Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du 1er février 2017 à 9h45

Résumé de la réunion

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La réunion

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Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a examiné le rapport d'information sur la faisabilité technique et financière du démantèlement des infrastructures nucléaires (Mme Barbara Romagnan, rapporteure).

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Notre commission examine ce matin le rapport de la mission d'information sur la faisabilité technique et financière du démantèlement des infrastructures nucléaires, que nous avons mise en place en mai 2016.

Cette mission, présidée par M. Julien Aubert, a nommé Mme Barbara Romagnan rapporteure. Elle a procédé à de nombreuses auditions – plus de soixante-dix personnes – et a effectué un certain nombre de déplacements, notamment aux États-Unis en novembre dernier.

À la fin de notre réunion, je mettrai aux voix non pas le contenu du rapport lui-même, mais le principe de sa publication.

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Nous sommes très heureux de vous présenter les résultats de cette mission d'information qui a travaillé pendant environ six mois. Nous avons organisé de nombreuses auditions, non seulement de représentants de l'industrie nucléaire, mais aussi d'experts, dont certains ont été très critiques. Nous avons notamment essayé d'établir des comparaisons internationales.

Notre premier problème a été de définir le périmètre de notre mission : qu'est-ce qu'une infrastructure nucléaire ? Qu'est-ce que le démantèlement nucléaire ? Comment appréhender l'aspect financier du démantèlement ? Au cours de nos travaux, nous sommes parvenus progressivement – Mme le rapporteur s'y est attelée avec l'énergie qui est la sienne – à sérier un certain nombre de problématiques : premièrement, la nature des provisions prévues par Areva, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Électricité de France (EDF) pour le démantèlement de ces infrastructures ; deuxièmement, les éventuelles différences de coût ou de faisabilité technique en fonction de la technologie ou de la puissance, sachant que le parc nucléaire est composé non seulement de réacteurs à eau pressurisée (REP), mais aussi de réacteurs à l'uranium naturel graphite-gaz (UNGG), auxquels s'ajoutent les installations d'Areva, les laboratoires expérimentaux et les prototypes du CEA ; troisièmement, la stratégie du démantèlement.

Peut-on considérer que la France a une stratégie de démantèlement ? Lors de notre déplacement aux États-Unis, nous nous sommes rendu compte que les Américains n'avaient pas de stratégie pour le stockage des déchets ; en d'autres termes, il n'existe pas d'équivalents américains du projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo) ou de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) – je le dis pour faire plaisir à notre collègue Christophe Bouillon. Mais, dans le même temps, les Américains sont plus avancés que nous en matière de démantèlement : d'après ce qu'ils nous ont expliqué, ils ont des stratégies de démantèlement très codifiées, qui vont du stockage sur place de type « mausolée » au « retour à l'herbe » total. A contrario, la France est beaucoup plus avancée que les États-Unis pour le stockage des déchets les plus radioactifs, grâce à Cigéo, mais, en matière de démantèlement, nous faisons en quelque sorte du vélo ou, pour le dire autrement, nous sommes « en marche » sans forcément réfléchir à l'objectif ! (Sourires.)

Je tiens à souligner que la mission d'information a travaillé dans une ambiance très cordiale et constructive. Mme le rapporteur ou Mme la rapporteure – cela dépend des positions politiques (Exclamations de plusieurs commissaires de la majorité) – et moi-même avons formé un binôme efficace, avec le soutien de l'équipe administrative. Certains membres de la mission ont été très actifs, en particulier Guy Bailliart, qui a participé à de nombreuses auditions.

Je partage en grande partie les conclusions du rapport, mais il existe une divergence réelle quant à la manière dont on analyse subjectivement le problème. La filière nucléaire est à un tournant décisif de son existence ; elle est même en crise, confrontée à des problèmes industriels et financiers. Il faut donc faire attention aux termes que l'on utilise. Dans le rapport, il est question de « provisions sous-estimées », ce qui, pour le magistrat de la Cour des comptes que je suis à l'origine, a une véritable signification comptable : parler de provisions sous-évaluées revient à critiquer la sincérité des comptes et, partant, la manière dont l'entreprise est gérée.

Après avoir écouté les arguments des uns et de autres, je pense, de très bonne foi, qu'il est possible de dire que les provisions calculées par EDF sont effectivement parmi les plus basses au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – c'est un fait –, mais que les comparaisons avec les autres pays sont très difficiles à établir. Tout d'abord, il existe dans chaque pays une certaine opacité sur le sujet – on ne peut pas dire que l'information soit directement accessible. Ensuite, les périmètres sont différents, et chacun regroupe sous le thème du démantèlement des éléments parfois très hétérogènes, par exemple le coût social, ou encore le stade qu'il s'agit d'atteindre, « retour à l'herbe » ou nouvelle vocation industrielle. Toute une série de paramètres entrent en ligne de compte : l'évaluation des coûts, le taux d'actualisation des provisions, etc.

Dès lors, tous ceux qui ont tenté d'établir des comparaisons internationales, tant l'OCDE que les critiques les plus acerbes du nucléaire, s'accordent à dire que les coûts estimés par EDF sont plutôt dans la partie basse de la fourchette, voire les plus bas, notamment par rapport à l'Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, mais que, en réalité, il est impossible de dire avec certitude que, à périmètre constant, ils sont effectivement inférieurs aux autres. Le tableau qui figure à la page 68 du rapport montre que l'évaluation par EDF du coût de démantèlement des REP n'est pas particulièrement choquante au regard des coûts de démantèlement constatés. On s'aperçoit que chaque réacteur est différent et qu'il n'y a pas de corrélation entre le coût et la technologie, ni de lien de proportionnalité entre le coût et la puissance du réacteur. Si l'on fait abstraction de ces paramètres, les coûts estimés par EDF sont plutôt dans la partie médiane de la fourchette. En tout cas, leur singularité ne saute pas aux yeux.

Certes, il existe des incertitudes sur les coûts, mais l'État actionnaire peut décider de modifier sa stratégie en ce qui concerne une partie de ces coûts. Ainsi, certaines taxes ne sont pas prises en compte dans les provisions, mais l'État pourrait très bien décider de ne pas percevoir la taxe sur les installations nucléaires de base pendant les opérations de démantèlement.

Un paramètre joue un rôle très important pour les provisions : la durée de vie des centrales. Les provisions ont été calculées par rapport à une durée de vie de quarante ans. Or, si l'on prolonge la durée de vie des centrales de vingt ans, les provisions vont fructifier pendant cette durée supplémentaire, et leur niveau actualisé sera donc, par définition, plus élevé. Nous disposons donc de leviers.

Il y a, là encore, une divergence. Je reconnais bien volontiers que, avec les provisions actuelles, nous sommes mal partis pour atteindre l'objectif d'un retour de la part de l'énergie nucléaire à 50 % en dix ans, fixé par la loi relative à la transition énergétique. Mais j'estime pour ma part que les objectifs de cette loi sont irréalisables et seront amenés à évoluer de toute manière : il n'est pas du tout certain que l'on parvienne à réduire la part du nucléaire à 50 %. C'est pourquoi nous ne faisons pas le même diagnostic sur la question des provisions.

Il n'en reste pas moins – j'essaie d'être le plus objectif possible – qu'il faut conseiller la prudence à EDF. Au coeur du débat, il y a l'affirmation par EDF que ses coûts seront moindres que ceux des exploitants des pays voisins dans la mesure où elle est l'opérateur unique d'un parc de cinquante-huit réacteurs, ce qui est source d'économies d'échelles grâce à la mutualisation de certaines dépenses, notamment de l'utilisation des machines. Tout le monde s'accorde à dire que cet effet de série existe, mais personne n'est d'accord sur sa quantification : les plus critiques estiment que cela réduira les coûts de 10 à 15 % au plus, les plus optimistes de 40 à 50 %. Notre mission a cherché un expert qui puisse nous fournir des chiffres précis, sur la base de comparaisons internationales ou d'effets de série constatés dans d'autres domaines industriels tels que la démolition des immeubles, mais personne n'a été en mesure de le faire. Sur ce point, je souscris donc à la conclusion du rapport : les hypothèses d'EDF étant plutôt optimistes et ses provisions étant basses, il faut lui donner un conseil de prudence, en l'invitant notamment à évaluer le coût du démantèlement réacteur par réacteur, alors qu'elle calcule aujourd'hui un coût global.

En définitive, je suis en désaccord avec la formulation, qui va, selon moi, trop loin, car elle met en doute la sincérité des comptes d'EDF. Je ne suis pas convaincu par cet aspect du rapport. En revanche, ce rapport a au moins deux mérites à mes yeux : il clarifie le débat et adresse un message de prudence à l'industrie nucléaire.

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Au cours de ses travaux, la mission a auditionné environ soixante-dix personnes. Nous nous sommes déplacés non seulement en France, mais aussi aux États-Unis, car ce pays possède le parc nucléaire le plus important au monde, et les réacteurs américains sont comparables aux nôtres. L'objet de notre mission était, je le rappelle, de faire le point sur la faisabilité technique et financière du démantèlement des infrastructures nucléaires. Ces questions se posent précisément maintenant pour deux raisons essentielles : d'une part, 80 % du parc nucléaire français arrive au terme de sa durée d'exploitation initialement prévue, soit quarante ans ; d'autre part, nous avons voté en 2015 la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui prévoit une réduction de 75 à 50 % de la part de l'énergie nucléaire dans la production d'électricité en France d'ici à 2025.

Ainsi que le président de la mission l'a rappelé, il a souvent été difficile d'obtenir des informations certaines. Il n'y a qu'une seule certitude : le démantèlement aura forcément lieu ; il s'impose à tous, que l'on soit favorable ou non à la poursuite d'une filière nucléaire en France, question qui n'était d'ailleurs pas l'objet de notre mission. Nous devons donc montrer dans tous les cas que nous sommes en mesure de réaliser ce démantèlement. Or il apparaît que la filière nucléaire française n'avait pas anticipé ce démantèlement ou l'avait très mal fait, en tout cas en ce qui concerne le premier parc.

J'aborderai successivement la faisabilité technique et la faisabilité financière.

S'agissant de la faisabilité technique, il convient de distinguer les deux parcs d'EDF. Le premier parc, le plus ancien, est composé de neuf réacteurs, tous à l'arrêt. Il s'agit des six réacteurs UNGG, du réacteur à eau lourde de Brennilis, en Bretagne, de Superphénix et du réacteur de Chooz A, petit REP souterrain de 300 mégawatts. Le deuxième parc, plus récent, assez homogène, comprend cinquante-huit REP, construits pour la plupart entre 1977 et 1987, tous en fonctionnement. L'EPR de Flamanville, seul réacteur en construction actuellement, n'est pas inclus dans ce deuxième parc.

En ce qui concerne le premier parc, rien ne s'est passé comme prévu ou, du moins, comme il aurait fallu, sauf pour le réacteur de Chooz A, dont le démantèlement est presque terminé. Les réacteurs UNGG sont tous à l'arrêt depuis la fin des années 1990. En 2016, EDF a annoncé qu'elle reportait la fin prévue de leur démantèlement de 2041 à 2100 en raison de difficultés techniques, reconnues d'ailleurs en termes très simples par M. Sylvain Granger, responsable du démantèlement chez EDF : « Nous sommes face à une difficulté technique non résolue à l'échelle industrielle. »

Nous avons tous été un peu intrigués, voire interloqués, par le fait que ce problème de faisabilité n'a été découvert que très récemment : alors même que le dernier réacteur de la filière a été arrêté il y a déjà vingt ans, que le réacteur américain de Fort Saint-Vrain, qui présente des caractéristiques assez semblables à celles de nos UNGG, a été démantelé il y a déjà dix-neuf ans, qu'EDF a réalisé des études sur cette question pendant quinze ans et que sa stratégie de démantèlement a été validée par l'Agence de sûreté nucléaire (ASN), on s'est rendu compte qu'il ne serait pas possible de réaliser le démantèlement dans les conditions prévues et qu'il allait falloir le reporter « au début du XXIIe siècle », pour reprendre les termes de l'ASN. Autrement dit, il faudra plus d'un siècle pour démanteler ces réacteurs !

Selon les prévisions d'EDF, le démantèlement de la vieille centrale de Brennilis, constituée d'un petit réacteur à eau lourde de 70 mégawatts, devrait être achevé, si tout se passe bien, en 2032. Il aura donc fallu, si tout se passe bien, quarante-sept ans pour démanteler un réacteur exploité pendant dix-huit ans.

Enfin, Superphénix, qui a été arrêté il y a vingt ans, en 1997, pose des problèmes particuliers en raison des difficultés qu'il y a à évacuer le sodium : à l'état liquide, celui-ci explose au contact de l'eau et prend feu au contact de l'air.

Rappelons que les installations du premier parc ne sont pas standardisées : chacune d'entre elles présente des particularités qui peuvent entraîner des surcoûts difficiles à anticiper. EDF n'a pas été en mesure de nous fournir – ou n'a pas souhaité le faire – le montant déjà dépensé ou prévu pour leur démantèlement. Nous ne disposons que d'une seule donnée : en 2006, la Cour des comptes a évalué le coût de démantèlement de la centrale de Brennilis à 482 millions d'euros, soit vingt fois le coût initialement prévu.

En ce qui concerne le deuxième parc, à savoir les cinquante-huit REP actuellement en fonctionnement, au vu des réponses de la plupart de nos interlocuteurs, nous n'avons pas de raison de douter a priori qu'EDF sera bien en mesure de réaliser leur démantèlement du point de vue technique. Restent les difficultés liées au travail dans un milieu radioactif : si EDF a anticipé, en mettant au point des robots évitant aux individus d'aller eux-mêmes dans des zones trop fortement radioactives, les centrales n'ont pas vraiment été conçues, au moment de leur construction, pour être démantelées. Il faut pouvoir introduire ces robots dans les endroits à démanteler, et il faut qu'ils disposent de suffisamment d'espace pour évoluer.

La standardisation du deuxième parc est généralement invoquée comme un avantage. Celui-ci est réel : dans la mesure où ces réacteurs sont sensiblement les mêmes, l'expérience acquise lors du démantèlement de l'un d'entre eux servira lors du démantèlement des autres. Cependant, dans la mesure où ils ont été construits pour l'essentiel à peu près au même moment, entre 1977 et 1987, on peut supposer que leur démantelèrent interviendra au cours de la même période. Dès lors, disposera-t-on du personnel et du matériel suffisants pour réaliser simultanément tous ces démantèlements ? En outre, si l'on est confronté à une difficulté sur un réacteur, ne risque-t-on pas de la rencontrer sur les autres réacteurs du parc ?

À ces difficultés s'ajoutent l'engorgement des lieux de stockage et l'absence, à ce stade, de filière adaptée pour le graphite usagé. Ces éléments étaient en marge de notre travail, mais il faut en tenir compte pour la faisabilité technique.

En définitive, nous considérons que la faisabilité technique du démantèlement n'est pas entièrement assurée.

S'agissant de la faisabilité financière, même si nous sommes d'accord sur l'essentiel, le président de la mission et moi-même ne faisons pas tout à fait la même interprétation : pour ma part, je considère que les charges de démantèlement sont vraisemblablement sous-évaluées et, par conséquent, sous-provisionnées.

Je vous donne d'abord quelques chiffres. Le coût global final du démantèlement est estimé par EDF à 75,5 milliards d'euros. Cette somme sera décaissée progressivement, au fur et à mesure des démantèlements. La somme qui doit être provisionnée s'élève à 36,1 milliards ; il s'agit d'une simple écriture comptable. Conformément à une spécificité de la loi française, heureuse à notre sens, les deux tiers de ces provisions, soit 23,5 milliards, doivent être couverts par des actifs dédiés.

Nous avons essayé de comparer ces estimations de coûts avec celles qui ont été faites dans d'autres pays. Les exploitants étrangers ont tous prévu des provisions supérieures à celles d'EDF. Ainsi que le président de la mission l'a relevé, deux facteurs peuvent l'expliquer : d'une part, les exploitants ne prennent pas forcément en compte les mêmes opérations ; d'autre part, l'importance et la standardisation du parc d'EDF peuvent laisser espérer un certain nombre d'économies d'échelle, qui ne sont pas envisageables dans les mêmes proportions ailleurs.

Toutefois, les chiffres annoncés par d'autres pays, notamment par le Royaume-Uni et les États-Unis, sont vraisemblablement plus proches de la réalité, car ils se basent sur des démantèlements qui ont été effectivement réalisés. Rappelons que, à ce stade, EDF n'a mené aucun démantèlement jusqu'à son terme.

À mon sens, un certain nombre de charges sont objectivement non provisionnées.

Ainsi, les taxes et assurances ne sont pas prises en compte. Le président de la mission a indiqué tout à l'heure que l'État pourrait finalement décider de ne pas demander le paiement de la taxe sur les installations nucléaires de base pour les opérations de démantèlement. Certes, cette taxe a été abaissée dans le cadre du dernier collectif budgétaire, mais elle existe toujours, et il faut donc la budgéter.

L'évacuation des combustibles usagés n'est pas prise en compte non plus, par principe, car elle est considérée non pas comme un coût de démantèlement, mais comme un coût d'exploitation. Reste qu'il faudra bien la financer à un moment donné.

La remise en état des sols n'est pas prévue, car EDF envisage la plupart du temps de construire de nouveaux réacteurs sur les sites concernés.

De plus, EDF mise sur une mutualisation qui repose sur l'hypothèse, à mon sens optimiste, de la construction de nouveaux réacteurs sur ces sites. Dans le cas de deux réacteurs situés côte à côte, si l'on en démantèle un pendant que l'autre reste en fonctionnement, un certain nombre de dépenses – gardiennage, utilisation des machines, etc. – peuvent servir pour les deux. En revanche, pour que cette mutualisation fonctionne pour le deuxième réacteur, cela suppose qu'un nouveau réacteur soit en construction. Certes, ce n'est pas exclu, mais il s'agit d'une vision optimiste de l'avenir du point de vue du financeur, car, à ce stade, les décisions en ce sens n'ont pas été prises.

Enfin, le taux d'actualisation retenu – c'est-à-dire, grosso modo, le taux d'intérêt appliqué aux provisions – est le plus élevé d'Europe, donc le plus favorable, ce qui nous paraît optimiste.

En outre, nous ne disposons pas de données précises – sans doute n'est-il pas possible d'en produire – sur le gain résultant de l'effet de série.

À mon sens, la méthode de calcul du coût global, appelée « Dampierre 2009 », donne elle aussi matière à discussion. Elle a consisté à estimer, en 2009, le coût du démantèlement d'un réacteur type de 900 mégawatts, celui de Dampierre, et à le multiplier par cinquante-huit. Or il y a deux limites à cette façon d'évaluer le coût global. Premièrement, on ne prend pas en compte l'historique de chacun des réacteurs ; certes, ils sont sensiblement identiques, notamment en termes de conception, mais ils ont connu des événements différents. Deuxièmement, entre 2009 et 2017, les exigences de sécurité ont été renforcées à la suite de l'accident de Fukushima. EDF, que nous avons interrogée à ce propos, indique en avoir tenu compte et affirme que cela ne modifie pas les coûts de manière sensible. Je suis disposée, le cas échéant, à adhérer à cette idée, mais, à ce jour, nous n'avons pas reçu les éléments chiffrés qu'EDF devait nous envoyer.

Autre coût qu'EDF n'envisage pas : le coût social. Aujourd'hui, on estime qu'une centrale nucléaire équivaut en moyenne à 1 000 emplois directs. EDF, que nous avons interrogée, a indiqué que, compte tenu de l'importance de son parc, des salariés qui ne pourraient plus travailler sur un site pourraient être embauchés sur un autre. Cette hypothèse n'est pas invraisemblable, mais il existe, à un moment donné, une limite, car il n'est pas absolument certain que chaque réacteur soit remplacé par un autre réacteur. Et, quand bien même on s'engagerait dans la construction de nouveaux réacteurs, ceux-ci seront plus puissants que ceux qui sont en service actuellement. Il n'y aurait donc vraisemblablement pas autant de réacteurs qu'aujourd'hui.

Enfin, une dernière interrogation porte sur la nature des actifs dédiés aux provisions et sur leur caractère liquide. EDF a notamment inscrit, au titre de ces actifs, sa filiale Réseau de transport d'électricité (RTE). Nous avons donc demandé aux responsables d'EDF si cela signifiait qu'ils envisageaient de vendre RTE si besoin en était. Ils nous ont répondu que non. Soit, mais alors, un problème de liquidité peut se poser. Si tel était le cas, comment s'y prendrait-on ?

Pour faire face à ces montants importants, la stratégie qu'EDF semble avoir retenue est de parier sur un allongement de la durée de vie des centrales nucléaires grâce au programme de « grand carénage ». Le montant de cet investissement est évalué à 74 milliards d'euros, ce qui équivaut au coût total du démantèlement estimé par EDF. Cette stratégie aurait trois conséquences favorables pour l'électricien : permettre aux provisions d'augmenter avec le temps ; étaler le démantèlement pour éviter l' « effet falaise », c'est-à-dire le fait de devoir réaliser simultanément un grand nombre de démantèlements ; ralentir l'engorgement des exutoires. Cela pose cependant un problème réel au regard des citoyens que nous représentons : c'est une façon de s'asseoir sur la loi relative à la transition énergétique que nous venons de voter !

Ce pari nous semble d'autant plus surprenant et audacieux que, pour l'instant, l'électricien n'a pas reçu l'aval technique de l'ASN pour le prolongement de la durée de vie de la plupart de ses centrales.

Donc, nous concluons, dans notre rapport, qu'il est nécessaire de discuter beaucoup plus largement de cette stratégie de démantèlement. Les enjeux économiques, financiers, mais aussi, potentiellement, sanitaires sont extrêmement importants. D'autant que, si EDF n'est pas en mesure de financer le démantèlement dans les conditions prévues, cela signifie que l'État, c'est-à-dire, in fine, le contribuable, devra se substituer à elle.

Le nucléaire s'inscrit dans le temps long. D'où une difficulté à se projeter, y compris pour les opérateurs : il peut s'écouler un siècle, voire davantage, entre le moment où l'on pose la première pierre d'une centrale et celui où le site est totalement démantelé et assaini. Cela nous conduit à nous interroger sur le rôle de l'État actionnaire, qui détient 85 % du capital de l'électricien. Car si la République exerce sa tutelle sur EDF au travers du ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer, d'une part, et effectue un contrôle par le biais de l'ASN, d'autre part, c'est aussi la République et, donc, nous tous qui sommes censés définir la politique de l'entreprise via la participation détenue par l'État.

Je souligne l'intérêt et le plaisir que j'ai eus à réaliser ce travail, avec l'assistance de nos collaborateurs et des administrateurs de l'Assemblée nationale. Je remercie les membres de la mission d'information, en particulier Guy Bailliart, qui a été particulièrement présent. J'ai le sentiment, avec toutes les limites que cela comporte, d'avoir contribué à la réflexion et d'avoir fait oeuvre utile. Je remercie le président Jean-Paul Chanteguet d'avoir permis le déroulement de cette mission.

Pour conclure, on peut s'étonner qu'on ne s'intéresse à cette question que maintenant, alors même que les réacteurs atteignent tous le terme de leur durée de vie initialement prévue, à savoir quarante ans – ce qui ne signifie pas que celle-ci ne peut pas être prolongée.

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Je salue la qualité du travail effectué par le président et la rapporteure de cette mission d'information sur la faisabilité technique et financière du démantèlement des infrastructures nucléaires. Il est important de rappeler l'importance de voir des parlementaires de la majorité et de l'opposition travailler ensemble sur un sujet donné : cela se traduit par des propositions qui intéressent l'ensemble de la représentation nationale.

Je salue également le travail des douze membres de la mission dans leur diversité – qui, en dépit de leur nombre, ne sont pas devenus les apôtres du nucléaire, mais des experts que l'on écoute avec intérêt.

Vous avez abordé ce travail dans toutes ses dimensions, à la fois technologiques, techniques, financières et éthiques, ce qui est la bonne façon d'aborder un sujet aussi complexe, et formulé des propositions fortes. Il est important que la représentation nationale puisse se pencher sur la question du nucléaire en France, qui nécessite de la constance – puisque c'est un sujet de temps long –, mais aussi de poser des jalons et d'interroger régulièrement les acteurs de la filière.

Il a souvent été dit que la France pourrait, compte tenu de la quantité d'installations qu'elle va devoir démanteler, faire de cette activité une filière d'excellence dont les acteurs seraient considérés comme des experts. Disposez-vous sur ce point d'une projection en termes d'emplois ? L'expertise acquise en la matière serait-elle exportable aux États-Unis ou dans d'autres pays appelés à être prochainement confrontés aux mêmes enjeux que nous ? La loi de transition énergétique, notamment la programmation pluriannuelle de l'énergie, agit-elle sur le rythme du démantèlement ? Dans l'hypothèse où elle induit une accélération du processus, sommes-nous prêts à absorber cette accélération ?

La nouvelle configuration d'Areva a-t-elle un impact sur le démantèlement ?

La question du seuil de libération, déjà évoquée dans le cadre d'autres missions ainsi que dans celui de notre commission, est essentielle. Si l'IRSN a, très tôt, cherché à engager le débat à ce sujet, l'ASN a, elle, toujours maintenu la même position de principe, à la fois éthique et politique. Selon vous, comment pourrait-on faire en sorte que les différents acteurs concernés ne restent pas figés indéfiniment dans la même posture ?

Pour ce qui est des provisions constituées par EDF, inférieures à celles faites par les opérateurs d'autres pays européens, j'aimerais savoir quels sont les moyens d'action du Parlement en la matière. La question n'est pas sans importance car il est évident qu'elle a une incidence sur la situation d'EDF, qui fait partie d'un marché ouvert sur le monde. Par ailleurs, on sait que le domaine du nucléaire est fortement capitalistique et exige de disposer de gros moyens financiers ; dès lors, la question des provisions influe sur la capacité, pour un acteur tel qu'EDF, à mener à bien l'ensemble des projets qu'il porte.

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Sur un sujet aussi technique que celui-ci, qui concerne bien le démantèlement des infrastructures nucléaires et non la question de l'opportunité de recourir ou non au nucléaire comme énergie – comme cela est d'ailleurs précisé dès les premières pages du rapport –, nous pourrions nous attendre à ce qu'un consensus se dégage des travaux de notre mission d'information.

Ce n'est pourtant pas le cas, comme en atteste l'avertissement figurant au début de ce rapport, qui souligne le désaccord entre le président de la mission et la rapporteure sur un certain nombre de points – un désaccord d'ailleurs rappelé, tout au long du rapport, par des encarts du président de la mission soulignant telle ou telle divergence de vue avec la rapporteure. Cela montre bien, une fois de plus, que la question du nucléaire est extrêmement sensible et que, quel que soit l'angle adopté pour l'aborder, des questions stratégiques, et donc des questions d'appréciation politique, se posent.

L'un de ces points de désaccord porte sur une question centrale du rapport, celle de la « sous-estimation vraisemblable » – c'est le titre du II de la troisième partie du rapport – par EDF du coût du démantèlement de ses centrales. Il s'agit là d'un sujet lourd de conséquence pour EDF, et qui incite à s'interroger sur la faisabilité financière du démantèlement des infrastructures nucléaires à courte échéance. Ce point m'inspire plusieurs questions.

Premièrement, est-il sérieux et raisonnable d'envisager un prolongement de la durée de vie des réacteurs de façon à étaler dans le temps la constitution des provisions qui serviront au démantèlement ? C'est le pari que semble faire EDF à l'instar de ce qui se fait dans certains pays, selon une méthode qui place le principe de réalité économique et financière avant toute volonté de réduction de la part de l'énergie nucléaire dans la production d'électricité.

Deuxièmement, l'objectif fixé par la loi de transition énergétique de faire passer d'ici à 2025 – c'est-à-dire demain – la part de l'électricité d'origine nucléaire à 50 % contre 75 % aujourd'hui est-il réaliste ? À la lecture du rapport, on a l'impression qu'EDF aurait décidé de s'affranchir de cet objectif.

Troisièmement, le rapport souligne que l'hypothèse de la constitution, dans notre pays, d'une véritable filière de démantèlement des infrastructures nucléaires, est impossible en l'absence de visibilité et d'un agenda clair. Si je partage en partie l'analyse développée dans le rapport à ce sujet, je considère cependant que nous devons explorer toutes les pistes de façon que le marché du démantèlement puisse revenir à des entreprises qui créent de l'emploi sur notre sol. Il serait tout de même incroyable que la France, deuxième producteur mondial d'électricité nucléaire, ne parvienne pas à organiser sa filière de démantèlement. Je souhaite donc connaître l'avis de nos collègues à ce sujet.

Enfin, pour conclure mon propos, je pense qu'il serait très utile que notre commission puisse auditionner les dirigeants d'EDF – dont l'État est actionnaire à hauteur de 85,6 % –, afin de leur permettre de s'exprimer devant nous au sujet de ce rapport particulièrement inquiétant.

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Rien ne pèse tant qu'un secret, comme le disait Jean de La Fontaine dans sa fable Les Femmes et le secret. J'ai entendu le président de notre Commission dire qu'il fallait sortir de l'opacité, et je voudrais saluer la volonté de transparence des auteurs de ce rapport d'information, car je suis convaincu que la transparence et la science nous seront nécessaires pour nous affranchir des passions qui entourent les débats sur le nucléaire.

La question du démantèlement des installations nucléaires est infiniment complexe pour ceux qui ne sont pas experts en ce domaine – je ne le suis pas et j'imagine que peu de mes collègues le sont –, et je pense que cette question doit être abordée avec humilité et lucidité, quelles que soient nos convictions en la matière.

Je remercie la rapporteure et le président de la mission, qui ont accompli un travail de fond portant sur de multiples points précis et sous-problématiques sur lesquels même les spécialistes ne savent pas tout. Les nombreuses comparaisons qu'établit le rapport avec les autres pays confrontés aux mêmes défis, et connaissant des réussites et des échecs, nous montrent la difficulté du chemin, mais elles sont indispensables pour le débat et pour décider du temps, de la méthode et des perspectives pour la France.

Comme dans d'autres domaines, notre unique boussole doit être scientifique. Les considérations idéologiques et les emportements irrationnels, d'un côté comme de l'autre, ne favorisent pas le débat serein et éclairé dont nous avons besoin. À ce sujet, nous avons encore des progrès à faire, mais nous en avons fait déjà beaucoup, et la situation actuelle n'a plus rien à voir avec celle d'il y a vingt-cinq ou trente ans.

Je veux de nouveau saluer le rôle et les travaux remarquables de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de l'ASN, je crois que nous pouvons être unanimes pour dire que c'est une chance pour la France que de disposer d'institutions de si haut niveau : quand on a cette chance, on se doit de ne pas la gâcher et d'essayer de l'optimiser. Ces autorités doivent être renforcées – je l'ai souvent dit, mais le rapport qui nous est présenté me donne une nouvelle occasion d'insister sur ce point.

Le Grenelle de l'environnement avait évité d'aborder le nucléaire, ce qui était peut-être une condition nécessaire à sa réussite, mais notre majorité peut être fière d'avoir réussi une belle loi sur la transition énergétique au sein de laquelle le nucléaire n'était pas tabou.

Sur les conclusions et les recommandations du rapport, nous constatons à nouveau que, concernant le nucléaire, les coûts initialement affichés ne correspondent en rien aux coûts réels, et que les investissements proposés par EDF apparaissent insuffisants. Même si nous peinons à obtenir des chiffres précis, donc à mesurer l'ampleur du delta entre prévisions et réalité, il n'y a aucun doute sur le fait qu'il est immense.

Ce rapport – comme d'autres qui suivront – tente de faire la lumière sur ce point essentiel, mais ce n'est pas suffisant : compte tenu de l'importance de la question du coût du nucléaire, nous devrions avoir en France des outils améliorés pour le calculer, un groupe, une structure indépendante réunissant les meilleurs experts scientifiques associés à nos meilleurs comptables – je pense à la Cour des comptes pour ce qui est des aspects financiers.

Les exemples de sortie progressive du nucléaire de nombreux voisins et les démantèlements en cours au Japon, en Allemagne, au Royaume-Uni, dans les pays baltes, en Bulgarie, en Slovaquie, en Suisse et en Belgique, nous montrent, me semble-t-il, que nous avons fait le bon choix en décidant d'une baisse de la part du nucléaire dans notre bouquet énergétique.

S'il est difficile d'avoir une conviction définitive sur le sujet, je crois intuitivement que le nucléaire ne fait pas partie des énergies d'avenir sur lesquelles nous devrions massivement investir.

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Je remercie la rapporteure et le président de cette mission, aux travaux desquels j'ai participé autant que je le pouvais.

Nous avons visité plusieurs sites nucléaires et rencontré un grand nombre de personnes travaillant dans ce domaine, ce qui nous a permis de vérifier que notre pays dispose d'une expertise de haut niveau en la matière, ce qui est une richesse. Nous avons également constaté que les personnes travaillant dans le nucléaire ont une grande confiance en leur industrie – contrairement aux personnes étrangères à ce secteur qui continuent, elles, à avoir des craintes.

Pour ma part, j'ai souvent eu l'impression, au cours des auditions, d'avoir pour interlocuteur l'un de ces magasins qui promettent de vous rembourser la différence si vous trouvez ailleurs que chez eux le même produit vendu moins cher : le problème, c'est que vous ne trouvez jamais exactement le même produit. Il en est de même en matière de nucléaire où, à chaque fois que l'on voudrait établir des comparaisons entre la France et un autre pays, on ne dispose jamais d'éléments présentant une similarité suffisante pour permettre l'établissement d'une comparaison détaillée. C'est incontestablement un élément de faiblesse dans l'argumentation d'EDF qui, en ne fournissant pas d'éléments de comparaison probants, contribue à entretenir la confusion.

Par ailleurs, je regrette, pour plusieurs raisons, que nous ne disposions pas d'un agenda du démantèlement. Premièrement, cela nous prive de toute certitude sur le fait que les opérations de démantèlement donneront lieu à un effet de série. Comme nous l'a expliqué un sous-traitant potentiel, il n'y aura aucun effet de série si toutes les opérations sont effectuées simultanément : pour bénéficier de cet effet, il faut que les opérations soient successives.

Deuxièmement, l'absence d'agenda nous conduit à nous interroger au sujet du vieillissement des installations. Quoi qu'en dise EDF, qui se veut toujours rassurante, les centrales vieillissent et, ce faisant, deviennent plus fragiles et de moins en moins sûres, ce qui rendra leurs réparations à la fois plus compliquées et plus urgentes.

Troisièmement, sans agenda, rien ne nous garantit contre l'effet de falaise. Si le démantèlement n'est envisagé que comme une échéance lointaine, les opérateurs sont forcément tentés de se dire qu'ils sont tranquilles pendant quinze ou vingt ans : à l'issue de ce délai, ce sera l'effet de falaise, qu'un étalement des opérations programmé sur plusieurs années, centrale par centrale, aurait permis d'éviter.

Quatrièmement, en matière de finances, le fait de ne pas disposer d'un agenda nous prive également de l'effet d'actualisation permettant de doubler les provisions. En effet, pour bénéficier de l'effet d'actualisation, il faut pouvoir disposer des fonds – or, dès lors qu'on commence à démanteler, on dépense ces fonds, ce qui empêche d'actualiser.

Je conclurai sur la question des déchets de très faible et moyenne activité, qui représentent une masse importante et pour lesquels on n'a pas vraiment de solution pour le moment.

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En parcourant cet excellent rapport, on prend conscience de l'extrême complexité d'éventuelles opérations de démantèlement des sites nucléaires. Comme vous le montrez, les difficultés sont à la fois d'ordre technique et financier. À mon sens, elles sont également d'ordre économique et social.

En effet, les démantèlements auront forcément un impact négatif sur l'emploi et l'économie des bassins concernés. A-t-on élaboré des évaluations sur ces deux points en fonction des différents scénarios de démantèlement ?

Par ailleurs, un accompagnement d'EDF et de la puissance publique se révèle indispensable pour aider à la création de nouvelles activités locales et éviter ainsi des phénomènes de désertification des sites concernés. Une réflexion est-elle en cours sur cette question ?

Vous évoquez le développement d'une activité industrielle liée au démantèlement des installations nucléaires. Si c'est effectivement un point positif, a-t-on chiffré ce que cette nouvelle filière pourrait engendrer, notamment en termes d'emploi et de création de richesses ?

Enfin, une reconversion des emplois liés à la production nucléaire au profit de la filière de démantèlement, qui supposerait des programmes spécifiques de formation du personnel technique existant, est-elle envisageable ?

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Je remercie sincèrement le président de notre Commission, mais aussi le président et la rapporteure de la mission d'information, pour ce rapport extrêmement intéressant, mais dont les conclusions sont un peu effrayantes, aussi bien en ce qui concerne l'organisation du démantèlement que ses aspects financiers et les incertitudes portant sur la compatibilité de sa mise en oeuvre avec celle de la loi de transition énergétique.

Si j'ai bien compris, chaque démantèlement est un cas particulier, ce qui explique que le déroulement du processus global soit si difficile à anticiper. À lui seul, cet aspect est inquiétant, car il pourrait être tentant de laisser les installations en l'état plutôt que de se lancer dans des opérations lourdes et incertaines. Quelle est votre position sur ce point ? Votre vision initiale du nucléaire s'est-elle trouvée modifiée à l'issue de vos travaux ?

Estimez-vous qu'EDF provisionne suffisamment ? Dans la négative, le rôle de l'État sera important : comment se positionnera-t-il face à la perspective de devoir régler des sommes considérables ?

Quelles conséquences la prise en compte du coût du traitement des déchets va-t-elle avoir sur la facture du démantèlement ? Ce coût est-il intégré dès le départ, ou reste-t-il une inconnue ?

Comme M. Jacques Krabal, je pense que le nucléaire n'est pas une technologie d'avenir et qu'il faut se diriger progressivement, mais sans tarder, vers l'arrêt de cette source d'énergie, plutôt que de continuer l'actuelle fuite en avant, qui freine notre capacité à innover et nous empêche de développer d'autres énergies.

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La France n'est pas le seul pays à se trouver confronté aux incertitudes liées à la faisabilité technique et financière du démantèlement de nos infrastructures nucléaires, notamment en termes de coût. À cet égard, le cas de l'Allemagne est intéressant, puisque sept centrales y ont été fermées après Fukushima et neuf autres devraient l'être d'ici à 2022. Or, l'Allemagne est dans une incertitude totale concernant les coûts à venir car, pas plus que d'autres, ce pays ne possède d'expérience très avancée en matière de démantèlement. Ce qui est certain, c'est que si les montants provisionnés ne sont pas suffisants, c'est sur le contribuable que le surcoût se répercutera, en Allemagne comme en France. Si, grâce au nucléaire, les Français ont disposé durant des années de l'électricité la moins chère d'Europe, il n'est pas certain qu'il en soit de même à l'avenir. Quelle est votre position sur ce point ?

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Je salue la qualité du travail réalisé sur un sujet sensible et aux enjeux considérables. L'approche du coût du démantèlement de 58 réacteurs, qui comporte de nombreuses incertitudes, a été réalisée avec un soin particulier. Les coûts pour la France sont difficilement comparables à ceux d'autres pays, du fait que les méthodes mises en oeuvre ne sont pas forcément les mêmes. Ils diffèrent également selon que l'on bénéficie ou non d'un effet de série, et que l'on fasse jouer ou non la concurrence entre EDF et d'autres sociétés.

Le démantèlement comporte également des contraintes réglementaires en matière de traitement des déchets. Faut-il avoir une approche différenciée en fonction de la destination des matériaux ? Dans une centrale, de nombreux matériaux de construction ne sont jamais en contact avec des éléments radioactifs et pourraient donc être récupérés pour d'autres usages : le béton ne pourrait-il être broyé et les métaux ferreux, recyclés, ce qui permettrait de réaliser d'importantes économies ?

Par ailleurs, peut-on démanteler et stocker sur place, là encore afin de réduire les coûts ?

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Monsieur le président de la Commission, monsieur le président de la mission, madame la rapporteure, le rapport d'information qui nous est présenté ce matin a pour but de mesurer les besoins et les impacts du démantèlement des installations nucléaires. Ce sujet intéresse un grand nombre de nos concitoyens et aura, ne l'oublions pas, des conséquences à très long terme pour nombre d'entre eux.

Le travail mené par nos collègues est très fourni et mérite d'être apprécié à sa juste valeur, car il a pris en compte un grand nombre de données en France, mais s'appuie aussi sur les expériences d'autres pays confrontés aux mêmes enjeux.

Comme il est écrit dans ce rapport, le nucléaire s'inscrit dans le temps long et il en sera de même pour son démantèlement, quelles que soient les annonces que nous pouvons entendre à ce sujet. Nous paierons dans les deux sens du terme les conséquences de la vision peu ou pas assez prospective d'anciens acteurs du nucléaire.

Dans notre pays, l'État est l'actionnaire largement majoritaire de l'électricien. Il est donc aussi de sa responsabilité de prévoir l'héritage qu'il laissera aux générations à venir. Afin de relever ce défi, nous ne pouvons pas ignorer les coûts d'un tel processus. Je veux parler bien sûr des coûts réels, et non d'estimations d'ores et déjà jugées sous-estimées.

Aussi, même si la faisabilité technique n'est aujourd'hui pas assurée, ne faudrait-il pas qu'un organisme indépendant puisse évaluer le plus finement possible les coûts directs et induits du démantèlement, afin de répondre à l'exigence éthique en la matière ?

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Je salue le travail effectué par le président et la rapporteure de la mission d'information, qui nous ont présenté un excellent rapport.

Il convient de rappeler que nous avons des obligations, résultant de l'Accord de Paris, en termes de diminution des rejets de carbone dans l'atmosphère au cours des années à venir. Pour être en mesure de tenir ces engagements, il faudra pouvoir disposer en quantité suffisante d'une production d'électricité décarbonée et, pour cela, travailler sur les énergies nouvelles – notamment l'énergie hydroélectrique –, mais aussi encourager la production d'électricité d'origine nucléaire, une filière d'excellence en France.

Pour cela, quatre points doivent être privilégiés : il faut continuer la recherche sur les combustibles, développer les nouvelles technologies de combustion – fission et fusion –, faire en sorte que Cigéo mette au point des solutions fiables et pérennes pour le stockage des déchets, enfin assurer la technologie et le financement du démantèlement.

Il me semble qu'une question n'a pas été abordée, celle du nombre d'emplois supprimés à chaque fois que l'on démantèle un réacteur – or, cette question est d'importance : on annonce ainsi la suppression de 2 000 emplois à Fessenheim. Quelles mesures d'accompagnement visant à la création de nouveaux emplois préconisez-vous de mettre en oeuvre lors de chaque fermeture de réacteur nucléaire ?

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Je remercie le président et la rapporteure de la mission d'information, qui ont su mettre en évidence la complexité du sujet traité, mais aussi l'absence de stratégie à long terme de la part d'EDF – ce qui n'est pas que de la responsabilité de l'opérateur, car on voit bien qu'ici même, il n'y a pas de consensus politique sur cette question –, alors même qu'il est indispensable de disposer d'une telle stratégie. Le rapport aborde également d'autres sujets extrêmement importants, notamment celui du stockage des déchets.

Vous mettez en évidence le fait qu'il n'existe pas actuellement de filière – économique, notamment – de démantèlement. Une réflexion sur les métiers du démantèlement a-t-elle été engagée ? Dans la mesure où nous disposons d'une certaine expérience en matière de démantèlement des installations nucléaires militaires, et où une filière semble avoir commencé à se constituer, pensez-vous que certains aspects de cette expérience puissent être récupérés au profit du démantèlement des installations nucléaires civiles ?

Enfin, quelle place les opérations de démantèlement et l'activité économique qu'elles génèrent peuvent-elles trouver au sein des bassins de vie ?

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Je remercie le président et la rapporteure de la mission pour leur travail très éclairant.

Votre rapport ne passe sous silence aucune des difficultés soulevées par la vaste question du démantèlement nucléaire, que ces difficultés soient d'ordre technique, liées au temps – car les opérations envisagées s'étaleront sur plusieurs dizaines d'années –, ou encore au coût des opérations. L'estimation du coût global est d'autant plus difficile que personne ne connaît précisément celui d'une seule opération.

L'une des recommandations de votre rapport consiste à assouplir les règles relatives aux déchets de très faible activité (TFA). Dans ce secteur comme dans beaucoup d'autres en France, les normes imposées sont très contraignantes et lourdes de conséquences en termes de coût. Or, comme vous le dites, il serait souhaitable que les déchets TFA soient réutilisés pour un usage industriel, comme cela se fait dans de nombreux pays.

De même, pourquoi imposer systématiquement une remise en état des sites allant jusqu'à un « retour à l'herbe », quand certains sites ont clairement vocation à rester de type industriel ? Quelles normes et contraintes pourrait-on envisager de revisiter en la matière ?

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Avant de redonner la parole aux auteurs du rapport, j'ajouterai deux questions.

Premièrement, alors que la moitié des actifs de RTE sont actuellement placés dans un fonds dédié au démantèlement des centrales nucléaires, on peut lire dans la presse qu'EDF s'apprête à céder l'autre moitié de sa filiale. Si cette cession se confirmait, ne pensez-vous pas que l'on se trouverait dans une situation pour le moins étrange à la veille d'engager le processus de démantèlement ?

Deuxièmement – cette question-là n'appelle pas forcément une réponse de votre part –, alors que le coût du démantèlement est actuellement estimé à 75 milliards d'euros, le directeur général d'EDF a fait part de sa volonté d'engager un programme de construction de nouvelles centrales EPR. Il est permis de se demander si EDF sera en mesure de supporter simultanément ces deux dépenses.

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Merci à tous de votre intérêt pour le rapport et de vos questions, qui vont me donner l'occasion de vous parler aussi de nos recommandations.

En ce qui concerne l'idée que le démantèlement pourrait constituer une filière d'excellence en France étant donné notre expertise en matière nucléaire, il y a en effet de quoi être surpris et déçu, aujourd'hui en tout cas. Il y a bien là un créneau d'avenir pour notre pays et particulièrement pour EDF : que l'on choisisse ou non, en France et dans le reste du monde, de conserver le nucléaire, le démantèlement est inévitable et indispensable. Les opérateurs susceptibles de construire cette filière se plaignent d'ailleurs de manquer de la visibilité requise. C'est une véritable limite. Il est difficile de comprendre pourquoi le secteur ne s'est pas davantage saisi de ce dossier.

S'agissant de l'emploi, les opérateurs considèrent que les personnels nécessaires au démantèlement représentent 10 % de ceux qui oeuvrent actuellement à l'exploitation. Cette question fait l'objet d'un débat avec l'ASN, car le nombre de personnes qui resteront travailler sur les sites engage des enjeux de sécurité. Mais nous avons finalement assez peu d'éléments, en dehors du pourcentage que je viens de citer.

Sommes-nous prêts à une accélération du démantèlement ? À mon sens, non : c'est assez clair.

Concernant Areva, il y a peu à démanteler, les structures étant souvent petites et le processus ayant déjà débuté.

J'en viens à la question du seuil de libération. Étant donné nos difficultés en matière de stockage des déchets et le fait que la France est le seul pays à ne pas avoir fixé un tel seuil, ne devrait-on pas y réfléchir s'agissant des déchets très faiblement radioactifs – au point que leur radioactivité n'est pas toujours décelable ? D'autant que l'absence de seuil de libération ne nous préserve pas de l'exposition à des matériaux fabriqués avec des déchets dont l'utilisation résulte de l'application de ce seuil, par exemple lorsque nous importons des produits d'Allemagne.

Nous avons interrogé les acteurs concernés sur ce point. L'ASN juge qu'aucun problème sanitaire ou de radioprotection ne se pose, mais juge important de maintenir l'absence de seuil de libération, pour les raisons qui ont présidé jusqu'alors à ce choix : aucune discussion ni remise en cause ne doit être possible concernant ces déchets très faiblement radioactifs si l'on ne veut pas créer un brouillage qui compliquera ou empêchera le débat sur les déchets radioactifs. L'autre argument, économique, émane de l'ANDRA. Nous ne nous y attendions pas, mais il apparaît que, même du point de vue économique, la fixation d'un seuil ne serait pas la meilleure solution car nous savons maintenant bien manier ces déchets, que leur grand nombre nous a appris à gérer sur un mode industriel, alors que le coût de la détection d'une très faible radioactivité est considérable. Au total, nous y serions perdants, ce qui n'est pas nécessairement le cas d'autres pays où la quantité de déchets est bien moindre.

Nous ne remettons donc pas en cause l'absence de seuil de libération. Nous envisageons simplement, le cas échéant, une forme d'aménagement : ces déchets seraient toujours traités comme des déchets nucléaires, mais – pour le dire d'une manière un peu triviale dont j'espère qu'elle n'est pas caricaturale – pourraient n'être emballés que deux fois au lieu de trois. Ce mode de stockage, plus simple, serait peut-être un peu moins coûteux.

En ce qui concerne la marge de manoeuvre du Parlement vis-à-vis des provisions, il me semble que nous l'avons utilisée en appelant l'attention sur le problème, l'État étant l'actionnaire. Il me paraît important que nous le fassions.

J'en viens au désaccord entre le président de la mission d'information et moi-même concernant l'expression « sous-évaluation vraisemblable ». Nous en avons beaucoup discuté. Cette expression ne me paraît pas exagérée : « vraisemblable » ne signifie pas « absolument certaine », et il existe objectivement – même s'il est difficile de savoir dans quelle mesure – des coûts qui ne sont pas pris en compte par EDF. Mettons de côté les comparaisons internationales, délicates car elles mettent en relation des éléments non comparables : restent les taxes et les frais d'assurance. De même, la remise en état des sols, bien que l'on discute du fait que son ampleur peut varier selon les sites, est prévue par la loi ; en outre, c'est une exigence éthique que de rendre les sols les plus propres possibles.

On peut discuter davantage à propos des hypothèses que j'ai dites « optimistes » : ce n'est pas parce qu'elles sont optimistes qu'elles ne se vérifieront pas. Mais les évaluations restent les plus faibles de toute l'Europe. Par ailleurs, nous ne pouvons pas nous appuyer sur une expérience française de démantèlement mené jusqu'à son terme moyennant un coût comparable aux prévisions. Nous avons donc peu d'éléments pour nous rassurer.

Il convient certes de distinguer les deux parcs : le premier, le plus ancien, a été encore moins conçu pour être démantelé que le second et le caractère particulier de chaque installation complique l'extrapolation à partir de l'expérience acquise ailleurs, ainsi que l'estimation des coûts, qui, jusqu'alors, se sont toujours révélés supérieurs aux prévisions. Peut-être tout se passera-t-il donc bien concernant les 58 réacteurs à eau pressurisée toujours en fonctionnement. Mais il incombe aussi à l'opérateur de procéder au démantèlement du parc plus ancien. Or il a décidé il y a moins de six mois de revenir sur la fin du démantèlement des réacteurs graphite-gaz.

Il n'est guère rassurant de découvrir que le démantèlement est impossible plus de vingt ans après la fermeture du dernier réacteur, dix-neuf ans après la fin du démantèlement du réacteur américain qui, sans être rigoureusement identique aux nôtres, a longtemps été considéré comme celui qui leur était le plus comparable, quinze ans après le début des études conduites par EDF et après la validation de la stratégie proposée par EDF à l'ASN. Le report à 2100 de la fin du démantèlement pose aussi des problèmes éthiques.

Je souscris pleinement à la proposition d'auditionner les responsables d'EDF en commission, dont je remercie M. Stéphane Demilly. Nous les avons auditionnés à deux reprises et interrogés par écrit, mais il serait bon de leur donner l'occasion de clarifier devant vous certains points.

L'objectif, contenu dans la loi relative à la transition énergétique, consistant à ramener de 75 % à 50 % la part du nucléaire dans la production d'électricité d'ici à 2025 est-il réaliste ? A priori, au vu de ce que nous avons observé dans le cadre de cette mission, cette éventualité me paraît assez peu vraisemblable, qu'on la juge souhaitable ou non. EDF semble-t-il avoir décidé de s'en affranchir ? À mon sens, c'est assez clair ; mais EDF n'est pas le seul responsable : je rappelle que l'État est actionnaire à 85 %.

L'idée a été émise de désigner une commission indépendante qui procéderait à l'estimation des coûts. Il en existe déjà, dont la Cour des comptes. Mais il me semble également important que ce sujet ne soit pas laissé entre les seules mains des « experts », car il s'agit d'une question démocratique. Or le choix du nucléaire, quoi que l'on en pense, n'a jamais été discuté démocratiquement. Qu'on l'approuve ou non, que l'on souhaite poursuivre sur la même voie ou non, ce choix a été fait par un exécutif démocratique, certes, mais qui n'avait pas été élu pour cela ; et cela vaut de majorités de gauche comme de droite. S'il n'y a pas eu de débat démocratique, c'est parce que la plupart d'entre nous, quels que soient notre âge et l'ancienneté de notre engagement politique et démocratique, a très longtemps considéré que le sujet était extrêmement compliqué – ce qui est vrai – et qu'il revenait donc aux experts de s'en occuper. Il importe aujourd'hui que nous en parlions et qu'un débat citoyen puisse avoir lieu.

Quant à la compensation des emplois que les fermetures vont supprimer sur les sites, on y réfléchit malheureusement assez peu. Nous-mêmes, nous ne nous sommes pas penchés sur ce sujet – bien qu'il soit essentiel, car si le démantèlement n'est vécu que comme entraînant des pertes d'emplois, son acceptabilité sociale est compromise : comment réfléchir sereinement au démantèlement en se disant « je perds mon boulot, comment je nourris ma famille » et si un territoire entier qui vivait de l'activité nucléaire ne peut plus le faire ? Simplement, nous avons limité notre objet à la faisabilité technique et financière du démantèlement en raison des délais qui nous étaient impartis.

Mme Geneviève Gaillard a dit que ce rapport faisait peur. Ce n'est pas du tout notre intention, mais c'est notre rôle que de donner l'alerte. Si tout doit bien se passer, tant mieux ; mais nous n'en sommes plus à nous en remettre à ceux que l'on appelle les experts, et qui sont aussi les exploitants. Nous n'avons aucune raison de ne pas leur faire confiance, mais ce débat concerne tout le monde, et non les seuls exploitants ni même les seuls salariés du nucléaire, ne serait-ce que parce que, du point de vue financier, éthique, sanitaire et environnemental, nous sommes tous concernés. Pour se limiter à l'aspect financier, si le financement des opérations n'est pas correctement anticipé et provisionné, c'est le contribuable qui paiera – celui d'aujourd'hui, mais aussi celui de demain.

En ce qui concerne la spécificité de chaque démantèlement, je l'ai dit, les réacteurs du premier parc ont leurs particularités tandis que le second parc est homogène, ce qui laisse plutôt présager un démantèlement plus facile, plus rapide et plus maîtrisable. Certes, la réalisation des gestes techniques, même maîtrisés, en milieu radioactif ajoute une difficulté. Mais les responsables y ont déjà longuement réfléchi, il existe beaucoup de robots et la faisabilité est a priori à peu près assurée. En revanche, une autre difficulté résulte du fait que les réacteurs du second parc ont été construits au cours de la même période : même si l'on joue les prolongations pour échelonner les démantèlements, on ne pourra pas le faire indéfiniment, de sorte qu'à un moment donné, on va se retrouver avec plusieurs réacteurs à démanteler en même temps. Comme l'a dit M. Guy Bailliart, la prolongation – en elle-même débattue – ne peut donc pas être la seule stratégie.

M. Yannick Favennec, notamment, a souligné que, si les montants provisionnés ne sont pas suffisants, cela se répercutera sur le contribuable français. Je suis parfaitement d'accord, d'où notre alerte.

S'agissant des questions du président Jean-Paul Chanteguet, je ne répondrai pas à celle qui, de son propre aveu, n'appelait pas de réponse, concernant la possibilité pour EDF de relancer la construction d'un nouveau programme compte tenu de sa situation financière. Quant aux actifs dédiés, nous avons interrogé EDF qui nous a dit ne pas avoir l'intention de vendre ses actifs RTE, mais seulement de les utiliser pour garantir les emprunts. Cela pose tout de même un problème, car les actifs dédiés doivent normalement être liquides, ce qui n'est pas le cas des actifs RTE.

Dans ce rapport, le président de la mission d'information a pu exprimer ses réserves ou ses désaccords, ce qui est tout à fait normal. Je le répète, il existe objectivement des dépenses qui ne sont pas prises en compte par EDF. Les coûts sont donc bien sous-évalués, même s'ils ne le sont peut-être pas dans des proportions considérables.

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J'ai entendu s'exprimer des peurs, nées d'incertitudes. Malheureusement, le monde de l'énergie est un monde d'incertitudes. Nous ne savons pas quand sera inventé le stockage électrique, qui révolutionnera les énergies renouvelables ; si, un jour, telle ou telle énergie sera plus compétitive qu'une autre, etc. Pour parodier Forrest Gump, le parc nucléaire, c'est comme une boîte de chocolats : on ne sait jamais ce que l'on va y trouver ! Et comme dans un calendrier de l'Avent, on a tous les jours une surprise. (Murmures)

À travers toutes vos questions, c'est finalement celle de la stratégie de démantèlement qui se pose. Effectivement, notre pays n'en a pas. EDF en a peut-être une, mais celle-ci n'est pas mise sur la place publique. Toutefois, à mes yeux, le premier responsable n'est pas l'opérateur, mais les autorités politiques.

Pourquoi ? D'abord parce que la première question à se poser est la suivante : quel avenir pour le parc nucléaire ? Selon que celui-ci est appelé à muer vers un parc futur ou à être liquidé, cela ne revient pas au même. On ne gère pas la fin d'une activité de la même manière selon qu'une autre doit prendre sa place ou non. Parmi vous, les uns pensent que le nucléaire est une filière d'avenir, les autres qu'il appartient au passé. Nous sommes incapables de décider politiquement de ce que nous voulons faire d'une énergie qui nous apporte 75 % de notre électricité ; nous ne pouvons pas demander à l'opérateur de trancher à notre place. Pourtant, c'est bien de la réponse à cette première question que doit découler, téléologiquement, la stratégie de démantèlement.

Si nous fermons Fessenheim, y aura-t-il un « retour à l'herbe » et, demain, un jardin d'enfants à la place de la centrale ? Est-ce pour y construire une zone industrielle, auquel cas la centrale pourrait être remplacée par des éoliennes ? Est-ce pour substituer à la centrale une centrale de nouvelle génération ? La stratégie de démantèlement varie avec la réponse apportée à ces questions. On ne va pas s'amuser à décontaminer un site jusqu'à un seuil de radioactivité inférieur à celui que l'on observe dans la nature si c'est pour y installer ensuite une centrale nucléaire qui produira elle-même de la réactivité : ce serait complètement stupide. Si l'emprise doit rester consacrée au nucléaire, pourquoi transporter les tonnes de gravats issues du précédent réacteur à l'autre bout du pays pour les y stocker ? Pourquoi ne pas les stocker sur place ? Je milite donc pour une évaluation spatiale qui distingue les sites selon leur destination – « retour à l'herbe », vocation industrielle, vocation nucléaire – et définisse en conséquence les différentes stratégies de démantèlement à mettre en oeuvre.

Une question sous-jacente, posée par plusieurs d'entre vous, est celle du bassin d'emploi : les gens qui travaillent sur place ont le droit de savoir si, dans dix ans – à supposer qu'ils aient trente ans et débutent leur carrière –, ils devront quitter ce site pour un autre. Cela pose le problème du coût social du démantèlement. Celui-ci n'est pas aussi élevé en France qu'ailleurs, car le grand nombre de réacteurs dont nous disposons permet de réaffecter le personnel. Toutefois, le problème est aussi celui des acteurs du démantèlement qui voudraient se préparer, mais à qui l'on n'est pas capable de dire si la première centrale démantelée sera dans le Nord de la France, en Bourgogne ou en PACA, ni quand elle le sera : curieusement, ils vont se positionner sur des marchés extérieurs…

Une autre question liée à celle de la stratégie est celle de la mise en concurrence. S'il faut démanteler simultanément les différents réacteurs, il y a gros à parier qu'EDF n'y arrivera pas tout seul. En réalité, je pense que le démantèlement ne sera pas simultané, mais échelonné pour des raisons budgétaires et financières. Toujours est-il que la mise en concurrence peut servir d'aiguillon à EDF, menacé de perdre le chantier au profit d'un autre s'il ne l'a pas mené à bien dans les temps, comme aux États-Unis. En outre, elle peut avoir un effet vertueux sur le bassin d'emploi, car si l'on exige un provisionnement par réacteur, que l'on confie le démantèlement à un opérateur extérieur et que celui-ci le mène à bien pour un coût inférieur aux prévisions, le reliquat provisionné pourra être consacré à la reconversion des activités sur site.

En la matière, la vision du temps et de l'espace est donc indissociable de la stratégie de démantèlement.

J'en viens au seuil de libération. Nous sommes le seul pays au monde à considérer tout objet qui se trouve dans une zone nucléaire comme un déchet nucléaire. Cela nous oblige à créer des sites de stockage qui vont se multiplier et nous confronter à un problème de résistance sociale : personne n'a envie d'accueillir une poubelle !

Il faut donc envisager le stockage sur zone si le site doit rester nucléaire, et se demander si, à coût égal – car l'existence d'une filière de retraitement n'est pas nécessairement avantageuse du point de vue économique –, nous n'aurions pas intérêt à recycler le métal, ne serait-ce que pour un usage nucléaire. Naturellement, cela pose la question de savoir si nous allons construire de nouvelles centrales.

Quant à la résistance sociale, préfère-t-on créer 25 sites de stockage où des gens vont agiter des pancartes disant « Pas de gravats chez nous ! » ou diluer la radioactivité en recyclant des déchets nucléaires, ou présents dans des zones nucléaires, dans les voitures ou ailleurs, et s'entendre objecter l'absence de traçabilité du métal et ses risques potentiels pour la santé ? Mais dans un marché ouvert, les voitures que nous utilisons peuvent de toute façon contenir du métal qui a servi dans l'industrie nucléaire : le problème se pose déjà.

En somme, nous devons nous doter d'une stratégie d'avenir, car c'est d'elle que dépend la stratégie de démantèlement. L'avenir du nucléaire est une question politique ; ici, il ne s'agit que de ses répercussions.

Pour calculer les coûts, certains appellent de leurs voeux un organe d'évaluation indépendant. Ce problème ne se pose pas seulement en France, il concerne tous les pays. Les États-Unis n'ont que des fragments d'analyse. La Cour des comptes, organe généraliste, doit créer des outils, d'ailleurs contestés, lorsqu'elle est appelée à évaluer le coût du démantèlement. L'ASN a un point de vue uniquement sécuritaire : elle ne procède pas à une analyse financière des effets du démantèlement. Bref, nous n'avons aucun organe capable d'inférer de manière fiable, à périmètre constant, le coût du démantèlement français à partir de l'exemple allemand. Je ne crois pas que les autres pays soient mieux dotés à cet égard. De toute façon, les divergences sont telles et le parc si hétérogène, comme le disait Guy Bailliart, que nous sommes obligés de procéder par étapes.

La bonne stratégie de démantèlement n'est pas celle de Nostradamus, fondée sur une formule magique qui permettrait de connaître le coût exact des opérations. C'est une stratégie prudente, consistant à provisionner centrale par centrale et, surtout, claire, pour donner de la visibilité aux acteurs. Si le pouvoir politique parvenait ne serait-ce qu'à donner cette visibilité à l'opérateur, il serait possible de placer celui-ci devant ses responsabilités. Je trouverais d'ailleurs moi aussi intéressant qu'EDF, Areva et le CEA puissent répondre aux observations formulées par ce rapport.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie.

Je rappelle qu'il nous appartient à présent de donner un avis sur la publication du rapport de la mission d'information, et sur rien d'autre.

La Commission autorise à l'unanimité la publication du rapport d'information.

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 1er février 2017 à 9 h 45

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, M. Guy Bailliart, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Sylvain Berrios, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Vincent Burroni, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. Stéphane Demilly, M. Julien Dive, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, Mme Marie Le Vern, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Gérard Menuel, M. Yves Nicolin, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Barbara Romagnan, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier, M. Patrick Weiten

Excusés. - Mme Chantal Berthelot, Mme Marine Brenier, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, Mme Florence Delaunay, M. Christian Jacob, M. Patrick Lebreton, M. Philippe Martin, M. Bertrand Pancher, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville, M. Thomas Thévenoud