Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du 14 juin 2016 à 18h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La commission entend Mme Marielle Thuau, directrice des services judiciaires, Mme Isabelle Gorce, directrice de l'administration pénitentiaire, et M. Philippe Lonné, sous-directeur de la 8e sous-direction de la direction du budget.

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Comme l'an dernier nous organisons, à l'occasion de l'examen du projet de loi de règlement et dans le cadre de la mission de contrôle qui est une dimension essentielle du travail de la commission des finances, un cycle d'auditions de responsables de programmes. Nous accueillons aujourd'hui les responsables du programme 166 Justice judiciaire et du programme 107 Administration pénitentiaire. Je remercie de sa présence notre collègue Dominique Raimbourg, président de la commission des lois, et en votre nom, je souhaite la bienvenue à Mme Isabelle Gorce, directrice de l'administration pénitentiaire, et à Mme Marielle Thuau, directrice des services judiciaires, au ministère de la justice, ainsi qu'à M. Philippe Lonné, sous-directeur de la 8e sous-direction à la direction du budget. Nous avons souhaité lors de ces auditions avoir le point de vue des responsables de programmes des ministères dits « dépensiers », sans connotation péjorative, mais également de leurs interlocuteurs du ministère des finances pour cerner plus précisément les questions qui se posent sur l'exécution des crédits. La justice, son organisation et ses crédits, font débat depuis plusieurs mois. Nous allons avec ces auditions nous pencher sur les difficultés que vous rencontrez et dont le garde des sceaux nous a alertés ces dernières semaines alors même que la mission Justice est affichée comme une priorité.

Notre commission suit, en effet, de près les quelques 8 milliards d'euros de crédits qui financent les missions confiées à la justice. Nous avons reçu, fin 2014, une enquête sur les frais de justice demandée à la Cour des comptes en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances ainsi que plusieurs référés au cours des derniers mois, que j'ai transmis aux rapporteurs spéciaux successifs, sur la fonction de la police judiciaire dans la police et la gendarmerie nationales ; les écoles de formation du ministère de la justice ; la fonction d'inspection au ministère de la justice ; les interceptions judiciaires et la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) ; la prise en charge et le suivi, par l'administration pénitentiaire, des majeurs condamnés ; et enfin la gestion des personnels pénitentiaires.

Nous attachons dans cette commission, Mesdames les directrices, une grande importance au bon fonctionnement budgétaire des missions qui relèvent des responsabilités régaliennes de l'État. C'est une priorité absolue que de veiller à la meilleure utilisation possible des crédits publics avec l'idée de dépenser moins, ou autant mais en dépensant mieux, tout en restant particulièrement attentif au respect des besoins financiers des missions régaliennes de l'État.

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Marielle Thuau, directrice des services judiciaires

Monsieur le président je vous remercie beaucoup de donner l'occasion au service judiciaire de pouvoir présenter le bilan de l'année 2015. Cet échange me semble très important au regard tant des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) mais aussi au regard d'un nécessaire dialogue constructif pour qu'ensuite les projets de loi puissent se traduire dans la réalité.

À titre introductif, je voudrais tout d'abord dire que la justice se modernise – phrase qui peut sembler banale mais qui ne l'est pas – que ce soit par le vote du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle ou grâce aux multiples mesures mises en oeuvre ces dernières années qui se traduisent dans la gestion et les résultats budgétaires. Cependant, la justice est confrontée à une réalité, celle de moyens limités et de difficultés sur lesquelles le garde des sceaux s'est déjà exprimé.

La modernisation de la justice s'observe d'abord pour les frais de justice. Ceux-ci constituant une réelle difficulté, nous avons mis en place un système informatique, Chorus portail pro, pour permettre leur gestion totalement dématérialisée. Le prestataire de frais de justice va pouvoir saisir sa prestation sur le portail. Sa demande sera traitée de manière totalement dématérialisée par le tribunal qui va apprécier la réalité du service fait et valider la demande de paiement. Ensuite, elle est transmise toujours de manière dématérialisée au service administratif régional (SAR) qui va effectuer des contrôles avant de l'adresser à la direction générale des finances publiques (DGFiP), qui va effectuer le paiement. La mise en oeuvre de ce portail a été précédée d'une expérimentation en 2014 qui s'est terminée en 2015. Les derniers rapports ont souligné le progrès représenté pour les prestataires et l'amélioration des délais de traitement. Il s'agit d'une avancée importante, effectivement en termes d'amélioration du service rendu aux prestataires et indirectement aux justiciables mais aussi en termes de pilotage de la dépense car ce portail nous permet au niveau central et régional d'avoir une visibilité sur la dépense par prestataire et par type de dépense. Dans le même temps, au cours de l'année 2015, il a été constaté une baisse des charges à payer, qui sont passées de 156,8 millions en 2014 à 133,6 millions en 2015, hors frais de justice pour le terrorisme, soit 7 millions d'euros affectés fin 2015.

Nous disposons aussi désormais d'un service de l'administration centrale qui est consacré à l'aide à la décision. Pour la désignation d'un expert dans l'accident de la Germanwings par exemple, le service central s'est déplacé pour aider les magistrats concernés à déterminer quel était le bon niveau de l'expertise et sa bonne définition, pour trouver l'expert le mieux adapté et au meilleur coût. Cela manifeste notre volonté d'encadrer les frais de justice non pas pour limiter les investigations mais pour que ces actes aient un coût qui reste contenu.

Nous avons, en parallèle, la volonté d'améliorer les conditions de travail des personnels. En 2015, a eu lieu la réforme du statut des greffiers et des directeurs des services de greffe. Cette réforme a eu deux objectifs : d'une part recentrer les directeurs de service de greffe sur des fonctions d'encadrement et leur donner des missions à la hauteur de leur recrutement et de leur niveau de formation et, d'autre part, recentrer les greffiers sur les missions d'assistance aux magistrats et de garants de la procédure. Cette réforme a été opérée dans le cadre d'un dialogue social constructif avec les organisations syndicales et a abouti en octobre 2015.

Les événements de janvier 2015 ont conduit à l'adoption d'un plan de lutte anti-terroriste (PLAT) qui a été décidé par le Premier ministre. Les moyens alloués dans ce cadre ont été consacrés d'une part à la juridiction parisienne qui traite des affaires de terrorisme pour augmenter ses moyens et, d'autre part, à la sécurisation des juridictions pour les justiciables et le personnel par la mise en place de systèmes de vidéosurveillance, de gardiennage ainsi que de contrôles d'accès. Tout ceci entraîne des charges nouvelles pour les juridictions.

Nous observons sur les trois dernières années une pression importante sur le fonctionnement des juridictions. Les crédits consacrés au fonctionnement courant n'ont pas connu d'augmentation en 2015 alors que les personnels doivent faire face à des charges supplémentaires en termes de contentieux et que des personnels supplémentaires ont dû être affectés au titre du PLAT à Paris. Ceci s'est traduit mécaniquement par une augmentation des frais de fonctionnement courant de 17 % à la fin de l'année 2015. Les budgets de fonctionnement baissent en exécution depuis 2012 notamment en raison des charges de l'occupant qui sont importantes. Nous avons un parc immobilier vieillissant qui ne répond pas aux normes et pour lequel il est difficile de concilier la nécessaire ouverture au public et les obligations de sécurité. Ceci se traduit par des contrats multi-techniques de maintenance et d'entretien faisant appel à des sociétés spécialisées qui pèsent sur les budgets de fonctionnement des juridictions. Ceci explique aussi la sensation de dégradation des conditions de travail exprimée par les magistrats et reprise par le garde des sceaux.

Nous assistons pourtant à une augmentation du nombre de magistrats dans les juridictions. Depuis 2015, nous avons 29 magistrats en plus. Ceci peut paraître surprenant quand on lit qu'il manque 1 000 magistrats, mais cela vient du fait qu'on ne compare pas ce qui est comparable. Il y a aujourd'hui 500 auditeurs de justice en formation à l'École nationale de la magistrature et leur comptabilisation ou non dans le nombre de magistrats effectif crée une différence importante. De même, les magistrats à titre temporaire et les juges de proximité sont comptés dans les équivalents temps plein (ETP) ou dans les équivalents temps plein travaillé (ETPT) mais pour autant ne sont pas des magistrats professionnels. Ils sont plus de 300 et si on les additionne aux 500 auditeurs de justice et à la vacance dite « frictionnelle » qui est d'environ 3 %, nous arrivons à ce chiffre de 1 000 magistrats. La réalité est qu'il y a plus de magistrats qui sont en activité aujourd'hui. Pour la première fois depuis 2015 le solde est positif : il y a plus de magistrats qui sont entrés que de magistrats qui sont partis à la retraite, chiffre qui avoisine les 300 et est à peu près constant. Enfin, je rappelle qu'il faut trente-et-un mois pour former un juge et que le concours de 2013 est le premier concours qui a permis de recruter en masse des auditeurs. De 2009 à 2011, entre 135 et 150 postes étaient offerts lors des concours, ce qui était notoirement insuffisant pour faire face ne serait-ce qu'aux renouvellements des départs à la retraite. Le nombre de places du concours de juin 2012 était en augmentation par rapport à ce qui avait été prévu précédemment mais les instituts d'études judiciaires (IEJ) et les étudiants n'étant pas au courant de cette augmentation des postes, il n'y a pas eu autant d'inscriptions que nous l'aurions souhaité. Pour ne pas descendre en dessous d'un certain niveau, il n'y a donc pas eu de recrutement à hauteur des postes proposés. C'est seulement à partir du concours de 2013 que des recrutements plus importants ont été effectifs. En septembre 2015, pour la première fois, la promotion nous a permis de passer le cap du solde positif et fin 2017 cela sera également le cas.

Je précise que pour les magistrats, le nombre de postes vacants est relatif puisqu'il est mesuré par rapport à ce qui est nécessaire dans une juridiction pour faire face à un contentieux particulier dont nous ne sommes pas maîtres des évolutions. La loi de modernisation de la justice va nous permettre, je l'espère, de déjudiciariser des procédures mais pour l'instant nous allons plutôt vers une demande de justice plus importante, avec des audiences qui sont plus longues, plus d'experts et de témoins, ce qui alourdit mécaniquement la charge de travail. Cela se traduit dans nos indicateurs de performance, qui ont tendance à se détériorer en termes de délai de traitement et de stock. C'est la raison pour laquelle il nous faut poursuivre ces recrutements.

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Isabelle Gorce, directrice de l'administration pénitentiaire

À titre liminaire, il est important de rappeler que l'administration pénitentiaire est une administration dont les moyens de fonctionnement et la masse salariale croissent considérablement depuis plusieurs années. Entre 2012 et 2016, la masse salariale (titre 2) a, en effet, augmenté de 17 % et hors titre 2, les crédits ont crû de 16 %. Au total, les moyens dont bénéficie l'administration pénitentiaire ont connu une hausse de 17 % depuis 2012. Pour l'année 2015, entre les créations opérées en loi de finances, les plans de lutte contre le terrorisme et le transfert d'emplois du ministère de l'intérieur vers le ministère de la justice pour effectuer les extractions judiciaires, l'administration pénitentiaire a obtenu 1 171 créations d'emplois. Elle a procédé à 2 058 recrutements dont 1 555 surveillants et 344 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP). Il s'agit de recrutements considérables qui mettent sous tension l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP).

Toutefois, concernant les emplois de surveillant, alors que nous attendions un recrutement de 717 surveillants, seules 426 créations d'emplois ont été effectives, auxquels s'ajoutent les transferts d'emplois, ce qui fait que nous n'atteignons pas le plafond d'emplois fixé en loi de finances. En effet, les départs chez les personnels de surveillance sont très importants. Nous sommes capables d'évaluer et de prédire de façon relativement exacte les départs à la retraite. En revanche, il nous est plus difficile d'évaluer les départs liés à des démissions, à des détachements auprès d'autres administrations ou à une promotion interne qui est extrêmement dynamique au sein de l'administration pénitentiaire. Ainsi, beaucoup de surveillants passent et réussissent le concours de CPIP. De fait, les départs, soit en cours de scolarité soit à la toute fin de la scolarité, sont très importants, de l'ordre de 8 à 10 %.

À ce phénomène, s'ajoute le manque d'attractivité du métier de surveillant qui crée une vraie difficulté pour l'administration pénitentiaire, à un moment où l'ensemble des forces de sécurité recrutent massivement des personnels. L'administration pénitentiaire n'est pas celle qui attire au premier chef de jeunes recrues. La moyenne d'âge des élèves de l'École est d'ailleurs de 29 ans : on devient surveillant plutôt dans une seconde partie de carrière, après avoir connu une expérience professionnelle dans le privé et, souvent, une période de chômage.

Nous avons souhaité engager une réflexion de fond sur ce problème dans le cadre de la sortie de crise du conflit social qui a eu lieu à l'automne et l'hiver 2015. Nous avons créé une prime de fidélisation, à l'instar de ce qui se fait dans la police nationale, qui vise à stabiliser des jeunes surveillants dans leur premier emploi, notamment dans les établissements pénitentiaires peu attractifs qui connaissent d'importantes vacances d'emplois. Cette prime est en cours d'élaboration avec la direction générale de l'administration et de la fonction publique. Le dispositif devrait permettre à la fois de reprendre le stock des agents qui ont été affectés dans des établissements à faible attractivité et de faire bénéficier les nouveaux agents qui arriveront dans ces établissements, à partir de 2017, d'un système favorisant leur stabilité pendant cinq ans sur le premier poste.

Nous avons souhaité également réfléchir sur la régionalisation des concours, qui serait un moyen efficace de recruter des surveillants dans des régions où cela est difficile : en région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), dans la région lyonnaise et en région parisienne. Cette régionalisation est cependant difficile à faire accepter aux organisations professionnelles, qui y voient un frein à la mobilité et le risque pour les titulaires de manquer de possibilités de changer d'affectation en cours de carrière. Les discussions ne sont pas encore parvenues à leur terme.

Les enjeux de recrutement sont donc très importants pour l'administration pénitentiaire. Il est prévu en 2016 de procéder à 2 160 recrutements. Je rappelle que l'administration pénitentiaire dispose d'une seule et unique école qui forme la totalité de ses agents. L'école sera encore davantage mise sous tension au cours des années à venir car les générations « Chalandon », c'est-à-dire les générations de surveillants qui ont été recrutés massivement au début des années 1990, commenceront à partir à la retraite dès 2020. Ceci pose la question de la capacité de l'École – telle qu'elle est aujourd'hui calibrée – à former tous ces nouveaux surveillants.

Nous connaissons un taux de vacance d'emplois dans l'administration pénitentiaire qui reste très élevé et que nous essayons de combler. Au 6 juin 2016, le nombre de vacances parmi les surveillants était de 1 419, ce qui est très important. Le taux de couverture global, qui est de 94 %, peut paraître élevé mais dans un établissement pénitentiaire dans lequel le travail est posté, il est extrêmement important de saturer les emplois pour que l'ensemble des postes soit couvert. Nous avons connu des pics de vacance comme en mai 2016, de 1 800 emplois, ce qui met évidemment les établissements en grande difficulté. Grâce aux recrutements de 2015 et de 2016, nous souhaitons faire baisser le nombre de vacances aux alentours de 1 000 début 2017 et aux alentours de 300 début 2018. Non seulement il faut que nous parvenions à recruter massivement des personnels de surveillance en disposant d'un dispositif attractif, mais nous devons également parvenir à former l'ensemble de ces agents et fiabiliser le système en les sédentarisant le plus longtemps possible sur leur premier poste.

Concernant le fonctionnement des établissements, l'exécution 2015 en crédits de paiement s'est élevée à 1,217 milliard d'euros, ce qui représente la totalité des crédits arbitrés dans le schéma de fin de gestion, soit un taux de consommation de 100 % des crédits disponibles. Les premiers postes de dépenses concernent la gestion déléguée et les contrats de partenariat public-privé (PPP), puis viennent l'immobilier, la gestion publique et enfin, la santé des personnes. Ce dernier poste représente 37 millions d'euros de dépenses dans les services déconcentrés et 95 millions d'euros de cotisations, ce qui est considérable.

Les faits marquants de la gestion en 2015 sont liés d'abord à une baisse de 2 % des charges à payer par rapport à 2014. Cette baisse, hors dépenses de santé, est de 15 %. Les dépenses de santé ont quant à elles connu une augmentation très importante de 31 % entre 2014 et 2015. Plusieurs facteurs expliquent la progression des dépenses : outre les annulations intervenues dès la discussion du projet de loi de finances, le programme 107 a subi plusieurs annulations de crédits en cours de gestion pour un montant de plus de 79 millions d'euros, alors que des besoins nouveaux ont impacté la gestion. Au 31 décembre 2015, plusieurs marchés de gestion déléguée sont arrivés à échéance et ont été renouvelés dans le cadre des marchés publics d'exploitation-maintenance et de services à la personne des établissements pénitentiaires (MGD-2015). Ce nouveau marché a été notifié en septembre 2015 afin de préparer son démarrage en septembre 2016 et l'avance prévue aux marchés a été payée en quasi-totalité en 2015, soit un montant de 8 millions d'euros.

La rigidité de certains déterminants de l'administration pénitentiaire (les taux d'indexation en application de dispositions contractuelles, les taux d'occupation des établissements…) explique l'évolution de ces dépenses de plus de 15 millions d'euros par rapport à 2014.

En 2015, quatre structures pénitentiaires ont été mises en service : la maison centrale de Vendin-le-Vieil, le centre de semi-liberté de Paris-La Santé, qui est passé en contrat de partenariat public-privé, et les centres pénitentiaires de Beauvais et Valence. L'administration pénitentiaire a, en outre, pris possession du centre pénitentiaire de Riom.

La mise en oeuvre de la loi du 15 août 2014 a entraîné de nombreux déménagements ou redimensionnements des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) afin de permettre l'accueil de 1 000 agents sur la période 2015-2017, soit une augmentation de 20 % de ces services. Ce cycle de déménagements n'est pas encore terminé. Nous avions obtenu environ 2 millions d'euros à cet effet ; la dépense s'est finalement élevée à 17 millions d'euros pour 2015 pour permettre d'installer ces agents dans des conditions de travail satisfaisantes.

S'agissant du service de santé déconcentrée, la mise en place du nouveau circuit de facturation centralisé entre la direction de l'administration pénitentiaire, la direction de la sécurité sociale et la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a nécessité d'engager l'apurement de la dette sanitaire de l'administration pénitentiaire en recensant les factures de santé. Un effort significatif a été réalisé pour honorer leur paiement. La dépense de santé déconcentrée et celle due à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) s'élèvent ainsi à 133 millions d'euros contre 129 millions d'euros prévus en loi de finances initiale en 2015 et 127,3 millions d'euros en 2014. Faute de crédits de paiement pour honorer les factures, les restes à payer ont augmenté de façon conséquente de 31 % par rapport à 2014, pour atteindre 38,5 millions d'euros.

Enfin, l'investissement immobilier, hors contrats de partenariat public-privé, a lui aussi progressé, malgré un schéma de fin de gestion comportant des annulations et des reports de crédits de paiement. Sur les opérations menées par l'agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ), la dépense s'élève à 192 millions d'euros, portant principalement sur les opérations du centre pénitentiaire des Baumettes (55 millions d'euros), du centre de Fleury-Mérogis (40 millions d'euros), du centre pénitentiaire de Papéari (37 millions d'euros) et du centre pénitentiaire de Draguignan (24 millions d'euros). La dépense des services déconcentrés a été de 104 millions d'euros, dont 14 millions mobilisés dans le cadre du plan de lutte anti-terroriste (PLAT), avec l'aménagement des unités dédiées mais surtout la mise en oeuvre des mesures de sécurisation afin d'éviter l'introduction de moyens de communication illicites, l'installation des filets anti-projections ainsi que l'amélioration des conditions de détention. Nous avons ainsi supprimé des dortoirs dans les établissements d'Angoulême et de Draguignan. La consommation de l'ensemble du budget opérationnel du programme immobilier est en progression de 13,5 %, soit plus de 35 millions d'euros.

Enfin, l'année 2015 a été marquée par l'effort national de lutte contre le terrorisme auquel l'administration pénitentiaire a pris part, en dépit d'une mise à disposition tardive des crédits ouverts par le décret d'avance du 9 avril 2015. Le taux d'exécution des crédits s'élève à 92 % en crédits de paiement, témoignant ainsi de la forte mobilisation des personnels et de la nécessaire couverture des besoins déjà identifiés. Les dépenses en matière immobilière ont été exécutées à 100 % : il s'agit de l'équipement des unités dédiées mais aussi d'autres dépenses de sécurisation des établissements pénitentiaires. La gestion publique implique essentiellement des dépenses de réinsertion avec le financement de nombreux programmes de prise en charge ainsi que des activités dans les établissements pénitentiaires, à hauteur de 9,7 millions d'euros, qui ont été exécutées à 83 %.

L'ENAP a été renforcée en raison de l'effort considérable qui lui a été demandé, en termes de formation de l'ensemble des jeunes agents et de formation continue sur le processus de radicalisation, avec notamment les enjeux de sa détection.

Enfin, nous avons financé une importante campagne de communication pour recruter des personnels de surveillance – vous avez sans doute pu voir des affiches sur les autobus ainsi que la campagne télévisuelle qui a été lancée et qui est la même que celle de l'année dernière.

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Je voudrais tout d'abord rendre hommage aux personnels de justice, qui, comme vous l'avez souligné, doivent s'adapter constamment à des procédures et à des actions nouvelles, ainsi qu'aux personnels pénitentiaires, à qui l'on demande d'accueillir 68 000 détenus dans 57 000 places, ce qui, bien évidemment, s'avère difficile.

Je poserai plusieurs questions. La première porte sur l'informatique. D'une part, les programmes informatiques sont multiples, et ne sont pas toujours reliés entre eux. Le programme judiciaire Cassiopée n'est pas relié au système de traitement des procédures policières, ce qui oblige les agents de police à scanner chaque document pour les envoyer à la justice. Le programme Cassiopée n'est pas non plus relié au nouveau programme de gestion des détenus Genesis, qui n'est quant à lui pas connecté au programme informatique des services des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), ce qui entraîne des ruptures dans la dématérialisation. D'autre part, quand je me suis rendu avec mon homologue de la commission des lois du Sénat, M. Philippe Bas, au tribunal de grande instance de Créteil, la procureure de la République et le président du tribunal nous ont expliqué qu'un tribunal de cette taille ne disposait pas d'un informaticien capable d'assurer la maintenance des outils informatiques, ce qui est regrettable.

En ce qui concerne l'administration pénitentiaire, à propos des programmes de construction, peut-on comparer le coût, rapporté à une place de prison par exemple, des projets prenant la forme de partenariats public-privé et celui des autres projets en administration directe ? De même, est-il économiquement efficace de recourir à la gestion déléguée ?

Mon troisième point porte sur les programmes prévus pour l'extraction des détenus. Le transfert a été difficilement mis en place, car les négociations entre les ministères de l'intérieur et de la justice se sont, dans un premier temps, faites au détriment de la justice pénitentiaire. Aujourd'hui, près de 1 600 agents sont affectés à l'extraction des détenus, afin de les présenter dans les tribunaux. Des difficultés persistent, et les services judiciaires sont appelés à réquisitionner des policiers et des gendarmes, qui sont parfois réticents.

Je souhaite également aborder la question des places inoccupées en prison. Selon les estimations transmises à notre commission par un criminologue avec qui nous travaillons souvent, entre 2 500 et 4 500 places seraient inoccupées. Certes, toutes les places inoccupées ne peuvent l'être, notamment parce que certaines d'entre elles sont spécifiques à un public particulier – détenus mineurs, femmes, places en centrale, par exemple. Néanmoins, comment pourrait-on optimiser le taux d'occupation des places disponibles ?

Enfin, je me suis récemment rendu à Bois-d'Arcy. L'administration et les syndicats ont souligné que les nouveaux personnels veulent quitter la région parisienne en raison du coût des logements. Serait-il possible de disposer de conventions pour bénéficier de logements moins cher dans les régions dans lesquelles celui-ci est un obstacle à l'implantation de jeunes fonctionnaires ?

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Je vous remercie, Mesdames les directrices, pour vos présentations. Mon intervention sera complémentaire de celle de M. le président Raimbourg. Le manque de moyens de la justice française est flagrant. Cela se retrouve particulièrement dans quatre secteurs : la masse salariale insuffisante au regard des plafonds d'emplois ; les frais de justice et de fonctionnement pour lesquels les charges à payer ne sont plus sérieusement recensées ; les dépenses d'investissement sacrifiées pour assurer les autres postes de dépenses ; les dépenses d'aide juridictionnelles financées par des expédients, ce que le garde des sceaux rappelait dans une interview en date du 3 avril dernier. En tant que commissaire aux finances, je relève notamment que ce dernier avait alors souligné que la seule loi importante pour son ministère était la loi de finances !

Vous êtes toutes deux responsables de programme. J'ai eu l'occasion de l'être par le passé. La LOLF avait conçu le rôle du responsable de programme comme un acteur de terrain de la nouvelle action publique, comme le rappelait également le décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique. Le responsable de programme est ainsi chargé de l'élaboration et la mise en oeuvre du programme, et à ce titre, il élabore la stratégie et le budget, il organise le dialogue de gestion, le pilotage du programme, et en présente les résultats. Néanmoins, pour qu'un gestionnaire de programme remplisse efficacement sa fonction, il faut que les moyens disponibles soient à la hauteur des objectifs fixés. Or, j'ai le sentiment qu'on vous impose une sorte d'« injonction paradoxale », en vous demandant d'atteindre des objectifs ambitieux mais en décalage par rapport à la faiblesse des moyens alloués. En France, la justice coûte 61 euros par an et par citoyen, contre 114 euros en Allemagne. Un parquetier français traite 2 500 procédures par an, là où la moyenne européenne est de 615. Avec un budget aussi contraint, quel est le rôle d'un responsable de programme ? Quelles sont vos marges de manoeuvre ?

Je souhaite également évoquer la question des investissements pénitentiaires. Les investissements immobiliers en particulier sont sacrifiés pour parer au plus pressé, c'est-à-dire au fonctionnement courant. Cela n'arrange pas la situation sur la durée. Sur les quatre dernières années, de 2012 à 2015, les annulations de crédits hors titre 2 sur le budget de l'administration pénitentiaire se sont élevées à 915 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 245 millions de crédits de paiement (CP). La Cour des comptes avait observé que « les annulations et les redéploiements de crédits du titre 5 au profit des dépenses de fonctionnement manifestent un renoncement aux projets à moyen et long terme, au profit de préoccupations de gestion plus immédiates. La Cour estime que le ministère de la justice ne peut durablement sacrifier les crédits d'investissement sans compromettre à terme la mise en oeuvre de ses missions. » Quel regard portez-vous sur cette question, qui rejoint celle concernant la gestion des programmes ? Est-il pertinent de mobiliser les dotations d'investissement pour financer les dépenses de fonctionnement ? Ces errements semblent continuer, puisque le décret d'avance du 2 juin 2016, dont nous avons parlé récemment, procède à 50 millions d'euros d'annulations sur le budget de la justice, dont 30 millions d'annulations de crédits d'investissement et de fonctionnement sur le budget de l'administration pénitentiaire.

La capacité réelle des établissements pénitentiaires, qui est passée de 48 021 places au 1er janvier 2002 à 57 236 au 1er janvier 2012, stagne depuis cette date. Le nombre de places n'augmente plus alors que la contrainte pénale, qui était la mesure phare mise en place par Madame Taubira, est un échec et que le nombre de détenus n'a jamais été aussi élevé dans les prisons françaises. Il est de 68 000 personnes incarcérées au 1er janvier 2016, record historique. En 2012, il y avait 64 700 détenus, soit près de 4 000 détenus de moins qu'aujourd'hui.

Sur la question des frais de justice et de fonctionnement, certaines charges réelles sont en augmentation, mais ne sont pas comptabilisées. Le contrôle de l'exécution budgétaire sur l'année 2014 avait déjà réservé des surprises, puisque les frais de justice s'étaient avérés être plus importants que prévus. Le Gouvernement a-t-il l'intention de doter la justice judiciaire de moyens de fonctionnement adéquats ? Mon prédécesseur aux fonctions de rapporteur spécial du budget de la justice soulignait qu'il était important de d'inciter le développement de mécanismes assurantiels, afin de limiter le recours à l'aide juridictionnelle.

J'en viens à l'exécution du budget 2015. Lors de l'examen de la programmation initiale en janvier 2016, le contrôleur budgétaire et comptable ministériel – le CBCM – avait émis un certain nombre de réserves. Quelle est votre avis sur ces réserves ? Pourriez-vous également faire le point sur l'état le plus récent de l'exécution, établi lors de la revue de printemps, qui vient d'avoir lieu ? Considérez-vous que les crédits sont suffisants, ou conviendrait-il de recourir à des mesures de dégel ? Des projets sont-ils actuellement en cours à cet égard ?

Enfin, dans sa note d'exécution budgétaire pour 2015, la Cour des comptes critique l'augmentation des reports de gestion sur l'exercice suivant. Ces reports sont passés de 16 millions d'euros en 2013, à 48 millions d'euros en 2014. En 2015, les reports de crédits vers 2016 atteignent 54 millions d'euros. Il s'agit pourtant d'un artifice. Où en est-on actuellement ? Ces reports de charges ne risquent-ils pas de dégrader l'exécution budgétaire ?

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Je souhaite réagir sur la question des charges de l'occupant. L'immobilier est rarement aux normes, et je suis frappé par l'indigence qui frappe certains tribunaux, mais ce sont surtout les moyens de personnel qui semblent manquer. J'ai le sentiment que ceux-ci sont actuellement concentrés, aujourd'hui sur l'île de la Cité, éventuellement, demain aux Batignolles, c'est-à-dire sur le Palais de justice de Paris. Certes, des mesures ont certes été prises, et les greffiers sont aujourd'hui plus nombreux mais cela reste insuffisant.

J'ai reçu, hier, certaines personnes qui ont souligné que les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation se sentaient délaissés : je me permets de vous faire passer ce message. Dans le même temps, je me suis intéressé à la structure de l'emploi au sein de l'administration pénitentiaire : cette structure est-elle adaptée aux besoins et aux missions actuels ? La mobilité, interne comme externe, est très importante : pourquoi ne pas prendre cette possibilité en compte dans l'organisation de l'administration pénitentiaire ?

Sur la question des déménagements, avez-vous tiré des enseignements de la réorganisation de la carte des tribunaux ? Nous entendons sur ce point des témoignages divergents et, si, pour certains, ce processus a occasionné des coûts de déménagement et de mise aux normes importants, d'autres, au contraire, soulignent que cette réorganisation a permis des économies.

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La justice n'était pas une priorité lors du précédent quinquennat. Même si le Gouvernement actuel en a fait une priorité, les choses vont lentement car il est difficile de revenir en seulement trois ans à une situation satisfaisante. Je souhaite toutefois attirer votre attention sur ce que l'on appelle les « petites cours d'appel », qui sont en extrême difficulté lorsqu'il y a des vacances de postes. Élu de Bourges, je suis avec attention la situation de sa cour d'appel. Je sais combien une vacance peut désorganiser une juridiction. Je ne méconnais pas les problèmes auxquels font face les « gros paquebots » comme les tribunaux de Créteil, ou ceux de Seine-Saint-Denis, mais dans les territoires dits « ruraux », le manque d'un magistrat du parquet ou du siège est une vraie catastrophe.

Mon deuxième point concerne le recrutement des magistrats. Où en êtes-vous dans votre politique de diversification des profils pour l'accès à la magistrature ? Il est bien entendu impératif de s'assurer de la qualité des magistrats, mais il me semble néanmoins important que l'on puisse ouvrir plus rapidement des voies de recrutement alternatives afin de permettre à d'autres fonctionnaires ou à des avocats, par exemple, d'accéder rapidement à la profession.

Enfin, avez-vous engagé des réflexions sur des politiques de simplification ? Je vous donne un exemple : des personnes qui bénéficient de l'aide juridictionnelle pour plusieurs affaires distinctes dans lesquelles elles sont parties doivent remplir autant de dossiers que d'affaires. Une personne peut, par exemple, être partie à une affaire relevant du tribunal correctionnel, tout en étant en instance de divorce, avoir des problèmes de surendettement au même moment et devoir faire face à un litige concernant la garde de ses enfants. Elle devra déposer quatre dossiers pour bénéficier de l'aide juridictionnelle et on lui demandera les mêmes documents quatre fois. Ce type de situation, sur lequel j'avais déjà attiré l'attention en 2013, surcharge les greffes. La simplification des procédures permettant d'accéder à l'aide juridictionnelle permettrait à la justice de gagner beaucoup de temps.

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Vous avez fait état de la difficulté de recruter des surveillants en évoquant le manque d'attractivité de la profession. Vous travaillez donc sur la solution que constituerait une prime de fidélisation. Je trouve que vous l'avez présentée sans grand engouement. On peut effectivement se poser la question de savoir si le problème est uniquement financier, et s'il n‘y a pas d'autres leviers à utiliser pour rendre plus attractif ce métier.

Par ailleurs est-ce que des formations à destination des surveillants ont été mises en place pour qu'ils détectent les phénomènes de radicalisation dans les prisons ? Est-ce qu'il est tenu compte des nouveaux risques qui sont apparus ?

Enfin, mon dernier point concerne la modernisation du système judiciaire. Je voudrais savoir si les dispositifs de visioconférence se développent. Permettent-ils d'accélérer les procédures judiciaires, notamment dans les territoires ultramarins ? Je crois savoir que ces méthodes ne peuvent être utilisées qu'avec l'assentiment des détenus à leur utilisation. Dispose-t-on d'éléments chiffrés pour apprécier le recours à la visioconférence lorsqu'elle est techniquement possible ?

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Je souhaiterais évoquer deux problèmes. La réponse au premier est délicate. Il s'agit de la question de la mixité des recrutements à l'École nationale de la magistrature (ENM), aujourd'hui très féminisée. Les femmes représentent 85 % des entrées dans les tribunaux d'instance. Je ne remets pas en cause la qualité de leur travail, mais je pense qu'il y a là un problème.

Ma seconde observation fait écho au problème soulevé par le président de la commission des lois s'agissant des difficultés pour affecter des juges en région parisienne, du fait des coûts de l'immobilier. Je trouve que l'on a manqué certaines occasions, notamment lors de la réduction du format des armées en 2010-2011. J'ai à l'esprit un cas précis. Le ministère de la justice avait identifié un ancien terrain d'artillerie de 53 hectares près de Limoges qui aurait parfaitement pu accueillir un centre de détention de bonne qualité. Hélas, une intervention politique relayée par un autre ministre de ce gouvernement a annulé l'opération. C'est un grand gâchis, car les conditions de détention auraient été bonnes et les surveillants auraient pu vivre dans une région où le coût de l'immobilier n'est pas prohibitif.

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J'aurais trois autres interrogations. Les moyens supplémentaires dévolus pour faire face au risque de terrorisme vont-ils être pérennisés dans le champ de la mission Justice. Comment envisagez-vous cette évolution ?

Vous avez par ailleurs dessiné, de façon engageante, des perspectives de modernisation de la justice. Vous avez toutefois donné les chiffres des frais de justice – 256 millions d'euros en 2014 et 133 millions d'euros en 2015 – qui posent question quant à l'existence d'une marge de manoeuvre pour mener ces projets.

Enfin, je voudrais savoir s'il est envisagé de créer une autre école pour diversifier la formation ou si l'on va continuer à comprimer les nouveaux recrutements dans la même structure.

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Marielle Thuau, directrice des services judiciaires

Toutes ces questions sont très pertinentes et font écho à nombre de nos préoccupations.

Avant de répondre aux questions, je voudrais faire état de certains éléments rassurants. Le garde des sceaux est très impliqué, vous l'avez vu vous-mêmes à l'Assemblée nationale, sur le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle et sur le projet de loi organique. Ces deux textes sont fondateurs pour notre administration, car ils emportent d'importantes rénovations du système judiciaire, que ce soit les services d'accueil unique du justiciable, les dispositions pour faciliter l'accès au corps des magistrats ou celles relatives à la déjudiciarisation. L'ensemble du ministère partage les objectifs portés par ces projets de loi.

Vous m'avez interrogée au sujet des systèmes d'information. Aujourd'hui, les échanges implicatifs sont possibles et de manière généralisée. Ils existent localement : de très nombreux tribunaux ont passé des accords avec des commissariats ou des services de gendarmerie. Une convention nationale qui permettra une déclinaison homogène et rationnelle sur l'ensemble du territoire doit encore être finalisée. Nous travaillons sur ce dossier, mais il faut noter que l'application Cassiopée rend d'ores et déjà possible ce type d'échanges.

Les difficultés liées à la maintenance des systèmes d'information restent cependant réelles. Il y a environ cinq ans, la mise en place du secrétariat général du ministère de la justice a été propice à la mutualisation d'un certain nombre de services, dont les services informatiques, par la création de plateformes interrégionales qui réunissent en un même lieu des services à la disposition de l'administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse et des services judiciaires. Nous constatons une demande récurrente de la part des juridictions, et en particulier des cours d'appel, de voir se rapprocher les personnels des plateformes des juridictions. Je souhaite développer, durant le second semestre 2016, un projet de professionnalisation et de rationalisation du réseau des correspondants informatiques. Il existe en effet au sein des services judiciaires, comme d'ailleurs dans de nombreuses autres administrations, des personnels – des personnels de greffe la plupart du temps – qui ont eu une formation pour être des dépanneurs de premier niveau. Nous devons travailler à leur professionnalisation en les formant et en créant un réseau, pour qu'ils puissent accomplir de la meilleure façon ces missions qui ne relèvent pas forcément d'un technicien qualifié, localisé parfois à quarante ou cinquante kilomètres du lieu d'intervention.

S'agissant du rôle de responsable de programme, la question est importante et complexe et vous me pardonnerez la rapidité de ma réponse. Je pense d'abord être une directrice de réseau, le réseau des services judiciaires. Mon objectif est d'améliorer le service public de la justice, pour que le service rendu au justiciable soit de meilleure qualité et que, par là même, les personnels judiciaires travaillent dans les meilleures conditions. Dans ce cadre-là, je trouve des marges de manoeuvre. Il s'agit d'améliorer les process et l'adéquation des dépenses aux besoins et de professionnaliser les filières. Nous disposons d'indicateurs et de moyens dans un contexte budgétaire, certes, contraint, mais dans lequel il existe des marges de manoeuvre. Nous souhaitons que la situation budgétaire de notre administration continue à s'améliorer et, à cet égard, les déclarations du Premier ministre hier – que le sous-directeur du budget a entendu, à n'en pas douter – sont de nature à rassurer.

Vous avez évoqué les perspectives pour l'année à venir. En 2016, nous avons bénéficié de moyens supplémentaires pour les frais de justice, à hauteur de 54 millions d'euros, au titre du plan de lutte contre le terrorisme. Nous avons fléché ces moyens principalement vers l'apurement des charges à payer – ce qui me permet de répondre à une autre question – et donc faire en sorte de retrouver des marges de manoeuvre. Grâce à ces moyens supplémentaires, nous pouvons mieux prioriser les dépenses courantes et faire en sorte d'avoir une exécution plus fluide.

J'en viens maintenant à la question des réserves émises par le CBCM dans son avis. Ses principales réserves concernaient l'exécution et la soutenabilité budgétaire. Nous avons eu une première réponse, puisque nous avons obtenu un dégel très anticipé des moyens il y a trois semaines. Nous avons obtenu 107 millions d'euros en faveur de la justice judiciaire, consacrés pour partie à l'informatique – une vingtaine de millions d'euros – et, pour le reste, aux frais de justice et au fonctionnement courant. Là encore, nous avons donné des directives aux juridictions pour que ces crédits soient principalement consacrés à l'apurement des factures accumulées, afin que le budget de l'année 2017 ne soit pas contraint par des reports de charges de l'année 2016. En effet, nous avons non seulement des moyens trop contraints, mais de surcroît, ils sont en permanence consacrés aux charges qui restent à payer au titre des exercices précédents.

Concernant la trop grande concentration des moyens à Paris et le manque de personnel dans les plus petites juridictions, nous avons à coeur de répartir les moyens de manière équitable. Le tribunal de grande instance de Paris concentrant les moyens de lutte contre le terrorisme, des ETP y ont été créés mais une politique de renforcement des moyens alloués aux juridictions a également été menée car la lutte contre le terrorisme ne se limite pas à l'examen de ces dossiers liés au terrorisme mais relève de l'ensemble de la chaîne pénale, à l'image d'un juge des enfants, qui peut avoir à traiter d'un dossier en lien avec la lutte contre la radicalisation. Ainsi, nous avons obtenu 1 075 ETP supplémentaires, mais aussi et surtout un budget pour chacun d'entre eux. Nous avons appelé cela le « sac à dos de chaque ETP », qui correspond au coût de fonctionnement d'un nouvel arrivant. Il s'agit d'un véritable avantage financier pour les juridictions, qui s'est traduit par une hausse de leurs budgets et une revalorisation des conditions de travail.

Je ne dispose pas d'un bilan de la réforme de la carte judiciaire. Néanmoins, la Cour des comptes, après publication d'un rapport sur le sujet, a conclu que le solde financier de la réforme était positif. Si l'investissement initial de 500 millions d'euros, pour faire face à cette réforme, était élevé, les économies réalisées par le regroupement des services ont permis de l'absorber. Cependant la dispersion des tribunaux de taille modeste constitue un problème important auquel nous nous heurtons toujours.

La politique de recrutement mise en oeuvre vise à développer le recrutement parallèle de magistrats : cette solution permet de ne pas saturer l'École nationale de la magistrature plus qu'elle ne l'est déjà – l'actuelle promotion contient 366 auditeurs. La première mesure a consisté à raccourcir de dix-huit à six mois la procédure de détachement judiciaire qui permet aux conseillers de chambre régionale des comptes et aux conseillers de tribunaux et de cours administratives d'appel, dans le cadre de leur mobilité obligatoire, de rejoindre les rangs des magistrats judiciaires. Ensuite, nous avons pour objectif d'augmenter le plafond des vacations pour les magistrats temporaires et réservistes afin d'augmenter leur volume de travail. Enfin, le recrutement en tant que magistrats de juristes-assistants, au bout de trois ans de contrat, va être désormais possible.

À propos de la visioconférence, tous les tribunaux en sont aujourd'hui équipés. Nous ne disposons donc plus d'indicateurs au sein de nos documents budgétaires pour évaluer l'efficacité et l'efficience de l'utilisation de cet outil. Il est vrai que son utilisation dépend de la volonté des magistrats, des justiciables mais aussi et surtout des avocats. Néanmoins pour des contentieux délicats comme ceux liés aux libertés, la pratique juridictionnelle s'oriente naturellement vers le face à face physique.

Nous disposons d'un tableau de suivi des crédits dédiés au terrorisme et nos services sont capables de restituer intégralement l'utilisation de ces crédits. Ils ont permis de concrétiser le renforcement des personnels de greffe et des magistrats, mais aussi d'améliorer l'équipement des juridictions.

Enfin, une piste d'amélioration réside dans le recrutement d'interprètes contractuels en fonction des langues dominantes dans certaines juridictions. Cette solution permettrait d'éviter la multiplication des interventions de certains interprètes et de fluidifier leurs interventions en restreignant leurs activités à une juridiction délimitée. L'expérience s'est traduite par le recrutement de 45 interprètes et sera généralisée si son efficacité est avérée.

Nous travaillons aussi sur les scellés biologiques et sur les biens saisis en lien avec l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC). En outre, nous constatons une diminution des frais de justice consacrés aux écoutes selon le rapport de la plateforme nationale des interceptions judiciaires.

Pour conclure, je dirai que nous savons contenir les dépenses, mais que l'objectif essentiel reste d'adapter les dépenses aux besoins pour qu'un magistrat, quelles que soient les missions qu'il exerce, puisse bénéficier de tous les moyens nécessaires à l'accomplissement de ces missions.

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Isabelle Gorce, directrice de l'administration pénitentiaire

Sur les questions d'informatique, l'interfaçage de Cassiopée et d'Api, est efficace ; en revanche, il n'y a pas d'interface entre Cassiopée et Genesis, mais celle-ci est en cours pour une livraison prévue à la fin de l'année 2017.

Concernant les partenariats public-privé, on peut comparer les coûts d'une journée de détention. En 2014, en gestion publique, le coût a été estimé à 101,55 euros ; en gestion déléguée à 92,20 euros ; en autorisation d'occupation temporaire-location avec option d'achat (AOT-LOA) à 127,59 euros et en partenariat public-privé à 158,28 euros. Bien évidemment, le coût d'une journée de détention financé par le partenariat public-privé intègre les coûts d'investissement, ce qui n'est pas le cas par l'intermédiaire d'une gestion publique ou déléguée. L'intérêt d'un tel partenariat réside dans la rapidité de construction de l'ouvrage et donc dans la célérité des délais de livraison. Cependant, la gestion de ce type de contrat est complexe car l'administration se trouve liée pendant une longue période à un partenaire privé envers lequel elle ne dispose que de peu de marges de manoeuvre pour faire évoluer le contrat.

À propos des pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ), je souhaiterais revenir sur les difficultés que nous rencontrons avec les juridictions et les gendarmes. Deux arbitrages successifs sont intervenus, un premier à la fin des années 2000 ayant permis le transfert de 800 emplois, puis un autre, en 2013, validant le principe du transfert total de charges entre le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice, représentant 1 200 emplois. L'administration pénitentiaire a toujours maintenu que ce transfert de 1 200 emplois pour effectuer la totalité des extractions judiciaires était insuffisant. La situation est devenue insoutenable dès la fin de l'année 2014 et le début de l'année 2015, avec en certains endroits des impossibilités de faire à hauteur de 25 %, 30 % voire 50 %.

C'est la raison pour laquelle, au moment de la discussion sur le deuxième plan de lutte contre le terrorisme, nous avons demandé la création de 450 d'emplois pour augmenter les effectifs des PREJ. Aujourd'hui, 1650 emplois sont dédiés à cette nouvelle charge mais ces effectifs servent avant tout à renforcer les services qui sont opérationnels et ensuite à préparer les prochains transferts de charges. C'est pour l'ensemble de ces raisons que la situation est extrêmement critique dans certains départements.

Nous n'avons pas de solution pour arriver à un niveau satisfaisant d'extraction judiciaire. Avec 1 650 emplois, nous aurons encore des impossibilités de faire de l'ordre de 5 à 10 %, ce qui est un taux assez élevé. Le principe de subsidiarité doit demeurer, notamment avec la gendarmerie. Si nous ne contestons pas ce transfert de charges, il pose des problèmes d'organisation.

Nous avons fait le choix d'un regroupement des équipes pour constituer des forces importantes plutôt que d'une dissémination auprès des juridictions, mais ce choix a pour conséquence des temps de transport et des temps de mise à disposition des personnels que ne connaissent pas les gendarmes. Un gendarme, quand il ne fait pas d'extraction judiciaire, a une autre activité alors que notre personnel, lui, est uniquement dédié à cette tâche. Notre système est donc beaucoup plus rigide que celui qui existait précédemment. L'organisation des audiences au niveau des juridictions en est profondément modifiée. Beaucoup d'extractions judiciaires font l'objet d'annulations et il n'est alors pas facile de remobiliser un équipage sur une nouvelle extraction. Au manque de souplesse des équipages s'ajoute le manque d'anticipation de la part des juridictions. Je reconnais que la situation est extrêmement tendue dans certaines cours d'appel.

Vous avez évoqué, monsieur le président Raimbourg, la question des places inoccupées dans beaucoup d'établissements pénitentiaires. Vous avez dit que ces places, majoritairement destinées à des femmes ou à des mineurs, ne pouvaient être utilisées pour des hommes majeurs qui sont les plus nombreux dans les établissements pénitentiaires. J'ajoute qu'un certain nombre de ces places inoccupées sont celles mobilisées pour les quartiers arrivants qui ne seront jamais occupées à temps complet par des personnes détenues. Il est vrai cependant que l'on est surdoté en places en maison centrale par rapport à nos besoins. Les maisons centrales classiques, qui autrefois accueillaient entre 200 et 300 détenus, en ont aujourd'hui moins de 200, voire moins de 150. La sous-occupation, structurelle, est due au fait que les détenus sont difficiles et les besoins d'encadrement importants. Des établissements comme Saint-Maur ou Clairvaux ont un nombre de détenus très inférieur au nombre de places opérationnel.

Un certain nombre de places en centre de détention sont aussi inoccupées. Nous voudrions obtenir une vitesse de rotation plus importante, mais nous heurtons à la longueur de la procédure d'orientation des condamnés. Cette procédure est trop longue pour deux raisons : tout d'abord parce qu'il est difficile d'obtenir l'ensemble des pièces judiciaires pour constituer les dossiers d'orientation et je suis très favorable à la simplification de cette procédure, notamment pour les condamnés à des peines inférieures à deux ans pour lesquels l'affectation ne constitue pas un enjeu considérable, contrairement aux affectations dans des établissements sensibles de profils difficiles qui nécessitent plus de temps ; d'autre part parce que les maisons d'arrêt sont surencombrées et que les greffes connaissent un état de saturation très élevé. Le turnover est insuffisant dans les centres de détention.

Vous avez évoqué la question de l'attractivité et de la volonté exprimée par les surveillants de ne pas rester dans les établissements de la région parisienne. Le nombre de départs est effectivement très important après quelques mois d'exercice à Fleury-Mérogis ou dans un autre établissement en région parisienne. Les surveillants, comme beaucoup de jeunes de fonctionnaires, souffrent du coût du logement en région parisienne. Le ministère de la justice est un ministère pauvre par rapport à d'autres en matière de logement social. Il est clair que la justice n'a pas les moyens d'avoir un parc de logements sociaux comme celui de la police ou de l'armée. Nous pourrions peut-être trouver des accords avec le ministère de l'intérieur ou de la défense et bénéficier des réservations que font ces deux ministères auprès des bailleurs sociaux pour leur personnel. Le retard du ministère de la justice sur cette question est important aussi bien pour les surveillants que pour les greffiers.

J'ai peut-être semblé peu enthousiaste sur la question de la prime de fidélisation ; pourtant je suis favorable à une expérimentation. Je pense que l'on peut, via un système de primes, essayer de fidéliser les surveillants sur trois ou cinq ans lors de leur première prise de fonction. Cela ne sera toutefois pas l'alpha et l'oméga car le métier manque d'attractivité et il n'est pas suffisamment reconnu. C'est pourquoi j'ai créé une sous-direction des métiers pénitentiaires. En effet, je pense que c'est un métier qui ne se résume pas à la question de la sécurité, mais touche à la relation et à la prise en charge des personnes placées sous main de justice. Il faut valoriser ce métier et le rendre attractif en étant au plus près des bassins d'emploi, en travaillant sur la question du logement, des salaires et des primes, en particulier celle de fidélisation.

Dans un ministère aussi contraint, les responsables de programme ont surtout une mission d'arbitrage sur des choix de renoncements plus que sur de véritables orientations dans l'affectation des crédits. Il faut préciser que la justice est une administration fortement déconcentrée : les marges de manoeuvre sont beaucoup plus importantes dans les directions interrégionales qu'en administration centrale.

Les crédits de fonctionnement de l'administration pénitentiaire se répartissent entre des dépenses obligatoires (alimentation, eau, fluides, énergie, cantines…) à hauteur de 51 %, des dépenses contraintes (sécurité passive, transport des personnes détenues, entretien et nettoyage des établissements) à hauteur de 29 % et des dépenses de réinsertion à hauteur de 20 %. La marge de manoeuvre est donc extrêmement étroite et, de fait, c'est l'immobilier déconcentré qui supporte la charge des différentes annulations budgétaires pour garder des possibilités d'actions sur les crédits de fonctionnement.

Les besoins de l'administration pénitentiaire pour maintenir à un niveau correct les établissements pénitentiaires du parc classique se situent entre 120 et 130 millions. Cette année, nous avons disposé pour le parc immobilier de 65 millions d'euros, c'est-à-dire que nous sommes au plancher de notre capacité à assurer la maintenance de nos établissements pénitentiaires. En conséquence ils vieillissent et ce d'autant plus vite qu'ils sont suroccupés. Ce manque de moyens a pour conséquence une gestion complexe, des contrôles pas toujours agréables et parfois des contentieux, notamment en outre-mer. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté ne nous épargne pas. Même si la construction d'établissements neufs était indispensable, il est regrettable qu'on sacrifie le parc classique de manière aussi constante.

Les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) se plaignent de ne pas avoir été pris en considération lors de la signature du relevé de conclusions du 14 décembre 2015. Ce relevé de conclusions a été signé par la ministre, Mme Christiane Taubira, avec les représentants des syndicats des personnels de surveillance à la suite d'un mouvement social auquel ils ne s'étaient pas associés. Ils n'ont donc pas bénéficié des avantages, notamment indemnitaires, accordés aux personnels de surveillance. Depuis janvier, nous sommes dans une période de négociation. Les personnels d'insertion et de probation ont en charge des missions très importantes au sein de l'administration pénitentiaire et méritent toute notre considération et notre reconnaissance. Nous allons sortir de ce conflit dans les semaines qui viennent.

Enfin, quelques mots sur la formation des personnels sur la question de la radicalisation. Nous avons demandé à l'ENAP de construire des programmes de formation initiale et continue. L'aspect le plus spectaculaire a été la création par l'ENAP d'un film pédagogique visant à sensibiliser les personnels de surveillance mais aussi les CPIP sur les signaux faibles de radicalisation. Des grilles de détection des processus de radicalisation sont également en cours de test dans les établissements pénitentiaires.

Dernière question sur les enjeux de recrutement : faut-il construire une seconde école ? On peut construire une seconde école, mais on peut aussi construire sur le site d'Agen un bâtiment d'hébergement et des bâtiments de formation. C'est une option plus économe et plus rapide que la construction d'une seconde école, qui suppose des moyens et des capacités que l'administration n'est pas certaine d'avoir et des délais plus importants. L'administration pénitentiaire, dont le nombre d'agents augmente d'année en année, doit se doter de structures de formation continue beaucoup plus performantes. On pourrait coupler le renforcement de l'ENAP à Agen avec la construction de bâtiments de formation continue au sein des directions interrégionales. Cela permettrait de densifier la formation continue et de revoir l'organisation de la formation initiale.

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Philippe Lonné, sous-directeur de la 8e sous-direction de la direction du budget

Le ministère de la justice est valorisé comme un ministère prioritaire sur le budget triennal de l'État pour la période 2015-2017 au même titre que l'éducation nationale. 584 créations d'emplois avaient été prévues initialement sur la période 2015-2017.

Ce caractère prioritaire a été renforcé à la faveur des différents plans de lutte contre le terrorisme avec des moyens tout à fait considérables puisque 900 millions d'euros supplémentaires et 1 200 emplois sont prévus pour le ministère sur la période 2015-2017. La problématique est celle de la capacité d'absorption de ces moyens additionnels. Sur 2015, les moyens ouverts au titre du plan de lutte anti-terroriste ont été en partie sous-consommés. En ce qui concerne la masse salariale dégagée dans le cadre du plan de lutte anti-terroriste, en raison de recrutements plus tardifs que prévus, les crédits ouverts n'ont été consommés qu'à hauteur de 10 millions d'euros sur les 28 millions d'euros. Sur les autres crédits de masse salariale, la consommation a été de 63 millions d'euros sur les 81 millions prévus.

Ces moyens nouveaux posent des problèmes de structure en termes de formation et de capacité d'absorption des écoles de formation du ministère.

En matière de dépenses, je ne serai pas aussi sévère sur la notion de « sacrifices » des dépenses d'investissement. Si l'on compare les exercices 2014 et 2015, les moyens de la mission Justice ont progressé. On est passé de 425 millions d'euros d'autorisations d'engagement en dépenses d'investissement en 2014 à 542 millions d'euros en 2015. En exécution, les dépenses d'investissement sont passées de 427 millions d'euros en 2014 à 474 millions d'euros en 2015. La dynamique d'investissement s'amplifie.

Il est vrai qu'en cours d'année, les dépenses d'investissement sont naturellement la cible des annulations. Elles ont fait l'objet d'au moins trois décrets d'avance en 2015. Cela est dû au caractère pluriannuel de la dépense d'investissement immobilière, qui se prête plus facilement à des exercices de régulation en cours d'année pour répondre aux objectifs du Gouvernement de respect des cibles d'exécution de la loi de finances.

Pour le ministère de la justice, comme pour d'autres ministères, de nombreuses dépenses sont contraintes (masse salariale, aide juridictionnelle, frais de justice), ce qui réduit d'autant le périmètre des dépenses pilotables. Au sein des dépenses immobilières, il y a aussi des dépenses contraintes auxquelles on ne peut toucher en cours d'année, comme les loyers dans le cadre des PPP.

Sur la question immobilière, la directrice de l'administration pénitentiaire vous a donné les coûts des différents types d'hébergement. Le ministère de la justice a fait des efforts significatifs de réduction de ces coûts, de l'ordre de 15 %, notamment dans le cadre du renouvellement des marchés de prestations. Les PPP constituent certes une nouvelle forme de rigidification de la dépense, mais des économies sont possibles et sont réalisées. Il y a un véritable enjeu de défense des intérêts de l'État au niveau de la gestion des PPP ; des équipes spécialisées sont indispensables pour avoir un dialogue équilibré avec les constructeurs et gérer ces PPP dans la durée afin que l'État récupère au bout de 30 ans la propriété de bâtiments bien entretenus, notamment le Palais de justice.

Je vais aborder la question des moyens de fonctionnement des juridictions. Hors les crédits du plan de lutte anti-terroriste qui ont aussi partiellement bénéficié au fonctionnement des juridictions, leurs dépenses de fonctionnement courant entre 2014 et 2015 ont diminué. Des travaux vont s'engager entre le ministère des finances et le ministère de la justice pour essayer d'objectiver cette question des moyens des juridictions.

À la date d'aujourd'hui, sur les 320 millions d'euros de crédits affectés aux moyens de fonctionnement courant et aux dépenses de crédits immobiliers, seuls 155 millions ont été consommés. Les charges à payer sont en baisse, notamment celles portant sur les frais de justice qui connaissent une baisse de l'ordre de 15 %. Les reports de crédits de 2015 sur 2016 sont inférieurs à 2 % des crédits ouverts, donc en deçà du plafond de 3 % autorisé par la LOLF au niveau ministériel. Il n'y a donc pas d'anomalie même si le suivi des dettes à l'égard des différents fournisseurs du ministère de la justice mérite une attention toute particulière.

En 2015 comme en 2016, des moyens substantiels ont été affectés à des mesures catégorielles à la fois pour l'administration pénitentiaire et la justice judiciaire. Des crédits à hauteur de 13 millions d'euros en 2015 ont permis de poursuivre les efforts statutaires et indemnitaires. La prime de fidélisation en cours d'instruction n'a cependant pas à être financée par les moyens du plan de lutte anti-terroriste.

Sur l'exécution du budget 2016, une rencontre a eu lieu entre les contrôleurs budgétaires ministériels et les responsables de programmes. Nous sommes en train d'analyser les informations fournies et ferons notre propre prévision d'exécution à la fin du mois. En début d'année, à la suite de l'analyse par le contrôleur budgétaire des documents prévisionnels du ministère, le débat a porté sur les dépenses catégorielles, mais les autres crédits du ministère n'ont pas soulevé de difficultés.

Un point classique de discussion a porté sur l'imputation de la mise en réserve de 8 %, le ministère de la justice souhaitant que celle-ci porte sur les dépenses obligatoires contrairement à la volonté du ministère des finances.

En fin d'année dernière, les seules annulations sur le collectif budgétaire ont été des annulations de masse salariale. En 2016, notre objectif est de respecter les autorisations du Parlement. Si des besoins nouveaux apparaissent, il y sera pourvu le cas échéant en fin d'année par un collectif, des décrets d'avance ou la levée de mise en réserve.

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Je remercie nos interlocuteurs pour le caractère très complet de leurs réponses.

Membres présents ou excusés

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Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 14 juin 2016 à 18 heures 15

Présents. - M. Gilles Carrez, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jean-Louis Dumont, M. Yann Galut, M. Patrick Hetzel, M. Michel Lefait, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-François Mancel, Mme Christine Pires Beaune, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet

Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Henri Emmanuelli, M. Jean-Claude Fruteau, M. Marc Goua, M. David Habib, M. Marc Le Fur, M. Victorin Lurel, Mme Valérie Rabault, M. Philippe Vigier

Assistait également à la réunion. - M. Dominique Raimbourg