Délégation aux outre-mer

Réunion du 6 décembre 2016 à 17h00

Résumé de la réunion

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  • outre-mer
  • ultrapériphériques

La réunion

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La séance est ouverte à 17 heures 20.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, président.

La délégation procède à l'audition de de M. Claude Girault, directeur général adjoint à la direction générale des outre-mer.

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Monsieur le directeur général, je suis tout à fait heureux de vous souhaiter la bienvenue au nom de la Délégation aux Outre-mer, et je vous remercie d'être venu avec votre collaborateur, M. Stanislas Cazelles, nous entretenir de l'avancement des dossiers ultramarins dans les institutions européennes.

Ce sujet intéresse bien sûr l'ensemble des outre-mer français, même si, comme nous le savons tous, le droit européen ne les prend pas en compte de manière uniforme, puisqu'il distingue les régions ultrapériphériques (RUP) des pays et territoires d'outre-mer (PTOM).

Pour les régions ultrapériphériques, la difficulté demeure de faire admettre, par les institutions bruxelloises, les aménagements à l'application des règles communautaires que justifient les caractéristiques de leurs territoires. Notre collègue M. Letchimy avait eu l'occasion d'aborder le problème à travers la mission qui lui avait été confiée il y a quelques années maintenant par le Premier ministre, et dans le rapport qui en était issu. Mais c'est un sujet de débat récurrent, tant il est vrai qu'aux yeux de l'Union européenne, un mécanisme perçu comme une dérogation ne peut pas être durablement à l'abri de remises en cause de son bien-fondé et, dès lors, de son existence.

Nous savons tous aussi que les décisions prises par l'Union européenne à propos de certains produits essentiels pour nos territoires, tels que le sucre et la banane, ont des répercussions très importantes, pour ne pas dire vitales, sur les populations ultramarines concernées.

Votre audition nous semblait donc nécessaire pour faire le point sur des processus communautaires qui avancent selon leur propre logique – assez indépendante des vicissitudes de la politique nationale – et qui appellent de notre part une vigilance particulière.

Il n'est pas question de montrer du doigt la Commission et les institutions européennes. Avant de siéger à l'Assemblée nationale, j'ai été pendant huit ans député au Parlement européen et je suis un fervent partisan de la construction européenne. Mais il y a des constats que l'on est bien obligé de faire.

Je vous remercie donc d'être venus devant notre Délégation pour nous apporter des réponses aux questions que nous nous posons sur l'actualité européenne.

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Claude Girault, directeur général adjoint à la Direction générale des outre-mer

Monsieur le président, j'ai demandé à Stanislas Cazelles, sous-directeur des politiques publiques à la Direction générale des outre-mer, de m'accompagner. C'est en effet un praticien et un fin connaisseur de l'actualité européenne, notamment outre-mer, et il pourra préciser certains de mes propos.

Les sujets européens sont vraiment un des coeurs de métier et un des coeurs de l'action de la ministre des outre-mer qui, la semaine dernière encore, s'est rendue avec des élus ultramarins à Bruxelles pour rencontrer la commissaire Margrethe Vestager et parler de la révision du règlement général d'exemption par catégorie, le RGEC. C'est un axe d'action fort ancien du Gouvernement. Nous travaillons depuis longtemps sur ce thème. Plusieurs étapes ont été franchies, et nous sommes heureux d'avoir poussé à cette révision du RGEC, à propos de laquelle le Président de la République, le Premier ministre et le président de la Commission européenne sont intervenus.

Au cours de cette mandature, nous avons également beaucoup travaillé et discuté avec Bruxelles sur l'octroi de mer et sa reconduction.

Nous sommes arrivés à une étape importante, puisque les discussions sur la RGEC et sur l'octroi de mer sont à nouveau ouvertes.

Par ailleurs, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, nous travaillons à valoriser et à exploiter toutes les potentialités de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne – sur la mise en oeuvre de dispositifs spécifiques en faveur des RUP. Et le travail du député Letchimy, sans être notre livre de chevet, est un des fondements de l'action du ministère des outre-mer.

La ministre est très attachée à la bonne prise en compte des régions ultrapériphériques dans la révision des politiques communautaires, en particulier des politiques de cohésion. Avec les élus ultramarins, nous nous efforçons de développer cette approche auprès de la Commission, qui la reçoit plutôt favorablement. J'en veux pour preuve la dernière rencontre des autorités de gestion des fonds européens, qui s'est tenue à Strasbourg il y a quelques semaines. Comme cette rencontre correspondait à une session du Parlement européen, un dialogue très approfondi a pu s'instaurer avec des présidents de régions, y compris ultrapériphériques. Un échange informel a même eu lieu au cours d'un dîner avec plusieurs commissaires européens, dont Mme Corina Cretu, la nouvelle commissaire chargée de la politique régionale, et Mme Marianne Thyssen, la commissaire européenne chargée de l'emploi – un portefeuille très important pour le FSE (Fonds social européen).

Par ailleurs, M. Jean-Claude Juncker, président de la Commission, et les commissaires européens compétents tiendront une session de travail, le 30 mars prochain, avec les présidents des RUP des trois États membres qui en comportent, l'Espagne, le Portugal et la France. La ministre des outre-mer prendra toute sa part à la préparation de cette session, qui devrait permettre de sensibiliser la Commission à ce que l'on appelle le « poste 2020 », autrement dit les politiques de cohésion après 2020.

De la même façon, nous avons sensibilisé la Commission – c'est d'ailleurs un des axes d'action de notre ministère et de notre direction générale en particulier – sur la clôture de gestion des programmes européens 2007-2013.

Nous sommes en train de nous réorganiser, au sein de la direction générale, pour travailler avec l'ensemble des autorités de gestion dans les régions ultrapériphériques. Mais le panorama des autorités de gestion outre-mer est complexe ; la discussion avec les collectivités territoriales outre-mer a conduit à des situations qui le sont tout autant. Les fonds sont partagés entre l'État, les régions et les collectivités uniques, là où il y en a – Martinique, Guyane et Mayotte. Le conseil départemental de Mayotte n'ayant pas souhaité prendre cette compétence, l'État est resté la seule autorité de gestion des fonds européens destinés à cette collectivité.

Nous sommes dans une phase d'achèvement des audits de certification des autorités de gestion. Nous n'avons donc pas tout à fait terminé, ce qui nous préoccupe. Les programmations sont faites dans un certain nombre de situations, mais les paiements risquent de prendre quelque retard. Voilà pourquoi nous nous sommes mobilisés, avec le Commissariat général pour l'égalité des territoires, pour que la dynamique des fonds européens produise ses effets sur nos territoires. Ce n'est pas à la délégation aux outre-mer que j'expliquerai qu'il existe sur ces territoires une forte tension sur l'emploi, et que les fonds européens sont absolument nécessaires à leur développement. La perspective « post 2020 » ne doit pas se traduire, pour les territoires ultramarins de l'Union, par des pertes.

Par ailleurs, si l'on n'y prend pas garde, le Brexit peut avoir un effet en Martinique, que sa situation de richesse relative peut conduire à sortir de certains mécanismes européens. Aucune décision n'a été prise, mais nous sommes entrés dans une phase très proactive, au cours de laquelle nous devrons faire preuve de pédagogie vis-à-vis de la Commission.

Nous avons eu le sentiment, lors de nos derniers contacts, qu'aussi bien les services de la Commission que les directions générales de la Commission ou les commissaires eux-mêmes portaient une réelle attention aux spécificités des régions ultrapériphériques. Un certain nombre de commissaires se sont déplacés et prévoient de se déplacer régulièrement dans nos territoires, que ce soit dans l'Atlantique ou dans l'océan Indien – à La Réunion et à Mayotte, dont la situation particulière est bien prise en compte.

Tout à l'heure, monsieur le président, vous avez évoqué le calendrier politique de la France par rapport à celui de l'Union. C'est ce que nous disent à la fois nos collègues des services de la Commission et les commissaires : il faut que le mandat de la Commission se déroule normalement dans le cadre du calendrier qui est le sien.

Les vingt-huit États ont leur propre calendrier électoral, et aucun ne doit prévaloir sur les autres – hormis celui qui est lié au Brexit. Nous devons nous préparer sans attendre que l'élection présidentielle et les élections législatives qui la suivent soient passées. N'oublions pas que le calendrier de la Commission la conduira à finaliser à l'été 2017 les premières orientations des programmes européens.

Les travaux de la Délégation, qui sont très larges, nous seront très précieux. Ils nous aideront à construire un discours, des propositions, à sensibiliser les uns et les autres sur les retards économiques de nos territoires ultramarins et sur la nécessité de leur octroyer des aides à l'emploi, qui sont au coeur du FSE et de l'IEJ (Initiative pour l'emploi des jeunes).

Nous devons aussi porter attention à l'éventuelle absence d'engagement de projets ou de paiements. On ne peut pas, en effet, tenir un discours sur la situation très dégradée ou très préoccupante de nos territoires en termes de développement économique et social et d'égalité réelle si, en même temps, les fonds disponibles ne sont, soit pas programmés, soit pas engagés. Cela risque de fragiliser grandement le message politique que le Gouvernement, le Parlement national et les élus peuvent porter.

Nous sommes donc très soucieux de la qualité de la gestion. Certes, nous avons pu rencontrer des difficultés dues au fait que nous avons organisé, conformément aux décisions du Parlement et aux orientations voulues par la majorité, le transfert d'une grande partie de la gestion des fonds européens aux régions. Ces difficultés ont pu retarder l'organisation des différents dispositifs. Mais nous nous efforçons de rattraper ces retards.

Voilà donc quelques éléments rapides sur les actualités européennes. Je laisserai Stanislas Cazelles compléter mon propos sur les points qu'il a plus particulièrement suivis, notamment sur le RGEC.

Je remarquerai, de manière un peu humoristique, que la première destination de travail de la direction générale des outre-mer n'est pas l'outre-mer… mais Bruxelles. Nos échanges les plus fréquents – et les plus soutenus – se font avec les services des différentes directions générales de la Commission, en particulier celles de la politique régionale et urbaine et celle de la concurrence – DG REGIO et DG Concurrence.

Il faut expliquer, sans jamais se lasser, la spécificité de nos territoires, leur situation et le caractère absolument indispensable de l'accompagnement européen. Il faut démontrer que nos territoires ne vont pas porter de graves atteintes à la libre circulation et aux différentes libertés fondamentales de l'Union, auxquelles nous sommes tous attachés, et que les spécificités citées à l'article 349 ne vont pas lourdement entraver la concurrence dans ces territoires. La taille, l'éloignement et l'insularité de ces territoires s'opposent à leur rentabilité économique, et justifient que l'on prenne en compte certaines situations.

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Stanislas Cazelles, sous-directeur des politiques publiques à la Direction générale des outre-mer

Monsieur le président, je me propose de vous donner quelques éléments sur la négociation en cours sur les aides d'État, qui sont sans doute le sujet le plus actuel. Je pourrai revenir ensuite, si vous le souhaitez, sur les fonds européens et sur une séquence importante prévue en mars prochain.

On appelle « aides d'État » l'ensemble des aides aux entreprises qui sont interdites par l'Europe, dans la mesure où la construction européenne s'est faite sur l'idée d'un marché qui se régule. Bien sûr, le droit européen prévoit des exceptions à cette interdiction globale. Voilà pourquoi le travail de fond du ministère de l'outre-mer consiste à faire rentrer dans les catégories d'exceptions qui existent toutes les aides que nous accordons à nos entreprises ultramarines. Et pour qu'il y ait une exception, il faut, grosso modo, soit une contrainte spéciale, soit un motif d'intérêt général.

On peut invoquer un motif d'intérêt général quand on aide le logement social, la création d'entreprises ou la conservation du patrimoine, etc. Outre-mer, on a plutôt tendance à invoquer, pour justifier les interventions de l'État, les contraintes spéciales que supportent les entreprises. Dans les régions ultrapériphériques, les contraintes mises en avant sont celles qui figurent à l'article 349, à savoir la petite taille des marchés, l'éloignement, l'insularité, le climat, et d'autres éléments de cette nature.

Le raisonnement paraît simple, d'autant plus que l'on explique que nos outre-mer sont aujourd'hui dans une situation de moindre développement que le reste de la moyenne européenne et qu'il est donc nécessaire de les aider durablement. Ce contexte a d'ailleurs permis la conclusion, à l'été 2015, d'un accord politique entre le Président de la République et le président de la Commission européenne sur le maintien, dans la durée, des 2,5 milliards d'intervention de l'État dans les économies. Mais autant cet accord politique a été relativement facile à expliquer et à obtenir, autant sa traduction juridique constitue une difficulté lourde, quotidienne, depuis maintenant un an et demi.

J'ai identifié quatre sources de difficulté, que je me permets de vous citer pour organiser le propos.

La première, c'est la multiplicité des acteurs dans les négociations européennes. Il y a bien sûr la Commission, mais derrière elle, il y en a beaucoup d'autres. Il y a bien sûr la France, mais il y a aussi l'Espagne et le Portugal avec lesquels nous essayons toujours d'arriver groupés pour être plus forts dans la discussion. Il nous faut donc comprendre les mécanismes des Açores, de Madère et des Canaries, ce qui est une source supplémentaire de complexité. Il y a bien sûr les entreprises et leurs représentants – soit leurs représentants organisés à Bruxelles, soit leurs représentants dans les fédérations. Sans oublier le niveau interministériel, où tout le monde ne tient pas forcément un discours convergent.

La deuxième source de difficulté, c'est une sorte de méfiance réciproque et des sentiments un peu ambivalents.

Du côté de l'Union européenne, il y a ce que l'on pourrait appeler, de façon assez atroce, « d'autres pauvres » que les régions ultrapériphériques : les « territoires faiblement peuplés » ; un certain nombre d'États qui sont rentrés dans une deuxième ou troisième vague d'élargissement, dont les niveaux de développement sont plus bas par rapport à la moyenne européenne ; enfin, de nombreuses petites îles de la Méditerranée : Malte, Chypre, toutes les petites îles de la Grèce et les Baléares. La crainte est que, dès l'on accorde quelque chose aux régions ultrapériphériques, d'autres demandent les mêmes dérogations.

Il y a aussi la méfiance des paradis fiscaux, méfiance absurde et sans fondement quand on connaît l'histoire de nos outre-mer, mais qui est très présente dans les vérifications que la Commission fait de façon permanente.

De notre côté, il peut être difficile de comprendre l'enjeu européen, pour les échanges intra-communautaires comme pour les libertés fondamentales évoquées par Claude Girault, de certaines vérifications pointilleuses. Par exemple, dans les douze derniers mois, la Commission a lancé deux vérifications un peu approfondies : la première portait sur le dispositif de continuité intérieure à la Guyane, et donc sur les subventions aux billets d'avion entre le fond de la forêt guyanaise et Cayenne ; la seconde portait sur la tarification des bouteilles de gaz à la Réunion. (Marques d'étonnement) C'est compliqué pour nous, car il nous faut entrer dans le raisonnement de l'autre et accepter sa façon de penser.

La troisième source de complexité, à mon avis la plus importante, est qu'il nous faut expliquer que nos systèmes de soutien aux entreprises sont des systèmes de masse, et non des systèmes précis et ponctuels.

Quand on aide les tissus économiques ultramarins, on aide une économie dans sa globalité à être plus riche en emplois que ce qu'elle pourrait spontanément être du fait des complexités que l'on a évoquées. On n'aide pas l'équivalent de la desserte entre Marseille et la Corse ou du développement de telle vallée perdue des Alpes ou des Pyrénées, on aide un secteur global de l'économie. On ne peut donc pas connaître et mesurer tous les effets de cette aide de façon aussi chirurgicale que les effets des aides d'État auxquelles la Commission est habituée. Celle-ci a spontanément une approche très individualisée, parcellisée, chiffrée, calculée, qui, en pratique, n'est pas adaptée à un régime de masse.

On peut considérer, de façon rustique, que les aides aux entreprises ressortent à peu près de dix régimes différents, et s'adressent à environ 150 000 entreprises, soit l'équivalent d'1,5 million de décisions individuelles d'aide chaque année. Aussi bien, ce système ne peut-il pas être contrôlé de façon individuelle, ni par aide, ni par entreprise. Il n'y a que les aides à finalité régionale, dans les régions ultrapériphériques, qui soient aussi massives. Ainsi, la Commission n'a pas de cadre pré-pensé dans lequel elle puisse prendre en compte notre complexité.

Pour répondre à cette complexité, nous avons innové avec elle, en lançant une étude qui a été confiée à un cabinet extérieur à l'administration, avec un comité de pilotage et des universitaires – afin de se prévaloir de la crédibilité d'un regard extérieur. Il s'agissait de montrer comment nos régimes de masse ne favorisaient pas plus les économies que les surcoûts liés aux handicaps structurels de l'article 349.

Cette étude qui associait des socio-professionnels, des universitaires, des représentants des collectivités à travers la Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer (CNEPEOM) et l'ensemble des administrations concernées, a duré un an. Elle a conduit à un rapport, que l'on pourra vous remettre si vous le souhaitez, et qui tente, au plan macroscopique, de faire cette démonstration que nous ne pouvons pas faire au plan microscopique, entreprise par entreprise.

La quatrième source de complexité est que derrière la Commission européenne, il y a plusieurs réalités. Il y a bien sûr la DG Concurrence, mais il y a aussi la Direction générale Fiscalité et union douanière. Et les systèmes sont « à double clé ». Cela signifie qu'il faut à la fois l'accord de l'une et l'autre directions. Et parfois, comme dans toute organisation humaine, même si tout le monde tire dans le même sens, la discussion avec les uns et la discussion avec les autres n'est pas la même. Et puis, comme dans les organisations classiques, interviennent à la fois l'échelon administratif et l'échelon plus politique, autour des commissaires. Ce jeu à plusieurs est encore une source de difficulté.

On retrouve ce système de double clé à deux niveaux extrêmement sensibles pour les économies ultramarines :

En premier lieu, l'année 2014 et l'année 2015 ont été consacrées à l'autorisation de l'octroi de mer par la Commission au titre des mesures fiscales ; puis l'année 2016 et l'année 2017 l'ont été à l'autorisation de l'octroi de mer au titre des mesures d'aides aux entreprises. Cela peut sembler paradoxal, mais cela représente quatre ans de travail, avec les administrations bruxelloises, autour d'un dispositif qui a été voté par les parlementaires en 2014, et qui est mis en oeuvre au quotidien par les entreprises et par les directions des douanes sur le territoire.

En second lieu, le système de fiscalité réduite sur les exportations de rhum des DOM dans le commerce hexagonal a fait l'objet d'une autorisation au titre de la fiscalité et d'une autorisation au titre des aides d'État. De la même façon, la demande de révision qui est en cours est soumise à ce double système.

On retrouve ce système des doubles clés quand on aide l'agriculture ou la pêche. Or les règles de fonctionnement de la Direction générale de l'agriculture et du développement rural, ou celles de Direction générale des affaires maritimes et de la pêche, sont différentes de celles de la DG Concurrence.

Dans un certain nombre de cas, il nous faut donc faire face à des règles dont la complexité est liée à la construction juridique européenne.

Où en sommes-nous aujourd'hui ?

Dans un double souci de simplification administrative et de consolidation durable des 2,5 milliards d'euros d'aide aux entreprises, la Commission européenne a proposé de passer d'un régime d'autorisation à un régime de déclaration. Ce n'est donc plus l'État français qui demande à la Commission d'autoriser ces régimes d'aide aux entreprises : il les déclare dans un système d'exceptions préexistant, le fameux règlement général d'exemption de notification.

Neuf régimes vont ainsi pouvoir être déclarés par la France dans le cadre de ce règlement. Le principal d'entre eux est le régime d'exonération de charges sociales patronales, qui représente environ 1 milliard d'euros, donc une part très importante des aides. De son côté, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) majoré pour l'outre-mer représente plusieurs millions d'euros.

Le dixième régime, celui de l'octroi de mer, est notifié au titre des aides de l'État. La notification a eu lieu le 25 novembre dernier, et le processus d'autorisation, sur lequel nous avons obtenu un certain nombre de garanties administratives et politiques, devrait conduire à une approbation formelle par la Commission d'ici la fin du premier trimestre 2017.

Globalement, la négociation sur les aides d'État sera achevée d'ici à la fin du premier trimestre 2017. Mais, rien n'étant jamais définitif avec la Commission européenne, car toutes les réglementations connaissent une « date de péremption », elle reprendra pour la période commençant en 2020.

Les fonds européens, qui représentent une masse financière considérable investie par nos concitoyens dans les outre-mer, ne peuvent qu'être considérés de façon positive au regard de leur importance. En effet, seul l'effort conjoint des vingt-huit États membres de l'Union européenne permet d'atteindre un tel niveau financier.

L'effort de gestion demeure toutefois très lourd, car, de façon systématique, on travaille sur trois régimes de fonds européens simultanés.

L'application du régime de ces fonds pour la période 2007-2013 est en cours d'achèvement, mais elle ne cessera véritablement qu'à la fin de l'année 2017, après une clôture dont, au demeurant, les opérations se passent plutôt bien. Notre seule inquiétude a porté sur un risque de reprise de 60 millions d'euros de fonds alloués par le fonds européen de développement régional (FEDER) en Guadeloupe et à la Réunion, du fait d'une règle de gestion contraignante imposant l'équilibre entre les aides au fonctionnement et les aides à l'investissement. Or, l'aide à l'investissement avait bien été exécutée telle que programmée, mais l'aide au fonctionnement avait fait l'objet d'une moindre réalisation.

Du fait de la difficulté de la mise en route de l'aide au fret, dispositif créé en 2009, et qui se trouvait alors en cours de cycle, la Commission européenne a dans un premier temps considéré que, le fonctionnement n'ayant pas été réalisé à 100 %, il fallait rabaisser l'investissement afin de ramener les deux au même niveau. Il nous était demandé de niveler l'investissement au niveau de la partie du tableau pour laquelle nous avions été le moins performants. Au terme d'une âpre bataille, nous avons toutefois obtenu gain de cause au mois de novembre dernier.

S'agissant du régime 2014-2020, le premier moment de vérité interviendra au premier trimestre 2017, lorsque nous ferons, à mi-parcours, le bilan des trois premières années. Nous nourrissons quelques inquiétudes : d'une part, l'État ne maîtrise plus tous les leviers, ce qui crée une difficulté supplémentaire dans le suivi ; par ailleurs, certaines pesanteurs dans la mise en route – rencontrées aussi par les régions métropolitaines – ont conduit à des taux d'exécution inférieurs à 20 %, ce qui est nettement insuffisant pour la période considérée.

Nous avons commencé à travailler sur le troisième cycle, « post 2020 » selon le jargon bruxellois, à cet égard notre grande inquiétude est que la tentation de faire toujours plus vert, plus bleu, plus intelligent, plus moderne et vertueux, fasse oublier à tout le monde que nos outre-mer ont encore besoin d'un certain nombre d'équipements de bases qui font défaut, du fait du développement de leur démographie, plus particulièrement à Mayotte ou en Guyane, ou d'un problème d'accès à l'eau, comme en Guadeloupe.

L'enjeu majeur à nos yeux est de prévenir un décrochage conduisant les fonds européens à ne plus se préoccuper que d'innovation, de nouvelles technologies ainsi que d'économie intelligente et non polluante, au lieu de répondre à nos besoins de base.

À l'échelon interministériel ainsi qu'avec nos interlocuteurs espagnols et portugais, nous préparons un évènement politique important, qui aura lieu au mois de mars prochain à Bruxelles : le forum d'échanges entre les États membres, les RUP et la Commission. Cet évènement donnera lieu à une communication de la Commission, qui devrait intervenir au mois de septembre 2017, et orienter son travail pour plusieurs années.

Enfin, comme l'a dit Claude Girault, la première destination du ministère de l'outre-mer est Bruxelles. Nous sommes fiers d'avoir obtenu que nos amis des services bruxellois se rendent outre-mer, où se tiennent beaucoup de réunions intéressantes, car la mise au contact avec la réalité du terrain est importante. La Direction générale de la politique régionale et urbaine, qui possède la culture des territoires, s'est ainsi déplacée. Nous avons par ailleurs réussi à faire venir à Paris la Direction générale de la concurrence pour évoquer concrètement les questions fiscales et douanières, et nous espérons bien les faire venir outre-mer un jour ; mais des frontières psychologiques importantes restent à franchir.

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Merci pour ces présentations qui nous éclairent, et nous permettent de constater que les problèmes ne datent pas d'hier, qu'ils sont toujours les mêmes. Nous éprouvons toujours la même difficulté, oscillant entre des périodes où nous avons le sentiment de parvenir à convaincre de la nécessité de tenir compte de la spécificité de l'outre-mer, et d'autres, plus heureuses.

Il n'est pas douteux que ces variations soient liées aux changements politiques, tel le Brexit, qui a des conséquences pour la Martinique, mais, de son côté, la France est déjà en période électorale, bientôt suivie par l'Allemagne, alors que le referendum italien s'est déroulé il y a quelques jours. Il s'agit de quatre pays dont le poids historique et politique est important, et ces périodes d'incertitude ne facilitent pas les choses.

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Il semblerait que, le 28 novembre dernier, se soit tenu à Bruxelles un comité spécial consacré à l'agriculture biologique. Dans ce cadre, la France serait susceptible de signer un accord assez préjudiciable aux territoires ultramarins, particulièrement en ce qui concerne la banane.

Disposez-vous d'informations supplémentaires à ce sujet ?

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Claude Girault, directeur général adjoint à la Direction générale des outre-mer

À l'instant précis, je ne peux répondre que par la négative. Je n'exclus pas que, parmi les très nombreux sujets qui nous préoccupent, cette information circule au sein des services et entre les ministères. Nous nous efforcerons de vous apporter une réponse.

C'est en effet à la suite d'échanges entre services que nous avons tenté tant bien que mal de rattraper les informations relatives à l'accord portant sur le sucre. La préparation de cet accord s'était égarée dans des considérations, sans doute fondées en termes diplomatiques généraux, mais qui ne prenaient pas en compte les conséquences massives que les termes de l'accord pouvaient avoir sur nos économies sucrières, particulièrement à la Réunion.

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Grosso modo, on permet aux pays exportant vers l'Europe d'appliquer leur propre réglementation dans le domaine de l'agriculture biologique, alors que l'on impose aux territoires ultramarins les normes européennes qu'ils ne peuvent respecter : s'ils respectent ces règles, ils produisent à des coûts qui ne sont pas compétitifs.

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Claude Girault, directeur général adjoint à la Direction générale des outre-mer

Nous connaissons bien ces sujets, et la Direction générale aux outre-mer dispose de spécialistes de ces questions, qui sont extrêmement attentifs à ces situations, particulièrement celle de la production de banane aux Antilles. Je me propose donc de faire en sorte qu'une réponse précise soit adressée à M. Houillon.

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Stanislas Cazelles, sous-directeur des politiques publiques à la Direction générale des outre-mer

Cette forme d'inégalité de traitement existe déjà aujourd'hui entre le « bio » européen, y compris ultramarin, et le bio des autres. C'est ce qui explique l'importante mobilisation de 130 millions d'euros par an de fonds européens en faveur du secteur de la banane, plus des aides au transport, qui ont pour objet de compenser ces différentiels de compétitivité, à la fois en masse salariale et en productivité globale.

Je ne prétends pas que cela est suffisant, et qu'une nouvelle menace n'est pas susceptible de peser sur ce secteur, mais nous sommes d'ores et déjà très préoccupés par le sujet de la production de bananes.

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Il serait intéressant de conduire une réflexion sur la question suivante : si les normes européennes sont adoptées dans le but de protéger le consommateur, ce qui est probablement le cas, et que l'on accepte que le consommateur consomme des produits provenant de pays extérieurs tenus à des normes moindres ; quid de la mise en danger de la vie d'autrui ou d'autres concepts juridiques particulièrement intéressants ?

Or cette réflexion n'a jamais été faite – elle mériterait de l'être. Si l'objet est la protection du consommateur, pourquoi accepter ces normes moins exigeantes et moins protectrices du consommateur ? Sous réserve de plus d'investigation, la réponse négative paraît juridiquement tout à fait soutenable.

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Claude Girault, directeur général adjoint à la Direction générale des outre-mer

En ce qui regarde la protection du consommateur, vous avez raison ; il me semble toutefois que les produits alimentaires mis sur le marché pour la consommation humaine sont supposés ne pas mettre la santé en péril.

En revanche, il est indéniable que les qualifications données aux produits, bio ou non bio, doivent protéger la santé humaine, faute de quoi ces produits ne peuvent pas être mis sur le marché. Les motivations de l'activité de l'agriculture biologique la font contribuer à la santé humaine, mais la mise en danger de la vie d'autrui pourrait difficilement être retenue à l'appui d'un de recours devant la justice.

Avec vos collègues du Sénat, nous avons évoqué il y a peu la question de ces inexplicables distorsions de concurrence, provenant de ce que certaines entreprises labellisées bio ont des productions très éloignées de nos propres critères. Et l'Europe, dans le contexte de liberté des marchés et du respect des règles de concurrence, risque d'être soumise à de sérieuses difficultés liées à une excessive distorsion de la concurrence, susceptible de concerner la santé humaine.

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J'ai souhaité prendre l'image forte de la mise en danger de la santé humaine, mais bien d'autres voies juridiques sont ouvertes. Avec un raisonnement simple, il est possible de considérer que les normes édictées visent un objectif particulier, sauf à vouloir pénaliser les seuls producteurs de l'Union européenne, et que cet objectif est considéré comme pertinent. Si l'on admet par ailleurs des normes moins exigeantes, ce qui est le cas dans la production bio, car elle semble concernée par une actualité récente, ou non bio…

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C'est pourquoi nos producteurs ont lancé la banane française, pour résister à la concurrence. Si l'on considère que ces objectifs sont pertinents, que ce soit au titre de la santé publique ou de l'information du consommateur, par exemple, afin de lutter contre l'acceptation de normes moins contraignantes, il faut trouver la qualification juridique pour pouvoir agir.

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Vous avez raison, mais il y a plus de dix ans que nous débattons de ce sujet…

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Claude Girault, directeur général adjoint à la Direction générale des outre-mer

La France n'a jamais saisi la Cour de justice européenne de la question, monsieur le président.

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Nous avons péché par naïveté en imaginant obtenir gain de cause par la discussion avec les instances européennes ; nous pourrions passer à un autre stade, il faut voir comment, et c'est à vous de nous le dire.

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Il faut saisir la Cour de justice européenne ; le sujet mérite une consultation.

La séance est levée à 18 heures 15.