La réunion

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La séance est ouverte à dix-sept heures.

Présidence de Mme Édith Gueugneau, secrétaire de la Délégation.

La Délégation procède à l'audition de Mme Hélène Périvier, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), coresponsable du Programme de recherche et d'enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE) développé par Sciences Po et l'OFCE, de Mme Nathalie Lapeyre, sociologue, maîtresse de conférences à l'université Toulouse II, responsable du master « Genre, égalité et politiques sociales » (GEPS), membre du Centre d'études et de recherches Travail, organisations, pouvoirs (CERTOP-CNRS), et responsable de l'équipe de recherche « Savoirs, genre et rapports sociaux de sexe », et de Mme Anne-Emmanuelle Berger, directrice de l'unité mixte de recherche (UMR) « Laboratoire d'études de genre et de sexualité » du CNRS, professeure de littérature française et d'études de genre à l'université Paris VIII – Centre d'études féminines et d'études de genre, et ancienne directrice du groupement d'intérêt scientifique (GIS) « Institut du Genre », sur les études de genre dans l'enseignement supérieur et la recherche.

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Je vous prie tout d'abord d'excuser la présidente Catherine Coutelle qui n'a pas pu se joindre à nous aujourd'hui. Notre collègue Maud Olivier a été désignée rapporteure d'information au nom de la Délégation aux droits des femmes sur les études de genre.

Pour construire une société apaisée, il faut agir en amont et les études de genre doivent nous aider à mieux comprendre notre société. Depuis 2012, plusieurs lois majeures ont été adoptées et un travail pédagogique a été mené dans les écoles, à travers notamment les « ABCD de l'égalité ».

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Je voudrai rappeler brièvement pourquoi il a été décidé de présenter un rapport d'information sur les études de genre, dans le cadre des travaux de la Délégation aux droits des femmes. J'ai fait inscrire à l'article 1er de la loi 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, le fait que les études de genre doivent être portées à la connaissance du public. Deux ans après l'adoption de cette loi, nous souhaitons voir faire le point sur la diffusion des études de genre et, plus largement, mieux faire connaître ce sujet, qui semble encore parfois assez sensible.

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Anne-Emmanuelle Berger, professeure de littérature française et d'études de genre à l'université Paris VIIICentre d'études féminines et d'études de genre, et directrice de l'UMR « Laboratoire d'études de genre et de sexualité du Centre national de la recherche scientifique, CNRS

Avant d'évoquer les résistances auxquelles sont confrontées les études de genre en France, un mot d'abord sur mon parcours. Je suis professeure de littérature française et d'études de genre à l'université Paris VIII. J'ai longtemps enseigné aux États-Unis, ce qui n'est pas un hasard, et j'enseigne depuis 2006 à l'université Paris VIII –Vincennes – Saint-Denis, où existe l'un des plus anciens centres d'études sur le genre : le Centre d'études féminines et d'études de genre, dont j'ai pris la direction, qui est le premier centre où a été créée une formation doctorale sur ce sujet, en 1974.

Ce centre a perduré malgré des aléas divers. S'il a traversé une période difficile entre 2000 et 2006, en lien avec la non-reconnaissance, l'institutionnalisation déficitaire et même de méfiance à l'égard des études de genre, l'année 2010 a constitué, en ce qui nous concerne, un véritable tournant, grâce aux initiatives prises dans le cadre de l'Institut des sciences humaines et sociales (INSHS) du CNRS, sous la houlette de Mme Sandra Laugier, professeure de philosophie et directrice-adjointe scientifique du CNRS chargée de l'interdisciplinarité. Un comité de pilotage et un groupe de travail ont été mis en place en 2010 afin de mener une réflexion sur les modalités de développement et d'institutionnalisation des études de genre en France.

On assiste à un véritable paradoxe dans notre pays : les premiers programmes d'études sur le genre ont été lancés en France et aux États-Unis dans les années soixante-dix. Cependant, alors que dans le monde anglo-saxon, ce genre d'études a prospéré, cela n'a pas été le cas en France et le centre de l'université de Paris VIII a failli fermer plusieurs fois. Ces études suscitaient la méfiance dans le milieu universitaire, y compris à Paris VIII pourtant réputée pour son ouverture d'esprit. De fait, il a fallu attendre longtemps pour que les études sur le genre prennent leur essor dans notre pays, et c'est clairement le cas depuis 2010.

Le comité de pilotage mis en place au CNRS en 2010 a donné lieu à la création, en janvier 2012, de l' « Institut du genre » : il s'agit d'un groupement d'intérêt scientifique (GIS), que j'ai dirigé jusqu'au début de l'année 2016. Ce GIS est un réseau regroupant trente-cinq établissements d'enseignement supérieur et de recherche, dont le CNRS, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l'Institut national d'études démographiques (INED) et plusieurs universités, notamment l'université de Paris-Sorbonne, soit plus de quatre-vingt-dix laboratoires de recherche qui collaborent sur ces questions.

L'Institut du genre a tout d'abord vocation à contribuer à la reconnaissance scientifique et à la coordination institutionnelle de ces recherches en France et à leur développement sur l'ensemble du territoire, et à donner, à la faveur de diverses actions de soutien, une visibilité internationale aux recherches menées en français dans ce domaine. Il s'agit également de favoriser l'émergence de nouvelles formes de collaboration scientifique, y compris avec des partenaires étrangers, et d'encourager les recherches interdisciplinaires ou transversales à périmètres multiples, à l'intérieur des sciences humaines et sociales mais aussi entre les sciences humaines et sociales et les autres domaines scientifiques.

Une gouvernance, avec notamment une direction scientifique de trois personnes, et différents outils ont été mis en place. Nous avons mis l'accent sur la jeune recherche en créant des bourses pour la mobilité et un prix récompensant le meilleur doctorat sur les études de genre. L'Institut du genre fonctionne comme une sorte de catalyseur, comme un amplificateur mais aussi comme une petite agence de moyens. Le premier plan quadriennal s'est achevé en 2015 : il a été renouvelé pour quatre ans, sous une autre direction. La question était de trouver les modalités institutionnelles pour épauler ces recherches. Un GIS permet d'avoir quelque chose d'opératoire au niveau national ; par ailleurs, ce type de structure est renouvelable et non limitée dans le temps.

Dans le même temps, depuis 2010, des postes de chargés de recherche au CNRS sur le genre ont été mis au concours dans diverses sections des sciences humaines et sociales avec un certain succès. Par ailleurs, un réseau thématique prioritaire (RTP) consacré aux études sur le genre a été créé et la mission pour l'interdisciplinarité, toujours sous la houlette de Sandra Laugier, a créé ce qu'elle a appelé un « défi genre ». Il s'agissait, sous forme d'appel à projets, de favoriser des travaux à l'interface entre les sciences humaines et les sciences dites « dures ».

En 2013 et 2014, le CNRS par la voie de l'Institut du genre a été en première ligne concernant la polémique médiatique et politique qu'a suscitée ce qu'on a appelé « la théorie du genre ». Il a fallu expliquer, notamment à la radio et dans la presse, que « la » théorie du genre n'existait pas, dans la mesure où le genre renvoie, non pas à une doctrine, mais à un champ interdisciplinaire et composite, dans lequel s'expriment des sensibilités et des options diverses comme n'importe quel champ de recherche, comme c'est le cas par exemple pour l'histoire, étant précisé que les études de genre ne constituent pas une discipline mais un champ de recherches.

En septembre 2014, l'Institut du genre a organisé un congrès national sur les études de genre à l'École normale supérieure (ENS) de Lyon, qui a rassemblé plus de 500 participants.

Tout cela a débouché sur la création, en janvier 2015, du « Laboratoire d'études de genre et de sexualité » (LEGS), à l'initiative du CNRS, de l'université de Paris VIII et de l'université Paris Ouest. Ce laboratoire que je dirige est la première unité mixte de recherche (UMR) interdisciplinaire dédiée aux études de genre et de sexualité.

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Nathalie Lapeyre, sociologue, maîtresse de conférences à l'université Toulouse II, responsable du master « Genre, égalité et politiques sociales », GEPS et de l'équipe de recherche « Savoirs, genre et rapports sociaux de sexe »

J'évoquerai pour ma part l'université de Toulouse, qui a aussi un centre important d'études de genre, avec l'émergence de premiers groupements de recherche dès les années soixante-dix. Le colloque de Toulouse en 1982, intitulé « Femmes, féminisme et recherche » a constitué une étape importante dans l'institutionnalisation des études sur le genre. À la suite de ce colloque, plusieurs études sur le féminisme, les femmes et les rapports sociaux entre les hommes et les femmes ont été financées par le CNRS.

En tant que maîtresse de conférences à l'université de Toulouse, je m'inscris dans cet héritage depuis dix ans. Mon poste de sociologue sur les rapports sociaux de sexe est l'héritage d'un poste créé en 1991 par le ministère de l'enseignement supérieur sous la pression de groupes comme l'Association nationale des études féministes (ANEF), qui faisait dès les années quatre-vingt remonter les besoins en enseignement concernant les études sur le genre. Ces postes, peu nombreux, ont réussi peu ou prou à perdurer au fil des années.

L'équipe de recherche « Simone – SAGESSE », qui signifie « Savoir, genre et rapports sociaux de sexe », a structuré les études sur le genre de façon interdisciplinaire entre 1986 et 2006. Elle travaillait sur des questions de politique et de travail et regroupait essentiellement des sociologues, mais aussi des historiens. Au milieu des années deux mille, il a fallu regrouper des laboratoires qui avaient une taille trop restreinte. Notre laboratoire étant trop petit avec dix chercheurs, il a dû intégrer le Centre d'étude et de recherche « Travail, organisation, pouvoirs » (CERTOP) au sein du CNRS. Nous sommes passés du statut d'équipe de recherche avec un statut dédié à un axe d'un laboratoire de recherche. Nous avons été bien accueillis mais cela a été mal vécu car au fil des années, cela a impliqué des baisses de crédits et des départs à la retraite non remplacés. Nous sommes très actifs, mais peu nombreux alors que la demande n'a cessé d'augmenter sur ces sujets depuis dix ans. On constate un véritable engouement et une forte demande venant de la France et de l'étranger. Compte tenu du contexte actuel de la recherche et de l'évolution de l'enseignement supérieur, nous sommes assez pessimistes sur la possibilité de création de postes.

À Toulouse, nous avons toujours été partie prenante de structures nationales. Nous avons ainsi beaucoup contribué à l'activité de l'Association nationale des études féministes (ANEF) depuis les années quatre-vingt en faisant en sorte d'avoir systématiquement une représentante toulousaine au conseil d'administration et en tentant de mobiliser les pouvoirs publics sur ces questions. On a participé à des réseaux de diffusion de la recherche comme le réseau interdisciplinaire national sur le genre (RING) ou le réseau « Marché du travail et genre » (MAGE), qui est un groupement de recherche existant depuis plus de vingt ans et dont je suis coprésidente. Nous participons aussi à l'Institut du genre.

Nous avons essayé de structurer la recherche sur le genre à Toulouse. L'équipe « Simone Sagesse » a fait preuve d'un vrai dynamisme qui a permis au fil du temps à d'autres disciplines de s'emparer de cette question. Nous sommes structurés depuis une dizaine d'années, toutes disciplines confondues, autour d'un réseau qui s'appelle l'Arpège – qui signifie « approche pluridisciplinaire du genre » – qui réunit quatre-vingt enseignants et chercheurs et quarante docteurs essentiellement dans le domaine des sciences sociales. Nous avons des difficultés pour faire vivre ce réseau dans un monde régi par le financement par projet. Cela constitue cependant un lieu de rencontre pour les chercheurs mais aussi pour les doctorants qui traitent des études sur le genre, qui ont souvent plus de points communs entre eux qu'avec les autres doctorants de leur discipline. Nous organisons également un séminaire doctoral. On essaye de faire pérenniser cette structure. Cela nous a mené à créer un master à la carte sur ces questions.

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Je donne à présent la parole à Mme Hélène Périvier, qui est économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

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Hélène Périvier, économiste à l'OFCE, coresponsable du programme de recherche et d'enseignement des savoirs sur le genre, PRESAGE

L'OFCE est rattaché à Sciences Po, où de nombreux chercheurs et chercheuses travaillent sur le genre. Toutefois leurs recherches manquaient de visibilité et de cohérence et peu d'enseignements sur le genre étaient proposés. C'est pourquoi Françoise Milewski et moi-même avons proposé de créer le Programme de recherche et d'enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE), officialisé en 2010 sous les présidences de M. Richard Descoings pour Sciences Po et de M. Jean-Paul Fitoussi pour l'OFCE.

Ce programme vise à dynamiser la recherche et à favoriser la pluridisciplinarité, notamment entre les cinq grandes disciplines de sciences sociales qui sont représentées à Sciences Po – le droit, l'économie, la science politique, la sociologie et l'histoire. Il permet de faire connaître les chercheurs et chercheuses travaillant sur le genre et de créer des ponts, non seulement entre ces disciplines de recherche mais aussi entre la sphère de la recherche académique et celle du débat public, en diffusant ces savoirs.

Pour diffuser ces savoirs, nous disposons de deux moyens principaux. D'une part, nous organisons chaque année plusieurs conférences dans le cadre du programme PRESAGE, qui visent à mettre en visibilité ces recherches. Ces conférences attirent un public varié d'étudiants, de chercheurs de tous horizons, de responsables du monde associatif. D'autre part, nous avons développé les enseignements sur le genre dans une approche transversale, afin que tout étudiant, toute étudiante de Sciences Po ait suivi au moins un enseignement sur le genre. En deuxième année, il existe cinq cours sur le genre, un par discipline de sciences sociales. Au niveau master, nous avons d'abord eu un enseignement commun dispensé par Geneviève Fraisse et nous avons aujourd'hui deux cours en formation commune, l'un en français, l'autre en anglais. De plus, il existe plusieurs enseignements électifs proposés aux étudiants.

Il y a une forte demande pour ces formations sur les questions de genre de la part des étudiants, français et étrangers. Ces derniers ont d'ailleurs souvent une meilleure connaissance des études de genre. Cette forte demande, surtout au niveau master, est aujourd'hui un argument important pour faire avancer l'offre pédagogique en études de genre, ce qui reste une réelle nécessité.

Sciences Po coordonne également le projet européen EGERA – Effective gender equality in research and the academia –, qui s'étend de janvier 2014 à décembre 2017 et se compose d'un consortium de sept universités et centres de recherche européens. Ce projet vise à valoriser les savoirs sur le genre, à développer l'offre pédagogique sur ces sujets et à promouvoir l'égalité femmes-hommes dans la recherche, dans la cadre des carrières académiques et administratives, mais aussi au niveau de la vie étudiante.

Ce projet nous a permis de collaborer avec d'autres grandes institutions d'enseignement et de recherche en Europe.

En France, nous travaillons aussi avec le réseau MAGE, Margaret Maruani et la revue pluridisciplinaire Travail genre et sociétés, au comité de rédaction de laquelle j'appartiens, qui vise à diffuser les savoirs en études de genre et à valoriser les productions de la recherche académique.

En 2012, avec des collègues de la communauté d'établissements Sorbonne-Paris-Cité – Paris Descartes, Paris Diderot, Sorbonne Nouvelle, Paris XIII-Villetaneuse, Sciences Po, Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), IPGP, École des hautes études en santé publique (EHEPS) –, nous avons créé le réseau Flora Tristan, qui s'institutionnalise aujourd'hui autour de la « Cité du genre » au sein de l'Université Sorbonne Paris – Cité (USPC). Elle vise à mettre en visibilité les recherches sur le genre, les enseignements sur le genre, par exemple en promouvant les thèses et les doctorats sur ces sujets.

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Merci pour tous ces témoignages et vos travaux. Disposez-vous d'éléments concernant l'état des études et des enseignements sur le genre au niveau international ? Comment peut-on comparer leurs situations avec celle de la France ? Sommes-nous en retard, comme semble le montrer le niveau des étudiants étrangers ?

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Hélène Périvier, économiste à l'OFCE, coresponsable du programme de recherche et d'enseignement des savoirs sur le genre, PRESAGE

Il existe une très grande disparité selon les disciplines. Certaines, comme l'économie ou le droit, sont très en retard et n'abordent pas la question du genre en France.

Au niveau européen, les pays se trouvent dans des situations très différentes. L'Espagne par exemple est en avance avec de nombreuses études de genre qui sont développées de manière très transversale, y compris en dehors du champ des sciences sociales, dans les sciences de la vie et de la santé par exemple.

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Anne-Emmanuelle Berger, professeure de littérature française et d'études de genre à l'université Paris VIIICentre d'études féminines et d'études de genre, et directrice de l'UMR « Laboratoire d'études de genre et de sexualité du Centre national de la recherche scientifique, CNRS

Aux États-Unis, il existe environ 600 programmes de formation et de recherche sur le genre, parmi 2 000 institutions universitaires. En Europe, les études de genre sont en effet plus développées et mieux installées en Espagne. C'est aussi le cas en Europe du Nord – Suède, Finlande, Norvège – où elles se sont développées sous l'impulsion des pouvoirs publics, tandis qu'en France, jusqu'à une période récente, elles ont plutôt eu tendance à se développer sans un tel soutien, sinon malgré les tutelles. Les études de genre sont également en plein développement en Inde, en Chine et en Amérique latine. En Italie, pour des raisons historiques, il existe parfois une certaine résistance à l'idée de l'institutionnalisation des études de genre. La France fait donc en effet figure de retardataire.

En France, les études de genre sont majoritairement implantées dans les disciplines de sciences sociales – histoire, sociologie, sciences politiques, anthropologie. Ce n'est pas nécessairement le cas dans les autres pays : aux États-Unis par exemple, les études de genre sont aussi développées en philosophie et en littérature.

Le Laboratoire d'études de genre et de sexualité (LEGS) travaille d'ailleurs, dans une logique d'interdisciplinarité, à développer la collaboration entre les sciences humaines et sociales, les humanités et les arts. Selon les informations de l'Institut du Genre, il y a en France sept masters – Lyon, Toulouse, Paris VIII, Paris Diderot, La Sorbonne Nouvelle, l'EHESS et un master en création à l'université de Bordeaux – et deux formations doctorales à Toulouse et à Paris VIII.

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Nathalie Lapeyre, sociologue, maîtresse de conférences à l'université Toulouse II, responsable du master « Genre, égalité et politiques sociales », GEPS et de l'équipe de recherche « Savoirs, genre et rapports sociaux de sexe »

Le master « Genre, égalité et politiques sociales » à l'Université Toulouse 2 existe depuis vingt-trois ans, ce qui nous donne un vrai recul sur les questions de professionnalisation. Ce master vise à former des professionnelles et professionnels de l'action sociale avec une lecture critique des inégalités femmes-hommes en mobilisant des outils théoriques des études sur le genre. Ces professionnels à l'égalité des sexes peuvent agir dans différents champs : la formation, l'insertion, le logement, la santé et ainsi de suite. Le master fournit ainsi une grille de lecture qui peut s'appliquer à toutes les politiques publiques, tant dans les collectivités territoriales que dans les structures associatives ou les entreprises.

Depuis six ans, avec l'Université Lyon 2, nous avons créé le master européen « Études, genre et actions liées à l'égalité dans la société » (EGALES) qui offre aux étudiantes et étudiants des possibilités de mobilité au sein des huit pays membres de ce réseau – France, Grande-Bretagne, Suède, Finlande, Roumanie, Espagne, Suisse et Belgique. Ce réseau est en voie d'extension et nous permet déjà de voir les différents degrés d'institutionnalisation des études sur le genre. Les situations sont en effet très contrastées entre les pays européens.

Dans le cadre de ce réseau, nous avons développé le projet européen « Professionnalisation aux savoirs autour du genre et de l'égalité » (PASSAGE), qui rassemble les mêmes pays et les mêmes partenaires et propose une réflexion sur les métiers de l'égalité et les métiers du genre en Europe. Nous avons constaté qu'il est difficile de définir, de répertorier, de nommer ces métiers. Les études sur le genre sont donc plus abouties du côté de la recherche que du côté professionnel.

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Je vous remercie et constate que la France peut mieux faire dans ces domaines.

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Vous évoquez le retard de la France par rapport aux pays anglophones concernant le genre et la polémique autour de la pseudo-théorie du genre. Je perçois en effet une crispation et une appréhension sur ces questions en France. Selon vous, que révèle le retard de la France et la polémique sur les ABCD de l'égalité ?

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Anne-Emmanuelle Berger, professeure de littérature française et d'études de genre à l'université Paris VIIICentre d'études féminines et d'études de genre, et directrice de l'UMR « Laboratoire d'études de genre et de sexualité du Centre national de la recherche scientifique, CNRS

En réalité, comme je l'ai rappelé tout à l'heure, la France n'était pas en retard dans les années soixante-dix. Par la suite, il y a eu des blocages institutionnels et politiques, en effet. Quelles en sont les raisons ? Selon moi, il faut évoquer la rigidité du système universitaire français qui reste jacobin, car même si l'on nous parle aujourd'hui de l'autonomie des universités, les formations dispensées dépendent des politiques nationales. Il y a eu des aléas et, en même temps, les études de genre sont vraiment en voie d'institutionnalisation. À Toulouse, une équipe indépendante a certes dû intégrer un nouveau laboratoire mais à l'université Diderot, c'est l'inverse. Néanmoins, nous avons été confrontés à des difficultés concernant les nomenclatures ministérielles, avec la volonté de simplifier les diplômes, dans la mesure où les études de genre ne figuraient pas dans ces nomenclatures et nous avons dû nous mobiliser.

Le système est aussi très disciplinaire car depuis la fin du XIXe siècle, l'université française est orientée vers la formation des enseignants du secondaire, en favorisant les disciplines traditionnelles. Il y a donc des freins institutionnels multiples au développement des études de genre, et plus largement de l'interdisciplinarité, en lien avec la question de la définition de l'autonomie scientifique de la recherche et de la formation en France, dans un système qui reste largement jacobin, avec une dépendance qui subsiste par rapport aux tutelles.

Une deuxième raison réside selon moi dans la prévalence de l'idéologie républicaine universaliste où les études de genre peuvent apparaître comme une menace pour l'universalisme à la française et comme le triomphe intellectuel et politique du particularisme et du communautarisme. Or les études de genre relèvent pour nous de plein droit d'une anthropologie générale, dans la mesure où les rapports de sexe et les représentations dans ce domaine relèvent de l'expérience intime et politique de chaque citoyen, et concernent différents champs de savoirs.

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Hélène Périvier, économiste à l'OFCE, coresponsable du programme de recherche et d'enseignement des savoirs sur le genre, PRESAGE

Il y a une méconnaissance du sujet en France et dans le débat public. Les études de genre appartiennent au champ du savoir, pas au registre des opinions. La contestation de la théorie du genre témoigne de l'ignorance dans la rue et de la réticence du milieu académique à reconnaître le genre comme champ de savoir complexe. Les enseignements sont un point fondamental pour faire comprendre qu'on est là dans un champ de recherche complexe et pluridisciplinaire. La question de la valorisation de ces savoirs dans la sphère académique est essentielle, en lien avec la valorisation des parcours universitaires, en vue de dynamiser la recherche dans ce domaine.

Concernant les ABCD de l'égalité, qui visaient à sensibiliser les jeunes enfants au respect de l'autre et à l'égalité femmes-hommes, la question a été instrumentalisée, en lien avec la méconnaissance de ce champ de savoirs que j'évoquais, et il en va de même pour les manuels de sciences et vie de la terre (SVT). À cet égard, on gagnerait à distinguer la question de l'instruction, qui relève du champ des savoirs, en perpétuelle évolution, de celle de l'éducation. Or le genre fait partie de ces savoirs. L'éducation c'est différent, on y trouve l'éducation au respect des autres, au civisme ou encore l'éducation à la sexualité – le code de l'éducation prévoit ainsi des dispositions sur ce point, et il serait intéressant de faire le point sur leur mise en oeuvre dans l'ensemble des établissements.

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Nathalie Lapeyre, sociologue, maîtresse de conférences à l'université Toulouse II, responsable du master « Genre, égalité et politiques sociales », GEPS et de l'équipe de recherche « Savoirs, genre et rapports sociaux de sexe »

La question de la diffusion de l'expertise dans l'enseignement est importante. Les ABCD de l'égalité étaient pourtant une version soft du genre. Dans ces discussions où les spécialistes sont absents, il y a une place à prendre et d'autres discours s'infiltrent, notamment masculinistes. Tout cela effraie le corps enseignant qui reçoit ce discours et rend le travail d'autant plus difficile. La bataille autour des nomenclatures des masters en est l'illustration. C'est un acquis important que le genre y soit inscrit. À Toulouse, dans notre master, la mention sociologie est devenue la mention études sur le genre et nous en avons tiré un bénéfice. Nous y avons gagné en termes d'affichage, d'heures de cours, les nominations sont plus aisées et nous avons échappé à la mutualisation des cours, ce qui n'est pas le cas d'autres collègues. Nous y avons aussi gagné en légitimation et en qualité des enseignements.

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Merci pour ces précisions. J'ai plusieurs questions à vous poser : d'abord, concernant la diffusion des études sur le genre, comment pourriez-vous intervenir dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) sur la formation des futurs maîtres et des formateurs des enseignants ? Et comment s'y prendre pour faire partager vos savoirs ?

On pourrait s'intéresser à la diffusion de la culture scientifique chez les filles. Dans le cadre du Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle, des recherches sont d'ailleurs menées actuellement sur ce thème. En effet, les filles ont tendance à s'autocensurer dans le choix des formations, et il convient de travailler sur la diffusion des études de genre dans les sciences dites « dures » – y compris les mathématiques par exemple. De quelle manière pourrait-on progresser en ce sens ?

Enfin, comment faire en sorte que les politiques publiques soient traversées par les études de genres ? On le voit au niveau des collectivités locales, dans le cadre d'actions autour de travaux sur la problématique « genre et ville », mais également dans les politiques publiques nationales, pour l'élaboration de loi. En effet, le cas des études de genre peut être un apport important pour nous, législateurs et législatrices, bien qu'il ne soit pas facile à porter. Une vulgarisation de vos travaux est nécessaire pour susciter une prise de conscience de l'importance des études de genre et montrer à nos collègues à quel point il est important de pouvoir s'appuyer sur cette transversalité de pensée dans le cadre de l'élaboration.

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Anne-Emmanuelle Berger, professeure de littérature française et d'études de genre à l'université Paris VIIICentre d'études féminines et d'études de genre, et directrice de l'UMR « Laboratoire d'études de genre et de sexualité du Centre national de la recherche scientifique, CNRS

Nous sommes tout à fait conscientes et conscients qu'il y a un chantier énorme sur la formation des maîtres. Plusieurs chercheuses et chercheurs en science de l'éducation sont mobilisés sur ces questions et essayent d'organiser les choses. À cet égard, s'il est vrai que nous ne sommes pas encore de façon systématique dans ces établissements de formation des maîtres, c'est à cela notamment que servent nos masters, dont Paris VIII.

C'était d'ailleurs une question que vous nous aviez posée : comment les études de genre professionnalisent-elles ? Nous constatons avec le master de Paris VIII, qui est un master recherche, que viennent vers nous des personnes déjà professionnalisées, et en particulier un certain nombre d'enseignantes du primaire et du secondaire – il convient de souligner qu'il s'agit plutôt d'enseignantes que des enseignants – qui cherchent de quoi réfléchir sur leurs pratiques et se donner des outils, car il n'y a pas d'outils pratiques sans outils théoriques, c'est important de le souligner. Nous avons aussi des travailleurs sociaux, des avocates au sein de ce master.

Sur la question de la diffusion de la culture scientifique, je souscris pleinement à votre analyse et j'ajouterai, en tant que professeure de littérature, qu'il est non seulement dommage que les filles n'accèdent pas suffisamment en grand nombre aux carrières dites scientifiques , mais l'inverse l'est également. Nous voyons depuis un certain nombre de décennies, un phénomène qui s'accentue et qui est un phénomène de « genderisation des carrières » – pardonnez-moi ce néologisme –, c'est-à-dire que les filles restent dans des domaines qui sont plutôt tournés vers les sciences sociales et les humanités, et inversement, nous manquons de garçons dans les humanités. Il serait intéressant de penser ces deux questions à la fois.

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Nathalie Lapeyre, sociologue, maîtresse de conférences à l'université Toulouse II, responsable du master « Genre, égalité et politiques sociales », GEPS et de l'équipe de recherche « Savoirs, genre et rapports sociaux de sexe »

Concernant la question de la formation des maîtres, nous avons suivi ce dossier depuis une dizaine d'années à Toulouse et à Lyon, avec plusieurs de mes collègues, et avons ainsi un certain recul en la matière. Il est vrai que, notamment il y a environ une douzaine d'années, il y avait des modules qui étaient obligatoires dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), ce qui a permis à des futurs enseignantes et enseignants d'être formés, puis ces enseignements obligatoires sont devenus optionnels. Or cela pose problème dans la mesure où les cours sur le genre sont entrés en concurrence avec de nombreuses options dans les ESPE, par exemple sur laïcité ou la démocratie. Dès lors, cela risque de ne concerner qu'un faible nombre d'enseignants ou de futurs enseignants.

Il y a néanmoins un certain nombre de collègues qui sont formés en sciences dures et qui ont eu ces formations sur le genre, et qui souhaiteraient donner des cours sur le genre mais qui ne peuvent pas vraiment le faire. L'appui que vous pourriez apporter en tant que politiques serait de rendre ces options obligatoires. C'est la seule solution, sinon l'option sur le genre continuera à rester une sorte de cours de « sensibilisation », avec aussi un effet de saupoudrage. Un enseignement obligatoire et transversal, avec un nombre suffisant d'heures.

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Hélène Périvier, économiste à l'OFCE, coresponsable du programme de recherche et d'enseignement des savoirs sur le genre, PRESAGE

Pour comprendre comment intervenir en termes de formation des professeurs à tous les niveaux, il convient de se demander au préalable s'il y a un consensus sur l'importance des études de genre et au-delà, sur l'existence des inégalités femmes-hommes dans la société française et le fait qu'elles constituent un problème majeur. En Suède par exemple, plusieurs études ont été menées pour mieux connaître le comportement des enseignants à l'égard des jeunes enfants. Celles-ci ayant mis en évidence l'existence d'un biais important concernant les petites filles et les petits garçons, il a été décidé rapidement de mettre un plan de formation pour leurs enseignants. En France, on manque à la fois de pilotage de la recherche et d'une dimension opérationnelle quant à son utilisation, en vue d'une science intégrée à la société. C'est un premier élément de réponse : il faudrait peut-être commencer par prendre au sérieux ces études sur le genre dans la sphère académique pour ensuite permettre leur diffusion.

Sur la question des disciplines autres que les sciences humaines, et notamment les « sciences dures », je voudrais ajouter que dans le cadre de la Cité du genre, avec nos collègues de Paris VII, de Paris V et Paris III, outre Sciences Po, nous travaillons à essayer d'élargir les études de genre à d'autres disciplines qui sont moins ouvertes à ce champ de recherche, et cet objectif qui est très important. Il convient ainsi de diffuser plus largement les études de genre, notamment en médecine.

Enfin, vous avez évoqué les politiques publiques et les moyens de faire en sorte qu'elles soient traversées par les études de genre. Il faut rappeler qu'il y a eu des avancées en la matière, que la France a quand même un ministère de plein droit des droits des femmes, qui a une action interministérielle et qui prépare des études d'impact pour les projets de loi, ce qui est positif – encore faut-il toutefois qu'elles puissent être réalisées dans les meilleures conditions et avec une possible évaluation, ce qui n'est pas toujours le cas.

Je voudrais signaler également qu'avec le ministère des Droits des femmes, nous avons une convention de recherches, qui nous a permis de mener des travaux sur la division sexuée du travail dans les couples en fonction du statut marital – un sujet très technique que je ne peux expliciter ici, mais il est très important qu'il y ait ces allers-retours entre la recherche et le ministère des droits des femmes et d'autres ministères le cas échéant, afin que ces données puissent être diffusées et utilisées afin que l'on puisse changer la façon dont notre État social fonctionne. Il s'agit là de pistes à explorer : développer la collaboration entre la recherche et l'action publique me semble être un élément à prendre en compte pour répondre à la question que vous soulevez.

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Vous avez mis l'accent sur l'information et l'existence d'une grande méconnaissance sur le sujet aujourd'hui. Il faudrait notamment qu'il y ait un module obligatoire dans la formation des enseignants. Cette question se pose au demeurant dans un certain nombre d'autres domaines, par exemple en matière de violences faites aux femmes.

Il s'agit là d'un chantier énorme, mais nous avons tous une responsabilité. Nous agissons comme législatrices, comme l'a souligné ma collègue Maud Olivier, et membres de la Délégation aux droits des femmes, où un travail important se fait sur les textes de lois et où nous essayons de faire avancer plusieurs sujets importants, mais nous n'avons pas toutes les clés. Par ailleurs, si le lancement des « ABCD de l'égalité », par exemple, a traduit une volonté forte de la ministre de faire progresser l'égalité entre les femmes et les hommes, il faut aussi que ces informations descendent dans les territoires. Au niveau des collectivités, il existe des relais importants.

En tout état de cause, c'est un sujet très vaste, et la France doit peut-être rattraper son retard dans ce domaine par rapport à d'autres pays. Dans le cadre du G7, la notion de genre est d'ailleurs présente ; peut-être faudrait-il intervenir à ce niveau.

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Anne-Emmanuelle Berger, professeure de littérature française et d'études de genre à l'université Paris VIIICentre d'études féminines et d'études de genre, et directrice de l'UMR « Laboratoire d'études de genre et de sexualité du Centre national de la recherche scientifique, CNRS

Je vous remercie de nous avoir accueillies et j'observe d'ailleurs que seules des femmes sont ici présentes, ce qui illustre la nécessité de prévoir des dispositifs obligatoires, comme c'est le cas pour l'histoire ou l'anglais, car sinon dans nos masters, et plus largement dans ces formations, nous continuerons d'être très majoritairement des femmes. Or il nous faut pouvoir toucher certains publics.

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Pour changer la société, nous avons besoin des hommes. En tant que députées, nous avons aussi parfois besoin de convaincre nos collègues de l'importance des travaux de la Délégation aux droits des femmes, et je rappelle d'ailleurs que les hommes y sont également représentés.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.