Commission des affaires étrangères

Réunion du 29 juin 2016 à 16h15

Résumé de la réunion

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  • azerbaïdjan
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  • recevabilité

La réunion

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Examen, ouvert à la presse, de la proposition de résolution de MM. François Rochebloine, Thierry Benoit et Charles de Courson et plusieurs de leurs collègues tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux relations politiques, économiques et diplomatiques entre la France et l'Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase (n° 3764) – Mme Elisabeth Guigou, rapporteure

La séance est ouverte à seize heures quinze.

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Nous allons procéder, sur le rapport de Mme Elisabeth Guigou, rapporteure, à l'examen de la proposition de résolution de MM. François Rochebloine, Thierry Benoit et Charles de Courson et plusieurs de leurs collègues tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux relations politiques, économiques et diplomatiques entre la France et l'Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase (n° 3764). Le président du groupe UDI a déclaré en Conférence des Présidents qu'il exerçait son « droit de tirage » à propos de cette proposition.

Depuis la réforme du Règlement de 2014, dans ce cas de figure, la Conférence des Présidents créée directement la commission d'enquête après que la commission compétente a constaté la recevabilité de la proposition. La proposition n'est donc plus discutée en séance.

La commission compétente se prononce sur la recevabilité de la proposition et non pas sur l'opportunité et elle ne peut amender la proposition.

Par ailleurs, le bureau de notre commission s'est réuni hier matin pour organiser notre discussion. Il a décidé que les temps de parole des orateurs seraient limités à deux minutes à l'exception de celui de l'auteur de la proposition, notre collègue François Rochebloine, qui disposera de cinq minutes

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Comme l'a rappelé notre président, la commission doit se prononcer sur la recevabilité de la proposition et non sur son opportunité. Je concentrerai mon propos sur la question de la recevabilité de cette proposition.

En premier lieu, il convient de vérifier si sont bien respectées les dispositions de l'article 137 précité du Règlement, suivant lesquelles les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête doivent « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

S'agissant de la première condition – la détermination précise des faits donnant lieu à enquête, je relèverai que le dispositif de la proposition vise « les relations politiques, économiques et diplomatiques, entre la France et l'Azerbaïdjan » sans davantage de précision. La commission d'enquête aurait donc pour but d'évaluer si les relations de la France avec ce pays sont susceptibles ou non de favoriser le « développement de la paix et de la démocratie au sud-Caucase », autrement dit, de procéder à une évaluation de la pertinence de notre politique étrangère à l'égard de ce pays.

On observera que le dispositif de la proposition relative à la création de la commission d'enquête sur les infirmières bulgares était plus précis puisque son objet était « de connaître les conditions exactes de la libération des otages de Libye, ainsi que le contenu, la portée et les termes de la négociation des protocoles d'accord conclus par la France avec la Libye. ». Lors de l'examen en commission, le rapporteur avait souligné que l'objet de la commission d'enquête était bien circonscrit ; il s'agissait selon lui, « de faire toute la lumière sur les contreparties que la France aurait concédées à la Libye pour obtenir la libération des infirmières et du médecin, en particulier sur le contenu et la portée des protocoles d'accord signés peu de temps après celle-ci. ».

La proposition de résolution ne répond pas à la deuxième condition posée par cet article puisqu'elle ne propose pas d'enquêter sur la gestion d'un service ou d'une entreprise public.

En deuxième lieu, la proposition de résolution satisfait, en revanche, le critère de recevabilité prévu au premier alinéa de l'article 138 du Règlement, suivant lequel : « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête ayant le même objet qu'une mission effectuée dans les conditions prévues à l'article 145-1 ou qu'une commission d'enquête antérieure, avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l'une ou de l'autre ». Aucune des commissions d'enquête constituées dans les douze dernier mois n'a porté sur des faits qui relèveraient, partiellement ou en totalité, du domaine de la proposition.

En troisième lieu, la proposition de résolution satisfait aussi le critère prévu au deuxième alinéa de l'article 139 du Règlement suivant lequel une proposition ne peut être mise en discussion si le Garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Le troisième alinéa du I de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit, quant à lui, que la mission d'une commission d'enquête déjà créée « prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter ».

Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a fait savoir, dans un courrier du 8 juin 2016, qu'«aucune des procédures dont a été informée l'administration centrale de [son] ministère ne fait ressortir de poursuites judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ».

On peut s'interroger sur l'intérêt de mettre en place une commission d'enquête sur un sujet aussi large qui serait probablement aussi bien traité par une mission d'information. La vocation d'une commission d'enquête est de permettre de procéder à des investigations. Pour les actions de contrôle plus générales, les missions d'information paraissent bien mieux adaptées.

Certes, rien ne s'oppose dans notre Règlement à ce qu'une commission d'enquête porte sur un sujet de politique étrangère. Il existe d'ailleurs un précédent avec la création de la commission d'enquête « sur les conditions de libération des infirmières et du médecin bulgares détenus en Libye et sur les récents accords franco-libyens ».

Cependant, les pouvoirs d'investigation accordés à une commission d'enquête sont d'un intérêt limité en matière de politique étrangère. Le secret diplomatique demeure opposable à ces investigations et les prérogatives spécifiques à une commission d'enquête (obligation de déférer à une convocation, serment des personnes auditionnées, obligation de communiquer des documents, pouvoir du rapporteur de procéder à des enquêtes sur pièce et sur place) ne sauraient s'appliquer à des autorités étrangères.

D'une portée pratique limitée, la création d'une commission d'enquête a en revanche une portée symbolique et donc politique qu'on ne peut ignorer, d'autant que l'exposé des motifs de la présente proposition de résolution paraît déséquilibré. Par exemple, il tient pour acquis que l'Azerbaïdjan porterait l'entière responsabilité des récentes violations du cessez-le-feu et ne prend pas en considération le fait que la question du Karabagh est une question douloureuse, très douloureuse, pour les deux parties en présence, notamment en raison des centaines de milliers d'Azéris chassés de leurs villages à la suite de la guerre de 1994. Ces partis pris sont en contradiction avec le fait que la France, en tant que membre du groupe de Minsk, se doit d'observer une stricte neutralité. C'est une condition nécessaire pour exercer une telle fonction de médiation.

C'est pourquoi, soulignant le caractère très général de la présente proposition de résolution, votre Rapporteure exprime le voeu que cette initiative débouche sur la création d'une mission d'information de la commission des affaires étrangères sur le conflit du Haut Karabagh et la médiation du groupe de Minsk.

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Je considère, comme presque toutes les personnes de mon groupe, que la proposition de résolution n'est pas recevable. Vous avez cité l'ordonnance de 1958, qui prévoit que la proposition de résolution doit porter soit sur des faits déterminés, soit sur une question relative aux services publics ou aux entreprises publiques nationales. La proposition que nous examinons a pour but de déterminer si la France peut maintenir ses relations économiques, politiques et autres avec l'Azerbaïdjan : il ne s'agit en rien de faits déterminés. En outre, comme l'a dit la rapporteure, la commission d'enquête, si elle était créée, porterait atteinte à la position de la France en tant que médiateur du groupe de Minsk : notre indispensable neutralité se trouverait remise en cause. Il faut souligner qu'aucune commission d'enquête n'a jamais porté sur les relations de la France avec un pays étranger. La commission d'enquête sur la libération des infirmières bulgares, dont j'étais rapporteur, portait précisément sur les conditions de la libération de ces infirmières détenues en Libye et sur les accords signés par la suite. Si nous établissons ce précédent avec l'Azerbaïdjan, rien n'empêche que nous créions des commissions d'enquête sur tous les États de l'ONU. Je pense que cela affaiblirait considérablement la position diplomatique de la France.

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En tant que membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je suis régulièrement confronté au problème de la violation des droits de l'Homme en Azerbaïdjan et je comprends les préoccupations de François Rochebloine. Le bilan de l'Azerbaïdjan en la matière est catastrophique : tous les défenseurs des droits de l'Homme dans le pays sont en prison ou à l'hôpital, à l'image d'Ilgar Mammadov, de Bayram Mammadov, d'Hiyas Ibrahimov ou encore de Leyla et Arif Yunus. J'ai été témoin des manoeuvres déployées par l'Azerbaïdjan pour placer un juge complaisant dans l'institution. Comme d'autres, j'ai vu l'émission « Cash investigation » qui montrait l'influence du régime en France et les liens qu'il entretient avec certains de nos collègues. Je comprends donc la démarche de François Rochebloine. Cependant, je ne pense pas que la commission d'enquête soit l'outil adapté. Les responsables azerbaïdjanais ne manqueront pas de se réfugier derrière leur immunité diplomatique. En revanche, il me semble qu'une mission d'information serait une bonne idée. Cela permettrait de recevoir des ONG ayant voix au chapitre, ainsi que celles et ceux qui souffrent des pratiques de ce régime. Ce serait, je crois, la meilleure manière de faire la lumière sur ce scandale démocratique.

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Les arguments de droit exposés par la Présidente et soutenus par Axel Poniatowski sur la recevabilité sont très clairs et fondés. J'en veux pour preuve la manière dont cette résolution est rédigée.

Il est fait allusion au fait que l'Azerbaïdjan est devenu un pays très riche sur le plan énergétique, aux relations économiques importantes que nous entretenons avec lui et à un certain nombre de visites de chefs d'Etat, même si celle à laquelle j'ai participé à la fin du quinquennat précédent n'est pas mentionnée – le Président de la République de l'époque s'était rendu une journée en Arménie et trois heures en Azerbaïdjan.

Il est également fait référence à la rupture du cessez-le-feu. Je tiens à rappeler que les événements du Haut-Karabagh sont le sous-produit de l'escalade militaire brutale entre la Russie et la Turquie, après que l'armée turque a abattu un chasseur-bombardier russe à la frontière entre la Syrie et la Turquie. Un hélicoptère turc a ensuite été abattu par des missiles livrés par des Russes à des Kurdes et on a vu s'enflammer la situation au Haut-Karabagh. La situation est donc très complexe.

Ces différentes mentions montrent bien que nous avons affaire, avec cette proposition de création d'une commission d'enquête, à un jugement sur la politique étrangère de la France. J'y vois un vrai problème. Si l'on s'engage sur cette voie, il y a bien 120 ou 130 pays qui mériteraient aussi que l'on ouvre une commission d'enquête, comme le soulignait Axel Poniatowski, soit parce qu'ils ne respectent pas les droits de l'Homme, soit parce que nous n'approuverions pas leur comportement dans tel ou tel conflit. Nous sommes sous la Ve République. Nous avons des pouvoirs de contrôle en matière de politique étrangère mais, à moins de changer complètement la nature de nos institutions, ce genre de commission d'enquête n'est pas le meilleur moyen de porter un jugement sur ce que fait le Gouvernement. Pour autant, l'opposition ne se prive pas, dans cette commission, de critiquer la position de la France là où nous pensons qu'elle n'est pas suffisante.

Il y a ensuite la question des droits de l'Homme et les accusations de malversation, avec une référence à l'affaire des « Panama Papers ». Il y a un problème de droit. En la matière, que peut faire une démocratie comme la France ?

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Je veux répondre à notre collègue Rochebloine… La recevabilité d'une commission d'enquête n'est pas évidente, mais on peut donner, par la loi, une compétence universelle aux tribunaux français, ce qu'ont essayé de faire les Belges. Je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur moyen d'agir. On peut aussi donner une portée extraterritoriale à la loi, comme le font les Américains, mais je ne suis pas non plus certain que ce soit la meilleure façon de stabiliser les relations internationales, bien au contraire. Ou bien on peut lever l'immunité souveraine et permettre à la justice française d'intervenir.

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Je dois vous interrompre. Le bureau a limité les interventions à deux minutes.

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Beaucoup a déjà été dit à ce stade du débat. Je partage totalement la sensibilité de Pierre-Yves Le Borgn' sur la question des droits de l'Homme et nous connaissons tous l'attachement de notre collègue Rochebloine à celle du Haut-Karabagh. J'ai écouté avec beaucoup d'attention l'argumentation précise de notre présidente et aujourd'hui rapporteure. La rédaction très générale de la résolution ne suffit pas à justifier une commission d'enquête. Ce serait en outre un précédent peut-être préjudiciable et qui risque de nous entraîner trop loin. Notre médiation serait mise en cause, puisque nous pourrions être considérés comme étant à la fois juge et partie. Le groupe socialiste ne souhaite donc pas donner une suite favorable à cette proposition de création d'une commission d'enquête. Mais je ne vois pas d'obstacle à la constitution d'une mission d'information sur le sujet.

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Nous sommes réunis aujourd'hui non pas pour faire le procès ou prendre la défense du régime de l'Azerbaïdjan - chacun a ses convictions à ce sujet - mais pour voir si la demande qui est formulée par le groupe UDI est recevable ou non. Je crois que les textes sont clairs, vous l'avez rappelé Madame la Présidente : l'ordonnance de novembre 1958 exige que ce soit sur des faits déterminés, relatifs à la gestion des services publics ou des entreprises nationales, que portent ces commission d'enquête. Pierre Lellouche l'a rappelé, ainsi que le président Poniatowski : il n'y a eu à ce jour aucune commission d'enquête qui a porté sur les relations de notre pays avec un État étranger. J'ai le sentiment qu'avec une telle commission d'enquête, « on se tirerait une balle dans le pied », pour deux raisons. D'une part parce qu'elle irait à l'encontre de l'orientation choisie par la France dans sa politique étrangère, en tant que coprésidente du groupe de Minsk et dans la mesure où elle envisage la réunion d'une grande conférence à Paris, après celles de Vienne et de Saint-Pétersbourg. D'autre part parce que l'Azerbaïdjan est notre premier partenaire économique dans le sud Caucase. Tous les éléments nous poussent à mon sens à abonder sur la non-recevabilité de cette demande de commission d'enquête.

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Je rappelle que nous ne discutons pas de l'opportunité du fond mais de la recevabilité de la requête autour de trois critères, qui ont été rappelés par notre rapporteure et présidente.

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Je suis tout à fait d'accord avec l'analyse et les conclusions de Madame Guigou et de mes collègues. Le critère de recevabilité ne me semble pas pouvoir être rempli. Cette commission d'enquête représenterait un précédent très grave, car cela signifierait que l'on pourrait ouvrir une commission d'enquête sur chacun des pays que nous aurions à critiquer. Cela n'enlève rien à la considération que j'ai pour le problème des droits de l'Homme en Azerbaïdjan, dont Monsieur Le Borgn' a parlé avec beaucoup de précision et d'émotion. Je le réitère toutefois, cela ne me parait pas recevable.

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Le 14 juin dernier, le président du groupe UDI, Philippe Vigier, a fait savoir à la conférence des présidents qu'il souhaitait exercer son droit de tirage sur la proposition de résolution n°3764 tendant à la création d'une commission d'enquête.

Nous sommes appelés aujourd'hui à vérifier la recevabilité de cette demande, sachant que notre commission n'a pas à se prononcer sur son opportunité. Certains ont fait un certain nombre de déclarations sur lesquelles je serai obligé de revenir. Trois conditions sont requises. Les deux premières, à savoir l'absence de commission d'enquête ou de mission d'information sur le même sujet au cours des douze mois précédents, et l'inexistence de poursuites judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition proposition, sont l'une et l'autre remplies, comme l'a rappelé Madame la rapporteure. La troisième est contenue à l'article 137 du règlement de l'Assemblée nationale, qui requiert un objet suffisamment précis de la commission d'enquête. Je vais m'efforcer de démontrer qu'elle est également remplie.

L'exposé des motifs précise qu'il s'agit de “veiller à la cohérence de l'action diplomatique” à l'endroit de l'Azerbaïdjan “avec les objectifs généraux de la politique étrangère de la France, en particulier la promotion de la paix et de la sécurité collective, et les progrès de la démocratie dans la région du Caucase du Sud”.

L'exposé des motifs le rappelle, la France est coprésidente du groupe de Minsk avec les États-Unis et la Russie, qui tente depuis 1992 au sein de l'OSCE d'aboutir à une résolution pacifique du conflit du Haut-Karabagh opposant l'Azerbaïdjan à l'Arménie. Je rappelle que cette région du Haut-Karabagh était auparavant peuplée en grande majorité d'Arméniens. Les choses sont bien claires, cette position de la France lui fait un devoir de ne pas favoriser l'un des belligérants, par son activité diplomatique, économique ou militaire.

Les échanges commerciaux entre la France et l'Azerbaïdjan représentent chaque année près de 2 milliards euros, mais cela ne permet pas tout. Le ministère des affaires étrangères indique que “les relations franco-azerbaïdjanaises dans le domaine de la coopération et de la culture sont excellentes”.

Lorsque j'étais le rapporteur de la loi de reconnaissance du génocide arménien (la France était alors la première à le faire), j'avais entendu beaucoup de choses, et notamment qu'on allait perdre des marchés. En réalité, nous n'avons rien perdu du tout. Nous sommes aujourd'hui suivis par beaucoup d'autres (récemment par l'Allemagne) et je crois qu'on peut être heureux et fiers d'avoir été les premiers à prendre cette initiative.

D'autre part, le régime azerbaïdjanais est régulièrement dénoncé par l'ONU et les ONG en raison des atteintes répétées aux droits de l'Homme, à la démocratie et à la liberté d'expression, comme l'a rappelé très justement Pierre-Yves le Borgn'. Il a cité Leyla Yunus et son mari, qui ont été victimes de plusieurs années de prisons, et qui se trouvent aujourd'hui dans un état de santé déplorable.

L'objet des travaux de la commission d'enquête est défini avec une précision suffisante. À ce jour, la proposition de résolution répond aux conditions posées tant par l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, que par les articles 137 à 139 du règlement de l'Assemblée nationale.

Je rappelle enfin qu'une commission d'enquête ne peut certes pas convoquer un étranger, vous l'avez rappelé Madame la Rapporteure, mais rien ne l'empêche de s'intéresser à des agissements étrangers, et de demander à des Français de témoigner.

Aussi je considère pour ma part que rien ne s'oppose à la recevabilité de cette demande de commission d'enquête. Si la recevabilité n'était pas reconnue, certains ne manqueraient pas d'interpréter ce choix comme un renoncement des parlementaires à un de leurs droits les plus fondamentaux et consubstantiels à la démocratie et à la transparence. Pour ma part, croyez bien que je n'en resterai pas là. Ce ne sont pas des menaces.

Je trouve inadmissibles les pressions qui ont été exercées dès le jour du vote de cette proposition à l'intérieur du groupe UDI. L'ambassadeur d'Azerbaïdjan a dès l'après-midi contacté le président de notre groupe, et a à plusieurs reprises exercé des pressions, puisqu'il a écrit à tous les collègues de mon groupe. Il a fallu que je rétablisse par courrier ce qui avait été écrit, qui était totalement faux.

Quand je dis que je n'en resterai pas là, je veux dire qu'il y a d'autres solutions et propositions à envisager.

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J'ai taché dans mon rapport de m'en tenir aux considérations de droit, puisque notre commission doit apprécier en dehors de toute autre considération la recevabilité sur des points de droits. Il est vrai que l'examen des conditions qui sont évoquées dans le règlement, montre que, si deux de ces conditions sont satisfaites, la troisième ne l'est pas.

Ensuite, et je sors là des considérations de droit : nous sommes face à un conflit qui dure depuis très longtemps et notre commission est tout à fait fondée à s'intéresser à ce qui se passe notamment dans le Haut-Karabagh et au positionnement des deux pays. J'ai conclu mon rapport en disant qu'il me semble que, alors que la commission d'enquête n'est pas le meilleur moyen pour nous de travailler, une mission d'information serait en revanche pour toutes les raisons qui ont été dites tout à fait souhaitable. En tant que rapporteure, je fais la proposition d'une mission d'information.

Les échanges sur cette question difficile - dans la mesure où nous avons tous nos attachements, se sont toujours passés dans la plus grande courtoisie et pour ma part avec la plus grande considération pour le travail assidu que François Rochebloine mène dans cette commission. On ne peut être indifférent aux considérations développées par nos collègues. en particulier Pierre-Yves Le Borgn'.

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J'ai effectivement été reçu par le ministre des affaires étrangères et par vous-mêmes, Madame la Présidente, et les échanges ont été toujours très courtois, sans aucune agressivité ni aucune pression, ce qui n'est pas le cas de tous.

Se prononçant en application de l'article 140, alinéa 2, du Règlement, la commission, adoptant le rapport, constate que ne sont pas réunies les conditions requises pour la création de la commission d'enquête demandée dans la proposition de résolution relative aux relations politiques, économiques et diplomatiques entre la France et l'Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase (n° 3764).

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Madame la Présidente, souhaitez-vous que nous mettions aux voix la proposition de mission ?

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Je crois que ça n'est pas indispensable puisque une large majorité a reconnu que c'était la meilleure façon de procéder. Si Monsieur Rochebloine le souhaite, je n'y vois toutefois aucun inconvénient.

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Je vais en effet étudier cette possibilité, mais il y en a d'autres, comme nous l'avons évoqué hier en bureau de commission. Il faut prendre en compte l'existence du groupe de Minsk : nous ne sommes pas là pour régler le conflit du Karabagh. Nous verrons ce que nous pouvons faire dans les jours qui viennent.

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La question de recevabilité a été tranchée. En réponse à la proposition de mission d'information de la présidente, je souhaiterais m'exprimer sur le fond.

Il faut distinguer les options. S'agirait-il de centrer cette mission sur le régime de l'Azerbaïdjan, ou bien s'agirait-il de regarder l'état du conflit larvé dans le Haut-Karabagh, et que je connais bien. Je me suis rendu en Arménie au début des années 90 pour ouvrir une assistance médicale aux Arméniens qui venaient d'avoir leur indépendance. Je suis allé un certain nombre de fois en Arménie, y compris en Haut-Karabagh. Je suis allé également trois fois en Azerbaïdjan, la dernière fois avec le président de la République de l'époque. Ce conflit me touche. J'ai également une communauté arménienne dans ma circonscription. Je veux contribuer à une solution de ce conflit.

Il n'est pas absurde, que la commission veuille s'intéresser à cette question, notamment à la suite de ce qui s'est passé entre la Russie et la Turquie. D'ailleurs, la cessation du cessez-le-feu vient de l'inflammation brutale entre la Russie, présente en Arménie, et la Turquie, très influente en Azerbaïdjan. Je serai favorable d'une façon ou d'une autre que la commission regarde de près ce dossier.

Néanmoins, ce qui m'a surpris, c'est la rédaction de la proposition de M. Rochebloine, car elle mélange plusieurs sujets à la fois : l'énergie, les droits de l'Homme et la violation, qu'elle attribue uniquement à l'Azerbaïdjan, alors que c'est plus compliqué, du cessez-le-feu. Mais il faut bien sûr regarder la politique de la France dans cette région, car ce conflit n'est pas sans lien avec la situation en Ukraine.

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Notre commission s'est prononcée sur la recevabilité de la proposition de commission d'enquête. Une proposition différente a été présentée par la rapporteure, et le bureau de la commission en a approuvé le principe, celle de créer une mission d'information sur le conflit au Haut-Karabagh et la médiation du groupe de Minsk. Ainsi, dans le cas où la commission d'enquête ne serait finalement pas créée par la Conférence des présidents, la commission créerait une mission d'information sur ce sujet avec 4 membres issus de la majorité et 3 de l'opposition. Le plus simple serait donc de mettre aux voix cette proposition.

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Je me suis peut être mal exprimé tout à l'heure : je ne souhaite pas la création de cette mission, mais que la Conférence des présidents créée une mission de la Conférence. Donc attendons et prenons un peu de recul.

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Pour le moment, il y a une proposition du rapporteur. Un principe a été approuvé par le bureau de la commission. Donc je mets aux voix la proposition de création d'une mission d'information sur le conflit du Haut Karabagh et la médiation du groupe de Minsk.

La création de la mission d'information est adoptée, sous réserve de la décision de la Conférence des présidents.

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Nous examinons maintenant le rapport de la mission d'information sur la diplomatie et la défense des frontières maritimes de la France, dont MM. Paul Giacobbi et Didier Quentin sont co-rapporteurs.

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Avec environ 11 millions de kilomètres carrés placés sous sa juridiction, la France détient la deuxième superficie maritime du monde, juste après les États-Unis qui possèdent 11,3 millions de kilomètres carrés, soit 300 000 kilomètres carrés d'écart environ. S'y ajoutent, potentiellement, 1,8 million de kilomètres carrés supplémentaires de fonds marins, grâce aux éventuelles extensions du plateau continental. Or, ce n'est pas le cas pour les États-Unis, qui n'ont pas ratifié la convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) de 1982.

Les espaces maritimes jouent un rôle de plus en plus important. D'une part, la convention de 1982 a renforcé les droits des États côtiers sur la mer. Elle leur a ainsi reconnu certaines compétences et facultés sur la zone économique exclusive (ZEE), qui s'étend jusqu'à 200 milles marins vers le large, bien au-delà de la limite des 12 milles qui marque la mer territoriale. Elle leur a également donné une faculté d'extension du plateau continental, au-delà de ces mêmes 200 milles, lorsque les conditions géologiques sont réunies. D'autre part, placé au coeur de la mondialisation, le transport maritime est en pleine expansion. La convention de 1982 a réaffirmé la liberté des mers et la liberté de navigation, y compris le droit de passage inoffensif dans la mer territoriale et le droit de passage dans les détroits.

Le Général de Gaulle, visionnaire comme très souvent, ne s'y était pas trompé, puisque dans l'un de ses derniers grands discours, prononcé à Brest en 1969, il déclarait : « L'activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche de l'exploitation de la mer, et naturellement, les ambitions des Etats chercheront à dominer la mer pour en contrôler l'activité et les ressources ». Nous y sommes…

Il convient également de rappeler que l'essentiel des espaces maritimes français est situé dans nos outre-mer, à raison de 97%, et principalement dans le Pacifique (4,8 millions de kilomètres carrés) et dans l'océan Indien (2,67 millions). Ces espaces, qui donnent lieu à des frontières méconnues, notamment avec l'Australie dans l'océan Indien et dans le Pacifique, ainsi qu'avec l'Afrique du Sud, sont en cours de délimitation.

Toutes les notifications à l'ONU ne sont pas encore intervenues. Cela ne fait cependant pas obstacle à l'application des lois françaises dans les espaces concernés. Établir des délimitations est parfois long et difficile, comme c'est le cas avec l'Espagne pour la ZEE en Méditerranée, dans le golfe du Lion.

Les demandes françaises d'extension du plateau continental n'ont, en l'état, abouti que pour la Martinique, la Guadeloupe, les îles Kerguelen et la Nouvelle-Calédonie, ce qui représente 579 000 kilomètres carrés. La demande conjointe avec l'Irlande, le Royaume-Uni et l'Espagne en mer Celtique a été acceptée par la Commission des limites du plateau continental, mais la répartition de l'espace concerné fait l'objet de négociations avec nos trois pays voisins.

La demande relative à Saint-Pierre-et-Miquelon mérite une mention particulière. Elle est tout à fait fondée et sa contestation par le Canada ne doit pas conduire à un déni de droits, en défaveur de la France. Ce point a explicitement été exclu du champ de l'arbitrage de 1992 sur la ZEE. Le droit international n'interdit pas non plus a priori l'hypothèse d'une discontinuité entre la ZEE française et l'extension du plateau continental, d'autant plus que l'île de Sable, qui permet au Canada d'intercaler une partie de sa ZEE, est, comme son nom l'indique, mouvante, et qu'elle pourrait ainsi disparaître dans le futur, par exemple en cas d'élévation du niveau des océans.

Plus éloignés de la métropole que ne le sont leurs équivalents britanniques, les espaces maritimes ultramarins de la France sont parfois contestés. Notre souveraineté est ainsi mise en cause dans l'océan Indien pour les îles Éparses du Canal de Mozambique (Bassas da India, Europa, Glorieuses, Juan de Nova), ainsi que pour Tromelin et Mayotte, aujourd'hui 101ème département français, et dont la population s'est prononcée, à plusieurs reprises, à de très larges majorités pour son maintien dans la République !

Dans le Pacifique, deux îlots, Matthew et Hunter, au large de la Nouvelle-Calédonie, nous sont contestés par le Vanuatu et l'île de Clipperton l'est d'une certaine manière par le Mexique, alors qu'un arbitrage en 1931 s'était positionné en faveur de la France. Ce dernier fait l'objet de critiques ambigües de la part de Mexico, qui a contesté la délimitation de la ZEE, même si l'accord de pêche bilatéral de 2007 au profit de l'armement mexicain, avec des licences gratuites, permet de régulariser dans une certaine mesure la situation. Je me permets, à cet égard, de signaler l'excellent rapport rédigé par notre collègue, Philippe Folliot, qui a été parlementaire en mission sur le devenir de l'Ile de la Passion et qui s'intitulait : « Valoriser Clipperton par l'implantation d'une station scientifique à caractère international ».

Par ailleurs, ces espaces maritimes ultramarins sont, en permanence, soumis aux risques d'activités illégales ou « limites »... Qu'il s'agisse de la pêche illicite, des infractions environnementales, de la recherche minière, gazière ou pétrolière, des autres trafics, notamment des trafics de drogue et d'armes, et de l'immigration clandestine, comme à Mayotte, la vigilance des services concernés doit être constante. Tel est d'autant plus le cas que l'exercice de l'interlope (de la contrebande) est facilité par les progrès de la technologie embarquée sur tous les navires.

Dans ce contexte, il importe de prendre en compte plusieurs évolutions avec une grande attention.

Premièrement, la sécurité des mers se dégrade. La piraterie connaît un renouveau, même si elle peut être efficacement combattue, comme dans la Corne de l'Afrique, avec l'opération européenne Atalante de lutte contre la piraterie maritime au large des côtes somaliennes, qui est un véritable succès, dans le cadre de la force navale européenne (Eunavfor). Le développement croissant des autres activités et trafics illicites, qui va jusqu'aux trafics d'êtres humains et aux migrations illégales, est tout aussi préoccupant. Ce sont autant de menaces surveillées par les États, mais aussi par les organisations internationales, en particulier l'Organisation maritime internationale (OMI).

Deuxièmement, la géopolitique maritime évolue. La suprématie reste, certes, à la marine américaine, garante de la liberté des mers ; mais le développement de la marine de guerre chinoise, qui n'est plus une flotte côtière, « d'eaux jaunes », et devient une flotte de haute mer, « d'eaux bleues », est aussi rapide que spectaculaire. Le Chef d'état-major de la marine française, la « Royale », nous a avoué, avec une nuance d'envie dans la voix, que les Chinois fabriquaient chaque année une quinzaine d'unités, et pas des vedettes garde-côte… La marine russe est, pour sa part, en plein renouveau. Le développement des flottes militaires n'est pas limité à ces deux pays. En Asie, notamment, et en Australie, mais aussi au Royaume-Uni, entre autres, l'heure est à l'acquisition de capacités nouvelles. Pour ce qui est de l'Angleterre, en ces temps de Brexit, il y a peut-être un certain avenir pour une coopération franco-anglaise dans ce domaine.

Troisièmement, la fonte des glaces ouvre en Arctique de nouveaux espaces, avec certains désaccords, que ce soit sur le régime des passages du Nord-Ouest et du Nord-Est, sur lequel la Russie et le Canada ont leurs propres visions, différentes de celles des éventuels usagers, et sur le partage des extensions du plateau continental.

Quatrièmement, la situation en Mer de Chine suscite beaucoup d'inquiétudes. Dans un contexte historique, géographique et politique compliqué, deux litiges de souveraineté opposent la Chine à ses voisins.

L'un est au Nord, avec le Japon, à propos des îles Senkaku. L'autre est en Mer de Chine du Sud, et concerne les deux archipels des Spratleys et des Paracels. La Chine se dresse ainsi contre le Viet Nam, les Philippines, la Malaisie et le Brunei. Ces deux différends sont sources d'incidents, avec un vrai risque d'escalade.

Fondée sur des arguments d'ordre historique, notamment sur sa situation précoloniale de suzeraineté, mais aussi sur une interprétation extensive du droit de la mer, ainsi que sur la recherche d'un contrôle effectif des eaux par la construction, et parfois la militarisation, d'îles semi-artificielles et d'infrastructures – il est même question de centrales nucléaires en mer ! -, la position de la Chine suscite des réactions internationales, très fermes et fondées sur le droit.

Au Nord, la réaction du Japon a été soutenue par les États-Unis. Au Sud, une procédure d'arbitrage, encore en cours, a été intentée par les Philippines. L'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) et les États-Unis ont marqué leur désapprobation et ont protesté. Les armées américaines, l'US Navy, et l'US Air Force font régulièrement des missions sur place, pour réaffirmer les principes de la liberté des mers et la liberté de survol.

La communauté internationale ne peut, pour sa part, rester insensible à des événements qui tendent à mettre en cause le droit international et qui interviennent dans un espace aussi important sur le plan stratégique, et par lequel transite, en outre, une très large part du commerce mondial.

Au regard de ces enjeux, il est impératif que la France affirme une volonté politique, à la hauteur de l'importance de ses espaces maritimes et de ses ressources. Eric Tabarly disait « La mer, pour les Français, c'est ce qu'ils ont dans le dos quand ils regardent la plage ! » ou bien encore : « Les Gaulois sont d'indécrottables terriens… ». Notre pays possède des atouts de premier plan, et à travers lui l'Union européenne. Il serait temps de valoriser davantage ces atouts, grâce notamment à une vision stratégique pertinente comme avec le Livre bleu de 2009, toujours d'actualité, et à la stratégie nationale de sûreté des espaces maritimes d'octobre dernier.

Avant de laisser le soin à Paul Giacobbi de vous présenter ces atouts et les priorités qu'il conviendrait de mettre en oeuvre sur les moyens et longs termes, je me permets d'émettre un voeu à l'aube de la campagne présidentielle que nous allons bientôt connaître.

A deux reprises, en 1981 avec François Mitterrand et le programme élaboré par M. Louis Le Pensec, et en 19881995 avec Jacques Chirac, qui avait été pilotin dans sa jeunesse, il a été question de redonner « une grande ambition maritime » à la France. Malheureusement, cette brillante idée, pour reprendre une expression chère à notre ancien Président, a fait « pschitt… ».

J'espère qu'il n'en sera pas de même dans le proche avenir et je serais tenté de lancer un SOS : « France, n'oublie pas ta mer… ».

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Cette mission d'information est partie du constat que la considération accordée par les pouvoirs publics, jusqu'au sommet de l'Etat, sur les questions maritimes n'était pas excessive, pour rester dans l'euphémisme. Les comparaisons sont éclairantes. Ici même, l'un des ministres des affaires étrangères, et non des moindres puisqu'il a été l'un des plus brillants et des plus remarquables, M. Laurent Fabius, avait indiqué qu'il n'avait pas des connaissances très étendues en matière de droit maritime. Je n'imagine pas la même remarque de la part du ministre des affaires étrangères de la République populaire de Chine ou de celle de M. John Kerry, qui connaît fort bien ces questions. Lorsque le Président de la République s'est rendu au Canada, le Premier ministre de l'époque, M. Harper, est tout de suite intervenu avec précision sur la question de Saint-Pierre-et-Miquelon, même s'il savait avoir en partie tort sur le plan juridique. L'intérêt pour la question maritime est beaucoup plus soutenu à l'étranger.

Le paradoxe est que nous avons le premier domaine maritime du monde ou presque. Si l'on compte, l'espace maritime, « la colonne d'eau », nous avons un peu moins que les Etats-Unis (environ 300 000 kilomètres carrés de moins), mais si l'on compte le seul plateau continental, les fonds marins, nous avons ou nous en aurons davantage très rapidement, en raison des demandes d'extension du plateau continental qui n'emportent pas juridiction sur la colonne d'eau.

C'est essentiel pour les ressources du futur, qui sont moins la pêche et les ressources énergétiques, que les ressources minières des fonds marins. Il s'agit des nodules polymétalliques, mais aussi des terres rares qui sont essentiels aux équipements issus de nouvelles technologies comme les téléphones portables. Ces terres rares sont actuellement fournies par la Chine, pour l'essentiel. L'exploitation des fonds marins, notamment au large de Wallis-et-Futuna, pourrait nous y donner un accès direct dans le futur.

Notre pays n'a pas en fait de véritable volonté politique. Didier Quentin a rappelé les occasions manquées. A part essentiellement Colbert et le président Chirac, peu de dirigeants politiques français ont eu une ambition maritime. Ni l'un ni l'autre n'a d'ailleurs abouti. L'un de nos dirigeants les plus entreprenants, Napoléon, qui aurait d'ailleurs pu être marin, s'il n'était pas devenu artilleur, n'a pas eu de succès sur mer. Cela s'est même très mal terminé à Trafalgar. Il y a peut-être des raisons historiques à une telle situation, et nous pourrions en débattre, mais le constat est là.

Ce n'est pas une question de moyens, car nous avons tous les éléments qu'il faut pour mener une grande politique maritime. Nous avons une expertise scientifique parfaitement au niveau pour ce qui concerne les fonds marins, avec l'Ifremer et le Service hydrographique et océanographique de la Marine, le SHOM. Nous avons des juristes de grands talents, et il faut regretter qu'ils n'aient pas toujours été bien utilisés, notamment pour Saint-Pierre-et-Miquelon. L'arbitrage a été accepté dans des conditions insensées et suivi de France avec des moyens insuffisants. Nous avons trouvé après plusieurs années le moyen de relancer le dossier et il faut dire que le Canada est très ennuyé.

Le seul domaine dans lequel nos moyens sont insuffisants est celui des navires patrouilleurs, des navires régaliens notamment dans le Pacifique avec 4,6 millions de kilomètres carrés à couvrir. Cela a des conséquences importantes par exemple avec des visites tous les deux ans environ à Clipperton. Si l'île était par hypothèse possession de la République populaire de Chine, la situation serait tout autre avec d'importantes infrastructures. Ce serait une sorte de porte-avions géant.

Notre coordination administrative est également excellente, avec le secrétaire général de la mer, le SGMer et elle est même, d'une certaine manière, admirée au Royaume-Uni, où la situation est assez compliquée et où le pragmatisme contribue à compenser une moins bonne organisation.

Il nous manque donc la volonté. Nous faisons donc cinq propositions et pour l'essentiel, elles ne concernent pas les moyens. Elles ne sont donc pas coûteuses.

La première vise à porter la culture maritime au plus haut niveau de l'Etat et à assurer la continuité de l'impulsion politique. Il va falloir d'une certaine manière « amariner » nos dirigeants. La matière doit être considérée avec sérieux et les connaissances maritimes doivent être diffusées. L'étendue de notre superficie maritime, notamment, doit être mieux connue. D'un point de vue pratique, la réduction de la dichotomie entre le niveau politique et le niveau administratif passe d'abord par la nomination systématique d'un conseiller mer au cabinet du ministre, ainsi que par l'inscription des questions maritimes parmi les priorités de notre agenda international, notamment en les évoquant lors de la semaine des ambassadeurs, de même que par l'organisation, chaque année, d'un débat d'orientation au parlement sur les questions maritimes, par un renforcement du SGMer et par la réunion au moins une fois par an du Comité interministériel de la mer (CIMer).

La deuxième proposition vise à mener une stratégie d'influence aux niveaux européen et international, notamment au sein de l'Union européenne et de l'OTAN, sur les enjeux maritimes, et à assurer dans les organisations compétentes, comme l'Organisation maritime internationale (OMI), notre présence. Ce n'est pas inutile. L'OMI a pris récemment une décision, qui n'était pas acquise d'avance, sur le dispositif de séparation du trafic dans le canal de Corse, idée notamment défendue par la ministre, Mme Ségolène Royal.

La troisième proposition vise à garantir les moyens minimum nécessaires pour nos capacités de surveillance maritime. Il ne s'agit pas seulement des navires, mais aussi des moyens satellitaires qui renouvellent les modalités de la surveillance. Le programme Extraplac d'extension du plateau continental a été mené à bien, mais il l'a été avec des moyens très limités, comparativement à ceux des autres pays, et il ne peut constituer une référence sur le plan budgétaire.

La quatrième proposition vise à développer la coopération sur le plan régional. C'est la piste ouverte par l'accord de pêche avec le Mexique et celle de l'accord non encore ratifié avec Maurice sur Tromelin. Il faut le faire en évitant tout « détricotage ». Des perspectives existent avec d'autres pays notamment Madagascar. Il faut que la France montre qu'elle peut aider les pays voisins de ses outre-mer et que la présence française est un atout et non une source de difficultés.

Enfin, la dernière orientation concerne la protection environnementale, qui prend de plus en plus d'importance au niveau international. Il s'agit notamment des mesures protection la qualité environnementale et biologique des espaces maritimes, avec les outils que sont les parcs marins ou les aires marines protégées, y compris en pleine mer. L'Agence française pour la biodiversité aura un rôle essentiel à jouer outre-mer. A elles seules, les îles Marquises ont une biodiversité du même ordre que la métropole, Corse comprise. Les pays étrangers font des parcs naturels pour affirmer leur présence et protéger leur souveraineté. C'est le cas du Canada pour l'île de Sable, ou encore du Royaume-Uni pour les Malouines, mais aussi de l'Argentine et du Chili.

Pour un pays aux moyens limités comme le nôtre mais doté d'un espace maritime équivalent à celui des États-Unis, c'est un outil finalement économe pour affirmer notre droit et préserver nos possessions.

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Je remercie les co-rapporteurs pour leur travail. Il porte sur un sujet extrêmement important qui ne pose pas seulement des problèmes complexes de droit.

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Je félicite également les co-rapporteurs. Il s'agit d'un sujet essentiel. Nous avons des droits, mais aussi des devoirs concernant notre domaine maritime. Je dirai donc qu'anticipant la montée des eaux et le changement climatique, nos collègues nous invitent à élever le niveau de la politique maritime.

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Je n'ai pas l'esprit à faire de l'humour, car le sujet est grave. Nous n'avons pas de politique maritime et le constat du déclin de la puissance française est navrant. L'effet conjugué de l'action de la CGT dans les ports, de la fiscalité concernant la marine marchande et du désarmement unilatéral de la « Royale » nous a fait perdre nos instruments historiques de puissance. Même nos entreprises se sont retirées : Alstom a ainsi réussi à vendre les Chantiers de l'Atlantique aux Coréens et depuis ceux-ci gagnent beaucoup d'argent… Il ne reste donc que la CMA-CGM. La « Royale » a vu fondre ses effectifs et, alors que l'on aurait dû disposer de dix-sept frégates de premier rang, on en aura tout au plus dix et encore en prenant en compte deux frégates anti-aériennes. Cela en fait une par million de kilomètres carrés. Que pouvons-nous surveiller avec ces moyens ?

Michel Rocard, en tant qu'ambassadeur chargé de la négociation internationale pour les pôles, a essayé avec beaucoup de vigueur de faire en sorte que la France prenne part aux négociations sur les passages qui s'ouvrent dans l'océan Arctique. Tous les pays limitrophes s'y sont opposés, à commencer par ceux qui sont européens, Norvège et Danemark. Ceux-là savez faire respecter leur souveraineté. Et je n'évoquerai même pas l'action de la Chine en mer de Chine du Sud.

Mais nous, nous n'avons aucun moyen de défendre notre domaine. Nous risquons de subir un jour une grave humiliation, si nous ne nous dotons pas de ces moyens. Réinventer une politique maritime serait un bel enjeu pour demain : nous devrions peut-être distribuer le rapport aux candidats à l'élection présidentielle. Je le répète, car c'est un point de désaccord avec les rapporteurs, c'est avant tout une affaire de moyens.

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C'est une très bonne idée. Nous allons voir comment nous pourrions cosigner une lettre adressée aux candidats et dans un premier temps diffuser le rapport à des personnalités choisies.

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Je félicite aussi nos collègues pour leur rapport.

Quelles sont les zones les plus conflictuelles actuellement s'agissant du droit maritime ? Quelles pourraient être les conséquences de la disparition de certaines îles du fait de la montée des eaux ?

Rotterdam a effectivement pris la place de Marseille. C'est notre avenir économique qui est en jeu et ceux qui prennent cela avec le sourire ont tort.

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Sur les zones de conflit, il faut distinguer celles sur lesquelles il y a une question juridique. C'est par exemple le cas du passage du Nord, le Canada considérant que certaines eaux sont à eux pour des raisons historiques. Ils ont probablement tort sur le plan du droit, mais les choses se passent bien.

Un conflit dont on parle rarement mais qui est sérieux est celui entre l'Iran est les riverains sur le détroit d'Ormuz, ce qui est très important, plus de 40 % du pétrole mondial passant par ce détroit. C'est un chenal assez étroit et quand on connaît les tensions entre l'Iran et les pays sunnites qui sont de l'autre côté, c'est important.

L'endroit « chaud » est en réalité la mer de Chine méridionale. Il y a des îles qui, à l'évidence, n'appartiennent pas à la République populaire de Chine. Il y a un débat juridique « un peu tiré par les cheveux », sur les eaux historiques, des puissance riveraines pour la plupart modestes, une puissance qui s'affirme, le Vietnam, et parfois des gens qui ont « du culot », comme les Philippins, qui ont attrait la Chine devant la Cour permanente d'arbitrage établie par un traité, qui a reconnu sa compétence même si la Chine n'a pas accepté l'arbitrage.

Les Chinois sont pris entre deux feux : soit ils ne vont pas devant la Cour, ne reconnaissant pas sa compétence et ne peuvent pas se défendre, soit ils se défendent mais ils devront alors reconnaître sa compétence.

Il y a aussi des puissances qui ne se défendent pas, comme les États-Unis qui font périodiquement une note verbale très ferme suite à un acte des Chinois, mais cela ne va pas plus loin. Les Indiens ont parfois fait une acquisition radar sur un bâtiment chinois mais ça s'est arrêté là.

Il y a donc une affirmation très nette de la puissance chinoise, les Chinois n'hésitant pas à construire sur des îlots désert afin d'y revendiquer leur souveraineté.

Il se trouve qu'environ le tiers des marchandises mondiales passe par cette zone. Il faut se souvenir que le droit international est né le jour où les Portugais ont voulu empêcher les Néerlandais de passer par ces détroits. Ces derniers souhaitant les emprunter pour des raisons commerciales, on a alors affirmé le principe de libre navigation dans les détroits, qui s'applique maintenant partout sauf dans les Dardanelles, détroit qui fait l'objet d'un régime spécial et de limitations, et dans lequel les sous-marins ne peuvent pas passer puisque des filets y ont été installés.

Pour résumer, il y a beaucoup de litiges. Certains se posent entre gens de bonne compagnie comme entre l'Espagne et nous, ou avec l'Irlande et le Royaume-Uni, mais ce sont des discussions juridiques qui se concluront de façon pacifique. Il y a des endroits un peu plus tendus comme les passages du Nord, mais cet endroit est encore peu fréquenté et n'est pas aujourd'hui une réalité du commerce international.

La situation dans le détroit d'Ormuz peut devenir sérieuse, mais la situation vraiment problématique est celle de la mer de Chine méridionale. Vu d'ici, c'est une question anecdotique, mais si quelqu'un tirait par erreur sur un bateau chinois, même par erreur, cela pourrait dans le pire des cas provoquer une guerre.

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Concernant la marine marchande, souvenons-nous que nous avions la deuxième du monde au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, mais seulement la trente et unième aujourd'hui. Rendons hommage à M. Jean-Yves Le Drian qui avait réglé le problème des dockers.

Concernant Clipperton, si les Mexicains débarquaient 200 fusiliers marins, je ne suis pas sûr que nous aurions un équivalent français de Margaret Thatcher susceptible de réagir de la même façon. C'est pour cela que nous essayons de collaborer, par exemple avec l'Ile Maurice en signant des accords de cogestion de l'Île Tromelin, et peut-être aussi avec Madagascar.

Concernant les ports, le premier port du monde, en termes de conteneurs, est aujourd'hui celui de Singapour. Le Havre et Marseille sont à un ou deux millions d'équivalent vingt pieds, Singapour est à vingt ou vingt-cinq millions. Ce sont des chiffres vertigineux.

Je voudrais terminer par une anecdote. Quand La Pérouse a constitué ses bateaux pour l'expédition qui lui a été fatale, un concours a été organisé pour recruter les officiers et les hommes prenant place à bord. Parmi les candidats figurait un jeune officier brillant qui a réussi toutes les épreuves sauf l'astronomie, qui était une épreuve éliminatoire. Cet officier était Napoléon Bonaparte. L'expédition aurait-elle réussi s'il avait réussi l'épreuve ? Tout laisse en fait penser que le bateau a en fait disparu vers 1789 au large de la Nouvelle-Calédonie ou de l'Australie.

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Vous avez su nous intéresser, et c'est un sujet majeur. Pour avoir vu des photos des installations aériennes construites par la Chine sur certaines îles, c'est effectivement préoccupant pour la sécurité du monde.

La commission autorise la publication du rapport d'information à l'unanimité.

La séance est levée à dix-huit heures.