La réunion

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La séance est ouverte à 9 heures.

Présidence de M. Georges Fenech.

Présentation du rapport et vote sur son adoption.

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Mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner le rapport de notre collègue Sébastien Pietrasanta, que je veux d'emblée très vivement remercier et féliciter pour la qualité exceptionnelle de son travail.

Nous avons achevé nos auditions en entendant la secrétaire d'État chargée de l'aide aux victimes. C'est par les victimes, qui ont droit à toute la considération de la représentation nationale, que nous avions commencé nos travaux. C'est symboliquement avec le membre du Gouvernement qui leur est dédié que nous les avons terminés.

Au total, nous aurons mené cinquante-neuf auditions et entendu près de 190 personnes. Nous nous sommes également déplacés en France, sur les lieux de l'attentat au Bataclan puis à Lille et à Marseille. Nous sommes aussi allés à l'étranger – en Belgique, aux Pays-Bas, en Grèce, en Turquie, en Israël et aux États-Unis – afin de faire le point sur la coopération européenne et d'examiner les solutions retenues par certains de nos alliés dans la guerre contre le terrorisme. Nous avons également reçu, à sa demande, une délégation de la commission d'enquête de la Chambre des représentants belge, constituée après les attentats commis à Bruxelles le 22 mars dernier.

Afin de préparer la conclusion de nos travaux, nous avons eu deux réunions d'échanges de vues, les 30 mars et 16 juin derniers, au cours desquelles le rapporteur nous a présenté les orientations de son rapport ainsi que ses principales propositions, nous permettant ainsi d'échanger.

Le projet de rapport a été mis à disposition pour une lecture sur place, suivant l'usage, le vendredi 1er juillet et le lundi 4 juillet. Plusieurs d'entre vous sont venus le consulter. Je vous concède que ces dates n'étaient pas idéales, mais c'était les seules compatibles avec un examen ce matin, mardi 5 juillet. Vous avez, sur table, un exemplaire de ce rapport. Même si je n'ignore pas qu'il y a des fuites dans la presse, j'insiste sur le fait que vous ne pouvez pas l'emporter car il est encore couvert par le secret jusqu'au 12 juillet, date de sa publication. En ce qui nous concerne, respectons le règlement parlementaire.

Les groupes politiques pourront communiquer leurs contributions jusqu'à vendredi prochain, 8 juillet à midi. Elles seront incluses dans le rapport qui comportera également un avant-propos que je rédigerai en tant que président de la commission et initiateur de sa création.

Si notre séance d'aujourd'hui se déroule à huis clos, car le délibéré ne regarde pas la presse, elle donnera lieu à un compte rendu qui figurera dans le rapport et reflétera ainsi les prises de parole de chacun.

À cet égard, j'appelle votre attention sur le régime de nos auditions, tel que nous l'avons décidé au début de nos travaux.

Un document rappelant la liste des personnes auditionnées vous a été distribué. Il vous indique le régime de chacune des auditions auxquelles nous avons procédé. Sur les cinquante-neuf auditions et tables rondes que nous avons organisées, vingt-deux ont été ouvertes à la presse et leur compte rendu figure déjà en ligne sur le site de l'Assemblée nationale. Les autres ont été tenues sous le régime du huis clos en raison de la confidentialité des informations susceptibles d'être communiquées.

Pour autant, et conformément à l'article 6 de l'ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, leurs comptes rendus peuvent être publiés en tout ou partie, si nous en décidons ainsi. À cette fin, les comptes rendus des auditions à huis clos ont été transmis aux personnes entendues afin de recueillir leurs observations et celles-ci nous ont été soumises. Toutes, à une seule exception, ont accepté la publication, au bénéfice de quelques modifications. Je vous propose d'y faire droit.

Seul le préfet de police, ainsi que le général commandant la brigade de sapeurs-pompiers de Paris qui l'accompagnait, ont explicitement refusé toute publication de leur audition au motif qu'elle « pourrait apporter à d'éventuels attaquants futurs des éléments affaiblissant notre posture de défense ». Quelles suites doit-on réserver à cette demande ? Vous disposez sur la table d'un document rendant compte de cette audition. Le rapporteur et moi-même sommes favorables à sa publication mais chacun est libre d'exprimer son point de vue sur le sujet.

Je vais maintenant laisser la parole à notre rapporteur qui va nous présenter ses conclusions. S'en suivront des prises de parole qui feront l'objet d'un compte rendu intégral dans le rapport.

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Avant d'entrer dans le détail des propositions et de vous apporter les précisions que vous jugerez utiles, je voudrais saluer la manière dont le président Georges Fenech a conduit ces auditions. Comme cela a été dit et rappelé, nous avons procédé à une soixantaine d'auditions au sein de l'Assemblée nationale et à des entretiens lors de déplacements en France et à l'étranger, ce qui représente quelque 200 heures de travaux. Cette commission a extrêmement bien travaillé à la fois sur la forme et sur le fond, grâce à la manière dont les échanges ont été présidés et dont les auditions se sont déroulées. Je voulais donc rendre hommage au président de cette commission, ainsi qu'à l'équipe qui m'a accompagné en soulignant la qualité de cette maison.

Je voulais aussi vous remercier tous pour votre participation à ces travaux. Cette commission a travaillé au-delà des clivages et des intérêts parfois politiciens. J'espère qu'elle va continuer à le faire jusqu'aux échanges que nous allons avoir avec la presse. Nous avons travaillé dans un bon état d'esprit même si quelques auditions ont pu être difficiles. En toute simplicité, je pense que les trente-neuf propositions ont vocation à être mises en oeuvre à court, moyen et long terme, quelles que soient les évolutions de la vie politique dans les années qui viennent. Il me semble que chacun d'entre vous pourra les faire siennes, même s'il est difficile d'être d'accord sur tout et qu'il peut exister des divergences et des appréciations différentes sur certains aspects de ces mesures ou de leur mise en application. En tant que rapporteur, j'estime que nous pouvons être collectivement fiers du travail accompli. Cela étant dit, je regrette que l'embargo ait été brisé ce matin par des journalistes, une pratique qui est malheureusement assez habituelle.

Ce rapport de 300 pages se décompose en cinq parties que je ne vais évidemment pas vous détailler. Sans vouloir faire des comparaisons quantitatives, c'est à peu près le double du rapport de MM. Patrick Mennucci et Éric Ciotti sur la surveillance des filières et des individus djihadistes. Que ce soit dans l'écriture ou dans les propositions, je n'ai pas cherché à protéger ou à accabler qui que ce soit, soyez-en convaincus. J'ai voulu que ce rapport soit utile et qu'il soit le plus factuel et neutre possible, notamment dans la présentation de la chronologie des faits.

La première partie est consacrée au déroulement des événements. Nous nous sommes appuyés sur les auditions, mais j'ai aussi été destinataire de la chronologie des attentats de janvier et de novembre établie par les services de police et de secours : l'unité Recherche Assistance Intervention Dissuasion (RAID) ; la Brigade de recherche et d'intervention (BRI) de la préfecture de police de Paris, le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), les différentes directions de la préfecture de police de Paris, le service d'aide médicale urgente (SAMU), la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), etc.

La collecte de ces informations nous a permis d'établir une chronologie extrêmement fine, avec un minutage rigoureux. Il peut toujours y avoir des erreurs ou des interrogations dont je vais vous donner un exemple. D'ailleurs, ce n'est plus vraiment une interrogation pour moi. Dans le rapport, j'écris que les terroristes sont entrés dans le Bataclan peu après vingt et une heures quarante. Or, d'après les bornes, le SMS « on y va » rédigé par l'un des terroristes a été envoyé à vingt et une heures quarante-deux. En fait, il s'agit d'un problème d'horodatage du téléphone portable.

Plusieurs sources montrent en effet que le début de l'attaque a eu lieu à vingt et une heure quarante. À vingt et une heures quarante-trois, Police-secours a reçu un premier appel au numéro 17, ce qui a enclenché l'action des brigades anticriminalité (BAC) et des secours à vingt et une heures quarante-neuf. Arrivés les premiers sur les lieux à vingt et une heures cinquante, les pompiers ont essuyé des tirs et leur véhicule a été touché. À vingt et une heures cinquante et une, la BAC de nuit du Val-de-Marne (BAC 94) a pénétré dans le passage Saint-Pierre Amelot. À vingt et une heures cinquante-quatre, le commissaire divisionnaire - qui s'était détourné du Stade de France – a pénétré dans le Bataclan où il a neutralisé Samy Amimour qui se trouvait sur la scène. À partir de ce moment-là, la tuerie a cessé.

Le commissaire est ressorti du Bataclan avec son chauffeur, et il a attendu les renforts. Il a été rejoint par une partie de son équipe, par la BAC de nuit de Paris (BAC 75) et par une partie de la compagnie de sécurisation et d'intervention (CSI) de Paris. Ils sont entrés dans la salle et ont fait l'objet de tirs nourris. Les terroristes, qui étaient déjà dans les étages, se sont réfugiés dans le couloir. Les secours se sont alors vraiment organisés. Les policiers et les médecins de la BRI et du RAID ont procédé à l'évacuation des blessés et des survivants qui se trouvaient au rez-de-chaussée. Un « nid de blessés » a été organisé au sein du Bataclan où les pompiers et les équipes du SAMU ne pouvaient entrer directement en raison de la zone d'exclusion.

À vingt-deux heures vingt, la BRI est entrée, a progressé et a participé à l'évacuation des otages. À vingt-trois heures, elle a entamé sa progression dans les escaliers. À vingt-trois heures quinze, elle est tombée sur une porte close. Les discussions se sont engagées avec les terroristes et il y a eu plusieurs échanges par téléphone relativement brefs. L'assaut a été lancé à minuit dix-huit, à un moment où tous les blessés du rez-de-chaussée avaient été évacués. Les médecins de la BRI et du RAID ont joué un rôle exceptionnel dans la myriade des secours qui sont intervenus.

Je tenais à rappeler cette chronologie des événements au Bataclan, source de notre principale interrogation. Ceux qui se sont déplacés dans la salle de concert ont pu se faire une idée de la réalité des choses. Longue d'une cinquantaine de pages, cette première partie donne un minutage extrêmement précis qui sera utile aux victimes et à une meilleure connaissance des faits. La presse a relaté les événements souvent avec justesse, mais parfois avec imprécision ou en commettant des erreurs. Cette chronologie n'est pas établie d'un point de vue judiciaire mais elle est fiable et elle aura une force certaine.

Dans la deuxième partie, intitulée La réponse de l'État après un attentat terroriste, se pose la question des forces d'intervention. J'y propose une première mesure : augmenter les séances d'entraînement au tir pour les personnels des unités élémentaires de la police et de la gendarmerie nationales. L'analyse de l'attentat contre le journal Charlie Hebdo, de la fuite des frères Kouachi et des difficultés de leur neutralisation révèle un besoin de renforcement de la formation au tir. Les syndicats de police réclament d'ailleurs cette mesure : un policier du service général tire quatre-vingt-dix cartouches par an, ce qui est évidemment insuffisant.

S'agissant des forces d'intervention, j'écris que nous ne devons pas avoir de tabou et je préconise de réfléchir à une fusion des corps dont nous avons pu mesurer la rivalité, même si celle-ci n'a pas eu de conséquences directes sur le terrain. En attendant ce grand soir, il est proposé deux étapes : création d'un commandement unifié des trois forces ; montée en puissance de l'unité de coordination des forces d'intervention (UCoFI) dont les effectifs, les moyens et le rôle seraient accrus. Cette montée en puissance se concrétise dans le nouveau schéma national d'intervention des forces de sécurité, présenté en avril dernier par le ministre de l'intérieur, qui répond clairement aux attentes de notre commission et à l'analyse des événements du 13 novembre 2015.

Je ne m'étends pas sur le rôle de la presse, abondamment commenté par les forces d'intervention et le procureur de la République de Paris, mais l'élaboration d'un protocole semble indispensable.

En ce qui concerne l'accompagnement des victimes et des familles, je voudrais insister sur le fait que les secours sont arrivés très vite, contrairement à ce qu'ont pu percevoir – de manière très compréhensible – les victimes. Le soir du 13 novembre, les secours ont mis entre deux et dix minutes à arriver, selon les sites, malgré la situation chaotique qui régnait entre vingt et une heures dix-neuf et vingt-deux heures. Rappelons qu'à un moment donné de la soirée, on pensait que près d'une quarantaine de sites étaient touchés, non pas en raison de fausses alertes mais à cause de la panique. Certaines personnes, blessées sur une terrasse, se sont enfuies et se sont effondrées une ou deux rues plus loin d'où des témoins ont appelé les secours. D'autres sont montées dans un taxi, ont appelé les secours et, sous l'effet du choc et de la confusion, ont donné leur adresse personnelle plutôt que celle où elles avaient été touchées. Tout cela a créé un trouble.

Les secours ont été plutôt admirables mais nous devons évidemment continuer à améliorer les dispositifs. Nous ne pouvons pas prétendre que nous sommes en situation de guerre sans en tenir compte dans la préparation des secouristes. Nous proposons donc de former l'ensemble des équipes de secours et médicales à la médecine de guerre et aux techniques de damage control.

Une autre proposition vise à constituer sur l'ensemble du territoire national des colonnes d'extraction des victimes en zone d'exclusion, composées de secouristes intervenant sous la protection des forces d'intervention. Aux États-Unis, ce genre de dispositif est intégré au SWAT (Special weapons and tactics) et fait l'objet d'une expérimentation que nous avons pu observer. C'est assez novateur. M. Patrick Pelloux et le commandant de la BSPP nous avaient indiqué qu'une réflexion était en cours en France. Nous avons creusé l'idée qui nous semble intéressante : une colonne d'extraction, composée de médecins et protégée par des policiers ou des gendarmes d'élite, permettrait de faire intervenir les secouristes plus rapidement en zone d'exclusion. Cela a été fait par les médecins intégrés aux colonnes d'assaut mais ce n'est pas leur vocation : ils doivent continuer à rester près des policiers et des gendarmes. Je pense que cette proposition est une mesure extrêmement forte du rapport, et j'en ai beaucoup discuté avec le président.

Nous proposons des mesures sur l'identification des victimes, sur l'extension du système d'identification numérique unique standardisé (SINUS). Même si les services de secours ont réagi de la meilleure manière possible, les victimes ont trouvé qu'ils tardaient à leur venir en aide, ce qui est compréhensible : pour une personne gravement touchée, une minute semble forcément une éternité. Néanmoins, comme je vous le disais, les premiers secours sont arrivés dans un délai compris entre deux et dix minutes sur les lieux, avant même que les forces de police soient présentes sur certains sites et les aient sécurisés. Les pompiers et le SAMU sont parfois intervenus sans savoir si les terroristes étaient encore à proximité ou si l'endroit était piégé, c'est-à-dire dans des situations extrêmes qui auraient pu se révéler dangereuses pour les secouristes.

Alors que j'étais extrêmement critique au début de nos travaux, je pense désormais que les secours ont été bien gérés. Après les auditions de M. Martin Hirsch, des responsables de la BSPP, du SAMU et de l'Institut médico-légal (IML), nous avons réalisé que le taux de mortalité hospitalier était très faible – environ 1,5 % des blessés. Selon la BSPP, en cas de blessures causées par des armes de guerre telles que les Kalachnikov, 50 % des blessés meurent dans les cinq premières minutes et 80 % dans la demi-heure. En outre, il n'y a eu aucun transfert inter-hospitalier, ce qui montre que les blessés ont été bien répartis au départ entre des hôpitaux de proximité mais aussi spécialisés. Je me souviens d'avoir contesté ce choix et reproché à M. Martin Hirsch d'avoir privilégié les hôpitaux de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP). Finalement, je pense que le choix était judicieux.

De même, j'étais plutôt critique lors de la création du secrétariat d'État chargé de l'aide aux victimes, considérant qu'il s'agissait d'un gadget. En définitive, je pense que c'est plutôt une bonne chose et je propose de le pérenniser. En revanche, il a manqué un accompagnement psychologique, au-delà des blessures physiques. La manière dont certaines victimes ou leurs proches ont été traités n'était pas humaine. Nous le notons dans le rapport et nous faisons des propositions en la matière.

La troisième partie, qui est majeure, concerne le renseignement. Que ce soit pour décrire les faits ou pour formuler des propositions – que je trouve ambitieuses – nous avons évité toute langue de bois. Nous commençons par rappeler que la France est exposée à une menace sans précédent, en revenant notamment sur le cas du Bataclan : cette salle de spectacle était-elle particulièrement visée en 2015, compte tenu d'éléments apparus lors de l'attentat commis au Caire en 2009 ? Nous dressons aussi la liste des attentats déjoués par les services français depuis janvier 2015.

Enfin, contrairement à ce que pensaient certains, nous détaillons aussi les dysfonctionnements et les failles qui ont été mises au jour : la surveillance interrompue des frères Kouachi ; la libération sans aucune information ni surveillance d'Amedy Coulibaly ; le départ en Syrie de Samy Amimour et d'Ismaël Omar Mostefaï. Je reviens également sur le cas d'Abdelhamid Abaaoud qui révèle des failles dans la lutte antiterroriste européenne : il aurait pu être arrêté en Grèce si les services belges avaient prévenu leurs homologues grecs du démantèlement de la cellule de Verviers.

Comme vous connaissez chaque cas, je ne détaille pas, mais je peux vous dire que les choses sont exprimées de manière très explicite. Il ne s'agit pas d'accabler les services de renseignement qui sont confrontés à des choix difficiles, mais on ne peut pas décider d'interrompre des interceptions de sécurité au prétexte qu'elles ne donnent rien : ce peut être l'indice d'un passage à la clandestinité, comme dans le cas des frères Kouachi. Dans d'autres cas, la signification sera différente. Je reconnais qu'il est facile de refaire l'histoire quand on connaît la fin.

Concernant le travail de la DGSI, j'ai identifié une deuxième difficulté qui me conduit à faire une autre proposition ambitieuse : créer une agence nationale de lutte antiterroriste, rattachée au Premier ministre, et chargée de l'analyse de la menace, de la planification stratégique et de la coordination opérationnelle. Nous ne pouvons pas raisonner sur le seul plan national. Les maîtres d'oeuvre des attentats en France venaient de Belgique, et Daech a théorisé depuis près d'un an le concept d'attaques obliques, c'est-à-dire organisées depuis un pays voisin. En Syrie, il existe des katibats francophones composées de Français, de Belges, de Tunisiens et de Marocains qui discutent entre eux de la manière dont ils vont frapper dans nos pays. Les francophones doivent être gérés par nos services intérieurs et extérieurs, même si ce sont des étrangers. Cette réflexion personnelle m'a été inspirée par nos auditions.

Il faut créer une direction générale du renseignement territorial (DGRT) qui permette de gérer la question des signaux faibles – de bas et moyen spectre. Elle regrouperait le service central du renseignement territorial (SCRT), la sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) de la gendarmerie, et une partie de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP), l'autre étant intégrée à la DGSI. Pourquoi la préfecture de police aurait-elle son propre service de renseignement ? On peut se poser la question. Saïd Kouachi était surveillé par la DRPP, et la DGSI n'a pas pris le relais lorsqu'il est parti à Reims. Il n'y a pas eu de suivi, même si la DRPP avait communiqué l'information à la DGSI.

En rattachant la DGRT au premier cercle de la communauté du renseignement, il faut se garder de reproduire entre elle et la DGSI une dualité de même nature que celle qui existait entre la direction centrale des renseignements généraux (DCRG) et la direction de la surveillance du territoire (DST) avant leur fusion. Fer de lance en matière de lutte contre le terrorisme sur notre territoire national, la DGSI aurait autorité pour évoquer tous les dossiers de terrorisme, en reprenant ceux qui auraient pu être gérés au départ par la DGRT.

Comme cela a été réaffirmé lors du dernier conseil national du renseignement, le ministère de l'intérieur reste le pilote en matière de lutte contre le terrorisme sur notre territoire national, dotée de cette nouvelle direction générale. Je propose la fusion de l'état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT) et de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) dans une structure rattachée directement au ministère de l'intérieur, quel que soit le nom retenu pour la nouvelle entité. L'idée est de disposer d'un organisme qui puisse conseiller les services du ministère de l'intérieur, analyser et structurer leur travail. Cependant, nous avions une conviction qui a été renforcée après notre déplacement à Washington : la lutte contre le terrorisme ne doit pas rester l'apanage du ministère de l'intérieur. La lutte doit être interministérielle et associer les services du ministère de la défense dont la direction du renseignement militaire (DRM) et la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) qui doivent communiquer les informations dont elles ont connaissance.

Nous avons l'expérience de la cellule Allat qui regroupe, au sein de la DGSI, les six services du premier cercle de la communauté du renseignement, le SCRT et la DRPP. Une communication permanente est établie avec des correspondants fidèles de chaque service. Nous souhaitons aller plus loin que cette expérience opérationnelle en institutionnalisant une agence nationale de lutte contre le terrorisme. J'ai proposé qu'elle soit rattachée au Premier ministre pour des questions budgétaires, tout en comprenant les arguments de ceux qui voudraient qu'elle dépende du Président de la République. Je n'en fais pas une affaire d'État, c'est le cas de le dire. Qu'elle soit rattachée à l'un ou à l'autre, peu importe pourvu qu'un travail interministériel soit organisé de manière institutionnelle. Un directeur national du renseignement chapeauterait cette agence et éventuellement d'autres structures. Il s'agit d'améliorer la communication et d'avoir une analyse vraiment transversale de la menace.

Nous proposons également que cette agence gère une nouvelle base de données commune dont la création nous est apparue encore plus nécessaire après notre déplacement aux États-Unis. Ceux d'entre nous qui sont allés à l'UCLAT ont été assez séduits, il me semble, par la démonstration qui nous a été faite du fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), un outil qui avait été beaucoup critiqué. Ce fichier est utile pour les services du ministère de l'intérieur, et chacun joue le jeu puisque la DGSI y a intégré les 2 000 noms des personnes qu'elle surveille. Nous souhaitons que le FSPRT soit étendu et devienne une base de données commune à tous les services.

La quatrième partie porte sur la réponse pénale à la menace terroriste. Nous proposons une augmentation claire des effectifs des juridictions spécialisées : ils sont limités actuellement et seront largement insuffisants à l'avenir. Je propose, ce qui fera plaisir à certains d'entre vous, que l'on supprime les remises de peine automatiques pour les terroristes. Quant au contrôle judiciaire, il faut qu'il soit renforcé, même si cela est déjà en partie le cas.

Dans la cinquième partie, sur la protection du territoire, nous préconisons de lancer des plans nationaux d'investissements dans la vidéoprotection et dans le maillage territorial au moyen de portiques équipés de lecteurs automatiques de plaques d'immatriculation (LAPI). Ce maillage peut être particulièrement utile pour résoudre les enquêtes, comme nous avons pu le constater à Bruxelles.

Les membres de la délégation de notre commission, qui ont été reçus par les responsables de l'aéroport Ben Gourion de Tel Aviv, ont été séduits par les procédures employées dans ce qui est l'un des aéroports les plus sûrs du monde. Or la sécurité aéroportuaire est plus que jamais d'actualité après les attentats commis dans les aéroports d'Istanboul et de Bruxelles. Nous souhaitons engager une réflexion sur les techniques d'identification, screening ou profilage, qui sont l'un des points forts de l'aéroport Ben Gourion.

Nous prônons aussi une diminution progressive des effectifs engagés dans l'opération Sentinelle. Ce qui était une bonne réponse de l'État au moment des attentats de janvier 2015 ne peut pas s'inscrire dans la durée. Le dispositif a montré ses limites, notamment lors de l'attentat du Bataclan, même si le ministre de la défense estime que les militaires peuvent être des « primo-intervenants ». Cette sortie progressive serait compensée par le lancement d'un troisième plan de lutte antiterroriste en vue du recrutement de policiers et de gendarmes. La surveillance reviendrait donc aux forces de sécurité intérieure. À titre personnel, je propose aussi que les entreprises privées de sécurité soient chargées de surveiller certains sites comme ceux qui sont classés Seveso, par exemple. Dans la phase de transition, nous préconisons de mieux former les soldats de Sentinelle et de les doter en armes de poing qui leur permettraient d'intervenir dans des endroits confinés comme le Bataclan où, avec un FAMAS, leur intervention aurait été particulièrement compliquée.

L'aspect militaire, qui n'a pas été au coeur de la commission d'enquête, a été essentiellement abordé dans le cadre des déplacements à l'étranger, notamment en Turquie. À titre personnel, je pense que nous pourrions renforcer notre intervention, y compris au sol, en Irak, en évitant de reproduire les erreurs des Américains et les travers d'une armée d'occupation. En Syrie, la situation géopolitique est plus compliquée.

Quant à l'Europe, elle n'est pas au niveau. Nous en avons acquis la conviction après les auditions, les déplacements à Bruxelles, aux Pays-Bas et en Grèce. La France et certains États ont produit un effort considérable depuis le 13 novembre 2015 mais ce n'est pas suffisant. L'une des propositions porte sur l'alimentation du système d'information Schengen (SIS 2) par les États membres. Actuellement, vingt pays sur vingt-huit fournissent des informations dont la quantité et la qualité laissent d'ailleurs à désirer. Si vous le souhaitez, je pourrais revenir sur le contrôle de Salah Abdeslam à Cambrai, dont la presse a fait état ces derniers jours. À mon avis, le système a été mal alimenté par les Belges.

Autre exemple qui illustre la défaillance de l'Europe : en décembre 2015, c'est-à-dire un mois après les attentats, on a songé à envoyer un agent d'Europol, un Anglais, pour épauler les personnels de Frontex – l'agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne – en Grèce. On a attendu le passage d'un million de migrants pour se poser la question de l'infiltration terroriste, c'est dire si la menace a longtemps été sous-estimée par Europol.

Le rapport compte trente-neuf propositions. Nous aurions pu en faire davantage et nous ressentons une certaine frustration à l'idée que certains sujets n'ont pas été abordés. Je n'ai pas voulu en rajouter à partir du moment où le rapport était en consultation auprès de certains collègues, mais je m'accorde avec Georges Fenech sur la nécessité d'augmenter la capacité d'accueil du parc pénitentiaire. Cela aurait pu être la quarantième proposition, j'en conviens. Le rapport est perfectible mais il témoigne d'un travail collectif. J'espère qu'il va transcender un peu les clivages politiques, que chacun puisse s'en emparer et qu'il sera utile.

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Je remercie très chaleureusement le rapporteur pour son exposé à la fois complet et synthétique. Je propose qu'on ajoute, si vous en êtes d'accord, mes chers collègues, d'autant que c'est techniquement possible, une quarantième proposition relative à l'augmentation du parc pénitentiaire – ce que du reste tout le monde réclame, le garde des sceaux y compris.

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Je souscris, pour ma part, à l'idée d'introduire dans le rapport cette quarantième proposition.

Je tiens à vous rendre hommage, monsieur le président, monsieur le rapporteur, pour la qualité de ce travail considérable, mené dans un esprit guidé par l'intérêt général et non pas par des considérations politiciennes – ce qui est assez rare pour être souligné.

Si j'approuve cet excellent projet de rapport, je ferai néanmoins quelques remarques. D'abord, sur le plan budgétaire, même si nous ne sommes pas à la commission des finances et même si, donc, il ne s'agit pas de budgéter chaque mesure, il aurait peut-être fallu indiquer quelques grandes orientations étant donné que de nombreuses propositions sont très coûteuses. Ensuite, je suis favorable à l'accélération de la fusion des forces telles que le RAID, la BRI, le GIGN… alors que le projet de rapport propose de procéder par étapes. En effet, une telle accélération permettrait, à l'avenir, d'éviter les polémiques qui ont suivi l'intervention au Bataclan – même si je rends bien sûr hommage à la BRI et à tous les effectifs qui ont participé à l'opération. La réforme Cazeneuve de localisation présente le risque, dû à la procédure d'urgence absolue, de voir des forces pensant pouvoir intervenir parce qu'elles sont les plus proches du lieu de l'événement, entrer en concurrence. Il y a donc pire que le retard des forces : il y a la concurrence de forces arrivant en même temps sans être suffisamment coordonnées.

En matière de sécurité générale, le commandement unique d'une organisation intégrée telle que la préfecture de police par le préfet de police est indispensable pour Paris et son agglomération. L'audition du directeur du renseignement de la préfecture de police (DRPP) n'a pas été très convaincante et votre proposition d'éclatement de la DRPP peut très bien se justifier. En revanche, il faudrait – je sors un peu du cadre de la présente commission – réformer globalement la préfecture de police dont l'organisation repose sur l'arrêté des consuls du 12 messidor an VIII, mais aussi sur une réforme de 1998 instaurant la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP) d'un côté et la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) de l'autre, schéma qui, tous les observateurs le reconnaissent, ne fonctionne plus du tout. Si bien qu'on compte beaucoup trop de services cloisonnés, d'états-majors qui ne se parlent pas, qui se concurrencent. Tout cela va sans doute voler en éclats avec la réforme du statut de Paris – la préfecture de police devant perdre toute la partie liée à la circulation, au stationnement mais aussi un certain nombre de polices spéciales.

Nous sommes un certain nombre à penser qu'il faut aller vers une police municipale qui permettrait précisément à la police nationale, à la préfecture de police, de se concentrer sur des missions essentielles comme, outre le maintien de l'ordre public, la lutte contre le terrorisme, la criminalité… La préfecture de police doit donc également abandonner ce que j'appellerai la police de la tranquillité publique au profit d'une police municipale.

Pour ce qui est de la vidéosurveillance, il faut bien admettre qu'un millier de caméras installées à Paris est un chiffre ridicule si on le compare aux 75 000 reliées à Scotland Yard à Londres.

J'en viens à la question pénale. Il convient de durcir les peines des détenus radicalisés : isolement total – ce qui suppose des bâtiments adéquats –, interdiction des visites, pratique systématique des fouilles… Il faut aussi modifier le régime des prévenus qui font du prosélytisme alors qu'ils ne sont pas isolés des autres détenus. Cela, sans oublier les problèmes liés à la surveillance des fichés S, aux centres de rétention, de déradicalisation… Le parquet antiterroriste de Paris est largement débordé et, à cet égard, l'idée d'une régionalisation est intéressante.

Ensuite, tout le monde semble s'accorder pour mettre un terme à l'opération Sentinelle – mais par quoi la remplacer ? Vous évoquez le recrutement de forces de sécurité, fort bien, mais disposera-t-on du budget nécessaire et pour combien de temps ? Et que penser d'une garde nationale ?

Enfin, en ce qui concerne l'hospitalisation, il convient d'associer le secteur privé car l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) pose de nombreux problèmes quant à la concentration de l'ensemble des blessés, mais aussi à l'organisation des urgences – on ne peut pas se contenter des hôpitaux militaires ni, donc, de l'AP-HP.

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J'ai éprouvé un grand plaisir à travailler au sein de cette commission, dans un climat sérieux, avec le sentiment de servir l'intérêt national au-delà de nos appartenances politiques et je tiens pour cela à rendre hommage au président et au rapporteur.

Je regrette néanmoins la manière quelque peu folklorique dont la présente réunion a été préparée. Étant donné que nous ne pouvons pas emporter le rapport ce matin, puisque ce sont les règles, il va être compliqué de travailler sérieusement d'ici au 8 juillet.

J'en viens au rapport proprement dit. Je regrette, monsieur le rapporteur, que vos recommandations soient présentées en suivant la progression du rapport et non pas par ordre d'importance. Ainsi, vous commencez par l'augmentation du nombre de cartouches tirées chaque année par les policiers et les gendarmes, ce qui est sympathique, certes, mais ce n'est pas l'essentiel – qui est ce que vous écrivez sur le renseignement. De plus, dans l'intérêt du rapport, il ne serait pas mauvais de regrouper vos recommandations par thèmes.

J'ai trois séries d'observations : les leçons apprises, les leçons sans réponses et les questions peu ou pas évoquées.

En ce qui concerne les leçons apprises – par le ministre de l'intérieur s'entend –, nous pouvons être satisfaits que notre travail ait stimulé l'exécutif qui a, dans certains cas, anticipé la parution de notre rapport, en particulier en ce qui concerne les défauts de coordination des forces d'intervention. Je pense aussi aux conditions d'intervention des policiers primo-arrivants et de l'amélioration de leur armement. On note des progrès également en matière de pilotage d'opérations, y compris en cas d'attaques multicibles : je rappelle que l'année dernière, les forces d'intervention se sont mises en branle parce qu'elles avaient entendu sur BFM-TV qu'il se passait quelque chose ! Je suis à ce sujet toujours sous le coup de l'émotion après certaines auditions.

Ensuite, pour ce qui est des questions clefs sans réponses, il reste incompréhensible et inadmissible à mes yeux, en tant que citoyen, qu'après une faillite massive du renseignement et de la gestion de la crise, personne n'ait été sanctionné dans aucun service. On est entré dans la capitale de la France, on a tué sur les terrasses, on a pris en otage quelque 1 500 personnes, on est reparti, parfois le lendemain, et rien n'a été fait pour savoir qui était responsable de quoi. Je trouve cela quelque peu surprenant.

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C'est le fait que nous ne l'indiquions pas dans le projet de rapport qui me gêne. Notre rôle ne consiste-t-il pas, après tout, à contrôler l'action de l'exécutif à travers, notamment, le contrôle des agents de l'exécutif ?

Je note, avec le rapporteur, que les cas Kouachi, Coulibaly, Abdeslam, Mostefaï, Amimour révèlent une faillite générale – sans parler d'Abaaoud ou de Salhi qui, eux, révèlent plutôt une faillite du renseignement européen. En effet, quand nous avons entendu qu'on a arrêté la poursuite de tel individu parce qu'il se trouvait en Belgique et plus chez nous, que tel autre n'a plus été poursuivi parce que, après avoir quitté Paris, il se trouvait à Reims, ou encore que les interceptions ont cessé parce que tel et tel ne se sont rien dit au téléphone, je dois dire que les bras m'en sont tombés, ces attitudes ne me paraissant pas particulièrement professionnelles – je le dis comme je le pense.

Cette faillite du renseignement n'est pas surprenante parce que notre pays vivait en paix et qu'il a été brutalement confronté à un contexte de guerre. Il ne s'agit donc pas d'incriminer qui que ce soit et certainement pas les policiers qui ont fait leur travail le mieux possible, mais d'en tirer les conséquences. Je note au passage l'échec, également, de l'opération Sentinelle dont je rappelle qu'elle était en place au moment des attentats contre Charlie Hebdo.

J'en viens, troisième série d'observations, aux questions peu ou pas évoquées. Il n'y a presque rien dans le pré-rapport sur le cyber – clef du renseignement de demain et de la lutte contre le terrorisme. Les transmissions cryptées et la propagande par internet sont les problèmes cruciaux que nous allons avoir à gérer. Qu'il n'y ait pas de proposition d'un plan global français – alors que nous disposons tout de même de quelques bonnes entreprises en la matière –, est très décevant : la commission aurait pu insister sur ce vrai défi.

Le deuxième trou noir est l'immigration. Nous avons voté, le 8 mars dernier, un texte sur l'immigration le plus généreux d'Europe, en plein état d'urgence et en pleine crise terroriste, texte reposant sur l'argument selon lequel il n'y aurait aucune connexion entre l'immigration, l'islamisme et le terrorisme. Continuons donc à faire ainsi semblant et nous vivrons des événements très désagréables. Ne pas poser le problème de l'immigration, ne pas poser le problème de Schengen, ne pas reconnaître la faillite de l'accord de Schengen, est, je le répète, l'un des trous noirs de ce rapport.

Le troisième grand absent est le retour des djihadistes de Rakka, de Mossoul… Nous savons que ces gens vont revenir : qu'allons-nous en faire ? Cette question a été posée par M. Larrivé, par M. Ciotti, par moi-même et par d'autres collègues au fil des sept ou huit textes de lois antiterroristes examinées par le Parlement, et nous n'avons pas obtenu de réponse.

J'en viens aux recommandations sur lesquelles il y a beaucoup à redire.

En ce qui concerne l'Agence nationale de lutte antiterroriste dont vous proposez la création, je suis très heureux que vous ayez suivi le conseil que je vous avais donné de vous rendre en Israël puis aux États-Unis. En effet, le système de l'Office of the director of national intelligency (ODNI), mis en place après les conclusions de la grande commission sur les attentats du 11 septembre 2001, a permis de rassembler les dix-sept agences existantes en un même lieu et de coordonner l'information et l'action de façon plus efficace. Au moment de l'élection présidentielle de 2007, j'avais inscrit dans le programme de Nicolas Sarkozy l'idée de créer un poste de directeur national du renseignement ; ce qui a été fait à l'Élysée avant que le dispositif ne périclite à cause du chef d'état-major des armées et du conseiller diplomatique. Il s'agit ici de lancer une vraie réforme, ce dont je me félicite. Par expérience, j'estime qu'il ne faut surtout pas rattacher cette agence au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), à savoir au Premier ministre, mais au lieu où se prend la décision, c'est-à-dire à la présidence de la République, de la même façon que le directeur du renseignement national, aux États-Unis, rend compte de son action au président. Vous avez l'air, monsieur Pietrasanta, d'accepter cette idée fondamentale, ce qui me fait plaisir.

Je ne reviendrai pas sur les considérations de Philippe Goujon à propos de l'opération Sentinelle ni sur ce que j'ai dit vingt fois au ministre de la défense : ce n'est pas rendre service à nos armées que de garder nos militaires dans nos grandes villes, avec des armes longues : ils forment des cibles et perdent du temps d'entraînement. Bref, ils ne sont pas faits pour cela. Aussi, soit vous augmentez les effectifs de policiers et de gendarmes, soit nous créons une garde nationale.

Je suis vraiment en désaccord avec un troisième point, monsieur Pietrasanta : votre proposition d'engager l'armée française au sol en Irak. Il se trouve que je connais assez bien ce pays et la dernière chose à faire serait de mettre des soldats français entre les sunnites et les chiites – je ne vois pas très bien comment nous nous en sortirions ; aussi, si vous maintenez cette proposition, je ne voterai pas le rapport. De la même manière, je m'oppose à l'idée d'envoyer des soldats le long de la frontière entre la Syrie et la Turquie. Là encore, si vous pensez pouvoir résoudre le problème kurde et du PYD avec des soldats français, vous vous trompez sûrement.

Ensuite, en matière de coopération européenne, je vous trouve très faibles. Je vous signale la ratification, il y a à peine quinze jours, d'un accord intergouvernemental sous l'égide de l'Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice – concernant donc les systèmes d'information Schengen –, appelé EU-LISA, agence dont l'un des trois sites, le site technique d'information, se trouve à Strasbourg. L'Assemblée a ratifié une convention dont j'étais le rapporteur – nous n'étions pas nombreux dans l'hémicycle – et j'ai relevé la liste de tous les manquements du système Schengen en matière de renseignement. Il vous aurait sans doute été utile de vous pencher sur le travail réalisé à cette occasion par votre serviteur au sein de la commission des affaires étrangères ; vous auriez pu alors relever que le système d'information Schengen, SIS II, était une véritable passoire. Le terrorisme n'est même pas mentionné dans les fichiers, les passeports sont tamponnés par cachets alors qu'il faudrait avoir recours à la biométrie… et j'ai recensé ainsi neuf manques, qu'il s'agisse de l'absence de la reconnaissance faciale, de l'impossibilité d'effectuer des recherches dans le SIS II sur la base des empreintes digitales d'une personne – seuls y figurant son nom et sa date de naissance –, de l'absence d'un index européen des registres de police… Je vous invite donc à utiliser ce travail car il faut entrer dans le détail des manquements du système Schengen qui est franchement affligeant et qui montre bien que l'Europe ne peut pas faire face au terrorisme si ses membres ne coopèrent pas entre eux. Or il faut savoir que leur loi interdit à un certain nombre de pays de transmettre au système Schengen leurs propres informations sur les terroristes fichés.

Nous sommes par conséquent devant un chantier immense. Or il est impensable de vouloir réformer la politique de la lutte contre le terrorisme en France sans poser la question clef de l'Europe – ce qui est fait de façon trop rapide dans le projet de rapport : on compte une page et demie sur l'immigration et une page ou deux sur Schengen. Cela ne me paraît pas raisonnable. Vous avez sans doute entendu, à Washington, que la difficulté, quand on lutte contre le terrorisme en Europe, c'est que les services ne communiquent pas entre eux. Dès lors, ou bien nous rétablissons les frontières nationales et nous luttons contre le terrorisme à l'échelon national, ou bien nous promouvons une coopération européenne.

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Je vous remercie, monsieur le président, monsieur le rapporteur, pour la qualité de ce travail d'investigation très complet.

Je reviens sur les propositions concernant la contribution que sont susceptibles d'apporter les collectivités, même les plus petites, dans la lutte contre le terrorisme. J'ai bien noté l'idée d'étendre la vidéosurveillance mais aussi d'installer des lecteurs automatiques des plaques d'immatriculation. La sécurisation des accès des écoles et des établissements de la petite enfance me paraît également intéressante. Il est vrai que dans la mesure où les délinquants et les terroristes se déplacent, ils doivent être identifiables à tout endroit, même dans les plus petits villages. L'application de ces mesures nécessitera des investissements considérables. Comment mettre en place ces moyens ?

En ce qui concerne le rôle des collectivités territoriales, notre rencontre avec des membres de la commission d'enquête belge a montré l'importance, me semble-t-il, d'établir une liaison étroite entre les maires et la police, la gendarmerie, les services sociaux, ceux de l'éducation nationale, afin de mieux identifier la radicalisation et de mieux déceler les germes d'une délinquance qui pourrait ultérieurement se révéler très dangereuse. Or, même si je n'ai pu prendre connaissance du rapport que ce matin, je n'y ai pas lu cette proposition d'instaurer une relation étroite avec tous les services de proximité, sachant que tous les maillons de la chaîne m'apparaissent importants dans la lutte contre le terrorisme.

Dernière remarque : la proposition relative à l'intervention de l'armée française au sol en Irak et à la frontière turco-syrienne mérite discussion avant que nous ne nous déterminions sur ce rapport important et, je le répète, de très bonne qualité.

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Je joins mes félicitations à celle de nos collègues.

Je regrette néanmoins que l'on ne pose pas davantage la question de l'organisation de la police dans son ensemble et notamment du partage des compétences entre la DGPN et la préfecture de police. On connaît l'histoire et donc les raisons de ce partage ; or il ressort des auditions qu'on peut se demander s'il est encore légitime d'avoir une préfecture de police. Je ne crois pas qu'à la suite des événements de janvier et novembre 2015 on puisse faire l'économie d'une telle réflexion.

Ensuite, on a bien vu, notamment au Bataclan, que la réactivité des policiers de terrain avait été déterminante. Or la doctrine d'emploi commande de sécuriser, d'attendre puis d'intervenir. Je pose par conséquent la question de la doctrine d'emploi. Le ministre de l'intérieur nous a indiqué que la réflexion, à ce sujet, était en cours. Il me semble que nous devrions, pour les forces de l'ordre, nous inspirer de la doctrine des sapeurs-pompiers, celle dite du verre d'eau, et qui consiste à intervenir vite pour éteindre rapidement un feu naissant. Dès lors, évidemment, on court plus de risques…

Je salue les propositions du rapporteur relatives au renseignement mais je trouve qu'elles ne vont pas assez loin. Nous avons un foisonnement de services dont nous avons bien constaté les défaillances – pour ne pas dire davantage. L'une des raisons de ces défaillances est le cloisonnement de services relevant de ministère différents et qui ne se parlent pas ! On a même entendu, au cours de certaines auditions, que certains d'entre eux n'étaient même pas au courant de l'existence de structures de coordination ! Aussi, tant que l'on ne proposera pas, au minimum, de réunir les services de renseignement sous l'égide de deux grands ministères, celui de l'intérieur et celui de la défense, nous n'y arriverons pas. Je regrette donc que nous n'allions pas beaucoup plus loin et je crains que les propositions qui sont faites en matière de coordination ne fassent long feu, comme par le passé.

J'en viens à la question fondamentale des services pénitentiaires. Je considère qu'il y a là une faille béante et qui appelle des propositions très fortes : il faut tout remettre à plat. Nous avons notamment entendu le témoignage de plusieurs de nos collègues sur ce qui se passait dans certaines prisons françaises, nous décrivant des situations totalement surréalistes. Nous ne semblons pas à la hauteur de l'enjeu. Voilà qui me conduit au renseignement pénitentiaire : doit-il continuer de relever du ministère de la justice ? Ou bien doit-il être rattaché à la DGSI, c'est-à-dire au ministère de l'intérieur ?

Je me félicite par ailleurs de l'évolution des mentalités en matière de vidéosurveillance – je me souviens quand, en 2001, j'avais mis en place un système de vidéoprotection à Orléans : j'en ai entendu !

Je terminerai sur deux points : les victimes et leur prise en compte dans la durée.

Je ne sais pas si vous avez entendu hier, à la radio, une victime qui a été amputée d'un pied, et dont le bras ne fonctionnait plus…

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Oui, mais seulement hier ou aujourd'hui.

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Nous ne pouvons pas ici entrer dans ce genre de détails.

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Certes, monsieur le président, mais on nous explique qu'il y a un secrétariat d'État chargé de leur venir en aide…

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Je termine sur un point fondamental, qui ne figure pas dans le rapport et sur lequel j'insiste depuis des mois. Nous suivons une stratégie de protection – nous sommes derrière une sorte de ligne Maginot face au terrorisme –, et nous n'avons aucune stratégie offensive. Abaaoud a été incarcéré en Belgique, Coulibaly a été libéré sans surveillance, la surveillance de Kouachi a été interrompue, d'autres ont été repérés puis laissés en liberté, comme Yassin Salhi etc. Certes, nous ne parviendrons pas à une protection parfaite, mais pourquoi n'utilisons-nous pas certains outils juridiques d'ores et déjà à notre disposition ? Ainsi, je ne comprends pas pourquoi nous n'avons pas recours à l'article 23-8 du code civil, monsieur le président.

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Merci, monsieur le président, monsieur le rapporteur, d'avoir mis en lumière, dans le présent rapport, deux dysfonctionnements majeurs des moyens mis en oeuvre pour lutter contre le terrorisme depuis janvier 2015.

Le premier est la faillite totale du système européen de contrôle des migrations et l'absence de tout lien entre contrôle des migrations et lutte antiterroriste. Vous soulignez à juste titre et de façon très précise qu'il a fallu attendre le 4 décembre 2015, à savoir onze mois après l'attentat contre Charlie hebdo, pour que les agences Frontex et Europol commencent à échanger des données individuelles collectées par un État membre lors des contrôles aux frontières, qu'il a fallu attendre décembre 2015 pour qu'Europol envoie en Grèce un agent chargé de ces questions alors que 1,8 million de franchissements irréguliers des frontières européennes avaient déjà été enregistrés depuis début 2015. Ce grave dysfonctionnement, qui constitue une faute historique des chefs d'État et de Gouvernement, est bien mis en évidence par le rapport.

La seconde faille considérable que vous relevez est « que tous les Français ayant frappé le territoire national en 2015 étaient connus à un titre ou à un autre des services judiciaires, pénitentiaires ou de renseignement, qu'il s'agisse des frères Kouachi, de Coulibaly, de Samy Amimour ou d'Ismaël Omar Mostefaï ». Il apparaît important que ces éléments soient portés à la connaissance de l'opinion publique. Il s'agit en effet d'en tirer les conséquences, y compris quant à la responsabilité politique du commandement en ces matières.

Pour le reste, je me trouve d'accord avec la plupart des propositions du rapport n'était, et je rejoins Pierre Lellouche, une certaine réserve quant à l'emploi de troupes au sol dans la zone irako-syrienne.

Je souhaite vous faire part de trois propositions complémentaires relatives à la sécurité intérieure.

La première concerne les exécutions et les régimes d'aménagement des peines. Je note, pour m'en satisfaire, la proposition d'exclure les personnes condamnées pour des actes terroristes du bénéfice du crédit de réduction de peine automatique ; mais il faut sans doute, monsieur le rapporteur, appréhender le sujet de manière plus large, avec l'ensemble des dispositifs d'aménagement des peines. J'avais, avec d'autres, fait des propositions très précises en commission des lois à l'automne 2015. Nous avons également présenté, au début de l'année, de nombreux amendements qui ont fait l'objet d'un avis défavorable du Gouvernement. Nous remettons tout cela sur l'ouvrage, avec Éric Ciotti, dans une proposition de loi que nous avons déposée il y a une dizaine de jours et visant à donner aux autorités de l'État des pouvoirs exceptionnels afin de mettre hors d'état de nuire les terroristes islamistes qui menacent la nation. Aussi, concrètement, il faut assumer l'idée qu'une peine prononcée doit être entièrement exécutée dès lors que l'on se situe dans un contexte antiterroriste.

Ensuite, le moment me paraît venu – tout en respectant l'article 66 de la Constitution – de prévoir des possibilités de rétention administrative ciblée sur des individus particulièrement signalés par les services de renseignement. Il s'agit de mesures de police administrative – pas de sanctions –, de mesures de préservation de l'ordre public qui peuvent parfaitement, j'y insiste, être envisagées dans le cadre constitutionnel avec, le cas échéant, à un moment de la procédure, l'intervention d'un juge des libertés et de la détention spécialisé. Il me semble, en tout cas, que nous ne pouvons pas laisser dans la nature, libres de leurs mouvements, des individus pourtant parfaitement connus. J'entends bien que le haut du spectre doit toujours faire l'objet d'une judiciarisation – l'objectif est évidemment de mettre les individus concernés sous écrou et de les renvoyer vers l'autorité judiciaire pour des condamnations pénales – mais il y a bien une zone grise, intermédiaire, qui ne peut pas ne pas faire l'objet de mesures ciblées de rétention.

Troisième et dernière mesure : la question des mosquées extrémistes doit être traitée avec beaucoup plus d'ardeur qu'elle ne l'a été ces derniers temps. Au cours des derniers mois, trois ou quatre mosquées ont fait l'objet d'une fermeture sous le régime de la dissolution des groupements de fait ou des associations portant gravement atteinte à l'ordre public. Nous devons nous doter de moyens plus puissants pour que le ministre de l'intérieur ait le pouvoir de s'opposer à l'ouverture ou celui d'ordonner la fermeture de tout lieu de culte présentant une menace grave pour la sécurité nationale. Cette mesure principale devrait être assortie d'une mesure complémentaire qui serait l'interdiction de tout financement étranger direct ou indirect des lieux de culte. Il faudra aussi, permettez l'expression, mettre les pieds dans le plat et assumer une action publique des plus vigoureuses contre ces influences pour le moins pernicieuses qui corrompent une partie de la jeunesse de notre pays et qui menacent gravement la sécurité nationale.

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Je remercie à mon tour le président et le rapporteur pour les travaux que nous avons menés et pour le présent rapport.

En préalable, je souhaite revenir sur la publication du compte rendu de l'audition du préfet de police. À titre personnel j'y suis opposé, pas à cause de son contenu mais pour des raisons de méthodologie. En effet, si nous procédons à des auditions à huis clos, c'est parce que nous estimons que certaines informations doivent rester secrètes. Or, si nous commençons à tout publier, certaines personnes, quand bien même auditionnées à huis clos, risquent, à l'avenir, de se restreindre dans leurs propos.

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Je ne suis pas d'accord. Il ne faut pas confondre le huis clos et le secret.

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La publication de ce compte rendu n'apporte certes rien de plus au rapport, mais…

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Imaginez une seconde que nous ne publiions pas le compte rendu de l'audition du préfet de police : toute la presse ne va s'intéresser qu'à cela, se demandant pourquoi nous ne l'avons pas fait paraître.

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C'est le problème du préfet de police, monsieur le président, pas le nôtre.

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C'est ce qui s'est passé avec les vingt-huit pages saoudiennes du rapport américain après le 11 septembre.

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Vous nous avez demandé notre avis, monsieur le président, je vous donne donc le mien. Je pense que, pour des raisons de méthode, il vaut mieux ne pas publier ce compte rendu, quitte à expliquer que nous ne comprenons pas pourquoi le préfet de police l'a voulu ainsi.

J'en viens au rapport. Nous avons évoqué, monsieur le président, monsieur le rapporteur, l'introduction d'une partie relative au fonctionnement des commissions d'enquête. Il serait bon que, pendant la conférence de presse, vous mentionniez certaines des pistes que nous proposons sur la réduction du nombre de commissaires, sur les moyens dont la commission doit disposer – Pierre Lellouche rappelait que les commissions d'enquête n'avaient toujours pas de salle sécurisée dans laquelle disposer en permanence d'informations ou de documents.

Sur le fond, je m'accorde avec de nombreuses propositions, qu'il s'agisse de l'aide aux victimes, des médias, de la rationalisation et de la meilleure coordination des services de renseignement – je pense à la fusion entre la DGSI et la DRPP. Sur les services de renseignement, précisément, puisque l'on peut déjà lire sur internet l'article du Monde sur les failles que nous aurions relevées, je souhaite également que, pendant la conférence de presse, vous rappeliez les données précises du directeur général de la sécurité extérieure : depuis janvier 2013, 69 opérations et 12 attentats contre des intérêts français à l'étranger déjoués grâce à la DGSE. Nous pouvons certes faire des propositions d'amélioration d'envergure de nos services de renseignement afin qu'ils renforcent leurs coopérations avec leurs homologues étrangers, mais voilà : on sait que le risque zéro n'existe pas, ce qu'il n'est pas inutile de rappeler non plus.

J'en viens à ce qui manque dans le rapport. Je ne reprends pas ce qu'a dit Philippe Goujon à propos de la préfecture de police ; c'est un sujet sur lequel nous devrons nous pencher à nouveau. Une autre question pourtant évoquée au cours de nos travaux, l'impossibilité pour les services de renseignement de procéder à des écoutes dès lors qu'une instruction est ouverte, ne fait l'objet d'aucune proposition. Le troisième aspect, plus technique, concerne la base de données recensant les équipements publics que nous avions parlé de créer à l'intention des forces d'intervention : c'est un gros travail, mais qui ne serait pas inutile.

Je doute de la pertinence de la proposition relative à la sécurisation des aéroports : on va sécuriser Roissy avant Orly ; et si l'on sécurise Orly, c'est une gare qui sera frappée. Je connais moi aussi l'aéroport Ben Gourion, mais l'organisation du pays et de ses renseignements, la nature du terrorisme auquel il est confronté – sans parler de la longueur des frontières –, peuvent-elles vraiment être comparées à ce que nous connaissons ? Voyez l'exemple du Thalys : la sécurisation, avec les fouilles de passagers qu'elle implique, a créé de telles files d'attente qu'une explosion sur le quai serait beaucoup meurtrière qu'elle ne l'aurait été auparavant. Sans compter la foule de passagers des trains non sécurisés en provenance du Nord, qui se presse sur le même quai, dont la surface a été divisée par deux…

En revanche, nous devrions travailler beaucoup plus sur le concept de résilience et sur ce que la société française est en mesure d'accepter.

La création de l'agence nationale de lutte antiterroriste m'inspire elle aussi quelques doutes : je crains que son annonce n'appelle l'attention sur le nouvel outil au détriment des intéressantes propositions qui tendent à rationaliser et à améliorer la coordination entre les outils existants.

Enfin, je l'ai déjà dit, je suis en complet désaccord avec l'idée d'envoyer des troupes au sol en Irak, que ces troupes soient françaises ou occidentales : ce serait parfaitement contre-productif.

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J'ai eu moi aussi beaucoup de plaisir à travailler au sein de cette commission, mais, pour être franc, je suis déçu par les propositions du rapport : la montagne accouche d'une demi-souris ! Nous ne sommes pas allés assez loin.

Il n'y a rien dans le rapport sur la doctrine d'intervention. Certes, à cet égard, le ministre a anticipé sur nos conclusions, mais en grande partie grâce à nos travaux. Ainsi le délai maximal d'intervention a-t-il été limité à vingt minutes. On sait bien que les doctrines d'intervention sont très défectueuses, que ce soit ici ou aux États-Unis – à Orlando, le délai a été de deux heures et demie ! Il ne me semble pas non plus que le rapport évoque les primo-arrivants, ni la possibilité de permettre à tout policier de tirer immédiatement, comme l'a fait le commissaire divisionnaire X, qui a certainement sauvé ainsi des dizaines de vies.

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Comme Pierre Lellouche, je note aussi que certaines propositions sont beaucoup plus importantes que d'autres. Il aurait donc été préférable de classer les propositions en grands blocs avant d'entrer dans le détail.

Comme Guillaume Larrivé, j'aurais aimé que le rapport revienne davantage sur les mosquées salafistes et leur financement. Le texte ne contient rien non plus sur l'éducation.

On pose des rustines partout, mais c'est à la source que nous devons combattre et détruire le djihadisme et le terrorisme mondial. S'il faut intervenir en Irak, en Syrie, au Yémen, faisons-le, et ne laissons pas certains pays avec lesquels nous entretenons des relations, avec lesquels nous flirtons, soutenir le terrorisme en fermant les yeux sur leurs activités, car il n'y a pas de bons terroristes, qu'ils soient chiites ou sunnites. Là-dessus non plus, pas un mot !

Qu'en est-il de la lutte cyber et sur les réseaux sociaux, en particulier Facebook ? On a dénombré 30 000 ou 40 000 tweets « Je suis Kouachi » ou « Je suis Coulibaly ». La loi devrait permettre d'intervenir immédiatement car, à cette échelle, il n'est pas possible d'ouvrir chaque fois une information.

Le rapport reste léger s'agissant de la faillite absolue du renseignement. Il formule des propositions, mais ménage tout le monde et en reste à la surface. Évidemment, il ne s'agit pas là d'une question politique : de tels événements auraient et ont pu arriver sous la droite comme sous la gauche. Mais, en termes de responsabilités, cette faillite devrait être clairement établie ; or le rapport ne le fait pas.

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Il aurait fallu le lire en entier : vous y auriez trouvé ce que vous dites. Nous y énumérons toutes les failles.

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Compte tenu des conditions, il était difficile de le lire en entier !

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Vous avez raison, monsieur le président : je rentre tout juste d'une semaine en circonscription, et je n'ai pas encore lu le rapport. Mais pour m'en tenir aux propositions, que je découvre ce matin, elles sont un peu légères au regard du travail accompli. Je vous le dis en toute amitié et fraternité, et justement parce que, des trois commissions d'enquête auxquelles j'ai participé depuis que je siège dans cette Assemblée, c'est celle-ci qui a oeuvré le plus et de la manière la plus approfondie, sans médiatiser ses travaux.

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Léger, dites-vous ? Nous proposons la création d'une agence nationale de lutte antiterroriste, qui doit fournir non seulement une base commune au renseignement mais aussi une stratégie nationale et internationale. Nous proposons le transfert à la DGSI de l'ensemble du renseignement parisien. Nous proposons la fusion de la SDAO et du SCRT en une nouvelle direction. Que vous faut-il de plus ? Lisez le rapport et ses conclusions ! Et, si cela ne vous suffit pas, donnez-nous une idée !

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Y a-t-il quoi que ce soit dans le rapport sur la doctrine d'intervention ? Sur les vingt minutes ? Sur la possibilité de donner à n'importe quel policier arrivant sur les lieux la couverture juridique qui lui permettra de tirer ?

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Cette possibilité existe déjà, et les forces intermédiaires ont reçu leurs équipements. C'est un constat !

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Mais cela ne concerne pas le policier de quartier qui arrive dans une zone de tirs.

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Et les mosquées, le salafisme, en est-il question dans le rapport ? Et l'éducation ?

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Pour ma part, j'ai lu l'intégralité du rapport et je suis d'accord avec l'essentiel de ses propositions. Je félicite le président et le rapporteur du travail considérable qu'ils ont accompli.

Je regrette toutefois que le rapport escamote quelques points particulièrement problématiques.

Premièrement, en ce qui concerne la genèse du 13 novembre, l'enquête statuera précisément, mais je suis frappé qu'aucun de nos interlocuteurs n'ait évoqué comme un possible tournant la date du 7 septembre 2015, c'est-à-dire le moment où le Président de la République a décidé l'intervention en Syrie. Personne n'a dit qu'à partir de ce moment nous aurions dû être en alerte maximale. Je regrette qu'il ait fallu attendre le Bataclan pour que cela devienne le cas. Il y a eu là une défaillance : nous aurions dû mieux anticiper les risques de réplique.

Deuxièmement, en ce qui concerne le Bataclan, le rapporteur écrit que « le déclenchement de la FIPN [Force d'intervention de la police nationale] aurait vraisemblablement eu un effet limité ». Personnellement, je regrette que la décision politique de faire intervenir le RAID comme force menante n'ait pas été prise, au vu du risque encouru. Je note d'ailleurs qu'en présentant le nouveau schéma national d'intervention, le 19 avril, le ministre de l'intérieur a assumé le fait d'avoir lui-même déclenché la FIPN le 9 janvier. Je ne considère pas pour ma part que ce nouveau schéma d'intervention inscrive une doctrine d'intervention dans le marbre : il sert plutôt à justifier a posteriori ce qui a été fait au Bataclan, et la doctrine sera certainement amenée à évoluer à l'avenir.

Troisièmement, en ce qui concerne la réforme du renseignement, je partage l'analyse du rapporteur : nous ne sommes pas allés au bout de la démarche. Le rapporteur insiste beaucoup sur la séparation de fait entre le service territorial – la sous-direction de l'information générale (SDIG) – et la DCRI. Il me semble que la séparation entre DGSI et DGPN était encore plus grave, ou du moins qu'elle a aggravé la situation, et que la création de l'EMOPT était une manière d'en prendre acte. Mais vous formulez des propositions afin de résoudre le problème, monsieur le rapporteur.

Je suis également tout à fait d'accord pour dire que le coordonnateur national du renseignement n'a pas trouvé sa place et doit être transformé, comme l'a également souligné Pierre Lellouche, en un véritable directeur national du renseignement.

Quatrième point – le plus important peut-être : la manière dont nous avons envisagé, depuis 2015, le retour des djihadistes engagés sur des théâtres d'opérations en Irak et en Syrie constituait une véritable faute politique. Celle-ci n'est pas l'apanage de la France, mais concerne également la Belgique et d'autres pays européens. À la page 183 du rapport, le rapporteur insiste sur la différence entre l'infraction d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (AMT) selon qu'elle est délictuelle ou criminelle et se satisfait discrètement du changement de pratique à cet égard, qui correspond à l'arrivée de M. Urvoas place Vendôme. Je suis convaincu que nous avions sous-estimé la gravité de la situation, une erreur qu'illustre bien la circulaire de présentation de la loi terrorisme prise par Mme Taubira en date du 5 décembre 2014, aux termes de laquelle les djihadistes de retour devaient être poursuivis sur le fondement de l'AMT délictuelle et en prenant moult précautions.

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Cinquièmement, vous insistez, monsieur le rapporteur, sur l'urgence du PNR (Passenger Name Record), dont vous dites avec une grande honnêteté qu'il ne sera efficace que s'il est couplé au développement de la biométrie. À cet égard, je souhaite insister sur le retard que nous avons pris depuis cinq ans, du fait de l'abandon de la carte nationale d'identité électronique qu'il est tout aussi urgent de rétablir – on a pu évaluer à plusieurs millions le nombre de faux papiers en circulation dans notre pays. Le rapport pourrait être plus précis sur ce point.

En sixième et dernier lieu, Pierre Lellouche l'a fort bien dit, le projet de rapport escamote la question des migrants et de Schengen alors que c'est bien par cette filière que les terroristes du Stade de France sont entrés sur le territoire. Il faudrait y insister davantage.

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Une mission d'information sur les flux migratoires exceptionnels est en cours, dont Guillaume Larrivé est corapporteur : nous ne voulions pas créer de doublon, non plus qu'avec la mission d'information sur le financement du terrorisme.

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Je félicite à mon tour le président et le rapporteur du travail accompli. Les auditions furent nombreuses et je regrette de n'avoir pu assister à toutes. J'espère que le rapport permettra de répondre aux questions légitimes des victimes et d'améliorer notre système judiciaire, nos renseignements et l'organisation de nos forces d'intervention.

En ce qui concerne l'audition du préfet de police de Paris, dans notre rapport d'information sur l'évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, Jean-Jacques Urvoas et moi-même avions « caviardé » les passages que les personnes auditionnées ne souhaitaient pas rendre publics. Dès lors que cette possibilité est offerte, je ne vois pas pourquoi l'audition ne serait pas publiée.

S'agissant justement du renseignement, le projet de rapport contient des propositions bienvenues, notamment le détachement permanent d'officiers de gendarmerie au sein de la DGSI et la fusion du SCRT et de la SDAO en une nouvelle direction générale du renseignement territorial. Quant à la nouvelle répartition des compétences actuellement dévolues à la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP), elle est essentielle. Nous abordions le problème dans le rapport précité, évoquant l'« incohérence parisienne » et un « particularisme policier de l'Île-de-France […] devenu source de dysfonctionnements administratifs et de chevauchements ». Nous préconisions alors la création d'une direction zonale de la DGSI en Île-de-France, tirant les leçons de l'affaire des identitaires de Poitiers que la DRPP avait filés jusqu'à Orléans avant d'arrêter la filature sans en informer qui que ce soit. Mais cette proposition n'a pas été suivie d'effet, en raison de réticences liées au passé et à la manière dont certains s'arc-boutent sur leur territoire. Cet échec montre la nécessité d'un suivi de la mesure.

Je regrette que la gestion des retours de zones de djihad, certes abordée dans le rapport, n'y fasse l'objet d'aucune proposition, non plus que le suivi des fiches S, alors que nombre de personnes impliquées dans les attentats de janvier et de novembre étaient fichées.

Le projet de rapport n'insiste pas non plus assez sur le fait que les policiers de la BAC, c'est-à-dire les primo-arrivants, ne disposaient pas d'armes lourdes pour réagir à ce genre d'événements. Certes, depuis, le ministère de l'intérieur a remédié à ce problème, mais il était important de le préciser.

Enfin, je ne reviens pas sur la question des migrants, dont vous avez rappelé, monsieur le président, qu'elle allait faire l'objet d'un rapport.

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Je précise que le rapport inclura un avant-propos qui présentera mes positions et pourrait reprendre certaines de vos remarques.

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Les attentats de 2015 appelaient évidemment la constitution d'une instance nationale de réflexion et d'évaluation. La mise en échec de notre politique antiterroriste et l'explosion de la menace rendaient indispensable un examen complet du dispositif de protection des Français. À mes yeux, il aurait été pertinent d'opter pour une commission nationale plus ouverte qu'une commission d'enquête parlementaire classique. Je n'en salue pas moins le travail du président et du rapporteur.

J'en viens au projet de rapport.

En ce qui concerne tout d'abord l'organisation des forces de l'ordre, au vu des auditions, l'amélioration de la coordination opérationnelle des unités d'intervention spécialisées s'impose afin d'éviter toute concurrence, avec la création d'un commandement unique des forces spécialisées. Je regrette que l'on n'aille pas plus loin sur cette voie.

Plusieurs mesures prises par le Gouvernement sont susceptibles de remédier aux carences constatées. Je songe aux protocoles d'intervention conjointe des forces d'élite, à l'effort d'équipement et d'entraînement des BAC et des pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG)-« Sabre », au décloisonnement géographique afin de fluidifier les capacités d'intervention des BAC. L'objectif du ministère de l'intérieur – projeter les forces d'élite en n'importe quel point du territoire en vingt minutes – doit être atteint.

L'opération Sentinelle n'est pas la prolongation du plan Vigipirate, mais une révolution dans la doctrine d'emploi de nos forces. Cette mobilisation permanente de 7 000 hommes pour surveiller le territoire n'est pas justifiée. Je le répète, il est nécessaire de mettre fin à cette opération.

En ce qui concerne le renseignement, les conséquences de la profonde réforme menée en 2008 portent une part incontestable de responsabilité dans les échecs que nous avons connus en 2012 et 2015. La mise à l'index des services à la suite d'attentats commis par des individus fichés S les place dans une position défensive qu'illustre la surenchère des tâches de reporting. La méfiance envers les sources humaines née de l'affaire Merah pousse les services à privilégier le renseignement technique, qui ne suffit pas. La perte progressive de la « culture RG » crée un angle mort dans notre politique de renseignement. La pertinence de la distinction entre premier et second cercle, introduite par la loi relative au renseignement, m'apparaît discutable. J'approuve donc les propositions du rapporteur concernant le regroupement et le rapprochement des services, mais aussi le positionnement hiérarchique, avec la création d'une nouvelle agence.

S'agissant du secours aux victimes, j'approuve également les propositions formulées dans le rapport, en particulier concernant les colonnes d'extraction. Je m'interroge toutefois sur le fait que celles-ci ne soient composées que de secouristes.

Un mot du budget. L'insuffisance des moyens a été constatée pour l'ensemble des programmes concernés par la politique de prévention et de répression du terrorisme, qui recoupe les missions « Défense », « Sécurités » et « Justice ». Ce constat appelle un effort. Je me félicite donc que soient proposés des recrutements et l'octroi de moyens supplémentaires dans la police et la justice.

Je regrette en revanche que le rapport ne parle pas de renforcer la police aux frontières (PAF) et les douanes pour sécuriser les aéroports et qu'il mise un peu trop sur les services de sécurité privés. Quant à la proposition de sécurisation des équipements scolaires et d'accueil de la petite enfance, elle est bienvenue mais mériterait d'être étendue aux équipements publics ; en outre, il convient à cet égard de favoriser la souplesse s'agissant du partage des tâches entre l'État et les collectivités locales sur le terrain.

Enfin, indépendamment de ce que chacun d'entre nous peut en penser, les propositions 32 et 33, qui concernent la politique extérieure, n'ont pas leur place dans ce rapport.

Pour favoriser la résilience et la résistance nationales, les travaux de notre commission d'enquête doivent être largement diffusés et contribuer à développer une culture de l'antiterrorisme chez tous nos concitoyens. Cet objectif est essentiel : c'est à son aune que nous mesurerons si nous avons réussi ou échoué. Nous devons donc nous donner les moyens de l'atteindre.

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Monsieur le président, je vous remercie à mon tour, ainsi que le rapporteur, de la manière dont vous avez piloté nos travaux, sur le fond comme sur la forme.

En ce qui concerne les forces d'intervention, le rapport ne va pas assez loin. Pourquoi attendre le « grand soir » ? Pourquoi ne pas être plus ambitieux en proposant, sur le modèle d'autres pays, la fusion, à terme, des trois forces que sont le RAID, la BRI et le GIGN – même si chacune a son histoire et son statut –, dont la première étape pourrait être une formation commune ?

S'agissant du renseignement, j'approuve entièrement les propositions du rapporteur sur le regroupement des services et la création d'une agence, ainsi que sur le renseignement pénitentiaire compte tenu de tout ce qui se passe en prison. Je suis également d'accord pour dire qu'il faut sortir de Sentinelle. En revanche, membre de la commission de la défense, je ne suis pas favorable à l'envoi de troupes françaises au sol en Irak, où existe déjà une force d'intervention réunissant plusieurs pays.

D'autres l'ont dit, il manque une proposition concernant la lutte contre la cybermenace, qui est croissante : c'est un point-clé.

Je suis par ailleurs tout à fait d'accord avec la quarantième proposition formulée par le président.

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Je salue à mon tour la qualité des travaux de la commission d'enquête. Le fait que nous les ayons conduits en bonne intelligence montre que nous sommes capables de reformer un front républicain s'agissant de questions aussi fondamentales. Je souhaite que cet esprit préside également à notre approche des propositions du rapport et à la manière dont nous allons défendre celui-ci dans la presse.

À cet égard, je regrette que la photographie des propositions soit déjà tweetée à droite et à gauche, pour nous qui nous sommes entièrement impliqués, pour les victimes, pour les personnels qui doivent se préparer aux événements analogues qui ne manqueront malheureusement de nous toucher à nouveau. Davantage de retenue aurait été souhaitable. De telles situations se reproduisent régulièrement alors même que, chaque fois, nous les déplorons. La facilité, la rapidité, la brutalité des messages ainsi relayés risque d'occulter la qualité de nos travaux ; de plus, ceux-ci ne manqueront pas d'être déformés.

Cela soulève le problème de la déontologie de la presse, qui est abordé dans le rapport – et je tenais à ce que nous progressions dans la réflexion sur le traitement médiatique des attaques. Certes, des progrès ont déjà été réalisés entre les différents attentats, mais une charte est absolument nécessaire, notamment pour assurer la communication avec les pouvoirs publics et concilier liberté d'expression et protection de l'ordre public. C'est un domaine dans lequel nous devons tous consentir des efforts.

S'agissant des moyens, il faudra mieux faire, en particulier pour la justice judiciaire, en vue de réduire les délais de jugement. Je me réjouis que nous l'envisagions, compte tenu des conditions de travail dont nous ont fait part plusieurs des magistrats que nous avons auditionnés. J'ai par ailleurs été surprise que certains d'entre eux, notamment les plus présents dans les médias, ne bénéficient d'aucune protection et que le rapport n'aborde pas ce problème, à leur sujet comme s'agissant des grands directeurs des services publics.

Qu'en est-il de la manière dont on va continuer de lutter contre le terrorisme dans les services pénitentiaires ? Cette vaste question appellerait une étude spécifique. Plus généralement, il me semble nécessaire de créer une cellule de veille pour suivre la mise en oeuvre des différentes mesures.

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Ce rapport est remarquable : il balaye de nombreux sujets et il a le courage de signaler ce qui ne va pas, notamment au niveau européen – à propos de Frontex, d'Europol et de la question des frontières –, montrant ainsi tout ce qui reste à faire à ce même échelon européen et à l'échelon national.

Comme l'ont dit plusieurs de mes collègues, le rapport ne mentionne pas le deep web et tout ce qu'il est possible de cacher au sein du système de transmission de données, non plus, d'ailleurs, que la capacité de se déconnecter grâce à des téléphones ou d'autres outils à suppression automatique des données, c'est-à-dire, outre le cryptage, la capacité d'effacement. Il faudra peut-être approfondir ces questions ultérieurement.

Le rapport aborde le problème essentiel du renseignement territorial, qui avait été lamentablement stoppé alors même que tout ne se passe pas à Paris ni en région parisienne, comme le rapport le montre fort bien. La création de l'agence de lutte antiterroriste a déjà été commentée, à la différence de celle, également remarquable, d'une vaste base de données nationale, solide, bien gérée au moyen de niveaux d'accès sécurisés, recensant les acteurs du terrorisme et de la cybercriminalité.

Le rapporteur préconise de mettre en oeuvre un « plan de recrutement dédié aux juridictions spécialisées dans le traitement des affaires de terrorisme » – proposition essentielle, elle aussi trop peu évoquée –, d'adapter certaines obligations et d'exclure les terroristes du bénéfice du crédit de réduction de peine automatique. En revanche, les relations entre la police et la gendarmerie, d'une part, et la justice, d'autre part, sont trop discrètement abordées. Or, les auditions l'ont montré, ces deux secteurs procèdent trop rarement à des échanges d'analyses – je ne parle pas des conclusions – et à des recoupements pour suivre les personnes entrées un jour dans les radars, condamnées ou non, qui restent dans le paysage et que l'on retrouve dix ou vingt ans après.

Merci de ce beau travail qui n'était pas facile, notamment à formuler.

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Merci.

Je vous prie d'excuser le rapporteur de ne pouvoir vous répondre à tous dans le peu de temps qui nous reste.

Je serais personnellement très déçu que tous les membres de la commission d'enquête ne votent pas le rapport. J'ai participé à d'autres commissions d'enquête, notamment à celle qui fut consacrée à l'affaire d'Outreau ; n'étant pas d'accord avec l'ensemble de ses conclusions, j'avais versé au rapport une opinion divergente, ce qui ne m'avait pas empêché de voter le texte dans sa globalité. Chacun pourra trouver dans les conclusions du présent rapport, ou dans son développement, des éléments qu'il n'approuve pas. Je comprends parfaitement, en particulier, les avis émis à propos de l'intervention au sol. Mais cela justifie-t-il de rompre l'unanimité qui a présidé à notre démarche ? Vous le savez, ce travail est très attendu de nos compatriotes, des victimes ; quelle image leur donnerions-nous en n'adoptant pas un rapport courageux, riche de propositions innovantes qui ne vont pas nécessairement plaire à la majorité dont le rapporteur est issu ? N'oubliez pas que ce rapport sera précédé d'un avant-propos d'une quinzaine de pages dans lequel j'intégrerai quelques options divergentes, notamment à propos de la politique pénale et du retour des djihadistes ; j'en ai librement parlé avec le rapporteur, auquel j'ai communiqué le texte en toute loyauté.

J'incite donc ceux qui auraient encore quelques réticences à voter ce rapport, pour l'honneur de notre commission.

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L'honneur de notre commission demande aussi que l'on émette son avis en conscience. Sur plusieurs points, je vous ai rendu hommage, monsieur le président, ainsi qu'au rapporteur. Mais, alors que la situation de notre pays est grave, la commission d'enquête parlementaire, exactement comme celle qui a suivi les attentats du 11 septembre aux États-Unis, se borne à constater l'existant et à proposer quelques innovations – dont la création bienvenue d'une agence sur le modèle américain. Le rapport comporte des trous béants ! Sans parler des fautes en matière de politique étrangère : je ne voterai jamais un rapport qui préconise d'aller faire la guerre en Irak et en Syrie.

Pour en rester aux lacunes, je le répète, on ne peut pas faire de politique antiterroriste en France sans s'intéresser au cyber. Le volet européen est inexistant, de même que la question de l'immigration. Le volet pénal est à renforcer.

Je rends hommage au travail accompli en ne votant pas contre le rapport ; mais ne me demandez pas, au nom de l'unité, de le voter ! Ce n'est pas le sujet ! Le rapport me semble insuffisant et je ne l'aurais pas construit ainsi. J'ai tout de même le droit de le dire !

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Pensez-vous vraiment que nous aurions pu, en quelques mois, aborder de manière exhaustive l'ensemble des questions qui se posent ? Nous nous sommes concentrés sur certains points. Je le répète, vous avez la possibilité d'émettre une opinion divergente, notamment sur l'intervention en Irak, et de faire part de vos regrets concernant l'absence du cyber – un véritable problème, à propos duquel nous sommes d'accord. Quelle image allez-vous donner ? Celle d'une fracture au sein de la commission d'enquête ? Nous avons parfois eu de vifs échanges, mais nous poursuivions tous le même objectif. Et ces propositions ne sont pas tièdes – vous allez voir les réactions qu'elles vont susciter !

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Comme l'a dit le président, chacun votera en son âme et conscience. Je regrette de ne pouvoir répondre à chacune de vos interventions, qui étaient riches, notamment de propositions nouvelles dont la plupart me paraissent pertinentes. Nous avons donné aux travaux de cette commission d'enquête un rythme sans précédent. Nous avons choisi d'emblée d'écarter ce qui relève de la prévention de la radicalisation, ainsi que la question des migrants, objet d'une mission d'information qui va rendre ses conclusions très prochainement et, pour les mêmes raisons, la question du financement des organisations terroristes.

Je suis d'accord avec M. Lellouche : il manque des éléments sur la question des cyber-attaques. Je l'ai dit au président, cet aspect aurait pu faire l'objet d'une sixième partie, mais cela aurait supposé d'auditionner toutes les entreprises intéressées et d'inclure cette approche dans nos déplacements à l'étranger. Des considérations de temps et d'organisation nous ont donc conduits à l'écarter également.

J'ai d'ailleurs annoncé dans un entretien au Monde – qui, lui, était « calé » – que j'adresserai des propositions au Président de l'Assemblée nationale concernant l'organisation des commissions d'enquête, portant notamment sur leur durée.

Je souhaite que nous nous retrouvions par-delà les divergences bien que toutes les mesures proposées ne puissent susciter l'unanimité. C'est une question de volonté politique. Je reçois des messages qui me reprochent un rapport accablant, tandis que d'autres écrivent au président Fenech que le rapport ne va pas assez loin ! Cela montre que le rapport se veut objectif et équilibré. Pour ma part, j'aurais pu aller encore plus loin sur certains sujets. Ceux qui me connaissent le savent.

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Ne peut-on ajouter certaines mesures ?

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Sans avoir pu traiter ces sujets convenablement, cela ne serait pas sérieux.

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Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes propos ne traduisaient nullement une défiance à votre endroit. Je vous ai dit toute l'estime que m'inspire votre travail…

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Vous avez été l'un des commissaires les plus investis.

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J'ai beaucoup travaillé avec vous, en effet, et je trouve que le rapport n'est pas à la hauteur. Voilà tout ! Ne me demandez donc pas de le voter !

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Cette commission d'enquête est tout à fait particulière. Ce que nous y avons vécu, les contacts que nous y avons eus avec les victimes ne nous laisseront pas indemnes. Nous sommes allés en Israël à la veille d'un attentat ; nous étions à Washington le jour de l'attentat d'Orlando. Et l'on pourrait multiplier les exemples.

Nous ne nous en tiendrons pas là, madame Dumas : nous avons demandé au président de la commission des lois la création d'une mission d'information dédiée au suivi de nos préconisations. Car nous ne pouvons pas nous arrêter là. Ce rapport ne saurait être un simple rapport de plus.

Cela étant dit, chacun va voter en conscience et son vote doit bien entendu être respecté.

La Commission approuve la publication du compte rendu de l'audition du préfet de police de Paris.

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Il convient de suggérer au préfet de police de supprimer les passages qui lui posent problème.

La Commission approuve ensuite à l'unanimité la publication du compte rendu de l'ensemble des auditions.

Enfin, la Commission adopte le rapport.

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Je vous remercie de cette adoption à la quasi-unanimité puisque je n'enregistre que deux abstentions. En application de l'alinéa 3 de l'article 144-2 du Règlement de notre Assemblée, le Gouvernement ou un dixième des membres composant l'Assemblée nationale peut demander sa réunion en comité secret pendant les cinq jours qui suivent l'annonce au Journal officiel du dépôt du rapport d'une commission d'enquête, afin de se prononcer, le cas échéant, sur la publication du rapport. C'est la raison pour laquelle le rapport ne doit pas être diffusé jusqu'à la fin de ce délai, soit jusqu'au lundi 11 juillet inclus. Il sera mis en ligne et publié sur support papier, annexes comprises, à compter du mardi 12 juillet au matin. Nous le présenterons alors à M. le Président de l'Assemblée nationale.

Nous avons toutefois jugé souhaitable de présenter dès maintenant nos conclusions aux victimes et à leurs représentants, ainsi qu'aux intervenants opérationnels lors des attentats de janvier et de novembre 2015 – mais je ne suis pas certain que ces derniers aient été autorisés à venir –, puis, dans un second temps, à la presse.

La séance est levée à 11 heures 05.