discours, il plaçait la mémoire des fusillés pour l’exemple au coeur du cycle commémoratif. Ses annonces devaient être suivies d’effets. Je les rappelle ici : les « fusillés pour l’exemple » sont complètement intégrés aux espaces muséographiques du musée de l’Armée consacrés à la Première guerre mondiale. Au coeur de l’hôtel des Invalides, au coeur de l’institution militaire, leur mémoire a trouvé la place qui leur était due. Chaque année, ce sont près de 1,5 million de visiteurs qui découvrent ou redécouvrent la mémoire des « fusillés pour l’exemple ».

Mais ce n’est pas tout : toujours conformément aux voeux du président de la République, il fallait permettre à chaque Français de pouvoir facilement accéder aux archives sur ce sujet.

Un effort de numérisation permet désormais la consultation par tous, sur internet, des dossiers de procédure et des minutes de jugement conservés au Service historique de la défense à Vincennes, pour chaque individu – militaire ou civil, français ou étranger – fusillé.

Désormais, les « fusillés pour l’exemple » figurent aux côtés de leurs camarades « Morts pour la France » : nous les intégrons pleinement dans la mémoire nationale. Ce travail de numérisation a, en outre, permis de faire avancer la recherche historique à ce sujet.

Nous menons encore d’autres actions pour la mémoire des fusillés. Depuis le début du cycle commémoratif de la Première Guerre mondiale, la Mission du centenaire a soutenu de nombreuses initiatives autour de la mémoire des « fusillés pour l’exemple », comme la diffusion, le 10 novembre 2015, du téléfilm Les fusillés sur France 3 ou, au premier trimestre 2014, l’exposition « Les fantômes de la République » à l’hôtel de ville de Paris.

Cela vous démontre que l’histoire des « fusillés pour l’exemple » doit être envisagée selon un travail mémoriel et pédagogique de fond. Votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, est d’une nature moins puissante que le travail mémoriel que nous avons entrepris. Elle est aussi, je me dois de le dire, moins respectueuse de la vérité historique.

Car le destin des « fusillés pour l’exemple » ne peut être isolé de son contexte : durant quatre années et demie, des armées de conscription se sont heurtées dans un choc planétaire qui allait, durant des décennies, laisser des meurtrissures impérissables. Chacun connaît un mari, un frère, un ami, mort ou blessé lors du conflit. La France n’avait jamais compté autant de linceuls.

Au-delà de cette souffrance physique, il y a la souffrance morale. Chaque poilu sait que le prochain jour peut être le dernier. Henri Barbusse, dans Le Feu, a admirablement décrit sa vision du front et de ces soldats désemparés : « On est ébloui par ce poudroiement d’hommes aussi petits que les étoiles du ciel. Pauvres semblables, pauvres inconnus, c’est votre tour de donner ! »

Certains soldats, face à ce qui paraissait pour eux l’inévitable ou l’absurde, ont choisi de refuser le sacrifice suprême. Mais de quoi parle-t-on plus précisément lorsque nous évoquons les fusillés pour l’exemple ? « Nous sommes tous condamnés, nous sommes les sacrifiés » nous dit la célèbre chanson de Craonne, emblématique des mutineries de l’année 1917. Même si les fusillés des mutineries de 1917 ne constituent – comme vous l’avez, à juste titre, rappelé, monsieur le rapporteur – que 10 % du total des fusillés de cette guerre, la majorité d’entre eux l’ont été pour abandon de poste et refus d’obéissance en présence de l’ennemi. Mais les cas de désobéissance ne constituent pas la majorité des condamnations à mort. Certaines affaires nous interpellent.

Je pense à celle d’Eugène Bouret. Rendu à moitié dément par le fracas des obus, ce simple soldat erre, à l’automne 1914, à l’arrière du front. Il finit par être repéré par un capitaine dans un hangar. Était-il fou ? Était-il un planqué ? En ces premiers mois du conflit, la justice militaire ne transige pas et le condamne à mort.

Nous voyons ainsi que derrière la notion de « fusillés pour l’exemple » se retrouve une vaste diversité de cas et de sujets. Étant donné l’angoisse de la population et des institutions militaires, il y eut de nombreux procès expéditifs. Combien, exactement ? Le manque de sources empêche d’apporter une réponse précise à cette question. Il est néanmoins évident que l’arbitraire de certains procès choqua les contemporains mêmes du conflit. La première vague de réhabilitations de « fusillés pour l’exemple » n’intervient donc pas à la fin du XXe siècle, mais dès le début des années 1920.

Une première loi d’amnistie est votée dès le 29 avril 1921 pour favoriser les procédures de réhabilitation. Quarante soldats « fusillés pour l’exemple » en profitent. Ce sujet n’a jamais été tabou pour la République. Il ne l’était pas hier, il ne l’est pas aujourd’hui.

Au fil des années, la réhabilitation des « fusillés pour l’exemple » passe du champ de la loi au champ culturel. En 1957, le film de Stanley Kubrick, Les Sentiers de la Gloire, met en scène plusieurs affaires de fusillés dans l’armée française. Une polémique suit alors la sortie du film. Toutefois, un sujet a percé les écrans français et s’est installé définitivement dans l’espace public : celui de l’indiscipline et de sa répression.

Il y a cent ans, des soldats condamnés et fusillés pour l’exemple ont reconnu eux-mêmes la légitimité de leur peine. C’est le cas du lieutenant Herduin, qui a préféré se replier sur un champ de bataille de Verdun en juin 1916 plutôt que de se laisser capturer. Ses dernières paroles traduisent la réalité d’un état d’esprit plus répandu : « Nous avons abandonné la position ; nous aurions dû y rester jusqu’au bout, jusqu’à la mort. »

À la fin du XXe siècle, et encore de nos jours, avec l’apaisement des mémoires, avec aussi un changement d’attitude face à une mort militaire de moins en moins tolérée, le regard a changé sur ces fusillés. La désobéissance des soldats n’est plus considérée comme un signe de lâcheté. Le combat vigoureux des associations d’anciens combattants et de la Ligue des droits de l’homme, dont je veux saluer ici l’ampleur du travail, a lui aussi porté ses fruits dans l’opinion.

C’est pourquoi, en 1998, Lionel Jospin, en déplacement à Craonne, ce lieu emblématique des mutineries de 1917, a pu émettre le souhait que « ces soldats, fusillés pour l’exemple au nom d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui, pleinement, notre mémoire collective nationale. »

Mémoire de gauche, dira-t-on ? Non. Je veux ici citer les propos de l’ancien Président de la République, tenus le 11 novembre 2008 : « Quatre-vingt-dix ans après la fin de la guerre, je veux dire au nom de notre Nation que beaucoup de ceux qui furent exécutés alors ne s’étaient pas déshonorés, n’avaient pas été des lâches mais que, simplement, ils étaient allés jusqu’à l’extrême limite de leurs forces ».

La question des « fusillés pour l’exemple », nous le voyons, s’est apaisée. Aujourd’hui, cent ans après, faut-il déclarer « mort pour la France » chacun des soldats fusillés pour l’exemple, sans exception ? Vous n’ignorez pas que la notion de réhabilitation implique la mention de « mort pour la France », comme le stipule la loi du 28 février 2012 en son article 2. La mention « mort pour la France » peut ainsi être attribuée à des sujets singuliers, à des cas particuliers.

Mon prédécesseur a montré que le Gouvernement n’était absolument pas fermé à ce type d’initiatives, en attribuant par exemple la mention « mort pour la France » au sous-lieutenant Chapelant, l’un des trois soldats du film de Kubrick, fusillé sur son brancard le 11 octobre 1914.

Faut-il poursuivre ce mouvement en le généralisant ? Ne rien changer serait inopportun eu égard à la vigueur toujours importante de la demande des familles de fusillés et des associations mémorielles.

Mais une réhabilitation générale poserait problème. La plupart des « fusillés pour l’exemple » ont été condamnés par l’arbitraire, voire l’aveuglement d’une justice militaire expéditive. Cependant tous les procès n’étaient pas expéditifs ou arbitraires : certains condamnés l’ont été, hélas, pour de bonnes raisons. Certaines accusations ne souffraient pas de contestation. Il ne faut pas que les revendications parfois légitimes des associations prennent le pas sur tout, et même sur la justice ; ce serait consacrer une autre forme d’arbitraire.

Enfin, une entreprise de réhabilitation au cas par cas poserait des problèmes plus pratiques : l’ampleur des dossiers nécessiterait un lourd travail d’investigation, alors même que la plupart des sources ne sont plus disponibles, ou ne l’ont jamais été.

Telle est, mesdames, messieurs, ma position sur ce sujet. Nous recherchons tous l’apaisement, un apaisement qui, je le crois, ne pourra être atteint par la proposition de loi.

Le mouvement de réhabilitation des « fusillés pour l’exemple » trouve sa motivation dans un profond désir de justice, mais cet élan ne doit pas non plus conduire à une autre forme d’aveuglement.

Nous avons deux ambitions qui sont parfaitement complémentaires : l’apaisement et la valorisation de cette mémoire. C’est le message que porte le Gouvernement : délivrer un message de cohésion et d’unité nationales, de justice et de fraternité.

C’est l’ambition que nous cultivons tous : réintégrer dans la mémoire nationale tous les oubliés du conflit, non seulement les « fusillés pour l’exemple », mais encore les femmes, les troupes coloniales, les travailleurs étrangers ou les populations civiles.

Cette ambition se poursuivra en 2017. À l’occasion du cycle du centenaire du Chemin des Dames, j’ai mis en place un comité ministériel qui travaille, avec les collectivités territoriales, sur un programme commémoratif ambitieux. La mémoire des fusillés y trouvera toute sa place.

Je voudrais enfin vous remercier, monsieur le rapporteur, pour la qualité de votre contribution. J’espère cependant vous avoir persuadé, dans la limite du possible, que votre proposition de loi ne peut être une réponse souhaitable à la question des « fusillés pour l’exemple ». J’émettrai donc un avis défavorable.

Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.

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Dans la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous commémorons depuis deux ans, et pour deux années encore, le centenaire de la Grande Guerre, et chaque 11 novembre, nous commémorons la fin de ce conflit, qui fut l’une des plus grandes tragédies de notre histoire.

Le rapporteur l’a rappelé, dimanche prochain aura lieu la commémoration des 100 ans de la bataille de Verdun, forte de symbole, autour du président Hollande et de la chancelière allemande Angela Merkel, trente-deux ans après le geste symbolique de François Mitterrand et de Helmut Kohl.

« Notre victoire n’était pas une victoire, et nous n’avons jamais été des vainqueurs », écrivait l’ancien dragon de 1914, Georges Bernanos, dans Les enfants humiliés.

Cette guerre n’a pas eu de vainqueur. Elle a simplement laissé deux peuples exsangues, deux peuples vaincus, privés de leur jeunesse par l’indicible horreur des tranchées, et la boue trempée de sang a définitivement sali le mythe glorieux d’une guerre victorieuse et patriotique.

C’est à la lumière de ce constat et du profond traumatisme culturel engendré par la Première Guerre mondiale que nous formulons aujourd’hui le voeu d’une réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de 1914-1918, ces fusillés pour l’exemple qui restent parmi les grands oubliés de notre mémoire commune.

Cette proposition, constituée d’un article unique, comporte également une demande de pardon de la Nation à leurs familles et au pays tout entier.

Certains ne manqueront pas, sans doute, d’accabler de sarcasmes cette initiative, en regrettant la propension de notre époque à se complaire dans les postures victimaires et compassionnelles.

Ce n’est pas de cela qu’il s’agit : il s’agit de porter une exigence de justice à l’égard de tous ces « civils déracinés » dont parlait Henri Barbusse, sous l’uniforme desquels on reconnaissait le laboureur, l’ouvrier, le Breton, l’Auvergnat, et qui furent condamnés à mort, le plus souvent de manière expéditive, par des conseils de guerre spéciaux ou parfois par de simples officiers, pour refus d’obéissance, abandon de poste ou désertion à l’ennemi.

La question des fusillés pour l’exemple constitue indubitablement un volet douloureux de notre histoire, une blessure qui ne s’est pas refermée. Elle renvoie à la condamnation par les tribunaux militaires et à l’exécution par l’armée de ses propres soldats, l’exécution d’hommes pourtant éprouvés par le déchaînement de la violence, jusqu’aux limites du supportable.

Douloureuse, cette question est aussi difficile : elle nous confronte à des drames individuels et familiaux, à des situations d’injustice humiliantes, à l’arbitraire de centaines d’exécutions.

Il est fréquent encore, dans les documentaires ou les manuels d’histoire, que l’on mette l’accent sur le poids qu’exerçait alors la « culture de guerre » et d’insister sur le large consentement des soldats à la boucherie à laquelle ils prenaient part.

C’est oublier combien l’épuisement et l’angoisse, la terreur occasionnée par ce que Genevoix a appelé cette « espèce de farce démente » purent avoir raison même des plus tenaces, conduisant certains à la folie, d’autres au suicide, d’autres encore à tenter désespérément de sauver leur vie ou celle de leurs frères d’armes, d’autres enfin au refus de combattre.

Le 7 novembre 2013, dans son allocution pour le lancement des commémorations du Centenaire de la Première Guerre mondiale, que vous avez citée, monsieur le secrétaire d’État, le Président François Hollande a évoqué dans un autre extrait « ceux qui furent vaincus non par l’ennemi, mais par l’angoisse, par l’épuisement né des conditions extrêmes qui leur étaient imposées », rappelant que « certains furent condamnés de façon arbitraire et passés par les armes. »

À cette occasion, le président François Hollande avait annoncé l’ouverture d’une salle consacrée à l’histoire des fusillés au musée de l’Armée, aux Invalides, et la mise en ligne, sur le site « Mémoire des hommes », des dossiers des conseils de guerre. Il avait ainsi trouvé ce que les historiens nomment une « solution de connaissance » à la question de la réhabilitation des fusillés pour l’exemple.

Avant lui, en 1998 – cela a été rappelé par M. Candelier et par vous-même, monsieur le secrétaire d’État –, le Premier ministre, Lionel Jospin, avait rendu un inoubliable hommage aux mutins de Craonne sur le Chemin des Dames de 1917, qui, « épuisés par des attaques condamnées à l’avance et plongés dans un désespoir sans fond, refusèrent d’être sacrifiés. »

Lionel Jospin avait alors appelé à réintégrer ces soldats fusillés pour l’exemple dans la mémoire collective. Rappelons aussi l’hommage rendu par Nicolas Sarkozy, en novembre 2008 à Douaumont, et la réhabilitation, en 2012, du sous-lieutenant Chapelant, fusillé à vingt-trois ans sur son brancard. Ces prises de positions successives soulignent les progrès accomplis dans la voie de la reconnaissance des soldats exécutés pour l’exemple durant la Grande Guerre.

Il y a peu, on évoquait encore 953 soldats. Dans le cadre de son travail, notre rapporteur, Jean-Jacques Candelier, a pris en compte le comportement de certains d’entre eux, qui n’avait rien à voir avec le simple manquement à la discipline militaire. À la suite de ce travail, notre rapporteur est arrivé au chiffre de 618 au lieu de 953. Nous sommes nombreux aujourd’hui à souligner la nécessité de franchir un pas supplémentaire, celui de la réhabilitation collective des 618.

Certains de nos collègues préconisent un réexamen des dossiers afin de permettre aux soldats exécutés alors qu’ils avaient fait leur devoir d’avoir leur place sur nos monuments aux morts. Mais ce réexamen de l’ensemble des dossiers des fusillés pour l’exemple ne nous paraît pas faisable. Le réexamen au cas par cas ne pourrait aboutir qu’à la réhabilitation des seuls hommes dont l’arbitraire de la condamnation ne fait aucun doute, au détriment de tous les autres, alors même que le tiers des archives a disparu.

Nous ne saurions par ailleurs accepter de soumettre à un nouveau procès, un siècle après, et quelle qu’en soit l’issue, tous ces malheureux qui furent appelés sous le drapeau, se sont battus, ont souffert et ont connu, comme des millions d’autres, un destin tragique.

Comme le soulignait le brancardier musicien Leleu du 102e régiment d’infanterie, décoré de la Croix de guerre, que citait notre rapporteur : même si tous ne furent pas des héros, « ce n’est pas un moment de défaillance physique ou morale qui peut effacer leur sacrifice » ou nous permettre de porter sur eux un jugement.

La guerre de 1914-1918 demeure inscrite dans notre imaginaire collectif, non comme un épisode glorieux mais comme une folie épouvantable, un déchaînement de barbarie dont la bataille de Verdun et ses 300 jours d’enfer sont aujourd’hui le plus terrible symbole.

Qui oserait encore en faire aujourd’hui, de part et d’autre, un quelconque symbole d’unité nationale ? La bataille de Verdun comme cette guerre dans son ensemble ont définitivement perdu leur dimension nationale pour ne plus inspirer qu’un sentiment de tristesse et d’horreur devant le sacrifice sanglant de millions d’hommes.

La Première guerre mondiale fut la cristallisation de la haine réciproque de deux peuples, haine longuement entretenue et préparée, et que le pacifisme d’un Jaurès n’a pu désarmer.

Faut-il rappeler la propagande cocardière déversée alors sur le peuple français, illustrée par la fleur au fusil et alimentée par une xénophobie farouche diabolisant le soldat allemand ? 1,3 million de nos compatriotes ont disparu dans ce conflit, sans compter ceux qui sont décédés ensuite, en raison de blessures ou d’infections, sans compter non plus les quelque 700 000 orphelins, les 600 000 veuves, les millions de blessés et d’infirmes.

Les fusillés pour l’exemple étaient leurs frères, leurs parents, leurs compagnons d’armes. Tous ont partagé le même terrible destin, la même souffrance, qui fut alors celle du pays tout entier. C’est à ce titre que nous jugeons nécessaire et même indispensable, sans réveiller d’inutiles blessures, de leur offrir la reconnaissance de la Nation et de leur exprimer notre regret de ne pas avoir voulu les reconnaître plus tôt comme des enfants de la République, comme nos aïeux et comme nos frères. Oui, comme des enfants de la République.

Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.

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Notre collègue Jean-Jacques Candelier, du groupe GDR, présente aujourd’hui une proposition de loi visant à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918, rappelant, en ces années de célébration du centenaire du premier conflit mondial, une période tragique de notre histoire.

Il me semble nécessaire et indispensable de rappeler rapidement les dernières évolutions sur la question, même si les orateurs précédents l’ont en partie fait. En novembre 1998, soit quatre-vingts ans après la fin du premier conflit mondial, un tournant mémoriel s’est opéré sur le champ politique. Lionel Jospin, alors Premier ministre, rendait hommage aux mutins de Craonne sur le Chemin des Dames de 1917, qui, je le cite, « épuisés par des attaques condamnées à l’avance, glissant dans une boue trempée de sang, plongés dans un désespoir sans fond, refusèrent d’être sacrifiés ». Il avait souhaité que ces soldats, fusillés pour l’exemple au nom d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui pleinement notre mémoire collective nationale.

Dix ans plus tard, le président Nicolas Sarkozy disait : « quatre-vingt-dix ans après la fin de la guerre, je veux dire au nom de notre nation que beaucoup de ceux qui furent exécutés alors ne s’étaient pas déshonorés, n’avaient pas été des lâches mais que simplement ils étaient allés jusqu’à l’extrême limite de leurs forces ».

Le 1er octobre 2013, poursuivant ce travail, l’historien Antoine Prost remettait le rapport qui lui avait été commandé. La principale conclusion de ce travail était que, dans le cadre du centenaire de la Première guerre mondiale, il était important de réintégrer les fusillés pour l’exemple dans la mémoire collective.

Plus récemment, en 2014, Kader Arif, alors ministre délégué chargé des anciens combattants, avait décidé de faire un premier pas symbolique en décernant, à l’occasion de la commémoration du 11 novembre, la mention « Mort pour la France » au sous-lieutenant Jean-Julien Chapelant. Je rappelle que cette mention oblige l’inscription du nom sur le monument aux morts.

Enfin, le Président de la République, François Hollande, a décidé d’accorder à l’histoire des fusillés une place spécifique au sein du musée de l’Armée, installé aux Invalides. Tous les dossiers des conseils de guerre ont été numérisés et sont enfin accessibles à la recherche et au public dans un espace particulièrement consacré du site « Mémoire des hommes ».

Comme l’a souligné le Président de la République, ce sujet doit être traité avec la plus grande attention, la plus grande humanité et la plus grande précision historique et juridique. Aucune décision ne peut être prise sans souci de ne pas trahir l’histoire. Il affirmait : « je souhaite, au nom de la République, qu’aucun des Français qui participèrent à cette mêlée furieuse ne soit oublié. C’est pourquoi je demande au ministre de la défense qu’une place soit accordée à l’histoire des fusillés au musée de l’Armée, aux Invalides, dans ce lieu qui porte le récit de la guerre. »

Nous considérons qu’il ne s’agit plus aujourd’hui de juger ou de rejuger, mais bien de se souvenir et de comprendre, ainsi que le préconisait Antoine Prost, car il n’y a pas, me semble-t-il, de reconnaissance plus forte que celle de la connaissance. De fait, même s’il faut noter que la présente proposition de loi se distingue d’autres textes précédemment déposés, toute réhabilitation de portée générale, sans véritable discernement, qu’elle soit juridique ou symbolique, dilue la reconnaissance de ces victimes, chacune ayant sa propre histoire et son propre drame.

Par ailleurs, la notion de « fusillé pour l’exemple » n’est pas clairement définie. Antoine Prost lui-même considère que l’expression est utilisée de manière trop générale, que la notion d’exemplarité ne signifie pas que les soldats étaient fusillés au hasard, mais qu’en revanche il ne s’agissait pas moins de punir un coupable que d’empêcher d’autres de se comporter de la même façon. Nous considérons donc que les dossiers doivent être traités individuellement de façon que la réhabilitation, le cas échéant, conserve toute sa force.

Enfin, bien que je comprenne et partage une partie des motivations humanistes des auteurs de cette proposition de loi, je crois que le rôle de notre assemblée n’est pas d’écrire ou de récrire l’histoire. Pour ces raisons, considérant que les modalités de la reconnaissance collective de cette réalité historique ne sont pas probantes dans cette proposition de loi, le groupe socialiste, écologiste et républicain n’est, dans sa majorité, pas favorable à son adoption.

Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.

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Nous sommes réunis cet après-midi pour discuter de la proposition de loi de notre collègue du groupe GDR Jean-Jacques Candelier, visant à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918. Il la porte et la défend avec force, et je lui reconnais bien volontiers une très grande constance sur ce sujet douloureux de notre histoire.

Dans trois jours, le 29 mai, le Président de la République retrouvera la chancelière allemande Angela Merkel, afin de commémorer les cent ans de la bataille de Verdun. Il s’agira d’un des moments importants et symboliques des commémorations du centenaire de la Grande guerre.

Je profite de la tribune qui m’est offerte pour regretter le choix initialement fait par la mairie de Verdun et la Mission du centenaire de « célébrer » ces tragiques événements par un concert de rap animé par un chanteur dont le moins que l’on puisse dire est qu’il a eu des mots extrêmement maladroits à l’égard de notre pays et de certaines communautés qui le composent.

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Le sujet est heureusement clos, mais il démontre, si besoin était, combien cette période est encore profondément ancrée dans notre mémoire collective. Elle renvoie chacun d’entre nous à son histoire familiale. Jamais un événement n’a autant lié la grande histoire et les histoires personnelles de chaque Français.

Beaucoup de noms ont été évoqués ici, pour illustrer l’engagement personnel des uns et des autres, jusqu’à l’extrême. Je vais citer celui de Marius Dumont, mon grand-père. Je tiens, cher Jean-Jacques, ses cahiers écrits jour après jour à votre disposition. Il notait ainsi, sur le Chemin des Dames : « Je me suis isolé dans un petit sentier. Demain, je monte en première ligne. J’ai brûlé tout ce qui me rattache à la vie. Je ne sais pas si je m’en sortirai. J’ai brûlé les lettres de ma fiancée. J’ai brûlé les lettres de mes parents. J’y vais, seul. »

Jean-Jacques Candelier nous l’a rappelé : près de 8 millions de mobilisés, 1,3 million de tués ou de disparus, des milliers de blessés, d’orphelins et de veuves, un pays saigné, un modèle rural dévasté. Demeure pour nous aujourd’hui cette difficulté immense à appréhender la réalité et la situation de ceux qui ont été engagés dans cette guerre dévastatrice pour le continent européen – l’enfer des tranchées, la boue, les gaz, les barbelés, les tirs et ces questions qui nous hantent tous : Comment ont-ils fait ? Comment ont-ils tenu ? Aurions-nous eu le même courage ? Il est difficile de rester insensible aux argumentaires de notre collègue qui nous demande s’il est infamant de reculer de quelques dizaines de mètres ou de ne pas sortir d’une tranchée devant les corps de ses camarades déjà tombés.

Grâce aux travaux menés par le service historique de la défense, dans le cadre des commémorations du centenaire, nous avons des données plus précises sur ces fusillés ou ces exécutés sommaires. Selon ces données, rendues publiques à la fin de l’année 2014, la France compte 1 009 fusillés ou exécutés sommaires. Ces chiffres seront sans doute amenés à évoluer dans le temps et il faut souligner que, selon les spécialistes, au moins 20 % des archives ont disparu.

Sur ces 1 009 fusillés, on compte : 825 fusillés dont la condamnation est documentée par les archives des conseils de guerre ; 27 fusillés, dont 7 anonymes, sans jugement pour désobéissance militaire, dont la condamnation est documentée par les archives militaires ; 102 fusillés après jugement, dont la condamnation est documentée par d’autres sources – archives des unités et états-majors – dont 50 pour désobéissance militaire, 5 pour crimes et délits de droit commun et 47 pour des motifs inconnus ; enfin, 55 exécutés et tués sommairement répertoriés dans les archives militaires.

Le terme « fusillé » englobe donc plusieurs types de faits. Les « fusillés pour l’exemple » se comptent essentiellement parmi les hommes fusillés pour désobéissance militaire, soit plus de 600, pour la plupart soldats du rang issus de l’infanterie. Il faut rappeler que la désobéissance militaire inclut l’abandon de poste en présence de l’ennemi, le refus d’obéissance, la désertion à l’ennemi, les voies de faits envers un supérieur, la capitulation en rase campagne et l’instigation à la révolte. Lorsque j’ai intégré l’armée active, le même règlement était du reste inscrit au revers de mon livret militaire.

Il importe également de comprendre qu’à cette époque, la peine de mort faisait pleinement partie des peines prononcées par la justice – je ne l’approuve pas forcément, mais telle est l’histoire de notre pays. Entre 1914 et 1918, 2 500 peines de mort ont été prononcées, dont un certain nombre n’a pas entraîné d’exécution.

Il faut noter que la grâce présidentielle a été rétablie en janvier 1915 et que les conseils de guerre spéciaux ont été supprimés à la fin de cette même année. De même, le 27 avril 1916, une loi réformant profondément la justice militaire a été adoptée. Celle-ci rétablissait l’instruction au préalable, prenait en compte la notion de circonstances atténuantes et introduisait une possibilité de recours en révision.

C’est bien parce que ce terme regroupe plusieurs types de faits qu’il me paraît difficile, voire impossible, et non souhaitable, comme je l’ai déjà dit en commission, d’adopter une mesure collective de réhabilitation. Plusieurs collègues ont souligné le fait que le Parlement n’était pas là pour récrire ou revisiter l’histoire. Je souscris pleinement à ces remarques, même si je ne méconnais pas l’argumentaire de notre rapporteur. Cette proposition de réhabilitation collective répond certes à la difficulté d’agir au cas par cas, mais cela ne constitue pas, selon nous, une raison suffisante pour adopter ce texte.

La notion de pardon évoquée dans votre texte me paraît elle aussi sujette à caution. Philippe Vitel et Christophe Guilloteau l’ont souligné en commission de la défense : qui sommes-nous pour exprimer le pardon officiel de la Nation ? Est-ce notre rôle et notre mandat ? Gardons-nous de juger ce qui a été fait à l’époque, entre autres par nos prédécesseurs sur ces bancs, à l’aune de nos conceptions actuelles. Être Français, c’est accepter les heures glorieuses comme les heures sombres de notre pays. Incontestablement, la question des fusillés fait partie de ces dernières et demeure un traumatisme parmi beaucoup d’autres de la Grande guerre.

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Légiférer sur ce sujet aujourd’hui ne me paraît pas opportun. En tant que parlementaire, j’ai aidé une famille à obtenir la reconnaissance de la mention « mort pour la France » pour un de ses ancêtres. Dans ce domaine, les dispositions sont complexes et les textes, excessivement précis. Il a fallu quatre ans pour collecter toutes les pièces auprès des archives du ministère de la défense et voir le nom de cet ancêtre inscrit sur le monument aux morts de la commune. J’estime donc qu’il est opportun aujourd’hui de ne pas souscrire à cette proposition de loi, même si, monsieur le rapporteur, je reconnais votre abnégation dans la recherche de la vérité.

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François Hollande et Angela Merkel commémoreront ensemble, dans trois jours, le centième anniversaire de la bataille de Verdun. Cette bataille, emblème de la Grande guerre, a été vécue par nos soldats comme un enfer sans équivalent. Elle demeure dans la mémoire collective comme le paroxysme de l’horreur et de la violence extrême. C’est la bataille qui a mobilisé le plus grand nombre de soldats français : deux tiers y ont combattu, 163 000 y ont trouvé la mort, 196 000 y ont été blessés. Ces hommes, qui ont défendu sans relâche Verdun, pendant 300 jours et 300 nuits, sont le symbole du courage de nos soldats face à l’adversité pendant la Grande guerre, eux qui étaient prêts à consentir au sacrifice suprême, celui de verser leur sang pour défendre notre pays.

En cette période de commémoration, nous devons nous souvenir de leur détermination et leur abnégation, car la communauté nationale a, à l’égard des anciens combattants, une dette imprescriptible. Nous devons nous souvenir de toutes les victimes de cette guerre : toutes les familles touchées par des drames, tous les soldats mobilisés, qui, lorsqu’ils ont pu rentrer chez eux, sont restés traumatisés, les millions de blessés, marqués à vie dans leur âme et dans leur chair, et bien entendu, les près de deux millions de soldats français tombés pour la France durant ce conflit.

Parmi eux, 618 hommes ont été « fusillés pour l’exemple ». À ce nombre, s’ajoutent tous ceux qui ont été passés par les armes sans jugement, de manière sommaire. Ces soldats, parfois très jeunes, ont été exécutés par leurs propres compagnons d’armes, alors qu’ils avaient affronté ensemble les mêmes épreuves, alors qu’ils portaient le même uniforme et qu’ils défendaient les mêmes valeurs. Ils furent exécutés dans des conditions terribles, au cours de cette guerre sanglante et terrifiante. Ils furent exécutés pour avoir désobéi, pour avoir insulté un officier, pour avoir été capturés par l’ennemi, avoir regagné les lignes françaises après s’être échappés, ou bien encore pour avoir battu en retraite sans autorisation devant la violence des attaques. Happés par l’horreur de la guerre, par sa sauvagerie, ces hommes ont été fusillés pour avoir eu peur, parce qu’ils étaient à bout de forces, parce qu’ils s’étaient battus pour la France jusqu’à n’en plus pouvoir. À ce titre, ils ont été qualifiés de soldats indignes, de lâches ou de traîtres. Leur mémoire fut entachée et leurs familles, qui avaient perdu un fils, un frère, un père, ont vécu la douleur du deuil dans la honte et la solitude. Dès la fin de la guerre, ces familles de fusillés, relayées par différentes associations, ont exprimé le souhait de les réhabiliter.

Plusieurs lois d’amnistie furent votées et une quarantaine de soldats furent réhabilités par la Cour de cassation dans l’entre-deux-guerres, dont certains dès janvier 1921. Cette question très sensible fut ensuite totalement occultée par les pouvoirs publics pendant plusieurs décennies. Alors que les derniers témoins vivants de cette tragédie ont disparu, leurs descendants, aux côtés d’associations, ont continué, et continuent aujourd’hui encore, de se battre afin de défendre la mémoire de ceux qui n’étaient, comme nous, que des hommes.

Cent ans après, la question de la réhabilitation de ces soldats reste en effet pleinement légitime, car la France n’a pas le droit d’oublier ses blessures ni les heures sombres de son histoire, si douloureuses soient-elles. Il est du devoir de la Nation, lorsque les haines finissent par s’apaiser, par être dépassées, de respecter la mémoire de tous les morts. C’est pourquoi les soldats fusillés pour l’exemple ne doivent pas être oubliés. C’est dans cet esprit que se place la proposition de loi déposée par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, visant à réhabiliter collectivement les fusillés pour l’exemple et ainsi à demander pardon à leurs familles. Une proposition de loi similaire avait été examinée au Sénat, en juin 2014, à l’initiative du groupe communiste, républicain et citoyen. Le Sénat l’avait alors rejetée.

Mes chers collègues, les députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants considèrent que la proposition de loi de nos collègues du groupe GDR doit nous amener à réfléchir sur le rôle du législateur et ses limites. En tant qu’élus de la Nation, il n’est pas en notre pouvoir de revisiter l’histoire un siècle après, au risque de la trahir. Nous ne sommes en aucun cas compétents pour juger de la bravoure ou de la lâcheté de ces hommes, qui se sont trouvés plongés dans une atroce boucherie humaine. Ils ont vécu des situations d’horreur pour nous aujourd’hui inimaginables. Qui peut dire ce que nous aurions fait à leur place ? Si des jugements ont probablement été injustes, nous ignorons combien sont concernés, et qui a été fusillé à tort ou à raison. Il ne nous appartient nullement d’en décider.

C’est pourquoi nous souhaitons, à l’occasion du centenaire de la bataille de Verdun, que notre pays se place dans une démarche de rassemblement et d’apaisement, en cessant d’opérer quelque distinction que ce soit entre ses morts, pour saluer la mémoire de tous ceux qui sont tombés pendant la Grande guerre. Nous saluons, à ce titre, le travail de mémoire considérable entrepris ces dernières années, avec notamment la numérisation des dossiers des conseils de guerre. Nous saluons également la place que le Président de la République a souhaité accorder aux fusillés pour l’exemple au sein du lieu chargé d’histoire qu’est le musée de l’Armée, aux Invalides. Il est essentiel que l’histoire de ces soldats soit pleinement réintégrée dans celle de la Première guerre mondiale.

Au-delà de ces décisions qui demeurent symboliques, le groupe UDI attend à présent, à l’occasion du centenaire, un message fort du Gouvernement envers les familles des fusillés pour l’exemple, afin que l’indignité dont les a frappés leur condamnation puisse enfin être relevée. Toutefois, la proposition de nos collègues du groupe GDR d’une réhabilitation générale et collective n’apporte pas à nos yeux une réponse satisfaisante. Il nous semble ainsi préférable que soit privilégiée une réhabilitation au cas par cas des fusillés pour l’exemple afin de les inclure, aux côtés tous les soldats morts pour la France, dans notre mémoire nationale.

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Nous sommes saisis d’une proposition de loi ne comportant qu’un seul article, relatif aux 600 fusillés pour l’exemple de la Première guerre mondiale. La proposition de loi demande : que les fusillés pour l’exemple bénéficient d’une réhabilitation générale et collective ; que la Nation exprime officiellement sa demande de pardon aux familles et à la France ; que leurs noms soient portés sur les monuments aux morts de la guerre de 1914-1918 ; que la mention « Mort pour la France » leur soit accordée.

La Première guerre mondiale fut une véritable boucherie, qui dura plus de quatre années. Les armées, en particulier l’armée française, qui étaient habituées à des guerres rapides et de mouvement, eurent à affronter l’enlisement dans des tranchées où l’espace séparant les lignes ennemies et françaises n’était que de quelques mètres. Les soldats français ou étrangers servant pour la France étaient dans leur immense majorité, pour ne pas dire dans leur totalité, des soldats valeureux, courageux, mais dont certains ne purent admettre d’aller à une mort certaine sans aucun intérêt, sans réflexion stratégique – autrement dit de mourir pour rien.

Plus de 600 Français, notamment au début de la guerre, ont été fusillés. Je voudrais évoquer ici la mémoire d’un instituteur de la Manche, Théophile Maupas, homme d’exception, qui fut réhabilité en 1934 après deux arrêts de la Cour de cassation et qui, peu le savent, fut à l’origine de la création du syndicat national des instituteurs. Aujourd’hui, sa mémoire est totalement réhabilitée. Lorsqu’on se rappelle ce que sa veuve dut subir, les quolibets, la mise en dehors de la société, on doit saluer cette bataille de réhabilitation.

S’il faut répondre à une demande de réhabilitation collective, encore faut-il bien distinguer les situations individuelles et les fautes éventuellement commises. La première réponse doit être juridique. Nul ne peut faire l’objet d’une exécution à la suite d’une décimation, car il s’agit du fruit du hasard. Nul ne peut faire l’objet d’une exécution sans être passé devant un tribunal militaire en bénéficiant des garanties de l’époque. Il est donc acquis que tous ceux qui ont été fusillés sans être passés devant un tribunal militaire doivent être, sans exception, réhabilités. C’est actuellement le cas. Il faut également admettre que doivent être réhabilités tous ceux qui sont passés devant des commissions d’exécution et non devant des tribunaux, et ceux qui n’ont pu exercer le moindre recours.

II est établi que, du début de la guerre jusqu’au 27 avril 1916, les soldats, sous-officiers ou éventuellement officiers qui ont été exécutés l’ont été dans des circonstances particulières. L’armée avait obtenu des mesures d’exception qui n’avaient rien à voir avec le droit : suspension des recours en révision, suspension de l’exercice du droit de grâce par le Président de la République, et surtout instauration de cours martiales jugeant en formation restreinte, sans instruction préalable, sans possibilité de recours, sans droit de grâce, avec des droits de la défense pratiquement inexistants. Le Haut commandement militaire avait également adressé des directives tendant, je cite « à une justice sévère et expéditive destinée à conforter la discipline ».

L’ensemble de ces mesures permet sans aucun risque d’affirmer que les exécutions, pendant cette première période, ont été décidées en dehors des droits fondamentaux les plus essentiels, ce qui assimile en réalité le passage devant ces commissions d’urgence à une absence de tribunal.

C’est pourquoi ma première suggestion, qui devrait s’imposer, est de distinguer deux périodes, ce qui n’a jusqu’ici jamais été proposé. Entre le début de la déclaration de guerre, en août 1914, et le 27 avril 1916, tous ceux qui ont été exécutés, ayant été jugés devant des tribunaux qui ne constituent pas la norme juridique, doivent être de plein droit réhabilités, sans même qu’il soit nécessaire d’étudier leur dossier. Leur exécution ayant été décidée en l’absence de tribunal militaire, ils doivent être réhabilités.

Durant la période comprise entre le 27 avril 1916 et le 11 novembre 1918, l’analyse est nécessairement différente. Il faut d’abord noter que de nombreux pays confrontés à la même situation ont réhabilité tous leurs militaires : la Nouvelle-Zélande en 2000, le Canada en 2001, la Grande-Bretagne en 2006.

Cependant, les différentes autorités de l’État saisies de cette demande de réhabilitation générale s’y sont toujours opposées, même si elles ont montré beaucoup de compréhension pour ces malheureux fusillés pour l’exemple. En novembre 2013, le Président François Hollande proposa deux mesures symboliques : l’ouverture d’une salle consacrée aux fusillés au musée de l’Armée des Invalides, et la numérisation et la mise en ligne de l’ensemble des dossiers des fusillés détenus par l’État. Il faut aller plus loin, sans toutefois aller jusqu’où certains le demandent.

Aller plus loin signifie que doivent être réhabilités, pendant la deuxième période, tous ceux à l’encontre desquels les preuves matérielles sont défaillantes, insuffisantes ou absentes. C’est à l’État de démontrer que les dossiers sont incontestables. Je ne parle pas de présomption d’innocence mais de présomption de vérité ! Lorsqu’il n’existe pas de pièces, lorsque les pièces sont contradictoires ou ne reflètent pas les normes nécessaires pour l’établissement de la vérité, elles doivent être écartées.

Pour tous ceux dont les dossiers comportent des éléments de preuves établissant qu’il y a eu une faillite personnelle envers l’honneur et que l’individu a assurément décidé d’aller contre les ordres, il faut convenir que le code de justice militaire était susceptible de s’appliquer. Faute de quoi nous serions amenés à criminaliser l’attitude des chefs de l’armée, ce qui, bien évidemment, ne peut être admis.

Près de cent ans après le début de la guerre, nous devons cependant prendre en compte la situation extraordinairement dure que nous a décrite Stanley Kubrick. Aussi pourrions-nous proposer pour ces derniers non pas la réhabilitation, monsieur le secrétaire d’État, mais la décharge de la mémoire, mesure utilisée dans l’affaire Seznec – Denis Seznec, qui n’a pas eu gain de cause, a saisi les tribunaux dans le cadre de la révision de la condamnation de son grand-père pour tenter d’obtenir la décharge de sa mémoire.

Nous préférons la décharge à la réhabilitation car il ne nous semble pas possible d’accorder la mention « Mort pour la France » à ceux pour qui il existe des preuves, ou tout au moins des débuts de preuve, attestant la réalité de la faute qu’ils ont commise.

La solution que je propose est pleine d’humanité. Elle prend en compte les drames et les abandons vécus par nos soldats. Mais nous ne pouvons faire de ceux qui furent ainsi fusillés des héros de la guerre. Je le dois à la mémoire de mon arrière-grand-père, le colonel Ary Tourret, mort glorieusement à la tête du 95ème régiment d’infanterie. Avec les 3 000 hommes qu’il commandait, le 20 août 1914 – ce fut la première victoire de la guerre ! – il chargea et prit Sarrebourg. Les Allemands reprirent Sarrebourg. Il reprit à nouveau Sarrebourg et fut tué à la tête de son régiment. Son képi domine Coëtquidan – il se trouve à l’entrée du musée du Souvenir.

Ce fut un héros. Or ceux qui ont été fusillés parce qu’ils avaient failli ne sont pas des héros. Qu’ils aient le droit à notre commisération, à notre compassion, oui. Qu’éventuellement on grave leurs noms sur des monuments, oui. Mais qu’on leur attribue la mention « Mort pour la France », je ne peux l’admettre.

C’est pourquoi je demande, en y associant le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, le retrait de cette proposition de loi – car je ne voudrais pas qu’elle soit rejetée. Je demande son retrait afin que nous puissions de nouveau évoquer devant la commission compétente les propositions que je fais, qui d’un côté prennent en compte le droit et, de l’autre, l’humanité toute entière.

Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.

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Au terme des quatre années de la guerre 1914-1918, la France compte 1,3 million de tués ou disparus, 700 000 orphelins et 600 000 veuves. Mais il existe aussi des victimes oubliées, les « fusillés pour l’exemple », ces soldats passés par les armes à la suite de conseils de guerre expéditifs et sommaires et dont les condamnations précipitées ont été prononcées, dans la quasi-totalité des cas, sans que les droits de la défense aient été respectés.

Le nombre de ces fusillés pour manquement aux actes de guerre, si l’on s’en tient aux chiffres publiés dans le rapport remis par M. Antoine Prost au Gouvernement en octobre 2013, à l’exclusion des exécutions pour crimes et délits de droit commun et des faits d’espionnage, est estimé à 618, sur un total de 2 500 condamnations à mort prononcées sur 140 000 jugements rendus entre 1914 et 1918.

Bien sûr, il n’appartient pas aux parlementaires d’écrire l’histoire, et encore moins de la juger à partir de nos valeurs actuelles. Mais alors que nous commémorons cette année le centenaire de la bataille de Verdun, il est de la responsabilité de la représentation nationale de s’interroger sur la place que la Nation souhaite accorder à ces soldats au sein de la mémoire collective.

Alors même que le conflit durait toujours, certains fusillés ont d’ailleurs été réhabilités. Grâce à la mobilisation des parlementaires de l’époque, des anciens combattants, d’organisations telles que la Ligue des droits de l’homme, la Libre Pensée ou l’Association républicaine des anciens combattants, mais aussi grâce aux actions citoyennes, une cinquantaine de soldats ont été réhabilités durant l’entre-deux-guerres.

Ainsi, l’Union nationale des combattants obtint que le ministre de la justice intervienne et saisisse lui-même la Cour de cassation pour les soldats du 298ème régiment d’infanterie qui, le 27 novembre 1914 à Vingré, dans l’Aisne, surpris par une attaque allemande dans leur tranchée, s’étaient repliés sur ordre avant de reprendre ensuite leur position antérieure. Vingt-quatre hommes avaient alors été désignés pour être jugés pour abandon de poste et six d’entre eux, à l’issue d’un tirage au sort, condamnés à mort par un conseil de guerre spécial. Ils seront réhabilités par la Cour de cassation le 29 janvier 1921.

Combien ont été exécutés pour s’être égarés dans la confusion des combats, pour avoir été faussement accusés de s’être auto-mutilés en vue d’échapper au combat alors même qu’ils y avaient été blessés, pour avoir appliqué un ordre donné par un capitaine mort et incapable de les défendre, pour avoir été tirés au sort après avoir refusé une percée inutile et sanglante ?

En mars 1915, le 336ème régiment d’infanterie se retrouve en première ligne au Moulin de Souain, dans la Marne. Le 7 mars, ordre lui est donné de lancer l’attaque alors que la préparation d’artillerie était insuffisante, comme le souligne le témoignage du député du Finistère Jean Jadé, officier du 336ème à l’époque des faits, à la tribune de la Chambre le 23 avril 1921.

Or, la 21ème compagnie du caporal Maupas reste dans la tranchée. Dix-huit soldats et six caporaux sont alors désignés au hasard pour répondre de la faute collective devant un tribunal militaire le 16 mars 1915. Le 17 mars, en fin d’après-midi, les quatre caporaux Louis Lefoulon, cultivateur, Théophile Maupas, instituteur, Louis Girard, horloger, et Lucien Lechat, garçon de café, sont condamnés à la peine de mort pour l’exemple et exécutés. Ils ont été réhabilités par l’arrêt du 3 mars 1934 de la Cour spéciale de justice militaire, créée par la loi du 9 mars 1932 et composée à parité de magistrats et d’anciens combattants, compétente pour réexaminer tous les jugements rendus par les conseils de guerre. La procédure aura duré près de vingt ans !

Mais alors que la crise économique touche la France de plein fouet dans les années trente et que se profile la Seconde guerre mondiale, le débat autour de la réhabilitation des fusillés perd de l’importance durant une cinquantaine d’années. Il faudra en effet attendre 1998, soit quatre-vingts ans après la fin du premier conflit mondial, pour que Lionel Jospin, Premier ministre, indique souhaiter que les fusillés pour l’exemple réintègrent pleinement notre mémoire collective nationale.

Dix ans plus tard, le 11 novembre 2008, Nicolas Sarkozy rendra également un hommage à tous les soldats de la Grande guerre, sans exception, en incluant les fusillés, lors de la commémoration de l’armistice au mémorial de Douaumont. Enfin, le Président de la République, le 7 novembre 2013, a annoncé la constitution d’un espace consacré aux fusillés au musée de l’Armée des Invalides, ainsi que la numérisation et la mise en ligne sur le site « Mémoire des hommes » des dossiers des conseils de guerre.

Mais comment s’en satisfaire ? Pourquoi la réhabilitation au cas par cas serait-elle la seule solution ? Chacun sait ici que nombre de dossiers de fusillés ont disparu et que les documents restants ne permettraient pas de mener un tel travail.

À trois jours des commémorations de Verdun, en présence de la chancelière allemande et du Président de la République, il est plus que temps de réunir enfin en une seule et même mémoire apaisée tous ceux qui, durant cette guerre, sont morts au nom de la France. Il est aujourd’hui plus que temps que notre Nation rétablisse officiellement et symboliquement dans leur honneur l’ensemble de ces soldats. Ce n’est que de cette façon que la dignité de ces hommes sera pleinement reconnue.

C’est pourquoi, dans la continuité des parlementaires de l’époque, qui pour certains avaient connu le feu et la vie des tranchées, je vous proposerai par voie d’amendement que la Nation rétablisse dans leur honneur les 618 fusillés pour l’exemple de la Première guerre mondiale et reconnaisse officiellement leur dignité, l’inscription de leurs noms sur les monuments aux morts de la guerre 1914-1918 leur étant accordée de plein droit.

Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

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J’appelle maintenant l’article unique de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté de texte.

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La parole est à Mme Isabelle Attard, inscrite sur l’article.

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Il y a depuis ce matin beaucoup d’émotion dans cet hémicycle car nous discutons de sujets extrêmement sensibles. Je tiens à saluer la volonté de mes collègues du groupe GDR de réhabiliter les fusillés pour l’exemple.

Pendant la guerre 1914-1918, mon arrière-grand-père se trouvait de l’autre côté de la frontière, dans l’Empire austro-hongrois. Il était officier. Ses hommes, pour survivre, ont volé des carottes dans un champ, comme beaucoup de Français qui, pour survivre, ont fait tout et n’importe quoi. Étant le chef, on lui a refusé sa permission et c’est à cette occasion qu’il a été tué.

Pour moi, c’est un héros. Face à cette injustice – pourquoi, en effet, sanctionner des hommes qui ne demandent qu’à survivre ! – il s’est élevé contre le commandement et en est mort. Il restera à tout jamais un héros dans ma mémoire.

Vous allez tout à l’heure, chers collègues du groupe socialiste, écologiste et républicain, défendre un amendement visant à supprimer cet article unique. Je veux vous dire une chose. Vous déniez à ceux qui ont été fusillés le titre de « mort pour la France ». Je pense personnellement qu’ils sont morts pour une autre idée de la France, pour un pays sans guerre. Ceux qui ont refusé de tuer leur voisin, venu de l’autre côté de la frontière, ceux qui ont refusé de participer à la boucherie décidée par des chefs bien au chaud dans leur bureau sont aussi, à mes yeux, des héros. Si nous ne voulons pas en parler, nous pouvons aussi refuser à Jaurès le titre de héros.

Je terminerai par ces mots : ils sont morts parce qu’ils ne voulaient pas combattre, ils sont morts pour ne pas avoir été au front. Je ne sais pas ce que nous aurions fait à leur place, mais je pense qu’aujourd’hui, avec le recul et à l’occasion du Centenaire, nous devons nous mettre à leur place et les réhabiliter. Je vous remercie.

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Nous en venons aux amendements.

La parole est à M. Philippe Nauche, pour soutenir l’amendement de suppression no 3.

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Nous venons d’entendre les diverses explications, les différents points de vue qui se sont exprimés et nous éprouvons autant de respect pour les convictions de notre rapporteur ou de Mme Attard que pour celles d’autres orateurs.

Si nous avons déposé cet amendement qui vise à supprimer l’article unique du texte, c’est pour dire qu’il n’appartient pas à notre assemblée de faire ou de refaire l’histoire, et que la principale reconnaissance consiste à se souvenir et à comprendre. Le plus grand hommage qu’on puisse rendre à ces victimes, parmi des millions d’autres, est la connaissance – le fait que notre pays assume cette part d’histoire, avec des points de vue qui s’accordent sur les faits mais qui peuvent être irréconciliables quant à ce qu’ils représentent.

Après Lionel Jospin, en 1998, après le travail de l’historien Antoine Prost, il convient que notre assemblée, loin de se lancer dans une réécriture de l’histoire, continue la démarche voulue par le Président de la République, qui vise à intégrer pleinement dans la mémoire nationale, y compris dans le musée de l’Armée ou au coeur du travail qui s’effectue sur les réseaux sociaux, le souvenir de ce qui s’est passé et de ces hommes qui sont morts à la guerre eux aussi.

Voilà pourquoi notre groupe, ou plutôt sa majeure partie, car l’unanimité n’existe pas sur ce sujet, ce qui est normal, a déposé cet amendement de suppression.

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Cela ne surprendra personne : j’émets à titre personnel un avis défavorable sur cet amendement qui pourrait renvoyer ma proposition de loi dans un tiroir.

Comme je l’ai indiqué en commission la semaine dernière, à l’occasion des commémorations du centenaire de cette guerre monstrueuse, je pense que nous devons aller au-delà des gestes symboliques. C’est d’ailleurs le choix qu’ont fait le Canada, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni. C’est aussi le sens des résolutions adoptées par le Conseil régional de Champagne-Ardenne, par près de quinze conseils généraux de tous bords politiques, dont celui de la Corrèze, alors présidé par le Président de la République, et par nombre de conseils municipaux.

Il y a quelques décennies, des lois d’amnistie ont été adoptées, dont l’une a du reste gracié le maréchal Pétain. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, deux lois d’amnistie sont adoptées en 1951 et 1953 au sujet de certains faits de collaboration constitutifs d’indignité nationale ou ayant notamment entraîné une dégradation nationale.

Au terme de la Guerre d’Algérie, trois lois d’amnistie sont adoptées par le Parlement, en 1964, 1966 et 1968, portant sur les infractions contre la sûreté de l’État ou en relation avec les événements d’Algérie, qu’elles aient été commises par le FLN ou par l’OAS. Un amendement parlementaire permettra même la réintégration dans leurs cadres et leurs grades des officiers ayant participé à l’OAS. Et que dire de la réhabilitation des putschistes de 1961 !

Permettez-moi de citer à nouveau, comme en commission, les mots du musicien-brancardier Leleu du 102e régiment d’infanterie, décoré de la croix de guerre : « Je me suis laissé dire qu’après la guerre, des fusillés avaient été considérés comme « Morts pour la France », ce qui serait une sorte de réhabilitation. Je ne sais si cela est exact mais, quant à moi, je crois sincèrement que beaucoup de ces malheureux sont effectivement morts pour le pays, car c’est la France qui les a appelés, et c’est pour elle qu’ils se sont battus, qu’ils ont souffert là où les menait leur tragique destinée et ce n’est pas un moment de défaillance physique ou morale qui peut effacer leur sacrifice. J’ose m’incliner devant leur mémoire. Jugera qui voudra, à condition qu’il soit passé par là. »

Nous n’y étions pas, évidemment, et il n’est d’ailleurs pas question de juger l’histoire, mais simplement de nous interroger sur la place que nous souhaitons accorder à ces 618 malheureux au sein de notre mémoire nationale. Certains de nos illustres prédécesseurs, qui, eux, avaient parfois vécu l’enfer des tranchées et l’exécution de leurs camarades, ne s’y étaient pas trompés : dès la fin de 1914 et le début de 1915, ils se sont emparés de la question et se sont battus pour faire cesser ces exécutions, puis réhabiliter ceux qui en avaient été victimes pour des faits de désobéissance militaire parfois seulement présumée.

C’est pourquoi aujourd’hui il me semble essentiel d’avoir le courage et l’honneur de poursuivre leur travail et de procéder à la réhabilitation de ces 618 fusillés pour l’exemple en raison de faits de désobéissance militaire, morts pour la France.

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La parole est à Mme la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées.

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Il me semble important d’indiquer que la commission a adopté l’amendement no 3 et qu’elle n’est donc pas favorable à la proposition de loi de M. Candelier.

À ce moment du débat, et en attendant le vote dans l’hémicycle, je remercie Jean-Jacques Candelier pour ce texte. Grâce à cette proposition de loi, comme l’a dit le secrétaire d’État, nous avons fait nous aussi preuve de mémoire, tant en commission que dans l’hémicycle. Le débat, sur tous les bancs, a été noble et responsable. Dans l’hémicycle, nous avons entendu des témoignages très forts. Plusieurs d’entre nous ont cité l’exemple de leurs grands-pères ou arrière-grands-pères. Chacun d’entre nous a pu faire part de son histoire familiale : M. Voisin, Mme Attard…

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Non, Jean-Jacques, cette proposition de loi ne restera pas dans les tiroirs. Elle s’inscrira dans la mémoire de chacun. Le travail qui s’effectue au ministère de la défense, notamment au sein du service historique, le prouve tous les jours à des dizaines de milliers de visiteurs des lieux de mémoire. Les commémorations qui se dérouleront prochainement en présence du Président de la République le montreront une fois de plus.

Reste que la commission a rendu un avis favorable à l’amendement de suppression de M. Nauche.

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Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’état chargé des anciens combattants et de la mémoire

À mon tour, je félicite le rapporteur. Je le remercie de nous avoir permis d’avoir ce débat et de faire avancer la connaissance des fusillés pour l’exemple. C’est important. Tous ceux qui sont intervenus l’ont fait d’une façon digne et solennelle. C’est l’hommage que nous devons rendre à tous ceux qui ont connu l’horreur des tranchées de la Première Guerre mondiale.

Les réintégrer dans la mémoire nationale est un devoir. C’est ce qu’a souhaité le Premier ministre Lionel Jospin. C’est ce que souhaite le Président de la République François Hollande, tout comme son prédécesseur que j’ai cité, comme vous. Tous les propos vont dans le même sens.

Il nous faut bien sûr réintégrer les fusillés pour l’exemple dans la mémoire nationale, mais aussi, je l’ai dit, toutes les femmes, tous les hommes français ou étrangers qui sont les oubliés de ce conflit.

Toutes les interventions ont été pertinentes. J’ai écouté, parmi d’autres, celle du président Chassaigne. J’ai aussi retenu les propos de M. Tourret établissant une distinction entre les différentes périodes de la Première guerre mondiale.

Si vous le voulez bien, j’adopterai la même position que mon prédécesseur, qui avait confié la présidence d’un groupe d’historiens de toutes les sensibilités au professeur Antoine Prost, un des meilleurs spécialistes de la Première Guerre, et notamment de la bataille de Verdun. Cette position consiste à laisser la réintégration se faire par des gestes différents. Le Président de la République a souhaité que cette mémoire soit évoquée au sein du musée de l’Armée. C’est fait. Il a également souhaité la numérisation de tous les dossiers, pour que tout le monde puisse en avoir connaissance.

Nous ne pouvons pas nous engager dans une polémique. J’ai bien compris la différence que vous avez établie entre réhabiliter la mémoire de certains hommes et leur accorder la mention « Mort pour la France ». Cette distinction est forte et importante. Il serait dommage que, sur de tels sujets, nous donnions une image de division. Une telle loi ne peut en effet être adoptée qu’à l’unanimité. C’est une nécessité, si l’on veut réhabiliter l’honneur des soldats fusillés et les réintégrer dans la mémoire nationale.

Le moment n’est pas encore venu. On devine les polémiques qui pourraient naître. Je souhaite que l’hommage rendu par la chancelière allemande dimanche prochain à Douaumont, en présence du Président de la République François Hollande, soit un hommage solennel à tous les poilus, quels qu’ils soient, y compris à ceux qui ont été fusillés pour l’exemple. Ce ne sera pas le cas si nous sommes divisés.

Le centenaire de la bataille de Verdun, dimanche prochain, celui de la bataille de la Somme, le 1er juillet à Thiepval, doivent être des moments de rassemblement et d’unité nationale. À cette occasion, nous devons rappeler nos valeurs. Nous avons le devoir de rendre un hommage solennel à tous les soldats venus combattre pour notre liberté pendant la guerre de 1914-1918. Je le rappelle souvent : ils étaient de tous les continents, de toutes les couleurs de peau, de toutes les religions. Ils sont venus mourir chez nous pour notre liberté, celle de la France, celle de l’Europe.

Nous ne pouvons pas nous diviser sur ce sujet. C’est pourquoi je suis favorable à l’adoption de l’amendement.

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Monsieur le secrétaire d’État, nous avons écouté vos propos qui procèdent, je le dis sans polémique, d’une vieille technique parlementaire. On complimente. On félicite. On exprime sa sympathie. On prononce même quelques paroles de consolation pour le rapporteur. Cela ne suffit pas à expliquer la suppression d’un article que vous avez très mal justifiée.

Vous expliquez qu’il n’est pas possible de voter la proposition de loi autrement que par un vote unanime. Faut-il rappeler d’autres votes, d’une forte importance symbolique, qui n’ont pas été acquis dans de telles conditions ? Car le rapporteur l’a rappelé : il y a eu certaines réhabilitations qui laissent aujourd’hui songeur…

Sans esprit de polémique, je tenais à balayer ces arguments un peu trop faciles et qui ne règlent pas le problème. Par ailleurs, comme l’hémicycle vient de se remplir, comme par miracle, et que l’article unique sera sans doute supprimé, l’amendement suivant, le no 1, ne viendra pas en discussion. C’était pourtant un excellent amendement, signé par M. Léonard, M. Chambefort, Mme Chabanne, M. Juanico et Mme Coutelle.

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Je me contenterai d’en lire l’exposé sommaire : « L’histoire des fusillés pour l’exemple est celle de nombreux poilus. Des domestiques agricoles, des journaliers, des cultivateurs, des artisans, des instituteurs, mobilisés dans l’urgence et envoyés sur le front pour une guerre rapide qui en fait n’en finira pas de s’enliser.

Si l’on s’en tient aux chiffres publiés par le rapport remis par M. Antoine Prost au Gouvernement en octobre 2013 sur la question, on compte autour de 600 à 650 fusillés pour des faits relevant de la désobéissance militaire, et, en comptant les crimes de droit commun et l’espionnage, 741 au total. De manière plus détaillée, on dénombre 56 exécutions pour faits d’espionnage, 53 pour crimes et délits de droits commun, 14 exécutions sommaires connues, soit 618 fusillés pour manquements à la discipline militaire. C’est à ces derniers, et ces derniers seulement, que la proposition de loi s’adresse.

Le présent amendement tient compte des échanges intervenus au sein de la commission de la défense et des forces armées au cours de sa réunion du mardi 17 mai 2016. »

Les précisions qu’apportait cet amendement auraient permis d’adopter la proposition de loi, peut-être par un vote unanime. Je constate que vous préférez la balayer par un simple amendement de suppression.

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Au nom du groupe Les Républicains, j’apporte mon plein soutien à cet amendement. Les débats que nous avons eus aujourd’hui grâce à la proposition de loi de Jean-Jacques Candelier rendent déjà un hommage aux fusillés pour l’exemple.

Rires sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

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Nous sommes pour la suppression, parce que c’est mettre le doigt dans l’engrenage. Rappelons-nous que la guerre de 1914-1918 ne fut pas la dernière, et qu’il y a eu après 1944 dans notre pays des exécutions sommaires et des règlements de comptes. Vous suivre serait donc entrer dans un processus qui n’en finira pas.

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Pour moi, cela a un rapport, monsieur Carvalho : l’histoire, c’est l’histoire. Jean-Jacques Candelier a le mérite d’avoir fait un excellent travail, mais cela n’empêche pas que nous puissions avoir des différences d’appréciation sur la suite à lui donner. La mention « Mort pour la France » est attribuée, après une expertise des archives militaires, soit par l’autorité militaire, soit par l’autorité civile, par un arrêté du ministre de la défense et des anciens combattants. Aux termes de la loi, il revient à chacun – aux familles ou à ceux qui y ont un intérêt – d’entreprendre les démarches en faveur d’une réhabilitation. Conservons ce traitement au cas par cas. Je trouve déplacé, vis-à-vis d’autres personnes qui ont vécu des situations invraisemblables, dont j’ai essayé de donner des exemples, de reconnaître à certains le droit de décider la globalisation de cette mesure juridique. Voilà pourquoi le groupe Les Républicains approuve l’amendement qui a été déposé par M. Nauche.

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Le débat que nous avons est important. Il est grave, parce que le sujet le mérite. Un certain nombre d’actes ont en effet été posés, dans un passé récent, par différents gouvernements. Je dirais que se souvenir est une nécessité ; comprendre également. Mais pour importante qu’elle soit, la connaissance ne saurait suffire.

Nous connaissons les termes du débat entre les partisans d’une réhabilitation générale et collective, comme le propose le texte, et les partisans du refus de la repentance, qui considèrent que nous n’avons pas à aborder ces questions et qu’il faut s’en tenir à ce qui est. Ce n’est pas satisfaisant. Pour ma part, j’estime qu’il existe un autre chemin : celui proposé par les autres amendements déposés, que nous n’aurons peut-être pas l’occasion d’examiner. Je souhaitais le souligner pour expliquer pourquoi je ne voterai pas l’amendement de suppression de l’article unique. Je souhaite qu’un autre chemin soit ouvert.

J’ai entendu aujourd’hui des citations et des récits, parfois familiaux. Je suis député de la Nation. J’ai été maire du Kremlin-Bicêtre, ville où est décédé à l’âge de 110 ans Lazare Ponticelli, le dernier poilu français. Il avait défendu un pays qui n’était alors pas le sien, pour le remercier de l’accueil dont il avait été l’objet, et nous avons honoré sa mémoire comme celle du dernier poilu décédé. Il n’était pas pacifiste, il était pacifique. Il avait fait Verdun, avant d’être conduit à la frontière italienne pour les raisons que nous savons. J’ai en tête son histoire, nos conversations, les conférences qu’il donnait dans les écoles.

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Pour reconnaître les choses, il faut les nommer. L’Assemblée s’honorerait à les nommer en ne supprimant pas l’article unique de cette proposition de loi, mais en permettant que le débat aille à son terme.

Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

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Permettez-moi d’abord de remercier le président Chassaigne pour son hommage quasi posthume non à ma personne, mais à mon amendement, compte tenu du vote qui interviendra sans doute dans quelques instants. Je voulais rappeler que cet amendement no 1 tenait compte des débats que nous avons eus en commission de la défense le 17 mai dernier. Il soulignait l’opportunité de la proposition de loi défendue par Jean-Jacques Candelier à trois jours des commémorations de Verdun, qui auront lieu le 29 mai en présence de la chancelière allemande et du Président de la République. Il précisait que la proposition de loi concerne 618 personnes, à l’exclusion des fusillés pour crimes de droit commun ou espionnage. Enfin, il visait à ne pas juger le passé au regard des valeurs actuelles.

Mais j’avais aussi déposé un autre amendement non moins excellent, le no 2. Je citerai pour l’illustrer Jean Jadé, député du Finistère, que j’ai évoqué tout à l’heure, ancien officier du 336e régiment d’infanterie, engagé en mars 2015 à Souain dans la Marne. Le 10 mai 1927, ici même, il prononçait ces mots : « il y a un élément qui échappera toujours à l’appréciation des honorables magistrats de la cour suprême : c’est la question de l’exécutabilité d’un ordre. Certes, nos soldats ont accompli sur le front des prodiges ; on a tendance à croire qu’il n’existait là-haut aucune limite à la résistance des hommes. Et bien si, les forces de l’homme ont une limite, mais cette limite ne peut être appréciée que par ceux qui ont eux-mêmes vécu dans l’enfer des batailles. »

Outre la précision qu’il apporte, cet amendement no 2 , qui embrasse lui aussi les débats de la commission de la défense du 17 mai, répond me semble-t-il aux propos qui ont été tenus aujourd’hui par les orateurs du groupe UDI et du groupe RRDP. Permettez-moi de rappeler son texte : « La Nation rétablit dans leur honneur les 618 « Fusillés pour l’exemple » de la Première Guerre mondiale et reconnaît officiellement leur dignité. L’inscription de leurs noms sur les monuments aux morts de la guerre 1914-1918 leur est accordée de plein droit. »

Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas l’amendement de suppression de l’article unique.

Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

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J’ignore si l’amendement de suppression va être adopté, mais la discussion porte désormais sur les amendements no 1 et 2 de M. Léonard. Or je suis un peu étonné de la présentation qui en est faite.

Nous demandons la suppression de l’article unique parce qu’il ne nous paraît ni utile ni nécessaire, surtout au regard de ce que nous souhaitons faire pour la mémoire de ces soldats fusillés, de prendre une mesure générale, qui affaiblit en fait la portée des démarches qui pourraient être entreprises individuellement en fonction des drames personnels que chacun a vécus. Qui sommes-nous pour décider, comme le proposent ces amendements, de réhabiliter ces 618 soldats, et seulement ces 618-là – et non 617, 619, 630 ou 700 ? Encore une fois, ce n’est pas à l’Assemblée d’écrire l’histoire, mais aux historiens.

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Comme vous tous, j’ai été passionné par le débat de grande qualité que nous avons pu avoir à l’initiative du rapporteur.

Permettez-moi simplement de faire une remarque, et une proposition. La première s’adresse à mon collègue et ami Jean-Luc Laurent. Le clivage qui s’est établi au cours de ce débat n’est pas un clivage entre la réhabilitation collective proposée par le groupe GDR et le refus de la repentance, mais un clivage entre la réhabilitation collective et la réhabilitation individuelle. C’est là que nous divergeons, et c’est la raison pour laquelle l’amendement de M. Nauche est pertinent.

La proposition s’adresse à M. le secrétaire d’État. Alain Tourret a formulé des propositions très pertinentes. Nous ne devons pas clore le débat après le vote qui aboutira vraisemblablement au rejet de la proposition de loi, mais continuer à travailler sur cette question dans le sens que notre collègue a suggéré avec talent.

L’amendement no 3 est adopté et l’article unique est supprimé.

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L’Assemblée ayant supprimé l’article unique de la proposition de loi, il n’y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la Conférence des présidents.

La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinq.

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L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. André Chassaigne visant à garantir le revenu des agriculteurs (nos 3681, 3769).

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La parole est à M. André Chassaigne, rapporteur de la commission des affaires économiques.

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Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de cette proposition de loi visant à garantir le revenu des agriculteurs est le fruit d’un engagement personnel de longue date sur la problématique des prix d’achat des productions agricoles. Depuis 2009, et une première proposition de loi visant à garantir un droit au revenu pour les agriculteurs – j’ai déposé un deuxième texte à ce sujet en 2011 – j’ai fait le choix d’aborder ce débat de fond sur la base d’un constat, que je crois largement partagé sur les bancs de cet hémicycle, mais aussi, très largement, par la profession agricole. Ce constat, c’est celui d’un abandon : l’abandon de tous les outils de régulation des marchés sous la pression des libéraux, au plan européen comme au plan national. Pour ma part, je ne partage absolument pas l’idée que l’agriculture serait une activité comme une autre, quand son premier objectif est de répondre aux besoins alimentaires de 500 millions d’Européens.

La conséquence la plus visible de cet abandon concerne les prix d’achat de la production agricole. Sans intervention sur les volumes et les marchés, ils subissent une pression constante à la baisse, alors que dans le même temps, les marges des géants de l’agroalimentaire et de la distribution s’envolent. Ces marges ont tout simplement doublé en quinze ans, tandis que le revenu agricole, tous secteurs confondus, n’a quasiment pas évolué depuis 1995. Je le rappelle systématiquement dans mes interventions, ce sont 25 % des exploitations qui ont disparu en dix ans, et quasiment autant d’emplois agricoles. Malheureusement, ce rythme reste constant, et pour cause : nous ne sommes pas confrontés à des crises agricoles conjoncturelles, mais à une crise structurelle, qui a des raisons profondément politiques.

Les prix d’achat des différentes productions agricoles ne couvrent aujourd’hui quasiment jamais les coûts de production moyens. L’absence, la suppression ou l’inefficacité des outils réglementaires et contractuels ne permettent pas de répondre à la gravité de la situation vécue par nos agriculteurs. L’abandon progressif des derniers outils de régulation des marchés et des volumes au niveau communautaire a bien évidemment conduit à une mise en concurrence brutale des producteurs. Cette mise en concurrence, et, dirais-je aussi, le miroir aux alouettes de la compétitivité qui l’accompagne, risquent d’être toujours plus dramatique pour notre modèle d’exploitation familiale, notamment avec la perspective de traités de libre-échange particulièrement offensifs. Quant à la multiplication des plans de soutien et des plans d’urgence, malgré tous vos efforts, monsieur le ministre, ils ne répondent ni aux problèmes structurels de la formation des prix d’achat et des marges, ni aux rapports de force qui existent dans la répartition de la valeur ajoutée tout au long des filières. Or, cette question des prix, c’est la question essentielle.

Je l’ai dit devant la commission des affaires économiques, le comble du comble est sans aucun doute que l’Union européenne joue dans la cour des grandes puissances agricoles au niveau international, ce que l’on peut trouver normal, mais qu’elle le fasse en poursuivant la liquidation de toutes les protections et de tous les outils politiques d’intervention sur les marchés et les prix, alors que les autres puissances avec lesquelles nous sommes en relation les conservent, voire les renforcent. Je pourrais notamment citer les États-Unis, le Canada et de multiples autres États qui ont fait d’autres choix que ceux de l’Union européenne. Il faut donc avoir le courage de dire stop et de ne pas vouloir être plus libéraux que les plus libéraux.

Comme le souligne son exposé des motifs, cette proposition de loi ne prétend pas apporter des solutions toutes faites pour remédier aux maux de notre agriculture. Elle s’appuie sur une réflexion collective établie à différentes reprises au cours de l’année écoulée avec les agriculteurs et leurs organisations syndicales au coeur de la circonscription dont je suis l’élu. Elle s’attache, par cette démarche citoyenne, à avancer des pistes d’action pour retrouver une politique active, en nous centrant sur l’enjeu fondamental et déterminant des prix, et sur les leviers d’action que nous pouvons immédiatement actionner.

L’article 1er propose que les organisations interprofessionnelles reconnues organisent une conférence annuelle sur les prix pour chaque production agricole. Dans sa rédaction actuelle, il prévoit également que cette conférence donne lieu à une négociation destinée à fixer un niveau plancher de prix d’achat aux producteurs sur la base de l’évolution des coûts de production et des revenus agricoles par bassin de production. Par souci de cohérence avec le carcan du droit européen et pour ne pas exposer les filières à des risques juridiques relatifs à d’éventuelles ententes anticoncurrentielles sur les prix, j’ai déposé un amendement visant à supprimer cet objectif. L’article 1er assigne également à cette conférence un second objectif : « déterminer un ou plusieurs indices publics de prix des produits agricoles ou alimentaires mentionnés mentionnés à l’article L. 441-8 du code de commerce. »

L’article 2 prévoit l’extension à l’ensemble des productions agricoles et alimentaires du mécanisme du coefficient multiplicateur, déjà présent dans notre droit, à l’article L. 611-4-2 du code rural et de la pêche maritime. Pour faciliter son éventuelle mise en application, j’ai également déposé un amendement limitant la mise en oeuvre de ce coefficient multiplicateur, aujourd’hui applicable pour les fruits et légumes, aux viandes et au lait de vache, c’est-à-dire à des secteurs de production qui en permettent une application plus facile. Je précise que cette solution est proposée en période de crise ou en prévision des crises, comme c’est le cas aujourd’hui pour les fruits et légumes.

L’article 3 s’appuie sur un constat largement relayé par les agriculteurs et le monde agricole : les agriculteurs sont les seuls – je dis bien les seuls – agents économiques – susceptibles de vendre leurs productions à perte, c’est-à-dire en deçà de leur coût moyen de revient. Avec cet article 3, je souhaite inscrire dans la loi une interdiction d’achat à perte. En affichant cet objectif, je suis néanmoins parfaitement conscient des difficultés que pose cet article au regard des spécificités de la vente de certaines productions agricoles. Cela a en particulier été souligné par notre collègue Brigitte Allain lors de nos échanges. Nous avons eu l’occasion d’aborder cette question en commission, et je souhaite que nous puissions y revenir lors de l’examen des articles.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, après le débat en commission, je souhaite tout particulièrement insister sur la rédaction de l’article 1er, qui me paraît être un point d’appui important pour l’ensemble de la profession agricole. Déjà, en 2009, puis en 2011, j’avais proposé l’instauration d’une conférence annuelle de filière aboutissant à la définition de prix d’achat aux producteurs et associant pleinement ceux-ci à cette négociation. L’idée, depuis, a fait progressivement son chemin sur tous les bancs de l’hémicycle, puisque nos collègues de droite ont présenté il y a quelques semaines, une proposition similaire, quoique moins ambitieuse. Vous-même, monsieur le ministre, avez tenu avant-hier des propos très proches dans le cadre de la séance de questions sur la politique agricole du Gouvernement. Je vous cite : « […] nous voulons rendre pluriannuelles les négociations commerciales et faire figurer dans la loi l’obligation de donner le résultat en termes de prix à la production à l’issue de la négociation commerciale. »

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C’étaient des mots très forts. Vous poursuiviez ainsi : « […] il faut faire en sorte que ce qui est la conséquence de la négociation commerciale entre l’industriel et la grande distribution soit clairement indiqué dans cette négociation en termes de prix au producteur. » Vous ajoutiez : « Où est l’information pour le producteur ? Elle n’est pas là. Nous voulons changer cela – c’est un engagement important. Faut-il la faire figurer dans les conditions générales de vente, ou dans les modalités finales de la négociation ? » Vous terminiez en disant : « Ce sera l’objet de notre débat, et je compte sur les parlementaires pour faire avancer les choses. » Je vous prends donc au mot, monsieur le ministre. Je pourrais même sous-amender mon premier amendement, en intégrant la référence à une négociation interprofessionnelle « pluriannuelle ». Mais j’anticipe votre réponse sur l’éventualité d’un renvoi à l’examen du projet de loi dit « Sapin 2 ». Nous aurions pourtant, je le crois, l’occasion d’avancer dès aujourd’hui avec les parlementaires présents. Ce serait très utile, plus utile en tout cas que de se limiter à déposer des amendements de suppression. Adopter cet article, qui a pour objet d’instaurer une conférence sur les prix, constituerait un message et un signe très forts.

Je souhaiterais faire passer à nouveau un autre message. Ce n’est pas la première fois que je le délivre, mais il faut toujours se répéter : arrêtons d’habiller le refus d’agir derrière le masque si facile de l’eurocompatibilité…

Debut de section - Permalien
Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Voilà qui est joliment dit !

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…qui sert trop souvent à masquer le manque de volonté politique. Je pourrais citer l’exemple de l’étiquetage de l’origine pour prouver que des gestes forts permettent de faire avancer concrètement les choses. Je me souviens à ce sujet des objections que vous-même, monsieur le ministre, formuliez dans cet hémicycle, lorsque j’avais déposé ma proposition de loi visant à rendre obligatoire l’indication du pays d’origine pour les produits agricoles et alimentaires à l’état brut ou transformé, en février 2013, à la suite du scandale de la viande de cheval. Vous disiez, à l’époque, que rien n’était possible au regard du droit européen. Depuis, c’est bien parce que nous avons osé, et que vous-même, monsieur le ministre, avez cherché à dépasser ce blocage formel – j’insiste sur ce point – que des avancées sur l’étiquetage de toutes les viandes fraîches ont été actées au niveau européen, et même que des mesures volontaires ont été rendues possibles pour l’étiquetage des productions françaises.

C’est donc avec cet appel à l’audace et au volontarisme politique que je voudrais conclure cette modeste présentation, un appel lancé avec pour unique ambition de rechercher des solutions dans l’intérêt général du monde agricole, qui subit une crise majeure et durable.

Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

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La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

Debut de section - Permalien
Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Monsieur le rapporteur, avant d’entendre les orateurs et de répondre ensuite aux uns et aux autres, j’aimerais vous dire que, dans ce moment difficile, les initiatives qui sont prises sont le fruit d’une volonté de trouver des solutions pour les agriculteurs. Et je sais qu’au cours des débats qui se sont tenus sur ces questions – et ils ont été nombreux ces deux dernières années –, vous avez conservé un même état d’esprit et votre volonté n’a pas fléchi.

Quels sont les points qui peuvent susciter le débat entre nous ? Ils dépassent largement la question agricole. Il me semble que nous n’appréhendons pas de la même façon le monde dans lequel nous vivons. Les marchés français, européens, mondiaux de l’agriculture et de l’agroalimentaire sont désormais imbriqués. La France est un grand pays agricole ; nous en sommes tous fiers. Les agriculteurs français sont parmi les plus compétents au monde, notre industrie agroalimentaire a des défauts, mais aussi beaucoup de qualités. La recherche et l’enseignement agricoles français sont reconnus dans le monde entier. Nous disposons donc de nombreux atouts, atouts que les agriculteurs, les coopératives, les industriels cherchent souvent à valoriser, tant sur le marché national que sur le marché européen ou mondial.

Je le dis souvent, et je le rappelle ici : tout produit agricole nécessite une transformation, dont le degré varie entre un niveau faible et une élaboration extrême nécessitant des process industriels et des investissements en capital très importants.

Au sein de ce système de production et de distribution agricoles et agroalimentaires coexistent des marchés différents. Nous en avons souvent discuté. Mme la députée Brigitte Allain avait notamment soutenu une proposition de loi visant à développer une alimentation ancrée localement, à promouvoir les stratégies de circuits courts et l’approvisionnement local. Elle y proposait d’inscrire dans la loi la définition des projets alimentaires territoriaux afin de coordonner l’offre et la demande. Ces projets fonctionnent, se développent et continueront de se développer.

On observe également une augmentation du nombre de demandes de conversion vers l’agriculture biologique organisée. Cette hausse dépasse d’ailleurs les prévisions que j’avais pu faire lorsque j’avais décidé de doubler le budget alloué à ce mode de production. J’ai toujours exprimé le souhait que l’agriculture biologique se développe dans un cadre organisé, afin de pouvoir garantir aux agriculteurs qui font ce choix des prix de vente rémunérateurs, ce qui est très important.

Puis il y a les marchés internationaux, les produits de haute valeur ajoutée, les indications géographiques protégées, et les produits standard.

La difficulté dans le débat qui nous oppose, monsieur le rapporteur, vient du problème de la définition du prix. Y a-t-il un prix unique ? Le premier postulat est qu’il existe une multitude de prix. Prenons l’exemple du lait, qui m’a frappé : avec un même produit de base, on peut fabriquer – en particulier en France, où ont été développées des stratégies de transformation et de valorisation du lait – de 4 000 à 5 000 produits différents. Cela signifie que la valorisation du prix du produit acheté par le consommateur par rapport au prix de base du produit agricole est un processus d’une complexité extrêmement difficile à maîtriser. Il y a donc non pas un prix, mais une multitude de prix. Or, pour les agriculteurs, le prix de base du lait est unique, et là réside toute la difficulté. La profusion des produits, donc des prix, des segments, cette diversité, qui est un atout colossal, se mue en difficulté dès lors qu’il s’agit de discuter du prix de base du produit agricole, qui détermine la rémunération des agriculteurs, et de choisir quel prix final sera retenu à cette fin. Tel est le sujet.

Vous avez indiqué au sujet de deux articles de votre proposition de loi que nous n’étions pas si loin de l’objectif d’une meilleure gestion de cette complexité des prix, mais qu’il restait nécessaire pour les agriculteurs de disposer d’un référentiel lisible. Dans le cadre de la révision de la loi de modernisation de l’économie dite LME, nous souhaitons précisément introduire une disposition qui permette, compte tenu de la profusion des produits existants, de fixer le prix payé aux producteurs à l’issue des négociations commerciales entre la grande distribution et les industriels.

Vous considérez quant à vous, monsieur le rapporteur, qu’il conviendrait de mettre en place une conférence annuelle interprofessionnelle pour que tout le monde se mette d’accord, mais sur quels sujets ? La difficulté tient à ce que, dans le cadre des négociations mentionnées dans la LME, on discute à la fois du yaourt, de la crème fraîche et du fromage, des produits sous marque de distributeur et des produits de l’agriculture biologique. Et concernant les yaourts, on discute des produits crémeux, des produits à base de nectar, c’est-à-dire de multiples sujets commerciaux que nous ne pouvons pas maîtriser. Il faut restreindre l’étendue de la négociation du prix et faire en sorte que celui-ci soit clairement indiqué pour le producteur, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Nous avons donc des progrès à faire sur ce point.

En tant que ministre, j’ai acquis une certaine expérience des discussions interprofessionnelles agricoles. Quand nous avons commencé à travailler sur le fond des questions, j’ai pu constater la complexité des sujets. On m’avait d’ailleurs reproché la durée des tables rondes, et certains se demandaient même ce que le ministre faisait pendant des heures autour de la table avec les représentants des différentes professions. Or, c’est en discutant des problèmes concrets, pour faire en sorte que les acteurs économiques se mettent d’accord, que j’ai compris l’écart énorme qui séparait les demandes de la grande distribution et celles des industriels, et les conséquences que cela pouvait avoir pour les producteurs.

Et la question devient encore plus compliquée entre des entreprises qui transforment des produits avec une forte valeur ajoutée tels que le fromage, pour rester dans le secteur laitier, et des entreprises dont les produits sont peu transformés ou dont le mixte est composé en grande partie de poudre de lait. La capacité à dégager des profits, la rentabilité seront très différentes entre le premier cas et le second. La détermination du prix de base n’aura pas du tout les mêmes conséquences pour ces deux entreprises, qui ne vendent pas les mêmes produits, donc ne pratiquent pas les mêmes prix.

L’amendement du Gouvernement dont nous avons discuté me paraît donc pertinent, alors que mon avis est plus réservé sur votre amendement no 1 , monsieur le rapporteur. Celui-ci vise à définir un niveau plancher de prix d’achat, qui par définition est extrêmement délicat et difficile à fixer, et je l’affirme en m’appuyant sur l’expérience que j’ai acquise. Il me semble d’ailleurs qu’il y a une contradiction entre les articles 1er et 3 de votre proposition de loi : si une conférence annuelle définit un prix plancher par production agricole, que signifie l’interdiction par l’article 3 de la vente à perte ? Cela revient à estimer que la conférence a fait une erreur dans la fixation du prix plancher.

Debut de section - Permalien
Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Telle est la complexité du sujet que nous avons à traiter dans ce débat, et il faut bien en avoir conscience.

Par ailleurs, nous sommes sur un marché européen, sur un marché mondial. Le prix du lait aujourd’hui est un prix mondial. La Nouvelle-Zélande est un acteur important de ce marché, au même titre que l’Europe, qui a d’ailleurs sa part de responsabilité dans l’affaire. La situation actuelle en Europe, et vous avez raison sur ce point, monsieur le rapporteur, est le résultat de la décision prise en 2008 de supprimer les quotas. Les acteurs économiques ayant pour objectif d’aller conquérir le marché chinois, la production de lait s’est alors emballée sans maîtrise, sans coordination, sans coopération à l’échelle européenne, dépassant même les plafonds prévus pour la production laitière. C’est ce qui explique pourquoi cette année l’Europe aura stocké en six mois près de 218 000 tonnes de poudre de lait.

À ce stade, on ne peut plus parler des lois du marché. Quand le niveau de production est tel que la seule solution est l’intervention, c’est qu’il y a un problème de surproduction. Il faut alors réintroduire de la régulation, et poser la question de la maîtrise de la production, car il est faux d’affirmer que le marché régule ; il ne régule rien, en l’occurrence. Les acteurs économiques et les décideurs publics et politiques qui ne jurent que par le marché alors qu’il y a mise à l’intervention de milliers de tonnes de denrées nous racontent des histoires, et je le leur ai dit très clairement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la France a convaincu la Commission européenne de revenir à une régulation volontaire temporaire en activant l’article 222 du règlement portant organisation commune des marchés de produits agricoles. Un débat a eu lieu sur ce sujet hier au Parlement européen ; nous y reviendrons, j’y reviendrai, car je tiens à ce que cette mesure soit effectivement appliquée. Comme je vous l’ai dit, les stocks de poudre de lait, qui avaient déjà doublé, ont dépassé les plafonds prévus.

Sur ce point, nous sommes donc sur la même ligne, vous et moi, monsieur le rapporteur, bien que de manière différente. Pour ma part, je prends en effet en compte la dimension européenne : j’essaie – et c’est vrai que ce n’est pas toujours facile – de dégager des compromis, de faire des synthèses, de trouver la meilleure coordination possible, de coopérer avec nos partenaires, car il n’y a aujourd’hui aucune coordination, et c’est bien le problème politique qui nous est posé à l’échelle européenne.

Il faut donc non seulement réguler, maîtriser la production, mais aussi faire en sorte que l’on s’organise : c’est le débat sur la contractualisation. J’étais ce matin à l’assemblée générale de la coopérative agricole des Fermiers de Loué, qui produisent des poulets de Loué – production label rouge organisée depuis 50 ans, structurée. La force de la chaîne vient du fait que, à chaque moment où la production s’est accrue, les cahiers des charges sont demeurés inchangés et ont continué d’être respectés, la qualité a été maintenue. C’est pourquoi cette production trouve aujourd’hui encore des débouchés et qu’elle est valorisée à un prix plus élevé que le prix moyen du marché. Ce succès est lié à la contractualisation, à l’organisation. Il faut donc promouvoir ces stratégies. C’est tout l’enjeu de la contractualisation et de ce que nous avons proposé dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

Sur la question de l’étiquetage, vous m’avez reproché d’avoir hésité. J’ai dit que nous n’avions pas trouvé d’accord à l’échelle européenne, et je vais m’en expliquer. Après la crise de la viande de cheval retrouvée dans les lasagnes en lieu et place de la viande de boeuf, qui a mis en évidence un manquement et un mensonge de l’industrie agroalimentaire vis-à-vis du consommateur, j’avais lancé l’idée de revoir la directive européenne sur l’étiquetage. Cependant, pour mes homologues allemands, autrichiens, polonais, l’étiquetage devait mentionner non pas le lieu de naissance de l’animal, mais le lieu d’abattage. C’est ce sur quoi j’ai buté, c’est ce qui m’a fait reculer. Les Allemands abattent en effet beaucoup d’animaux provenant de pays limitrophes. À leurs yeux, l’origine du produit renvoie donc non pas au lieu de naissance et d’élevage de l’animal, mais au lieu d’abattage.

En l’espèce, le désaccord était total ! Cela peut faire sourire, mais tel était bien le sujet ! Si j’avais cédé, nous aurions pu trouver une modification de la directive relative à l’étiquetage des denrées alimentaires en définissant l’origine selon le lieu d’abattage, mais vous m’auriez dit, à juste titre, que je m’étais trompé et que je m’étais fait avoir ! C’est pourquoi j’ai suspendu les négociations à l’époque, refusant d’aller plus loin car j’avais compris qu’elles ne prenaient pas en compte notre conception de l’origine de la viande. C’est aussi pourquoi nous avons mis en place dès mon retour, avec la collaboration de Dominique Langlois, président d’Interbev, le logo « Viande de France » qui, lui, structure les produits en liant leur origine au fait que les animaux sont nés, élevés, abattus et transformés en France, ce qui en est selon nous la définition correcte, vous en êtes d’accord, monsieur le rapporteur !

Debut de section - Permalien
Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Par la suite, la crise perdurant, nous avons demandé à la commission, sans renier cette définition selon laquelle les animaux doivent être nés, élevés, abattus et transformés en France, de pouvoir expérimenter un étiquetage des produits transformés permettant d’en assurer la traçabilité aux conditions que nous avons fixées. Telle est l’expérience que nous allons mener. Elle n’est pas contradictoire avec ce que j’ai dit du problème de base de la modification de la directive européenne et ce que nous avons fait ensuite. Si je me suis arrêté au niveau de la directive européenne, c’est parce que notre conception de l’origine divergeait de celle en vigueur dans d’autres pays alors qu’elle est nécessaire pour obtenir un accord. Nous avons donc procédé autrement.

Ainsi, sur la définition de l’origine, nous sommes d’accord, monsieur le rapporteur, mais nous en revenons toujours au même problème. Je prends en compte la dimension européenne alors que vous, vous considérez parfois qu’il suffirait de décider en France pour régler le problème. Tel est le débat que nous devons avoir.

En conclusion, je partage les grands enjeux de cette proposition de loi, qui cherche à trouver une solution aux difficultés des agriculteurs découlant de prix très bas. Je souligne le contexte international et européen, car il ne s’agit pas uniquement du marché français. Nous devons aussi prendre en compte notre environnement.

Par ailleurs, ces débats sont d’une grande complexité car la transformation du produit de base agricole poursuit une multitude de finalités. Il est donc difficile de déterminer exactement le lien entre le produit de base et le produit fini en termes de prix. Il faut en revanche donner des indications aux agriculteurs et surtout obliger les négociateurs qui mènent les négociations commerciales à en tirer les conséquences sur les prix agricoles. Cela aidera en outre, par-delà cette proposition de loi, à promouvoir la mise en place d’interprofessions qui n’existent pas actuellement. L’interprofession du lait ne fonctionne plus, l’interprofession de la volaille en est au stade des discussions dont je fais tout pour qu’elles aboutissent et l’interprofession du sucre semble se mettre en place après que j’ai insisté lourdement. La France manque de structures suffisamment interprofessionnelles, et par là il faut entendre la réunion des agriculteurs et des industriels mais aussi de la grande distribution.

Chacun porte la responsabilité de la valorisation de la production agricole et chacun doit avoir des comptes à rendre aux agriculteurs. Voilà comment nous devons avancer ! C’est pourquoi notre proposition est importante dans le cadre de l’examen du projet de loi Sapin 2. Nous débattrons tout à l’heure des trois articles de la proposition de loi. Comme je vous l’ai dit, monsieur le rapporteur, les articles 1er et 3 sont susceptibles de poser problème, mais vous m’avez indiqué que la commission en a discuté. Tous ces débats sont utiles, car ils vont dans le même sens. Nous essayons tous de trouver des solutions pour les agriculteurs qui souffrent.

Le secteur du porc se porte un peu mieux grâce à la remontée du prix sur le marché au cadran provoquée par l’évolution du marché chinois, ce qui montre bien que ce qui se passe à l’autre bout du monde a des conséquences sur les prix en Bretagne et en France. C’est ainsi que ces marchés fonctionnent. Nous devons donc être capables de nous adapter et surtout de mieux gérer cette volatilité. Quant au secteur du lait, vous avez raison : la situation découle du choix de sortir des quotas laitiers sans fixer aucune règle pour maîtriser l’envolée de la production, ce qui explique l’actuelle situation de surproduction. Tous ces débats sont utiles car nous avons l’objectif commun d’apporter des solutions aux agriculteurs.

Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrice Carvalho.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, placés au coeur de l’actualité nationale depuis plusieurs mois, les éleveurs et agriculteurs français traversent une crise structurelle largement imputable à une politique agricole européenne ruineuse pour les producteurs faute de régulation des marchés. Ce point manque dans votre analyse, monsieur le ministre ! Nous savons tous que les prix de denrées comme le blé, le lait de vache et les viandes bovine et porcine sont bien trop bas actuellement pour permettre aux producteurs d’en tirer un revenu décent. Ils ne permettent pas à la plupart de nos agriculteurs, à l’exception des producteurs de fruits et légumes, de couvrir leurs coûts de production.

Pour des milliers de familles d’exploitants, la situation est devenue intenable. Au cours des derniers mois, en raison de l’effondrement des cours du lait ou du porc auquel s’ajoute la menace de se voir lâchés par leur banque, les exploitants vivent des drames familiaux et les suicides se multiplient. Notre agriculture et l’agriculture européenne en général n’ont pas su se réguler et se trouvent prises au piège d’une course folle à la compétitivité qui est en réalité une course à la baisse des prix détruisant la valeur du travail et transformant le paysan en une variable d’ajustement économique et une concurrence exacerbée entre agriculteurs qui se solde à chaque crise par l’élimination d’une partie d’entre eux. L’emploi agricole continue ainsi de se réduire rapidement au rythme de 6 000 emplois par an. On comptait encore 386 000 exploitations professionnelles en 2000, elles sont un peu moins de 300 000 aujourd’hui.

Aucune proposition de loi ne saurait prétendre formuler des solutions toutes faites remédiant aux maux de notre agriculture. La détresse de nos agriculteurs puise en effet dans un enchevêtrement de difficultés. Aux conséquences de la concurrence et de l’effondrement des prix à l’échelle internationale s’ajoutent celles de l’embargo russe et de la hausse du coût des consommations intermédiaires, le dumping fiscal et social pratiqué par certains de nos partenaires européens et le désengagement des politiques publiques agricoles communautaires dans le cadre de la nouvelle PAC qui se double d’une accélération des perspectives d’ouverture des échanges agricoles avec plusieurs zones économiques.

Si la proposition de loi que nous présentons aujourd’hui n’entend évidemment pas résoudre l’ensemble de ces difficultés, elle porte l’ambition de mettre en oeuvre des outils permettant de garantir des revenus décents à nos agriculteurs en agissant sur le levier des prix d’achat. Il convient en effet de mettre un terme aux pratiques des quatre centrales d’achat de la grande distribution de notre pays qui dictent leur loi en profitant d’un rapport de force disproportionné lors des négociations. Les politiques commerciales des groupes de la grande distribution, entretenues à l’égard des producteurs comme des consommateurs, leur permettent de dégager des bénéfices colossaux au détriment de l’intérêt général. En aval, dont la domination favorise la baisse des prix d’achat aux agriculteurs, se trouvent également les maillons industriels des filières agricoles.

Comme vous l’avez très bien résumé voici quelques semaines, monsieur le ministre, « chacun se renvoie la balle en disant d’un côté « C’est la grande distribution ! » et de l’autre « Ce sont les industriels ! » – résultat des courses : ce sont toujours les producteurs qui perdent ! ». Le législateur a une très grande responsabilité en la matière. La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, votée par la majorité de droite de l’époque, a consacré le principe de libre négociation des conditions générales de vente, ce qui a eu pour principale conséquence une nouvelle concentration de la grande distribution et un renforcement de son pouvoir de négociation dans les relations commerciales au détriment des entreprises agroalimentaires et bien sûr des exploitants agricoles.

La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 n’a pas fondamentalement modifié la donne en matière de partage de la valeur ajoutée. Elle n’a pas abrogé les dispositions les plus contestables de la loi de modernisation de l’économie. Les centrales d’achat des grands opérateurs de la distribution ont donc toujours toute latitude pour maintenir leurs pratiques abusives. Si l’on souhaite s’attaquer réellement à un système dont chacun s’accorde à considérer qu’il noie littéralement les producteurs, nous devons envoyer des signaux forts d’une volonté politique de garantir l’équité et la justice des négociations commerciales. Tel est le sens de notre proposition de mise en place de négociations annuelles obligatoires associant producteurs, organisations agricoles, transformateurs et distributeurs.

C’est également la raison pour laquelle nous réaffirmons notre attachement à l’application de coefficients multiplicateurs entre le prix d’achat et le prix de vente afin de limiter strictement le taux de marge des distributeurs. Rappelons que ce mécanisme de coefficient multiplicateur a précisément été mis en place à la Libération afin d’empêcher la spéculation de déstabiliser les prix. Ceux qui nous taxent de nostalgie d’une période révolue sont en réalité des nostalgiques d’un capitalisme non régulé d’avant-guerre, d’un capitalisme d’avant le Front populaire. Nous refusons, pour notre part, ce climat de régression sociale qui inspire tant de nos prétendus modernes, de Fillon à Copé et de Macron à El Khomri.

À l’évidence, nos agriculteurs font collectivement les frais des mécanismes de dérégulation du marché agricole et de l’irresponsabilité de ceux qui l’ont mis en place depuis des décennies et qui persistent et signent. Il est plus facile, pour les libéraux et les technocrates, de faire croire que la cause de la crise est due à l’incapacité des petites et moyennes exploitations de s’adapter. Pour survivre, il leur faudrait se transformer en fermes-usines et produire toujours plus sans se soucier des conditions ni de la qualité des productions. Dans les pays comme l’Allemagne, souvent citée en exemple, qui ont déjà mis en place des fermes de 1 000 vaches, on a constaté une baisse de bénéfices de 35 % en 2015 et de près de 50 % depuis 2014 ! Il y aura toujours un pays pour produire moins cher que celui qui l’a précédé en tête du classement des productions à bas coût !

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Faire croire le contraire, c’est mentir ! Ce mensonge a d’ailleurs du plomb dans l’aile. Dans de nombreux pays européens monte désormais l’exigence d’organiser l’agriculture différemment pour mieux répondre à l’enjeu d’une alimentation de qualité, accessible à tous, mais également plus respectueuse de l’environnement, plus créatrice d’emplois et génératrice de revenus pour nos paysans. En effet, nous ne pouvons faire l’impasse sur les conséquences non seulement sociales mais aussi environnementales de la course à la compétitivité, en particulier les atteintes à l’environnement mais aussi à la santé des producteurs comme des consommateurs : pollution des eaux en raison des épandages d’azote et de pesticides, dégradation des sols marquée par une baisse des taux de matière organique et par l’érosion, recul, voire disparition, de nombreuses espèces végétales et animales en raison de l’uniformisation des paysages et de la pollution chimique alors que ces espèces jouent un rôle clé pour le bon fonctionnement des écosystèmes.

C’est l’ensemble de notre modèle agricole qu’il faut repenser. Nous ne négligeons nullement les avancées en ce sens mais elles demeurent bien trop timides. Les mesures agro-environnementales, par exemple, ne constituent que 4 % des aides directes aux producteurs. Pour notre part, nous sommes favorables à l’inscription de la politique agricole dans un cadre européen mais nous sommes également favorables à une évolution des orientations fondamentales de cette politique. Pour ce faire, il importe que des pays comme le nôtre, première puissance agricole du continent, manifestent leur volonté de sortir de l’impasse. Dans cet état d’esprit, nous vous invitons à adopter la présente proposition de loi.

Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur et président Chassaigne, mes chers collègues, cette proposition de loi que vous nous invitez à étudier aujourd’hui est importante car elle permet au débat d’avoir lieu, ce dont je vous remercie. Je ne reprendrai pas tous les propos tenus par M. le ministre tout à l’heure, mais je partage pleinement ses arguments.

Je souhaite toutefois préciser l’intérêt de ce débat. La position que je défends est qu’il serait dangereux d’entretenir le rêve que, dans une Europe des contraires et des intérêts particuliers, l’on puisse remettre de la régulation là où tout a été savamment détruit sous les mandats précédents et ce, dans une période de temps très courte. Réintroduire de la régulation demande du temps.

La PAC – politique agricole commune – a perdu de son intérêt collectif, chaque pays défendant ses particularités sans partager une vision globale d’un projet commun ; M. le ministre l’a rappelé tout à l’heure.

La fin des quotas laitiers entraîne une surproduction en Europe, qui tire les prix vers le bas. Il est très difficile, depuis quatre ans, de changer ce que la France avait précédemment acté. Mais ayons aussi à l’esprit qu’il n’y a pas qu’en France que les producteurs souffrent et que c’est à l’échelle européenne que nous devons repenser l’agriculture et son avenir.

Dans ce contexte nous devons jouer collectif avec l’Europe, qui constitue notre premier rempart pour sauvegarder nos exploitations et éviter la volatilité des prix. L’État, quant à lui, a son rôle dans l’accompagnement des entreprises à travers la définition des normes. Enfin, les professionnels agricoles et de l’agroalimentaire sont les acteurs des réformes avec, en particulier, la modernisation des équipements, les stratégies à l’export et, bien sûr, la contractualisation qui, comme chacun le sait, est à l’origine de nombreux problèmes.

N’ayons pas peur de la compétitivité car celle-ci nous permet aussi de faire face à la concurrence. En matière de compétitivité hors prix, celle qui repose sur des produits de niche, des produits dits différenciés, fondés sur l’innovation ou les marques, la France réalise déjà des progrès majeurs grâce à ses agriculteurs. Il convient évidemment d’encourager les initiatives prises localement en ce sens – je vous renvoie aux arguments que M. le ministre a développés tout à l’heure.

Si nous partageons l’ambition de faire en sorte que la situation que vivent certains de nos agriculteurs ne perdure pas plus longtemps, si je suis bien consciente des différentes situations rencontrées par nos producteurs agricoles, je sais aussi qu’il ne serait pas acceptable de leur laisse croire qu’on pourrait changer les choses par le biais d’une proposition de loi dont la durée d’examen pourrait être trop longue pour en constater réellement les effets.

Le véhicule législatif que vous proposez est trop lent. Nous disposons de bien d’autres solutions que la proposition de loi pour avancer rapidement sur ces différents sujets – sans compter les risques que fait peser votre proposition ; j’y reviendrai lorsque je défendrai mes amendements de suppression.

Vous le savez, monsieur le rapporteur, nous partageons le constat sur les causes de cette situation agricole désastreuse. Il me semble néanmoins que des solutions différentes de celles proposées par vos soins pourraient être trouvées lors de nos discussions dans le cadre du projet de loi Sapin 2.

Je voudrais saluer ici le travail fourni par Annick Le Loch et Thierry Benoit dans leur rapport sur les filières d’élevage. Les nombreuses auditions menées ainsi que les rencontres effectuées dans les exploitations ont permis d’établir un constat simple. Les attitudes doivent changer, évoluer vers davantage de pragmatisme et de réalisme sur les thèmes de la clarification, de la transparence, de l’affichage des prix, de la provenance, du contenu. À qui doit appartenir le droit de produire le lait ? Qu’est-ce qu’un contrat laitier aujourd’hui ? Peut-on réellement promettre une transparence totale de la construction des prix ?

Nous devons également reconsidérer les relations entre les industriels et la grande distribution, en encourageant une offre alimentaire mieux segmentée et différenciée plutôt qu’une approche uniquement fondée sur le prix.

N’oublions pas que les consommateurs aussi ont un rôle important à jouer. N’ayons pas peur de dire que la promesse d’une alimentation toujours moins chère ne peut plus être tenue : la qualité a un coup, elle a donc un prix ! Faut-il rappeler que, depuis un demi-siècle, la part de l’alimentation dans le budget des ménages a été divisée par deux ? Cet effort considérable atteint aujourd’hui ses limites.

Pourtant, des solutions existent : la segmentation qualitative, qui reconnaît la diversité des modes de production – les appellations d’origine protégée, le lait en direct des producteurs, les fromages d’appellation –, la valorisation des efforts et des prises de risques, la segmentation à l’exploitation, le bio, la haute valeur environnementale, etc.

Il faut également défendre la formation des chefs d’exploitation pour leur permettre de prendre leur avenir en mains et de choisir leur mode d’exploitation ; j’espère que nous ferons des propositions en ce sens.

Je veux défendre ici la LAAF – loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt – et particulièrement son article 1er, qui tend à « assurer à la population l’accès à une alimentation sûre, saine, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante, produite dans des conditions économiquement et socialement acceptables par tous, favorisant l’emploi, la protection de l’environnement et des paysages et contribuant à l’atténuation et à l’adaptation aux effets du changement climatique. » Nous ne devons pas perdre ce que nous avons défendu.

Nous ne pouvons pas continuer à entretenir la déflation des prix à la consommation, raison pour laquelle votre proposition centrée uniquement sur le prix me paraît trop restrictive.

Les produits transformés qui respectent une traçabilité et assurent des prix aux producteurs doivent être valorisés à leur juste prix. Nous entrons là au coeur des négociations qui posent réellement problème, celles portant sur la contractualisation, la transformation et la distribution.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à ne pas voter cette proposition de loi et à travailler sur le projet de loi Sapin 2 afin de l’enrichir.

Nos agriculteurs, comme tous les acteurs de la chaîne, ont besoin de clarification et de pragmatisme. Quant aux consommateurs, ils ont davantage encore besoin d’information car ils se nourrissent des produits issus du travail de nos agriculteurs : ils doivent donc être éclairés pour mieux acheter.

Le titre du projet de loi Sapin 2 résume ce que nous devons réussir à obtenir : « transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique ». Vous ne serez donc pas surpris par les trois amendements de suppression que je soumettrai à votre approbation tout à l’heure.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons une proposition de loi du groupe de la Gauche démocrate et républicaine visant à garantir le revenu des agriculteurs.

Cet objectif est naturellement partagé par tous, quelle que soit notre couleur politique : il est évident que les agriculteurs doivent pouvoir vivre de leur activité. Il est aberrant que ces hommes et ces femmes se lèvent le matin pour perdre de l’argent. C’est pourtant malheureusement ce qui se passe aujourd’hui !

Monsieur le rapporteur Chassaigne, vous proposez trois mesures pour parvenir à cet objectif. Première mesure : la mise en place obligatoire d’une négociation annuelle sur les prix par produit afin de fixer un prix plancher d’achat aux producteurs déterminé par les interprofessions compétentes. Deuxième mesure : l’application automatique d’un coefficient multiplicateur entre le prix d’achat et le prix de vente en période de crises conjoncturelles et ce pour l’ensemble des produits agricoles et alimentaires. Troisième mesure : l’interdiction de l’achat d’un produit agricole en deçà de son prix de revient effectif.

Sur le premier point, monsieur le rapporteur, je constate avec plaisir que vous rejoignez la position des sénateurs Les Républicains puisque la mise en place d’une négociation annuelle sur les prix faisait l’objet de l’article 2 de la proposition de loi déposée au Sénat en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire. Mais la commission des affaires économiques du Sénat ayant relevé un risque d’entente généralisée sur les prix, cet article a été réécrit. Il prévoit désormais l’organisation annuelle d’une conférence des filières sous l’égide du médiateur des relations commerciales agricoles.

Cette conférence serait une instance de discussion avec tous les acteurs d’une même production agricole, qu’ils soient membres d’une interprofession ou non. Les discussions porteraient sur la situation et les perspectives d’évolution des marchés agricoles et agroalimentaires concernés, mais non sur les prix.

Cette mesure a été reprise en amendement au projet de loi Sapin 2. Elle a fait l’objet de longs débats la semaine dernière en commission des affaires économiques mais a malheureusement été rejetée par la majorité.

Monsieur le rapporteur, vous présentez aujourd’hui le même amendement visant à réécrire l’article 1er et remplacer la conférence annuelle sur les prix par une conférence annuelle des filières. Notre groupe soutiendra cet amendement, bien que nous ne soyons pas d’accord avec votre proposition de loi.

Nous voyons en effet dans les trois articles originels de votre proposition de loi la mise en place d’une économie administrée contraire à notre vision de l’économie ; elle risque en outre d’assister les agriculteurs plutôt que de leur donner de vrais moyens leur permettant de s’en sortir durablement. Vos idées peuvent être alléchantes sur le court terme mais, sur le long terme, elles déstabiliseraient le secteur agricole et agroalimentaire.

Je souhaite néanmoins profiter de cette tribune pour insister sur la détresse des agriculteurs. Ils traversent, nous le savons tous, une crise sans précédent, une crise aux causes multiples, une crise aux conséquences dramatiques.

Monsieur le rapporteur, dans votre rapport, vous mettez en évidence plusieurs chiffres, notamment ceux de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Ces chiffres sont édifiants : l’année 2015 a vu se poursuivre la baisse globale des prix agricoles observée déjà en 2014 pour plusieurs productions et qui s’est étendue en 2015 à la production laitière.

La baisse moyenne des prix, tous produits confondus, s’établit à moins 2,4 %. Elle concerne toutes les filières : lait, bovins, porcs. Dans la filière laitière, le prix des 1 000 litres de lait payé aux producteurs est passé sous la barre symbolique des 300 euros en novembre 2015, soit une baisse de près de 40 euros en un an.

Les agriculteurs sont donc confrontés à une baisse sans précédent de leurs revenus : pratiquement moins 60 % pour les éleveurs porcins entre 2013 et 2014, pour un salaire de 11 000 euros par an en moyenne, alors qu’un agriculteur n’a pas des horaires de bureau, ne compte pas ses heures et ne fait pas la différence entre la semaine et le week-end.

Certaines exploitations agricoles n’ont, hélas, pas d’autre choix que de cesser d’exister ; 10 % des élevages porcins seraient au bord de la cessation d’activité. Sur les dix dernières années, notre pays a déjà perdu 25 % de ses exploitations. Quand cette baisse va-t-elle enfin cesser ?

Les causes de cette crise sont multiples, je l’ai dit : des prix payés aux producteurs en baisse, des négociations commerciales tendues et déséquilibrées, toujours à l’avantage de la grande distribution, et les conséquences de l’embargo russe.

Sur ces deux derniers points, permettez-moi de saluer deux textes adoptés par notre assemblée le 28 avril dernier, à l’initiative de députés Les Républicains : tout d’abord, la proposition de loi de Bernard Accoyer sur la définition de l’abus de dépendance économique, puis la proposition de résolution de Thierry Mariani relative à la levée de l’embargo russe – vous ne pouvez pas dire, monsieur le ministre, que l’opposition ne travaille pas et ne propose rien !

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Autre cause et non des moindres : des charges significatives qui entraînent un déficit de compétitivité par rapport à nos voisins européens, notamment allemands.

Ces charges intègrent le coût de la main-d’oeuvre mais aussi des normes supplémentaires – un « choc de complexification » typiquement français ! Il en va ainsi de la surtransposition des règles en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement ou encore de la surtransposition de la directive « Nitrates ».

Face à cette crise agricole, le Gouvernement annonce régulièrement de nouveaux plans de soutien – en juillet 2015, en septembre 2015, en janvier 2016 et en février 2016. Toutes ces aides et tous ces dispositifs ressemblent à un inventaire à la Prévert : réduction de la cotisation maladie, baisse des cotisations MSA – Mutualité sociale agricole –, intervention du Fonds d’allégement des charges, relance des cellules d’urgence départementales, report fiscal ou année blanche, etc. En fait, on additionne des millions d’euros théoriques, alors même que le financement de ces mesures reste flou.

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Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Ce n’est pas théorique du tout !

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Mais surtout, on constate sur le terrain, d’une part, que le traitement des dossiers est complexe et long et, d’autre part, que la somme attribuée par exploitation ne représente in fine qu’une goutte d’eau face aux difficultés et ne permet pas à l’exploitation de retrouver un nouveau souffle.

Au-delà de ces mesures, nous pensons que vous vous trompez de chemin. Ce qu’il faut, c’est tout simplement redonner de la compétitivité à nos exploitations agricoles. C’est cet objectif qui devrait sous-tendre la politique agricole du Gouvernement.

Depuis quatre ans, force est de constater que ce que vous avez entrepris n’a pas eu les effets promis ; vos décisions ont même parfois eu des effets contre-productifs. Je ne prendrai qu’un seul exemple, révélateur : le dispositif d’exonération des charges pour l’emploi des travailleurs saisonniers a été réformé par les lois de finances pour 2013 et pour 2015, ce qui a entraîné une hausse des charges pour nos exploitations agricoles. Certes, l’État a fait des économies, mais à quel prix pour les agriculteurs !

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Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

N’importe quoi !

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Votre loi d’avenir pour l’agriculture n’a d’avenir que le nom puisqu’elle est passée à côté des véritables préoccupations des agriculteurs et des défis auxquels ils sont confrontés. Elle ne répond pas à la question cruciale de l’avenir et du rôle de l’agriculture française dans un monde ouvert et compétitif.

Pour cela, il n’est nul besoin de mettre en place de nouveaux plans pluriannuels ou de saupoudrer encore quelques mesures diverses et variées. Il faut avant tout simplifier les normes qui pèsent sur les exploitants agricoles – le fameux « choc de simplification » tant de fois annoncé mais si peu souvent mis en oeuvre – et réduire les charges des exploitations agricoles. C’est avec ces deux pieds que l’agriculture pourra se relever : ce sera le meilleur moyen de garantir aux agriculteurs un revenu en adéquation avec leur travail.

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Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord associer à cette intervention mon collègue Thierry Benoit, qui travaille d’arrache-pied depuis plusieurs années pour défendre une vision responsable et ambitieuse du modèle agricole français.

Je souhaite ensuite remercier le rapporteur André Chassaigne, dont la proposition de loi a le mérite de présenter des solutions concrètes à une crise agricole qui n’a désormais que trop duré.

Votre travail ainsi que votre écoute lors de l’examen du texte en commission des affaires économiques prouvent votre sincère implication sur un sujet qui, je le crois, nous concerne tous.

Si le groupe UDI ne partage pas nécessairement tous les constats que vous faites ni toutes les solutions que vous proposez, ce n’est absolument pas par logique partisane. Soyez donc assurés que nous continuerons à nous positionner de manière constructive sur ces sujets, comme nous l’avions déjà fait lors de la loi agricole de 2014.

L’examen du projet de loi Sapin 2 en commission, la semaine dernière, a déjà permis de poser les premiers jalons d’un débat. Sur tous les bancs de notre Assemblée, nous avons été nombreux à dénoncer le déséquilibre des relations entre les différents acteurs de la chaîne agroalimentaire.

L’adoption, à l’unanimité, à la fois de la proposition de loi visant à mieux définir l’abus de dépendance économique, et des propositions du rapport d’information sur l’avenir des filières d’élevage remis par les députés Thierry Benoit et Annick Le Loch, témoignent d’une prise de conscience générale des difficultés que traversent nos agriculteurs.

Malheureusement, l’examen du texte Sapin 2 en commission n’aura pas permis de renverser la table, comme le promettait pourtant le ministre Stéphane Le Foll depuis plusieurs mois. Une refonte de la loi de modernisation de l’économie est absolument nécessaire : nous devons désormais être audacieux si nous voulons sortir nos agriculteurs de l’impasse.

Si les objectifs de votre proposition de loi sont louables, les moyens retenus nous semblent, malheureusement, difficilement applicables. Tel était du reste le sens de l’intervention de mon collègue Thierry Benoit, en commission. Vous-même, monsieur le rapporteur, avez convenu qu’il serait préférable de réfléchir ensemble à des solutions alternatives, après avoir reconnu le caractère inapplicable de vos mesures. En outre, les députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants ne partagent pas tous les constats que vous dressez dans l’exposé des motifs de votre texte, quand ils ne les trouvent pas caricaturaux.

Certes, l’agriculture a pu souffrir d’une dérégulation des marchés, mais nous ne sommes pas pour autant d’accord avec l’intégralité de votre analyse de la crise agricole.

Vous évoquez le cataclysme de la doctrine libérale, l’inconscience de l’agriculture à taille industrielle ou encore le manque d’interventionnisme de l’État. Nous pouvons comprendre vos craintes mais gardons-nous d’une vision uniforme de l’agriculture. Nous devons au contraire réussir à faire cohabiter plusieurs modèles.

Nous devrons relever, en 2050, le défi de nourrir 9 milliards d’individus sur notre planète. C’est dès à présent que nous devons y réfléchir.

Une agriculture à taille industrielle n’est pas nécessairement synonyme d’une agriculture déraisonnée. Notre groupe pense qu’il faut parvenir à retirer des avantages de la globalisation des échanges, sans quoi nous serions perdus. L’essentiel est surtout de placer l’agriculteur au centre des relations commerciales afin de lui donner un rôle d’envergure.

Votre proposition de loi souligne l’absence d’outils d’intervention sur les prix. C’est une réalité. Thierry Benoit et Annick Le Loch préconisaient à juste titre, dans leur rapport d’information, de mobiliser des outils d’intervention européens, notamment pour réguler la production en cas de crise. Nous devons travailler dans ce sens car la France n’a pas vocation à influer seule sur les prix. C’est à l’Union européenne de créer un mécanisme d’intervention en s’inspirant par exemple du modèle américain du Farm Bill.

L’article 1er de votre proposition de loi propose ainsi d’organiser une conférence annuelle de négociation interprofessionnelle sur les prix. Bien entendu, notre groupe soutient cette idée qui favorisera l’émergence d’un dialogue, souvent inexistant, entre les différents acteurs.

Vous suggérez que cette conférence aboutisse à fixer un niveau plancher de prix d’achat, qui tienne compte des coûts de production et des revenus agricoles. Cette idée peut sembler consensuelle de prime abord mais nous redoutons des effets pervers, comme un nivellement par le bas. Le prix d’achat ne risque-t-il pas d’être systématiquement fixé au niveau du prix plancher ?

Cette disposition nous semble par ailleurs contraire au droit européen de la concurrence. C’est pourquoi mon groupe renouvelle son invitation à engager une réflexion autour d’un mécanisme plus global, au niveau européen. La régulation n’implique pas nécessairement la fixation des prix.

Dans le cadre de l’examen du texte Sapin 2, notre groupe a déposé plusieurs amendements qui reprennent l’esprit général de l’article 1er, tout en étant plus souples.

Nous avons notamment proposé d’inscrire dans les contrats des clauses de révision faisant référence à des indices publics de coûts de production et de marges. Nous souhaiterions également qu’en fonction des indicateurs de l’Observatoire des prix et des marges, des renégociations entre fournisseurs et distributeurs puissent être automatiquement déclenchées. Il conviendrait par ailleurs d’organiser une conférence de filière chaque année pour fixer les grandes orientations. Si certains amendements ont été adoptés, il est possible d’aller encore plus loin.

L’article 2 propose, quant à lui, d’étendre le coefficient multiplicateur à l’ensemble des produits agricoles et alimentaires. Ce dispositif existe déjà pour les fruits et légumes périssables mais il n’a jamais été utilisé. L’idée peut paraître bonne ; elle suppose cependant la présence d’un État interventionniste, ce qui me paraît difficilement concevable dans notre économie.

Enfin, l’article 3 interdit une pratique qui vise à acheter un produit en deçà de son prix de revient. Une telle mesure pourrait paraître inutile à première vue. Comment concevoir en effet qu’un produit se vende moins cher que ce qu’il a coûté aux producteurs ? C’est pourtant ce qui se passe dans la crise agricole actuelle. Cette pratique est absolument scandaleuse. Outre qu’elle dévalorise le travail de l’agriculteur, elle le laisse dans une détresse professionnelle inadmissible.

Pour autant, la mesure proposée me semble difficile à appliquer. Notre collègue Brigitte Allain s’interrogeait ainsi à juste titre en commission sur le sort des invendus. Sans doute serait-il préférable de réfléchir à de nouveaux outils de stockage, plus performants.

Enfin, cette proposition aurait certainement dû se préoccuper davantage des négociations entre producteurs, fournisseurs et grande distribution, en prévoyant par exemple deux phases distinctes de négociations. Il aurait également fallu mettre l’accent sur la nécessité de « décartelliser » les centrales d’achat. Face à une concurrence à géométrie variable, l’Autorité de la concurrence et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes doivent être dotés de moyens financiers et humains plus importants pour contrôler des situations devenues insoutenables. Aujourd’hui, quatre centrales d’achat se partagent le marché. Le rôle de la grande distribution est prédominant : cette situation ne peut plus durer.

Monsieur le rapporteur, mon collègue Thierry Benoit l’a annoncé en commission, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants ne peut soutenir ce texte en l’état. En revanche, nous sommes prêts à travailler, de manière constructive, pour aider les agriculteurs à s’en sortir. C’est en tout cas dans cet esprit que nous aborderons l’examen, en séance publique, du projet de loi Sapin 2.

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Madame la présidente, monsieur le ministre, la France est un grand pays agricole et un grand pays agroalimentaire, sans doute le premier d’Europe, peut-être encore le premier d’Europe.

Il est donc bien normal que nous nous préoccupions du revenu des agriculteurs. Faut-il pour autant garantir leur revenu, au risque de faire de l’agriculture une profession totalement assistée, dirigée par des fonctionnaires ? Il n’est pas certain que les agriculteurs souhaitent devenir des salariés de l’État, ni ceux d’autres collectivités ou organismes d’État.

Un constat s’impose. L’Europe a déversé, au travers de la PAC, des milliards d’euros au profit de l’agriculture, tout comme la France qui intervient à chaque grande crise agricole. Pour quel résultat ? Je suis élu d’une circonscription du Calvados, le sud-Bocage, profondément agricole. Vous n’y trouverez pas une seule ville, mais seulement des bourgs. Dans chacun de ces bourgs vivaient, il y a une cinquantaine d’années, cinquante agriculteurs. Il n’y en a plus aujourd’hui que deux ou trois. Vivent-ils mieux ? Il faut en discuter avec eux, mais ils estiment que non.

Faut-il garantir leurs revenus ? Pourquoi pas ? Je suis prêt à réfléchir à toutes les propositions, mais à quel niveau ? Monsieur le ministre, en 1997, lors de mon premier mandat, nous avions mené une réflexion utile autour du contrat territorial d’exploitation – CTE. Celui-ci rémunérait la fonction de l’agriculteur en tant que producteur mais aussi en tant que protecteur de la nature. Ce fut, hélas, la première mesure que Jacques Chirac supprima, lorsqu’il revint au pouvoir en 2002.

Un accord était ainsi conclu avec l’agriculteur, assorti de garanties pour qu’il assure cette double fonction. On ne souligne jamais assez que l’agriculteur remplit une fonction de service public. Tout d’abord, ce qu’il produit est essentiel. Sans agriculture, la société et la civilisation disparaissent, il n’existe plus rien. Par ailleurs, il assure un certain nombre d’autres fonctions, mais de diverses manières. Qu’y a-t-il de commun, en effet, entre l’éleveur de bovins, d’ovins, de porcins, qui vend de la viande ou du lait, l’agriculteur qui cultive des légumes, et le viticulteur ? Nous n’avons pas une agriculture, c’est bien là le problème, mais des séries d’agricultures, différentes selon les territoires et les produits.

Que pouvons-nous demander ? Un revenu minimum doit d’abord être assuré par le monde agricole, avec la participation évidente de ses premiers bénéficiaires. Il n’y a rien de commun entre un agriculteur de la plaine de Caen qui cultive 1 000 hectares et celui qui élève trente vaches et produit 200 000 litres de lait !

Quant à la mission de service public de protection de la nature et de production vitale des produits alimentaires, elle impose, M. Chassaigne a raison, d’assurer un revenu minimum. Qui doit y participer ? Bien évidemment, tous ceux qui bénéficient du monde agricole, à savoir la grande distribution, mais aussi, nous l’oublions trop souvent, les consommateurs qui profitent de produits de qualité et à bas prix. Si l’on n’intègre pas le consommateur dans notre réflexion, nous n’aboutirons pas.

L’action de l’État, en l’espèce, est diverse et multiple. Il est extrêmement complexe et technique de fixer un prix. Il dépend des normes, des débouchés, de la qualité, des quotas, de la surconsommation, du coût du machinisme agricole, de la concurrence, des aides multiples, de l’urbanisation.

Monsieur Chassaigne, mon groupe a étudié avec attention vos trois propositions et il est prêt à vous suivre. L’agriculture, ce sont d’abord des hommes, souvent désespérés, qui perdent foi dans leur métier. Ils travaillent dur, et souvent plus que d’autres. Ne serait-ce que pour cette simple raison, ils ont droit à une garantie de leurs revenus, pour leur permettre de vivre dans la dignité que le monde capitalistique leur a si souvent refusée.

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La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

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Je ne souhaite pas rallonger le débat mais reprendre simplement quelques points. Merci tout d’abord aux représentants des différents groupes qui sont intervenus et ont exprimé le souci, que nous partageons tous, de résoudre le plus rapidement possible la terrible question de l’avenir de notre agriculture. Je ne reviendrai pas sur les drames que vivent nos agriculteurs : il nous faut à présent trouver des solutions en urgence, dans des délais extrêmement courts. D’où la difficulté de la tâche.

Aussi la démarche pertinente est-elle celle de la réflexion partagée, comme tous les intervenants l’ont souligné. Dans nos circonscriptions respectives sur tout le territoire de notre pays, nous devons échanger avec les agriculteurs et prendre en compte concrètement la nature de leurs difficultés, de manière à construire ensemble des propositions pour y répondre.

Chacun ici connaît la lourdeur de la tâche. Les réticences exprimées en commission au sujet de ce texte, je l’avoue très franchement, rejoignent celles que des paysans ont formulées lorsque j’ai travaillé en contact direct avec eux, d’abord pour préparer la proposition de loi, ensuite pour la confronter à leur réalité.

Cela dit, le débat avance. On l’a vu aujourd’hui dans les propos du ministre et plus encore dans son intervention d’avant-hier, on l’a vu aussi dans les échanges au sein de la commission des affaires économiques : la question fondamentale est bien celle du prix. On pourra trouver tous les habillages, tous les prétextes que l’on veut, c’est bien le prix qui est déterminant.

Or c’est justement au nom de cette conception de la construction partagée que j’ai présenté des amendements tenant compte du débat en commission. Sans doute n’avez-vous pas eu le temps de les lire avant d’intervenir dans la discussion générale, mes chers collègues, mais ils prennent effectivement en compte les réticences exprimées aussi bien dans les échanges citoyens sur le terrain que dans l’échange en commission.

C’est ainsi que l’article 1er, s’il était adopté avec l’amendement que je propose, répondrait aux interrogations que vous avez formulées. Le blocage européen, c’est vrai, fait qu’on ne peut établir un prix plancher obligatoire pour chacun. Il faut donc qu’une négociation de filière permette au moins de réaliser une évaluation, y compris par région, de ce que devra être ce prix pour qu’un agriculteur puisse vivre de son travail. Mon amendement le prévoit, rejoignant pour l’essentiel ce qui s’est dégagé en commission lors de l’examen du projet de loi Sapin 2.

J’espère que nous arriverons les uns et les autres à faire avancer cette idée de négociation par filière lors de l’examen en séance publique. C’est indispensable pour s’engager dans la voie que vous avez amorcée avant-hier, monsieur le ministre – peut-être pour la première fois aussi nettement –, voie qui consiste à acter la condition du prix dans les négociations commerciales. Pour acter cette condition, en effet, il faut forcément tenir des conférences permettant, non pas de définir un prix plancher précis, mais au moins d’établir, par grandes régions, comment affiner la détermination d’un prix qui devra ensuite, si je vous suis bien, monsieur le ministre, être inscrit dans le cadre des contractualisations avec, je n’y reviendrai pas, l’intervention beaucoup plus forte des interprofessions, etc.

Bref, la contradiction que vous avez soulignée à juste titre entre l’article 1er et l’article 3 saute dès lors que l’on adopte mon amendement à l’article 1er. Cette réécriture permet en effet d’alimenter l’article 3 et l’interdiction de la vente à perte à laquelle il soumet les négociations commerciales. Nous nous retrouvons complètement sur ces points et, en définitive, ce n’est plus moi qui suis en contradiction, c’est vous. Car si vous affirmez qu’il faut aller vers une définition du prix dans les négociations commerciales, vous ne pouvez plus vous opposer à la tenue de conférences pour apporter des indications sur l’évaluation des prix. Votre proposition ne pourrait plus tenir : ce serait, pour reprendre mon expression préférée, « un couteau sans manche qui aurait perdu sa lame ».

Sans revenir sur tout ce qui a été dit, je veux encore une fois remercier tous les intervenants. Gardons bien à l’esprit l’urgence terrible de la question. Je conviens volontiers que ma proposition ne pourra résoudre les problèmes du jour au lendemain, mais permettez-moi d’y insister une dernière fois, monsieur le ministre : cette question de l’eurocompatibilité qui nous bloque dans toutes nos initiatives, il faut la prendre à bras-le-corps. J’ai dit en commission ce que j’en pense : la problématique que connaissent les travailleurs de la terre chez nous se retrouve dans d’autres pays de l’Union. J’ai la certitude que nous réussirons à construire un front des petits exploitants agricoles européens, car le libéralisme effréné, ce serait la mort des paysans et la mort de nos territoires ruraux.

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Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Dans le débat sur l’article 1er, monsieur le rapporteur, je ne me contredis nullement. J’ai relevé une contradiction entre ce que vous avez écrit à l’article 1er et ce que vous avez écrit à l’article 3, mais je reste sur la ligne qui est la mienne. La négociation commerciale, je l’ai dit, porte sur des milliers de produits différents. Ce qui se passe, avec la LME, c’est que cette négociation entre la grande distribution et les industriels ne débouche sur aucun résultat pour les producteurs : ce sont les industriels qui, ensuite, vont négocier avec les agriculteurs en vertu, cette fois-ci, de la LMA, et qui vont invoquer la pression qu’exercent sur eux les distributeurs pour la répercuter sur les producteurs.

L’idée est donc de demander à ceux qui négocient dans le cadre de la LME d’indiquer la conséquence de leur négociation en termes de prix pour les agriculteurs. Tel est bien l’objectif et il n’est pas en contradiction avec ce que j’ai dit ou annoncé.

Cela étant posé, vous voulez pour votre part aller plus loin. Je vous ai dit ce que je pensais des conférences interprofessionnelles annuelles. Le problème est toujours celui de la diversité et de la multiplicité des produits. Entre le produit agricole qui leur sert de base et la multitude des produits vendus en circuit court, en circuit moyen ou en circuit long, il existe une telle diversité de marges et de prix est qu’on voit mal comment une grande conférence pourrait les appréhender. Pour avoir participé à des discussions assez solides, je sais comment cela se passe et je connais d’expérience les difficultés rencontrées.

Pour autant, ce débat est très utile. Il a été mené dans un esprit de responsabilité et avec la volonté – vous l’avez parfaitement rappelé, monsieur le rapporteur – de trouver d’abord des solutions pour les agriculteurs.

J’ajouterai quelques mots à propos de votre intervention, monsieur Costes. Si, comme vous le dites, le Fonds d’allègement des charges et toutes les mesures de soutien sont inutiles, alors je ne veux plus entendre ceux qui, sur vos bancs et avec vous, me posent des questions sur l’avancement des versements et me demandent de les augmenter. Il faudrait se mettre d’accord !

Pour moi, ces soutiens sont absolument nécessaires. Même s’ils ne compensent pas les pertes, il faut mesurer ce qui est fait en termes d’allègements de charges, de reports de cotisations, d’année blanche sociale ou d’année blanche bancaire. Alors que j’en étais resté à 3 000 dossiers de demande d’année blanche bancaire, la profession agricole me disait hier qu’il y en aurait, semble-t-il, 10 000. La mesure est en train de prendre. Si vous préférez tout arrêter, dites-le moi tout de suite ! Mais dans ce cas, c’est vous qui irez l’annoncer à la profession agricole !

Enfin, en matière de cotisations sociales et de cotisations en général, je veux rappeler l’action du Gouvernement. Pour répondre au problème de compétitivité, bien réel, que nous rencontrons, jamais les baisses de cotisations n’auront été aussi importantes. Elles s’élèvent à 1,8 milliard d’euros, y compris s’agissant des TODE – travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi. Jamais l’on n’aura fait autant. Après, vous pourrez toujours dire qu’il fallait faire plus, qu’il fallait faire plus vite, qu’il fallait faire autrement… Mais ces chiffres, c’est du concret, du solide. Vous ne pouvez pas dire que nous n’avons pas pris en compte le problème de la compétitivité. Et je n’oublie pas pour autant d’autres grands enjeux, en particulier l’agro-écologie qui n’est rien d’autre que la préparation de l’avenir.

Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.

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J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté de texte.

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La parole est à Mme Isabelle Attard, première inscrite sur l’article.

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Mon collègue Alain Tourret a fait une excellente intervention dans la discussion générale. Nous sommes l’un et l’autre, tout comme André Chassaigne, élus de circonscriptions extrêmement rurales, nous côtoyons les agriculteurs, les éleveurs et les professionnels et nous discutons régulièrement avec eux. Ils sont en effet de moins en moins nombreux et nous devons tout faire dans cet hémicycle pour les maintenir en place et pour préserver l’emploi agricole. La surface des terres agricoles diminue, on le sait, mais il faudrait aussi que cesse l’effondrement du nombre des professionnels.

Dans certaines productions stratégiques, on le sait, les interprofessions peuvent définir conjointement des prix indicatifs pour la sauvegarde de filières essentielles au développement des territoires. Mais elles doivent alors affronter le droit du commerce et de la concurrence libre et non faussée. De cette hypocrisie résultent des abus de pouvoir des industriels et de la grande distribution, lesquels placent de fait les agriculteurs en situation de totale dépendance. Cela met en péril à la fois leur entreprise, leur niveau et leur qualité de vie, leur santé et leur avenir, ainsi que ceux de leur famille. Cette pression croissante est devenue à ce point insupportable que le nombre de suicides dans la profession agricole est supérieur à celui constaté dans les autres catégories.

En ce sens, ma collègue Brigitte Allain et moi-même considérons que cette proposition de loi – et singulièrement son article 1er – est vertueuse. Elle s’inscrit dans le respect de tous les professionnels de l’agriculture, dans le respect des territoires et dans le respect du droit à la souveraineté alimentaire. C’est pour cette raison que nous soutenons le texte de notre collègue André Chassaigne.

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Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, une fois de plus, je ne comprends pas comment on a pu, il y a vingt ou vingt-cinq ans, laisser ainsi l’Europe orienter l’agriculture, en particulier l’agriculture française qui est si spécifique. Comment avons-nous pu laisser entrer notre agriculture dans un corset dont elle ne s’est jamais libérée ?

Les ministres de l’agriculture successifs se sont vus condamnés à accomplir des exploits en permanence. Vous-même, monsieur le ministre, en accomplissez non sans panache, mais la marge de manoeuvre dont vous disposez est proche de zéro. Dès lors qu’il a été décidé qu’il fallait singer une fois de plus les exploitations américaines et affaiblir le plus possible l’agriculture française, celle-ci a été contrainte de s’orienter vers les fameuses « fermes de mille vaches », ces latifundios qui ne ressemblent en rien à l’exploitation agricole française traditionnelle. Je crois que nous n’y pouvons plus grand-chose aujourd’hui, mais la responsabilité de toute une génération – celle dont je fais partie – est gravement engagée.

Alors, puisqu’il est impossible de faire autrement, il faut effectivement vivre avec des subventions. Je ne suis pas de ceux qui souhaitent s’en passer car il n’y a pas d’autre solution.

À Mme Attard, avec qui je suis souvent d’accord, je confirme que le nombre d’agriculteurs continue de s’effondrer. Nous arrivons à la fin du « papy-boom ». Les deux tiers des paysans vont partir à la retraite et aucun de leurs enfants, ni même de leurs neveux, ne reprendra leur exploitation.

Enfin, monsieur le ministre, depuis que le FEADER – fonds européen agricole pour le développement rural – a déclassé la filière lait et fromages en montagne, le taux de subvention n’est plus que de 40 % alors que l’on pouvait auparavant atteindre des taux de subvention cumulés de 70 à 80 %. Vous savez tous les efforts qu’il faut faire pour fabriquer du fromage en montagne. Je sais qu’il est bien tard mais, si vous pouviez intervenir, vous rendriez un très grand service aux Pyrénées notamment, qui abritent une production fermière très importante et de grande qualité.

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J’ai en effet un peu dépassé mon temps de parole, madame la présidente, mais je ne vous importunerai pas davantage car je vais m’en aller.

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Nous en venons aux amendements.

La parole est à Mme Sophie Errante, pour soutenir l’amendement no 4 , tendant à supprimer l’article 1er.

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Je vous propose de supprimer cet article – qui a été rejeté par la commission. Le dispositif que vous proposez, monsieur Chassaigne, risque en effet de mettre en difficulté les acteurs qui y participeraient. De plus, la fixation de prix planchers au niveau national dans un marché largement internationalisé pénaliserait, à terme, les producteurs français. Nous avons déjà évoqué tous ces points ensemble.

Quant à la rectification que vous proposez par votre amendement no 1 , elle serait incompatible avec la législation, dans la mesure où ce seraient les interprofessions qui organiseraient une conférence.

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J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce point en réponse à la discussion générale. Je constate simplement que la justification avancée à l’appui de la suppression de cet article ne tient plus. En effet, j’ai déposé un amendement qui, précisément, vise à lever tous les obstacles, en tenant compte des débats que nous avons eus.

Qu’un amendement ait été déposé pour supprimer cet article, cela ne me surprend pas. Mais sa justification ne tient pas. Voici ma conception du dialogue et du travail parlementaire : si je prends conscience de l’insuffisance d’un article d’une proposition de loi, alors je dépose un amendement pour rectifier cet article. J’essaie vraiment d’évaluer toutes les conséquences, et d’écouter ce qui se dit en commission, de façon à avancer dans la bonne direction.

Avis bien évidemment défavorable.

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La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.

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Permettez-moi, monsieur le rapporteur, de donner l’avis de la commission des affaires économiques sur cet amendement : il est favorable.

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Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Même avis que la commission.

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Nous ne participerons pas au vote sur cet amendement de suppression car, comme je l’ai dit tout à l’heure, nous soutenons l’amendement suivant, présenté par M. Chassaigne. Nous sommes tous d’accord pour reconnaître que dans le monde agricole, peut-être plus encore qu’ailleurs, il faut se parler ; les multiples acteurs doivent se rencontrer. Je crois que ce serait une avancée, ne fût-elle que symbolique. Nous avons besoin de ces discussions, de ces rencontres.

L’amendement no 4 est adopté, l’article 1er est supprimé, et les amendements nos 1 et 7 tombent.

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La parole est à Mme Isabelle Attard, inscrite sur l’article.

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Je rappelle, en préambule, que nous débattons souvent de la situation des agriculteurs et des éleveurs dans cet hémicycle. Pousser de grands cris pendant les questions au Gouvernement, lorsque les caméras sont braquées sur nous, c’est une chose, mais être présent dans l’hémicycle lorsqu’il s’agit de voter une proposition de loi cruciale pour les filières, comme M. Costes vient de le dire – je partage son point de vue –, c’en est une autre.

Nous devons avoir ce débat ; il n’a pas eu lieu sur l’article 1er, j’espère qu’il aura lieu sur les autres articles. Quoi qu’il en soit, il y a une contradiction majeure dans cet hémicycle, et peut-être même dans tout le pays, entre les grands cris qui sont poussés pour dénoncer la situation des agriculteurs, et la faible présence de nos collègues – tellement faible qu’elle en est même ridicule – ce soir, pour discuter d’une proposition de loi aussi importante.

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Le 25 mai dernier, en commission des affaires économiques, M. Chalmin nous a présenté le rapport de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Ce rapport éclaire précisément l’évolution des marges depuis quinze ans. Par exemple, pour la viande de porc, la marge brute à la production est passée de 2,80 à 2,33 euros, mais elle est passée de 2,33 à 3,75 euros dans la distribution. Pour le lait, la marge brute à la production est passée de 0,25 à 0,27 euro, tandis qu’elle augmentait de 0,23 à 0,32 euro dans l’industrie, et de 0,08 à 0,13 euro dans la grande distribution.

En clair, plus la marge des producteurs diminue, plus celle des distributeurs augmente. Dans le cas du lait, les industries alimentaires aussi font leur beurre sur le dos des producteurs. Aussi, même si c’est pour assurer un prix rémunérateur aux producteurs, c’est clairement d’une politique agricole régulée au niveau européen que nous avons besoin. Je soutiens donc, encore une fois, cette proposition d’encadrement des prix et des marges par un coefficient multiplicateur pour des produits stratégiques du point de vue de la sécurité alimentaire.

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La parole est à Mme Sophie Errante, pour soutenir l’amendement no 5 , tendant à supprimer l’article 2.

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Je ne reviendrai pas sur les arguments que j’ai développés dans mon intervention liminaire. Le mécanisme de coefficient multiplicateur que M. Chassaigne propose avait été institué à la Libération, mais il n’a jamais été appliqué – comme l’a rappelé tout à l’heure notre collègue du groupe de l’Union des démocrates et indépendants. Il est en effet très complexe, et ses effets collatéraux sont difficiles à anticiper. Par ailleurs, par la contrainte qu’il fait peser sur les différents acteurs, il pourrait rendre tendu le dialogue entre les acteurs d’une même filière. C’est pourquoi je propose de supprimer cet article.

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Je donnerai mon avis personnel sur cet amendement ; Mme la présidente de la commission des affaires économiques donnera ensuite l’avis de la commission.

Je reviens à ce que je disais lors de l’examen de l’article 1er : ma conception du débat, de l’échange, impose de tenir compte des amendements qui suivent. J’ai en effet déposé un amendement à l’article 2 qui tire les conséquences des échanges que nous avons eus entre nous, en commission des affaires économiques, et que j’ai eus directement avec des paysans. Je propose ainsi que le coefficient multiplicateur soit appliqué uniquement au lait de vache et aux viandes. C’est en effet pour ces produits que le coefficient multiplicateur sera le plus facilement applicable – cela fait écho à ce que disait tout à l’heure M. le ministre.

Il est vrai que pour des produits qui exigent beaucoup de transformation, il est très difficile de définir un coefficient pour l’ensemble de la filière, qui permette d’articuler le prix payé au producteur et le prix payé par le consommateur. Ce qu’il faut, comme l’a dit Mme Attard, c’est tenir compte des différentes marges constatées à tous les niveaux de la filière, pour les maîtriser. Tel est l’esprit du coefficient multiplicateur.

Je précise que cela existe pour les fruits et légumes – mais il est vrai que cela n’a jamais été appliqué. Je demande la même chose pour le lait et les viandes : inscrivons ce dispositif dans la législation, et il représentera une forme de menace. Si certains font dériver leurs marges, s’ils ne respectent pas les producteurs, s’ils ne leur rendent pas ce qu’ils devraient gagner, s’ils s’engraissent sur le dos de la filière, alors on pourra avoir recours à ce coefficient multiplicateur pour maîtriser les marges dans l’ensemble de la filière.

N’adoptons pas cet amendement de suppression de l’article, de façon que nous puissions examiner mon amendement no 2 , qui vient immédiatement après.

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La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.

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Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Même avis que la commission.

L’amendement no 5 est adopté, l’article 2 est supprimé et l’amendement no 2 tombe.

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La parole est à Mme Isabelle Attard, inscrite sur l’article.

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Je vais essayer de poursuivre ce débat qui n’en est pas un. C’est assez surréaliste, mais je vais continuer, car c’est une question importante pour une très grande partie de la population de notre pays.

Je comprends tout à fait l’esprit de justice qui anime cet article, qui vise à interdire la vente à perte. Néanmoins, malgré cette bonne intention, cet article aurait des effets pervers, comme on a pu en constater dans les années 1980 : garantir un prix minimum fait courir le risque d’une production excessive, en vue d’un retrait indemnisé.

Ce que vous envisagez est différent : vous proposez d’interdire l’achat de produits à un prix inférieur au prix de revient. Cela découle, bien sûr, d’une bonne intention, mais les distributeurs trouveront toujours des produits moins chers à l’importation ; aussi ce dispositif risque de laisser les producteurs français avec, sur les bras, tous leurs produits invendus.

Aussi, pour soutenir les prix agricoles, il convient d’accompagner l’ancrage territorial de l’alimentation par l’obligation d’introduire 40 % de produits agricoles durables, dont 20 % issus de l’agriculture biologique. C’est le sens de la proposition de loi de Brigitte Allain. C’est, sans aucun doute, une bonne manière de placer face à leurs responsabilités les producteurs, les transformateurs et les consommateurs, dans le public comme dans le privé, pour accompagner les dynamiques de territoire dont nous parlions précédemment.

Puisque le débat s’achèvera dans quelques secondes, je tiens à rappeler à quel point je trouve regrettable que sur un sujet aussi important nous ne puissions avoir qu’un semblant de débat, avec un semblant de présence des députés.

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La parole est à Mme Sophie Errante, pour soutenir l’amendement no 6 , tendant à supprimer l’article 3.

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Je ne répondrai pas aux attaques perfides de Mme Attard.

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Ce ne sont pas des attaques, c’est un constat !

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Nous ne refusons pas le débat. Comme nous l’avons dit tout à l’heure, il y a urgence – et M. Chassaigne le reconnaît tout à fait. Or les délais pour l’approbation et la mise en application d’une proposition de loi sont très longs. Nous ne renvoyons pas cette question aux calendes grecques, nous ne refusons pas de l’examiner ; nous vous invitons à en débattre dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit projet de loi Sapin 2. Nous sommes précisément en train de travailler sur ce texte.

Nous ne refusons donc pas le débat, j’y insiste ; simplement, ce n’est pas le bon véhicule législatif. M. Chassaigne aura l’occasion de défendre, par voie d’amendement, dans le cadre de ce prochain débat, les mesures qui lui tiennent à coeur.

L’application de cet article poserait plusieurs problèmes. Il suppose que les acteurs puissent s’entendre sur la définition du prix de revient – or il est difficile de savoir comment définir, précisément, ce prix. Cela rendrait par ailleurs les produits agricoles français moins compétitifs sur un marché largement internationalisé. Est-ce cela que nous voulons ? Cela pourrait aggraver une situation économique déjà fragile.

C’est pour ces raisons-là que je propose la suppression de cet article.

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Tout d’abord, vous avez avancé un argument quant à l’opportunité de cette proposition de loi. Vous dites qu’il ne faut pas l’adopter, car un autre projet de loi en discussion permettra de trouver des solutions : ce n’est pas un bon argument.

Permettez-moi de vous donner un contre-exemple. L’an dernier, à l’unanimité, a été adoptée une proposition de loi que j’avais déposée avec les députés du Front de Gauche, relative à l’entretien des lignes téléphoniques. Cela répondait à une véritable attente, notamment dans les territoires ruraux. Or, après en avoir discuté avec le Gouvernement – en l’espèce, Axelle Lemaire –, j’ai fait en sorte que les dispositions de cette proposition de loi soient intégrées au projet de loi pour une République numérique.

Nous ne pouvons, au titre de notre niche parlementaire, fixer l’ordre du jour que d’une seule journée par an. Nous avons prévu, pour aujourd’hui, quatre propositions de loi. Je pense qu’une proposition de loi adoptée dans le cadre d’une niche parlementaire peut, par la suite, être canalisée vers un projet de loi défendu par le Gouvernement.

Deuxième observation : je suis très embêté par la suppression de cet article, car elle mettra M. le ministre en difficulté. Je suis vraiment très gêné pour lui.

Sourires.

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Vous savez, monsieur le ministre, que j’ai beaucoup d’estime pour vous – je l’ai rappelé dans mon intervention en présentation. Vous avez dit, avant-hier : « nous voulons rendre pluriannuelles les négociations commerciales et faire figurer dans la loi l’obligation de donner le résultat en termes de prix à la production à l’issue de la négociation commerciale. » Un peu plus tard, vous avez dit qu’« il faut faire en sorte que ce qui est la conséquence des négociations commerciales entre l’industriel et la grande distribution soit clairement indiqué dans cette négociation en termes de prix au producteur. »

Je veux bien que ma proposition de loi soit du Canada Dry par rapport à ce que nous proposera M. le ministre de l’agriculture, mais pour que celui-ci puisse avancer dans ses réflexions, il est indispensable de consacrer le principe suivant : qu’un producteur ne puisse pas vendre en dessous de son prix de revient.

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La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.

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La commission a donné un avis favorable à cet amendement de suppression.

Je rappelle que nous avons longuement débattu de ces questions en commission. Je regrette que certains d’entre vous, qui semblent vraiment passionnés par ces questions, ne viennent pas plus souvent aux réunions de la commission des affaires économiques, auxquelles M. le rapporteur est très assidu, et où il fait valoir ses positions.

Nous avons eu un débat de quatre heures, de nuit, pour évoquer toutes ces problématiques. Cela a été l’occasion de dire à M. le rapporteur que des propositions, sur lesquelles nous travaillons collectivement – notamment avec Dominique Potier, Germinal Peiro et Sophie Errante – seront examinées, dans dix jours, dans le cadre du projet de loi Sapin 2. Dans dix jours nous remettrons ici même notre travail sur le métier ; nous aborderons à nouveau ces thématiques. Nous avons bien conscience des difficultés, et nous voulons avancer. Le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques sur le projet de loi Sapin 2, Dominique Potier, a fait des propositions, qui sont actuellement en discussion.

Je vous rappelle que beaucoup d’amendements qui avaient été déposés sur votre proposition de loi, notamment par les députés du groupe Les Républicains, ont été retirés, afin que nous puissions les travailler à nouveau, collectivement – nous avons bien conscience, en effet, que ce débat n’est pas partisan. Des députés siégeant sur tous les bancs peuvent s’accorder : nous le voyons aujourd’hui.

Dans dix jours, avec le projet de loi Sapin 2, nous serons en mesure d’avancer réellement. J’en suis désolée, monsieur le rapporteur, mais des dispositions présentées dans ce cadre auront plus de chances d’aboutir rapidement que la proposition de loi que vous avez présentée ! Tel est notre mode de fonctionnement.

Quoi qu’il en soit, la commission est favorable à cet amendement de suppression.

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Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Je suis désolé que la députée qui évoquait la nécessité de débattre soit partie après avoir posé sa question et, si j’ai bien compris, n’ait pas participé aux débats en commission.

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Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Monsieur le rapporteur, j’ai bien compris qu’à travers cette proposition de loi vous vouliez m’aider, comme vous l’avez déjà fait à plusieurs reprises, je m’en souviens très bien, et je sais que même quand il s’est agi de rester très tard dans la nuit, vous avez été présent et un débatteur très utile lors de l’examen du projet de loi sur l’avenir de l’agriculture.

S’agissant de votre proposition d’interdiction de la vente à perte, je reviens à ce que je disais : prenons l’exemple du lait. Selon la situation géographique des bassins laitiers – zones de moyenne montagne, que vous connaissez bien, monsieur le rapporteur, mais aussi, chers collègues, Pyrénées, Massif central ou encore le Grand ouest, qu’il s’agisse de la Bretagne ou de mon département, la Sarthe…

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Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

…, pour un même produit, le lait, le prix de revient est extrêmement variable, y compris sur les grandes surfaces de collecte. Dès lors, définir un prix de vente qui permettrait de couvrir le coût de production obligerait de se référer à l’exploitation qui a le prix de revient le plus élevé, ce qui conduirait, de fait, toutes les autres à bénéficier d’une rente de situation liée à l’alignement sur ce prix. C’est une question de fond qu’il est très difficile de résoudre. On voit bien que chaque idée proposée, bien que partant d’une intention tout à fait louable, peut aboutir à de grosses difficultés en termes de gestion.

C’est pourquoi ce que je propose ne part pas de la même analyse des rapports que vous. La LME a prévu des négociations entre grands distributeurs et industriels. Cela vaut pour les produits agricoles comme pour tous les autres. Il s’agit d’essayer de rendre ces négociations pluriannuelles parce que, depuis que je suis ministre, j’ai constaté que tous les ans, avant le Salon de l’agriculture, il y a les fameuses négociations commerciales, que tous les ans sont renégociés des prix, des lots, des quantités, provoquant chaque année crispation et montée des tensions. Le projet de loi propose d’instaurer de la pluriannualité dans le dispositif, prévoyant que ce qui aura été négocié l’année n ne le sera pas nécessairement de nouveau l’année suivante, mais pourra l’être l’année n+2 ou n+3, ce qui donnerait plus de visibilité à tout le monde et éviterait de créer des tensions assez difficiles à gérer.

Second point : par le biais de la loi consommation, dite loi Hamon, on a intégré dans le dispositif prévu par la LME la possibilité de renégocier des prix si les coûts de production ont évolué : lorsque ces derniers augmentent, il est nécessaire de revoir les prix à la hausse. Cela est donc déjà prévu dans la législation en vigueur. Par conséquent, la loi Hamon, combinée à ce qui va être proposé, c’est-à-dire l’obligation de répercuter la variation des coûts sur le prix payé aux agriculteurs, permettra d’avoir un dispositif beaucoup mieux cadré, beaucoup plus utile aux agriculteurs et beaucoup plus transparent, intégrant l’évolution des coûts de production et la nécessité de renvoyer un signal-prix dans le cadre d’une stabilité pluriannuelle.

Voilà pourquoi le dispositif proposé par le Gouvernement est équilibré. Nous en débattrons, madame la présidente de la commission l’a rappelé, dans le cadre de l’examen du projet de loi Sapin 2. Je comprends bien votre raisonnement, monsieur le rapporteur ; notre approche et notre objectif sont à peu près les mêmes, mais nous n’utilisons pas les mêmes outils pour y parvenir. Nous, nous essayons de les adapter à la réalité actuelle. Mais il est très utile d’avancer ainsi. Je ne renvoie pas toutes vos propositions d’un revers de main car il est utile de discuter, d’argumenter et de proposer.

Avis favorable à l’amendement de suppression de l’article.

L’amendement no 6 est adopté. En conséquence, l’article 3 est supprimé et l’amendement n° 3 tombe.

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L’Assemblée ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, il n’y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la Conférence des présidents.

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Prochaine séance, mardi 31 mai, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Éloge funèbre d’Anne Grommerch ;

Discussion de la proposition de loi rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales ;

Discussion de la proposition de loi organique rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales des ressortissants d’un État membre de l’Union européenne autre que la France pour les élections municipales ;

Discussion de la proposition de loi organique rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales des Français établis hors de France.

La séance est levée.

La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly