La réunion

Source

La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.

Présidence de Mme Édith Gueugneau, secrétaire.

La Délégation procède à l'audition de Mme Sylvie Plane, vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, professeure émérite en sciences du langage à la Sorbonne ; Mme Françoise Vouillot, présidente de la commission « Lutte contre les stéréotypes sexistes et la répartition des rôles sociaux » du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), maîtresse de conférences en psychologie de l'orientation à l'Institut national d'étude du travail et d'orientation professionnelle (INETOP-CNAM) et responsable du groupe de recherche « Orientation et genre » (OriGenre) au Centre de recherche sur le travail et le développement, de Mme Agnès Netter, cheffe de la mission parité et lutte contre les discriminations, au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, de Mme Doriane Meurant, chargée de développement à l'association Artemisia, bureau d'étude et organisme de formation agréé spécialisé dans la promotion de l'égalité femmes-hommes et filles-garçons, et de Mme Isabelle Gueguen, fondatrice de Perfégal, cabinet coopératif au service de l'égalité entre les femmes et les hommes dans les entreprises et les territoires, sur les études de genre.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mesdames, je vous prie d'excuser Mme la présidente Catherine Coutelle et je me réjouis de vous entendre en compagnie de Maud Olivier, rapporteure de la délégation, sur un sujet essentiel à l'apaisement de notre société.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Notre projet de rapport sur les études de genre trouve son origine dans l'article premier de la loi du 4 août 2014, qui prévoit à son dixième alinéa « des actions visant à porter à la connaissance du public les recherches françaises et internationales sur la construction sociale des rôles sexués ». Pour l'anecdote, ma version initiale parlait de « porter à la connaissance du public les recherches françaises et internationales sur le genre », mais il m'a été demandé d'adopter une autre formulation – ce qui prête à sourire dans la mesure où elle signifie exactement la même chose.

Permalien
Sylvie Plane, vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, professeure émérite en sciences du langage à la Sorbonne

Comme vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, j'ai travaillé sur les programmes de la maternelle à la fin de la scolarité obligatoire, plus précisément à la fin du cycle de collège. Comme professeure des universités en sciences du langage, j'ai par ailleurs été formatrice d'enseignants en Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) puis en École supérieure du professorat et de l'éducation (ESPE).

Le Conseil supérieur des programmes s'est naturellement soucié du devenir des élèves. À cet égard, on observe un décalage paradoxal entre le déroulement de la scolarité obligatoire et son issue, au moment où les élèves doivent faire un choix.

Au cours de la scolarité obligatoire, les filles détiennent un avantage décisif du point de vue de la maîtrise des compétences scolaires. Elles maîtrisent mieux la compétence 1 – lire, écrire, maîtriser la langue – à la fin du palier 1 ; après un rééquilibrage par la suite, cet avantage se manifeste de nouveau à la fin du palier 3, c'est-à-dire en fin de scolarité obligatoire. Il caractérise aussi la maîtrise de la compétence 3 – calcul, géométrie, organisation des données, c'est-à-dire les compétences mathématiques. Je pourrai vous proposer une explication de ce phénomène par les stéréotypes, mais pas par ceux auxquels on pense spontanément. Les filles ont aussi l'avantage en matière de diplômes : elles représentent 53 % des admis au baccalauréat, 56 % pour le baccalauréat général.

L'orientation, en revanche, est très fortement genrée. Les filles sont très majoritaires dans la section économique et social (ES), ainsi que dans la section littéraire (L) où elles représentent 79 % des effectifs, et minoritaires en section scientifique (S). Cela étant, ce déséquilibre tend à se compenser et l'on constate tout de même un progrès. Dans la voie technologique, les filles sont orientées vers les filières du tertiaire et les garçons vers les spécialités industrielles. Dans la voie professionnelle, les filles se tournent vers les services à la personne et les services, les garçons vers la production. C'est dans les secteurs menant aux qualifications les moins prestigieuses que les différences de répartition sont les plus marquées.

C'est donc très tôt qu'il faut s'atteler à ces questions. Cet aspect a été une préoccupation constante du Conseil supérieur des programmes. Abstraction faite de la maternelle, qui est un peu à part, cette préoccupation s'est exprimée selon trois grands axes : les élèves doivent acquérir des savoirs, qui vont les aider à se construire des représentations plus équilibrées ; des principes ; enfin, des comportements scolaires, inculqués par la pratique et par différents apprentissages. Il s'agit d'une responsabilité importante de l'école, dont il faut dire qu'elle ne peut pas tout mais qu'elle reste l'outil le plus efficace pour lutter contre les stéréotypes et les préjugés.

Ce projet a été décliné dans plusieurs des éléments qui composent les programmes.

Le premier est le socle commun, c'est-à-dire un ensemble d'énoncés qui définit la responsabilité éducative de la nation envers les élèves, par lequel la nation s'engage à ce qu'une génération, à la fin de sa scolarité obligatoire, maîtrise un certain nombre de connaissances, de compétences et d'éléments de culture. Cet objectif concerne non seulement l'instruction, mais aussi l'éducation, alors que l'école se focalise depuis assez longtemps sur l'instruction et sur l'acquisition de savoirs.

Les questions qui nous occupent sont abordées dans deux grands domaines du socle, lequel en comporte cinq en tout. D'abord, le domaine 3, « La formation de la personne et du citoyen », qui inclut trois dimensions transdisciplinaires : se confronter à des dilemmes moraux simples, à des exemples de préjugés ; remplir des rôles et des statuts différents ; acquérir le respect des autres. C'est l'idée d'un comportement citoyen qui laisse à chacun sa place. Ensuite, le domaine 5, « Les représentations du monde et l'activité humaine », qui s'applique surtout en histoire et géographie et doit amener les élèves à « appréhender, par la formation morale et civique, leurs responsabilités d'homme, de femme et de citoyen(nes) ».

Jusqu'à présent, les programmes étaient traités discipline par discipline et niveau par niveau ; cette fois, ils le sont de façon longitudinale et transversale, et à partir du socle. C'est celui-ci, autrement dit ce à quoi les élèves doivent parvenir, qui détermine les enseignements.

Dans les programmes proprement dits, l'enseignement moral et civique, qui bénéficie d'un horaire dédié, est transversal : il est pris en charge par l'ensemble des disciplines. Il comporte quatre dimensions qui correspondent à autant d'approches : sensible, normative, cognitive et pratique. Par leur truchement, il doit permettre notamment d'appréhender la notion de stéréotype, considéré comme une construction sociale et appliqué à différentes circonstances. Par exemple, le domaine intitulé « La sensibilité : soi et les autres » inclut l'objet « Respect des autres dans leur diversité », dans lequel on étudie les atteintes à la personne d'autrui (racisme, antisémitisme, sexisme, xénophobie, homophobie, harcèlement...) ». Ce savoir est dispensé aux élèves en faisant appel à leur sensibilité et à leur empathie. Le domaine « Le droit et la règle » concerne des questions juridiques, mais aussi le fondement et la fonction des règles sociales dans une société démocratique. Un autre volet intitulé « Le jugement : penser par soi-même et avec les autres » doit permettre de distinguer son propre intérêt de l'intérêt collectif. S'y ajoute « L'engagement : agir individuellement et collectivement ».

Parmi les activités précises qui sont proposées figure l'« analyse de certains stéréotypes sexués à travers des exemples pris dans des manuels ou des albums de littérature de jeunesse ou le cinéma ». Cette méthode évite de créer chez les élèves des conflits de loyauté vis-à-vis des valeurs familiales : il est beaucoup plus facile de procéder à l'analyse critique d'un récit que de débattre spontanément à partir de ce à quoi l'on croit dans sa famille et son entourage. Il est également proposé de travailler sur la place et le rôle de certaines personnalités – hommes et femmes – dans l'histoire.

Une autre entrée est la contribution des disciplines scolaires à la construction d'une présence plurielle de la femme dans l'univers intellectuel et culturel. Cette démarche n'est pas facile, car elle va à l'encontre des traditions et les ressources sur lesquelles elle peut s'appuyer sont moindres ; mais les programmes lui accordent une place relativement importante.

En histoire, à l'école élémentaire, elle repose sur l'approche prosopographique, le signalement de personnages féminins illustres. Surtout, au cycle 4, c'est-à-dire au collège, au moment où se construit une réflexion critique, on thématise l'histoire des femmes dans la République contemporaine et les transformations de la société française concernant la place des femmes. Sont abordés le vote, la répartition de la population, tout ce que le xixe et le xxe siècle ont pu construire.

D'autres disciplines montrent le rôle que peuvent jouer les femmes à travers divers exemples singuliers : en histoire des arts, on aborde l'émancipation de la femme artiste ; en littérature, le thème classique de l'héroïsme est traité sous l'intitulé « Héros et héroïnes ». Plusieurs figures exemplaires sont proposées. La question de la représentation de soi par les hommes et les femmes est soulevée dans le cadre des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI). Il est souhaité que les professeurs articulent ces questions à une réflexion menée dans le cadre de l'enseignement moral et civique et de l'enseignement de l'histoire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous êtes en train de nous présenter le nouveau cadre proposé par le Conseil supérieur des programmes.

Permalien
Sylvie Plane, vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, professeure émérite en sciences du langage à la Sorbonne

Oui, celui qui entre en vigueur à la rentrée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les manuels vont-ils lui être adaptés en fonction de ces principes ?

Permalien
Sylvie Plane, vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, professeure émérite en sciences du langage à la Sorbonne

Oui : nous avons rencontré les auteurs et les programmes leur ont été communiqués.

Je précise que, contrairement à ce qui se passait précédemment, cette fois le nouveau socle est appliqué simultanément aux neuf années concernées. Sinon, deux cohortes auraient suivi des cursus décalés d'un an.

En France, cependant, c'est le secteur privé qui produit les manuels et il n'existe pas de labellisation. Les séquences toutes prêtes qui pullulent par ailleurs sur internet ne peuvent faire l'objet d'aucun contrôle.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci de toutes ces informations, qui nous laissent quelques espoirs.

Si nous avons voté la loi de refondation de l'école et voulu les ABCD de l'égalité, c'est parce que tout commence dès la petite enfance, de sorte que l'éducation nationale a un rôle majeur à jouer. Les valeurs de respect de l'autre, de citoyenneté sont essentielles aujourd'hui. Dans notre société bousculée, il faut promouvoir les valeurs de la République, par l'enseignement, l'éducation et les livres. Les stéréotypes sont toujours à l'oeuvre dans la conception des livres et des jouets : aux filles les jouets qui concernent la vie de la maison, aux garçons les jeux numériques. Il reste beaucoup à faire pour parvenir à l'égalité.

Permalien
Sylvie Plane, vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, professeure émérite en sciences du langage à la Sorbonne

À Pâques étaient vendus des Kinder Surprise de deux couleurs différentes, contenant des jouets à monter également différents !

Permalien
Agnès Netter, cheffe de la mission parité et lutte contre les discriminations, relevant de la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle, DGESIP et de la direction générale de la recherche et de l'innovation, DGRI, au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

Pour ma part, je me concentrerai sur les recherches et les formations relatives au genre pour vous présenter l'état de la réflexion sur ce sujet dans l'enseignement supérieur et la recherche.

Il convient au préalable de bien distinguer ce qui s'est passé historiquement dans l'éducation nationale, où le terme « genre » a reculé, de ce qui est porté par l'enseignement supérieur et la recherche, où les formations et les recherches sur le genre existent depuis des années et apportent beaucoup à la théorie ainsi qu'aux politiques publiques.

Trois recensements successifs ont été réalisés afin de faire le point sur ce secteur, à la demande du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Le premier, confié à l'Association nationale des études féministes (ANEF), a fait prendre conscience de la richesse et de la transversalité des études de genre. Le deuxième, demandé au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) – où j'étais à l'époque responsable de la mission pour la place des femmes –, s'étendait à l'ensemble des recherches sur le genre, au CNRS comme à l'université, ainsi qu'aux chercheurs n'appartenant pas à une institution, ce qui était inédit. Il a donné lieu à une publication qui garde son importance pour mesurer le dynamisme du secteur.

Enfin, en novembre 2012, dans le cadre de la stratégie nationale de recherche, la ministre a autorisé la publication du rapport « Orientations stratégiques pour les recherches sur le genre ». Florence Rochefort, qui en était partie prenante, a dû vous en parler lorsque vous l'avez auditionnée. Dans ce cadre, un groupe de travail a réuni l'ensemble des réseaux qui s'occupaient de ces recherches afin de mettre en évidence les domaines de recherche ou les masters existants, en se focalisant sur certaines recherches dites émergentes. Le rapport formulait vingt propositions qui tendaient toutes à donner à la recherche sur le genre la place qu'elle mérite, au-delà du périmètre strictement scientifique. La première proposition visait par exemple la création d'un Collegium destiné à parler des recherches sur le genre et des moyens de les faire connaître dans la société.

Nous disposons ainsi désormais de plusieurs documents qui nous permettent d'estimer et de structurer la recherche et les formations.

Le transfert des résultats de la recherche sur le genre dans l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques d'éducation est l'un des objectifs de l'action du ministère en faveur de l'égalité des sexes. Depuis 2012, les feuilles de route annuelles en faveur de l'égalité des sexes incitent régulièrement les établissements d'enseignement supérieur à développer leur offre de formation en études de genre, en licence comme en master. En 2016, dans le cadre de son dialogue contractuel avec les établissements, le ministère les incite à ouvrir des postes d'enseignants-chercheurs fléchés « genre » dans un large éventail de disciplines.

Par ailleurs, le ministère a entrepris de cartographier le potentiel de recherche et d'enseignement pour structurer la recherche. En effet, le dernier recensement méritait d'être actualisé et d'être enrichi par un panorama des formations. Nous avons confié la réalisation de ce projet à l'alliance Athéna.

Le groupement d'intérêt scientifique (GIS) Institut du genre, créé au niveau du CNRS mais qui réunit également 25 universités, témoigne de l'importance que ces établissements accordent aux recherches sur le genre.

Nous sommes aussi en train de structurer la recherche sur le genre et l'éducation par une unité mixte de services (UMS) commune au CNRS et à l'École normale supérieure de Lyon et instituée au 1er janvier 2016 à Lyon. Elle pourra conduire un appel à projets concernant l'égalité entre les filles et les garçons dans le champ scolaire, mais aussi entre les femmes et les hommes à l'Université. C'est une création récente dont nous aurons à évaluer les productions.

Également créé le 1er janvier 2016, en région Auvergne-Rhône-Alpes, le premier institut Carnot de l'éducation veillera à traiter ces questions dans la perspective d'un transfert des résultats de la recherche sur le terrain scolaire, avec les équipes pédagogiques.

Nous travaillons enfin sur les ESPE. La formation aux enjeux de l'égalité des sexes a été inscrite dans le tronc commun des masters des métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation. Mais les situations sont très diverses ; en particulier, au-delà du respect des textes, la qualité de la formation dépend beaucoup du degré de développement des recherches sur le genre au sein de l'université dont dépend l'ESPE, qui détermine le potentiel de formateurs disponibles. Le ministère souhaite par conséquent mieux articuler les recherches sur le genre et la formation initiale et continue des enseignants et des personnels éducatifs, afin de développer des ressources disponibles pour les ESPE. Nous allons donc cartographier les ressources humaines, pédagogiques et didactiques mobilisables dans les ESPE et dans leur environnement. Cette action a été confiée à l'Association de recherche sur le genre en éducation et formation (ARGEF). Cette cartographie publique permettra aux ESPE les moins bien entourées d'aller puiser dans des ressources plus éloignées.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cette diversité est préoccupante : les futurs professeurs des écoles ne sont pas tous logés à la même enseigne, de sorte que certains auront plus de mal à travailler à l'égalité entre filles et garçons. Comment inclure obligatoirement les questions de genre et d'égalité dans le tronc commun ?

Permalien
Agnès Netter, cheffe de la mission parité et lutte contre les discriminations, relevant de la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle, DGESIP et de la direction générale de la recherche et de l'innovation, DGRI, au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

Mes collègues du ministère de l'enseignement supérieur vous répondraient que les ESPE sont très jeunes et qu'on leur en demande beaucoup en même temps. Notre tactique consiste à rendre visible le potentiel de formateurs là où il existe et de le mettre à la disposition de l'ensemble des ESPE. Nous subventionnons l'ARGEF afin qu'elle nous livre cette cartographie pour la fin de l'année. Nous verrons ensuite si, dans un second temps et avec le concours de l'ARGEF, nous pouvons proposer aux enseignants de mettre certains cours en ligne sur un même site, afin de mutualiser les formations.

Nous incitons également les établissements à intégrer des modules d'enseignement obligatoire sur le genre en licence, en master et en doctorat. Il faut aussi rendre plus visibles les masters « genre » existants en assurant des passerelles avec les certifications des métiers de l'égalité des sexes. En effet, ce marché a suscité la création de nombreuses sociétés, qui n'ont pas toutes bénéficié de la formation voulue.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci de ces propos encourageants. Le plus difficile est de faire connaître ces actions dans les territoires, au plus près des citoyens…

Permalien
Agnès Netter, cheffe de la mission parité et lutte contre les discriminations, relevant de la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle, DGESIP et de la direction générale de la recherche et de l'innovation, DGRI, au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

… au lieu de les voir reprises dans des polémiques caricaturales et stériles.

Permalien
Doriane Meurant, chargée de développement à l'association Artemisia, bureau d'étude et organisme de formation agréé spécialisé dans la promotion de l'égalité femmes-hommes et filles-garçons

Artemisia est une association loi 1901 créée par les anciens diplômés du master « Genre, égalité et politiques sociales » de l'université Toulouse-Jean Jaurès, qui forme les responsables de l'éducation sociale à l'égalité entre les femmes et les hommes et vous a été présenté la semaine dernière par Mme Nathalie Lapeyre.

L'association, créée en 1998, doit son nom à une peintre italienne du xviie siècle –aujourd'hui encore, en France, les femmes ne représentent que 25 % des artistes programmés. Hébergée par le pôle SAGESSE du Centre d'étude et de recherche travail, organisation, pouvoir (CERTOP) de l'université Toulouse-Jean Jaurès, elle vise à faire le lien entre la recherche universitaire et le terrain professionnel. Elle est également reconnue comme organisme de formation agréé et comme bureau d'étude. Son objectif est la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Jusqu'à ce que j'intègre tout récemment l'association, Sophie Collard, sociologue de formation, en était la seule salariée. Coordinatrice, elle a pu développer de nombreuses activités grâce au conseil d'administration, dirigé par six coprésidentes très dynamiques : formation auprès d'acteurs privés et publics, conception d'outils pédagogiques, en particulier le « Guide des bonnes pratiques d'égalité professionnelle femmeshommes en Midi-Pyrénées », accompagnement de structures agissant en faveur de l'égalité dans l'éducation, l'emploi, l'insertion, la politique de la ville, développement et mise en place de projets innovants.

Parmi ces projets, « Égalicrèche : filles et garçons sur le chemin de l'égalité » a été développé en 2013-2014 grâce à plusieurs partenariats institutionnels avec la mairie, la région, la caisse d'allocations familiales (CAF), le conseil départemental de Haute-Garonne et grâce à des réserves parlementaires, dont celle de Mme Iborra, ainsi qu'au soutien d'élus sans lesquels le programme n'aurait pu voir le jour.

Ce programme est né du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur l'égalité entre les filles et les garçons dans les modes d'accueil de la petite enfance, dont les auteurs, Brigitte Grésy et Philippe Georges, préconisaient de sensibiliser dès 2013 l'ensemble des professionnels à la socialisation sexuée des petits enfants.

Les stéréotypes de sexe sont responsables de difficultés d'épanouissement et d'orientation : filles et garçons ne développent pas les mêmes compétences et leur créativité est limitée dès le plus jeune âge. Le fait de leur imposer des modèles de conduite bloque leur imagination et leur spontanéité et peut réduire leur estime de soi, notamment celle des petites filles. Les projections stéréotypées existent dès la petite enfance, voire dès la grossesse. Différentes instances socialisatrices les mettent en jeu : la famille, l'éducation préscolaire, le système éducatif – malgré tous les outils qui ont été créés –, les médias, la littérature de jeunesse. Cela produit des conséquences à l'adolescence et à l'âge adulte, notamment des orientations scolaires très différenciées, comme on l'a vu. Au-delà de la lutte contre les stéréotypes de sexe, l'objectif d'Égalicrèche est d'offrir les mêmes chances de développement aux petites filles et aux petits garçons, de prévenir les violences sexistes dès le plus jeune âge et d'encourager au respect de l'autre.

Il est donc crucial que les personnes qui travaillent auprès des tout petits prennent le temps d'interroger leurs pratiques professionnelles. Cela suppose de les former pour qu'elles – ou ils, mais ce sont majoritairement des femmes qui exercent ces métiers peu valorisés au regard du travail accompli sur le terrain – soient capables de repérer les inégalités à l'oeuvre dans l'organisation et le fonctionnement de la crèche, de déconstruire les stéréotypes de sexe, notamment à travers les jouets et les illustrations, et d'agir pour un développement plus équitable.

À l'origine, cette formation n'occupait qu'une journée, voire deux. Les professionnelles pouvaient s'apercevoir qu'elles relayaient elles-mêmes des stéréotypes, mais sans savoir que faire ensuite. D'autres avaient du mal à le reconnaître et niaient que les statistiques nationales que nous leur présentions puissent correspondre à leur structure – ce qui est humain et compréhensible lorsque l'on cherche à défendre son travail.

De là est venue l'idée de poser un diagnostic propre à chaque crèche. Ce diagnostic se fonde sur une quarantaine d'heures d'observation aussi discrète que possible, sur le terrain, des interactions entre enfants, entre professionnels et enfants et entre professionnels et parents, chaque fois selon le sexe de l'enfant. Sur le dernier aspect, on observe de grandes différences d'une crèche à l'autre ; les échanges peuvent être six fois plus longs avec les mères qu'avec les pères, sachant que ce sont elles qui, dans 70 % des cas, déposent et viennent chercher l'enfant.

Puis vient un temps de formation destiné à faire prendre conscience aux professionnels du fait que les inégalités entre les hommes et les femmes perdurent en France et qu'elles se construisent tout au long de la vie. Une dizaine d'ateliers de mise en pratique sont organisés, à l'occasion desquels sont rappelées les données qualitatives et quantitatives propres à la crèche, issues du diagnostic préalablement posé. Des soirées-débats ont lieu avec les familles pour tenter de sensibiliser les parents, même si c'est encore difficile.

Enfin, nous procédons à une évaluation et à un suivi trois, six et neuf mois après, pour que les professionnelles ne se sentent pas lâchées dans la nature comme elles pouvaient en avoir l'impression dans la première mouture de la formation.

Les ateliers attestent d'une utilisation non mixte des jouets, les petites filles se tournant à 80 % vers les jeux d'imitation tels que la poupée, la dînette, etc., et les garçons vers les jeux dits de motricité et de construction, dans la même proportion – s'agissant des jeux de construction, le chiffre tombe à 55 % dans certaines crèches.

L'idée est de proposer des activités compensatoires si les professionnelles en sont d'accord. Une non-mixité provisoire permet aux enfants de s'approprier certains jeux, en particulier aux petits garçons d'être plus à l'aise avec les jeux d'imitation, qui favorisent la dimension psycho-affective. Il s'agit aussi de faire en sorte que les petites filles jouent davantage, car elles sont généralement plus passives que les garçons, dès la petite enfance : les jouets sont accaparés par les petits garçons, qui sont par ailleurs plus enclins à jouer entre eux. Les enfants qui jouent seuls sont aussi majoritairement des garçons.

Un autre atelier est consacré à la communication avec les enfants. Dans les quatre premières crèches qui ont suivi le programme, en moyenne, 80 % des filles sont complimentées et 75 % des encouragements et félicitations concernent les garçons. Les compliments portent sur l'apparence physique, tandis que les encouragements visent la motricité, le fait de courir, la force. Ce phénomène s'observe même pendant les temps de change des bébés. En outre, les professionnelles s'adressent nettement plus aux petits garçons qu'aux petites filles – la proportion est de 55 % ; les premiers les sollicitent davantage et elles ont davantage tendance à leur répondre. Alors même que filles et garçons pleurent autant les uns que les autres, la réaction aux pleurs n'est pas la même, une petite fille étant plus volontiers soupçonnée de faire un caprice. Tout cela est évidemment inconscient ; il n'est pas question de juger ces professionnelles. Nous-mêmes, il nous arrive d'avoir l'impression subjective d'avoir observé une situation égalitaire avant que l'analyse des données recueillies ne vienne nuancer ce constat.

Un troisième atelier concerne l'aménagement de l'espace ; il vise à décloisonner et à mêler les espaces de jeu. Dans une crèche a ainsi été créé un « centre ville » où les différents espaces, « dînette » et « garage » par exemple, coexistent au lieu d'être éloignés l'un de l'autre. On parle de « supermarché » plutôt que de « jouer à la marchande » et l'on expose des photos d'enfants des deux sexes autour de ces jeux, pour que garçons et filles, se sentant représentés, soient encouragés à les investir.

Les « temps à thème », centrés sur un thème unique, constituent un autre outil. Si, dans l'une des crèches, l'utilisation des jeux de construction est plus égalitaire qu'ailleurs, c'est parce que ces jeux y sont proposés seuls.

Un autre atelier est consacré à la littérature jeunesse. On sait que les héros y sont dix fois plus nombreux que les héroïnes. Or les affiches que l'on voit dans les crèches sont souvent tirées des albums pour enfants que ces structures reçoivent. L'idée est de montrer aux professionnelles comment contrecarrer ces stéréotypes sans aller jusqu'à écarter des livres par ailleurs très utiles. Nous leur offrons aussi des albums non stéréotypés.

Un dernier atelier est dédié à la communication avec les parents.

Nous procédons ensuite à des analyses de pratiques et remettons aux professionnelles des fiches pédagogiques réalisées avec deux crèches pilotes de Toulouse. De manière générale, le programme est fondé sur la co-construction, puisque, si Artemisia s'est spécialisée dans la promotion de l'égalité, les professionnelles de la petite enfance sont, elles, spécialistes de pédagogie.

Six crèches ont bénéficié pour l'instant du programme, qu'il nous est toujours très difficile de financer. Certaines municipalités et gestionnaires de crèches nous ont permis de le mettre en oeuvre. Le programme a été développé tant en centre ville qu'en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) et en zone rurale. Les chiffres que je vous ai donnés sont des moyennes qui recouvrent de grandes différences selon les zones géographiques.

« Égalicrèche » a fait l'objet d'un reportage audiovisuel qui donne la parole aux professionnelles et montre que le programme contribue à fédérer les équipes, au-delà même des questions d'égalité. Il bénéficie d'une certaine couverture médiatique grâce à France Bleu, France Culture et plusieurs magazines. Notre principale difficulté est financière ; elle nous empêche de pérenniser le programme. Nous serions heureuses de pouvoir bénéficier de vos conseils à ce sujet.

Du programme « Égalicrèche » sont nés « Égalycée », dans le cadre duquel nous formons les élèves de CAP petite enfance en Midi-Pyrénées, ainsi que les futurs professionnels des services des soins à la personne, et « Égalécole », destiné à la formation en pré-élémentaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est très intéressant, mais la route sera longue. Les pouvoirs publics, les collectivités s'engagent, on prend conscience des stéréotypes et du fait que tout repose sur l'éducation, mais il faudrait que les parents s'investissent eux aussi. Cela suppose une volonté politique nationale, puisque nous reproduisons le phénomène malgré nous. Pour les personnels des collectivités, cette formation est indispensable.

Permalien
Doriane Meurant, chargée de développement à l'association Artemisia, bureau d'étude et organisme de formation agréé spécialisé dans la promotion de l'égalité femmes-hommes et filles-garçons

Notre idée est aussi de donner des outils aux professionnelles pour qu'elles travaillent ces questions avec les parents au quotidien. Elles le demandent, d'ailleurs.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Visez-vous aussi les assistantes maternelles par le biais des RAM (relais assistantes maternelles) ?

Permalien
Doriane Meurant, chargée de développement à l'association Artemisia, bureau d'étude et organisme de formation agréé spécialisé dans la promotion de l'égalité femmes-hommes et filles-garçons

C'est en projet : nous essayons de contacter à ce sujet les animatrices des RAM, qui proposent les formations, et nous avons rencontré les responsables de la PMI (protection maternelle et infantile) et de la CAF de Midi-Pyrénées, mais nous nous heurtons au problème du financement.

Permalien
Françoise Vouillot, présidente de la commission « Lutte contre les stéréotypes sexistes et la répartition des rôles sociaux » du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, HCEfh, maîtresse de conférences en psychologie de l'orientation à l'Institut national d'étude du travail et d'orientation professionnelle, INETOP-CNAM et responsable du groupe de recherche « Orientation et genre », OriGenre au Centre de recherche sur le travail et le développement

Je vais vous parler d'orientation – ma spécialité –, comme chercheuse davantage que comme présidente de la commission de lutte contre les stéréotypes du HCEfh, même si ces deux fonctions sont étroitement liées.

L'orientation est fortement concernée par le genre – défini comme système de normes hiérarchisées et hiérarchisantes de masculinité et de féminité –, par les stéréotypes de sexe et par les rôles de sexe, puisque le choix d'une orientation est celui d'une place et d'un rôle dans la société. L'orientation est en fait le révélateur du genre, comme de toutes les inégalités sociales qui traversent l'école et dont elle permet de mesurer l'ampleur et le poids. Elle révèle l'asymétrie des positions occupées par les femmes et les hommes au sein de la société. Elle est à la fois le produit et l'instrument du genre. C'est peu de dire que les recherches sur le genre sont utiles pour décrypter la ségrégation sexuée des choix d'orientation dès l'école, donc celle des métiers. L'orientation anticipe le monde du travail : elle n'est sexuée et hiérarchisée que parce que le travail l'est. En même temps, elle pérennise du même coup en retour la ségrégation socio-sexuée du travail. Le genre est donc un concept utile pour l'action : pour décrypter et analyser le réel et pour proposer des pistes d'intervention.

Dès le premier palier, en fin de troisième, 42 % des garçons se dirigent plus ou moins volontairement vers le lycée professionnel, contre 30 % des filles. Au sein du lycée professionnel, les garçons sont essentiellement présents dans les spécialités de production, les filles dans les spécialités dites de services. Cette répartition n'évolue quasiment pas, comme le montrent bien les statistiques de la DARES (direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail) et de l'éducation nationale. Les filles sont un peu plus nombreuses à entrer en lycée général et technologique, les garçons un peu plus nombreux à intégrer le lycée professionnel. Dans les séries générales, à l'exception peut-être de la filière économique et sociale, il n'existe pas de mixité équilibrée. Les garçons restent surreprésentés dans la filière scientifique : on y trouve 46 % de filles, et certains y voient une quasi-parité, mais c'est un trompe-l'oeil si l'on rapporte ce chiffre aux 56 % de filles présentes dans l'ensemble des séries générales. En outre, si 80 % des élèves préparant un baccalauréat littéraire sont des filles, ce n'est pas parce que celles-ci plébiscitent la série L – elle ne figure qu'au troisième rang de leurs choix, après S et ES –, mais bien parce que les garçons n'y mettent pas les pieds. De manière générale, très souvent, l'écrasante majorité de l'un des deux sexes dans une filière, puis dans un métier, n'est pas dû à un investissement massif de la part de cette catégorie de sexe, mais à la désertion de l'autre.

Le CEREQ (centre d'études et de recherches sur les qualifications) l'a montré il y a quelques années déjà, et cela reste vrai : 60 % environ de la ségrégation sexuée dans le monde du travail – le domaine professionnel, le métier, la fonction – est fabriquée en amont par les différences d'orientation – ce qui laisse tout de même 40 % de responsabilité au monde du travail.

Cette non-mixité de l'orientation et du travail s'accompagne de toute une série d'inégalités professionnelles qui touchent les femmes. Du fait de leur formation, les femmes travaillent dans des secteurs moins considérés et moins rémunérés, dont beaucoup sont bien plus exposés au temps partiel contraint que ceux où les hommes sont majoritaires, ce qui rejaillit sur le salaire, et se caractérisent par des horaires atypiques. On oublie souvent cette réalité quand on justifie par des horaires atypiques le fait que les filles ne s'orientent pas vers certains métiers. L'argument de la force physique requise ne tient pas davantage, d'abord parce que les progrès technologiques ont amélioré l'ergonomie dans plusieurs métiers où les hommes sont majoritaires – ce qui leur bénéficie aussi, d'ailleurs –, ensuite parce que nombre de métiers essentiellement exercés par des femmes, dans les secteurs des services à la personne ou de la distribution, supposent une forte résistance physique. Les recherches sur le genre et l'introduction du concept de genre dans les recherches en ergonomie ont significativement amélioré notre connaissance de l'implication et de la souffrance du corps au travail.

Mais pourquoi les choses se passent-elles ainsi ? Parce que l'on fait tout pour, ai-je coutume de répondre par boutade. Cela se joue dès le cinquième mois de grossesse, lors de l'échographie qui indique le sexe biologique probable de l'enfant à naître, comme l'a montré l'Institut national d'études démographiques (INED), puis au cours des divers processus de socialisation. L'orientation est à la fois le produit et le reflet de cette différenciation.

L'orientation a été d'emblée un objet politique. Le mouvement de l'orientation, né dans les années 1920 en France, pays pionnier, et qui s'est étendu à quelques autres pays européens ainsi qu'aux États-Unis, a professionnalisé la question de l'orientation, afin, comme le disait Parsons, de mettre « le bon homme à la bonne place » – « homme » ne s'entendant pas ici comme un générique. Qui est à quelle place, à quel niveau dans la société ? Tel est l'enjeu. Cela concerne évidemment les rôles respectifs des hommes et des femmes. L'histoire de l'orientation des filles a d'ailleurs commencé par un déni d'orientation, en 1880, avec la loi Camille Sée.

L'orientation est aussi une pratique sociale et une démarche personnelle. Le terme désigne à la fois la répartition des individus dans les différents cursus et filières de formation et les procédures d'accès à ces filières. La division sexuée de l'orientation se situe aux quatre niveaux interdépendants qui caractérisent celle-ci : une politique d'éducation, des procédures d'orientation censées exécuter cette politique, des pratiques et des outils qui accompagnent les projets, enfin les conduites d'orientation des élèves et de leur famille. Mais, pendant des années, on s'est focalisé, avec la meilleure volonté du monde, sur les seules conduites d'orientation des filles vers les filières scientifiques et techniques, sans questionner les politiques, procédures, pratiques et outils. C'est l'objet des conventions interministérielles de 1984 et de 1989 ; celle de 2000 s'étend un peu aux garçons, reprise par celle de 2006 ; quant à la cinquième convention de 2012, son établissement laisse quelques doutes sur l'efficacité des précédentes.

C'est grâce aux recherches sur le genre que l'on s'est aussi intéressé aux garçons. Je l'ai dit, la division sexuée de l'orientation et du travail résulte des conduites d'orientation des garçons autant que de celles des filles. Certaines recherches montrent même que les garçons répugnent encore plus que les filles à s'imaginer dans des filières puis dans des métiers où l'autre sexe est majoritaire, parce qu'ils encourent ce que j'ai appelé une double disqualification : sociale et économique, car les métiers concernés sont moins considérés et moins rémunérés ; identitaire, ce qui les préoccupe bien plus à quinze ou seize ans. La balance différentielle des sexes – pour reprendre le concept forgé par Françoise Héritier – fait qu'un garçon se dégrade lorsqu'il choisit un « truc de fille ». Les recherches sur le genre nous ont permis de mettre en lumière que cela concerne autant les garçons que les filles.

La recherche a également mis en évidence cet oubli total des politiques d'orientation, des procédures, des pratiques et outils, en particulier dans le rapport que j'avais piloté pour la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) et qui dressait le bilan de vingt-cinq ans de littérature sur les discriminations de sexe et l'orientation. On perd un temps infini en négligeant la manière dont, de manière systémique, ces trois autres niveaux servent le genre, alimentent les stéréotypes de sexe et, par là, la division sexuée de l'orientation.

Permalien
Françoise Vouillot, présidente de la commission « Lutte contre les stéréotypes sexistes et la répartition des rôles sociaux » du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, HCEfh, maîtresse de conférences en psychologie de l'orientation à l'Institut national d'étude du travail et d'orientation professionnelle, INETOP-CNAM et responsable du groupe de recherche « Orientation et genre », OriGenre au Centre de recherche sur le travail et le développement

Je vais y venir.

J'ai mené avec un collègue en 2014-2015 une recherche sur le rôle des procédures d'orientation dans l'accès des garçons et des filles à la première scientifique, à résultats scolaires identiques. Rien n'avait été fait sur le sujet depuis 1989. Nous avons constaté que, quand on a dix de moyenne en sciences en seconde, la probabilité de demander une première scientifique en fin d'année est inférieure de quatorze points si l'on est une fille. Les conseils de classe ne corrigent pas cet écart. Mais quand j'évoque ces recherches, qui montrent bien l'utilité du concept de genre, j'ai l'impression de prêcher dans le désert !

Quant aux pratiques, elles ne font l'objet d'aucune étude.

S'agissant des besoins, des entreprises s'engagent actuellement, sous différentes formes, pour la mixité des métiers. Rappelons d'abord que c'est l'égalité que nous visons ; la mixité en est un instrument, mais elle ne permet pas de la garantir. Il semblerait que ces entreprises aient intérêt à la mixité : dans tel ou tel domaine ou métier en tension, elles peuvent avoir besoin de recruter soit des femmes, soit des hommes, et elles élargissent le recrutement, sortant des schémas des métiers « sex-typés », augmentant ainsi la probabilité de recruter les meilleures personnes pour ces postes. Ce raisonnement est compréhensible et plutôt logique, à condition de ne pas se laisser prendre au leurre de la complémentarité.

Mais, en amont, le fait que l'orientation soit fortement sexuée n'empêche pas l'école de fonctionner. Seuls certains lycées professionnels peuvent avoir intérêt à étendre leur recrutement aux filles pour conserver telle ou telle section « masculine » – l'inverse est moins vrai. À cette exception près, l'école ne pâtit nullement de la non-mixité. Le seul enjeu de la mixité est démocratique. Dès lors, comment mobiliser l'école ?

Je travaille beaucoup sur cette absence de demande sociale qui obligerait les politiques à se montrer plus audacieux, plus interventionnistes, plus exigeants. Pourquoi trente ans de politiques publiques sur cette question n'ont-ils pas produit les effets escomptés ? Premièrement, en raison d'une naturalisation du social – en l'occurrence, des choix d'orientation des filles et des garçons. Alors que l'effet de l'appartenance sociale sur l'orientation est reconnu comme une inégalité et généralement déploré, s'agissant du caractère sexué de l'orientation, on ne parle plus que d'une différence, que certains attribuent à la nature, à la destinée de chaque sexe, y compris parmi les enseignants – d'où le caractère indispensable de la formation du corps éducatif. La seconde raison est la façon dont, en matière d'orientation, on a mis le sujet au centre de son propre parcours, en le rendant autonome et responsable, capable de faire des choix réalistes. On a ainsi relégué à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui sous-tendent ces choix.

Les adultes – parents et enseignants – émettent à l'intention des jeunes des injonctions paradoxales. Ils propagent le genre en demandant aux filles d'être féminines, aux garçons d'être masculins, voire virils. Mais, à l'adolescence, les jeunes, qui s'intéressent beaucoup moins à l'orientation qu'à la question de savoir si les garçons regardent les filles et réciproquement – c'est la norme d'hétérosexualité, qui est au coeur du genre –, instrumentalisent les choix d'orientation pour défendre et manifester une identité sexuée conforme. C'est alors que les adultes, qui les ont élevés selon les normes de masculinité et de féminité, leur disent tout à coup que les métiers n'ont pas de sexe. Et l'on s'étonne que cela ne fonctionne pas !

Si l'on veut que les études de genre contribuent à changer le réel et le social, il faut favoriser leur diffusion. J'irai plus loin : il faut cesser de faire pression sur les enseignants-chercheurs et les enseignantes-chercheuses pour qu'ils publient dans des revues qualifiantes, à comité de lecture, etc., qui ne sont lues que par ceux de leurs pairs qui travaillent à peu près sur le même sujet. On a ainsi pu me reprocher de publier dans des revues qui n'étaient pas « louables » : cela n'apportait rien à mon curriculum vitae de chercheuse, cela nuisait même à l'équipe, etc. Il faut valoriser la vulgarisation des productions des chercheurs en sciences humaines et sociales.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est évident l'école a un rôle important, mais l'éducation passe aussi par l'action des parents.

Permalien
Isabelle Gueguen, fondatrice de Perfégal, cabinet coopératif au service de l'égalité entre les femmes et les hommes dans les entreprises et les territoires

Créé il y a dix ans, Perfégal a été l'un des premiers cabinets à travailler sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et sur l'intégration de cet objectif aux politiques publiques, notamment locales. À l'époque de mon diplôme d'études approfondies (DEA) sur le genre et les politiques publiques locales, en 2004, je n'avais pour m'éclairer que quelques travaux de Françoise Gaspard : le centre Hubertine-Auclert et la Charte européenne pour l'égalité des femmes et des hommes dans la vie locale n'existaient pas encore.

Nos travaux ont pour objet de vulgariser le genre, qu'il s'agisse d'accompagner des entreprises vers l'égalité professionnelle ou des élus ou agents désireux d'intégrer l'égalité aux politiques publiques. En ce qui concerne l'éducation, nous avons conduit pour la ville de Lyon une étude tendant à évaluer une démarche de rénovation des cours d'école intégrant l'égalité entre filles et garçons. J'aimerais vous présenter ces travaux et évoquer la manière dont on peut utiliser les études de genre pour agir.

Les constats ne sont pas toujours très optimistes, mais les choses évoluent dès lors que l'on accepte, tout simplement, de compter, et que l'on prend ainsi conscience des inégalités. C'est le premier argument que nous faisons valoir auprès des élus ou des directeurs, en nous appuyant sur des études de cas qui concernent leur domaine, nourries d'enseignements tirés des études de genre.

La ville de Lyon travaillait avec l'association Robins des villes pour imaginer, avec les enfants, les futures cours d'école. C'est dans ce cadre que Thérèse Rabatel, adjointe au maire chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, a entendu dire que les petites filles se disaient gênées par l'espace réservé au football. Voilà pourquoi elle a souhaité que le plan d'actions pour l'égalité femmes-hommes, que notre cabinet aidait la ville à élaborer, permette notamment d'intégrer l'égalité filles-garçons aux projets de rénovation des cours d'école. C'est d'ailleurs l'une des seules actions que la presse a retenues lorsque le plan a été présenté en conseil municipal, bien avant le débat sur le mariage pour tous. Mais l'on sentait aussi, dès cette époque, une très forte résistance, les gens se demandant ce qu'on allait faire à leurs enfants.

Robins des villes a donc poursuivi la démarche engagée, en intégrant davantage la dimension de l'égalité entre filles et garçons. De mon côté, j'ai travaillé avec l'association Genre et ville et avec Nadia Hamadache ; nous avons proposé une méthode d'évaluation fondée sur l'observation de quatre écoles dont la rénovation était censée avoir pris en considération cette dimension et d'une autre où ce n'était pas le cas. Nous avons observé l'arrivée des enfants, le temps périscolaire ; nous avons discuté avec les petits garçons et avec les petites filles pris séparément ; nous avons interrogé les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), qui suivent les enfants tout au long de la journée ; nous avons mené des entretiens avec les enseignants et avec quelques parents.

Nous avions au préalable demandé à la ville si l'enjeu était la mixité ou l'égalité. Car si tout le monde aimerait que garçons et filles jouent ensemble, l'égalité ne commence-t-elle pas par l'égal accès à l'espace ?

Nous avons constaté que c'est la diversité des équipements et des jeux, plutôt que leur nature, qui favorise un meilleur partage de la cour. Si l'on installe une cabane, ce sont tantôt les filles, tantôt les garçons qui vont s'approprier l'espace, tantôt les deux ensemble – en particulier quand ils jouent au loup, qui est, avec la balle au prisonnier et « un, deux, trois, soleil », le jeu le plus mixte des cours d'école : les filles attrapent les garçons et réciproquement. Des marquages au sol, de petits dénivelés, peu onéreux, favorisent la créativité des enfants et, par voie de conséquence, le partage, voire la mixité.

Ce qui, à l'inverse, pose le plus de problèmes, c'est l'introduction d'un ballon, d'autant que celui-ci, en mousse pour des raisons de sécurité, favorise souvent le jeu au pied plutôt qu'à la main, quand il est mouillé par exemple. Le jeu de ballon accapare l'espace, surtout quand un terrain de football est dessiné sur le sol, de préférence au milieu : on ne peut plus traverser la cour et les filles sont reléguées dans les coins.

Second constat : les choses se passent plus ou moins bien selon l'attitude des adultes. En d'autres termes, l'égalité et la mixité dans la cour de l'école supposent de la régulation. Cela montre l'importance du projet pédagogique et du fait qu'il intègre la dimension du genre et de l'égalité.

S'il faut réfléchir à la place du football dans la cour de récréation, c'est parce qu'elle prive les filles d'espace, mais aussi parce qu'elle restreint le champ des possibles ouvert aux garçons. À Lyon, surtout dans certains quartiers, l'identité de genre oblige les garçons à aimer le football et ceux dont ce n'est pas le cas sont mis à l'écart. Quant aux petites filles, que se passe-t-il quand elles demandent à jouer au football ? Un reportage avec la géographe Édith Maruéjouls montre leur exclusion, que nous avons également observée – sauf lorsque l'adulte intervient pour édicter des règles. Quand nous avons demandé aux garçons si le football était un sport de filles, l'un d'entre eux nous a dit qu'il ne le pensait pas à l'origine, mais qu'il avait appris grâce à la télévision que cela pouvait être le cas. Ce qui confirme l'importance de la visibilité.

Les résultats de l'étude confirment également combien la formation des enseignants et des ATSEM à ces questions est essentielle. Nous avons ainsi constaté que les ATSEM formés à la gestion des conflits pendant la pause méridienne étaient plus sensibles aux enjeux de pouvoir et de domination. En outre, si l'organisation de la cour n'est pas toujours favorable au partage de l'espace, c'est aussi parce que les adultes ont leurs propres notions de sécurité et de confort. Au sortir de la classe, on ne voit pas de filles ni de garçons, mais des enfants qui crient, courent, se défoulent. Peut-être certaines équipes pédagogiques laissent-elles plus facilement les garçons le faire pour qu'ils soient plus calmes à leur retour en classe – mais tout dépend de ce que l'on entend par là.

D'où l'intérêt de s'interroger sur ses propres pratiques. Tel est l'objet de notre recours aux études de genre, à l'école comme dans d'autres domaines tels que la création d'entreprises, la culture, etc.

Permalien
Sylvie Plane, vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, professeure émérite en sciences du langage à la Sorbonne

À l'issue de leurs études, les enseignants doivent maîtriser dix-neuf compétences. En matière de formation, il ne faut donc pas se demander ce que tel ou tel domaine de recherche, si passionnant soit-il, leur apporte, mais plutôt à quel domaine de recherche il faut faire appel pour construire telle ou telle compétence. Il faut partir du produit fini, ou en cours de finition, que doit être l'enseignant au sortir de sa formation, sachant que deux ans, c'est très court, et que les emplois du temps sont très chargés.

S'agissant de l'orientation, par exemple, les études de genre sont très précieuses pour comprendre certains mécanismes. Mais la connaissance du système éducatif l'est davantage. Le seul baccalauréat littéraire permet une cinquantaine de combinaisons différentes, sans même tenir compte des options de langue. La plupart des enseignants ne connaissent pas du tout la filière professionnelle, alors qu'ils contribuent à l'orientation des élèves. Lorsque l'on parle du problème de l'orientation, on voit bien qu'une seule donnée, si utile soit-elle – comme les études de genre – ne suffit pas à le résoudre.

En ce qui concerne l'inégalité entre les garçons et les filles, je me réjouis de ce que j'ai entendu sur l'orientation négative des garçons. Notre école privilégie la docilité ; or la représentation classique de chaque sexe pousse à attendre des filles qu'elles soient dociles – même si ce sont peut-être aussi des facteurs hormonaux qui rendent les garçons plus turbulents. Si les garçons sont défavorisés, c'est notamment parce que leur comportement physique et social déçoit souvent les attentes scolaires. Voilà pourquoi il est si important de penser la récréation, dans toutes ses composantes.

Quant au problème des publications de recherche, le ministère québécois de l'éducation, pour le compte duquel j'ai récemment participé à des évaluations, encourage certains programmes de recherche, dont des recherches-actions et finance la diffusion de synthèses à l'intention de publics ciblés, non seulement les chercheurs mais aussi le grand public. Ce n'est pas encore le cas en France, mais j'espère que l'institut Carnot y remédiera dans son prochain programme.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je ne pense pas que le rôle des hormones soit aussi décisif que vous le dites ! Les filles comme les garçons ont besoin de se dépenser : ce sont nos représentations qui nous font attribuer aux garçons plus d'agilité, de mobilité, un plus grand besoin d'activité physique. Si les filles sont plus dociles, on le doit davantage à l'éducation qu'aux hormones.

Il est très regrettable que les ABCD de l'égalité, un programme très intéressant, ait tourné court, pour les raisons que l'on sait. Est-il prévu d'y revenir maintenant que le vent du boulet est passé ?

Permalien
Sylvie Plane, vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, professeure émérite en sciences du langage à la Sorbonne

Il est très difficile de faire quoi que ce soit. Voyez l'affaire de l'accent circonflexe : les gens sont prêts à descendre dans la rue parce qu'ils s'imaginent que notre langue va être bouleversée par une réforme adoptée par l'Académie française en 1990 ! Quant aux ABCD de l'égalité, vous savez quelles sottises ont pu circuler à leur sujet. Le climat est tel que l'on ne peut agir que de manière détournée. Ainsi, lorsque nous avons abordé ces questions dans les programmes, pour rappeler la nécessité d'apprendre aux élèves à décrypter les stéréotypes sexistes, personne n'a rien trouvé à y redire. C'est de cette manière que l'on peut progresser. Mais cette situation est assez désespérante.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'objet de mon rapport est de montrer que, comme il ressort de nos différentes auditions, les études de genre n'ont rien de sulfureux : il s'agit simplement de témoigner de la réalité. Mais nous ne devons pas baisser les bras face à l'obscurantisme.

Permalien
Sylvie Plane, vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, professeure émérite en sciences du langage à la Sorbonne

L'un de mes voisins, un homme très cultivé, m'a dit à propos des programmes scolaires et de la « théorie du genre » : « je ne suis pas contre l'égalité des sexes, mais de là à montrer des hommes qui portent des jupes… »

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous sommes très fières d'avoir voté la loi de refondation de l'école, dont les valeurs sont portées par certains agents de l'éducation nationale. Pour ma part, maire d'une petite commune de 5 300 habitants, j'exige de mes personnels que les temps d'activités périscolaires (TAP) permettent de travailler sur la citoyenneté ou la discrimination, en complément des ABCD de l'égalité. Nous, élus locaux, parlementaires, avons un rôle à jouer et vous êtes pour nous des partenaires essentiels. Ne baissons pas les bras. Si nous voulons miser sur notre jeunesse, comme l'a dit le Président de la République, nous devons lui donner de bonnes bases.

Permalien
Sylvie Plane, vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, professeure émérite en sciences du langage à la Sorbonne

Certes, mais le Conseil supérieur des programmes n'est pas compétent en la matière. Notre mission, ce sont le socle commun et les programmes. À cet égard, je tiens à signaler le travail remarquable consacré à la citoyenneté sous la direction de Pierre Kahn, professeur en philosophie de l'éducation. C'est la première production vraiment intelligente et pratique sur ces questions.

Permalien
Françoise Vouillot, présidente de la commission « Lutte contre les stéréotypes sexistes et la répartition des rôles sociaux » du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, HCEfh, maîtresse de conférences en psychologie de l'orientation à l'Institut national d'étude du travail et d'orientation professionnelle, INETOP-CNAM et responsable du groupe de recherche « Orientation et genre », OriGenre au Centre de recherche sur le travail et le développement

J'aimerais réagir à vos propos sur l'orientation. En la matière, études de genre et connaissance du système éducatif ne s'excluent pas. La formation des conseillers et conseillères d'orientation-psychologues leur apporte une très bonne connaissance du système éducatif, ce qui ne veut pas dire qu'ils luttent systématiquement contre la division sexuée de l'orientation. Quant aux enseignants, ils jouent un rôle essentiel dans l'orientation, car celle-ci dépend beaucoup des notes et ce sont eux qui siègent dans les conseils de classe.

Toutes les études, dont les enquêtes PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), montrent que les stéréotypes de sexe qui attribuent aux filles une moindre compétence en mathématiques affectent leur confiance en elles. Or, les enseignants corrigent rarement ce phénomène – cette menace du stéréotype – que ce soit par leurs interactions avec leurs élèves ou par leurs appréciations sur les bulletins scolaires – que j'ai étudiées pendant trois ans et qui attestent de manière flagrante du double standard d'évaluation dont parlait Nicole Mosconi. C'est ainsi que, comme je le disais, les filles s'auto-sélectionnent au moment de passer en première scientifique. Les enseignants ne corrigent pas cette auto-sélection et distillent des stéréotypes par leurs pratiques pédagogiques.

Cela ne justifie-t-il pas que les études de genre soient intégrées à tous les aspects de la formation des enseignants ? Certes ils n'orientent pas directement les élèves, mais les conseillers d'orientation non plus : ce sont les chefs d'établissement qui sont responsables de l'orientation.

Quant aux hormones, je confirme les propos de Maud Olivier : il est scientifiquement prouvé que les garçons ne sont pas plus victimes de leurs hormones que les filles, et que l'immaturité à laquelle on attribue leurs comportements peu adaptés aux attentes de l'école n'est que prétendue. S'ils sont victimes, c'est, eux aussi, du genre.

Enfin, il n'est guère étonnant que les programmes scolaires ne fassent descendre personne dans la rue, tant les questions d'égalité des sexes y sont distillées. J'en ai intégralement lu la première et la seconde mouture pour le HCEfh ; nous avons produit une note qui rejoignait l'évaluation d'une petite dizaine d'associations, dont l'ARGEF : il est flagrant que l'on peut mieux faire ! La question de l'égalité est distillée, presque invisible. Tout est au masculin singulier – « le professeur », « l'élève » au masculin…

Permalien
Sylvie Plane, vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, professeure émérite en sciences du langage à la Sorbonne

Sur ce dernier point, il s'agit d'un choix dont j'assume pleinement la responsabilité en tant que linguiste : j'applique les règles de la langue française. Nous précisons d'ailleurs dans une note que ces termes au masculin renvoient à l'ensemble des hommes et femmes ou des garçons et filles concernés. Nous avons proscrit les québécismes qui produisent une langue de bois épouvantable. On emploie bien les noms féminins « sentinelle » ou « personne » pour désigner des hommes !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est un débat important, que nous n'aurons pas le temps de pousser plus loin.

Permalien
Agnès Netter, cheffe de la mission parité et lutte contre les discriminations, relevant de la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle, DGESIP et de la direction générale de la recherche et de l'innovation, DGRI, au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

Sans porter aucun jugement, je signale que nous avons mis en oeuvre d'importantes actions concernant la place des hommes et des femmes dans la recherche. Vous devez savoir que, compte tenu des viviers, il n'y aura plus, à terme, aucune professeure de mathématiques dans l'enseignement supérieur : le nombre de femmes s'amenuise au point que la communauté des mathématiciens et mathématiciennes s'en inquiète vivement et réfléchit aux moyens d'attirer de jeunes femmes vers ce domaine. Cela vaut aussi en informatique.

La séance est levée à dix-neuf heures trente.