Commission des affaires européennes

Réunion du 17 janvier 2017 à 18h15

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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 17 janvier 2017

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 18 h 15

Audition de M. Michel Sapin, ministre de l'économie et des finances, sur le Conseil Économie et Finances (ECOFIN) du 27 janvier 2017

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Je vous remercie, monsieur le ministre, de venir régulièrement dialoguer avec nous avant les conseils « économie et finances » (ECOFIN) et nous présenter leur ordre du jour.

Le Conseil du 27 janvier, le premier de la présidence maltaise, sera l'occasion de faire le point sur le semestre européen ainsi que sur l'état d'avancement des dossiers en cours. Vous connaissez, monsieur le ministre, l'intérêt que porte notre commission au semestre européen ; grâce à nos collègues, Christophe Caresche, ici présent, et Michel Herbillon, nous en suivons chaque année les principales étapes.

Il y a un mois, nos deux rapporteurs nous ont présenté leur rapport sur le lancement de l'exercice 2017. Nous avons été marqués par le changement de cap dans la politique budgétaire européenne proposée par la Commission, notamment la possibilité envisagée de conférer à l'orientation budgétaire de la zone euro une dimension légèrement « expansionniste ». Il ne nous a pas échappé que cette proposition est loin d'être consensuelle : certains de nos partenaires européens, au premier rang desquels l'Allemagne, ont manifesté une vive opposition à ce qui pourrait être l'embryon d'une politique de relance en Europe. Pouvez-vous nous préciser la position de la France sur cette proposition de la Commission ? Il me semble que la situation de l'emploi et de l'investissement en Europe nécessite une telle politique. C'est un premier pas dans ce qui nous paraît plutôt une bonne direction.

Si l'examen annuel de la croissance 2016 de la Commission conclut à une amélioration de la situation économique de l'Union européenne dans son ensemble, qu'en est-il de la Grèce ? Nous souhaiterions connaître votre analyse sur ce point qui ne figure pas à l'ordre du jour du Conseil. Le philosophe Étienne Balibar, que nous avons reçu la semaine dernière, estime que la Grèce subit un « Grexit intérieur », à défaut de Grexit tout court. Quelle est la situation de l'Espagne et du Portugal ?

L'agenda fiscal de la Commission est depuis 2014, sous la pression des différentes affaires, particulièrement chargé. Je pense notamment à la relance du projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS), auquel notre commission est particulièrement attachée, mais aussi à la refonte du système de TVA annoncé par la Commission. La fraude à la TVA représente chaque année d'importantes pertes de recettes pour les États alors que la lutte contre l'évasion et l'optimisation fiscale constitue une priorité très affichée, et relayée par notre pays. Nous souhaitons vous entendre sur les grandes orientations envisagées pour cette refonte et sur le soutien que la France pourrait apporter à ce projet.

Dans le contexte particulier de l'année 2017, les conclusions finales du groupe à haut niveau sur les ressources propres, présidé par Mario Monti, que nous avons auditionné en mars 2015, seront sans doute débattues. La mise en place de ressources propres, vous le savez, nous tient à coeur. La taxe sur les transactions financières (TTF) fait figure d'Arlésienne. Peut-être allez-vous nous rassurer à ce sujet, comme vous l'avez fait les années précédentes, mais je connais votre nature optimiste.

Notre commission s'est toujours montrée favorable à un renforcement des capacités budgétaires de l'Union. Que pouvez-vous nous dire de la position de la France et de l'état des discussions sur ce point, compte tenu notamment du charmant Brexit que nous prépare Mme May ?

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Michel Sapin, ministre de l'économie et des finances

Je remercie les membres de la commission qui me font le plaisir d'être présents.

Nous tenons pratiquement un conseil par mois. Objectivement, celui qui nous attend n'est pas le plus décisif. La réunion de décembre dernier, comme c'est souvent le cas en fin de présidence, a permis de prendre un certain nombre de décisions importantes, particulièrement en matière de lutte contre l'optimisation fiscale et contre le terrorisme ; les projets de directives qui ont été adoptés font aujourd'hui l'objet du trilogue.

Le Conseil du 27 janvier est, vous l'avez rappelé, le premier sous présidence maltaise. Nos amis de Malte, même si c'est un petit État, sont très appliqués. À leur demande, nous sommes à leurs côtés dans leur tâche qui n'est pas simple consistant à favoriser des débats constructifs, des convergences et la recherche des consensus nécessaires pour adopter des textes importants.

Vous avez cité les sujets qui seront examinés lors de ce Conseil. Le premier d'entre eux, le semestre européen, est très important, d'autant que la Commission a exprimé très fermement en décembre sa volonté de faire de cet exercice, très en amont de l'examen des situations de chaque pays, un moment de vérité sur la situation de la zone euro. Il n'a pas été simple d'en finir avec la logique de « tuyaux d'orgue ». La situation de chacun des pays était examinée, sans trop se préoccuper des conséquences sur l'ensemble de la zone euro. Au total, la somme des restrictions imposées à chaque pays finissait par être préjudiciable à la zone euro ; je crois pouvoir dire que nous en avons eu la preuve dans les années que nous venons de traverser.

La Commission a inversé le raisonnement – je ne sais pas si l'on peut dire à la demande de la France, mais j'ai constamment fait valoir que cette logique des tuyaux d'orgue, chacun pris séparément, finissait par produire une musique tout à fait désastreuse : c'est d'abord l'orgue dans son ensemble qu'il faut examiner. C'est ce qu'a décidé de faire la Commission. Sa position a évolué : alors qu'elle défendait jusqu'alors le principe d'une politique budgétaire restrictive, elle s'est mise l'année dernière à plaider pour une politique neutre, ce qui constituait déjà une avancée. Désormais, vous l'avez dit, elle considère que la politique budgétaire doit être globalement expansive. La difficulté tient à ce que, pour aboutir à ce résultat, certains pays doivent continuer à mener des politiques de sérieux budgétaire, allant parfois jusqu'à ce que certains pourraient qualifier d'austérité, qui sont pourtant indispensables – le Portugal, la Grèce, l'Espagne en partie, mais aussi l'Italie – tandis que d'autres pays dont les capacités budgétaires sont excédentaires, ce dont ils peuvent être très fiers, doivent adopter une démarche inverse. Un grand pays, de surcroît dans une grande zone comme la nôtre, ne peut pas se contenter d'accumuler les surplus ; il arrive même un moment où l'accumulation des excédents, budgétaires ou de balance commerciale, devient un élément de déséquilibre de l'ensemble de la zone. Du point de vue des règles européennes et de la balance des paiements, l'Allemagne est en situation de déséquilibre, comme d'autres peuvent en situation de déséquilibre inverse. C'est là que l'on entre dans ce débat indispensable : comment faire pour moduler, pays par pays, cette vision globalement expansive ? Comment faire pour que certains pays – l'Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas – conduisent des politiques ouvertement plus expansives ?

Je dis « ouvertement », parce que certains pays, y compris l'Allemagne, continuent à tenir un discours extrêmement restrictif tout en menant des politiques dans les faits plus expansives. Dans le cas de l'Allemagne, afin de faire face à l'accueil des réfugiés, l'État et les Länder ont dépensé beaucoup plus d'argent que les années précédentes. Mais, là où nous sommes très fiers de réussir à réduire le déficit de 1 milliard d'euros, comme je l'ai annoncé ce matin, les Allemands peuvent compter sur des milliards de surplus budgétaires.

La Commission a été mise en difficulté, en dépit de notre soutien explicite, que nous réaffirmerons, sur la méthode – examiner la situation globale de la zone euro pour savoir dans quelles conditions appliquer cette politique budgétaire à chacun des pays concernés. Nous sommes déterminés à plaider pour cette méthode et faire valoir à nos amis allemands que le meilleur choix pour la zone euro serait d'accroître les dépenses budgétaires et, au fond, l'investissement en Allemagne.

J'évoque l'investissement car l'analyse de la Commission comporte un deuxième volet : l'utilisation des marges de manoeuvre lorsqu'elles existent ou la réorientation des dépenses budgétaires des pays qui doivent continuer à maîtriser leur déficit en faveur de l'investissement. La zone euro n'a toujours pas retrouvé le niveau d'investissement, public et privé, d'avant la crise. Dans certains pays, c'est l'investissement public qui a particulièrement diminué : c'est le cas en Allemagne ; dans d'autres, c'est l'investissement privé : c'était le cas en France. C'est tout cela qu'il faut rééquilibrer. C'est pourquoi notre politique a visé à relancer l'investissement privé aussi bien dans les entreprises que dans le secteur du bâtiment et de la construction. Nous avons toujours maintenu l'investissement public à un niveau relativement dynamique ; ce n'est pas du tout le cas de l'Allemagne, et nous avons du mal à la convaincre de revoir sa position.

La priorité à l'investissement ressort de toutes les analyses de la Commission ainsi que de celles de la Banque centrale européenne (BCE). C'est aussi ce que traduit le plan Juncker que nous avons décidé d'amplifier en augmentant considérablement ses moyens, en allongeant sa durée et en élargissant les types d'investissement éligibles. Les crédits du plan sont principalement gérés par la Banque européenne d'investissement, en collaboration avec des banques comme la Caisse des dépôts qui sont capables de mobiliser des fonds au profit des petites et moyennes entreprises ou des collectivités territoriales, ce que ne pourrait pas faire l'Union européenne depuis Luxembourg.

Sur ce sujet qui redevient d'actualité, nous allons retrouver les mêmes débats et les mêmes confrontations qu'auparavant, mais je crois que les choses avancent – l'Allemagne a pour habitude de ne pas changer dans les mots mais de changer dans les faits –, peut-être à un rythme trop lent. Il faut maintenir la pression pour faire évoluer nos amis allemands.

Deuxième sujet qui n'est pas à l'ordre du jour, mais qui fait toujours l'objet de contacts informels : la Grèce. Un point sera sans doute fait sur l'état des discussions, en particulier sur ce qu'on appelle dans ce jargon inimitable la « revue ». Cet examen de la situation en Grèce par les institutions européennes – Commission, BCE, Mécanisme européen de stabilité (MES) – et le FMI est en cours. Tant que cette « revue » ne donne pas lieu à des commentaires positifs, sur le respect des engagements notamment, la capacité de l'Union à débloquer les crédits qui ont été décidés est limitée.

Pour l'instant, la Grèce n'est pas confrontée à des échéances lourdes, mais personne n'ignore qu'à partir de juin ou juillet, elles le deviendront. C'est l'impossibilité à faire face à des remboursements très importants qui a provoqué la crise de juillet 2015 ; cela a certes permis de conclure un accord en profondeur utile, mais dans des conditions tout à fait dommageables, y compris pour l'économie grecque.

Ensuite, il s'agit pour la Grèce d'acquérir la « crédibilité », toujours dans notre jargon, autrement dit la confiance des marchés, afin d'être en mesure, une fois son autonomie recouvrée, d'aller chercher de l'argent sur les marchés lorsqu'elle a besoin d'emprunter. Aujourd'hui, la Grèce est dans l'incapacité totale de solliciter les marchés – soit la réponse est négative, soit les taux d'intérêt sont prohibitifs. C'est la raison d'être du plan qui a été mis en place : nous prêtons à la Grèce à nos propres taux. Mais cette solution ne peut pas durer aussi longtemps qu'une tragédie grecque… Pour retourner sur les marchés, la Grèce doit certes retrouver de la crédibilité budgétaire, mais aussi de la croissance. À cet égard, la situation s'améliore substantiellement en ce moment : la croissance est plus forte que prévu, en particulier grâce au tourisme : le malheur des uns pouvant faire le bonheur des autres, la Grèce profite des incertitudes de la situation turque. Une partie de la côte sud de la Turquie, très prisée et très belle, est aujourd'hui désertée, et les touristes à la recherche d'un soleil de même qualité se replient sur la Grèce. Du coup, le taux de croissance est plus élevé en 2016, le résultat budgétaire est également meilleur que prévu, ce qui a incité le Gouvernement à atténuer certains programmes qui lui paraissaient trop durs à la fin de l'année 2016.

Reste que la Grèce ne regagnera de la crédibilité – c'est le coeur du sujet – que si le poids de sa dette est allégé. Les marchés veulent être sûrs que la Grèce est capable de rembourser globalement la dette, considérant que si elle n'est pas capable de rembourser les autres, elle ne pourra pas les rembourser. C'est ce qu'on appelle la soutenabilité de la dette. C'est sur ce point que des négociations ont commencé. Afin de convaincre un certain nombre de pays d'y participer – je pense à l'Allemagne, aux Pays-Bas, mais aussi la Slovaquie, la Slovénie, les pays baltes, la Finlande, très réticents sur le traitement de la dette grecque –, il a fallu faire trois morceaux, et distinguer les mesures de court, moyen et long terme.

Pour le court terme, il s'agit de mesures internes au MES – je n'entre pas dans la technique, ce sont des échanges de prêts contre des prêts à des taux un peu plus faibles. Ces mesures ont été actées. Toutefois, certains ont été choqués par ce qu'ils ont appelé un accroc à l'accord – là où d'autres, comme nous, considéraient que cela faisait partie du cours normal des choses – lorsque le gouvernement grec a décidé notamment d'attribuer des primes de Noël pour les petites pensions. Ces décisions ont donné lieu à une sur-réaction des Allemands en particulier, qui ont bloqué le dispositif. J'avais alors protesté vigoureusement contre cette décision parfaitement unilatérale. Finalement, ces mesures vont être mises en oeuvre.

Reste le coeur du sujet : le traitement de la dette de moyen terme. Des décisions s'imposent pour étaler la dette dans le temps, repousser autant que faire se peut le versement des intérêts, bref, lisser dans le temps le poids de cette dette pour la rendre compatible avec un développement harmonieux et une reprise de la croissance économique en Grèce. Sur ce sujet, le moment crucial interviendra en février prochain. Je ne veux pas dramatiser, mais la campagne électorale qui commence aux Pays-Bas sera très dure – cette question nourrit le populisme ; le pays le plus européen est un des pays les plus soumis à la pression populiste antieuropéenne ; la France aborde aussi des échéances électorales même si la question de la Grèce ne fait guère débat ; toutefois, si une difficulté se présente fin mai ou début juin, le gouvernement, quel qu'il soit, doit être en mesure d'être actif dans la négociation ou dans la résolution d'une crise ; en Allemagne, ce sera le début de la campagne électorale. Or, la question grecque est extrêmement prégnante dans le débat outre-Rhin. C'est l'une des raisons pour lesquelles le gouvernement actuel est précautionneux, afin de ne pas prêter le flanc à une critique que vous connaissez selon laquelle l'Allemagne paie toujours pour tout le monde, en particulier pour la Grèce. Ce discours est évidemment faux. Mais il est vrai que l'Allemagne s'acquitte de la contribution la plus importante.

Si nous ne parvenons pas à un accord de qualité en février, nous risquons de graves difficultés au mois de juin ou juillet prochain ; ce ne sera pas le meilleur moment pour les affronter. C'est pourquoi la France sera extrêmement présente et pressante pour essayer de trouver le bon accord, qui consiste à dessiner les contours du traitement de la dette à moyen terme ainsi que, sans doute, des réformes structurelles que la Grèce devra mettre en place.

Sur les questions fiscales, vous avez mentionné une réforme décisive : l'ACCIS. Nous sommes favorables à la convergence fiscale. Le Parlement a voté le taux de 28 % qui correspond à la moyenne du taux d'imposition sur les sociétés de la zone euro. Mais, sans convergence sur la base imposable, les disparités considérables d'un pays à l'autre demeureront. Le projet ACCIS doit permettre d'harmoniser les bases de l'impôt sur les sociétés. Si le taux et la base sont harmonisés, vous obtenez exactement l'inverse du dumping fiscal que certains voudraient prôner aujourd'hui, à savoir une convergence fiscale, harmonieuse et nécessaire dans des pays aussi proches les uns des autres que ceux de la zone euro.

Quant à la taxe sur les transactions financières (TTF), roman à épisodes qui vous passionne tous dont on aimerait voir disparaître la mention « à suivre » à l'issue de chacun d'eux, des avancées très importantes ont été réalisées à la fin de l'année dernière : les pays concernés par cette coopération renforcée se sont mis d'accord sur la base imposable. Le choix a été fait de retenir une base large – les actions, les dérivés, y compris les opérations intraday, autrement dit intrajournalières. La France défend l'idée d'une base large associée à un taux faible. Un taux trop élevé sur une base trop étroite pourrait avoir des conséquences en termes de délocalisations préjudiciables à tous points de vue.

Nous avons fait part de cet accord à la Commission, qui a donc élaboré un projet de texte. Nous travaillons sur le projet, de qualité, qu'elle a présenté en nous focalisant sur la question des taux que nous n'avions pas évoquée jusqu'à présent et sur les modalités d'affectation des recettes. Une réunion doit se tenir en marge du Conseil sur ce point, ce sera peut-être le moment le plus intéressant. Le mois de février sera important aussi pour la taxe sur les transactions financières.

Ce sujet est compliqué car le nombre d'États impliqués dans la coopération renforcée est relativement faible. Parmi les dix pays concernés, certains sont très fragiles – la Slovaquie, mais aussi la Belgique qui est très hésitante en raison de problèmes internes à la coalition gouvernementale. Si l'un et l'autre venaient à flancher, nous serions en dessous du seuil nécessaire pour mettre en place une coopération renforcée. Quant à l'Allemagne, si est favorable à la TTF, mais elle est également agitée de quelques contradictions internes : cette mesure figure dans l'accord de coalition entre les sociaux-démocrates et la CDU, donc le ministre Wolfgang Schäuble la soutient, mais ce n'est pas sa conviction profonde. L'une de ses dernières astuces est de considérer qu'une telle taxe devrait être mise en place au niveau mondial – c'est certain – et de demander à l'OCDE de faire des propositions en ce sens. Ce serait évidemment préférable, mais nous avons choisi de la mettre en place dans un nombre de pays suffisant. Autant je suis défavorable, en France, à une extension du champ d'application de la TTF à d'autres produits que les actions, autant je suis résolument favorable à sa mise en place dans les dix pays concernés. Les quatre principaux pays de l'Union en font partie, Royaume-Uni mis à part : Allemagne, France, Italie et Espagne. Nous avons une base importante pour les transactions financières de toute nature.

Autant de sujets qu'il faut suivre attentivement, car ils feront l'actualité de février à juin prochain.

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Merci de cet exposé, monsieur le ministre. Nous retrouvons un certain nombre de positions assez classiques de la Commission européenne, notamment du côté des Allemands. Leur conception de la Commission est très réglementaire : elle n'a pas à interpréter la situation économique, mais à appliquer le règlement.

Actuellement, une mission d'information sur les conséquences du Brexit est en cours à l'Assemblée nationale. Elle aborde toutes les problématiques financières, notamment concernant la City. Le rapprochement prévu entre la bourse de Francfort et celle de Londres n'a pas été interrompu. Ne pensez-vous pas que de ce fait, les Allemands soient tentés de reculer sur la mise en oeuvre de la taxe sur les transactions financières ? On voit qu'ils essaient de construire avec la City un axe qui lui offrirait un débouché européen si elle venait à perdre le passeport européen.

Par ailleurs, nous connaissons les difficultés des banques italiennes. La BCE supervise cette situation ; vous semble-t-elle sous contrôle, ou constitue-t-elle un élément d'inquiétude ?

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Piquée par la curiosité, je voudrais profiter de la présence du ministre – qui déclarait encore il y a peu de temps au futur président américain qu'il y aurait un grand risque à laisser l'Europe se disloquer – pour lui demander quelle est la réaction de nos partenaires européens à ce changement de présidence aux États-Unis… Quelle est la teneur des échanges avec vos collègues sur ce sujet, monsieur le ministre ?

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Monsieur le ministre, vous savez que je suis une ardente militante des ressources propres de l'Union européenne. Les propositions du Groupe à haut niveau sur les ressources propres, ou « groupe Monti », parmi lesquelles figurent des projets de taxes environnementales, pourraient offrir une alternative crédible à la taxe sur les transactions financières. Quelle est l'approche de la France sur cette question ?

La Grande-Bretagne vient de nous annoncer qu'elle allait devenir un grand paradis fiscal – il me semble qu'avec la City, les îles Anglo-normandes et quelques autres, c'était déjà en partie le cas – et les États-Unis affichent les mêmes intentions. Dans ce contexte, peut-on s'attendre des réactions cohérentes de la part des Vingt-sept, ou les tentations de tirer profit de manière individuelle, illustrées par le rapprochement des bourses de Francfort et de Londres, seront-elles plus fortes ?

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Michel Sapin, ministre de l'économie et des finances

Vos questions ne sont pas simples, car certaines déclarations sont extrêmement récentes, telles que celles de mon homologue britannique.

Je ne sais pas s'il faut parler de paradis fiscal. Un paradis fiscal est un pays où il n'y a pas de fiscalité – cela arrive dans certaines parties du territoire de la Couronne – et où l'on peut dissimuler des choses. La position du ministre britannique est de diminuer tous les impôts, il s'agit plutôt d'une fiscalité extrêmement accommodante, à la manière irlandaise, que d'une volonté de dissimulation. Il faut reconnaître que la Grande Bretagne a été un des partenaires importants de la lutte contre l'optimisation fiscale agressive et un certain nombre de mécanismes de dissimulation, même si dans quelques îles qui gravitent dans l'orbite de la couronne britannique, l'effort de transparence a été douloureux. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas faire de reproche au Royaume-Uni de ce point de vue.

En revanche, baisser toutes les charges et les impôts pour anticiper les difficultés à venir de la Grande Bretagne et maintenir la « compétitivité » du pays dans ce domaine aurait des conséquences très sérieuses. Les impôts sont une recette pour l'État, qui a des politiques à mener. Ainsi, dans le domaine militaire, la Grande Bretagne a, selon le mode de calcul, le deuxième ou le premier budget dans l'Union, ce qui n'est pas possible sans ressources importantes. Et il faut évidemment y ajouter les dépenses sociales et les programmes de relance.

Il est trop tôt pour donner la réaction des ministres des finances de l'Union européenne ; tout ce que je sais, c'est que nous n'aimons pas cela. Entre ministres des finances, nous cherchons les convergences. Que l'un d'entre nous annonce qu'il ne cherche pas la convergence, mais une divergence franche et massive, est très choquant. Néanmoins, cela semble plus faire partie des approximations et des indécisions du Gouvernement britannique et des contradictions de sa majorité conservatrice sur ce sujet. Ce qui transparaît, même après le discours de Mme May qui a remis les choses au clair en fin de matinée, c'est une très grande improvisation face à une situation que ni les partisans ni les opposants au Brexit n'avaient prévue – en l'occurrence le Brexit…

De plus, c'est un processus très compliqué. On parle toujours de ce que sera la situation après, mais il ne faudrait pas oublier la situation en cours : le divorce est d'une complexité absolument considérable, rien de tel n'a jamais été fait. Ces déclarations traduisent toutes les contradictions au sein du Gouvernement britannique et de sa majorité. Pour l'instant, aucun vote n'a eu pour effet de réduire les impôts en Grande-Bretagne. On entend des menaces, des positions d'entrée en négociation, mais tenter d'instaurer des rapports de force quand on est très faible est rarement profitable.

La première conséquence de tout cela – sans parler des récents commentaires de M. Donald Trump – de renforcer la solidarité entre les autres pays. Souvenez-vous lors de l'annonce des résultats du référendum, la surprise et la désolation ont dominé pendant quelques jours. Les mouvements sur les marchés ont été très rapidement maîtrisés, car nous savons beaucoup mieux le faire qu'autrefois grâce à l'implication des banques centrales et des gouvernements. Ensuite, nous avons senti que les partenaires cherchaient des solutions de manière dispersée. Mais au fur et à mesure que la Grande-Bretagne durcissait son discours, les membres de l'Union européenne se sont rapprochés, une position commune a été décidée à Bratislava, et elle est tenue. Aucun des vingt-sept n'agit dans son coin. Face à une telle attitude de la Grande-Bretagne, tout le monde se serre les coudes.

Je ressens la même chose dans les premières réactions aux déclarations de M. Donald Trump, qui sont insensées. Elles n'ont aucune rationalité autre que celle du commentaire populiste par tweet interposé. Quel qu'ait été le parti au pouvoir, les États-Unis ont toujours été favorables à la construction européenne, peut-être pas dans toutes ses modalités, mais au moins dans le principe. Je veux rendre hommage aux États-Unis, qui ont été notre meilleur allié dans la question grecque. Nous avons toujours été très allants pour trouver des solutions, et ils ont été un allié très ferme, pesant de tout leur poids sur l'Allemagne et le Fonds monétaire international pour arriver à des accords.

Que le Président des États-Unis dise tout à coup des choses pareilles sur l'Europe n'a aucun sens au regard des intérêts du peuple américain et de l'économie américaine. Ils bénéficient d'une zone économique large, à la monnaie stable, qui facilite beaucoup le commerce, les transactions et les investissements. Ces déclarations n'ont aucun sens, et c'est ce que les principaux dirigeants européens ont traduit lorsqu'ils se sont exprimés. Je pense que ces déclarations feront l'objet de nombreuses discussions de couloir à Bruxelles jeudi 26 et vendredi 27, et nous aurons une parole cohérente et unifiée sur le sujet.

S'agissant des ressources propres, nous sommes extrêmement favorables à la démarche, et la manière dont travaille M. Monti est bonne. Le rapport final et les recommandations seront présentés lors du Conseil, et un premier débat s'engagera.

Pour autant, je ne pense pas que les ressources propres doivent remplacer la TTF. Ce n'est pas seulement une ressource, elle a la vertu de renchérir certains mouvements qui sont néfastes pour l'économie. Il ne faut jamais oublier que la TTF joue aussi un rôle de grain de sable dans les mécanismes financiers. À trop se concentrer sur la recette, on oublie son objectif, réguler et rendre plus rationnels les mouvements financiers, car on les rend plus coûteux.

La TTF fait l'objet de débats, portant notamment sur l'identité de son percepteur. La participation de petits pays est indispensable afin d'atteindre le nombre d'États suffisant pour mettre en place une coopération renforcée. Or, pour ces petits pays, comme la Slovaquie ou la Slovénie, la collecte de cette taxe coûtera plus que la recette. Ils demandent donc à raison une prise en compte globale de ces coûts, pour donner une cohérence globale au dispositif et éviter qu'il y ait trop de trous dans la raquette.

La question de l'affectation de cette recette est donc importante. Doit-elle passer par les États, qui peuvent s'engager par ailleurs à en consacrer une grande partie au financement de l'aide au développement, comme c'est notre cas ? Ou doit-elle remonter au niveau européen pour financer un certain nombre de grandes politiques ? Ce débat n'est pas tranché.

Quoi qu'il en soit, je pourrais vous parler plus largement du rapport Monti lorsque nous l'aurons examiné plus attentivement. Mais c'est une démarche que la France soutient.

S'agissant du rapprochement entre Deutsche Börse et le London Stock Exchange, nous avons fait connaître avec vigueur notre opposition et la Commission a fait part de ses interrogations, très sérieuses. Elle a notifié un certain nombre de griefs qui obligeraient à prendre des décisions lourdes pour l'opération. Du coup, il est permis d'émettre de gros doutes sur la réussite d'un tel rapprochement. Et l'attitude britannique, et le Brexit, intervenu postérieurement au lancement de l'opération, ne jouent pas en sa faveur.

Si néanmoins un tel rapprochement devait avoir lieu, des contreparties seraient nécessaires. On ne peut pas accepter qu'il n'y ait pas de chambre de compensation sur le territoire de la zone euro : si tout ce qui concerne les échanges en euros se trouve à Londres, c'est la souveraineté de l'euro qui sera mise en cause. C'est la sécurité même de l'euro qui est en jeu : en cas de défaillance technique dans les chambres de compensation à Londres, c'est le système euro qui serait lui-même mis en danger. C'est d'ailleurs la position de la Banque centrale européenne. Nous ne sommes donc pas au terme de cette affaire, et la France a fait connaître son opposition à cette opération, j'ai rencontré plusieurs fois la Commissaire à la concurrence à ce propos et elle avait tout à fait pris conscience du problème.

En Italie, certaines banques n'ont pas fait le ménage suite à la crise de 2008 ; et lorsqu'il s'est fait, nombre d'Italiens modestes, auxquels les banques avaient revendu une partie de leurs créances douteuses, en ont gardé un mauvais souvenir. C'est tout le problème : comment mener ce genre d'opération et quel doit être le degré nécessaire d'implication de l'État pour éviter qu'elle ait des conséquences sociales et politiques ? Les mésaventures précédentes ont été exploitées très efficacement par le mouvement cinq étoiles, et du coup nourri le populisme.

Je comprends que le Gouvernement italien soit précautionneux. Il a pris des décisions dans ce domaine, je pense qu'elles sont appropriées et permettront aux banques de surmonter leurs difficultés. Comme vous le savez, c'est maintenant à la Commission de se prononcer sur l'absence d'aide d'État illégale. Sur le fond, les mesures prises sont bonnes et je n'ai pas d'inquiétude sur la stabilité financière et bancaire italienne.

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La semaine dernière, j'ai reçu une délégation de parlementaires néerlandais. Ils étaient alors persuadés que la Grande-Bretagne demanderait à rester dans le marché unique. Comment interprétez-vous la déclaration très ferme de Mme May indiquant qu'il n'en est pas question, ni sous la forme suisse, ni sous la forme nordique ? Cela va-t-il conforter, de façon un peu paradoxale, les décisions de Bratislava et resserrer les liens entre les Vingt-sept ?

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Michel Sapin, ministre de l'économie et des finances

Je ne vois pas où serait la contradiction : je pense que ces déclarations sont de nature à renforcer encore la solidarité des Européens.

Seul un Britannique au coeur des débats pourrait interpréter clairement ces déclarations, mais mon sentiment est que cette position est bel et bien la conséquence de la fermeté des Européens. Pendant un moment, les Anglais ont pensé qu'ils pourraient conserver le marché unique et le passeport financier tout en bloquant la liberté de circulation des Européens. Il ne faut pas confondre immigration et circulation des Européens : il est parfaitement légitime que la Grande-Bretagne, comme chacun de nos pays, maîtrise les mouvements de populations extra-européennes à ses frontières, c'est même obligatoire. En revanche, la libre circulation des citoyens européens fait partie des quatre libertés indissociables.

Les Européens sont restés fermes sur ce point, mais également sur autre un aspect, plus technique : qui dit le droit dans les relations entre l'Europe et la Grande-Bretagne ? C'est tout le débat, très vif en Grande Bretagne, autour de la Cour de Justice de l'Union européenne. Les Britanniques estiment qu'elle remet en cause leur souveraineté. D'un certain point de vue, ils n'ont pas tort ; mais c'est toujours le cas lorsqu'on s'en remet à la justice internationale et non à celle de son pays. Et pourtant, cela peut être plus efficace sur bien des sujets, notamment lorsqu'il s'agit de résoudre des différends internationaux.

Mme May a dû se rendre compte qu'elle n'arriverait pas à tirer sur un bout de la ficelle sans lâcher le reste de la pelote… Du coup, elle a adopté une position aujourd'hui plus claire. J'ai entendu les réactions du président de la Commission ; pourquoi pas, au fond ? Ce dont nous avons besoin, c'est d'une position des Britanniques, et d'un engagement de la procédure. Nous n'avions rien de tout cela jusqu'à aujourd'hui, ce qui rendait les choses très compliquées. Nous avons maintenant une position claire, nous allons en tirer les conséquences ; et s'il n'y a pas de marché unique, la place de Londres n'aura pas la capacité d'agir sur le territoire de la zone euro. C'est ainsi, et nous devons nous préparer à ce que de grandes banques internationales décident de transférer des activités indispensables pour agir dans l'Union européenne sur le continent. Où sur le continent ? Nous essayons de montrer les qualités de la place de Paris…

La séance est levée à 19 h 05