C'est un honneur pour moi que d'être reçu par votre commission dans le cadre de la procédure de recrutement du futur directeur général de l'ANSM. Cette procédure d'audition par le Parlement d'un directeur pressenti par le Gouvernement a, pour moi, une valeur symbolique puisqu'elle prend sa source dans la loi de 2011 qui a créé l'ANSM. Elle a pour objet de garantir la pleine inscription de cet établissement d'expertise dans son environnement politique et social. J'y vois un signe fort et positif de l'évolution de nos organisations vers plus d'ouverture et plus de transparence. Indispensable au bon fonctionnement démocratique, l'expertise doit pouvoir être questionnée par les citoyens et leurs représentants.
J'ai parfaitement conscience de la responsabilité qui pèsera sur les épaules du futur directeur général, concernant non seulement sa gestion de l'établissement mais également sa capacité à rendre compte, de manière régulière et en tant que de besoin, de son action. C'est dans cet esprit que j'aborde cette audition.
À cinquante-huit ans, mon long parcours professionnel témoigne de mon profond intérêt pour les questions de santé publique et de sécurité sanitaire. À ma sortie de l'ENA, en 1997, j'ai exercé comme administrateur civil à la Direction générale de la santé (DGS), puis j'ai été conseiller au cabinet des ministres en charge de la santé, de 1999 à 2002. J'ai ensuite été nommé directeur de l'Office national de l'indemnisation des accidents médicaux, à sa création en 2002, fonction que j'ai exercée jusqu'en 2011, date à laquelle j'ai été nommé directeur de la branche « accidents du travail et maladies professionnelles » de la CNAMTS. Je suis médecin, spécialiste en psychiatrie, mais j'ai également une formation scientifique en épidémiologie et en statistiques appliquées à la médecine. J'ai, par ailleurs, complété ma formation par un DEA en sciences sociales, centré sur l'anthropologie et la sociologie, dans le cadre d'une formation organisée conjointement par l'École normale supérieure et l'École des Hautes études en sciences sociales. Cette double compétence médicale et administrative participe de mon intérêt pour les enjeux des établissements publics à forte composante scientifique ou technique dans le secteur de la santé.
Mes premiers contacts avec les agences sanitaires datent de 1997. J'ai en effet participé, en tant que chargé de mission à la DGS, à la préparation de la loi du 1er juillet 1998, relative au renforcement de la veille sanitaire et au contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme ; j'ai également participé à la rédaction des premiers décrets.
Au cabinet du ministre de la santé, j'ai été en charge du pilotage et de l'élaboration de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades. À ce titre, j'ai notamment eu à préparer et à négocier les dispositions dites anti-cadeaux relatives aux avantages consentis aux professionnels de santé par l'industrie pharmaceutique, dispositions qui complétaient celles de 1993 et qui ont, depuis, été renforcées. Je garde de cette période le souvenir d'un travail particulièrement intense et fécond. Je sais surtout la chance qui a été la mienne d'avoir occupé un poste où la concertation était essentielle.
En 2002, j'ai eu en charge la création et le développement de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), présidé à l'époque par Claude Huriet, avec lequel nous avons formé une équipe efficace et enthousiaste. Créer de toute pièce un nouvel établissement public est sans doute une des meilleures écoles de management public qui soit. J'ai pu acquérir une connaissance concrète et directe du fonctionnement des établissements publics, et j'ai conduit avec détermination le développement de cet office, qui est un outil indispensable du ministère de la santé dans le cadre de la réparation du dommage corporel.
Au cours de ces neufs années, j'ai acquis une solide formation juridique, tant en droit administratif qu'en droit civil de la responsabilité médicale. J'ai également eu à traiter des problématiques liées aux médicaments et à leurs effets iatrogènes, notamment dans le cadre des essais thérapeutiques. J'ai suivi le procès pénal de l'hormone de croissance, puisque l'ONIAM avait hérité par la loi des obligations de l'association France Hypophyse. J'ai enfin mis en oeuvre, avec le cabinet de Mme Bachelot, les procédures collectives d'indemnisation issues du drame de Furiani et utilisées dans le cas des catastrophes collectives, que nous avons appliquées pour la première fois dans le domaine de la santé aux victimes de sur-irradiations à Épinal et à Toulouse.
Depuis 2011, j'ai en charge la direction de la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles de la CNAMTS. Je suis donc à la tête d'un réseau de caisses représentant environ 10 000 agents, parmi lesquels 1 500 ingénieurs et contrôleurs de sécurité, techniciens de très haut niveau qui interviennent dans le domaine de la prévention. L'animation de ce réseau ainsi que l'élaboration et la conduite des politiques publiques suppose de mettre en oeuvre des compétences à la fois juridiques, techniques, économiques et budgétaires. Pourtant, cette expérience à la CNAMTS est rarement évoquée dans les articles me concernant, leurs auteurs estimant sans doute qu'elle ne se rattache que de très loin aux problématiques de santé publique. C'est une erreur, car participer avec les partenaires sociaux à prévenir les risques à l'origine de près de mille décès et d'un million d'accidents du travail par an relève évidemment de la santé publique.
Membre du comité de direction de la CNAMTS, j'ai par ailleurs suivi avec attention, certes dans une optique davantage axée sur les enjeux économiques que sur les problèmes de sécurité, les questions liées au médicament – je pense à l'Avastin, au traitement de l'hépatite C, aux oestroprogestatifs ou aux nouveaux anticoagulants.
Je pense enfin utile de rappeler mon expérience en zone de conflit avec Médecins sans frontières, qui m'a préparé à la gestion de crise. J'ai exercé la médecine et la chirurgie sur le terrain avant de m'engager vers l'organisation des missions.
Mon parcours conjugue donc des responsabilités officielles et une expérience clinique de praticien auprès des patients. En milieu hospitalier, comme dans l'administration et au sein des cabinets ministériels, il témoigne avec récurrence de mon engagement comme praticien – de l'humanitaire, de la clinique médicale et de l'administration – au service du public, en particulier du public en difficulté.
Mon souhait aujourd'hui est de mettre ma formation, mon expérience et mon attachement à l'action publique au service des valeurs portées par l'ANSM. Les objectifs de cet établissement, qu'ils concernent la sécurité des patients, la qualité des produits de santé ou la garantie pour tous de l'accès au médicament, constituent des enjeux majeurs de santé publique. Si l'Agence est parfois au centre des tourmentes, c'est bien parce qu'elle est au coeur de processus essentiels pour nos concitoyens, qui sont en droit d'exiger des pouvoirs publics sécurité et qualité des produits de santé. Je suis donc conscient de l'ampleur de la tâche demandée aux agents.
Tant par culture personnelle que par expérience professionnelle, je suis particulièrement sensible à la nécessité de renforcer la transparence et l'accès à l'information, de garantir la déontologie de l'expertise et d'inscrire clairement l'action de l'établissement dans son environnement administratif, politique et social. Par conséquent, c'est avec responsabilité mais aussi avec enthousiasme que j'ai proposé ma candidature au poste de directeur général de l'ANSM.
J'en viens à ma perception des enjeux auxquels est confrontée l'Agence, qui a été profondément bouleversée par le drame du Mediator. En 2010, les assises du médicament ont permis une réflexion collective sur les raisons d'une telle catastrophe. Ces réflexions ont conduit à la loi de décembre 2011 qui, d'une certaine façon, a fixé à l'établissement sa feuille de route pour les prochaines années.
L'enjeu général est donc bien la déclinaison jusqu'à leur terme des principes de la loi. Malgré l'ampleur des changements induits, l'Agence a, dans un délai exceptionnellement court, mis en oeuvre l'essentiel de ces principes. Absorber toutes ces réformes exige néanmoins du temps.
Pour prendre un exemple concret, l'internalisation de l'expertise, qui permet de se rapprocher des normes des pays voisins, suppose une évolution des compétences au sein de l'Agence, en d'autres termes des recrutements et un programme de formation permettant la montée en compétence des agents concernés. Si beaucoup a déjà été fait, beaucoup reste encore à faire pour atteindre le niveau d'expertise nécessaire.
Le développement de la politique de surveillance est également un enjeu important, ainsi que le rappelait hier encore dans la presse M. Maraninchi. Si la pharmacovigilance reste un maillon essentiel du dispositif, elle doit cependant se moderniser, disposer de systèmes d'information plus efficaces et s'appuyer sur des réseaux de santé efficaces, par exemple celui des pharmacies, grâce notamment au développement du dossier pharmaceutique. Il convient également de renforcer la puissance de l'outil que constitue aujourd'hui la capacité donnée aux usagers de signaler les effets secondaires négatifs d'un médicament. Enfin, il importe que la France affirme sa présence dans les instances européennes.
Au-delà de la pharmacologie, il faut développer tout le dispositif de pharmaco-épidémiologie, à travers notamment des coopérations entre l'ANSM et la CNAMTS. L'Agence dispose pour cela d'un département dédié. Le travail de réévaluation des molécules anciennes devra être poursuivi dans ce cadre.
La mise en oeuvre d'une politique coordonnée du médicament constitue l'un des autres enjeux essentiels, même si cette question dépasse le seul champ de l'ANSM et inclut les administrations centrales ainsi que la Haute Autorité de santé et la CNAMTS. Le chaînage nécessaire entre les différentes étapes du processus, qui va de la fabrication d'un médicament à sa prescription à l'usager, voire aux habitudes de consommation de ces derniers, est une question majeure, comme l'a montré le rapport des professeurs Bégaud et Costagliola. Il y a un lien entre la surconsommation d'une certaine classe de médicaments – les statines, les antibiotiques, les benzodiazépines – et le mésusage de ces produits. Cela équivaut à une triple peine car, en cas de mésusage, non seulement l'action thérapeutique sur la pathologie visée est nulle mais on constate des effets secondaires, tout cela alors que les dépenses engagées auraient pu être mieux ciblées vers des thérapeutiques innovantes. Le rapport propose des solutions de régulation extrêmement intéressantes, que ce soit dans le domaine de la coordination des données ou dans celui de la formation, initiale et continue, des professionnels de santé.
Un meilleur chaînage suppose également une forte coordination entre les entités concernées. Pourquoi ne pas imaginer un service public du médicament qui réunirait les grands intervenants du secteur et permettrait de renforcer autour d'un pôle commun les liens fonctionnels des différentes agences sanitaires ?
Autre enjeu, les thérapeutiques innovantes. L'ANSM ne doit pas se cantonner dans un rôle défensif, elle doit également favoriser la mise à disposition des produits. Nous disposons pour cela de la procédure d'autorisation temporaire d'utilisation (ATU), qui conditionne l'autorisation à une surveillance des traitements administrés ainsi qu'à la réalisation par des organismes publics comme l'INCa, l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) ou l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) d'études cliniques dans les domaines jugés non prioritaires par les laboratoires. J'insiste, à cet égard, sur la nécessité pour l'ANSM de soutenir la recherche concernant le développement des formes pédiatriques et de faire pression au plan européen pour la délivrance d'autorisations de mise sur le marché (AMM) adaptées.
L'essentiel des décisions est, en effet, pris aujourd'hui au niveau européen. La seule façon de faire valoir notre point de vue est de restaurer notre capacité d'influence. J'ai lu avec plaisir dans le dernier rapport de l'Agence que la tendance s'inversait, ce qui est de bon augure. Il faut poursuivre cet effort, non pas seulement pour des raisons de représentation, mais pour développer notre capacité à protéger notre santé publique.
L'ANSM s'est réformée en 2012 et 2013 à un rythme soutenu, en particulier pour remédier à son cloisonnement excessif. Durant cette période, l'établissement a été soumis à forte pression, et la direction a oeuvré avec le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) pour traiter les difficultés qui se faisaient jour. Il est donc souhaitable pour les agents que l'Agence connaisse à présent une phase d'atterrissage. Je sais que certains s'inquiètent du départ de l'actuel directeur, et je m'engage, si je suis nommé à ce poste, à inscrire mon action dans la continuité de ce qui a déjà été entrepris concernant les réformes et la poursuite de la mise en oeuvre de la loi de 2011. J'exclus toute idée de rupture, qui n'aurait aucune justification et ne correspond ni à mon analyse de la situation ni à ma manière de concevoir le management d'une communauté humaine. Parce que je crois à l'action collective, mon projet est, au contraire, d'oeuvrer pour développer un climat de sérénité. Je m'engage à assurer une politique de dialogue social forte, permettant à chacun de trouver sa place dans ce projet collectif fédérateur qui consiste à redonner à l'Agence toute sa place dans notre organisation sanitaire et à assurer son rayonnement national et international. Beaucoup a déjà été accompli par les équipes actuelles. C'est donc sur ces dernières, telles qu'elles sont constituées, que je souhaite appuyer mon action.
Au rang des échéances que devra affronter l'ANSM dans les prochains mois se trouve la procédure pénale relative au Mediator. L'instruction arrive à son terme et le juge devrait, avant la fin de l'année, rendre son ordonnance de règlement.
Par ailleurs sont en cours les discussions sur le budget, et donc sur les moyens alloués à l'Agence en 2015 mais également sur le contrat d'objectifs et de performance pour les années qui viennent. Les réformes en cours sont ambitieuses mais nécessaires. Je souhaite évidemment que la contrainte budgétaire ne soit pas un frein à cette ambition.
Enfin, la Cour des comptes effectue actuellement un contrôle de l'Agence et devrait rendre ses conclusions provisoires avant la fin de l'année. Ces contrôles sont souvent rudes pour les directeurs d'établissement, mais ils sont également pleins d'enseignements permettant d'améliorer la gestion et le fonctionnement de nos organisations. Enfin, une mission d'évaluation de l'Agence a été demandée à l'IGAS, qui devrait rendre ses conclusions à la rentrée.
Pour conclure, je voudrais rendre hommage à l'actuel directeur général de l'Agence, Dominique Maraninchi. Je ne le fais pas uniquement par courtoisie, encore que je considère celle-ci comme une bonne pratique de l'administration, mais parce que je voudrais insister sur deux points essentiels. Dominique Maraninchi a fait preuve d'un courage exemplaire quand, en 2011, il a accepté de prendre le poste de directeur général de l'Agence, à un moment critique et alors qu'il avait une fonction prestigieuse à la tête de l'INCa, qu'il a remarquablement redressé. C'est un bel exemple de ce que le courage personnel d'un homme peut apporter à l'action publique. Il a ensuite, avec l'ensemble des personnels de l'Agence, conduit de manière efficace le changement appelé par la loi dans des délais extrêmement courts. C'est parce que ce travail a été fait que je suis convaincu que le prochain directeur pourra, dans des conditions meilleures aujourd'hui qu'hier, approfondir la réforme, tout en conduisant l'établissement sur le chemin de la stabilité indispensable à une action qui puisse s'inscrire dans la durée.