La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 15 novembre 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission, puis de M. William Dumas, doyen d'âge

La séance est ouverte à 16 h 30

I. Audition de la délégation française au Comité Économique et Social Européen

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Je suis heureuse d'accueillir la délégation française du Comité économique et social européen (CESE) et remercie Thierry Libaert d'avoir pris l'initiative de cette rencontre. C'est la seconde fois au cours de cette législature que nous entendons des membres du CESE, puisque, en octobre 2013, nous avons reçu son président d'alors, M. Henri Malosse.

Le Comité économique et social européen est pour nous un partenaire important puisqu'il permet aux membres de la société civile européenne de se rencontrer, de dialoguer, de faire de précieuses recommandations aux décideurs politiques communautaires. Ses travaux sont très utiles pour éclairer le processus décisionnel des parlementaires dans les États membres. La France se tient naturellement au courant de ce que vous faites.

Dans la diversité de sa composition – car c'est aussi la richesse du CESE –, les groupes des employeurs, des travailleurs et des activités diverses – ce dernier réunissant notamment associations et fondations – jouent un rôle essentiel pour rapprocher l'Europe des citoyens. Cela vaut particulièrement à un moment où plus de transparence est demandée, à tous les échelons, que ce soit au Parlement européen, à la Commission ou au Conseil – ce dernier étant le plus rétif à satisfaire à cette exigence –, au moment où le processus du Brexit est lancé, et alors que s'achève la présidence slovaque de l'Union et que vient de se tenir, à Bratislava, la conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) où des représentants du Parlement européen et des parlements nationaux ont évoqué ce qui devait nous unir ou nous réunir, plutôt que de laisser se détricoter l'Union européenne : comment faut-il refonder l'Europe ? quel sens lui donner ?

Installés à la périphérie de la vie politique, vous constituez un espace de réflexion qui échappe à son rythme trop immédiat et trop rapide. Vous ne pourrez que mieux nous éclairer, chacun de vos groupes devant nous présenter sa vision d'une Europe refondée. Réduire l'Europe à un grand marché, faire de la mondialisation libérale l'alpha et l'oméga de toute politique ne peut avoir que des effets délétères, tels le Brexit ou les divers mouvements que l'on observe dans d'autres grands pays.

Je propose que nous procédions en deux temps. Vous pourriez d'abord présenter les priorités de votre travail et dire quelles priorités sont les vôtres pour la relance de l'Union : faut-il renforcer la zone euro ? Faut-il tout faire à vingt-huit ? Vous pourriez ensuite aborder des sujets plus spécifiques, en fonction de vos travaux en cours. Vos interventions ne manqueront pas de nourrir nos réflexions ou de nous en suggérer d'autres. Vus de Paris, en effet, les sujets européens n'apparaissent pas toujours sous le même éclairage.

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Thierry Libaert, membre du Comité économique et social européen

Cette réunion est importante dans les circonstances actuelles. L'Europe traverse en effet l'une des crises les plus fortes de son histoire. La voix de la société civile européenne est remise en cause. Nous, conseillers du CESE, qui la représentons au niveau européen, avons le sentiment qu'elle ne porte plus aussi loin qu'auparavant.

Je vois deux causes à cette faiblesse. D'abord, le temps s'accélère, au point que la réactivité est devenue le maître-mot des processus de décision ; à cet égard, la société civile, qui privilégie la concertation, apparaît comme un ralentisseur. Ensuite, par une illusion d'optique de la post-modernité, les réseaux sociaux et les forums virtuels paraissent plus importants que de vrais face-à-face, où le dialogue peut aller jusqu'à la confrontation.

À cela s'ajoute le fait que, pour traiter les questions budgétaires, la Commission et le Parlement européens mettent en place leurs propres organes de concertation, où règne l'entre-soi et où la voix de la société civile est moins entendue. Il faut pourtant que nous échangions sur une autre vision de l'Europe et sur des sujets actuels : ainsi, vos travaux relatifs à la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et l'appel que vous lancez à cet égard à la Commission européenne nous semblent très importants.

Notre réunion d'aujourd'hui m'apparaît plus comme un moment de réflexion et d'échange que comme une séance de travail. Nous pouvons, en effet, aborder d'abord les grands enjeux européens, puis évoquer des sujets plus spécifiques.

Point de contact et membre du groupe III du CESE – groupe des activités diverses –, j'y représente les organisations non gouvernementales (ONG) environnementales, et plus particulièrement la fondation Nicolas Hulot.

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Arnold Puech d'Alissac, membre du Comité économique et social européen

Agriculteur en Normandie, je suis président, pour cette région, de la section de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), et je m'occupe des questions internationales au bureau de cette organisation. Amoureux de l'Europe, je n'en suis pas moins un détracteur de ses travers.

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Emmanuelle Butaud-Stubbs, membre du Comité économique et social européen

Déléguée générale de l'Union des industries textiles (UIT), syndicat professionnel membre du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), j'exerce mon deuxième mandat au sein du CESE. Appartenant au groupe I, soit le groupe des employeurs, je siège de manière active dans la section Relations extérieures du CESE. Je m'intéresse aux questions de politique commerciale. Ces deux dernières années, j'ai travaillé comme rapporteure au CESE sur PME et le partenariat de commerce et d'investissement transatlantique (ou Transatlantic Trade and Investment Partnership, ou TTIP). Je me suis penchée sur l'impact de ce partenariat sur les PME, au niveau européen. Je me suis également intéressée au développement des industries créatives, politique menée avec plus de constance peut-être par l'Union européenne que par la France, malgré les atouts de notre pays en ce domaine.

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Jacques Lemercier, membre du Comité économique et social européen

Appartenant au groupe II du CESE – celui des travailleurs –, j'y représente la CGT-Force ouvrière. À Bruxelles, je travaille sur les questions liées, d'une part, à la transition écologique et, d'autre part, à l'agriculture. Je me suis également passionné pour le numérique, qui constitue une chance pour l'Europe et ses citoyens. Je m'attache cependant, non sans acharnement, à vérifier que la numérisation ne produit pas d'effets négatifs sur l'emploi en Europe. En effet, des enquêtes révèlent qu'elle va entraîner la disparition de 25 % des emplois dans les prochaines années, sans que l'on sache combien elle en créera. Il s'agit sans doute du dossier de société le plus important pour les mois qui viennent.

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Denis Meynent, membre du Comité économique et social européen

Militant à la CGT, vice-président du groupe II du CESE – le groupe des travailleurs –, je travaille sur la gouvernance économique, sur la stratégie Europe 2020 et sur les questions de propriété intellectuelle : brevets, droits d'auteur, interaction entre le droit d'auteur et le numérique. Je me suis aussi intéressé à la normalisation des produits industriels et à la simplification administrative et réglementaire, en particulier sur le programme de la Commission européenne pour une réglementation affûtée et performante (REFIT, soit regulatory fitness and performance programme). J'ai eu l'honneur d'être trois fois rapporteur sur ce sujet. La troisième fois, à la demande de la présidence slovaque, je me suis penché sur ce que pourrait être la législation du futur. Ce sujet peut, me semble-t-il, intéresser les parlementaires que vous êtes.

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Christophe Lefèvre, membre du Comité économique et social européen

Secrétaire exécutif confédéral de la CFE-CGC, chargé de l'Europe et de l'international, j'appartiens au groupe II du CESE, soit le groupe des travailleurs, et siège dans sa section « Relations extérieures ». Je suis également membre du comité consultatif de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et vice-président de la Confédération européenne des cadres (CEC), chargé des fédérations sectorielles européennes.

Je me suis penché plus particulièrement sur la question de l'encadrement lorsque les normes et les référentiels disparaissent et ne sont remplacés par rien d'équivalent. Je me suis intéressé aussi à la question de la politique d'investissement, dans le sens d'une relance de la consommation ou de soutien à la recherche. Je m'intéresse de même à la fiscalité, à une époque où les États manquent de ressources financières, parce que de grands groupes évacuent leurs profits dans des paradis fiscaux. La fraude à la TVA se monte à 140 milliards d'euros par an en Europe, dont une bonne partie en France. Ne serait-il pas avantageux pour notre pays de récupérer 40 ou 50 milliards d'euros de recettes ?

Mon organisation porte depuis de nombreuses années l'idée d'un socle social européen, qui inclue à la fois l'assurance chômage, la définition d'un salaire minimum, le droit à la santé et les droits à pension. S'il se met en place, nous aurions fait un pas de plus dans la lutte contre le dumping social.

Dans le cadre des réflexions sur le REFIT, dont vient de parler Denis Meynent, j'ai présidé un groupe de travail visant à refondre, en lien avec le Parlement européen, six directives européennes relatives à l'information ou aux droits du consommateur. Sur la base d'études d'impact menées dans douze pays de l'Union, nous avons mesuré le résultat de leur application – ou de leur non-application.

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Reine-Claude Mader, membre du Comité économique et social européen

Membre de l'association de consommateurs Consommation, logement et cadre de vie (CLCV), je siège au sein du groupe III du CESE, soit celui des activités diverses. Je me consacre essentiellement à ce qui concerne la défense des consommateurs et des usagers. Le programme législatif européen en ce domaine est très important pour nous.

Pendant les deux mandats que je viens de remplir, j'ai été rapporteure à plusieurs reprises sur des éléments du programme législatif relatifs aux consommateurs. Je me suis également spécialisée, y compris en France, sur les questions qui touchent au secteur financier. Enfin, je travaille, au sein de la section Agriculture, développement rural et environnement (NAT) du CESE, sur les questions de l'alimentation.

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Je propose que nous consacrions la première partie de nos échanges aux réflexions concernant la manière de relancer l'Europe après le Brexit.

Les questions internationales nous préoccupent aussi beaucoup. Plusieurs d'entre nous doivent se rendre à Marrakech, à la COP22, car les enjeux climatiques auront des effets objectifs sur l'Union. Dans ce contexte, que doit être, pour vous, l'Europe de demain ?

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Denis Meynent, membre du Comité économique et social européen

Je suis un Européen convaincu, tout comme mon organisation. En ce moment, les citoyens européens s'interrogent… À mon sens, l'Europe n'a pas d'avenir si elle n'est pas sociale. Voilà ce qui fait défaut aujourd'hui dans les discussions : l'Europe sociale.

Je vois cependant apparaître des points de convergence avec le contenu des documents préparatoires que vous nous avez envoyés. En matière de droits sociaux, nous devons aller plus loin. Les syndicats de travailleurs y sont favorables, même si d'autres partenaires sont parfois plus réservés. La Commission européenne a fait des annonces, mais nous peinons à en connaître les contours précis.

S'agissant de la révision du statut des travailleurs détachés, il faut clarifier les choses. Il s'agit de respecter la possibilité du détachement et de la libre circulation des travailleurs. Mais nous défendons le principe « à travail égal, salaire égal », dans les conditions prévalant dans le pays d'accueil. C'est la position syndicale européenne, très claire, à ce sujet.

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L'égalité entre les hommes et les femmes repose aussi sur l'égalité salariale.

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Denis Meynent, membre du Comité économique et social européen

Nous défendons l'introduction d'un salaire minimum européen. Certains défendent un salaire fixé, dans chaque État membre, à 60 % du salaire médian, ce qui n'est pas inintéressant, mais nous aspirons plutôt à une convergence sociale ascendante. Il faut mettre la question à l'ordre du jour, car une grande inquiétude règne parmi les travailleurs, qui craignent que la construction européenne ne leur enlève des protections, alors qu'elle devrait plutôt leur apporter une valeur ajoutée. Ce n'est malheureusement pas toujours possible, car elle reste engluée dans ses problèmes de concurrence. Le mouvement syndical demande un nouveau protocole de progrès social, permettant d'assurer une articulation vertueuse entre les règles de la concurrence et le droit social. C'est un point fondamental. Tant que nous n'avancerons pas sur ce sujet, il y aura des réticences à l'égard de l'Union européenne.

En ce qui concerne les investissements, nous saluons naturellement les efforts et les propositions du président de la Commission Jean-Claude Juncker. Mais, comme tout le monde le reconnaît, ce n'est pas suffisant. Nous espérons que le processus pourra être prolongé. Toutefois, la nature même du dispositif laisse le marché décider des investissements, plutôt que de réfléchir à une politique d'investissement. Il nous semble qu'il faudrait revoir cela. Un tel plan n'offre de valeur ajoutée que si les États membres et les populations qui en ont besoin sont ceux qui en profitent le plus. Or, à ce jour, il n'y a pas de critères de répartition. On pourrait imaginer, sur la base de la proposition de l'Organisation internationale du travail (OIT), qu'une partie de ces fonds soit allouée aux États membres qui ont le plus de chômeurs.

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Emmanuelle Butaud-Stubbs, membre du Comité économique et social européen

Je présenterai la vision du groupe des employeurs, en y mêlant des réflexions propres au MEDEF, qui travaille à un pacte européen. Élaboré par notre commission Europe, il sera proposé aux candidats à la présidentielle. Le groupe des employeurs et le MEDEF éprouvent l'un comme l'autre un sentiment d'urgence, car les entreprises prennent très au sérieux la crise actuelle de l'Union européenne.

Certes, les grandes entreprises européennes et mondialisées agissent désormais partout dans le monde. L'Union européenne leur est une base arrière naturelle, tandis qu'elles savent qu'elles doivent plutôt chercher les opportunités d'investissement et la croissance au-delà de cette zone. Il n'en va pas de même des PME et des très petites entreprises. Si elles bénéficient des atouts du marché unique, elles n'en sont pas toujours conscientes. Dans le même temps, l'Europe n'est pas forcément la priorité des grandes entreprises, intégrées dans un ensemble plus vaste. Pour des raisons différentes en ce qui concerne les grandes entreprises et les petites entreprises, il y a donc un sentiment d'urgence.

Le Brexit fait courir au marché unique un risque d'implosion. Des consultations sont en cours en France pour savoir comment négocier au mieux le retrait britannique. Les intérêts économiques en présence sont contradictoires, puisqu'il convient de maintenir les flux actuels de travailleurs qualifiés, d'exportations et d'investissements, sans conserver toutefois au Royaume-Uni l'accès au marché unique, alors qu'il a pris la décision de devenir un pays tiers à ce marché. Une mauvaise réponse ferait courir le risque de détruire des emplois et de ralentir les investissements. C'est un sujet délicat.

Nous sommes favorables à un degré d'intégration supplémentaire de la zone euro, grâce à une convergence budgétaire, fiscale et sociale accrue. À la différence de Denis Meynent, je dirais que cette convergence ne doit pas forcément avoir toujours lieu par le haut. Comme un serpent monétaire, l'effort de convergence permettrait plutôt de réduire graduellement des écarts qui sont aujourd'hui encore importants.

L'harmonisation de l'assiette des impôts et des taxes constitue à cet égard un élément-clé de la convergence, qui doit aussi inclure les questions de rémunération salariale et de protection sociale. On constate en effet des abus. Nous venons de parler des difficultés rencontrées pour trouver, au niveau européen, une solution aux problèmes constatés en matière de détachement des travailleurs. Sur ce sujet, deux principes se télescopent, et il n'est pas facile de trouver une solution.

La communication avec les citoyens est un sujet qui nous préoccupe grandement. En tant que membres du CESE, nous nous sentons menacés et concernés par le procès fait aux institutions européennes, jugées lointaines, opaques et inefficaces. Nous prenons ces reproches à la lettre. Aussi avons-nous engagé une réflexion pour améliorer nos méthodes de communication. Nous communiquons désormais de manière plus rapide et plus synthétique sur les avis que nous produisons. Des manifestations directes avec des citoyens sont organisées, et nous invitons de jeunes entrepreneurs. Sous le mot d'ordre « Votre Europe, Votre avis », nous nous efforçons de promouvoir des espaces inclusifs de discussion, où nous donnons la parole à des jeunes de seize à dix-huit ans, qui viennent de chaque État membre.

Quant à l'innovation, nous défendons le programme Horizon 2020. Nous aurions aimé que son budget soit encore plus important. La priorité va cependant aujourd'hui à la poursuite des efforts de simplification. Sa valeur ajoutée serait plus grande s'il était moins difficile pour les PME d'y participer. En réduisant la taille des consortiums éligibles et en promouvant des programmes plus courts, concentrés sur l'innovation proprement dite, cela serait rendu possible, même s'il faut naturellement maintenir les efforts consentis en faveur de la recherche fondamentale.

Nous sommes aussi favorables à l'investissement et au plan Juncker. Heureux que les fonds aient été augmentés, nous sommes particulièrement satisfaits que la France bénéficie bien de ses retombées. Là encore, cependant, ces résultats ne sont pas très visibles, en raison d'une communication déficiente, et alors que les projets financés apportent beaucoup aux citoyens, dans leur vie quotidienne, qu'il s'agisse de transport ou d'efficacité énergétique.

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Reine-Claude Mader, membre du Comité économique et social européen

Une consultation a récemment été lancée en France au sujet du Brexit et l'association de consommateurs CLCV a, dans ce cadre, reçu un texte court essentiellement constitué de cette question : pouvait-on accepter que, dans les relations futures avec le Royaume-Uni, les choses évoluent ? Après s'être longuement interrogée sur le sens de cette demande, notre équipe y a répondu de façon presque aussi lapidaire en disant que, si les choses évoluaient, cela ne pouvait se faire qu'au profit des consommateurs des pays européens, notamment des Français. Pour nous, cela signifie que les acquis des consommateurs de chaque pays ne doivent en aucun cas être remis en cause.

On sait que le Royaume-Uni commerce beaucoup avec les États-Unis et qu'un débat est lancé au sujet du TTIP, ce qui ne peut que nous conduire à envisager des évolutions qui ne seraient pas forcément à l'avantage des Français et des Européens. Il me semble que, sauf chez les personnes fermement attachées à l'idée européenne, le sentiment qui prédomine aujourd'hui en France est un grand désenchantement : il n'y a plus de passion pour l'Europe, ce qui me paraît très grave pour les consommateurs comme pour les salariés.

Nous sommes inquiets pour l'avenir, et estimons nécessaire de faire en sorte que le niveau de protection conféré par les droits sociaux conquis à l'intérieur de l'Union européenne ne puisse évoluer qu'à la hausse. La volonté, souvent exprimée, de mieux légiférer, me paraît également préoccupante. En effet, si l'on ne peut qu'être d'accord a priori avec un tel programme, il reste à savoir ce qu'il implique concrètement : s'agit-il d'aboutir à ce que tous les pays membres placent leurs législations respectives sur la même ligne, ou à ce que les pays disposant actuellement d'un avantage – comme c'est le cas pour la France sur de nombreux points – puissent le conserver ? Les associations de consommateurs plaident à Bruxelles pour qu'on laisse aux États la possibilité de faire plus que le minimum. En effet, les citoyens européens ne comprendraient pas que l'on abaisse leur niveau de protection ni que les gouvernements soient tenus par des règles empêchant le droit d'évoluer, alors même que certaines évolutions technologiques, par exemple, seraient de nature à permettre de gagner en efficacité. Je le répète, nous éprouvons une grande inquiétude, et il s'agit là d'un sentiment très largement partagé.

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Jacques Lemercier, membre du Comité économique et social européen

Notre objectif doit consister à redonner aux citoyens européens envie d'aimer l'Europe, et à faire en sorte qu'aucun État, membre récent ou de longue date, n'ait envie d'en sortir. Pour cela, la Commission européenne doit impérativement développer une politique que l'immense majorité des citoyens européens – et pas seulement les personnes les mieux informées et les plus impliquées – reconnaisse comme un progrès.

En tant que syndicaliste, j'attache beaucoup d'importance à l'idée d'un pilier social, et je pense que, si l'on veut que les citoyens européens continuent à voter pour les démocrates, il faut oeuvrer à la convergence progressive de tous les systèmes de protection sociale de l'Union européenne, en veillant évidemment à ce que cette convergence se fasse par le haut : on ferait difficilement admettre à nos concitoyens qu'ils doivent se serrer la ceinture et abandonner 30 % de leurs acquis sociaux pour que les Tchèques puissent en acquérir quelques-uns – d'autant qu'il n'est même pas certain qu'un tel sacrifice bénéficie à ceux qui ont intégré l'Union européenne le plus récemment.

Par ailleurs, il faut que l'Europe soit plus concrète, et qu'elle arrête de s'occuper du diamètre et de la longueur de la banane aux Caraïbes…

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Jacques Lemercier, membre du Comité économique et social européen

J'entends pourtant dire encore bien des choses à ce sujet. En tout état de cause, il faut que le citoyen européen puisse projeter dans son pays ce qui se passe au niveau européen. Ce n'est pas le cas aujourd'hui et, faute d'avoir été valorisées par les médias européens – qui ont une responsabilité dans la situation actuelle –, des avancées sociales considérables sont passées complètement inaperçues. La parole et les actes de l'Europe doivent être reconnus et compris de tous – or, à l'heure actuelle, elle est beaucoup trop éloignée de ses citoyens, y compris des Français.

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Arnold Puech d'Alissac, membre du Comité économique et social européen

Le rapport d'orientation de la FNSEA pour l'année prochaine traitera de la question européenne, et constituera une bonne occasion d'entendre ce que les candidats à la Présidence de la République, que nous inviterons, ont à dire sur le sujet.

Nous nous efforçons actuellement de procéder à une évaluation des avantages et des inconvénients d'un Frexit. Si la France est un grand pays agricole de l'Union européenne, notamment en termes de volumes d'exportation, les agriculteurs sont, comme nombre de Français, déçus par les décisions prises à Bruxelles – ou par l'interprétation qui en est faite dans notre pays –, c'est pourquoi il paraît nécessaire de chiffrer très précisément les conséquences d'une sortie éventuelle de l'Union européenne, qui se traduirait à l'évidence par un recroquevillement de l'agriculture française.

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Notre Commission a publié, il y a deux ans, un rapport sur l'euro. Je vous invite à en prendre connaissance afin d'alimenter votre réflexion.

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Arnold Puech d'Alissac, membre du Comité économique et social européen

Nous n'y manquerons pas.

Pour ce qui est du Brexit, je rappelle que le Royaume-Uni représente un marché important pour nous : les échanges agroalimentaires avec le Royaume-Uni se traduisent par un excédent de 3 milliards d'euros. Cela dit, nous devons prendre acte du départ des Britanniques, et nous montrer pragmatiques. Si la baisse de la livre sterling a procuré au Royaume-Uni un gain de compétitivité qui lui permet d'exporter de plus en plus de moutons bon marché, dans tous les autres domaines, nous exportons plus que nous n'importons, et il faut veiller à ne pas perdre de parts de marché.

Nous sommes inquiets au sujet des contingents que l'Europe a cédés, par l'intermédiaire de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), à l'Australie et à la Nouvelle-Zélande. En effet, il ne faudrait pas que l'Europe conserve, à vingt-sept, la part des importations ovines revenant aux Britanniques : si nos voisins d'outre-Manche veulent manger du mouton néozélandais, grand bien leur fasse, mais que cela n'entre pas dans les importations européennes – nous produisons d'ailleurs des moutons de grande qualité en France ! Cela dit, lors de l'entrée des Britanniques dans l'Union européenne, la production ovine s'est écroulée en France, ce qui fait que nous ne produisons aujourd'hui que 42 % de ce que nous consommons.

L'idée de redressement productif, chère à un précédent ministre de l'économie, est très importante pour nous. Nous ne devons pas nous laisser endormir par l'Union européenne et son grand marché. En quinze ans, notre production a stagné, voire régressé, quand la production de porc a doublé en Espagne et quasiment doublé en Allemagne, et celle de lait a augmenté de 20 % en Irlande, au Danemark et aux Pays-Bas. Nos voisins nous prennent des parts de marché en faisant tourner leurs usines à plein régime, ce qui leur permet d'être extrêmement compétitifs. Nous devons nous adapter à ces pratiques en faisant nous aussi du volume afin d'être en mesure de proposer des prix plus bas. C'est seulement en procédant de cette manière que nous augmenterons les richesses, ce qui permettra de créer des emplois.

Par ailleurs, il nous faut revenir aux trois fondamentaux de 1957 : l'unicité de marché, qui a produit les effets que l'on en attendait ; la préférence communautaire, qui s'est progressivement effilochée – ce qui fait que, dans le cadre des négociations bilatérales avec l'OMC, nous sommes souvent une monnaie d'échange ; enfin, la solidarité financière, un principe auquel le Royaume-Uni a cherché à déroger pendant plus de trente ans, rechignant constamment à mettre de l'argent sur la table quand l'Europe le lui demandait, et qui a tout fait pour détricoter notre protection continentale. Aujourd'hui, nous devons donc profiter du départ du Royaume-Uni pour réaffirmer notre volonté de renforcer cette protection, au bénéfice de tous les citoyens européens.

L'Union européenne veut se doter de nouvelles compétences. Pour cela, à l'instar de ce qui se fait pour les communautés de communes, il faut veiller à transférer les moyens correspondant aux compétences transférées. Si l'on veut faire plus de protection aux frontières ou créer une armée européenne, par exemple, cela doit être abondé par des moyens nationaux, et non sur le montant de 1 % du PIB communautaire. En tout état de cause, les agriculteurs, dont l'activité s'exerce dans le cadre d'un marché unique depuis près de soixante ans, ne peuvent plus supporter que les nouvelles initiatives soient systématiquement financées par des ponctions sur le budget de l'Union européenne.

Enfin, il me semble nécessaire de rappeler de temps en temps que l'Europe n'est pas qu'un grand marché, mais une entité fondée sur des valeurs : un héritage chrétien, mais également celui du siècle des Lumières, qui ont constitué l'histoire européenne, notamment celle de la France. Quand on oublie l'un de ces deux apports – a fortiori les deux –, on peut se trouver en décalage avec la société, car les fondations de l'Europe ne sont pas seulement constituées par l'aspiration des peuples à la paix, mais aussi par des bases historiques.

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Une telle vision est un peu dépassée politiquement et j'aurais bien des choses à dire sur ce point, notamment en ce qui concerne l'héritage chrétien.

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Christophe Lefèvre, membre du Comité économique et social européen

Le manque de confiance – pour ne pas dire de croyance –, des citoyens en l'Europe, peut s'expliquer de différentes manières. Ainsi la campagne des dernières élections européennes n'a-t-elle duré qu'une petite semaine, ce qui est fort peu. On a, par ailleurs, le sentiment que les parlementaires européens constituent une représentation ne reflétant pas vraiment la société civile – ce qui plaide en faveur de la continuité des travaux du Comité économique et social européen sur cette question. Nous sommes effectivement très attachés à la mise en place d'un pilier social, dont nous avons grand besoin en cette période d'incertitude.

L'Europe dispose de fonds d'investissement, notamment avec le plan Juncker qui, avec ses 372 milliards de dollars, constitue une énorme avancée, mais toute la question est de savoir si ces fonds vont vraiment être mis en oeuvre, le cas échéant dans quel délai et pour quelle utilisation. Aujourd'hui, il semble que nos concitoyens n'aient conscience que d'une très faible proportion des avancées obtenues grâce à l'Europe – le roaming, grâce auquel chacun pourra, à partir de juillet 2017, appeler de n'importe quel pays en Europe pour un coût équivalent à une communication locale, fait partie de ces avancées les plus connues, mais il en est bien d'autres dont personne n'a la moindre idée. Moi-même, je ne cesse d'expliquer ce que je fais au CESE et à quoi servent les régulations européennes ; j'appelle souvent l'attention de mes interlocuteurs, par exemple, sur le fait que si un logo représentant le drapeau de l'Union européenne figure sur les bâtiments de l'école de leurs enfants, c'est parce que cet établissement a bénéficié de financements européens.

Lorsque je présidais le Réseau d'appui et de capitalisation des innovations européennes (RACINE), un organisme gérant des crédits provenant du Fonds social européen (FSE), j'étais effaré par la complexité des dossiers à constituer. De petites associations d'insertion ayant besoin de cofinancements à hauteur de 85 % ou 90 % obtiennent parfois les fonds de la Commission européenne avec un an de retard, et s'exposent au risque qu'on leur réclame de rembourser les fonds pour lesquels ils ne seraient pas en mesure de produire rapidement des justificatifs – des situations invivables pour des structures de ce type, par nature extrêmement fragiles. De même, si l'on a pu espérer être en mesure de sauver tous les jeunes Européens de moins de vingt-cinq ans avec le dispositif européen de la Garantie pour la jeunesse, il a vite fallu déchanter, la dotation globale de cette mesure prévue pour la période 2014-2020 ne permettant en fait d'aider chaque jeune au chômage qu'à hauteur de 1 000 euros en tout et pour tout !

Si de nombreuses réformes sont entreprises par la Commission européenne, aucune étude d'impact n'est faite : ainsi le nouveau plan 2014-2020 a-t-il été mis en oeuvre sans attendre que soit réalisé un bilan de l'exercice de la précédente mandature. Chaque année, dans le cadre de l'examen du Programme national de réforme (PNR), nous recevons une délégation de la Commission européenne qui nous demande systématiquement en quoi la France a tenu compte de ses recommandations de l'année précédente. Or, si notre pays s'inspire effectivement des prescriptions de la Commission, elle le fait plutôt en se référant à celles datant de trois ans – une seule année constituant un délai bien trop court pour entreprendre quoi que ce soit, et surtout pour que l'on puisse mettre en évidence des effets mesurables.

Enfin, pour ce qui est du pilier social, nous sommes confrontés à des signaux contradictoires. D'un côté, Jean-Claude Juncker a réuni au début de l'année toutes les parties prenantes au dialogue social européen en leur expliquant qu'un nouveau départ allait être pris en la matière. De l'autre, il a récemment été annoncé, dans le cadre du Forum de liaison du dialogue social européen regroupant quarante-trois comités de dialogue social sectoriel – ce qui recouvre 95 % des emplois salariés en Europe –, que l'on ne pourrait plus financer que huit réunions par an au lieu de neuf, en raison de restrictions budgétaires. Il y a donc un certain décalage entre la volonté politique affichée et les moyens réellement mis en oeuvre.

Pour conclure, j'indique à titre d'exemple que l'un des comités de dialogue social sectoriel, celui relatif à la coiffure – ce secteur d'activité où les employés travaillent en permanence debout et dans des conditions pénibles, impliquant notamment le risque de coupures aux mains – a émis une proposition de texte au niveau européen que la Commission a ignorée en refusant de légiférer, alors même que les partenaires sociaux – employeurs et salariés – s'étaient mis d'accord.

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Je précise que deux membres de notre Commission ont rédigé un rapport sur l'évaluation des accords de libre-échange de l'Union européenne, notamment celui passé avec le Pérou et la Colombie.

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Thierry Libaert, membre du Comité économique et social européen

Le Comité économique et social européen a également travaillé, il y a deux ans, sur le coût de la non-Europe. Cette étude, qui chiffre ce que seraient les avantages et les inconvénients d'une dislocation européenne, a mis en évidence que, d'un point de vue strictement économique, le coût d'un tel événement serait nettement supérieur à ses bénéfices. Quand on se demande comment réenchanter l'Europe, il ne faut pas perdre de vue les obstacles s'opposant à cette entreprise. Le premier de ces obstacles, c'est que l'Europe n'existe pas : il n'y a pas d'Europe, mais seulement des institutions européennes, et notre rapport à l'Europe se résume aux relations que nous avons avec ces institutions, qui poursuivent toutes un objectif différent. L'Europe est incapable de parler d'une seule voix et de se défendre de la même manière lorsqu'elle est attaquée. De ce fait, lorsqu'une décision favorable est prise en France, tout le monde pense qu'elle a été prise par le gouvernement français et, lorsqu'il s'agit d'une décision défavorable, tout le monde l'attribue spontanément à la Commission de Bruxelles qui, dans l'imaginaire collectif, représente l'étranger par opposition aux intérêts nationaux.

Il n'y a pas non plus de récit européen. Du moins, le seul dont nous disposions est celui remontant à la relation entre De Gaulle et Adenauer, basée sur l'idée selon laquelle l'Europe est synonyme de paix. Or, pour les nouvelles générations, qui ont toujours vécu en paix, le risque de guerre en Europe est très abstrait. Il faut donc se demander, en particulier pour ces générations, qui pourrait incarner la voix de l'Europe et pour dire quoi.

Nous devons également nous garder de l'écueil que constitue l'absence de proximité entre l'Europe et ses citoyens, et la distanciation croissante qui s'opère entre les deux. Comme l'a dit Jacques Lemercier, les Européens ont de plus en plus l'impression que l'Europe, ce n'est pas eux : en tout cas, ils ne se reconnaissent pas dans l'Europe qui sauve les banques lors de la crise financière. Dans deux mois, c'est dans l'indifférence générale que nous allons entrer dans l'année du soixantième anniversaire du traité de Rome : aucune commémoration de cet événement n'a pour le moment été annoncée. De même, rien n'est prévu pour célébrer, l'année prochaine, le trentième anniversaire du programme d'échanges d'étudiants Erasmus, qui constitue pourtant une réussite unanimement reconnue.

J'ai été le rapporteur du premier texte européen sur l'obsolescence programmée – cette pratique des fabricants de produits manufacturés consistant à faire en sorte que lesdits produits soient périmés ou tombent en panne avant le moment où cela aurait dû arriver normalement, et à ce qu'ils ne soient pas économiquement ou techniquement réparables. À la suite du vote à l'unanimité par le Conseil européen d'un texte portant sur cette question, la seule réaction de la Commission européenne a consisté à rédiger une communication intitulée « Boucler la boucle – Un plan d'action de l'Union européenne en faveur de l'économie circulaire », préconisant d'envisager en 2018 la possibilité de réaliser une étude sur les conséquences de l'obsolescence programmée !

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Au moins la loi Hamon a-t-elle permis à la France de prendre un peu d'avance en la matière…

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Thierry Libaert, membre du Comité économique et social européen

Effectivement, ainsi que la loi sur la transition énergétique et la croissance verte.

Si nous voulons réenchanter l'Europe, nous devons donc commencer par mettre en avant les sujets avec lesquels le consommateur a une certaine proximité.

Enfin, l'Europe doit être capable de se remettre en cause lorsque surviennent des événements graves. Après le Brexit, on a pu entendre dire que ce n'était pas si grave que ça, qu'il suffirait de conclure des accords bilatéraux, que tous nos collègues britanniques resteraient en place jusqu'en 2020 et prendraient part aux réunions et aux votes sur les textes… Comment de telles affirmations ne donneraient-elles pas l'impression d'un aveuglement des institutions européennes, et d'une totale incapacité à se remettre en cause pour prendre les décisions qui s'imposent ?

L'incapacité de l'Europe à réagir rapidement aux événements s'illustre de manière frappante dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique. Si elle a toujours eu une longueur d'avance en la matière pour ce qui est d'organiser des discussions et poser des grands principes, elle a traîné les pieds quand il s'est agi de ratifier des accords à ce sujet : même la Chine et les États-Unis ont été plus prompts qu'elle à le faire ! Lors de la dernière session plénière du Comité économique et social européen, Jean-Claude Juncker s'est dit désespéré de constater que l'Europe se ridiculisait en se montrant incapable de faire preuve d'unité sur un sujet aussi important.

Face à ce constat, il n'existe malheureusement aucune solution miracle. Pour ma part, je préconise une politique des petits pas. Depuis quelques années, le CESE s'efforce de prendre l'initiative d'opérations dites « de lobbying inversé », consistant non seulement à faire entendre la voix de nos organisations à Bruxelles, mais aussi et surtout celle de l'Europe au sein de nos organisations, en allant sur le terrain autant que possible, au plus près des citoyens, et en n'oubliant jamais que le dialogue commence par l'écoute. Cela prend du temps, mais c'est sans doute le seul moyen efficace dont nous disposions pour faire renaître l'idée européenne.

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Chaque pays de l'Union peut-il, seul, relever les défis auxquels il sera confronté demain ? Qu'il s'agisse du climat et de l'environnement, de la sécurité et de la paix, de la maîtrise des flux migratoires ou des pouvoirs équilibrés et des libertés individuelles, la réponse est négative. On oublie trop facilement l'apport de l'Europe en termes de droits humains. Les normes dont on parle souvent de façon si critique ont permis à certains pays de rattraper le retard qu'ils pouvaient avoir sur le plan des droits de l'homme. Il ne faut pas négliger de rappeler cela en permanence. Quand je vois ce qui se passe aujourd'hui en Turquie, je suis très heureux de vivre en France et dans l'Union européenne !

Les acquis européens doivent être valorisés, malgré les problèmes que rencontre l'Union, et malgré ses insuffisances. Nous devons, certes, travailler à une harmonisation sociale qui se fasse par le haut, et non par le bas, comme l'indiquait M. Lermercier, et il faut également accomplir des progrès en matière de temps de travail et de protection des travailleurs. Mais les avancées déjà obtenues ne doivent pas être oubliées – je pense à celles qu'ont permises les fonds structurels, notamment le Fonds social européen. On peut aussi citer l'exemple d'Erasmus. Dans la commune dont je suis maire, j'ai rencontré il y a quinze jours une centaine de jeunes, allemands et français, qui participaient à ce programme. Il régnait une telle harmonie entre eux que j'étais incapable de les discerner selon leur nationalité. Je voyais l'Europe de demain se concrétiser devant moi.

Je regrette que certains partis politiques attribuent systématiquement à l'Europe la responsabilité du moindre problème que rencontre la France, car, à force de les entendre rabâcher, certains de nos concitoyens en viennent à penser que, si eux-mêmes sont au chômage ou ne sont pas assez payés, c'est la faute de l'Europe. Dans notre monde fragilisé, il faut faire très attention à ce genre de déclaration.

Monsieur Puech d'Alissac, notre ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, Stéphane Le Foll, défend, avec plusieurs organisations agricoles, le retour au mécanisme de soutien de régulation de la production et des prix, en particulier pour la filière laitière. Que pensez-vous de l'avancée de ce dossier, et quelle est l'audience de ces propositions parmi les autres pays membres ?

Les observations du CESE sur le TTIP ne me paraissent pas très claires. Quelle est votre position sur la poursuite des négociations ? Je fais partie des élus qui pensent, comme le secrétaire d'État qui suit le dossier, que, compte tenu des informations dont nous disposons aujourd'hui, il n'est peut-être pas opportun de les poursuivre tant que nous n'avons pas suffisamment de garanties. Les études d'impact ont une portée très limitée et doivent en permanence être réévaluées si nous voulons avoir une connaissance juste des conséquences de la signature d'un traité d'échange entre l'Union européenne et un pays étranger.

Pour conclure, je rappelle que je suis un Européen militant

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On oublie trop souvent de rappeler les progrès que l'Europe nous permet d'accomplir. Je l'ai ressenti lorsque la France a pu coucher noir sur blanc les règles relatives au dialogue social dans la fonction publique, et nous ne serions pas parvenus à mettre le sujet des OGM à l'ordre du jour dans notre pays si nous n'avions pas été aidés par l'Europe. Il en a été de même sur de nombreux sujets relatifs à la consommation : les associations de consommateurs ont été les premières à tirer la sonnette d'alarme au moment de la crise de la vache folle, mais, sans l'organisation européenne, il y aurait eu dix mille morts de plus.

Dans mon pays – car la Bretagne est aussi un pays –, 60 % de la production est exportée. Nous savons bien que, si l'Europe n'était pas là pour nous aider en matière de régulation, nous serions morts, et cela explique sans doute que cette région ait été plus européenne que d'autres. Pourtant, aujourd'hui, l'euroscepticisme est bien présent, y compris en Bretagne. Il a commencé à se développer après la publication de la directive « travailleurs détachés », qui fut un véritable coup de semonce et qui a violemment porté atteinte au sentiment européen.

Mais l'euroscepticisme vient aussi d'une réticence à l'idée que l'on commence à nous faire payer pour les autres. Nous avons pourtant profité de l'Europe pour développer notre agriculture, notre agroalimentaire, nos routes, nos trains. On peut même dire que l'extrême Ouest a été hyperfinancé par les aides européennes. Or voici que, à notre tour, nous sommes obligés d'être solidaires avec des pays qui vont moins bien que le nôtre, et que nous devons faire pour eux les gestes que d'autres ont naguère faits pour nous. Je n'oublie jamais ce que ma région doit à l'Europe. Si nous sortions de l'Union et devions rendre les aides qu'elle a apportées à l'extrême Ouest, nous serions à genoux : il n'y aurait plus aucun emploi chez nous.

Nous avons tous du mal à apprécier la régulation européenne – je pense pour ma part que l'arrêt des quotas est une énorme bêtise – ou à mettre en valeur les progrès permis par l'Union européenne. Sur ces deux points, sommes-nous capables de tenir un discours positif, d'expliquer que l'Europe est l'un des grands éléments de régulation du monde ? Les plus jeunes n'ont pas un réflexe simpliste de repli sur eux pour défendre « leur » commune, « leur » pays, « leur » langue, ni même « leur » religion : le monde est leur jardin. Parmi les jeunes que je rencontre, même ceux qui sont les moins formés ont déjà visité beaucoup plus de pays en moins de trente ans d'existence que moi en soixante-dix ! Ce qui leur fait peur, ce n'est pas l'Europe, c'est la déstabilisation d'un monde dérégulé. La zone euro peut-elle jouer un rôle de régulation spécifique avec sa monnaie, ou l'Europe tout entière peut-elle être un outil de régulation ?

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Bruno Gollnisch, député européen

Je suis très attaché à ce que nous a légué l'Europe, espace limité dans l'histoire dans l'humanité, qui a inventé la liberté et l'égalité des nations. Ces concepts nous sont familiers, mais ils ne vont pas de soi : ce qui se passe dans le monde aujourd'hui nous le montre bien.

J'ai été très intéressé par tout ce qui a été dit, mais je m'interroge sur ce qui constituerait malgré tout une très grande contradiction. D'une part, on a d'abord créé un espace de liberté de circulation des personnes, des marchandises et des capitaux entre des pays qui avaient sensiblement les mêmes niveaux de protection sociale et les mêmes niveaux de vie – cela posait des problèmes, certes, mais cela présentait aussi des avantages, par exemple en termes d'économies d'échelle ou de débouchés nouveaux pour notre agriculture ou notre industrie. D'autre part, sans avoir assuré à cet espace une protection suffisante, on l'a ensuite inséré dans le marché mondial au sein de l'OMC. Dans cet espace mondial, nos productions sont soumises à une concurrence qui paraît à juste titre déloyale, et qui exerce ses effets ravageurs – en vingt ans, nous constatons que notre pays a quasiment perdu la moitié de son potentiel industriel.

Je ne suis pas de ceux qui pensent que l'Europe est la seule cause de nos problèmes, mais je crois, malgré tout, que la gestion actuelle de l'Union européenne en est en grande partie la source. Ne vaudrait-il pas mieux avoir la modestie et le réalisme de se contenter d'une gestion par projets ? L'exposé éloquent que nous venons d'entendre sur le programme Erasmus illustre le fait que lorsqu'un objectif précis est fixé, et que des résultats peuvent être constatés et mesurés, les choses se passent différemment. On a vu le succès de la fusée Ariane ou celui de l'avion Airbus, qui ne doivent pourtant rien à Bruxelles. Le cas pourrait très bien se reproduire pour le projet Galileo et pour beaucoup d'autres, dès lors qu'il s'agirait de projets concrets pour lesquels les citoyens pourraient, en quelque sorte, dresser eux-mêmes un bilan coûts-avantages, dès lors aussi que ces projets ne leur donneraient pas le sentiment qu'on légifère dans leur dos et qu'on accumule les règles, les charges, les normes et les contraintes, tout en ouvrant l'espace européen à la concurrence de pays où n'existent ni règles, ni charges, ni normes, ni contraintes.

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Alors que vous constatez vous-même un rejet de l'Europe de la part des citoyens, ne trouvez-vous pas paradoxal que les membres du CESE, censés représenter la société civile, soient désignés par les États ? Je n'adresse évidemment à nos invités aucun reproche, mais je me pose des questions. Si l'on veut améliorer la représentativité et le caractère démocratique des institutions européennes, il faudrait, pour le moins, que la société civile désigne elle-même ceux qui la représentent.

Je crois que l'Europe attire si peu parce qu'elle est loin des peuples, parce qu'elle n'est pas démocratique, mais aussi parce qu'elle n'est pas politisée. On n'a jamais voulu politiser l'Europe en abordant le social ; on a préféré parler d'économie et de commerce, « parce que ça ne pose pas de problème ». Résultat : une concurrence déloyale et faussée règne au sein même de l'Europe où se font 70 % de nos échanges. Pourtant, jamais je ne constate la moindre velléité de mener une politique sociale, ou de réfléchir à la façon dont sont traités les travailleurs qui viennent chez nous. On se contente de faire du libre-échange. Le projet européen tel qu'il avait été conçu par les pères de l'Europe a été complètement dévoyé, et je n'ai pas l'impression que ceux qui veulent revenir sur cette évolution soient nombreux. L'Europe sociale est toujours remise aux calendes grecques.

Les organisations syndicales ne sont pas vraiment plus allantes que les autres sur le sujet. Élue en Bretagne, je connais bien la FNSEA : elle a soutenu la dérégulation et la fin des quotas laitiers qu'elle avait pourtant réclamés à cor et à cri – même si, aujourd'hui, elle proteste contre leur suppression. Il faut vraiment que la politique prenne le pas sur les seuls intérêts économiques. Si vous voulez de la régulation, acceptez-la, mais pas uniquement quand les choses ne se passent pas bien pour vous ! Vous vouliez la suppression des quotas laitiers parce la situation était bonne, mais, depuis, manque de chance, elle s'est dégradée. Il faut une politisation de l'Europe.

Pour renforcer la solidarité entre les pays européens, il faut un projet social d'abord, et économique ensuite – le social ne doit pas toujours venir en second, comme c'est le cas dans le nom même du Comité économique et social européen. On ne peut pas délaisser le social, et laisser l'économique faire du lobbying et obtenir toutes les concessions.

Un vrai budget européen est indispensable, et ce n'est pas en laissant des cacahuètes à l'Europe que nous parviendrons à le mettre en place – la somme « donnée » par chaque Français à l'Europe tous les ans est ridicule. Il faut un vrai Parlement européen avec de vrais pouvoirs. En clair, il faut à l'Europe une vraie démocratie.

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Chacun a constaté qu'il existe une forme de « distanciation » entre les citoyens et l'Union européenne. En tant que représentants des acteurs économiques et sociaux européens, avez-vous l'impression que les élus politiques européens sont suffisamment proches des citoyens ? Le mode d'élection des députés européens en France, et dans d'autres États membres, ne constitue-t-il pas un obstacle à la relation entre les élus et les citoyens ? Lorsque les élus nationaux que nous sommes conseillent aux Français qui se plaignent des problèmes posés par l'Europe d'en parler à leurs députés européens, ils répondent : « Mais qui sont-ils ? Nous ne les voyons jamais, nous ne les connaissons pas ! » Quelques députés européens sont connus au plan national parce qu'ils sont, par ailleurs, des responsables nationaux, et parce qu'ils passent à la télévision, mais même ceux-là ne sont pas sur le terrain comme nous le sommes nous-mêmes. Je suis convaincu que la relation entre les citoyens et les élus qui les représentent est fondamentale pour assurer le fonctionnement d'une démocratie. Si cette relation est brisée, il ne faut pas s'étonner que nous pataugions.

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Jacques Lemercier, membre du Comité économique et social européen

Je répondrai d'abord à la question provocatrice de Mme Guittet sur la désignation des membres du CESE. Nous sommes formellement désignés par le Gouvernement, mais ce dernier ne fait pas n'importe quoi : il s'adresse aux organisations patronales et syndicales, aux associations, et aux ONG les plus reconnues et représentatives. Je vous renvoie aussi un peu la balle : les députés européens sont élus sur des listes qui ne représentent pas les régions – il y a tellement de territoires qu'il serait compliqué de faire autrement vu le petit nombre d'élus. Comment voudriez-vous que nous soyons élus sur une liste nationale ? Je crois que c'est impossible !

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Vous pourriez être désignés directement par vos organisations respectives !

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Jacques Lemercier, membre du Comité économique et social européen

Il faut respecter la représentativité des organisations syndicales et patronales, des ONG et des associations de consommateurs. C'est la démocratie ! Ne pas la respecter, ce serait considérer que tout cela ne sert à rien et qu'il vaudrait mieux, comme le disait quelqu'un qui avait perdu les élections, supprimer les corps intermédiaires. C'est très dangereux !

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Arnold Puech d'Alissac, membre du Comité économique et social européen

Je rappelle que nous sommes désignés sur proposition de nos organisations syndicales.

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Mais vous ne faites jamais campagne ! Il est important de se faire connaître sur le terrain !

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Bruno Gollnisch, député européen

Moi, pour ma campagne, j'ai fait 20 000 kilomètres en camping-car !

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N'entrons pas dans un autre débat, beaucoup plus large, qui nous amènerait à traiter de la question du Conseil économique, social et environnemental national, et des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER) !

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Arnold Puech d'Alissac, membre du Comité économique et social européen

La FNSEA s'est battue pour la suppression des pénalités liées aux quotas laitiers dans un seul département en France : le Finistère. Dans quatre-vingt-dix autres départements, nous étions favorables au maintien des quotas. Par ailleurs, dans une négociation européenne, nous savons qu'il ne faut pas se faire marginaliser : nous étions le seul pays où s'appliquaient les quotas et les pénalités sanctionnant les dépassements individuels – il n'y avait pas de dépassement au niveau national. Les pays nordiques, où s'était développé tout un commerce autour des quotas laitiers, se sont véritablement battus pour leur suppression.

La FNSEA est extrêmement favorable à la régulation. L'outil très original que la Commission vient d'imaginer fait partie des solutions que nous avions trouvées, l'année dernière, avec la Fédération nationale des producteurs de lait. Il permet d'indemniser du travail partiel – j'ai lu dans la presse que l'expression avait remplacé celle de « chômage partiel » – en payant des litres de lait qui ne sont pas produits afin de faire baisser la production. L'Allemagne, le Danemark et l'Irlande, qui nous ont inondés de leur production laitière, se sont ralliés à cette solution. La France avait choisi un système de contrat qui obligeait à respecter un volume en fonction des besoins de l'industrie laitière. Cette solution n'a pas permis de gagner des parts de marché. Il faut parfois produire un peu plus, pour avoir un peu plus de richesses à partager. Quand j'étais enfant, il y avait 55 millions de Français ; nous sommes aujourd'hui 66 millions. Heureusement que nous avons développé la production !

La FNSEA fait partie du clan des interventionnistes du CESE : nous n'avons pas du tout la même culture que les autres pays ! Les Français des différents collèges sont à peu près d'accord entre eux, quelle que soit leur appartenance politique – comme au Parlement européen, les différences entre la gauche et la droite sont nettement moins fortes qu'au niveau national. Nous défendons une position culturelle commune. Par exemple, les pays du Nord ou de l'Est ne veulent pas entendre parler de droits sociaux : ils savent qu'ils risquent de perdre leur compétitivité. Le groupe I du CESE s'est déplacé récemment en Slovaquie : nous avons vu le nombre d'usines automobiles qui s'installent sur place. Dans un bar, j'ai payé treize consommations pour 19 euros !

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Reine-Claude Mader, membre du Comité économique et social européen

L'essentiel a été dit sur la représentativité des membres du CESE : leurs noms ne sont pas tirés d'un chapeau ! Quel que soit le gouvernement qui les désigne, il y a d'ailleurs une continuité dans les personnalités qui siègent au CESE. En tout cas, ses membres ont toujours prouvé par leur engagement national qu'ils étaient actifs dans la société civile.

Cela dit, il faut envisager cette question essentielle de la représentativité de façon plus large. Lorsque je discute de dossiers techniques à Bruxelles avec des membres de la Commission, je me trouve face à des gens remarquables, très intelligents, qui croient faire pour le mieux, mais j'ai ensuite beaucoup de mal à expliquer les choses, sur le terrain, aux militants de mon organisation. Avec le développement des réseaux sociaux, nous avons en outre le sentiment que les institutions, quelles qu'elles soient – au niveau européen, national ou régional –, sont mises en concurrence avec des individus qui ne s'expriment qu'en leur nom propre. Je ne conteste pas l'expression individuelle ; je déplore l'absence de réflexion commune. Dans ces conditions, comment dégager l'intérêt général ? On ne fait pas une politique avec la somme des intérêts particuliers, vous le savez bien.

Après douze ans d'expérience bruxelloise, je constate que nous avons face à nous des équipes de très haut niveau, de plus en plus expertes, mais que, lorsqu'on soumet leurs projets à l'épreuve des faits, on est très loin du compte. Quand je siège au CESE à côté d'un représentant de la société civile lituanienne, je me rends compte qu'il vient de beaucoup plus loin que moi et qu'il aura du mal à se faire entendre dans son pays. Nous ne pouvons pas balayer ces faits d'un revers de main. À Bruxelles, certains sont persuadés que leurs idées sont bonnes – ce qui, très souvent, est vrai –, mais il faut un travail considérable pour les mettre en oeuvre. Je suis convaincue que, tous, nous ne sommes pas assez proches des populations.

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Thierry Libaert, membre du Comité économique et social européen

En matière de représentativité, constatons au moins que deux écueils majeurs sont évités : il n'y a pas de « copinage » pour la désignation à une activité bénévole, et personne ne se bat pour devenir conseiller au CESE. On y consacre beaucoup de temps, c'est assez fatigant, et nous ne recevons aucune rémunération en contrepartie. Il ne peut pas non plus y avoir de procès en manque de représentativité : même si l'on peut toujours débattre sur tel ou tel point, l'ensemble des grandes composantes des intérêts de l'Union est représenté.

Enfin, nos méthodes de travail méritent d'être évoquées. Contrairement à la règle dans les parlements nationaux ou au Parlement européen, notre but n'est pas d'adopter un texte à l'arraché, avec à peine plus de 50 % des voix ; nous ne sommes satisfaits que si plus de 80 % des collègues ont voté un texte sur lequel les industriels, les organisations syndicales et la diversité du monde associatif européen se sont mis d'accord au préalable. Il n'est pas toujours parfait, on y manie parfois la langue de bois, mais nous avons le sentiment qu'avec cette méthode, nous parvenons à progresser ensemble.

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je suis très satisfait par nos échanges, qui ne peuvent que faire progresser l'idée européenne. D'autres rencontres pourraient permettre de traiter de questions comme celles qu'a posées M. Jérôme Lambert, et de travailler sur des dossiers en cours au CESE.

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Nous vous remercions tous pour votre présence. Ce dialogue fructueux nous encourage à organiser une future table ronde afin que nous puissions approfondir nos échanges.

II. Examen du rapport d'information de MM. Bernard Deflesselles, Jérôme Lambert et Arnaud Leroy sur les négociations climatiques et les perspectives pour la COP 22

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Je dois vous prier d'excuser notre collègue Arnaud Leroy, co-rapporteur, qui n'a pu se joindre aujourd'hui à nous.

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Madame la Présidente, chers collègues, je vais tout d'abord vous présenter les fondements de l'Accord de Paris, issu de la COP21, qui constitue le socle de la négociation qui aura lieu lors de la COP22 à Marrakech.

L'Accord de Paris est un accord de bonne facture. Un travail tout à fait remarquable a été effectué par la diplomatie française. Ces sommets se font sous l'égide des Nations Unies, mais le pays hôte dispose d'un rôle tout à fait particulier : il peut être très constructif ou décevant. Lors des huit dernières COP, certains pays étaient très actifs et ont fait basculer le cours de choses, tandis que d'autres malheureusement ne se sont pas révélés à la hauteur de nos espérances. En l'occurrence, pour la COP de Paris, le travail réalisé était de bonne qualité.

Rappelons donc que pour la première fois depuis 1992, soit l'établissement de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Climat, un accord rassemble un nombre exceptionnel de participants. Sur les 194 pays membres des Nations Unies, pratiquement 180 se sont engagés.

C'est intéressant, car pour le Protocole de Kyoto, dont je rappelle qu'il a été signé en 1997 et mis en oeuvre en 2005, il a fallu huit ans pour le mettre en oeuvre, après l'accord des Parlements nationaux. Un seuil identique avait été fixé pour la ratification de l'Accord de Paris, soit 55 pays signataires représentant 55 % des émissions. Elle a cette fois été très rapide, puisqu'à ce jour, plus de 100 pays ont signé l'Accord et de nouveaux pays le signent tous les jours, représentant presque 70 % des émissions. Il s'agit d'une bonne nouvelle car le 4 novembre, l'Accord de Paris est devenu applicable, moins d'un an après la COP de décembre 2015.

Cela démontre une vraie prise de conscience au niveau international, que nous observons depuis plusieurs années. Lors de nos déplacements à l'étranger, nous avons remarqué à chaque occasion une réponse forte au problème du réchauffement climatique : chaque pays disposait d'une feuille de route pour organiser la lutte contre ce phénomène. Une prise de conscience a eu lieu et la Conférence de Paris a été un vrai catalyseur.

L'Union européenne a ratifié assez rapidement, voulant aller au-devant de cet enjeu. Rappelons que chaque pays pouvait ratifier l'Accord de Paris – ainsi, la France l'a ratifié très rapidement – mais que l'Union européenne a souhaité faire de même : celle-ci a toujours été un leader en la matière, à l'avant-garde de ce combat. Le dernier paquet énergie-climat prévoit en effet de diminuer de 40 % des émissions de dioxyde de carbone, de porter à 27 % la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique, et d'accroître de 27 % l'efficacité énergétique.

Que vaut cet accord et comment le qualifier ? Il s'agit d'un accord moyennement contraignant. Nous voulions, à l'instar de ceux qui participent à ce combat depuis de très nombreuses années, un traité juridiquement contraignant. Mais nous ne sommes pas parvenus à ce qu'il le soit tout à fait.

Un premier point positif est que chaque pays a transmis ses feuilles de route – j'appelle ainsi ce que le langage de l'ONU appelle des INDC, ou « Intended Nationally Determined Contributions ». Sur la base du volontariat, chaque pays a donné ses objectifs, son calendrier et ses moyens d'actions afin de déposer la contribution qu'il apporte à la lutte contre le réchauffement climatique. Ces engagements ont été contrôlés et coordonnés par les Nations Unies, ce qui constitue un progrès : auparavant, l'ensemble des pays agissait en ordre dispersé en ne se soumettant pas à un exercice aussi complexe.

Le point négatif, et il est très sérieux, est que la synthèse des contributions de tous les pays –près de 180, car très peu de pays n'ont pas transmis leur feuille de route – révèle qu'il n'est pas possible d'atteindre l'objectif de limitation du réchauffement climatique à deux degrés celsius. Je rappelle que l'objectif est de limiter ce réchauffement climatique à 2° C, voire si possible à 1,5° C. On se dirige actuellement plutôt vers une augmentation de la température de 3 à 3,5° C, ce qui n'est pas acceptable : 2° C constitue une limite déjà très élevée, et à partir de 3,5° C de réchauffement, on observe de vrais dérèglements climatiques, des problématiques de transferts de population, de santé publique, etc. Il s'agit d'un véritable problème dont la COP de Marrakech doit s'emparer.

Un deuxième sujet concerne les émissions globales de gaz à effet de serre. Les estimations divergent, mais elles s'élèveraient à 36 milliards de tonnes, auxquelles il faut ajouter 4 à 5 milliards engendrées par la déforestation, pour un total d'environ 41 milliards de tonnes. Selon les scientifiques, en 2030, ces émissions seraient de l'ordre de 55 milliards de tonnes si rien n'est fait. Cela implique que pour limiter à 2° C le réchauffement climatique, il faudrait qu'en 2030 ces émissions soient de 41 à 42 milliards de tonnes. Nous sommes donc très loin de notre cible. Cela signifie que si l'on a observé une avancée réelle, si les pays ont bien fait des efforts, annoncé des contributions et se sont engagés, si les Nations Unies ont effectué un travail remarquable, malheureusement la somme des efforts demeure très éloignée de ce qui serait nécessaire.

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Les enjeux de la COP22 ont une dimension pratique : il s'agit de passer de la parole aux actes. L'Accord de Paris est satisfaisant dans les intentions et objectifs qu'il fixe, mais il nous faut maintenant le mettre en oeuvre. C'est l'objet des discussions en cours depuis la signature de l'Accord.

Du fait de l'insuffisance des contributions nationales, nous sommes loin de nous maintenir sur une trajectoire limitant le réchauffement climatique à 2°C, et encore moins à 1.5°C. Comment parvenir à respecter l'objectif de cet accord alors que chaque année, nous battons des records de température ? Les chiffres ne sont pas encore définitifs, mais des études récentes démontrent que l'année 2016, succédant aux années 2014 et 2015, sera l'année la plus chaude que le globe, de mémoire d'homme, ait pu connaître.

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Les 16 ou 17 premières années de ce siècle correspondent aux 16 ou 17 années les plus chaudes depuis que l'on mesure la température mondiale, soit pratiquement depuis 1880. Il s'agit donc d'une tendance très lourde.

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Si la nature de l'Accord et le système de contrainte politique mis en place ont permis de rallier le plus grand nombre de pays, il est indéniable que l'Accord de Paris offre peu de garanties quant à la réalisation effective des objectifs fixés par les États. Le processus instauré s'appuie sur la valorisation des initiatives positives, sans qu'une revue négative des réalisations n'exerce réellement de conséquences dommageables pour les États, sauf en matière de confiance politique : un Etat ne respectant pas ses engagements sera montré du doigt, mais c'est le seul risque auquel il s'expose, et c'est uniquement un risque politique.

En l'absence de sanctions, l'effectivité des obligations des États demeure donc assez relative et dépend essentiellement de leur bonne volonté.

Il s'agit désormais de faire passer les engagements d'un texte énonçant des grands principes à des actions véritables, et rythmées par des procédures de report et de vérification susceptibles de garantir une véritable transparence. En effet, le niveau d'exigence posé par l'Accord au niveau mondial est contradictoire avec la faiblesse des contraintes qui pèsent sur les États.

La COP 22 doit être l'occasion pour les États de prendre acte de cette insuffisance, qui doit les pousser à présenter rapidement des contributions plus ambitieuses, dès 2018. C'est une étape qui s'impose désormais.

Le traité doit s'appliquer à partir de 2020 et la révision des objectifs est prévue par le traité tous les cinq ans : il est toutefois impensable que les États restent inactifs dans la période préalable et que les objectifs trop limités avancés en 2016 ne soient pas modifiés avant 2025.

Au rythme constaté du réchauffement climatique, ces quelques années d'inaction ne sont pas un luxe que la communauté internationale peut s'accorder.

Nous faisons face à des questions relative aux obligations de chaque Etat et au financement, car si les sources de financement sont à peu près trouvées, il faut savoir à quoi serviront ces financements, à qui ils bénéficieront, de quel contrôle leur usage fera-t-il l'objet ? Tellement de questions restent en suspens, en dépit du caractère essentiel de l'accord global. L'enjeu de la COP 22 et des suivantes est de permettre des avancées significatives dans la réalisation effective des objectifs, et c'est ce que doit permettre Marrakech.

M. William Dumas, doyen d'âge, remplace Mme Danielle Auroi à la présidence.

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Il ne faut plus qu'il s'agisse d'une COP de transition mais d'une COP d'action. À mon sens, afin de considérer comme réussie la COP de Marrakech, il faut réaliser deux objectifs. Le premier consiste en la révision des feuilles de route des Etats, car est inséré dans l'Accord de Paris une clause de revoyure, tous les 5 ans, au cas où, comme nous venons de nous en apercevoir, l'addition des engagements de tous les Etats ne nous permet pas de rester sur une trajectoire nous menant à un réchauffement climatique limité à 2° C.

Et cette clause nous permet de revisiter les feuilles de route des Etats aux alentours de 2023. Or l'idée de certains scientifiques et de certains négociateurs est de procéder à cette révision dès 2018. Il pourrait donc y avoir à Marrakech un débat portant sur la suggestion selon laquelle, du fait de l'urgence et du fait que nous nous dirigeons vers un réchauffement de 3 à 3,5° C, il ne faut pas attendre 2023 et demander la révision des engagements de tous les pays en 2018. Ce sera difficile à obtenir, mais c'est vraiment un objectif fort.

Le deuxième objectif, me semble-t-il, porte sur la question financière. Rappelons que cette question est tout à fait centrale. L'engagement pris en 2009 à Copenhague visait à allouer à la lutte contre le réchauffement climatique 100 milliards de dollars tous les ans, à partir de 2020. Aujourd'hui, une étude réalisée par l'OCDE il y a quelques mois indique que les contributions mobilisées seraient de 67 milliards de dollars, soit les deux tiers de l'objectif, au prix d'un calcul incluant des crédit et lignes budgétaires de toutes sortes. Ce rapport a été contesté au motif que l'OCDE aurait additionné tout et n'importe quoi, et que des lignes budgétaires déjà existantes – l'aide au développement, par exemple – ont été incluses de façon trop large. Ce rapport a donc fait feu de tout bois afin d'obtenir un total aussi conséquent que possible.

Les deux objectifs sont donc de répondre aux enjeux suivants : premièrement, sera-t-on capable de modifier la trajectoire, c'est-à-dire d'exiger de tous les pays qu'ils modifient leurs feuilles de route et qu'ils les soumettent à nouveau à la CCNUCC en 2018 afin de baisser les niveaux d'émissions, et deuxièmement, sommes-nous capable de mobiliser la somme prévue initialement en 2009 pour lutter contre le dérèglement climatique ?

Si l'on arrivait à obtenir un accord sur ces deux points, une grande partie du chemin aurait été parcourue. Mais la réalisation de tels objectifs risque d'être difficile.

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Demeure aussi une grande interrogation quant au comportement du futur gouvernement américain. Il s'agit d'un enjeu capital car tout tient à l'adhésion des États-Unis à cet accord, l'adhésion des États-Unis ayant emporté celle de la Chine, de l' Inde et d'autres pays.

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Merci tout d'abord aux rapporteurs. Votre rapport est excellent et très bien rédigé. En effet, un problème consiste en l'urgence qu'il y a à répondre au défi climatique et à relever une ambition mondiale. Je pense qu'un deuxième sujet m'interpelle : il s'agit de la prise de conscience de l'opinion publique. Il est important que cette dernière réalise que le changement climatique est en train de se produire, et entraine tout un ensemble de conséquences que nous observons dès à présent, au plan climatique ou de l'immigration, qui s'accélérera si les décisions prises lors de cette grande conférence internationale ne s'appliquent pas de manière concrète.

Ensuite, le fait que les États-Unis aient signé cet accord est fondamental. Ils ont en effet prévu de verser 3 milliards de dollars pour le Fonds Vert, ce qui est très important. Il est rassurant de constater que le responsable de la diplomatie américaine concernant ce sujet, M. Jonathan Pershing, est en poste jusqu'en 2020. J'ose espérer qu'il restera en poste jusqu'au moment prévu afin d'assurer une continuité de l'action américaine. Je pense d'ailleurs qu'accompagner en France un changement de gouvernement par une modification de la feuille de route serait une grossière erreur. Nous assisterons prochainement à un changement de gouvernement, peut-être un changement de majorité, mais j'ose espérer qu'il y aura une continuité dans une action supérieure, d'intérêt général.

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Concernant les États-Unis et Trump en particulier, ce dernier, lors de sa campagne électorale, s'est tout d'abord très clairement rangé parmi les climato-sceptiques. Rappelons tout de même qu'une grande partie du Congrès américain partage cette position. Jérôme Lambert et moi-même nous sommes plusieurs fois déplacés au Congrès lors des dernières années. Nous y avons rencontré des sénateurs et des représentants, des démocrates et des républicains, et nous ne pouvons pas affirmer avoir constaté un engouement extraordinaire pour la lutte contre le dérèglement climatique, loin s'en faut. Or, il ne vous aura pas échappé qu'avec l'élection de Donald Trump, les deux chambres du Congrès restent acquises aux Républicains, ce qui constitue un obstacle.

Ma deuxième observation est que lors de sa campagne, Trump a déclaré être climato-sceptique, a qualifié le réchauffement climatique d'invention chinoise visant à miner la compétitivité des entreprises américaines, s'est engagé à réaliser le projet d'achever l'oléoduc Keystone XL, à rouvrir les mines de charbon, etc.

Que fera-t-il maintenant ? Modifiera-t-il sa ligne ? Il avait même à un moment pensé dissoudre l'Agence nationale de l'environnement. Il s'agissait donc de propositions très fortes. Il avait par ailleurs annoncé vouloir sortir de l'Accord de Paris, et ne pas verser les contributions prévues.

Juridiquement, la situation est plus complexe : en théorie, l'Accord a été mis en oeuvre et les États-Unis ne devraient pas pouvoir en sortir d'ici à 2020. Mais les États-Unis pourraient néanmoins sortir juridiquement de la CCNUCC, c'est-à-dire de la Convention des Nations Unies pour le changement climatique. Dans ce cas, les États-Unis pourraient ensuite sortir de l'Accord de Paris, un an après leur sortie de la CCNUCC. Il y a donc un risque. Peut-être que cela ne se produira pas, mais il ne s'agit pas d'un signal très positif.

Les États-Unis sont très partagés. Le Congrès est plutôt hostile : je me souviens des démocrates que nous avions rencontrés lorsqu'Obama était aux affaires, qu'on appelait les « blue dogs » et qui étaient contre l'accord.

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Le Congrès américain est essentiellement, comme nous le savons tous, le représentant des lobbies. Il peut y avoir des lobbies écologistes représentant des associations importantes, mais leur poids est minime face aux lobbies charbonniers, pétroliers, etc.

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Ainsi même des élus démocrates, faisant partie de la majorité d'Obama, votaient contre les textes. Il s'agit donc d'un enjeu transpartisan. En revanche, à la différence du Congrès, certains États réalisent des choses extraordinaires. La Californie est à l'avant-garde, avec une politique environnementale tout à fait comparable et même supérieure à la nôtre. L'Amérique est donc un peu partagée en deux, mais l'élection de Trump peut peser sur cet accord.

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Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen

Il existe plusieurs sortes de climato-sceptiques : il y a ceux qui nient le réchauffement climatique, et il y a ceux, dont je me sens plus proche, qui admettent l'existence de ce réchauffement mais qui, malgré les conclusions du GIEC, ne sont pas absolument certain qu'il soit entièrement dû aux émissions de gaz à effet de serre. C'est un fait que dans l'histoire de notre univers, il y a eu des exemples d'épisodes de glaciation et de réchauffement climatique, qui ne devaient sans doute rien à l'activité humaine.

Je voudrais savoir si vous et les différentes instances internationales, et notamment la COP22 de Marrakech, n'envisagez pas tout de même le scénario catastrophe, c'est-à-dire soit celui dans lequel, en dépit de nos efforts, le système de contrôle que nous avons mis en place échouerait car les États-Unis le rejetteraient, entrainant derrière eux la Chine, la Russie et l'Inde et rendant impuissante l'Europe occidentale, soit celui, qui me paraît rationnellement possible mais pas du tout certain, dans lequel l'ensemble des pays s'accorderaient à limiter leurs émissions de CO2 mais où cela ne suffirait pas à empêcher le réchauffement climatique.

Ce qui me frappe est que j'ai l'impression qu'il n'existe pas de réflexion à propos de ce qui pourrait arriver malgré tout de positif, afin d'aménager un réchauffement climatique. Il est certain que si le réchauffement climatique se poursuit, il engendrera vraisemblablement une catastrophe dans le Sahel, ainsi que dans un certain nombre de secteurs géographiques comparables, mais dans d'autres secteurs secteur comme par exemple en Sibérie, où le permafrost a commencé et va continuer à fondre, ce qui représente des inconvénients comme des dégagements de gaz naturel mais aussi des avantages : un certain nombre de terres deviendraient cultivables, la Route du Nord peut devenir praticable, etc. Peut-être y a-t-il un certain nombre de conséquences positives à envisager de la perspective de la poursuite, en dépit de tous les efforts des uns et des autres, du réchauffement climatique.

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Ces sujets font l'objet de conférences et d'études très fouillées dans les milieux scientifiques. Tout d'abord, on ignore si l'activité humaine est la seule cause du réchauffement. Des causes naturelles peuvent exister, des cycles climatiques ont eu lieu. Peut-être assistons-nous justement à un cycle de refroidissement naturel, contrarié par l'activité humaine. Peut-être sommes-nous dans un cycle de réchauffement ou de neutralité, ce qui est possible.

En revanche, ce qui est certain, et tout le monde le sait, est que la proportion de dioxyde de carbone dans l'atmosphère ne cesse d'augmenter. Comme nous savons tous que le dioxyde de carbone est un gaz à effet de serre, nous pouvons tous en déduire que si sa concentration dans l'atmosphère augmente, il existe forcément un effet de serre plus important. On ne peut donc nier l'impact de l'activité humaine, par l'augmentation de la part de dioxyde de carbone dans l'atmosphère.

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Sur ce sujet-là, nous avons vécu, Jérôme Lambert et moi-même une expérience intéressante il y a quelques années : dans le Nord de la Norvège, nous sommes allés voir les carottages de glace, invités par le gouvernement norvégien. Il s'agit d'une technique consistant à percer la calotte glaciaire et à en extraire des cheminées de glaces très hautes et de les analyser. Celle qui a été extraite devant nous datait d'il y a deux mille ans.

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Certaines de ces études portent sur huit-cent mille ans.

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La question porte sur la vérification des niveaux de parties par million – les fameuses PPM – de dioxyde de carbone dans ces carottes glaciaires, c'est-à-dire la trace de ce dioxyde de carbone. Le résultat est qu'au moment où nous parlons, nous trouvons des concentrations de dioxyde de carbone s'élevant actuellement à 400 particules par million dans la calotte glaciaire. À l'époque de la Révolution Industrielle, c'est-à-dire en 1850, ces concentrations étaient de l'ordre de 250 PPM. On voit donc très bien qu'en 150 ans, il y a eu lieu une accélération des émissions de CO2 concomitante du développement industriel, c'est-à-dire de la mécanisation et à l'utilisation du pétrole, du gaz et du charbon.

Concernant le débat sur l'impact de l'activité humaine, le GIEC affirme dans ses études être sûr à 90 ou 95 % que l'activité humaine est en jeu dans le phénomène du réchauffement.

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Sur la question de savoir s'il n'y aurait pas des aspects positifs au réchauffement : évidemment cela provoque déjà et va continuer à provoquer des bouleversements dans le monde. Le bouleversement de l'équilibre du monde serait-il un des aspects positifs du réchauffement climatique ? On peut se poser la question car lorsque les terres de Sibérie – qui en effet, lorsqu'elles se réchauffent, libèrent beaucoup de gaz à effet de serre – deviendraient des greniers à blé, il faudra se demander pour qui et comment ces terres seront exploitées. Comment feront les centaines de millions de gens qui vivent aujourd'hui sur des terres difficiles et qui deviendront impossible à habiter ? Ils iront en Sibérie, mais les Russes accepteront-ils des migrations de centaines de millions de gens ? Ces « aspects positifs » du réchauffement risquent d'entrainer des bouleversements très graves.

Des études affirment que lors de la dernière glaciation, que nos ancêtres ont pu connaître car il y avait des hommes sur Terre, il y a 20 000 à 30 000 ans, la température moyenne de globe était inférieure d'environ 2 à 4° C à la température moyenne d'aujourd'hui. Il s'agit d'une différence ridicule : si la glaciation qui a emmené la banquise à la hauteur du Danemark et les neiges éternelles à 800 mètres d'altitude en France correspondait à 3 ou 4° C en moins par rapport à la température actuelle, que provoqueraient 3 à 4° C en plus ? Cela est donc de nature à nous inquiéter fortement.

Je préfère éviter de me contenter des aspects positifs, alors que la Sibérie deviendrait un paradis, si les trois quarts ou la moitié du reste du monde devient un enfer.

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Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen

Bien entendu. Je me posais simplement la question de savoir s'il existait des études quant aux aménagements possibles.

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En ce qui concerne les carottes glaciaires, je pense qu'il s'agit d'études fiables.

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De l'an zéro à 1850, la courbe des températures mondiales est plate, à quelques perturbations près causées par des éruptions volcaniques, et à partir de 1850 la courbe augmente de façon exponentielle.

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Nous ne sommes pas des scientifiques, pas des experts ou des spécialistes, donc nous devons prendre appui sur les études, les experts et la communauté scientifique. C'est au politique d'en prendre connaissance et de mettre en place des politiques publiques, comme nous l'avons vu avec l'Accord de Paris. J'accorde donc plutôt ma confiance aux scientifiques et aux véritables experts, qui tout de même nous alertent sur ce changement climatique qui fait l'objet d'un consensus. En l'absence d'action forte, nous ne modifieront pas la tendance ascendante de la température mondiale. Il y a certes des cycles, comme on l'a vu autour de 1787 avec l'existence d'un petit cycle de refroidissement en France, ayant entraîné la disette, l'augmentation terrible du prix du blé, les famines, et ayant peut-être été l'une des causes de la Révolution française. Je pense donc qu'il y a une tendance qu'il faut prendre en compte.

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On n'a pas assez salué les scientifiques, car c'est leur travail qui a permis d'identifier le réchauffement climatique. Cela fait vingt ans que le GIEC publie des rapports. Or le GIEC est un réseau de plusieurs centaines, voire de plus de mille experts (glaciologues et spécialités connexes) au niveau mondial. Ils peuvent certes se tromper ou réaliser des modèles erronés, mais on observe tout de même une tendance lourde. On peut donc plutôt se fier à des scientifiques plutôt qu'à des hurluberlus – je crois qu'il n'y a pas d'autre terme.

Enfin, notre faiblesse est l'absence d'un accord juridiquement contraignant. Les feuilles de route engendrent des obligations déclaratives. Les Etats ont fait preuve de bonne volonté pour les présenter à la CCNUCC, mais ils ne sont pas tenus par ces obligations et par le résultat des contrôles. Il s'agit d'une obligation de moyen mais non de résultat. Il n'existe donc pas de contrôle à l'exception du MRV, tel que l'ONU le désigne, mais qui reste aléatoire, et aucune sanction n'est prévue .

Le Protocole de Kyoto fournit un exemple : il s'agissait d'un traité international signé et ratifié par une grande partie des pays, et qui énonçait l'objectif de diminuer de 4 % les émissions de gaz à effet de serre – objectif modeste. En définitive, ces émissions ont augmenté de 15 ou 18 % dans les pays signataires, car il n'existe pas suffisamment de contrainte ni de contrôle, et surtout pas assez de sanctions. C'est la faiblesse de cet accord, avec les questions monétaires, même si cela progresse.

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Vous mentionniez la prise de conscience des populations. Or, j'étais aux États-Unis il y a un mois concernant la question du gaz de schiste. Je suis allé en Pennsylvanie, où il commence à y avoir une prise de conscience, mais cet Etat a largement soutenu Trump. Pourtant l'eau courante n'y est pas consommable, par exemple. En dépit des nuisances liées à l'activité minière, les gens étaient attachés aux recettes que cette dernière procurait. J'espère qu'à Marrakech, on assistera à un engagement des Etats.

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Il faut transformer l'essai et passer à l'acte. Pour cela il faut trouver le financement nécessaire et il faut réussir à modifier nos engagements pour rester sur une trajectoire nous conduisant à un réchauffement climatique limité à 2° C.

III. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport de la Présidente Danielle Auroi, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

l Textes « actés »

Aucune observation n'ayant été formulée, la Commission a pris acte des textes suivants :

Ø ENVIRONNEMENT

- Règlement (UE) de la Commission modifiant le règlement (CE) nº 11852009 du Parlement européen et du Conseil relatif aux statistiques sur les pesticides en ce qui concerne la liste des substances actives (D04697601 – E 11590).

Ø ESPACE LIBERTE SECURITE JUSTICE

- Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion, au nom de l'Union européenne, d'un accord entre l'Union européenne et le Royaume de Norvège établissant des règles complémentaires relatives à l'instrument de soutien financier dans le domaine des frontières extérieures et des visas, dans le cadre du Fonds pour la sécurité intérieure, pour la période 2014-2020 (COM(2016) 658 final – E 11587).

- Proposition de décision du Conseil relative à la signature, au nom de l'Union européenne, et à l'application provisoire d'un accord entre l'Union européenne et le Royaume de Norvège établissant des règles complémentaires relatives à l'instrument de soutien financier dans le domaine des frontières extérieures et des visas, dans le cadre du Fonds pour la sécurité intérieure, pour la période 2014-2020 (COM(2016) 659 final – E 11588).

Ø FISCALITE

- Proposition de directive du Conseil mettant en oeuvre une coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières. (COM(2013) 0071 final – E 8098).

Ø PROTECTION des DONNÉES

- Décisions Prüm - Projet de décision d'exécution du Conseil concernant l'échange automatisé de données relatives à l'immatriculation des véhicules à Malte, à Chypre et en Estonie, et remplaçant les décisions 2014731EU, 2014743EU et 2014744EU du Conseil (1300016 LIMITE – E 11582).

- Décisions Prüm - Projet de décision d'exécution du Conseil concernant l'échange automatisé de données relatives aux données dactyloscopiques en Lettonie, et remplaçant la décision 2014911UE du Conseil (1300516 LIMITE – E 11583).

- Décisions Prüm - Projet de décision d'exécution du Conseil concernant l'échange automatisé de données relatives aux données ADN en Slovaquie, au Portugal, en Lettonie, en Lituanie, en République tchèque, en Estonie, en Hongrie, à Chypre, en Pologne, en Suède, à Malte et en Belgique, et remplaçant les décisions 2010689UE, 2011472UE, 2011715UE, 2011887UE, 201258UE, 2012299UE, 2012445UE, 2012673UE, 20133UE, 2013148UE, 2013152UE et 2014410UE du Conseil (1300716 LIMITE – E 11584).

l Textes « actés » de manière tacite

Accords tacites de la Commission liés au calendrier d'adoption par le Conseil

La Commission a également pris acte de la levée tacite de la réserve parlementaire, du fait du calendrier des travaux du Conseil, pour les textes suivants :

Ø ELARGISSEMENT et VOISINAGE

- Décision du Conseil autorisant la Commission européenne et le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité à ouvrir des négociations, au nom de l'Union européenne, sur les dispositions d'un accord global entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République d'Azerbaïdjan, d'autre part, qui relèvent de la compétence de l'Union, et les autorisant à négocier de telles dispositions (1330716 – E 11591).

- Décision des représentants des gouvernements des états membres, réunis au sein du Conseil autorisant la Commission européenne à ouvrir des négociations, au nom des États membres, sur les dispositions d'un accord global entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République d'Azerbaïdjan, d'autre part, qui relèvent de la compétence des États membres, et l'autorisant à négocier de telles dispositions (1330816 – E 11592).

Ø MARCHE INTERIEUR

- Proposition de décision du Conseil établissant la position à adopter au nom de l'Union européenne, au sein des comités compétents de la Commission économique pour l'Europe des Nations unies, sur les propositions d'amendements aux règlements nos 7, 16, 37, 44, 45, 46, 48, 53, 78, 80, 83, 86, 87, 99, 105, 107, 110, 121, 128 et 129 de l'ONU, sur une proposition de nouveau règlement de l'ONU sur les systèmes d'adaptation des moteurs de véhicules utilitaires lourds à la bicarburation, sur les propositions d'amendements aux règlements techniques mondiaux nos 15 et 16 de l'ONU, sur les propositions de deux nouveaux règlements techniques mondiaux de l'ONU sur la procédure de mesure applicable aux véhicules à deux ou trois roues équipés d'un moteur à combustion interne, l'un concernant certains types d'émissions et l'autre les systèmes d'autodiagnostic, ainsi que sur la proposition de nouvelle résolution sur une spécification commune des catégories de sources lumineuses (R.E.4) (COM(2016) 684 final – E 11599).

Ø POLITIQUE ETRANGERE ET DE SECURITE COMMUNE (PESC)

- Décision du Conseil relative à une contribution de l'Union à la mise en place et à la gestion sécurisée d'une banque d'uranium faiblement enrichi (UFE) sous le contrôle de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) dans le cadre de la stratégie de l'UE contre la prolifération des armes de destruction massive (1371416 LIMITE – E 11611).

Ø PÊCHE

- Proposition de règlement du Conseil établissant, pour 2017 et 2018, les possibilités de pêche ouvertes aux navires de l'Union pour certains stocks de poissons d'eau profonde (COM(2016) 643 final – E 11537).

La séance est levée à 18 h 50