Commission des affaires étrangères

Réunion du 19 octobre 2016 à 9h45

Résumé de la réunion

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  • AFD
  • APD
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La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de M. Serge Michailof, chercheur associé à l'IRIS, et M. Philippe Jahshan, président de Coordination SUD, sur les orientations du projet de loi de finances 2017 en matière d'aide publique au développement

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

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Chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir M. Serge Michailof, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), qui est déjà venu devant notre commission à de nombreuses reprises. Nous recevons également M. Philippe Jahshan, président de Coordination solidarité urgence développement (Coordination SUD), un organisme que nous recevons régulièrement, surtout quand nous devons examiner les crédits de l'aide publique au développement (APD) comme c'est le cas aujourd'hui.

L'année dernière, la loi de finances pour 2016 a mis fin à la baisse continue des crédits de l'APD depuis 2010, grâce à l'adoption d'amendements que nous avions déposés. La loi de finances pour 2017 doit amorcer la mise en oeuvre de l'engagement, pris en septembre 2015 par le Président de la République, de porter notre aide à 12 milliards d'euros, ce qui suppose une augmentation de 4 milliards d'euros, et d'augmenter les dons de près de 400 millions d'euros d'ici à 2020.

Les chiffres globaux ne donnent qu'une image partielle de la réalité. Encore faut-il que la part des dons soit suffisante pour que la France puisse honorer ses engagements vis-à-vis des pays les moins avancés (PMA). Encore faut-il que l'équilibre entre l'aide bilatérale et l'aide multilatérale corresponde aux objectifs. Encore faut-il que l'APD ne soit pas seulement une ligne budgétaire mais qu'elle soit une véritable politique, avec des moyens suffisants et des objectifs clairs. Nous en discutons fréquemment entre nous et je l'indique à l'intention de nos invités, afin qu'ils puissent se faire une opinion de l'état d'esprit dominant dans notre commission.

Nous avons entendu M. Serge Michailof au mois de mars sur la démographie, l'émigration, l'aide au développement en Afrique. Vous avez exposé vos vues dans un ouvrage intitulé Africanistan, L'Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ? qui nous a beaucoup intéressé. Vous avez plaidé pour que l'aide au développement soit recentrée sur des objectifs très concrets tels que la stabilisation de la région du Sahel. Vous nous avez aussi dit que la France devait se doter d'outils bilatéraux efficaces. Pensez-vous que nous allons vers l'amélioration de ces outils ? À votre avis, sommes-nous équipés pour répondre à de telles situations d'urgence politique ? Nous aimerions aussi avoir votre point de vue sur le projet visant à faciliter la lutte contre les vulnérabilités et à répondre aux crises, qui est actuellement étudié par l'Agence française de développement (AFD).

Monsieur Philippe Jahshan, vous présidez donc Coordination SUD, la principale structure de coordination nationale des organisations à but non lucratif (ONG) françaises de solidarité internationale. Vous publiez chaque année un document d'analyse du PLF. Dans votre rapport de cette année, vous reconnaissez que la France a fait un effort, mais vous estimez que celui-ci est insuffisant puisque nous sommes encore loin de consacrer 0,7 % de notre revenu national brut (RNB) à l'APD. Vous souhaitez, comme la plupart d'entre nous, que cette aide soit davantage orientée vers les dons et l'aide bilatérale aux PMA. Nous attendons votre analyse détaillée, notamment en ce qui concerne l'équilibre entre les prêts et les dons. À votre avis, quelle place les ONG devraient-elles occuper dans le dispositif de financement ? Pensez-vous qu'il faille encore augmenter les financements innovants ? Si oui, lesquels ? Le risque est que l'augmentation de ces financements aboutisse à un simple transfert de dépenses du budget général vers le Fonds de solidarité prioritaire (FSP).

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Serge Michailof, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques, IRIS

J'aborde toujours ces questions budgétaires avec beaucoup de précautions car je ne suis pas un expert. La lecture du PLF me laisse toujours assez perplexe : je suis frappé par le manque de clarté de nombre de ces documents, par l'abondance de détails donnés sur des points qui me semblent secondaires et le manque de précisions sur d'autres qui me paraissent beaucoup plus importants.

Dans ce document, je ne trouve pas de réponses aux questions que je me pose en tant que citoyen. Nous avons tous les ans de grandes déclarations publiques sur le fait que la France est le quatrième ou cinquième donateur mondial avec une APD de l'ordre de 10 milliards d'euros. Comment passe-t-on d'un effort budgétaire d'environ 2,6 milliards d'euros à une APD de 10 milliards d'euros ? J'en ai une petite idée : lorsque l'AFD reçoit un euro pour faire des prêts concessionnels, elle fabrique environ 12 euros d'APD, lit-on dans le document. On comprend la mécanique sans avoir de détails sur son fonctionnement. Lors de mes conférences, je suis régulièrement interrogé sur ces chiffres-là : les quelque 10 milliards d'euros de l'APD, les 8,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires de l'AFD et les 2,6 milliards d'euros de l'effort budgétaire français. Il est difficile de faire le lien entre ces données. Véritable machine à fabriquer de l'APD, l'AFD permet de gonfler les statistiques. C'est assez extraordinaire si tel est l'objectif.

Partons des 2,6 milliards de crédits de paiement. Si je ne me trompe pas, cette somme correspond à notre effort budgétaire pour 2017. Je vois qu'il y a 103 millions d'euros de remises de dettes à l'égard de pays qui ne sont pas nommés. Les frais administratifs de personnel s'élèvent à 184 millions d'euros pour le programme 209. Ceux du programme 110, qu'il faut aller chercher ailleurs, seraient de 7 millions d'euros. Je ne comprends pas très bien ce qui explique une telle différence. En termes d'APD, on devrait aussi comptabiliser le coût de scolarité des étudiants étrangers. Comme il n'en est pas question ici, ils doivent être comptabilisés dans une autre rubrique de la loi de finances. L'intégration du coût des étudiants étrangers permet à la Chine d'être l'un des grands pays bénéficiaires de notre APD.

Quoi qu'il en soit, on ne constate pas de rééquilibrage significatif entre l'aide multilatérale et l'aide bilatérale. C'est très embêtant. Une fois déduits les frais administratifs et les remises de dettes, l'effort budgétaire s'élève à 2,350 milliards. Ces ressources, qui permettent de financer des programmes et des projets, se décomposent de la manière suivante : 1,485 milliard d'euros finance des aides multilatérales et communautaires ; 866 millions d'euros financent des aides bilatérales, un chiffre habituellement gonflé par les frais administratifs et les remises de dettes pour environ 287 millions d'euros. Je n'y vois pas le rééquilibrage entre le bilatéral et le multilatéral préconisé par tous les rapports parlementaires depuis six ou sept ans.

Concentrons-nous sur l'aide bilatérale. Quels sont les dix principaux bénéficiaires de cette aide ? Quelle est la répartition de l'effort budgétaire entre ces différents pays ? Cette aide prend-elle essentiellement la forme de crédits concessionnels ou une autre forme ? Je n'ai pas de réponses à ces questions. Quelle est la part des 227 millions d'euros d'APD gérés par l'AFD qui va aux PMA et sous quelle forme ? Je ne sais pas non plus. Dans une autre rubrique, on découvre que l'objectif de l'AFD – qui me paraît assez logique – est d'affecter environ 67 % des dons aux PMA. Ces dons aux PMA représentent donc 152 millions, c'est-à-dire un peu moins de 6 % de notre effort budgétaire. Nous sommes toujours dans les mêmes eaux : les dons restent les parents plus que pauvres au point d'en devenir ridicules.

Quelle part de ces 152 millions d'euros de dons aux PMA l'Afrique reçoit-elle ? Je n'ai pas très bien compris. Si c'est la moitié, c'est 76 millions d'euros. Mais ce chiffre-là ne colle pas avec celui, très supérieur, qu'on obtient en additionnant les aides officielles aux pays du Sahel. Si ce montant est supérieur, c'est probablement parce qu'on additionne des choux, des carottes et des navets, c'est-à-dire de l'assistance technique, des frais administratifs, des prêts. Rappelons que nous faisons des prêts à des PMA, notamment au Sahel, en nous appuyant sur la doctrine Lagarde selon laquelle un tel financement est possible dans les pays bien gérés. Il me semble quand même totalement aberrant de prêter au Niger ou au Mali en ce moment.

Au milieu de tout cela, je vois que notre effort en faveur aux pays pauvres prioritaires reste très faible. L'effort en faveur des ONG – qui transite par l'AFD – s'élèverait à 77 millions d'euros, un montant en légère augmentation. Le FSP et la coopération décentralisée reçoivent respectivement 34 millions d'euros et 9 millions d'euros.

L'AFD a demandé une facilité pour la lutte contre la vulnérabilité et la réponse aux crises, ce qui correspond au fonds fiduciaire dont j'avais réclamé la création en 2013. À l'époque, j'avais demandé 200 millions d'euros, ce qui me paraissait un minimum pour répondre à la crise au Sahel. L'AFD, qui n'a pas osé demander plus de 100 millions d'euros, n'a pas encore obtenu de réponse. On ne sait pas si cette facilité, qui est absolument indispensable, va être accordée en 2017 ou, comme le veut la rumeur, sera reportée à 2018. Les engagements pris pour 2018 sont quand même un peu hasardeux. Le flou règne en la matière.

Rappelons aussi que tous ces concours aux PMA sont pratiquement affectés puisque chaque ambassadeur demande sa part : il a droit à 10 millions, 12 millions ou 15 millions d'euros. En définitive, il ne reste plus rien pour le Sahel. Avec les chiffres communiqués, je n'arrive pas à reconstituer les montants d'aide au pays de cette zone. Pourtant, leur stabilisation devient vraiment de plus en plus urgente et elle passe par le développement agricole et rural au sens large, y compris le développement municipal, par la gestion de la transition démographique, par la reconstruction des institutions, y compris les institutions régaliennes.

Notre politique consiste à transférer des ressources à la Banque mondiale et à l'Union européenne, en leur demandant de faire ce type d'interventions. Or ces institutions n'ont aucune expertise dans ce domaine. Prenons l'exemple de la Banque mondiale, qui vient de subir une réorganisation assez folle qui l'a paralysée pendant au moins six mois. Elle a constitué vingt-quatre grandes directions techniques, au sein de l'une desquelles le développement rural et le développement urbain sont désormais fusionnés. On imagine un peu comment ça fonctionne.

Revenons maintenant à l'engagement présidentiel concernant la hausse de 4 milliards d'euros des interventions de l'AFD, qui passeraient ainsi de 8 milliards à 12 milliards d'euros. En tant qu'ancien directeur des opérations de l'AFD, je me pose la question : est-ce raisonnable de lui demander cela ? Rémy Rioux, le directeur général de l'AFD, m'assassinerait s'il m'entendait, mais il faut quand même admettre que cette hausse des interventions réclame des efforts considérables d'instruction et de suivi des opérations, qui vont exiger un gonflement très significatif des effectifs. Certes, l'AFD recrute actuellement du personnel de qualité.

S'agissant des 370 millions d'euros supplémentaires de dons, je n'ai pas trouvé dans le document la part qui irait aux questions environnementales. Est-ce que ce serait la moitié comme dans le cas des prêts ? Je l'ignore. D'autre part, je n'ai pas trouvé de traces concrètes du début de l'amorçage de ces dons additionnels pour 2017. D'ailleurs, sont-ils bien additionnels ?

Le Sahel est en train de prendre feu. Je pourrais vous donner quelques détails : j'étais au Niger il y a peu de temps et j'y retourne dans quinze jours, et j'ai des informations assez complètes sur le Mali. Un incendie qui démarre gentiment peut être éteint à l'aide d'un tuyau d'arrosage. S'il se développe à grande échelle, vous pouvez appeler tous les pompiers de la région, l'incendie risque fort de tout consumer. C'est ce qui s'est passé en Afghanistan, pays auquel nous n'avons pratiquement pas donné d'aide jusqu'en 2007. Ensuite, nous en avons déversé de telles masses que l'aide est devenue plus pernicieuse qu'utile.

Je crains que la même situation ne se reproduise au Sahel. Je retrouve l'ambiance business as usual dans l'approche développée dans ce document par le Trésor et le ministère des affaires étrangères. C'est l'Union européenne qui a finalement constitué le fonds fiduciaire, me dit-on. Clarifions les choses. L'Union européenne a effectivement créé deux fonds fiduciaires : le Fonds Bêkou et un fonds d'intervention sur les questions de vulnérabilité en Afrique et en Méditerranée. Dans l'esprit de l'Union européenne, il ne s'agit que d'une astuce pour contourner ses règles administratives complètement folles : en créant un fonds fiduciaire, elle peut réagir plus rapidement. En revanche, ces structures ne lui permettront certainement pas de recevoir de l'argent supplémentaire et d'avoir une gestion cohérente de l'ensemble des ressources disponibles : personne ne va aller donner de l'argent à l'Union européenne dont on sait très bien qu'elle regorge de ressources dont elle ne sait que faire.

Si l'Union européenne a très bien fait de recourir à cette astuce, cela ne prévient pas la nécessité pour la France de constituer ladite facilité – je ne vois aucun inconvénient à utiliser cette terminologie qui a été choisie – sachant que d'autres pays se dotent de ce genre de structures pour développer des accords bilatéraux. L'Allemagne a ainsi confié à sa banque de développement publique, la KfW, la constitution d'un fonds fiduciaire pour la Syrie. La moindre des choses serait que la France constitue cette facilité et que celle-ci soit utilisée en priorité dans des opérations bilatérales que les spécialises des accords multilatéraux ne savent pas faire : celles concernant le développement rural, le développement municipal, le renforcement des institutions régaliennes. Il faut le faire le plus vite possible. Si l'on renvoie à 2018, la situation sera encore plus grave au Sahel ; si l'on renvoie à 2020, ce ne sera plus la peine de le faire.

Voilà les points sur lesquels je voulais insister. Je suis quand même très déçu par ce document. Son manque de clarté est agaçant dans la mesure où il a été élaboré par des gens extrêmement brillants. L'absence de volonté de faire de la pédagogie et de donner des explications claires est vraiment regrettable. Pour résumer, je ne vois pas trace d'un rééquilibrage entre les aides bilatérales et multilatérales, pas plus que d'un rééquilibrage entre les dons et les prêts, malgré les engagements pris par le Président de la République.

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Philippe Jahshan, président de Coordination solidarité urgence développement, Coordination SUD

Pour compléter l'intervention précédente, je voudrais réinscrire ce débat dans le contexte mondial dans lequel nous évoluons depuis une trentaine d'années, et celui dans lequel nous vivons depuis 2015, année marquante en la matière. Je reviendrai ensuite au PLF et aux attentes des ONG françaises.

Depuis trente ans, le monde a connu une croissance massive des inégalités de tous ordres. Des tensions se développent au Sahel et ailleurs, y compris en Asie où la croissance économique s'est traduite par une réduction de la pauvreté dans certains pays mais aussi par une hausse massive des inégalités. Les ressources naturelles subissent une pression croissante, la gouvernance mondiale est brouillée – l'ancien ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, parle d'une gouvernance « zéro-polaire ». Nous assistons aussi à une montée des extrémismes avec les conséquences que l'on connaît, à une relance des politiques de réarmement dans de nombreux endroits de la planète, etc. Le réchauffement climatique représente un autre enjeu majeur, et son accélération – 2014, 2015 et 2016 ont été successivement les trois années les plus chaudes jamais enregistrées sur notre planète – démultiplie les périls. Les conséquences du phénomène peuvent aggraver les fractures et déséquilibres mondiaux actuels.

Ce contexte appelle à une remobilisation forte autour de la politique de développement et de solidarité internationale, qui doit devenir une priorité, l'une des clefs de la stabilisation du monde. Les enjeux mondiaux de sécurité et de paix interrogent notamment les citoyens français. Étant l'un des moyens de réduire les déséquilibres et de stabiliser le monde, la politique de développement et de solidarité internationale devra mobiliser des moyens largement supérieurs à ceux dont elle dispose à présent.

À cet égard, nous vivons dans un certain paradoxe. Un consensus s'est réalisé en France autour des enjeux de sécurité, de défense et de stabilisation, notamment dans la région sahélienne, mais il ne s'accompagne pas d'un effort budgétaire en matière d'APD. Au contraire, depuis 2010 et de façon continue, la mission APD a été l'une des plus sacrifiée du budget : les baisses cumulées ont atteint 700 millions d'euros ; même en tenant compte des taxes solidaires complémentaires, la baisse reste de plus de 100 millions d'euros, ce qui représente deux fois l'aide publique de la France au Tchad, par exemple.

En 2015, la France n'a plus consacré que 0,37 % de sa richesse à l'APD, c'est la moitié de ce à quoi nous nous étions engagés en 2007. Entre-temps, les Britanniques ont atteint l'engagement d'y consacrer 0,7% de leur RNB et, au Royaume-Uni, un consensus s'est dégagé sur l'importance de la politique de développement, vue comme l'une des clefs de la politique étrangère du pays.

Nous saluons la décision du Gouvernement d'augmenter de 5 % la part du budget allouée à l'APD en 2017, après des années de baisse. Même en 2016, l'effort budgétaire s'était réduit de 10 %, la stabilisation n'étant acquise que grâce aux taxes solidaires, notamment la taxe sur les transactions financières (TTF). Cependant, la hausse est très insuffisante puisqu'elle ne compense qu'à moitié la baisse de 2016, sans parler des réductions successives enregistrées depuis 2010.

Or les crises s'intensifient. Les besoins, notamment en dons, sont très importants. La question de l'équilibre entre les prêts et les dons est fondamentale. Mis à part son volume, l'aide française souffre d'un manque de souplesse parce qu'elle est constituée essentiellement de prêts. Comme Serge Michailof l'a très bien dit, l'efficacité de l'AFD et les possibilités d'emprunt sur les marchés internationaux permettent d'augmenter le volume sans effort budgétaire, ce qui engendre un effet pernicieux. Nous considérons que l'effort budgétaire, notamment sous forme de subventions, est indispensable. Il l'est encore davantage dans le contexte de crise que nous connaissons : à long terme, on ne réduira pas l'instabilité, notamment dans la bande sahélienne, par des prêts. Il ne s'agit pas de condamner les prêts qui répondent à certains besoins, mais il est clair que nombre d'actions ne peuvent être entreprises que grâce aux dons : la lutte contre la pauvreté ; la réduction des inégalités ; la structuration et le renforcement de la gouvernance démocratique et de la capacité publique à lever l'impôt ; la consolidation des sociétés civiles. Or ce sont là de vrais enjeux dans les pays en développement et surtout dans les pays fragiles.

L'instrument en cours de création à l'AFD, cette facilité destinée à lutter contre les vulnérabilités et à répondre aux crises, permettra de gagner en souplesse. Dans certains territoires, on ne peut plus engager des stratégies, des politiques ou des prêts sur trente ans. Les instabilités s'accroissent et il faut pouvoir gérer à la fois des situations d'urgence et de développement, de court terme et de long terme. Cela suppose une agilité instrumentale mais aussi un renforcement des dons.

Qu'en est-il de la TTF ? Lors du vote du PLF pour 2016, les députés, toutes tendances confondues, s'étaient massivement mobilisés en faveur de cette taxe. J'aimerais y revenir car nous attendons de votre part une nouvelle mobilisation. En 2016, vous aviez notamment soutenu un amendement visant à élargir la taxe aux opérations financières intrajournalières, celles qui sont les plus spéculatives, ce qui permettait de dégager entre 2 milliards et 4 milliards d'euros supplémentaires. À titre d'exemple, les besoins humanitaires non couverts par l'aide internationale sont évalués à plus de 15 milliards d'euros. L'an dernier, l'élargissement de cette taxe avait fait l'objet d'un large consensus, y compris avec le ministre des finances, mais le Conseil constitutionnel avait censuré l'article pour des motifs strictement formels, notamment en raison d'une mise en application trop tardive pour influencer le budget de 2016. Rien ne vous empêche d'y revenir, en prenant les précautions formelles nécessaires. L'élargissement de cette taxe permettrait de lever des financements qui doivent être additionnels.

À notre avis, la priorité reste cependant l'effort budgétaire, qui doit être soutenu et renforcé afin de permettre un rééquilibrage de l'aide en faveur des dons. C'est sur ce point que nous nous battons. Il est temps que la France rééquilibre son aide en faveur des dons, accroisse les moyens qui lui permettent de conduire des actions bilatérales, en reconnaissant aussi les apports de la société civile française. L'aide britannique et allemande est constituée majoritairement de dons. Il n'y a pas de raisons qu'en France ce déséquilibre persiste et entraîne mécaniquement notre aide vers des pays à revenu intermédiaire, qui sont capables d'absorber les prêts. Ce mécanisme nous détourne de certaines problématiques fondamentales et des pays dont les besoins sont urgents. C'est pourquoi nous militons en priorité pour l'effort budgétaire. Pour autant, une taxe additionnelle constituerait un complément intéressant pour répondre à des enjeux globaux tels que le réchauffement climatique. Dans ce domaine, nous plaidons pour une plus grande transparence du Fonds social de développement (FSD) afin de nous assurer que le produit de la taxe ne serve pas à compenser une réduction de l'effort budgétaire.

Qu'attendent les ONG françaises ? En premier lieu, nous attendons déjà que se concrétise l'engagement du Président de la République sur le doublement de la part de l'APD qui transite par les ONG. Au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France arrive en dernière position en matière d'appui à ses ONG. En 2012, seulement 1 % de l'APD française transitait par les ONG, alors que la moyenne des pays de l'OCDE se situe à 13 %. En doublant le taux, c'est-à-dire en le portant à 2 %, la France resterait encore très loin des pays comparables en matière d'aide internationale.

Pourquoi plaidons-nous pour une augmentation de la part de l'APD transitant par les ONG ? Nous pensons que la société civile française mobilise une très large et riche expertise dans tous les domaines. Dans le champ humanitaire, les ONG françaises sont reconnues pour être celles « du dernier kilomètre », celles qui vont là où plus personne ne va. La société civile joue aussi un rôle clef dans la mobilisation des citoyens en faveur de la solidarité internationale, à un moment où celle-ci est plus que jamais fondamentale. En outre, les ONG promeuvent une certaine image de la France. Les French doctors contribuent fortement au rayonnement de la France, davantage en tout cas que d'autres exportations – les ventes d'armes, par exemple. Or, probablement en raison de sa culture jacobine et de son goût pour la centralisation, notre pays fait peu de place à la société civile. Dans le domaine de la coopération, la société civile peut pourtant contribuer à démultiplier l'aide française sur le terrain.

Dans le PLF pour 2017, nous voulons donc voir le doublement de la part de l'APD transitant par les ONG et même le signe d'une volonté d'aller au-delà. Le quinquennat suivant devra en effet être celui durant lequel deux objectifs seront enfin atteints : 0,7 % du RNB consacré à l'APD ; la reconnaissance pleine et entière de la place des ONG françaises. Il n'y a pas de raison que la France ne se situe pas dans la moyenne des pays de l'OCDE en la matière, et qu'elle persiste à mettre sa société civile en situation de faiblesse.

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Dans ces documents, dont je déplore aussi l'absence de lisibilité, on trouve tout de même une amorce de rééquilibrage. Mais nous allons faire bon usage de vos propositions au cours du débat budgétaire, soyez-en persuadés.

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Nous discutons de ces sujets depuis plusieurs années. Nous prenons acte de vos remarques sur la lisibilité des documents et nous partageons largement votre point de vue, mais cette complexité traduit aussi la difficulté des montages financiers en matière d'APD.

Dès 2015, après plusieurs années de baisse de l'effort budgétaire, nous avons pris des positions qui rejoignent vos préoccupations concernant en particulier le rééquilibrage de l'aide en faveur des dons et la place des ONG. Nous avons aussi considéré qu'une partie des ressources produites par les prêts accordés à des pays solvables pouvait être consacrée à des financements innovants. Qu'en pensez-vous ?

La loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale aborde d'ailleurs toutes les problématiques que vous avez évoquées. On y retrouve toutes vos remarques, même si ce n'est pas de façon suffisamment lisible. Ce texte a aussi le mérite de tracer des perspectives puisqu'il dessine une trajectoire allant jusqu'à 2022.

En 2016, on constate une amorce de progrès dans le financement de l'APD puisque l'effort budgétaire augmente de 5 %. J'espère que nous pourrons aller au-delà au cours des débats dans l'hémicycle. Plusieurs amendements, qui rejoignent vos préoccupations, ont été déposés. L'un de ces amendements a été adopté par la Commission des finances. À cet égard, j'avais une question concernant le FSD. Celui-ci ne doit pas être intégré dans le budget général, dites-vous. Pourriez-vous nous préciser votre position ?

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Je tenais à remercier nos invités qui nous ont offert deux visions très intéressantes, et même marquantes à certains égards, de notre sujet. Monsieur Michailof, j'ai lu Africanistan et je vous remercie pour votre liberté de ton. Nous constatons un regain d'intérêt pour l'APD, à un moment où des milliers de migrants arrivent, alors que ces problèmes devraient être traités en amont. Quant à vous, monsieur Jahshan, vous nous avez parlé de besoins supplémentaires.

L'APD doit atteindre 0,7 % du RNB. Pour ma part, je m'interroge sur la signification de ce taux. Pourquoi 0,7 % et pas 1 % ou 0,5 % ? Tout dépend du contexte et l'idée est même de faire en sorte que l'on n'ait un jour plus besoin d'aide au développement.

Je m'interroge aussi sur la cohérence de l'APD et sur le rôle de certaines ONG.

Si certaines ONG sont très utiles – je pense aux organisations de type « french doctors », dont l'action est unanimement reconnue –, d'autres le sont beaucoup moins et portent de ce fait atteinte à l'aide publique au développement. Par quel moyen pouvons-nous faire la part des choses afin de donner plus de cohérence au dispositif de l'APD ?

Par ailleurs, si nos dons permettent de faire travailler nos amis chinois, nous devons nous garder d'être trop naïfs en la matière et, de ce point de vue, vos interventions étaient très intéressantes en ce qu'elles permettaient de confronter l'aspect théorique des choses et la réalité.

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Chacun de nous se réjouit de la progression des crédits de la mission de l'aide publique au développement dans le budget pour 2017, et espère que ce rebond constitue l'amorce d'une trajectoire ascendante. En matière de taxe sur les transactions financières, on bute sur une logique de plafonnement de ce qui est reversé au FSD. Une démarche entreprise au cours des années précédentes, et que nous relançons cette année, constitue à reflécher une partie de la TTF vers l'AFD : quelle est votre position sur ce point, et à quelles conditions pensez-vous que nous devrions voter cet abondement de l'AFD ?

J'aimerais également connaître votre avis sur l'usage des ressources dégagées par l'AFD dans ses prêts à destination de pays solvables. Augmenter les objectifs d'intervention de l'AFD de 4 milliards d'euros, ce qui implique un renforcement des fonds propres, s'inscrit dans une logique d'accroissement de l'AFD dont on peut se demander si elle sert vraiment l'objectif de soutien aux pays prioritaires.

Pour ce qui est des financements innovants, on évoque actuellement la TTF, mais certains rapports avaient précédemment évoqué la possibilité d'associer fonds publics et fonds privés et de privilégier des investissements avec retour à long terme. Au-delà des nouvelles taxes sur les transactions financières, notamment sur l'intraday, d'autres modalités d'intervention financière peuvent-elles être envisagées et soutenues ?

Enfin, un soutien renforcé à l'émergence d'entreprises dans les pays pauvres pourrait-il constituer un levier méritant d'être plus massivement actionné qu'il ne l'est actuellement ?

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Vous indiquez dans votre brochure qu'il est temps d'en finir avec les discours liant l'aide au développement à d'autres politiques, notamment en matière de migration, de sécurité et de diplomatie. Or, il ne s'agit pas de lier le développement à ces politiques, mais de donner de la cohérence à l'ensemble. Ainsi le Conseil des ministres européen a-t-il décidé avant-hier d'augmenter considérablement l'aide à la Tunisie, afin que ce pays garde le cap en matière de stabilité et de démocratie. Cela implique que nous mobilisions toutes nos forces dans des pays comme l'Égypte, la Tunisie et, demain, la Libye : c'est une question de sécurité pour ces pays comme pour nous-mêmes. Il me paraît très important de faire en sorte que notre action soit plus cohérente si nous voulons qu'elle devienne massive. Sur le terrain, cette action manque souvent de cohérence, ce qui fait qu'elle peine à être visible et efficace en matière de transformation sociale des pays que nous aidons.

Par ailleurs, les nouveaux objectifs du millénaire offrent la possibilité d'établir des liens entre droits et développement. En tant que présidente du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes aux Nations unies, j'ai eu l'occasion de constater que personne ne se soucie véritablement de cette question sur le terrain, en dehors des organismes spécialisés. Or, on ne fera pas avancer les pays si on ne fait pas avancer les droits. Comment intégrez-vous cette problématique dans votre stratégie ?

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J'approuve l'essentiel de ce qui a été dit, et je défendrai des amendements destinés à augmenter l'aide publique au développement car, pour reprendre une formule utilisée par un ancien Président de la République, j'ai le sentiment que le Sahel brûle et que nous regardons ailleurs. Une prise de conscience doit absolument se faire sur ce point, budget après budget, et l'on ne peut qu'espérer que la question des réfugiés conduise à ce que l'Occident modifie le regard qu'il porte sur les pays faisant l'objet de l'aide au développement.

Je ne pense pas qu'il faille opposer les dons aux prêts. Si les prêts et les avances remboursables peuvent constituer un moyen efficace pour permettre aux pays qui en ont besoin d'investir dans la construction de services publics et de grandes infrastructures – de ce point de vue, la seule limite est constituée par les rendements financiers que l'on attend de ces investissements –, les dons sont tout à fait indispensables lorsqu'il s'agit d'investir dans des éléments qui n'apporteront pas de retour financier, ayant vocation à être des services gratuits : je pense à l'éducation, à la construction d'une administration digne de ce nom, ou encore à la santé.

En ce qui concerne les dons, vous avez évoqué un manque de moyens de financement de 15 milliards d'euros par rapport aux projets. J'aimerais savoir si nous disposons d'une évaluation précise des moyens qui seraient nécessaires pour permettre un développement rapide et une stabilisation dans ce domaine, et s'il a été procédé à une mise en relation entre les financements existant aux niveaux mondial, européen et national. Enfin, pouvez-vous nous préciser quel est le positionnement de la France par rapport à d'autres pays européens – notamment l'Allemagne et le Royaume-Uni – en matière d'aide bilatérale au Sahel ?

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Je remercie Serge Michailof d'avoir évoqué le fait que les rapports parlementaires réclament constamment un rééquilibrage entre le bilatéral et le multilatéral. Il me semble qu'à un moment donné, il va falloir donner un bon coup de balai dans la technostructure qui impose des choix contraires à la volonté du Parlement.

Vous avez tous deux souligné les contraintes imposées par la pénurie budgétaire, mais il me semble que nous devons savoir sortir du logiciel mortifère auquel s'accrochent des Diafoirus bruxellois : en effet, la purge budgétaire qui nous est imposée sur des critères obsolètes et antiéconomiques nous conduit droit dans le mur ! Certes, le Royaume-Uni a accompli un effort monumental, mais n'oublions pas que, contrairement à nous, il est maître de sa monnaie et peut compter sur une banque centrale qui sait aider l'économie quand c'est nécessaire – ce qui n'est pas le cas de la Banque centrale européenne.

En matière de collectivités territoriales, le manque de coordination est criant. Il existe ainsi une foule de satrapes locaux, qui se font ainsi plaisir en multipliant les déplacements aux quatre coins du monde. Je me souviens d'avoir reçu de la part de M. Huchon, alors président de la région Île-de-France, un livre consacré à l'action internationale, dont la réalisation avait dû coûter des dizaines de milliers d'euros qui auraient pu être utilisés autrement. Quand allons-nous nous décider à coordonner l'action des collectivités territoriales dans des programmes détaillés mission par mission ? La situation actuelle n'est plus tenable, et irrite beaucoup nos concitoyens.

Enfin, quand allons-nous prendre conscience du problème que pose l'explosion démographique dans les pays pauvres, notamment en Afrique ? Si nous ne consacrons pas des moyens suffisants pour assurer une maîtrise démographique dans ces pays, nous serons très vite confrontés à des flux migratoires de plus en plus violents, ce qui nous conduira au bord de la guerre. En résumé, nous devons changer au plus vite de logiciel économique et politique.

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Il faut reconnaître à Jacques Myard le mérite de faire preuve d'une belle constance dans ses diatribes antibruxelloises …

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Dans la vérité, madame la présidente !

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… dans lesquelles il se lance d'autant plus volontiers lors de nos auditions ouvertes à la presse. Cela dit, chacun a le droit de s'exprimer en fonction de sa sensibilité, et notre collègue ne s'en tient heureusement pas à ce genre de propos : il lui arrive également de nous gratifier d'interventions très intéressantes sur des sujets extrêmement pointus.

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Je ne désespère pas de vous convaincre un jour !

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Alors que nous nous apprêtons à examiner le projet de budget de cette fin de mandature, les chiffres parlent d'eux-mêmes : la petite augmentation de l'AFD de cette année ne saurait faire oublier la dégringolade constatée dans ce domaine depuis 2012, en particulier en ce qui concerne le programme 209, qui prévoit des crédits destinés aux pays francophones en voie de développement – que nous devons absolument continuer à aider si nous voulons conserver une certaine influence en Afrique.

Comme M. Michailof, j'ai essayé de m'y retrouver dans les chiffres afin de déterminer où nous en sommes réellement en matière de dons, et j'arrive moi aussi à une fourchette comprise entre 130 et 170 millions d'euros, sans plus de précision. Peut-être pouvez-vous nous éclairer sur ce point mais en tout état de cause, même en nous basant sur l'estimation la plus élevée, d'un montant de 170 millions d'euros pour l'ensemble des pays en voie de développement, force est de constater que nous avons complètement décroché et que nous ne faisons quasiment plus rien dans une zone essentiellement francophone, où nous avons laissé le Royaume-Uni, l'Allemagne et bien d'autres prendre la place que nous occupions en termes d'influence. Sans aller jusqu'à reprendre les propos de M. Myard, je considère que nous devons nous interroger sur la possibilité de trouver des financements de nature à nous permettre de faire à nouveau exister la France sur le continent africain – car en l'état actuel, notre action est très insuffisante, pour ne pas dire quasi nulle, par rapport aux enjeux.

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Il est effectivement très difficile de s'y retrouver dans les chiffres, en particulier ceux qui ne figurent pas dans le projet de loi de finances pour 2017 – je pense notamment à la taxe sur les transactions financières, qui est directement affectée au Fonds de solidarité pour le développement, sur lequel les parlementaires n'exercent malheureusement aucun contrôle budgétaire. On entend parfois dire que la France va donner 4 milliards d'euros supplémentaires à l'AFD, mais que cette somme comprend les crédits qui n'ont pas été décaissés précédemment, la Cour des comptes considérant que s'ils n'ont pas été décaissés, c'est qu'il n'y en avait pas besoin – or, l'aide au développement nécessite de pouvoir disposer constamment d'une réserve de fonds pour être en mesure de faire face aux situations d'urgence.

Le même problème se pose pour le Fonds mondial, qui fait l'objet d'une prétendue stabilisation alors que celle-ci tient compte des sommes n'ayant pas été décaissées – ce qui fait qu'en réalité, l'abondement du Fonds est en diminution. Pouvez-vous nous expliquer comment il est possible de s'y retrouver parmi les lignes budgétaires, et comment faire en sorte que les crédits que nous avons votés ne soient pas récupérés pour faire croire à une stabilisation qui n'en est pas une ?

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Je voudrais demander à M. Michailof de développer un peu ce qu'il a dit au sujet de la création d'un fonds fiduciaire destiné au Sahel. Pourrait-il en particulier nous préciser comment il conçoit l'alimentation et l'affectation de ce fonds ?

Par ailleurs, je souhaite que M. Michailof et M. Jahshan nous fassent part de leur appréciation au sujet de la participation de la France au Fonds mondial de lutte contre le sida, de son évaluation et de sa pertinence ?

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Chers collègues, je vous remercie pour vos questions intéressantes et pertinentes. Après avoir également remercié M. Michailof et M. Jahshan pour leurs interventions, je vais devoir prendre congé de vous, ce dont je vous remercie de bien vouloir m'excuser.

Présidence de Mme Chantal Guittet.

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Serge Michailof, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques, IRIS

Je connais la situation budgétaire globale de la France et ne voudrais pas être taxé de naïveté en demandant que l'on trouve, du jour au lendemain, un milliard d'euros de dons pour l'aide publique au développement. Cela dit, chacun doit comprendre que c'est l'aide bilatérale qui permet de mobiliser l'aide multilatérale de façon intelligente, de manière à répondre à nos propres critères, nos propres besoins et objectifs. En ce domaine, faute d'aide bilatérale sous forme de dons, nous ne disposons d'aucun moyen d'influence sur les grands multilatéraux, à qui nous confions tout de même quelque 1,4 milliard d'euros chaque année.

C'est ce qui a motivé ma proposition de créer un fonds fiduciaire pour le Sahel, reposant sur l'idée de placer chaque année 20 % de nos subventions sur ce fonds, et d'exercer les pressions politiques nécessaires sur les multilatéraux afin qu'ils y placent également une partie de leurs ressources. Pour cela, il ne suffira pas que le directeur de l'AFD fasse un déplacement à Washington et à Bruxelles : une intervention politique déterminée, voire un peu brutale, sera nécessaire. Au demeurant, cela n'a rien d'inhabituel : c'est ce que les autres pays ont coutume de faire à l'égard des grandes institutions, et que nous ne faisons jamais.

Partant du principe que nous sommes condamnés à avoir 200 à 250 millions d'euros en subventions, et des crédits, d'un montant impossible à préciser mais qui doit être de l'ordre de 150 millions d'euros, destinés aux seize pays prioritaires et préaffectés – car chaque ambassadeur exige sa part –, j'estime que nous devons trouver 200 millions d'euros supplémentaires et les placer dans une facilité afin d'être en mesure de récupérer environ un milliard d'euros au terme de négociations un peu musclées avec la Banque mondiale, la Banque africaine et l'Union européenne. Quand on dispose d'un milliard d'euros pour travailler au développement du Sahel, cela n'a plus rien à voir avec ce que l'on peut faire avec 50 ou 100 millions d'euros – à condition, évidemment, de bénéficier d'un soutien politique fort. Les 100 ou 200 millions d'euros de départ doivent servir de mise de départ pour tordre un peu le bras aux multilatéraux, auprès de qui nous avons des arguments imparables à faire valoir : il n'est pas injustifié de leur demander de placer sur le fonds fiduciaire une fraction des sommes que nous confions nous-mêmes chaque année à l'Union européenne – et, en cas de réticence, de les menacer de réduire notre participation. Nous sommes un peu coincés par les accords pluriannuels qui nous lient aux multilatéraux, que nous ne pouvons modifier du jour au lendemain, et nous disposons de peu de ressources sous forme de subventions. Dans ces conditions, la seule solution dont nous disposions consiste à faire le ménage dans ce capharnaüm qu'est notre aide publique au développement, afin de trouver les 200 millions d'euros qui nous permettront de faire levier pour obtenir bien davantage.

Notre contribution globale au Fonds mondial de lutte contre le sida s'élève à environ 500 millions d'euros, ce qui n'a aucun sens. Si nous voulons vraiment lutter contre le sida, ce n'est pas ainsi que nous obtiendrons des résultats, mais en renforçant les capacités médicales et l'infrastructure médicale classique des différents pays concernés. Il est tout à fait possible de prélever 200, voire 300 millions d'euros sur les 500 millions d'euros composant notre participation actuelle, afin de les affecter à la facilité que j'ai évoquée. En réexaminant les décisions que nous avons prises pour répondre à des situations d'urgence par le passé, nous pouvons facilement trouver 200 millions d'euros, qui serviront à lever une ressource multilatérale bien plus importante.

La loi de finances se gargarise de ce qui est présenté comme un financement efficace de l'aide au développement par le biais multilatéral, considérant que la moitié des fonds vont à l'Afrique… peut-être, mais à quoi sert-il d'envoyer des fonds dans certains pays pour financer des projets inutiles ? Comme l'a montré une étude réalisée par Joseph Brunet-Jailly, professeur à Sciences Po, sur les 3,4 milliards d'euros promis au Mali par la communauté internationale en septembre ou octobre 2015, seuls 3,7 % sont allés au développement rural – un secteur d'activité qui occupe pourtant 80 % de la population ! Ce n'est donc pas forcément le montant des aides qui est déterminant, mais leur affectation et leur utilisation. Or, dans ce domaine, la France est la seule à posséder encore une expertise, les grands bailleurs de fonds ayant démantelé leur division sectorielle « développement rural » depuis des années, au motif que ce secteur ne faisait pas partie des objectifs du développement.

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Philippe Jahshan, président de Coordination solidarité urgence développement, Coordination SUD

Nous ne méconnaissons pas les contraintes budgétaires actuelles, mais nous considérons que le budget de l'aide au développement, qui ne représente que 0,37 % du revenu national brut, doit être considéré comme un budget prioritaire, au même titre que le budget de la défense ou celui de l'éducation. Au cours des dernières années, la mission de l'aide au développement a été l'une des plus sacrifiées au sein du budget de la France, ce qui nous semble incompréhensible dans le contexte actuel. Investir dans la solidarité internationale, c'est investir dans la stabilité et cela coûte bien moins cher que de devoir intervenir a posteriori pour régler les crises et les conflits.

Nous sommes partisans de renforcer la transparence et la lisibilité du FSD, notamment en le publiant en marge du PLF, dans les bleus budgétaires, et en permettant au Parlement de le suivre et de le contrôler. Le fait de le maintenir en dehors du budget obéit à une autre exigence, consistant à préserver son caractère additionnel.

La somme de 15 milliards d'euros que j'ai évoquée correspond à celle dont aurait besoin l'ensemble des urgences humanitaires cumulées – le budget total ayant vocation à répondre notamment aux exigences de l'agenda du développement durable est, lui, bien plus élevé. De ce point de vue, l'APD n'est qu'un instrument parmi d'autres. La TTF constitue un financement complémentaire, et des mesures consistant à faire passer son taux à 0,5 %, comme les Britanniques l'ont fait, ou à élargir son assiette aux transactions intraday, sont de nature à procurer des montants de financement plus importants.

Cela dit, comme l'accord d'Addis-Abeba sur le financement du développement l'a montré, il ne faut pas oublier les ressources fiscales locales, c'est pourquoi nous sommes favorables au renforcement des gouvernances et des capacités des administrations des pays en développement. Aujourd'hui, les taux d'imposition constatés dans certains des pays les moins avancés sont extrêmement faibles : il existe donc des marges en la matière. Nous préconisons que l'argent public servant à l'aide publique au développement soit investi pour lever de l'argent public dans les pays partenaires. On parle souvent de l'effet levier public-privé, mais commençons déjà par maximiser l'effet levier public-public, afin de permettre aux administrations des pays partenaires de la France d'accroître leurs ressources nationales et locales – ce processus devant évidemment s'accompagner d'un plan de lutte contre les fuites fiscales et toutes formes d'évasion qui, selon la Commission européenne, représenteraient chaque année l'équivalent de l'APD mondiale pour le continent africain.

Pour ce qui est de la conditionnalité, je suis d'accord sur la nécessité de mettre davantage en cohérence l'ensemble des politiques publiques. De ce point de vue, ce que fait la France – ou l'Union européenne – dans le cadre de sa politique commerciale, notamment avec les pays d'Afrique, n'est pas toujours cohérent avec les enjeux du développement. De ce fait, on se retrouve souvent avec, d'un côté, une aide publique de bon niveau – l'Union européenne est la première en la matière – et, de l'autre, des traités commerciaux avec le continent américain qui peuvent avoir un impact extrêmement néfaste au développement. Ce que nous disons à ce sujet, c'est que l'aide publique doit être essentiellement consacrée au développement des pays partenaires et à la lutte contre la pauvreté, les inégalités et les fractures, à l'exclusion d'autres enjeux faisant l'objet d'autres politiques publiques.

Nous pensons que le secteur privé marchand aura vocation à jouer un rôle fondamental dans l'atteinte des objectifs de l'agenda du développement durable, et qu'il aura un impact déterminant dans les domaines social, environnemental et fiscal. Plutôt que de travailler sur une logique d'aide liée qui ne dit pas son nom – sous la forme de ce que l'on appelle la diplomatie économique, par exemple –, la France a intérêt à établir un partenariat fort avec le secteur privé, à condition que celui-ci s'engage dans de vraies logiques de responsabilité sociétale et fiscale des entreprises, afin de se trouver placée en tête de pont des enjeux du développement durable et d'être en mesure de proposer une offre alternative par rapport à d'autres acteurs. Certains acteurs du secteur privé sont prêts à s'engager sur cette voie, et nous pensons que la politique française doit renforcer cette tendance et tirer vers le haut l'ensemble du secteur afin de faire de celui-ci un secteur pleinement responsable et partenaire du développement durable.

La question de l'abondement de l'AFD a été évoquée. Nous estimons que celui-ci doit aller à la facilité crise et postcrise, aux pays les moins avancés et aux ONG. En ce qui concerne ces dernières, sans aller jusqu'à dire que leur fonctionnement est irréprochable, il faut reconnaître qu'elles constituent, au sein du champ de la coopération, l'un des secteurs les plus évalués et contrôlés – pas toujours à l'initiative des bailleurs finançant les ONG, mais aussi très souvent à l'initiative des ONG elles-mêmes, parfaitement conscientes de leurs responsabilités. Il y a plus de vingt ans, nous avons créé de notre propre initiative, en partenariat avec le ministère des affaires étrangères, un instrument d'évaluation de la qualité de notre action, qui constitue pour nous une préoccupation constante. En ce qui concerne la coopération et le partenariat avec les pouvoirs publics, nous regrettons que le champ du dialogue et du partenariat soit insuffisant, et estimons qu'il serait possible d'aller plus loin en matière d'articulation et de complémentarité avec l'action publique de la France dans le domaine de l'aide au développement.

Nous rappelons en permanence notre attachement aux droits. La loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale affirme à juste titre, en son article 1, que la politique de développement et de solidarité internationale « respecte et défend les libertés fondamentales », « contribue à promouvoir les valeurs de la démocratie et de l'État de droit, l'égalité entre les femmes et les hommes » et « contribue à lutter contre les discriminations », notamment en matière de d'égalité de genre. En la matière, nous proposons d'aller beaucoup plus loin que ce que fait actuellement l'AFD, qui regarde la question des droits sous l'angle de l'incidence des projets – en quoi tel ou tel projet sert ou dessert les questions de genre, par exemple –, alors que le sujet devrait être envisagé de façon systémique, et considéré comme un enjeu fondamental de la coopération.

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Effectivement, la dynamique des droits devrait être envisagée comme un facteur de transformation sociale.

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Philippe Jahshan, président de Coordination solidarité urgence développement, Coordination SUD

Absolument. La loi donne des orientations tout à fait claires en la matière, et nous sommes tout à fait favorables à agir en ce sens. Un comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) va se tenir très prochainement, et nous avons fait en sorte que ce sujet y occupe toute la place qui lui revient : il doit apparaître clairement que la France engage une nouvelle phase de sa stratégie « genre et développement », dans l'objectif d'aller beaucoup plus loin en la matière.

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Au nom de notre Commission, je vous remercie tous deux pour vos explications claires et instructives.

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Nous commençons ce matin l'examen des avis budgétaires de notre commission et je vais bientôt laisser la parole à notre collègue M. Guy-Michel Chauveau pour nous présenter son avis sur l'article 27 du projet de loi de finances pour 2017, relatif au prélèvement européen.

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Madame la présidente, mes chers collègues, la négociation sur la proposition de budget de l'Union européenne pour 2017 est engagée. D'ores et déjà inscrite dans un cadre pluriannuel serré.

Confrontée à des défis sans précédents, l'Union européenne doit s'affirmer comme un espace de croissance, un lieu d'accueil et un continent sûr. Ce triptyque constitue les trois axes majeurs du projet de budget pour 2017.

Le projet de budget pour 2017 tel que proposé par la Commission et en prenant en compte les instruments spéciaux s'élève à 157,66 milliards d'euros en crédits d'engagement et à 134,89 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de + 1,7 % en crédits d'engagement par rapport au budget 2016 voté et une baisse de - 6,2 % en crédits de paiement. Les crédits d'engagements hors instruments spéciaux, s'élèvent à 154,82 milliards, la marge sous plafond s'établit donc à 815 millions d'euros. La Commission propose de fixer les instruments spéciaux, y compris l'instrument de flexibilité, à hauteur de 1,6 milliards.

La proposition du Conseil est, comme d'habitude, en retrait par rapport à la Commission. Afin de faire face à des imprévus en gestion et pour garantir la soutenabilité du cadre financier pluriannue, le Conseil a décidé de réduire les montants proposés de - 1 280 millions d'euros pour les crédits d'engagement et de - 1 109 millions d'euros pour les crédits de paiement. Les instruments spéciaux sont abaissés par rapport au projet de budget de la Commission de - 513 millions d'euros en crédits d'engagement et de - 1 211 millions d'euros en crédits de paiement.

Le compromis final sera déterminé entre les deux branches de l'autorité budgétaire lors de la période de conciliation du 28 octobre au 17 novembre 2016.

Ce budget doit venir financer les trois priorités que l'Union européenne s'est donnée pour 2017: la compétitivité et la croissance, la sécurité et la crise migratoire.

Premièrement, l'investissement en faveur de la croissance. Dans le projet de budget pour 2017 présenté par la Commission européenne, les crédits d'engagement s'élèvent à 21,1 milliards d'euros, soit une hausse de +2,1 milliards d'euros par rapport à 2016. Certes, avec 11% de hausse, c'est le poste de dépense le plus dynamique. Mais en valeur absolue, ce n'est pas le premier. Par ailleurs, si dépenses du Fond européen pour les investissements stratégiques s'élèveront à 2,66 milliards d'euros, on peut s'interroger sur l'effet de levier attendu, près de 1 à 15, qui semble peu réaliste. Je regrette enfin vivement que les crédits pour l'Initiative pour l'emploi des jeunes stagnent en 2017.

Les autres priorités sont la crise migratoire et la sécurité. Dans un contexte durablement marqué par la crise migratoire, le projet de budget présenté par la Commission pour la rubrique « Sécurité et citoyenneté » est en hausse sensible par rapport à 2016 (+ 5,4 % en crédits d'engagement et + 25,1 % en crédits de paiement). Ces hausses doivent couvrir les décisions relatives à la gestion de la crise migratoire, ainsi que les mesures de sécurité intérieure liée à la lutte contre le terrorisme. On note ainsi une augmentation significative du Fonds de sécurité intérieure (+ 14 %). Mais si nous devons faire face à des dépenses imprévues, cela ne suffira pas. Le budget pour cette rubrique dépassait déjà largement la programmation financière en 2016. Il ne subsiste aucune marge au sein de cette rubrique et il sera nécessaire de mobiliser en 2017 à la fois l'instrument de flexibilité, à son maximum disponible, et la marge pour imprévus.

Autre point problématique, les crédits de la rubrique « Europe dans le monde » qui, avec 9,4 milliards d'euros en engagements, augmentent de seulement + 2,9 %. Or cette faible hausse doit permettre d'honorer les engagements pris à l'égard des pays voisins tels que la Turquie, la Jordanie et le Liban dans le cadre de la gestion de la crise migratoire. Elle doit aussi permettre la poursuite des opérations en cours, au Sahel, dans la corne de l'Afrique, en Libye, en République démocratique du Congo et en Ukraine. Le manque de mutualisation des dépenses de défense en Europe fait peser principalement sur la France le poids de la sécurité du continent et l'effort financier qui l'accompagne. C'est pourquoi il me semble que la question de la prise en charge par le budget européen des dépenses de défense semblant être bloqué, il faut sérieusement considérer (Monsieur le ministre) la proposition de création d'un Fond européen de défense commune.

Au delà des trois priorités fixées par le Conseil et la Commission, l'année 2017 sera une année décisive pour le budget de l'Union européenne, car c'est celle de la révision à mi-parcours du cadre pluriannuel.

La France doit y jouer un rôle de premier plan. D'abord parce que l'enjeu financier est énorme pour notre pays, grand bénéficiaire et parmi les premiers contributeurs du budget européen. La France participe toujours davantage à l'effort de solidarité européen, comme le montre la dégradation de son solde net qui approchait déjà les 8 milliards en 2015. Cette année cela se traduit par un impact budgétaire significatif pour la France, non moins de 19,08 milliards d'euros, soit plus de 6 % du total des dépenses de l'État hors charge de la dette et pensions.

Quelles sont les questions à poser à l'occasion de la révision du cadre pluriannuel ?

La première, les conséquences du Brexit, qui pourrait coûter cher et au Royaume-Uni et aux autres contributeurs nets comme l'Allemagne ou la France. De nombreux chiffres circulent sur le sujet : le Financial Times a évalué à 20 milliards d'euros le coût pour le Royaume-Uni. L'institut de recherche allemand IFO a calculé que l'Allemagne pourrait avoir à verser 2,5 milliards d'euros supplémentaires par an au budget européen. Il est difficile d'en évaluer les conséquences financières pour la France, car elles dépendront de multiples facteurs, tels que le montant de la participation britannique au paiement du reste à liquider et divers autres engagements. Il est évident que le facteur financier sera déterminant dans la négociation avec le Royaume-Uni. C'est pourquoi je souhaiterais que la représentation nationale soit pleinement informée sur cette question.

Il faut aussi réfléchir au rôle et aux priorités du budget européen. Si les États membres ont fait le choix de se soumettre à une discipline budgétaire rigoureuse, alors l'Union doit pouvoir financer des investissements nécessaires à l'amélioration de notre croissance potentielle, à la modernisation de nos infrastructures, à la formation des travailleurs. Nous devrions aussi avancer dans la mise en oeuvre d'un budget de la zone euro. S'il faut réduire la voilure du budget avec le Brexit quelles seront les dépenses sacrifiées ? La France ne renoncera pas aux crédits de la PAC, les nouveaux États ne renonceront pas aux dépenses de cohésion, il restera peu de marge de manoeuvre. Toutes ces questions ne seront pas tranchées tant que le mode de financement du budget européen restera inchangé.

J'en viens ainsi au dernier point qui est la réforme des ressources propres de l'Union européenne, réforme avortée en 2014, puisque la dernière décision adoptée par le Conseil n'a rien changé. Le budget européen ne peut pas continuer à être l'agrégation des contributions des différents États membres, car ressurgira chaque année le clivage entre les pays de la cohésion et les contributeurs nets expliquant qu'étant tenus par des contraintes budgétaires fortes ils souhaitent limiter leur contribution. Ainsi le budget de l'Union européenne est aujourd'hui un débat entre 28 experts comptables nationaux qui se disputent pour savoir qui paiera combien.

Dans le cadre des travaux sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 un groupe à haut niveau a été constitué, le 25 février 2014, sous la présidence de Mario Monti. Il doit rendre ses conclusions en décembre prochain. Il faut que la France, avec l'Allemagne, autre grand contributeur net au budget de l'Union, soient force de proposition.

Il serait utile de passer en revue l'ensemble des dépenses, et déterminer lesquelles ont vocation à être mutualisées au niveau européen, en insistant sur la notion de « valeur ajoutée » du budget européen.

Pour les dépenses mutualisées, l'Union doit se doter de véritables ressources propres, ce qui n'est pas incompatible avec le respect de la souveraineté fiscale des États membres. Pourriez-vous nous dire, Monsieur le ministre, où en est la réflexion de la France sur ce point, notamment la création d'une taxe sur les transactions financières européenne ? Autre point dont il faudra discuter, l'utilisation des instruments de flexibilité pour faire face aux urgences et aux dépenses imprévues. L'expérience de la crise migratoire a montré que ces instruments devaient être utilisés à plein.

Enfin, je crois qu'il faut poser les questions institutionnelles : le Parlement européen ne joue qu'un rôle consultatif pour les recettes, et la règle de l'unanimité s'applique aux décisions relatives aux ressources propres, il est donc peu probable que l'on trouve une solution à 28. C'est peut-être à l'échelle de la zone euro, qui devrait être dotée d'un budget propre, qu'il faut agir.

Sous réserve de ces remarques, la commission des affaires étrangères a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 27 du projet de loi de finances pour 2017. Je vous remercie.

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Merci pour ces nombreuses pistes de réflexion que nous aurons à examiner dans un avenir proche.

Suivant les conclusions du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 27 du projet de loi de finances pour 2017.

La séance est levée à onze heures vingt.