Séance en hémicycle du 11 janvier 2017 à 21h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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  • socle

La séance

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport d’information de la commission des affaires européennes sur le socle européen des droits sociaux et la convergence sociale et salariale dans l’Union européenne.

La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes ainsi que la présidente de la commission des affaires européennes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions suivies de leurs réponses. Je vous rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes.

La parole est à M. Joël Giraud.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, chers collègues, le 8 mars 2016, la Commission européenne a lancé une vaste consultation et présenté une première ébauche de ce qui doit devenir le socle européen des droits sociaux. Cette initiative s’inscrit dans le cadre des travaux entrepris par la Commission en vue d’une Union économique et monétaire plus approfondie et plus équitable. Comme le président Juncker l’a souligné, l’initiative vise la zone euro, tout en permettant à d’autres États membres de s’y joindre s’ils le souhaitent.

À cette fin, tout au long de l’année 2016, la Commission a engagé un débat avec les autres institutions de l’Union européenne, les autorités et les parlements nationaux, les partenaires sociaux, la société civile, des experts issus du monde universitaire et les citoyens. La commission des affaires européennes de notre assemblée a décidé de répondre à cette consultation, via le rapport dont nous discutons aujourd’hui.

Mettre en place un socle européen des droits sociaux est nécessaire parce que la crise économique de ces dernières années a eu des conséquences sociales importantes qui entravent les possibilités de croissance et les performances économiques futures de toute l’Europe. Dans le même temps, par son rythme et son ampleur, l’évolution en cours du monde du travail combinée à l’évolution démographique continue de transformer les conditions d’emploi.

S’agissant en particulier des États membres qui partagent la monnaie unique, il est clair que la réussite future de la zone euro dépend beaucoup de l’efficacité des marchés du travail et des systèmes de protection sociale nationaux, ainsi que de la capacité de l’économie à absorber les chocs et à s’y ajuster.

Certes, un acquis social de l’Union européenne existe. Des règles européennes ont été édictées en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, en matière de conditions de travail, notamment en ce qui concerne les droits des jeunes au travail, le travail intérimaire, à temps partiel et à durée déterminée, en matière de protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur ainsi qu’en ce qui concerne le temps de travail. De même, des directives ont été adoptées, notamment pour lutter contre la discrimination en matière d’emploi.

L’acquis social de l’Union est complété par des fonds structurels et d’investissement européens, en particulier le Fonds social européen – FSE –, qui aide chaque année plus de quinze millions de personnes à valoriser leurs compétences et facilite leur intégration dans le marché du travail en luttant contre l’exclusion sociale et la pauvreté et en renforçant l’efficacité des administrations publiques.

La Commission a pris d’autres mesures dans le domaine social. Ainsi, au cours du mandat actuel, elle a mis l’accent sur les considérations sociales dans la coordination des politiques économiques dans le cadre du semestre européen ainsi que dans le cadre de ses travaux visant à mieux légiférer. Elle a mis en place l’initiative pour l’emploi des jeunes, l’IEJ, pour encourager la lutte contre le chômage des jeunes.

Néanmoins, l’Union européenne reste une vaste zone de libre-échange entre États, dérégulée du point de vue social et fiscal. Il est consternant de constater qu’en son sein le dumping social et fiscal est la règle. Cette concurrence absurde au sein de l’Union européenne dégrade les conditions de vie des citoyens européens, prive les États de recettes et sape les solidarités entre les peuples.

Le présent rapport de la commission des affaires européennes expose une vingtaine de propositions précises, que le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutient parce qu’elles ont pour objectif de permettre une meilleure coordination économique, indispensable à la zone euro en particulier et à l’Union européenne dans son ensemble, d’adapter le droit du travail et la protection sociale aux nouvelles formes d’emploi liées à la numérisation de l’économie et au développement de la pluri-activité, enfin de lutter contre la pauvreté qui s’accroît sur notre continent.

Les radicaux de gauche soutiennent tout particulièrement la mise en place d’une politique permettant la convergence des salaires, en commençant par l’instauration d’un salaire minimum dans chaque État membre, l’imposition de normes sociales au niveau européen et la mise en place de prestations sociales européennes.

Comme le propose Jacques Delors, il faut aller encore plus loin vers l’Europe sociale, en premier lieu en réalisant, notamment par des mécanismes de stabilisation automatiques, une convergence socio-économique au sein de l’Union économique et monétaire et de l’Union européenne. Il convient ensuite d’instaurer un véritable marché du travail européen, avec une mobilité accrue au sein de l’Union et des droits sociaux accessibles dans toute l’Europe. Il faut, enfin, promouvoir des investissements sociaux pour jeter les bases d’une croissance inclusive et de la compétitivité.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le Président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires européennes, chers collègues, le débat qui nous occupe aujourd’hui intervient dans le cadre d’une consultation lancée par la Commission européenne dans le but de formuler des propositions sur un socle européen des droits sociaux. C’est un projet indispensable, je dirais même urgent, tant l’Europe est devenue aux yeux de nos concitoyens le symbole des politiques d’austérité, du dogme de la concurrence non faussée et des régressions sociales.

Au moment de célébrer le soixantième anniversaire du traité de Rome et les trente ans du programme Erasmus, un constat s’impose : l’Europe n’est plus porteuse d’espoirs. Pire, elle fait figure de repoussoir pour un nombre croissant d’Européens. Le Brexit en est la dernière expression.

Cette initiative est donc salutaire. Elle ne saurait toutefois faire oublier qu’au même moment cette même commission, appuyée par les gouvernements libéraux et socio-libéraux, continue d’imposer des mesures d’austérité à plusieurs pays européens. La Grèce continue d’être le laboratoire de ces politiques qui se traduisent concrètement par un affaiblissement des services publics, la perte de droits sociaux ou la baisse des pensions de retraite et entraînent pauvreté, chômage et inégalités.

En France, depuis la ratification en 2012 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, traité budgétaire qui généralise l’austérité et que devait renégocier le candidat Hollande, le Gouvernement s’empresse de suivre scrupuleusement les dernières recommandations européennes en matière économique et sociale. Comment ne pas évoquer la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », ou la loi « Travail » ? Ces textes n’ont fait que reprendre à leur compte les préceptes bruxellois de non-concurrence et de « flexisécurité », contribuant ainsi à la casse des professions réglementées et à l’affaiblissement des protections des travailleurs.

À l’inverse, au sein de notre groupe, nous n’avons cessé depuis le début du quinquennat d’exiger une réorientation des politiques européennes vers plus de justice sociale, tout comme nous dénonçons la mise en concurrence sociale organisée, via l’explosion du nombre des travailleurs détachés.

Dans ce cadre, la refonte de la directive sur les travailleurs détachés de 1996 apparaît comme la première des priorités. Force, en effet, est de constater que les modifications apportées en 2014 à la directive et transposées dans notre droit dans le cadre de la loi visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, dite loi Savary, n’ont pas permis de réguler le travail détaché, qui ne cesse de progresser en Europe et en France. Une nouvelle tentative de révision de la directive a été engagée cette année par la Commission européenne mais elle se heurte à l’opposition des pays de l’Est. Le nouveau texte, qui comporte de timides avancées, risque de ne jamais voir le jour.

Dans ce contexte, le socle européen des droits sociaux doit, selon nous, poursuivre un seul objectif : l’harmonisation sociale vers le haut.

Se pose ensuite la question du contenu du socle. Sur ce point, je voudrais vous faire part de plusieurs remarques. Nous considérons tout d’abord que le socle ne peut se contenter d’être la somme de droits individuels : il doit également reconnaître les droits collectifs – je pense au droit à la négociation collective ou au droit des travailleurs de participer aux décisions économiques de l’entreprise. En ce sens, la recommandation du Conseil économique social et environnemental – CESE –, selon laquelle ce projet doit intégrer les conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail et la Charte sociale européenne, nous paraît judicieuse.

Nous sommes également favorables à l’instauration d’un salaire minimum européen. Il s’agit d’une mesure intéressante, à condition qu’elle soit assortie d’objectifs précis de convergence et s’accompagne d’un alignement des charges sociales, faute de quoi elle débouchera sur une Europe sociale à la carte, comme on le constate pour le travail détaché.

D’autres mesures sont indispensables : l’harmonisation des droits au chômage, des droits à la retraite et de la couverture santé, la promotion de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou encore le développement de dispositifs en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes.

Enfin, ce projet de socle européen doit aller de pair avec une harmonisation fiscale au travers de la convergence des différentes bases d’imposition sur les sociétés, qui diffèrent fortement selon les pays. Il s’agit d’un enjeu majeur car sans cela l’harmonisation sociale vers le haut restera lettre morte.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous abordons ce soir un sujet sur lequel le groupe socialiste, écologiste et républicain a beaucoup travaillé depuis le début de la législature, notamment au sein de la commission des affaires européennes. J’ai d’ailleurs pour ma part été l’année dernière en charge de deux rapports sur le sujet : l’un sur l’assurance chômage européenne et celui dont nous débattons aujourd’hui, qui porte sur le socle européen des droits sociaux, écrit en collaboration avec Philip Cordery, qui a lui-même présenté un rapport sur le salaire minimum européen. Nous ne saurions évidemment oublier les travaux de notre collège Gilles Savary, qui ont fait avancer la question épineuse du détachement des travailleurs.

L’Union européenne souffre, vous le savez, d’un déficit de popularité qui s’explique notamment par le fait qu’elle est perçue comme imposant des contraintes budgétaires lourdes au profit d’un libéralisme économique qui ferait fi des questions sociales. Certes, l’Europe a, jusqu’à une date récente, privilégié dans sa construction l’économique par rapport au social et même au politique. C’est la méthode même des pères fondateurs de l’Europe, qui ont privilégié l’Europe des petits pas et la construction d’un espace économique régi par la libre circulation et la concurrence.

À force de petits pas allant dans le sens de l’unification des marchés et au fil des élargissements successifs, l’Europe a fini par être perçue comme étant à l’origine de la dégradation de la situation des salariés de nombreux pays, notamment à cause de l’avènement de la monnaie unique qui, en privant les États de l’instrument de la dévaluation, fait du coût du travail la variable qui permet la concurrence entre les économies de ces États. Non seulement l’euro n’a pas permis une convergence spontanée des économies, mais il semble bien qu’il ait au contraire creusé les différences entre le coeur et la périphérie de l’Europe.

Toutefois, il est injuste de prétendre que l’Europe ne se préoccupe pas du social. En effet, bien que les politiques sociales ne soient pas une compétence propre de l’Union européenne, la question sociale n’est pas absente des politiques de l’Union. Le Fonds social européen – FSE –, le Fonds européen de développement régional – FEDER –, le Fonds européen d’aide aux plus démunis – FEAD – ou encore l’Initiative pour l’emploi des jeunes, pour ne citer qu’eux, sont autant d’outils aux mains des institutions européennes permettant de promouvoir des politiques sociales et économiques inclusives.

Tout un chacun, que ce soit dans notre pays ou au sein de l’Union, a compris que les taux de chômage et de pauvreté en Europe sont tels qu’il n’est pas envisageable que celle-ci ne se préoccupe pas de social autant que d’économie. La convergence salariale et la convergence sociale sont une condition nécessaire tant de la survie de l’Union européenne dans son ensemble que de la zone euro, voire de l’euro lui-même.

La mise en oeuvre d’une convergence sociale ascendante n’est pas un choix : c’est, de notre point de vue, un impératif. C’est ainsi que nous concevons le socle européen des droits sociaux lancé par la Commission européenne, qui a pour objectif non seulement de consolider l’acquis social de l’Union mais aussi de le faire entrer complètement dans le XXIe siècle, en l’adaptant à la nouvelle donne d’une économie de plus en plus numérisée et collaborative.

En effet, pour lutter contre les inégalités et l’accroissement de la pauvreté et de la précarité, l’État providence doit aussi s’adapter aux mutations du travail. Pour cela il est nécessaire d’ouvrir plusieurs chantiers, comme Sophie Rohfritsch, Philip Cordery et moi-même l’avons indiqué dans notre rapport sur le socle européen des droits sociaux.

Je ne citerai, faute de temps, que les principaux d’entre eux. Je me permets pour le reste de vous renvoyer à la lecture de notre rapport, lequel contient une proposition de résolution européenne qui, en vingt-quatre points pragmatiques et précis, donne à ce socle un triple objectif : permettre une meilleure coordination économique pour favoriser la création d’emplois et l’accès à l’emploi en Europe ; adapter la protection sociale aux nouvelles formes d’emplois liées à la numérisation de l’économie et au développement de la pluri-activité ; enfin, lutter contre la pauvreté en Europe.

Au nombre de ces chantiers indispensables et prioritaires figure la généralisation des droits attachés à la personne – et non au contrat – afin de s’adapter aux nouvelles réalités d’un marché du travail de plus en plus instable et exigeant, sur le modèle du compte personnel d’activité, le CPA, dont le Premier ministre lancera la plate-forme demain matin.

Deuxième exemple, la mise en place de garanties pour les travailleurs de la nouvelle économie, afin d’en finir avec le flou juridique qui permet aux grandes entreprises du numérique d’employer de faux indépendants au détriment de la protection sociale de ces derniers et de l’équilibre de nos comptes sociaux.

Troisième exemple, la mise en place d’une assurance chômage européenne, qui jouerait à la fois un rôle de stabilisateur économique en cas de choc asymétrique et, bien évidemment, de stabilisateur social. Cette assurance chômage pourrait se composer d’une assurance de base commune au niveau européen et d’une partie complémentaire versée par les États nations.

Quatrième exemple, la mise en place d’une couverture santé minimale et d’un salaire minimum dans chaque pays, permettant d’organiser un processus de convergence salariale à l’échelle de l’Union. Dernier exemple, la poursuite de la mobilisation en faveur des jeunes via la pérennisation de la garantie jeunes et l’élaboration d’une législation européenne des stages plus protectrice.

Néanmoins, malgré la bonne volonté des institutions européennes, qui ont lancé cette consultation sur le socle européen des droits sociaux, il nous est permis de nous inquiéter au regard des difficultés rencontrées pour réviser la directive sur le détachement des travailleurs – notre collègue Gilles Savary en parlera.

Les difficultés du processus décisionnel à vingt-huit – à vingt-sept demain – sur des sujets aussi peu consensuels que la protection sociale et la réglementation du marché du travail nous amènent à penser que le socle européen devra sans doute se contenter d’une mise en oeuvre initiale au sein de la seule zone euro.

Nous sommes convaincus qu’un tel projet suppose de relancer le dialogue social européen et de dépasser un pilotage principalement intergouvernemental de l’Europe. Il n’y aura pas d’avancées sociales sans avancées démocratiques et politiques. La tentation, qui existe chez certains, d’un repli national visant à préserver notre modèle social, ne peut conduire qu’à des déconvenues, économiques d’abord, sociales ensuite.

La solution réside bien dans la création d’un socle de droits permettant une convergence sociale et salariale au niveau européen.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, le 9 septembre 2015, lors de son discours sur l’état de l’Union, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a annoncé la mise en place d’un socle européen des droits sociaux qui devait, je le cite, « compléter ce que nous avons déjà fait en matière de protection des travailleurs dans l’Union européenne ».

Il faisait allusion aux règles européennes relatives la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et aux conditions de travail, règles qui s’appliquent à vingt-huit pays aux indicateurs sociaux pour le moins hétérogènes, avec des écarts salariaux allant de un à neuf. Seuls vingt et un pays européens disposent d’un salaire minimum. Le plus élevé est celui du Luxembourg – 1 923 euros – et le plus faible celui en vigueur en Bulgarie – 215 euros. En France, il s’élève à environ 1 460 euros bruts.

Le 8 mars 2016, la Commission européenne a lancé une vaste consultation et présenté une première ébauche de ce qui pourrait devenir à terme ce socle européen des droits sociaux. Il devrait intégrer l’acquis social de l’Union européenne et le compléter par des politiques visant à améliorer le fonctionnement et l’équité des marchés du travail et des systèmes de protection sociale, là encore plus ou moins protecteurs selon les États membres.

Les principes proposés ne remplaceraient pas les droits existants mais offriraient un moyen d’évaluer et à l’avenir de faire converger de façon positive les performances des politiques nationales en matière sociale et dans le domaine de l’emploi. En effet force est de constater, une fois de plus, les différences manifestes entre les États quant aux résultats obtenus en la matière : le taux de chômage est supérieur à 10 % dans notre pays – 25 % chez les jeunes – quand il est passé sous la barre des 6 % en Allemagne – 8 % chez les jeunes. Cela prouve qu’il n’y a pas de fatalité face au chômage et qu’un objectif de plein emploi peut être tenu à condition de s’en donner les moyens.

Par leur rythme et leur ampleur, les mutations économiques combinées aux évolutions démographiques continuent de transformer les conditions d’emploi en Europe. Pour ce qui est en particulier des États membres qui partagent la monnaie unique, il apparaît clairement que la réussite de la zone euro dépend de l’efficacité des leviers des marchés du travail comme des systèmes de protection sociale nationaux. L’objectif doit être de parvenir à absorber les chocs de la mondialisation et de la révolution digitale, à transformer les risques en opportunités.

Le projet de socle de la Commission européenne comprend trois axes : l’égalité des chances et l’accès au marché du travail ; des conditions de travail équitables ; une protection sociale adéquate et viable.

En juillet 2016, le gouvernement français a saisi le CESE de ce sujet et celui-ci a rendu son avis le 14 décembre dernier. Cet avis pose deux conditions à la réussite de ce socle : l’effectivité car créer des droits dont les citoyens ne pourraient pas concrètement faire usage ne ferait que renforcer les doutes et les réserves qui s’expriment aujourd’hui très ouvertement sur l’Europe ; la portabilité car la coordination des régimes de sécurité sociale est essentielle pour permettre la libre circulation des travailleurs, faciliter la prise en charge des patients et permettre la continuité des droits d’Européens de plus en plus mobiles au sein de l’Union, en particulier les jeunes.

La directive sur les travailleurs détachés, qui date de 1996, constitue un parfait exemple de ce qui doit évoluer en Europe. La proposition de révision de cette directive est en cours d’examen au Parlement européen. Les différences d’approche entre États membres rendent la discussion difficile. Je rappelle que l’année dernière, onze pays, dont dix d’Europe de l’est, ont fait front contre cette révision. Je fais confiance à notre collègue des Républicains, l’eurodéputée Elisabeth Morin-Chartier, nommée co-rapporteure de ce projet de révision, pour parvenir, avec d’autres, à un consensus. La procédure législative risque d’être longue mais elle vaut vraiment la peine d’être menée à son terme tant cette directive pénalise nombre d’entreprises françaises, soumises à ce qu’il convient d’appeler un dumping fiscal et social, notamment dans le domaine du transport routier et de la construction.

Si nous parvenons collectivement à réviser cette directive, nous aurons posé les bases concrètes d’une Europe sociale que d’aucuns appellent de leurs voeux. Mais il faudra aller plus loin pour combattre les distorsions de concurrence et apporter la preuve que l’Europe protège plus qu’elle n’expose. Nous voulons défendre le principe « à travail égal, salaire égal » mais aussi « cotisations sociales égales ».

Nous, les Républicains, défendons de longue date l’idée d’une convergence fiscale et sociale à l’échelle européenne. Nous sommes en campagne électorale : François Fillon estime, dans son programme, que le couple franco-allemand devra montrer l’exemple en engageant un processus de convergence économique, fiscale et sociale qui entraînera toute l’Europe. Cela passera par l’instauration d’un impôt sur les sociétés à taux unique, ainsi que par l’harmonisation des taux de TVA et de la fiscalité sur le capital. Vaste programme !

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Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, l’Europe vient d’être violemment secouée par la déflagration du Brexit. Nous découvrons que la construction européenne n’est plus un processus irréversible, que l’Europe peut se disloquer et même disparaître. En outre, notre continent vient d’être confronté de nouveau à la barbarie – en Allemagne cette fois. Nous avons le sentiment que les politiques de sécurité et de renseignement sont insuffisamment coordonnées et manquent d’efficacité.

Les peuples européens ont le sentiment que l’Union européenne est impuissante ; ils ne croient plus en sa capacité à les protéger. C’est précisément ce qui fait l’intérêt à ce débat que nous propose Mme la présidente de la commission des affaires européennes. En effet, pour redonner du sens à la construction européenne, nous devons montrer aux Européens que l’Union européenne peut les protéger des crises économiques et de leurs conséquences sociales, en particulier de la précarité, du chômage, de la pauvreté et du dumping social.

Les députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants ont toujours été favorables à une plus grande convergence des politiques sociales en Europe et ont toujours considéré que l’absence de modèle social européen était l’une des causes de notre faiblesse.

Les questions qui se posent aujourd’hui concernent donc la méthode, l’agenda à privilégier pour parvenir à un socle de droits sociaux ainsi que les garanties que ce socle doit prévoir.

Quant à la méthode, il nous semble que l’organisation d’une plus grande convergence n’aurait pas de sens si, dans le même temps, nous ne mettions pas en oeuvre une plus grande convergence économique, monétaire et fiscale. En effet, comment imaginer mettre en place un socle de droits sociaux sans renforcer la gouvernance de la zone euro, dont les carences accentuent les divergences entre les systèmes sociaux des différents États membres ?

Avec notre collègue Philip Cordery, nous avons d’ailleurs récemment formulé des propositions pour une plus grande intégration économique et monétaire en Europe, en particulier par la mise en place de mécanismes de stabilisation macroéconomique, par une plus grande coordination des politiques économiques, et évidemment par des évolutions institutionnelles qui donneraient corps à ce renforcement de l’Union économique et monétaire.

Par ailleurs, comment imaginer un socle social sans remédier à la première des inégalités en Europe – au-delà des problématiques de sécurité –, à savoir le chômage ? Le changement d’état d’esprit induit par le plan Juncker est maintenant bien ancré à Bruxelles. Il est indispensable de relancer l’investissement en prolongeant et en amplifiant ce plan, qu’on peut considérer comme un succès – le gouvernement français n’y est pas pour grand-chose, quoi que vous ayez pu dire dans cet hémicycle, monsieur le secrétaire d’État – même s’il convient d’en corriger les effets indésirables. Avec notre collègue Razzy Hammadi, nous plaidons d’ailleurs en faveur de sa pérennisation et de son amplification.

En ce qui concerne l’agenda, nous estimons qu’il est possible en quinze ans d’harmoniser les régimes de prélèvements sociaux et de couvertures sociales des différents pays de la zone euro.

La question du contenu de ce socle de droits sociaux est certainement la plus importante. Nous sommes très favorables à l’émergence d’un véritable dialogue social européen – ce sera tout à l’heure le sujet de ma question –, passant par la signature de conventions collectives, afin de poser les jalons d’un salaire minimum et d’une assurance chômage au niveau européen, d’améliorer la portabilité des droits des salariés européens et de favoriser ainsi leur mobilité. Nous sommes enfin persuadés que la montée en puissance du dialogue social européen permettra d’apporter des garanties adaptées aux nouvelles formes de travail et à ce qu’il est désormais convenu d’appeler « l’ubérisation » de l’économie.

Une méthode, un agenda et le dialogue social comme moteur de changement pour construire progressivement le socle européen de droits sociaux : voilà les conditions nécessaires pour parvenir à une Europe plus forte, plus protectrice et plus sociale. C’est cette Europe que notre groupe appelle de ses voeux et dont nous avons plus que jamais besoin.

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La parole est à Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes.

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Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour débattre de la convergence sociale et salariale dans l’Union européenne, sujet crucial pour l’avenir d’une Union très fragilisée. Je crois que je n’ai jamais entendu le mot « social » prononcé tant de fois en si peu de temps dans cet hémicycle et cela me ravit !

La commission des affaires européennes a fait de ce sujet une de ses priorités, depuis le début de notre mandat et tout au long de la présente législature. Ainsi, depuis 2013, nous avons examiné une dizaine de rapports sur les thèmes des travailleurs détachés, des qualifications professionnelles, du dumping social et de la concurrence déloyale, des stages et de l’emploi des jeunes, ou encore de l’assurance chômage et du salaire minimum européen, à l’initiative notamment de mes collègues Chantal Guittet, Gilles Savary, Michel Piron, Philip Cordery, Jean-Patrick Gille et Sophie Rohfritsch. Très récemment, mes collègues Jean-Patrick Gille, Sophie Rohfritsch et Philip Cordery nous ont présenté un rapport sur le socle européen des droits sociaux. Leur travail nourrit substantiellement nos débats de ce soir. Jean-Patrick Gille en a déjà fait une première présentation.

Les vingt-quatre propositions qu’il contient, présentées à notre commission le 6 décembre dernier, poursuivent des objectifs multiples : permettre une meilleure coordination économique, indispensable à la zone euro en particulier et à l’Union européenne dans son ensemble ; adapter le droit du travail à la protection sociale et aux nouvelles formes d’emploi liées à la numérisation de l’économie et au développement de la pluri-activité ; construire un marché du travail unifié et sans distorsion sociale, enfin lutter contre la pauvreté qui s’accroît tous les jours sur notre continent, en particulier en Allemagne.

Tous ces travaux partagent le constat que la construction européenne s’est jusqu’à présent faite essentiellement autour du marché unique, au travers de la suppression des entraves à la circulation des biens et des personnes, tandis que l’Union demeurait incapable de mettre en oeuvre la convergence sociale nécessaire à son bon fonctionnement.

Autrement dit, une construction européenne limitée au dogme de la concurrence libre et non faussée a échoué à être porteuse de progrès social et de protection pour les citoyennes et les citoyens européens les plus faibles et les plus exposés. Alors que le modèle socio-économique européen devait présenter une alternative équilibrée entre l’économie administrée et le libre-échange « sauvage », le « tout-économique » teinté de libéralisme qui s’est peu à peu imposé comme unique boussole du projet européen a eu pour effet de favoriser la casse des systèmes de protection et des filets de sécurité et de faire primer la concurrence sur la coopération et la compétition sur la solidarité.

De fait, tandis que les personnes, les marchandises, les services et les capitaux circulent librement en Europe, les divergences entre législations et systèmes nationaux créent des distorsions qui accroissent les inégalités et alimentent la méfiance et les tensions entre Européens. Les débats houleux que suscite le projet de révision de la directive sur le détachement des travailleurs sont à cet égard emblématiques. En effet, le dévoiement de cette directive, qui fait de certains travailleurs détachés, que ce soit dans le transport ou dans l’agriculture, les nouveaux damnés de la terre, prive d’emploi nombre d’artisans dans notre pays.

Pour faire marcher l’Union européenne sur ses deux jambes, les convergences sociale, salariale et même fiscale doivent constituer l’axe fort de notre travail et du travail des institutions européennes.

La Commission européenne, qui a lancé en mars dernier une consultation sur le socle européen des droits sociaux, l’a bien compris. Ces questions sont très sensibles parce qu’elles relèvent de prérogatives de souveraineté ou de choix de société reflétant des préférences collectives nationales souvent divergentes.

Aussi nous devons nous demander collectivement ce que nous, Européens convaincus, souhaitons encore accomplir ensemble. Dans cette perspective, nous devons penser la convergence sociale progressiste comme un horizon que l’Europe doit se fixer et dont la concrétisation viendrait nourrir un projet renouvelé, sourd aux chants des sirènes nationalistes de tous bords.

Pour ce faire, nous devrons notamment répondre à la question suivante : comment parvenir à un véritable socle commun de droits sociaux qui fasse de l’Union européenne un ensemble socialement intégré et plus homogène ? C’est un choix politique. Il s’agira de donner à l’Europe sociale l’impulsion qui lui manque aujourd’hui et de parvenir à des réalisations suffisamment ambitieuses pour que l’harmonisation sociale ne soit pas synonyme de « convergence vers le bas », en particulier concernant les piliers de l’architecture sociale européenne que sont le salaire minimum et les systèmes d’assurance chômage.

L’autre question délicate est celle de la révision de la directive sur le détachement des travailleurs. Malgré le « carton jaune » que onze pays lui ont opposé, nous devons continuer à réfléchir ensemble à la manière de renforcer les conditions d’une coopération constructive et de lutter contre les dérives actuelles, qui conduisent non seulement à l’exacerbation d’une concurrence illégale mais à des situations d’esclavage moderne, que nous avons maintes fois dénoncées.

Nous avons aujourd’hui, mes chers collègues, l’occasion d’apporter une modeste pierre à cet édifice. J’espère que nos débats et les propositions qui en ressortiront seront étudiées avec soin par la Commission européenne comme par le Conseil, tant en ce qui concerne les travaux relatifs au socle européen des droits sociaux que la révision de la directive sur le détachement des travailleurs.

Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

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La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

Debut de section - Permalien
Harlem Désir, secrétaire d’état chargé des affaires européennes

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires européennes, mesdames et messieurs les députés, je veux d’abord vous remercier de votre invitation à débattre ce soir du socle européen des droits sociaux et de la convergence sociale et salariale dans l’Union européenne. Je remercie particulièrement la présidente de la commission des Affaires européennes, Danielle Auroi, d’avoir obtenu l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de l’Assemblée, dans le prolongement du rapport présenté par Philip Cordery, Jean-Patrick Gille et Sophie Rohfritsch au début du mois de décembre dernier.

Je remercie les rapporteurs pour la qualité de leur travail : leur rapport a enrichi la contribution française à la consultation de la Commission européenne sur le socle européen des droits sociaux.

Le Gouvernement soutient cette initiative de la Commission parce que, comme l’Assemblée nationale, nous sommes convaincus qu’un meilleur équilibre entre les dimensions économiques et sociales de la construction européenne est absolument nécessaire.

L’Union européenne s’est fixé de longue date des objectifs ambitieux en matière de cohésion sociale, de progrès social et de plein-emploi. Elle s’est dotée au fil des ans d’un protocole social, d’une charte des droits fondamentaux et d’une clause sociale horizontale, tous intégrés dans les traités, mais aussi – cela a été rappelé, notamment par Joël Giraud – de nombreuses directives, concernant la santé et la sécurité au travail par exemple, qui constituent un acquis social de l’Union européenne.

Pourtant la vie et le fonctionnement de l’Union européenne continuent d’être marqués par un déséquilibre persistant entre l’économique et le social.

Il y a là des raisons historiques et structurelles, que Jean-Patrick Gille a en partie rappelées. L’Europe s’est construite par l’intégration économique, même si ses buts étaient politiques – et d’abord celui de la paix. Ce sont les règles économiques, la politique de la concurrence, la politique monétaire qui sont devenues petit à petit européennes tandis que le social, lui, malgré les buts sociaux affichés dans l’article 3 du Traité sur l’Union européenne et dans les articles des précédents traités ainsi que dans les directives que j’ai rappelées, est resté pour l’essentiel une compétence nationale.

Dans l’Europe des Six, qui était très homogène, et même dans l’Europe des Douze ou des Quinze, les niveaux de développement économique et social des États membres étaient assez proches et la convergence économique et sociale assez forte pour que cela ne pose guère de problème. Mais dans l’Europe du grand élargissement, à partir de 2004, les écarts des niveaux économiques et sociaux sont devenus plus grands et cette désynchronisation entre l’économique et le social a produit des effets délétères.

La question du détachement des travailleurs en est une illustration. Depuis 1996, date de la directive, comme Isabelle Le Callennec l’a rappelé, la situation a beaucoup changé du fait de cet élargissement. C’est pourquoi la France demande sa révision. Nous avons déjà obtenu une révision de son application mais nous voulons désormais que la directive elle-même soit révisée.

Le Brexit, les fractures sociales et géographiques qu’il a révélées et qu’on retrouve partout en Europe, la montée des populismes, rendent plus nécessaire encore une réponse forte de l’Europe, prouvant qu’elle est une protection économique et sociale dans la mondialisation, un cadre qui tire vers le haut et non vers le bas, qu’elle se dote d’outils et de politiques pour lutter contre le dumping en son sein.

II ne s’agit donc pas de chercher à transférer toutes les compétences sociales au niveau européen. Chaque État membre est attaché à ses compétences en la matière, de même que les partenaires sociaux. Il s’agit de s’assurer qu’existent des éléments communs à toute l’Europe et qu’un dumping inacceptable ne s’instaure pas entre États membres sur la base du « moins-disant » social.

L’enjeu du socle européen des droits sociaux est donc de permettre une convergence vers le haut des systèmes sociaux nationaux en même temps que d’assurer qu’existe un ensemble de droits sociaux garantis pour tous les Européens, quel que soit leur pays. Ce socle doit aussi encourager les États membres à coopérer davantage dans le domaine social et à échanger les meilleures pratiques, en particulier face aux nouvelles évolutions de l’économie, telle la numérisation, et à leurs conséquences dans le monde du travail.

Nous pensons donc, comme l’Assemblée – et Danielle Auroi, présidente de votre commission des affaires européennes, a insisté sur ce point –, que ce socle contribuera à la fois à lutter contre la pauvreté en Europe, à renforcer la coopération économique entre les États membres et à permettre un meilleur fonctionnement du marché intérieur et de la zone euro. Nous pensons aussi que le socle européen des droits sociaux doit montrer aux citoyens que l’Europe défend leurs droits sociaux ainsi qu’un modèle social élevé.

Tel est le sens des propositions que la France a transmises à la Commission européenne à la fin du mois de décembre, dans le cadre de sa consultation. Cette position française s’appuie d’abord sur l’avis rendu par le Conseil économique, social et environnemental, qui avait été saisi par le Premier ministre d’alors, Manuel Valls, et sur les travaux de l’Assemblée nationale en la matière – notamment ce rapport ou le rapport Cordery sur le salaire minimum.

Nous sommes convaincus que des avancées sont nécessaires sur les trois axes identifiés par la Commission européenne, c’est-à-dire l’égalité des chances et l’accès au marché du travail, les conditions de travail équitables et une protection sociale adéquate. Sans développer tous les détails de nos propositions, j’insisterai sur l’essentiel.

Le premier axe est l’accès au marché du travail. Les évolutions rapides des compétences requises et des besoins du marché du travail ainsi que la nécessité pour les travailleurs de faire face aux évolutions de leur emploi imposent que les droits liés à l’éducation et à la formation, qu’elle soit initiale ou continue, soient garantis partout en Europe.

Pour être le plus efficaces possible, les droits à la formation professionnelle tout au long de la vie doivent être attachés aux individus, comme l’a souligné Jean-Patrick Gille, en particulier pour favoriser tant leur mobilité professionnelle que géographique au sein de l’Europe. Il est donc souhaitable que ces droits soient clairement définis et mis en oeuvre par le biais de législations nationales contraignantes, de recommandations du Conseil et du Parlement européen ou d’accords des partenaires sociaux et soient appuyés par des dispositifs au niveau européen.

Le premier point sur lequel nous avons voulu insister c’est sur la nécessité de faciliter la mobilité de tous les jeunes Européens. Cela renforcera leur employabilité future mais aussi leur sentiment d’appartenance européenne.

Nous fêtons en ce moment les trente ans d’Erasmus, formidable réussite dont l’Europe peut être fière et dont davantage de jeunes doivent pouvoir bénéficier à l’avenir, et pas seulement les étudiants. La France souhaite que ce programme, devenu « Erasmus + » soit encore étendu. Nous sommes ainsi favorables à la création d’un Erasmus des apprentis, destiné à encourager la mobilité des apprentis. La Commission devrait prendre une initiative pour lever les obstacles à cette mobilité qui sont encore trop nombreux du fait des différentes d’organisation de l’apprentissage entre États membres et d’un manque de reconnaissance des formations et de portabilité de certains droits.

Pour les étudiants, il faut aussi créer un statut du stagiaire au niveau européen. Pour les jeunes demandeurs d’emploi, l’accès à des dispositifs qui facilitent leur mobilité au niveau européen devrait être facilité à partir de l’expérience en cours de la mise en réseau des services publics de l’emploi au travers des initiatives EURES – European Employment Services – et « Ton premier emploi EURES ». Pour favoriser la mobilité des salariés, nous demandons aussi une révision du règlement européen sur la coordination des régimes d’assurance chômage qui permettrait d’en assurer un financement plus équitable en cas de mobilité d’un État membre à un autre.

Toujours dans l’objectif de favoriser l’accès au marché du travail, il faut renforcer la formation tout au long de la vie. L’insertion des jeunes dans l’emploi et en particulier des « décrocheurs » – ceux qu’on appelle les Neets en anglais, pout not in education, employement or training – doit être renforcée. À cet égard, l’initiative pour l’emploi des jeunes devra continuer à accompagner les politiques en faveur des jeunes les plus éloignés du marché du travail – la Garantie jeunes en France. Nous sommes parvenus à un accord européen pour qu’elle soit dotée de 1,2 milliard d’euros supplémentaire pour la période 2017-2020, ce qui permettra d’étendre et de prolonger la Garantie jeunes, en France et dans d’autres pays.

Pour assurer une formation professionnelle continue, un droit à la formation attaché à la personne devrait être créé dans chaque État membre. Dans la continuité du récent paquet « Compétences », ce droit individuel à la formation pourrait être instauré par voie de directive ou via une recommandation qui laisserait la définition précise du dispositif à la charge de chaque État, tout en assurant la compatibilité et la portabilité entre États des différents systèmes.

Le deuxième grand axe mentionné par la Commission vise à assurer des conditions de travail justes et équitables. Nous sommes d’accord avec cette priorité parce que nous considérons que le bon fonctionnement du marché intérieur repose sur une concurrence équitable en matière sociale aussi. Cela passe nécessairement, selon nous, d’une part par une certaine convergence des droits du travail et des conditions de travail à l’échelle de l’Union européenne et d’autre part par la promotion de standards de haut niveau.

La France souhaite pour cela favoriser l’instauration de salaires minimum nationaux dans l’ensemble des États membres de l’Union – nous nous appuyons d’ailleurs sur les analyses et les recommandations du rapport de Philip Cordery –, la mise en place de salaires minimum nationaux définis en pourcentage du salaire médian – 60 % du salaire médian par exemple –, en tenant compte de la situation économique de chaque État membre. Cela pourrait passer par un accord collectif européen ou par une recommandation du Conseil et nécessiterait l’implication des partenaires sociaux.

Il est également essentiel et urgent d’achever la révision de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs. Il faut en effet rendre effectif le principe « salaire égal pour un travail égal sur un même lieu de travail » et contrecarrer le développement des sociétés « boîtes aux lettres ». Myriam El Khomri a pris l’initiative de rencontrer les représentants des onze pays qui ont opposé un « carton jaune » à cette révision pour les convaincre que faire aboutir cette révision était de l’intérêt de tous les Européens.

De même la révision du règlement de coordination des systèmes de sécurité sociale est nécessaire, pour lutter contre les contournements du régime actuel du détachement.

En matière de santé et de sécurité au travail, pour assurer un haut niveau de protection des salariés dans tous les États membres, nous demandons que soit renforcée l’harmonisation européenne en matière de seuils d’exposition professionnelle aux substances dangereuses.

Du point de vue de la justice et de l’équité des conditions de travail, l’égalité entre femmes et hommes est une priorité politique pour la France. Des progrès doivent notamment être réalisés en matière de conciliation des temps de vie pour que l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes soit effective. D’une part, une initiative législative devrait être promue en vue de rééquilibrer les congés parentaux et de garantir l’accès, tant pour les femmes que pour les hommes, à un « congé du proche aidant » permettant de s’occuper des personnes handicapées ou en perte d’autonomie. D’autre part, des leviers budgétaires doivent être mobilisés pour soutenir la mise en place de structures d’accueil favorisant le libre choix des familles.

Les évolutions de l’économie et de l’emploi justifient qu’une initiative européenne soit prise pour sécuriser le statut des travailleurs indépendants. La diversification des formes d’emploi conjuguée à la révolution numérique et la nécessité de sécuriser les transitions professionnelles rendent indispensable la définition d’un socle de droits fondamentaux attachés à la personne du travailleur, quel que soit son statut. Ce socle doit recouvrir des droits individuels tels que la protection contre la discrimination, la prévention des risques professionnels et la possibilité d’accéder effectivement à la formation professionnelle, ainsi que des droits collectifs tels que la liberté syndicale.

Le troisième axe identifié par la commission vise à protéger les citoyens contre les aléas de la vie. Il est nécessaire qu’il existe des systèmes de protection sociale, d’accès aux soins et de droit à la retraite garantis pour tous les travailleurs de tous les pays de l’Union, quel que soit leur statut, salarié ou indépendant. C’est à juste tire, monsieur Carvalho, que vous avez insisté sur ce point, même si, sur d’autres points, vos mises en cause n’étaient pas justifiées : nous souhaitons autant que vous une convergence sociale vers le haut qui aille de pair avec l’intégration économique de l’Europe. Nous ne disjoignons pas ces deux objectifs.

Face aux restructurations enfin, le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation, qui intervient aujourd’hui lorsque de très grandes entreprises sont concernées, doit évoluer pour être plus réactif et voir son champ élargi afin notamment de prendre davantage en compte la situation des petites et moyennes entreprises.

La France a également souhaité présenter des propositions sur la dimension sociale du semestre européen. Nous sommes là au coeur du lien entre la coordination des politiques économiques au sein de la zone euro et les objectifs sociaux. C’est un point qu’a soulevé Arnaud Richard et sur lequel d’autres orateurs ont également insisté.

Les évaluations conduites dans le cadre du semestre européen, notamment dans les rapports annuels des pays, devraient prendre en compte l’impact social et environnemental des mesures et des réformes préconisées. Un tableau de bord comprenant un nombre restreint d’indicateurs devrait être défini à l’issue d’une large consultation publique, en tenant compte des enjeux redistributifs, de la lutte contre la pauvreté, des questions d’emploi, de soutien à la recherche et développement et de protection de l’environnement.

Dans ce contexte, l’un des objectifs poursuivis doit également être de préserver et de développer un dialogue social de qualité, à la fois au niveau national, en impliquant les partenaires sociaux à différents stades de la procédure du semestre européen, et au niveau européen, en encourageant la relance du dialogue social européen. Les objectifs de convergence sociale ascendante doivent donc trouver leur place au coeur de la coordination économique de la zone euro.

Mesdames et messieurs les députés, il est de notre responsabilité de démontrer que l’Europe peut être une protection pour les peuples en termes économiques et sociaux, qu’elle nous permet de mieux maîtriser notre destin et qu’elle nous renforce dans la mondialisation et dans la préparation de l’avenir.

C’est un défi considérable. S’il est ambitieux, le socle européen des droits sociaux sera un immense progrès. La conviction du Gouvernement est qu’un socle de droits sociaux européens solide est une condition pour que l’Europe renoue avec ses citoyens et soit à la hauteur de son ambition démocratique et sociale.

Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

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Nous en venons aux questions, en commençant par le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

La parole est à M. Joël Giraud.

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Permettez-moi, monsieur le secrétaire d’État, de revenir sur la situation des travailleurs détachés.

Né d’une directive européenne de 1996, le principe des travailleurs détachés permet à des salariés issus d’États membres de l’Union européenne de travailler dans un autre État de l’Union à titre temporaire et de bénéficier d’un socle de droits fondamentaux dans leur pays d’accueil, dont le salaire minimum. Dans le même temps, ils continuent, ainsi que leurs employeurs, à payer les cotisations sociales dans leur pays d’origine.

Des abus ont cependant été constatés : beaucoup de ces travailleurs sont employés pour des salaires moins élevés que ceux qui se pratiquent dans leur pays d’accueil et, ces dernières années, leur nombre a augmenté de presque 45 % dans l’Union – ils sont près de 300 000 en France.

Le rapport dont nous discutons propose notamment de mettre en oeuvre une prise en charge de l’assurance chômage par l’État de dernier emploi, c’est-à-dire celui où le travailleur a cotisé, et non par l’État de la demande, et pour une période qui ne serait plus de trois mois maximum, comme le prévoit la législation en vigueur, mais plus longue, d’un minimum de six mois. Ce serait en effet plus sécurisant mais il faut aller plus loin.

Les travailleurs détachés doivent pouvoir bénéficier de conditions de vie et de travail décentes et d’une rémunération équivalente à celle des travailleurs du pays d’accueil. Pour y parvenir, l’Union européenne doit fixer des règles qui puissent être facilement mises en place et compréhensibles pour les travailleurs et les employeurs. Une réforme de la directive sur les travailleurs détachés le permettrait, limitant ainsi les abus et le dumping social.

Pourriez-vous nous indiquer précisément l’état d’avancement des négociations sur la révision que vous venez d’évoquer ?

Par ailleurs, comme le rappelle Jacques Delors, « hormis le fait de veiller à la bonne application de la législation sur le travail, il reste beaucoup à faire » pour donner « un nouvel élan à l’Europe sociale ». Parmi les propositions qu’il avance, que pensez-vous de la création d’une « Union sociale », où il serait possible de jouir des droits sociaux protégés par les États membres, quel que soit son domicile, et qui permettrait ainsi de promouvoir la mobilité, très importante dans les régions frontalières – qui vont aujourd’hui bien au-delà des territoires à proximité des frontières – et de donner du poids à l’Europe sociale ?

Debut de section - Permalien
Harlem Désir, secrétaire d’état chargé des affaires européennes

Monsieur le député, vous m’interrogez sur l’état de la discussion sur la révision de la directive relative au détachement de travailleurs de 1996. Comme vous le savez, la France est en première ligne sur ce sujet, ma collègue Myriam El Khomri étant particulièrement impliquée sur ce dossier.

La Commission européenne a fait une proposition conforme à nos souhaits et comportant plusieurs points que nous appelions de nos voeux depuis longtemps. Elle vise en particulier à rendre effectifs le principe d’un salaire égal pour un travail égal sur le même lieu de travail, le principe d’une meilleure affirmation du caractère temporaire du détachement et celui d’un encadrement accru des pratiques des entreprises intérimaires et des chaînes de sous-traitance. Il nous paraît nécessaire d’aboutir sur ces trois dimensions, mais aussi d’aller plus loin pour garantir une lutte effective contre toutes les formes d’abus.

C’est pourquoi, dans le cadre des négociations engagées, nous défendons auprès de nos partenaires des propositions visant notamment à contrecarrer le phénomène des sociétés dites « boîtes aux lettres », créées artificiellement pour organiser le détachement de travailleurs qui en réalité ne travaillaient pas auparavant dans la société d’un autre État membre et qui ont pour seule finalité de contourner les droits sociaux de l’État où ces travailleurs sont employés. Ce mécanisme crée des distorsions de concurrence au détriment des entreprises du bâtiment, des travaux publics, de l’agriculture ou du transport, en particulier du transport routier.

Deuxième axe, nous voulons renforcer le noyau dur de droits sociaux garantis aux travailleurs détachés en matière d’hébergement. La directive prend en effet en compte le niveau du salaire, mais si l’employeur soustrait de celui-ci des frais d’hébergement, les conditions de comparaison sont évidemment faussées. C’est aussi une question de dignité : l’inspection du travail a fait apparaître à de nombreuses reprises, en matière d’hébergement de ces travailleurs détachés, des conditions inacceptables sur le plan humain et sur le plan social.

La procédure de « carton jaune » engagée par onze États membres a révélé la crainte que les mesures proposées ne viennent entraver la liberté de circulation. Dans la discussion avec nos partenaires, nous posons clairement que nous ne voulons pas remettre en cause le principe de liberté de circulation mais que cette liberté n’est acceptable que si l’égalité des conditions salariales et des conditions sociales est réellement respectée entre les travailleurs détachés et les travailleurs nationaux.

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La parole est à M. Patrice Carvalho, pour une question du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

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Ma question porte elle aussi sur le travail détaché. Rappelons tout d’abord le constat : la France est aujourd’hui le deuxième pays d’Europe en matière d’accueil des travailleurs détachés. Comme vient de le rappeler M. Giraud, ce ne sont pas moins de 290 000 travailleurs européens qui sont déclarés officiellement sur notre sol, auxquels s’ajoutent 300 000 travailleurs non déclarés.

Cette explosion du travail détaché déclaré et de la fraude au détachement pose problème. Le travail détaché, régi actuellement par une directive européenne de 1996, participe d’une stratégie d’optimisation du coût salarial et de la protection sociale. Une refonte de la directive est indispensable, mais paraît aujourd’hui impossible du fait de l’opposition des pays de l’Est, principaux bénéficiaires du dumping social en Europe. Quant à la fraude au détachement, qui va de la sous-traitance en cascade au travail dissimulé, elle vise à échapper à la législation française et européenne.

Plusieurs lois sont intervenues durant le quinquennat pour renforcer la lutte contre ces pratiques illégales – la loi Savary en 2014, la loi Macron ou encore la loi « Travail » –, sans que les résultats soient au rendez-vous.

Le contrôle de la fraude au détachement par l’inspection du travail est certes complexe, seul l’État d’origine pouvant vérifier les certificats attestant le détachement, mais quels sont les moyens humains et financiers réellement mis en oeuvre pour contrôler cette fraude ? Cette question se pose d’autant plus que les coupes budgétaires se poursuivent dans les moyens de fonctionnement des services d’inspection du travail. Elles se traduisent cette année par la suppression de 178 postes, qui s’ajoutent aux 192 suppressions de l’année précédente – ça, ce n’est pas Sarkozy, c’est vous qui l’avez fait.

Ma question est donc simple : les inspecteurs du travail disposent-ils des moyens nécessaires pour lutter contre la fraude au détachement ?

Debut de section - Permalien
Harlem Désir, secrétaire d’état chargé des affaires européennes

Monsieur le député, vous me donnez l’occasion de rappeler que les lois Savary du 10 juillet 2014 et Macron du 6 août 2015, ainsi que la loi « Travail » ont renforcé les obligations pesant sur les employeurs de salariés détachés et ont permis de renforcer l’action de l’inspection du travail, au travers notamment de l’obligation de déclaration de détachement pour tout employeur établi à l’étranger souhaitant détacher des salariés en France, sanctionnée par une amende administrative pouvant aller jusqu’à 500 000 euros ; au travers aussi du renforcement de la responsabilité sociale et solidaire des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordres de toute la chaîne de sous-traitance dans tous les secteurs d’activité et du renforcement des services de contrôle, avec la mise en place d’une carte d’identification professionnelle dans le BTP, qui vient d’être présentée par Myriam El Khomri.

Ces mesures ont produit des résultats : près de 1 500 interventions mensuelles depuis septembre 2015 ; un total cumulé des amendes notifiées – deux tiers aux employeurs et un tiers aux maîtres d’ouvrage et donneurs d’ordres – de près de cinq millions d’euros et trente-trois décisions d’arrêt de chantier ou de suspension de prestation de services internationale au cours de l’année 2016. Ces mesures, auxquelles s’ajoute la loi « Travail » du 9 août 2016, parachève l’arsenal législatif mis en place avec les lois Savary et Macron et dote la France de l’un des dispositifs les plus rigoureux en la matière en Europe.

Les sanctions sont en effet renforcées : l’administration peut désormais suspendre la prestation de services internationale en cas d’absence de déclaration de détachement. La responsabilité du maître d’ouvrage et du donneur d’ordres est également renforcée, ainsi que l’encadrement du recours au salarié détaché dans l’intérim. Sont également renforcés les droits des salariés détachés au travers de l’obligation d’affichage sur les grands chantiers des règles du droit du travail dans les langues des pays d’où proviennent la plupart des travailleurs détachés.

Sur le plan opérationnel, cette lutte contre le travail illégal et la fraude au détachement a fait l’objet d’un plan national. Le 30 mai 2016, lors de la réunion annuelle de la commission nationale de lutte contre le travail illégal, le Premier ministre a dressé le bilan du plan 2013-2015 et a lancé le plan 2016-2018.

Nous nous situons donc dans le cadre d’une action tout à fait déterminée. Nous avons renforcé le cadre législatif, avec votre soutien et parfois même à l’initiative de l’Assemblée nationale. Nous mettons en oeuvre, avec les inspections du travail, des mesures rigoureuses contre ceux qui ne respectent pas la loi et nous protégeons le droit des travailleurs détachés – et, par là-même, le droit de tous les travailleurs de France.

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Nous en venons aux questions du groupe socialiste, écologiste et républicain.

La parole est à M. Gilles Savary.

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Il faut saluer le travail remarquable réalisé par nos collègues Jean-Patrick Gille, Sophie Rohfritsch et Philippe Cordery, dont le champ excède de beaucoup celui du seul travail détaché, mais vous ne serez pas étonnés que je revienne sur cette question.

Tout d’abord, contrairement à ce qu’affirme M. Carvalho, des résultats très probants ont été obtenus en France, grâce à la législation la plus ferme, la plus sévère et la plus développée d’Europe. Notre pays compte cependant encore 285 000 travailleurs détachés en règle, ce qui signifie donc aussi qu’il existe des problèmes, des métiers en tension qui ne trouvent pas de travailleurs français. Il faut éviter que ce débat ne glisse vers une forme de xénophobie qui prétendrait, comme je l’ai entendu, interdire le travail détaché. Ce serait nous tirer une balle dans le pied, d’autant que la France elle-même détache 300 000 personnes pour vendre nos produits à travers le monde et en assurer la maintenance.

La question n’est donc pas celle du détachement mais du détachement à conditions sociales égales. C’est le principe de la révision de la directive de 1996, qui n’est pas complètement aboutie, même si, selon une étude très précise dont nous disposons, en France, à condition que la loi soit respectée, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE – et le pacte de solidarité font qu’aujourd’hui, dans les métiers peu qualifiés – rémunérés à moins de 1,6 SMIC –, un travailleur français est devenu moins cher qu’un travailleur détaché de l’Est. Il faut que ce soit clair dans l’esprit de tout le monde.

Il faut que l’on soit capable de suivre très précisément le parcours du travailleur détaché qui vient de l’Est afin de s’assurer qu’il travaille bien dans une entreprise à titre permanent dans son pays et qu’il a une couverture sociale. Or la seule preuve dont nous disposions à cet est le formulaire A1 que le travailleur doit conserver par devers lui, qui présente le double inconvénient de ne pas être contestable par l’État membre d’accueil et d’être falsifiable. C’est pourquoi nous avions proposé, dans le cadre de la résolution européenne du 11 juillet 2013, de créer une carte de travailleur européen, carte électronique qui permettrait d’assurer une traçabilité totale du travailleur détaché et donc de vérifier qu’il est bien en règle.

Je me permets donc de vous demander, monsieur le secrétaire d’État, comment vous envisagez de faire progresser cette proposition au niveau européen. Nous savons que la mise en place d’une telle carte est possible puisque la France s’est déjà dotée d’un tel dispositif – il a été présenté la semaine dernière par le Premier ministre et Mme El Khomri.

Chacun connaît mon opinion : la plus grande des dérives, c’est d’avoir inventé le détachement d’intérim, qui est un détachement de placement et non un détachement d’accompagnement des échanges économiques. Le détachement d’accompagnement des échanges économiques est sain mais le marché européen a cédé à une dérive, qui consiste à faire du placement de travailleurs qui sont en réalité au chômage. Le problème devra bien être posé à l’échelle européenne.

Debut de section - Permalien
Harlem Désir, secrétaire d’état chargé des affaires européennes

Vous avez raison de rappeler qu’il faut maintenant s’assurer de la mise en oeuvre effective de toutes les dispositions que nous avons inscrites dans la loi. Il y a les contrôles, dont vous avez eu raison de souligner l’efficacité. Ils entraînent des conséquences pour ceux qui fraudent et assurent une protection aux travailleurs détachés et aux entreprises qui pourraient être victimes d’une concurrence déloyale.

Il faut maintenant faire en sorte qu’ils soient largement facilités. À cet égard, la carte BTP une première étape vers la carte de travailleur européen que vous proposez. Sa mise en oeuvre démontre que cela est possible dans un secteur connu pour être particulièrement exposé à la fraude. Cette carte comporte des informations relatives au salarié – nom, photographie, date de naissance –, et des éléments permettant d’identifier l’entreprise qui l’emploie – numéro du système d’identification du répertoire des entreprises, ou numéro SIREN, raison sociale. Un code numérique permet aux inspecteurs du travail d’accéder immédiatement à ces informations. Cela leur permet de savoir si l’entreprise est en règle, si elle a bien déclaré ce salarié et si celui-ci respecte les règles encadrant le détachement de travailleurs, notamment en termes de durée.

Nous sommes donc en train de faire la démonstration que l’on peut vérifier très simplement le respect des règles sans entraver la liberté de circulation en Europe.

Vous l’avez dit, nous sommes nous-mêmes concernés puisque près de 300 000 travailleurs français travaillent dans d’autres États membres de l’Union européenne. Ils ont besoin de cette directive sur les travailleurs détachés, qui leur permet de continuer à bénéficier d’une protection sociale et de droits à la retraite quel que soit leur parcours professionnel. Nous n’entendons donc pas remettre en cause l’existence de cette directive mais nous demandons que l’on prenne en compte les évolutions, que l’on soit réaliste quant aux fraudes et que l’on donne à chaque État membre les moyens de contrôler le respect des règles sociales. De ce point de vue, la carte de travailleur européen que vous proposez nous semble être une piste à explorer, d’autant que nous l’avons mise en oeuvre dans notre pays pour le secteur du bâtiment et des travaux publics.

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En 2015, le président Juncker a annoncé qu’il souhaitait développer un socle européen des droits sociaux. Cette aspiration a pris forme dans un débat d’orientation pour l’institution d’un socle des droits sociaux, suivi d’une large consultation publique qui vient de s’achever.

Je ne peux que me réjouir que l’Europe mette enfin en avant les droits économiques et sociaux, à un moment où un Européen sur quatre est touché par le chômage, la pauvreté ou l’exclusion sociale. La reconnaissance et la promotion des droits sociaux constituent donc une nécessité économique, comme vous l’avez souligné, mais aussi la base de la construction d’une Europe sociale soucieuse du bien-être de tous les citoyens, en même temps qu’un moyen efficace de lutter contre l’euroscepticisme.

Néanmoins, de nombreux obstacles restent à franchir pour que ce socle européen voie le jour. Je m’interroge d’abord sur les instruments d’évaluation des politiques. Au cours des années passées, c’est toujours l’économie, autrement dit la politique monétaire et financière, qui a été jugée prioritaire, les conséquences sociales de ces politiques étant considérées comme secondaires. Le socle européen des droits sociaux doit encourager une harmonisation vers le haut des marchés du travail et des systèmes de protection sociale au sein des États membres de la zone euro. Pensez-vous qu’il pourra surmonter l’évidente subordination du social à l’économique ?

Plus concrètement, à l’heure où l’on met en place un programme pour une réglementation affûtée et performante, le REFIT, censée passer au crible l’efficacité des politiques de l’Union, ne craignez-vous pas qu’un tel programme aboutisse à tirer vers les bas les normes sociales ?

Enfin, qu’en sera-t-il des instruments de pilotage économique que s’est donné l’Union, dont la direction générale des affaires économiques et financières est le grand maître, si le socle européen est lui-même doté d’outils d’évaluation et de performance ? Comment concilier une politique sociale de haut niveau et la mise sous mémorandum de tous les États membres qui s’éloignent des critères financiers et budgétaires ? Comment intégrer des priorités sociales dans l’instrument de gestion économique qu’est le Semestre européen ? Autrement dit, monsieur le secrétaire d’État, comment faire cesser la prise d’otage du social par l’économique et parvenir à une croissance inclusive et à la convergence sociale dont nous rêvons tous ?

Debut de section - Permalien
Harlem Désir, secrétaire d’état chargé des affaires européennes

La question que soulève Chantal Guittet est la question fondamentale : considérons-nous que « le social suivra » et que, compte tenu des problèmes de compétitivité qu’elle rencontre face aux pays émergents, l’Europe doit avant tout approfondir son intégration économique, qui est en effet décisive dans un grand nombre de domaines – le numérique, l’énergie, les services, etc. – et en espérer des retombées sociales ?

Certes, pour créer de l’emploi, il faut que l’économie européenne fonctionne de façon harmonisée. Mais si l’on néglige le social, la grande hétérogénéité des niveaux de développement social d’un État membre à l’autre peut entraîner des effets pervers de dumping, voire mettre en péril le niveau de développement social des États membres les plus anciens. Au lieu d’une convergence vers le haut en matière de droits sociaux ou en matière environnementale, on risque donc d’aboutir à l’effet inverse, à savoir que la croissance ne se traduise pas automatiquement par une convergence vers le haut. Il faut donc qu’il y ait des mécanismes, des règles.

Nous sommes en outre convaincus que des standards sociaux assez élevés, en matière de salaire minimum par exemple – on a évoqué une base qui pourrait être d’environ 60 % du salaire médian dans tous les États membres – ou de protection sociale – s’assurer que les employeurs participent au financement des systèmes de protection sociale – contribueront à une meilleure croissance en Europe. Il n’y a en effet pas de raison de penser que ce qui a été bon pour l’économie des pays les plus avancés de l’Europe, les pays scandinaves, l’Allemagne, la France, ne le soit pas pour les pays qui ont rejoint l’Union plus récemment et qui sont en phase de rattrapage sur le plan économique.

Il faut donc une concordance très forte entre les objectifs sociaux et les objectifs économiques. Cela suppose une évaluation, dans le cadre du Semestre européen, des mesures économiques et de leur impact social ; cela suppose des indicateurs sociaux ; cela suppose qu’on vérifie, dans le fonctionnement même de la coordination économique, que chacun contribue à cet alignement social vers le haut.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le 29 septembre 2015, devant la Confédération européenne des syndicats, le Président de la République s’est livré à un vibrant plaidoyer en faveur de la convergence sociale en Europe, en déclarant que nous avions besoin d’une « impulsion, d’une coordination, d’une harmonisation et d’une convergence des politiques sociales européennes ».

Depuis, force est de constater que les initiatives prises par la France en la matière ont été pour le moins discrètes et que les avancées obtenues ne sont que minimes. Or notre groupe estime que la convergence des politiques sociales européennes est une urgence pour lutter contre le chômage et ses conséquences mais aussi pour construire un modèle économique performant, dans lequel les droits sociaux ne soient pas systématiquement sacrifiés à l’impératif de compétitivité.

Pour y parvenir, nous pensons qu’il faut favoriser l’émergence d’un véritable dialogue social européen. C’est de cette manière, et de cette manière seulement, que nous parviendrons à obtenir de réelles avancées sociales pour les Européens et à poser les jalons de ce que pourrait être une assurance chômage au niveau européen, des droits portables propres à favoriser la mobilité ou encore des garanties plus solides pour les salariés de la nouvelle économie.

J’ajoute que pouvoir s’appuyer sur des partenaires du dialogue social plus forts au niveau européen, attentifs à la protection de nos modèles sociaux, aurait sans doute permis de poser un certain nombre de garde-fous contre les fiascos des dernières négociations commerciales – je pense bien sûr au TAFTA.

Monsieur le secrétaire d’État, ma question sera simple : la France est-elle prête à prendre des initiatives concrètes – je dis bien concrètes – pour renforcer la place des organisations syndicales dans les processus de décision européen ?

Debut de section - Permalien
Harlem Désir, secrétaire d’état chargé des affaires européennes

J’étais présent le jour où le Président de la République s’est exprimé devant la Confédération européenne des syndicats et a fixé des objectifs de renforcement des droits sociaux et du dialogue social européen. Depuis, chacun a pu constater que c’est bien la France qui est à l’initiative, qu’il s’agisse de formuler des propositions, notamment sur la révision de la directive sur le détachement de travailleurs ou sur le socle européen des droits sociaux, de mettre en oeuvre à l’échelle nationale cette lutte contre le dumping social, ou encore de faire en sorte que l’on prenne en compte la dimension sociale dans la coordination des politiques économiques au sein de la zone euro.

C’est aussi ce qui nous guide lorsque nous réfléchissons à la façon dont la Commission européenne doit traiter la situation de pays qui ont subi des politiques d’austérité très dures. Nous nous sommes ainsi battus pour que la Grèce reste dans la zone euro et pour que le programme de réformes qui lui est proposé ne prolonge pas inutilement ces politiques d’austérité. Je pense aussi au Portugal, à l’Espagne et à d’autres pays qui doivent sortir de la crise. Nous avons d’ailleurs constaté qu’il aurait parfois été bon qu’il y ait un consensus politique européen plus large sur ces questions. Mais en définitive c’est bien la position défendue par le Président de la République qui l’a emporté, à savoir permettre à ces pays de donner désormais la priorité à l’investissement, à la croissance et à l’emploi.

Cette priorité donnée à l’investissement, c’est aussi ce que nous avons défendu au plan européen en soutenant le plan Juncker. Nous nous somme même souvent retrouvés dans la situation paradoxale d’être ceux qui soutenaient le plus le président de la Commission européenne alors qu’il n’appartient pas à notre famille politique. C’est encore le cas lorsque nous soutenons sa proposition d’un socle européen des droits sociaux et d’une révision de la directive sur le détachement des travailleurs.

Nous sommes donc d’accord sur le fond. Je me réjouis que la démarche de la France soit soutenue de manière unanime sur ces bancs, par-delà les différences politiques, et j’espère que cela contribuera à ce qu’elle soit entendue par l’ensemble des gouvernements de l’Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :

Discussion en euxième lecture de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale ;

Discussion de la proposition de loi visant à préserver l’éthique du sport ;

Discussion de la proposition de loi relative au respect de l’animal en abattoir.

La séance est levée.

La séance est levée à vingt-deux heures quarante-cinq.

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly