Commission des affaires étrangères

Réunion du 21 juin 2016 à 17h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Rached Ghannouchi, président du Parti tunisien Ennahdha

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

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Nous avons le plaisir d'accueillir, pour une réunion fermée à la presse, M. Rached Ghannouchi, président du parti Ennahdha. Nous évoquerons ensemble la situation de la Tunisie où, depuis le changement de régime, trois délégations de la commission se sont rendues ; une mission d'information, présidée par Guy Tessier et dont le rapporteur est Jean Glavany, s'y rendra très prochainement. J'y ai moi-même effectué plusieurs visites et, au cours de la dernière, très récente, vous m'avez fait l'honneur, monsieur le président, de m'accorder un entretien.

Le premier sujet d'intérêt pour nous est l'évolution de votre parti. Ennahda, parti islamiste, comme il est convenu de qualifier les partis qui se réclament d'une obédience liée à l'islam, représente désormais le groupe le plus important à l'Assemblée des représentants du peuple. Lors de votre Xe congrès, en mai dernier, vous avez fait voter une mutation spectaculaire, posant personnellement la question de la transformation d'Ennahda, qu'il s'agisse de son idéologie, de sa stratégie ou de ses alliances, en la situant dans un contexte de démocratie et de transparence, et décrivant cette évolution comme « une sortie de l'islam politique ». Qu'entendez-vous par là ? Pourquoi ce changement, et qu'implique-t-il en pratique ?

Nous aimerions aussi connaître votre opinion sur la situation intérieure, très dégradée sur le plan économique et social. Les inégalités sociales et territoriales à l'origine de la révolution perdurent et les réformes annoncées – fiscalité, assainissement budgétaire, réforme de l'État – se font attendre ; comment expliquer que, en dépit d'une majorité confortable, le gouvernement conduit par M. Habib Essid peine à les mener à bien ? Le blocage vient-il du Parlement ou du Gouvernement ? Le président de la République a lancé de très larges consultations en vue d'un prochain remaniement. Qu'attendez-vous du changement de gouvernement en termes d'impulsion et d'orientations politiques ? Souhaitez-vous que votre mouvement soit davantage représenté au sein de l'exécutif ? Quelles réformes vous paraissent prioritaires ?

La sécurité reste fragile après les graves attentats commis contre le musée du Bardo, contre un hôtel à Sousse, et à Tunis en 2015, et l'attaque spectaculaire de Ben Guerdane le 7 mars 2016 ; sachez qu'en ces moments, nous avons été, en pensée, aux côtés du peuple tunisien. Les événements en Libye font craindre à la Tunisie voisine une déstabilisation croissante. Vous nous direz comment vous appréciez la situation et ce qui, outre la recherche d'un indispensable accord politique, devrait être fait pour ramener ce pays à davantage de paix et de stabilité.

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Rached Ghannouchi, président du parti tunisien Ennahdha,, Interprétation

Je vous remercie pour votre invitation. Je suis honoré de m'adresser à vous, au sein de l'Assemblée nationale, institution prestigieuse de la démocratie française, pour vous parler de la démocratie en Tunisie et de l'avenir de mon pays. Eu égard aux importantes relations historiques entre nos deux États et nos deux peuples, c'est la France que j'ai choisie pour mon premier déplacement à l'étranger après la tenue de notre congrès historique, en tant que président réélu du parti Ennahdha, majoritaire au sein du Parlement tunisien.

La France et la Tunisie ont une longue histoire commune au cours de laquelle nos peuples ont tissé des liens de respect mutuels. C'est dans le sillage de la Révolution française que la Révolution tunisienne a tracé des perspectives d'égalité, de justice et de fraternité entre les citoyens. Nos échanges économiques et notre collaboration politique et culturelle ont contribué à renforcer cette relation privilégiée.

Nos deux pays ont en commun des succès mais aussi des souffrances, victimes comme ils le sont d'un terrorisme qui s'attaque aveuglément à nos démocraties, à nos citoyens, à nos forces de l'ordre. Le terrorisme a pris la France pour cible parce qu'elle est le berceau des valeurs humanistes universelles, et la Tunisie parce qu'elle est l'unique pays ayant adopté les valeurs démocratiques dans le monde arabe. Nos deux États sont devenus des symboles à abattre par les groupes dont les actes criminels sont en contradiction avec les principes et les valeurs de l'islam et de l'humanité.

Face à ces divisions, notre monde a besoin de dialogue, d'écoute mutuelle, de concorde, de coopération et de clarté. Le tournant stratégique pris par le parti Ennahdha lors de son Xe congrès, au terme d'une longue réflexion interne, est un acte politique fort non seulement sur la scène politique tunisienne mais aussi pour la relation entre politique et islam dans la région.

Ennahdha est devenu le parti des démocrates musulmans tunisiens. Cette mutation culturelle et sociale qui fait d'Ennahda un parti politique civil prouve la bonne santé de la démocratie tunisienne. Ennahdha était né comme parti clandestin pour s'intéresser aux questions politiques, religieuses et sociales ; sa création résultait des blocages politiques dus au régime dictatorial. La révolution en Tunisie a fondamentalement changé les choses, en permettant qu'un accord se fasse sur la nouvelle Constitution et qu'une collaboration étroite s'engage entre notre parti et d'autres, ainsi qu'avec des experts en Tunisie et à l'étranger.

Ennahdha a aussi beaucoup appris de son expérience au pouvoir – l'obligation de l'ouverture et la nécessité de fédérer largement pour gouverner la chose publique. Le parti a contribué de manière efficace et pragmatique à poser les fondements de la démocratie et d'une Constitution qui est l'une des plus progressistes au monde. L'alternance, à la suite des dernières élections législatives et présidentielles, a confirmé la solidité de la démocratie tunisienne ainsi que sa crédibilité et celle de l'orientation démocratique de notre parti.

En mai 2016, Ennahdha a donc tiré les enseignements de cette évolution en se définissant comme le parti des démocrates musulmans, fondant son projet politique sur la compatibilité entre islam et démocratie, entre modernité et valeurs humanistes universelles. C'est pourquoi nous refusons l'étiquette d'« islamistes politiques » que nous ont accolée certains Occidentaux : elle sème la confusion entre les musulmans qui croient en la démocratie et en l'action citoyenne et ceux qui, rejetant la démocratie, recourent au terrorisme pour la combattre au nom de l'islam. Nous voulons nous distinguer de ces derniers. Ennahdha sera le parti de la construction de l'État, à travers l'État, par l'union nationale, sur la base du réalisme politique et de l'efficacité pratique, loin des luttes idéologiques et des divisions stériles. Désormais, Ennahdha, parti pragmatique, se consacrera à la résolution des problèmes économiques et sociaux des Tunisiens.

Notre parti n'a pas pour objectif l'opposition systématique. Ennahdha privilégie la collaboration avec les autres partis politiques pour unir les forces en vue de la concorde et de la réconciliation nationale par l'écoute, le dialogue, le compromis et les concessions mutuelles, afin de permettre, en avançant ensemble, un progrès collectif.

À ma connaissance, nous sommes le seul parti politique au monde qui, élu démocratiquement, a choisi de se retirer pacifiquement du pouvoir pour permettre – c'était en 2013 –, la constitution d'un gouvernement d'experts. Aujourd'hui, les députés d'Ennahdha sont majoritaires à l'Assemblée des représentants du peuple, et nous sommes un acteur important du gouvernement, même si nous ne sommes pas le parti le plus représenté en son sein. Pour nous, le plus important est de parvenir à ce que la Tunisie retrouve stabilité et concorde. Mais pour parachever la construction d'une démocratie tunisienne stable et pérenne, il nous faut relever plusieurs défis.

Le premier est d'ordre économique et social. La démocratie doit produire des richesses et les redistribuer de manière équitable, car seule une prospérité partagée permettra d'assécher les sources du terrorisme. Aussi notre priorité absolue est-elle de construire une Tunisie moderne, développée sur le plan technologique et attirante. C'est dire que notre collaboration avec nos amis, notamment en France, est plus essentielle que jamais.

Le deuxième défi est sociétal. Les principes de justice exprimés dans notre nouvelle Constitution doivent se traduire par de grandes réformes sociales permettant de garantir l'égalité des chances pour tous, indépendamment du sexe et de l'appartenance régionale ou religieuse.

Le troisième défi est sécuritaire. Le terrorisme étant devenu un phénomène mondial menaçant les individus et les États, une lutte anti-terroriste efficace passe par une stratégie internationale visant à extirper les racines de ce mal. Aussi avons-nous besoin de davantage de coopération, d'échange d'informations, de compétence et d'outils.

La Tunisie ne peut faire face à ces défis sans l'aide de ses amis. La France, l'Europe et la communauté internationale doivent se solidariser avec la démocratie tunisienne naissante pour la soutenir. Cette coopération indispensable bénéficiera non seulement à notre pays mais à tous nos voisins, régionaux et européens.

Nous suivons avec un grand intérêt les efforts de la France dans la lutte internationale contre le réchauffement climatique et en faveur de l'environnement comme dans le combat contre le terrorisme.

Je tiens à exprimer notre gratitude à la France, qui a tenu à préserver l'excellence de nos relations depuis de longues années. Elle a notamment permis que nombre de militants d'Ennahdha puissent continuer leur combat contre la dictature en trouvant sur son sol un abri sûr où ils ont pu continuer leurs études. Dix pour cent des Tunisiens vivent à l'étranger, dont la moitié en France ; une bonne partie d'entre eux sont des binationaux franco-tunisiens. De même, une importante communauté française réside en Tunisie. Nous sommes heureux que les autorités françaises encouragent les Français résidant en Tunisie et les Tunisiens résidant en France à investir en Tunisie.

Que la Libye retrouve sécurité et stabilité et qu'elle parvienne à fonder un État démocratique : ce sont là des priorités de notre politique de relations extérieures. Nous voudrions coopérer avec nos amis français pour faire face aux défis et saisir les opportunités qui se présentent pour la paix en Libye, aux niveaux sécuritaire, politique et stratégique.

Enfin, nous ne saurions mésestimer l'importance de l'investissement dans les relations culturelles entre la France et la Tunisie. Il fournira aux jeunes gens, sur les deux rives de la Méditerranée, de nouvelles perspectives pour découvrir les différentes formes de pensée et d'expressions culturelles, ce qui renforcera la compréhension et le respect mutuels et évitera les malentendus et la peur des deux côtés.

Les perspectives de coopération franco-tunisienne sont donc nombreuses, et il est de notre devoir, en tant qu'élus, de les renforcer et de les traduire en politiques, décisions, accords. Ennahdha veut aller de l'avant dans ce cadre.

Vive l'amitié franco-tunisienne !

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Vous avez dit votre souhait d'une coopération avec la France, souhait qui correspond à celui des Français, qui aiment votre pays. Mais ne peut-on craindre que par rejet de ce que certains pourraient percevoir comme du néo-colonialisme, des réticences n'affleurent, notamment pour ce qui est de l'usage de la langue française ? D'autre part, la position courageuse que vous avez prise en faveur du progrès démocratique ne peut-elle faire redouter l'apparition en Tunisie d'une opposition salafiste ou djihadiste ? À ce sujet, pourriez-vous définir précisément ce qu'il faut entendre par « djihad » ?

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Comment définissez-vous un musulman démocrate ? Comment jugez-vous celles et ceux qui pratiquent l'islam politique comme vous l'avez pratiqué un moment ? Que pouvez-vous dire aux musulmans qui s'engagent dans le wahhabisme avec une vision politique de l'islam ? Quelles mesures prendre au sujet des 5 000 Tunisiens qui se sont engagés en Syrie et en Irak, ce qui pose de multiples problèmes à la Tunisie et à l'Europe ?

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Les femmes ont joué un grand rôle dans l'élaboration de la nouvelle Constitution et ont combattu courageusement la tutelle masculine, mais ce combat est inachevé. Quelle est la position d'Ennahdha sur l'égalité entre les hommes et les femmes ?

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Lorsque je me suis rendu en Tunisie en 2014, l'équivalent de notre Conseil supérieur de l'audiovisuel était en cours de constitution. L'institution est-elle à pied d'oeuvre ? Comment s'organisent les medias en Tunisie ?

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La mue d'Ennahdha signifie-t-elle aussi l'acceptation du principe de laïcité ? Quelle est l'attitude des institutions religieuses face à la mutation intervenue ?

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Vous appelez de vos voeux une coopération renforcée entre la Tunisie et la France et avec la communauté française implantée en Tunisie. Ne trouverait-elle pas naturellement à s'exercer dans le cadre du partenariat EuroMed, actuellement au point mort ? Comment le relancer ?

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Vous avez défini Ennahdha comme un parti de musulmans démocrates, puis exposé votre conception de l'action politique démocratique. J'en ai retenu que c'est un programme démocratique classique, sans rien de spécifique à l'islam et sans référence à la charia. Vous avez évoqué la compatibilité entre l'islam et la démocratie, mais quelle est la composante théocratique de votre projet politique ?

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Le mouvement des diplômés chômeurs de Kasserine essaime. La France a pris l'engagement de verser un milliard d'euros sur cinq ans en faveur des régions défavorisées et de l'emploi des jeunes en Tunisie. Quelles devraient être les priorités dans l'usage de cette aide ?

L'évolution de votre parti est conduite par le conseil de la Choura, au sein duquel le courant conservateur, même s'il est minoritaire, est encore très influent. Quels sont les principaux sujets en discussion dans cette instance ? Quelle est la source d'inspiration d'Ennahdha dans son parcours vers la démocratisation ? Vous évoquez souvent l'exemple de la CDU allemande ; en quoi ce parti vous inspire-t-il ? À l'inverse, comment vous situez-vous au regard du parti de la justice et du développement (AKP) turc, qui nous inquiète beaucoup ?

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Rached Ghannouchi,

Vous m'avez interrogé sur l'éventualité d'un sentiment anti-français en Tunisie. Les relations franco-tunisiennes ont connu une période de guerre mais la page est tournée. La France est désormais le premier partenaire de la Tunisie sur les plans économique et culturel, chaque Tunisien a en lui une part de culture française et la France est plus présente en Tunisie que n'importe quel autre pays. Si des cas individuels d'animosité envers la France peuvent exister, ils sont rares, et ils ne représentent pas le sentiment majoritaire.

Ennahdha, parti politique, a décidé de se consacrer à la définition des moyens propres à répondre aux besoins sociaux et économiques des Tunisiens plutôt que de leur parler de questions idéologiques. Cette évolution peut-elle servir de prétexte à certains pour dire qu'Ennahdha s'éloigne de l'islam, et les pousser à se radicaliser ? C'est possible, mais l'essentiel est que pour nous, Ennahdha n'a pas de mission religieuse mais la tâche d'aider l'État tunisien. Conformément à l'article premier de la Constitution – « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion, l'arabe sa langue et la République son régime » –, le champ religieux ne relève pas des partis mais du ministère des affaires religieuses. L'État tunisien ne laisse pas la religion aux courants qui ont adopté un islam extrémiste ; il a fait sien un islam modéré qui s'inscrit dans notre tradition de tolérance. L'extrémisme et la radicalisation traduisent une situation exceptionnelle qui ne correspond pas à ce qu'est la société tunisienne. L'islam politique s'est développé en réaction à la dictature ; la révolution ayant mis un terme à la dictature, l'islam politique n'a plus de place. Nous nous définissons donc comme un parti de musulmans démocrates pour nous distinguer de l'islam politique, une appellation qui inclut des mouvements terroristes, dont Daech. Ce faisant, nous disons que nous sommes des démocrates de confession musulmane.

L'extrémisme détourne de son sens le concept de djihad en lui donnant pour signification que les musulmans auraient le devoir de tuer des innocents, à savoir tous les non-musulmans. C'est bien entendu infondé. L'histoire de l'islam est connue, et c'est une histoire de tolérance. La plus ancienne synagogue au monde est à Djerba, et avant l'attaque dont elle a été l'objet en 2002, quelque 3 000 années de coexistence pacifique s'étaient écoulées. De nombreuses minorités religieuses vivent dans les pays musulmans, protégées par les musulmans. La tolérance de l'islam était déjà connue à l'époque d'al-Andalus, l'Espagne musulmane. L'extrémisme constaté actuellement n'est que momentané ; il s'explique par des raisons objectives telles que les dictatures. Dans une Tunisie devenue un État démocratique, il n'y a plus de place pour cela.

Pourquoi 5 000 jeunes Tunisiens se sont-ils embrigadés en Irak, en Libye, en Syrie et en Afghanistan ? Par quel paradoxe la Tunisie fabrique-t-elle des milliers de terroristes alors que les Tunisiens sont tolérants ? C'est que la révolution tunisienne n'a que cinq ans et que l'extrémisme préexistait. Lorsque la révolution a commencé, quelque 3 000 personnes accusées de terrorisme peuplaient les prisons, et ces gens se sont ensuite radicalisés. Ces terroristes, qui sont le fruit de la dictature, n'ont pas de culture religieuse. Leur niveau d'éducation est généralement très faible car ils sont issus de couches sociales défavorisées, et ils méconnaissent la nature tolérante du véritable islam. Si l'on règle les problèmes socio-économiques de la Tunisie – pauvreté et disparités dans le développement régional –, les jeunes gens n'auront plus de raisons de pencher vers l'extrémisme.

Le Parlement a avalisé la création de la Haute Autorité indépendante pour la communication et l'audiovisuel (HAICA). Elle ne dépend pas de l'exécutif, et il n'y a pas de ministère de l'information en Tunisie. Les medias y sont libres, et aucun responsable politique n'est à l'abri de leurs critiques acerbes.

Mme Sayida Ounissi me paraissant mieux placée que moi pour vous parler des droits des femmes, je lui laisse la parole.

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Sayida Ounissi, députée de la circonscription France Nord à l'Assemblée des représentants du peuple de Tunisie

Le code tunisien du statut personnel contenait depuis assez longtemps des dispositions concernant les femmes assez avancées, y compris au regard du droit de certains pays européens, qu'il s'agisse d'indépendance financière, de possibilité de travailler ou de droit de vote. Le terreau était donc favorable à ce que la voix des femmes soit entendue. Mais, peu à peu, la dictature a instrumentalisé la cause des femmes, le régime mettant en exergue les progrès accomplis dans ce domaine pour détourner l'attention de la corruption ou du traitement qu'il réservait à ses opposants.

Au moment de la révolution, un souffle déterminant s'est levé dans la société civile féminine. Des organisations très diverses, aux idéologies différentes, se sont retrouvées sur le principe de l'égalité parfaite entre les hommes et les femmes. Ennahdha soutient ce principe, qui a été inscrit dans la Constitution après un débat au sein de l'Assemblée constituante entre des groupes qui ne se parlaient pas avant la révolution.

Nous sommes allés un peu plus loin : en constitutionnalisant le principe de parité dans les listes électorales, nous avons prévu que l'égalité des droits devait aussi se traduire en termes de représentation politique. Mieux : nous venons d'adopter, ensemble, le principe de la parité verticale et horizontale aux prochaines élections municipales – et le groupe Ennahdha étant majoritaire à l'Assemblée des représentants du peuple, son vote est déterminant. Parvenir à une meilleure représentation des femmes en politique, c'est assurer que les mesures permettant d'améliorer leur condition figurent toujours en tête des programmes de réforme. Nous mettons d'ailleurs la dernière main à la loi fondamentale relative à la lutte contre les violences faites aux femmes, qui conduira à expurger nos textes législatifs de toutes les dispositions devenues inconstitutionnelles parce qu'elles ne respectent pas le principe d'égalité entre les hommes et les femmes.

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Rached Ghannouchi,

Le djihad, dont vous m'avez demandé la définition, c'est le droit, pour un État agressé, de se défendre par les armes. Ce n'est pas l'entreprise d'un seul, ce n'est pas un chaos dans lequel des individus isolés, s'identifiant à l'État, prennent les armes. Telle n'est pas, disent les théologiens, la définition qu'en donne le Coran. De jeunes meurtriers incultes tuant de manière aléatoire, sans ordre de l'État, ce n'est pas le djihad. Ces jeunes gens considèrent qu'un État ou un autre – l'État tunisien par exemple – est un élément de désordre, s'érigent eux-mêmes en État, et l'attaquent.

Quel a été l'avis des religieux sur la transformation d'Ennahdha ? Que le parti se soit déclaré un parti démocratique musulman a eu un grand écho dans le monde arabo-musulman, notamment au Maghreb. Beaucoup ont vu dans cette évolution les prémisses positives d'une réforme ; d'autres, jugeant que c'est dévier de la religion, la considèrent néfaste. Pour nous, l'avenir de l'islam est dans la voie que nous avons adoptée. Au Maroc, le Parti de la justice et du développement, au pouvoir, qui était un mouvement religieux, a abandonné sa composante religieuse pour se constituer en parti politique. Nous pensons qu'il en ira de même en Libye, où le Parti justice et construction, qui est démocrate et modéré, est scindé des Frères musulmans.

Ennahdha se définit désormais comme un parti de démocrates musulmans et ne se distingue pas des autres partis démocrates. Nous considérons que le pouvoir émane du peuple, que les droits de l'homme doivent être respectés ainsi que le pluralisme politique et que le gouvernement sort des urnes. Il n'y a qu'une seule conception de la démocratie, c'est celle-là. L'islam inspire ces principes. Un musulman qui pratique la démocratie au sein d'Ennahdha se sent un bon musulman car, ce faisant, il applique des principes qui s'inspirent de l'islam. Tout comme le protestantisme, qui veut qu'un bon protestant entreprenne, a beaucoup contribué à la naissance du capitalisme, l'islam est pour nous une source d'inspiration et de valeurs démocratiques, comme le sont pour d'autres le bouddhisme, le judaïsme ou le christianisme. Si j'évoque souvent la CDU, c'est parce qu'elle est pour nous l'exemple parfait d'un parti qui s'attache à faire coïncider religion et démocratie. Nous ne lançons pas de fatwa, nous ne disons pas ce qui est licite et ce qui ne l'est pas. Nous avons un programme politique ; il revient au peuple de l'accepter ou de le refuser. Un membre d'Ennahdha n'est pas un meilleur musulman qu'un non-membre, et nous ne faisons pas de prosélytisme. Ceux qui acceptent nos principes nous rejoignent : il n'est pas besoin d'être musulman pour cela, mais de faire sien notre projet politique et socio-économique. Le niveau de religiosité de nos membres ne nous concerne pas. Vous aurez d'ailleurs remarqué que, dans cette salle même, une de nos adhérentes est voilée et que l'autre ne l'est pas ; c'est Mme Aroua Ben Abbes.

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Aroua Ben Abbes, députée de Tunis à l'Assemblée des représentants du peuple

À l'Assemblée des représentants du peuple, je suis députée de la circonscription de Tunis 2, membre de la commission du règlement intérieur, de l'immunité et des lois parlementaires et électorales, et membre aussi de la commission spéciale des élections. Au sein du parti Ennahdha, je suis membre du bureau des affaires locales et des élections et vice-présidente de la commission des affaires locales, l'une des commissions de ce bureau.

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Rached Ghannouchi,

Avec un milliard d'euros sur cinq ans, la France apporte à la Tunisie un soutien très fort, dont nous vous remercions. Cette aide doit servir en priorité à améliorer les infrastructures des régions les plus défavorisées, Sidi Bouzid et Kasserine par exemple, pour que les jeunes qui ont été les précurseurs de la révolution aient le sentiment que, grâce à elle, leur vie a changé et leurs aspirations ont été exaucées.

Le conseil de la Choura est l'organe dirigeant d'Ennahdha. Le nouveau conseil, qui vient d'être élu, engage ses travaux et crée des commissions. Au conseil, on traite des problèmes de la Tunisie et l'on formule des suggestions et des réflexions sur les moyens de leur trouver des solutions politiques. Des points de vue très divers s'y expriment. La mutation d'Ennahdha a mijoté à feu doux pendant très longtemps avant d'être soumise au vote de nos adhérents, qui l'ont adoptée par 80 % des voix. Cela signifie que quelque 20 % des membres d'Ennahdha sont contre cette évolution ; ils n'en respectent pas moins la décision qui a été prise de séparer religion et politique. Nous ne sommes pas une caserne mais un parti au sein duquel on parle beaucoup. Quand un sujet est soumis au vote, la majorité décide. J'ai ainsi été élu à la présidence du parti par 76 % des voix et je bénéficie donc d'un important soutien ; ceux qui étaient contre ma nomination la respectent parce que c'est le choix de la majorité.

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Je vous remercie pour vos réponses précises et d'un grand intérêt. Je vous sais gré d'être venu accompagné de M. Rafik Abdessalem, ancien ministre des affaires étrangères, que je salue, et de plusieurs parlementaires.

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Mali-Guinée

Examen, ouvert à la presse, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense avec le Mali (n° 3498) et projet de loi autorisant l'approbation de l'accord avec la Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces (n° 2607).

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Nous examinons dans un premier temps , sur le rapport de M. François Loncle, les projets de loi, adoptés, par le Sénat, sur le traité de coopération en matière de défense entre la France et le Mali et le projet de loi entre la France et la Guinée sur la coopération en matière de défense et au statut des forces.

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La commission doit se prononcer sur des accords de coopération militaire avec deux pays d'Afrique de l'Ouest, la Guinée et le Mali, qui ont été conclus respectivement en janvier et en juillet 2014.

Pourquoi examiner conjointement ces deux accords ? La raison principale est sans doute l'embouteillage des conventions internationales en attente d'examen par notre commission, qui nous incite à « faire d'une pierre deux coups »…

Bien sûr, il existe des points communs entre la Guinée et le Mali, qui partagent 858 km de frontière, certains groupes ethniques, en particulier celui des Malinkés, l'héritage de la période coloniale française ainsi que toute une série de défis en termes de développement socio-économique, puisqu'ils comptent parmi les pays les plus pauvres au monde.

Pourtant, il me semble que ces deux Etats se trouvent dans des situations sécuritaires bien distinctes. Le Mali est au coeur de la lutte contre les mouvances terroristes de la bande sahélo-saharienne : AQMI, Ansar Eddine, Al-Mourabitoune. Je rappelle que si la France n'était pas intervenue militairement en 2013, le pays aurait pu tomber complètement sous la coupe de ces organisations terroristes qui contrôlaient déjà les régions du nord.

Aujourd'hui, le dispositif sécuritaire déployé au Mali a permis d'affaiblir et de disperser ces groupes armés terroristes, mais pas de les éliminer. Leurs chefs de sont réfugiés en Algérie ou en Libye, et ils conservent une capacité de nuisance bien réelle qui se manifeste par des engins explosifs improvisés, des attaques isolées ou encore des attentats. La situation sécuritaire au Mali reste donc fragile malgré une forte présence internationale (outre Barkhane, 12 000 militaires et policiers de la MINUSMA).

Et cette fragilité restera de mise tant que la question de Kidal ne sera pas résolue. A l'heure actuelle, cette ville du nord-Mali demeure entièrement aux mains des groupes armés, sans qu'il soit toujours possible de bien distinguer entre les terroristes et les membres des groupes armés signataires de l'accord de paix de Bamako. Cet accord a été conclu le 20 juin 2015 entre le gouvernement malien et les groupes armés signataires. Il prévoit des mesures pour améliorer la représentation politique du nord dans les institutions nationales et accélérer son développement économique. Sa mise en oeuvre est essentielle pour inciter les groupes armés signataires à se dissocier définitivement des éléments terroristes.

Jusqu'à récemment, l'application de l'accord de paix était bloquée sur la question des autorités intérimaires qui doivent être nommées dans les régions du nord pour relancer les services publics, mettre en oeuvre des actions de développement et de relance économique et participer à l'organisation d'élections. Je viens d'apprendre qu'un accord avait été signé dimanche à Bamako sur cette question des autorités intérimaires. Pour la première fois, le chef du MNLA (mouvement national de libération de l'Azawad), Bilal ag Chérif, s'est déplacé à Bamako. C'est une évolution très encourageante pour la suite, qui va peut-être nous permettre de lever enfin cette dangereuse hypothèque du « nid de guêpes » que constitue Kidal.

La question du terrorisme reste donc centrale au Mali. En Guinée, cette préoccupation existe, notamment à cause des attentats perpétrés à Bamako, Ouagadougou et Grand-Bassam, mais aussi en raison de l'engagement d'un contingent guinéen dans le nord du Mali, qui fait craindre des représailles de la part des groupes terroristes. Cependant, la menace terroriste reste beaucoup plus diffuse en Guinée qu'au Mali.

En Guinée, les principaux défis sécuritaires sont, d'une part, ceux liés à la sécurité maritime dans le Golfe de Guinée, et d'autre part, les enjeux en matière de stabilisation politique et de consolidation des institutions nationales. La question de la réforme de l'armée est particulièrement importante. Dans l'histoire de la Guinée, l'armée a souvent joué un rôle déstabilisateur, entre coups d'Etat en manipulations politiques. Il s'agit aujourd'hui d'en faire une armée apte à assurer la sécurité de la Guinée. C'est un vaste chantier auquel la France participe dans la mesure de ses moyens.

Ceci m'amène aux relations militaires que nous entretenons avec le Mali et la Guinée. Ces deux pays sont au coeur des priorités de la coopération de défense française. Pour le Mali, c'est évidemment en raison de la menace terroriste, qui conduit la France à déployer 3500 hommes dans la bande sahélo-saharienne (peut-être davantage, bientôt, avec la fermeture de l'opération Sangaris en RCA). En Guinée, la France s'investit beaucoup aussi notamment, je l'ai dit, en raison des enjeux de sécurité maritime dans le Golfe de Guinée.

Au total, la Guinée et le Mali font partie des plus gros budgets de la coopération structurelle française mise en oeuvre par la Direction de coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère des affaires étrangères (respectivement 2,4 et 3,2 millions d'euros en 2016). Il faut pourtant noter que ces budgets sont en baisse en raison d'une baisse générale des moyens de la coopération structurelle de la France. Cependant, cette forme de coopération est importante car elle a un fort effet de levier et permet de consolider les pays en amont, pour prévenir les crises, ce qui est toujours plus efficient et rationnel que d'intervenir en gestion de crise.

En Guinée, les coopérants militaires français jouent un rôle très important pour refonder la politique de défense et impulser la réforme de l'armée. Au Mali, ils ont aussi une influence importante pour coordonner et orienter les initiatives des nombreux acteurs nationaux et internationaux qui sont présents dans le pays. Ce rôle est très intéressant parce qu'il nous permet de créer des synergies en soutien de nos propres initiatives, pour lesquelles nous n'avons pas toujours les financements suffisants.

A part cette coopération structurelle sur le long terme, la France met aussi en place une coopération dite opérationnelle conduite directement par les militaires français auprès des militaires guinéens et maliens sur le terrain. Elle est surtout mise en oeuvre par les Eléments français au Sénégal, qui ont pour vocation de conduire des actions de coopération dans la région. En Guinée, ces formations ont surtout pour but de préparer la relève du bataillon guinéen de la MINUSMA.

Au Mali, l'essentiel de l'effort de formation des forces armées maliennes repose sur EUTM Mali. Je rappelle que cette mission européenne a été créée, à grand peine, à l'initiative de la France qui en fournissait le principal contingent. Pour une fois, une vraie dynamique européenne s'est créée autour de cette mission qui est à présent commandée par un Allemand. D'après les informations que j'ai recueillies lorsque j'ai accompagné le Premier ministre au Mali en février dernier, elle produit des résultats plutôt positifs ; son mandat vient d'être renouvelé jusqu'en mai 2018.

Ceci m'amène à faire un point sur l'état actuel des forces armées de nos partenaires guinéen et malien. Grâce à la forte mobilisation de la communauté internationale et surtout de la France, les forces armées maliennes ont progressé. C'est surtout vrai des bataillons qui ont été formés par EUTM Mali (environ 8000 soldats); les autres ont une valeur opérationnelle très faible. A présent, ces bataillons conduisent des opérations de manière autonome dans le centre du pays, c'est une nouveauté. Certes, ils ne vont pas dans le nord, mais cela tient au moins autant à des blocages politiques qu'à un problème de niveau. Pour autant, le chemin à parcourir reste long : l'armée malienne est encore trop nombreuse, non inclusive, dépourvue de logistique et de gestion des ressources humaines, mal équipée, etc.

L'ampleur de la tâche est sans doute plus importante encore en Guinée, où les partenaires internationaux sont nettement moins investis. Le fait que l'armée n'est pas intervenue dans le processus politique lors des élections présidentielles de 2015 a été perçu comme un grand progrès. Mais tout reste à faire pour réformer une armée centralisée à l'extrême, dépourvue de gestion des ressources humaines et de chaîne de commandement, corrompue, où les rares moyens sont captés par quelques-uns et où règne l'impunité, etc.

Un constat s'impose : ces deux partenaires, le Mali et la Guinée, auront besoin d'être accompagnés dans la durée. C'est précisément l'objet des accords que nous examinons aujourd'hui. Ils créent un cadre juridique global et pérenne, qui rassemble tous les aspects de la coopération militaire avec ces pays, dans le but d'établir un « partenariat de défense » avec eux.

Cela rejoint la nouvelle donne des relations militaires de la France avec les pays d'Afrique. Notre pays n'a plus vocation à intervenir à leur place, mais à les mettre en capacité d'assurer eux-mêmes leur propre sécurité. Pour cette raison, les accords de défense qui liaient la France à certains pays d'Afrique par une clause d'assistance en cas d'agression armée ont tous été renégociés (Cameroun, Togo, Gabon, Comores, RCA, Djibouti, Sénégal, Côte d'Ivoire). Ils ont été convertis en accords de coopération établis sur une base réciproque, sans clause d'assistance.

Avec le Mali et la Guinée, la France n'a jamais eu d'accord de défense. Les actions de coopération étaient régies par des accords de coopération technique très partiels et, à vrai dire, jamais ratifiés dans le cas de la Guinée… Ce sont des pays où la France n'avait traditionnellement pas une présence militaire très importante.

Les nouveaux accords de coopération ont été conclus à la demande de nos partenaires. Ils mettent l'accent sur la dimension partenariale de notre relation de défense et sur l'objectif de montée en puissance d'une architecture africaine de paix.

Ils comportent une première partie qui définit les principes, formes et modalités de la coopération. La seconde partie met en place un statut juridique complet et réciproque pour les forces en visite sur le territoire de l'autre partie. Celui-ci est nettement plus protecteur pour les militaires français. En particulier, leur droit à un procès équitable est affirmé, et ils bénéficient de garanties contre l'application de la peine de mort ou de tout autre traitement inhumain ou dégradant.

En réalité, seul l'accord avec le Mali comporte une clause inhabituelle par rapport au modèle établi pour ce type de conventions. Il s'agit de l'article 25 qui prévoit que le texte que nous examinons a vocation à coexister avec l'accord par échange de lettres des 7 et 8 mars 2013.

Cet accord détermine le régime juridique des militaires déployés dans le cadre de l'opération Barkhane. Il prévoit un statut beaucoup plus souple et protecteur que celui de l'accord de coopération : il n'est pas réciproque, il exclut le partage de juridiction avec l'Etat malien, il réduit au minimum les formalités d'entrée sur le territoire, prévoit des possibilités de survol et de déplacement très supérieures, etc. En bref, cet accord donne à l'armée française la flexibilité nécessaire à la conduite d'opérations de guerre.

L'accord que nous examinons ne se substitue pas à ce régime, puisqu'il concerne les activités de coopération et pas l'opération Barkhane. En revanche, l'article 25 prévoit que, à la demande de la France, les personnels mobilisés dans le cadre des actions de coopération pourront se voir appliquer le régime juridique de Barkhane. Le but est de permettre, en cas de besoin, une montée en puissance du dispositif de Barkhane. Mais il ne s'agit pas d'une clause d'assistance puisque cet engagement n'a rien d'automatique.

En conclusion, que penser de ces accords ? Incontestablement, la philosophie qui les anime est la bonne. La France n'a ni les moyens, ni la vocation d'assurer la sécurité des pays africains à leur place. En revanche, elle a un rôle à jouer pour orienter et appuyer la réforme des forces armées et la montée en puissance d'une architecture africaine de paix.

De ce point de vue, les progrès paraissent parfois lents. Mais il ne faut pas pour autant en déduire que rien ne fonctionne. On observe de plus en plus une appropriation des enjeux de sécurité par les dirigeants africains. Des réponses africaines commencent à se mettre en place, souvent avec l'aide de la France. Je reviens dans mon rapport sur les exemples du G5 Sahel et de la stratégie maritime dans le Golfe de Guinée, qui sont plutôt prometteurs. La Conférence de Lomé, qui doit avoir lieu en octobre prochain, sera l'occasion de confirmer les progrès accomplis par les pays riverains du Golfe de Guinée dans la prise en compte des enjeux de sécurité maritime.

A l'évidence, tout cela prendra du temps. Mais c'est exactement la perspective des accords que nous examinons. Sans engager la France dans une assistance militaire dont elle n'aurait pas les moyens, ces accords ancrent notre partenariat avec le Mali et la Guinée dans la durée. Je suis donc tout à fait favorable à leur approbation. L'accord avec le Mali a été approuvé par le Sénat au mois de février, tandis que nous sommes la première assemblée saisie de l'accord avec la Guinée.

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On ne peut que se réjouir de l'initiative consistant à donner un cadre juridique stable à la coopération militaire dont ces pays amis ont besoin, et particulièrement le Mali, où se concentrent également des efforts de coopération régionale. Je voudrais profiter de ces rapports pour porter à votre connaissance, une initiative dont Monsieur Houngbedji, le Président de l'Assemblée nationale du Bénin, a faire part au Président Bartolone vendredi : celle-ci consiste à essayer de rassembler les différents pays de la région avec la France au niveau des parlements. Il s'agit d'avoir une réflexion partagée sur la question de la lutte contre le terrorisme et les moyens législatifs à adopter à cette fin. Au Mali, le Bénin participe au travers d'éléments de ses forces armées aux initiatives dans lesquelles la France tient un rôle majeur. Je pense que nous ne pouvons qu'encourager, au-delà des accords bilatéraux, ces initiatives régionales qui associent la France, y compris, au delà des forces armées, sur le plan parlementaire, c'est-à-dire celui de la représentation des peuples.

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J'ai trois brèves questions. La première porte sur la procédure. La commission de la Défense a-t-elle été saisie ? La deuxième concerne le régime juridique applicable aux soldats français envoyés dans ces deux pays. Peuvent-ils être jugés par les autorités locales ? C'est une question importante, parce que l'on voit qu'il arrive que des militaires français déployés à l'étranger fassent l'objet d'accusations pour mauvais traitements, qui j'espère sont infondées. Les Américains par exemple excluent toute possibilité de jugement par les juridictions locales. La troisième question renvoie au fait que la mission européenne est dirigée par un Allemand. Combien les Allemands ont-ils de militaires au sein de cette mission ?

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Je voudrais remercier le rapporteur pour la clarté et la brièveté de son exposé. Il était utile de souligner les points communs et les différences entre la coopération avec la Guinée et le Mali, et de nous montrer que la démarche mise en oeuvre est une démarche de coopération et non de substitution. Ma question porte sur le récent accord sur les autorités intérimaires conclu à Bamako. Vous avez mentionné la présence du ministre des Affaires étrangères algérien. L' Algérie s'est-elle impliquée dans ce processus ? A quel niveau ? Quel rôle a-t-elle joué dans la conclusion de cet accord ?

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S'agissant de l'implication algérienne dans le processus de paix au Mali, il faut noter que l'accord de paix entre le gouvernement malien et les rebelles a été signé à Alger. En outre, le ministre algérien des Affaires étrangères s'est particulièrement engagé sur cette question, et d'une manière déterminante. Enfin, la question de la paix dans le nord du Mali intéresse de près le gouvernement algérien, car un grand nombre de chefs terroristes maliens se sont réfugiés en Libye et notamment en Algérie.

Je salue la proposition d'une coopération des parlements et le travail accompli sur ce sujet par le Bénin. Il est important que les États de la région, qui se sentent menacés par le terrorisme, puissent coopérer dans un cadre juridique et rapprocher leurs législations. Les échanges entre les parlements devraient ensuite aboutir à une charte juridique commune.

La commission des Affaires étrangères a toujours eu compétence, à titre principal, sur les conventions de coopération militaire, et la commission de Défense se saisit pour avis.

La France intervenait initialement d'une manière déterminante dans le cadre de l'EUTM. En ce sens, le premier commandant de l'EUTM était un Français et notre pays fournissait l'essentiel des troupes. Actuellement, le général qui dirige les opérations est un Allemand et l'effectif de Français sur place a nettement diminué au profit d'autres pays européens, notamment l'Allemagne, qui déploie environ 300 à 350 soldats.

Au sujet des priorités de juridiction, l'accord de coopération prévoit une compétence de principe de l'État malien en cas d'infraction commise par un militaire français sur son territoire, sauf lorsque cette infraction concerne prioritairement la France.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte les projets de loi (n° 3498 et 2607) sans modification.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte les projets de loi (n° 3498) et (n° 2607) sans modification.

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Nous examinons enfin, sur le rapport de Mme Marilyse Lebranchu, le projet de loi, adopté par le Sénat, sur l'amendement à la convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest du 24 octobre 1978

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Il me revient de vous présenter le projet de loi autorisant l'approbation de l'amendement à la convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest du 24 octobre 1978.

Cette convention a créé l'Organisation des Pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest (OPANO), une organisation de gestion des pêches chargée de la gestion durable des res-sources halieutiques dont la France est membre au titre du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon. L'amendement vise à améliorer l'efficacité de l'OPANO en apportant certaines modifications à son mode de fonctionnement.

L'OPANO a succédé à la Commission des pêches dans l'Atlantique du Nord-Ouest (CIPAN), créée en 1950 pour ré-guler la gestion des stocks de poissons dans le Nord-Ouest de l'Océan Atlantique, les activités de pêche ayant atteint après la Seconde Guerre mondiale une intensité susceptible de me-nacer leur renouvellement. L'accord de 1978 faisait suite à l'élargissement de leurs zones économiques exclusives à 200 miles nautiques par le Canada, la France et les États-Unis.

La zone de compétence de la convention est délimitée par le 35e parallèle au Nord et le 42e méridien à l'Ouest, soit une zone de 6 551 289 km2. Les États côtiers de cette zone sont les États-Unis, la France pour Saint-Pierre-et-Miquelon, le Canada et le Danemark pour le Groenland.

La France est membre de l'OPANO à la fois en tant que membre de l'Union européenne et au titre du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon. L'Union européenne étant compé-tente en matière de pêche, c'est elle qui représente ses États membres auprès de l'organisation. Toutefois, l'Union euro-péenne n'exerce pas cette compétence dans les « pays et ter-ritoires d'outre-mer » de ses États membres, dont fait partie Saint-Pierre-et-Miquelon. La France est par conséquent éga-lement et directement membre de l'organisation en tant qu'État côtier, afin de défendre les intérêts du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon., tandis que l'Union européenne dé-fend principalement ceux de l'Espagne et du Portugal, pays dont les flottes de pêche sont présentes dans la zone de l'OPANO.

La principale activité de l'OPANO est la protection des ressources halieutiques, par la fixation de totaux autorisés de capture portant sur onze espèces réparties sur dix-neuf stocks. L'OPANO observe les activités de pêche grâce à un système de transmission horaire par satellite qui lui fournit la position de chaque navire de pêche. Les activités de pêche non autorisées sont qualifiées par l'OPANO d'activités de pêche illégale, non autorisée et non réglementée (pêche INN). L'OPANO impose également des restrictions géographiques pour les activités de pêche profonde dans certaines zones sensibles.

L'action de l'OPANO s'est toutefois révélée insuffisante pour prévenir l'effondrement des stocks observé au début des années 1990. Il lui a notamment été reproché d'avoir autorisé des totaux admissibles de capture trop élevés et in-suffisamment fondés sur des avis scientifiques de bonne qua-lité et de ne pas avoir pris de mesure efficace contre la pêche INN. Les États parties ont par ailleurs trop fréquemment eu recours à la procédure d'objection prévue par la convention de 1978, qui leur permettait de décider unilatéralement de ne pas appliquer une décision de l'organisation.

L'amendement soumis à notre examen s'efforce de tenir compte de ces critiques.

L'amendement modifie la procédure d'objection, qui permettait jusqu'à présent à un État partie de se soustraire aux décisions de gestion des stocks de l'organisation. Désormais, l'État partie devra présenter des explications qui pourront être soumises à l'examen d'un groupe d'experts indépendants.

La règle de la majorité simple est considérée comme partiellement responsable d'un usage trop fréquent par les États parties de la procédure d'objection. Désormais, la règle de principe sera le consensus, la règle de la majorité des deux tiers étant appliquée en cas de recours au vote.

Il est introduit un mécanisme de règlement des diffé-rends qui fait intervenir un groupe d'experts ad hoc et les procédures obligatoires prévues par l'accord des Nations unies de 1995.

La gouvernance de l'organisation est simplifiée par la fusion du Conseil général et de la Commission des pêches, en grande partie constituées des mêmes représentants, en une seule « commission ». La nouvelle structure de gouvernance est décrite aux articles 5 à 8 de la convention amendée.

Il est créé un plafonnement budgétaire pour les parties contractantes ayant une population de moins de 300 000 habitants, dont la contribution ne peut dépasser 12 % du budget. Cependant, le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon ne sera pas affecté par cette disposition puisque sa contribution est actuellement de 2,3 %, c'est-à-dire très en dessous du nouveau plafond.

Cet amendement à la convention de 1978 a donc une portée relativement limitée. Il devrait cependant améliorer l'efficacité de l'OPANO en rendant plus difficile la non ap-plication de ses décisions par les États parties et en rationali-sant sa gouvernance.

L'amendement entrera en vigueur s'il est approuvé par neuf des douze États membres de l'OPANO. Sept d'entre eux l'ayant déjà approuvé, l'approbation de la France n'aboutira pas à pas son entrée en vigueur immédiate mais y contribuera.

Pour ces raisons, je vous invite à approuver ce texte.

Je souhaite d'autant plus que vous apportiez votre sou-tien à cet amendement à la convention, que beaucoup de su-jets internationaux difficiles sont liés à la gestion des res-sources en protéines, et il s'agit ici d'une ressource en pro-téine majeure.

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Vous avez mentionné la liste des navires pratiquant la pêche INN. Quelles sont les sanctions liées au fait d'être mentionné dans cette liste ? Quel en est l'effet concret ?

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D'abord, le fait d'être sur cette liste noire est une sanction en soi, en plus des éventuelles amendes et interdictions de pêche. La mauvaise publicité est parfois aussi importante que la sanction.

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Est-ce que dans l'esprit de la proposition de loi récemment défendue par Serge Letchimy sur la coopération nationale, la partie française inclut dans l'organisation une représentation de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon ?

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La France représente Saint-Pierre-et-Miquelon et la collectivité est représentée au sein de la délégation française. Je vous ai fait part du courrier par lequel M. Stéphane Artano, président de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, indique à notre collègue Stéphane Claireaux son soutien à l'amendement, et ce soutien est motivé par le fait que la France défend les intérêts de la collectivité en tant que membre de l'organisation.

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Vous avez mentionné la Corée du Sud. La Chine fait-elle partie de l'organisation ?

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La Chine n'est pas membre de l'organisation, dont elle ne pourrait au demeurant pas faire partie en tant qu'État côtier puisqu'elle n'est pas proche de la zone de compétence de l'OPANO.

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Des précisions importantes de la part d'une parlementaires bretonne.

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Madame la Présidente, c'est important, puisque si les Bretons, les Basques et les Britanniques n'étaient pas allés pêcher là-bas au XVIe siècle, l'histoire eût été différente.

Suivant l'avis de la rapporteure, la commission adopte le projet de loi (n° 3576) sans modification.

La séance est levée à dix-neuf heures quinze.