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Henri Jibrayel
Question N° 17743 au Ministère de la justice


Question soumise le 5 février 2013

M. Henri Jibrayel attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'adhésion de l'Union européenne (UE) à la convention européenne des droits de l'Homme (CEDH). L'article 6§2 du Traité de l'Union européenne dispose que «l'Union adhère à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales». Il s'agit là d'un pas décisif, puisque l'adhésion est débattue et demandée depuis le début des années 70. De son côté, le Conseil de l'Europe a modifié les conditions d'adhésion à la CEDH pour permettre à l'UE, qui n'est pas un état, d'adhérer (Protocole 14, signé en 2004, art. 59 §2 : «l'Union européenne peut adhérer à la présente convention»). On est en droit de se demander quel est l'intérêt, pour l'Union européenne, d'adhérer à cette convention. Qui a le plus d'intérêt, du Conseil de l'Europe ou de l'Union européenne, à cette adhésion, qui rend l'Union européenne justiciable devant la Cour européenne des droits de l'Homme ? En effet, la convention européenne a pour but essentiel de protéger les droits fondamentaux des ressortissants des pays ayant ratifié ladite convention. Cependant, certains de ces pays ont formé une entité supra-étatique, l'Union européenne, elle-même créatrice de droit et qui échappe à ce contrôle, contrairement à ses États membres, qui lui ont pourtant transféré une partie de leur souveraineté. En outre, l'Union européenne est elle-même protectrice des droits fondamentaux et des libertés, par le biais de la Charte des droits fondamentaux, qui a la même valeur juridique que les traités. Toutefois, le contrôle du respect de ces droits par l'Union ne peut être exercé que par sa propre juridiction, à savoir par une action devant la Cour de justice de l'Union européenne. Le recours devant la cour de Luxembourg n'est ouvert qu'aux États membres de l'Union européenne et à leurs ressortissants, ce qui exclue les autres États du Conseil de l'Europe et leurs citoyens. À l'inverse, l'Union européenne, n'étant pas partie à la convention, ne saurait être jugée par la CEDH, comme le souligne sa jurisprudence : la Commission européenne des droits de l'Homme, qui examine la recevabilité des recours devant la cour de Strasbourg, a rejeté un recours direct contre la Communauté européenne (CFDT, 10 juillet 1978), au motif qu'elle n'avait pas ratifié la convention. Dans ce système, il peut paraître choquant qu'un État non membre de l'Union européenne mais membre du Conseil de l'Europe ou un de ses ressortissants puisse attaquer devant la Cour de Strasbourg un État membre pour un acte qui lui fait grief, et ne puisse attaquer directement l'Union européenne pour une directive qui lui fait grief. Cela équivaut à pouvoir faire condamner un État membre qui met en application une directive de l'Union européenne qui restera en vigueur, son annulation ne pouvant être obtenue. C'est dans le but de pallier cette carence que le Traité de l'Union européenne dispose que l'Union doit adhérer à la convention européenne. Il lui demande de préciser les conséquences de cette adhésion ? Crée-t-elle une hiérarchie entre les deux cours ?

Réponse émise le 24 janvier 2017

L'adhésion de l'Union européenne (UE) à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH) doit contribuer à renforcer la protection des droits fondamentaux en Europe. En intégrant formellement la Convention dans l'ordre juridique de l'UE, l'adhésion permettra à toute personne de saisir la Cour européenne des droits de l'Homme, lorsqu'elle s'estime victime de violations par l'UE des droits consacrés dans la Convention. Un tel recours individuel contre l'UE sera possible à l'égard des actes, mesures ou omissions des institutions, organes, organismes ou agences européennes, ou des personnes agissant en leur nom. L'adhésion assurera le développement d'un système cohérent de protection des droits de l'Homme en Europe, également au bénéfice des citoyens : elle soumettra tous les ordres juridiques européens au même contrôle juridictionnel externe indépendant, et permettra le développement harmonieux de la jurisprudence de la Cour EDH et de la Cour de justice de l'UE en matière de droits de l'Homme. Si l'adhésion devrait également permettre à des Etats tiers parties à la Convention de saisir la Cour EDH à l'encontre de l'Union, de tels recours engagés sur le fondement de l'article 33 CEDH sont cependant rares en pratique. Enfin, l'adhésion permettra à l'UE de se constituer partie aux litiges devant la Cour EDH qui concerneraient directement ou indirectement le droit de l'Union, ce qu'elle ne peut faire actuellement quand bien même la violation en cause résulterait de l'application ou de la mise en œuvre du droit de l'Union par les Etats membres.  La Cour EDH est une juridiction spécialisée dans le domaine des droits de l'Homme, compétente pour statuer sur le respect des engagements souscrits par les Parties à la Convention européenne des droits de l'Homme. Du fait de l'adhésion, l'Union sera donc soumise à ce contrôle externe exercé par la Cour EDH sur toutes questions relatives à l'application et à l'interprétation de la Convention. Toutefois, conformément aux principes de subsidiarité et d'épuisement des voies de recours internes, il appartiendra à la CJUE, au premier chef, d'examiner et de sanctionner les violations de la Convention : les particuliers devront nécessairement la saisir en premier lieu avant de pouvoir introduire une requête devant la Cour EDH. La CJUE demeurera la juridiction suprême compétente pour juger de l'application et l'interprétation du droit de l'UE, et restera en particulier la seule juridiction compétente pour constater l'invalidité d'un acte de l'Union, conformément à ses prérogatives issues des Traités. Les arrêts de la Cour EDH ne peuvent ni annuler ni modifier des mesures ou décisions de justice internes. Les conséquences de l'adhésion seront davantage définies dans un accord d'adhésion négocié avec les Etats tiers à l'Union et parties à la CEDH. L'adhésion « ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités »  (article 6 TUE) et l'accord d'adhésion doit notamment refléter la nécessité de préserver les caractéristiques de l'Union et du droit de l'Union et garantir que l'adhésion n'affecte ni les compétences de l'Union, ni les attributions de ses institutions (Protocole no 8 relatif à l'article 6 TUE). Dans son avis 2/13 du 18 décembre 2014, la CJUE saisie du projet d'accord l'a déclaré incompatible avec les Traités. Le groupe « Droits fondamentaux et liberté de circulation » du Conseil de l'UE travaille actuellement à identifier les moyens juridiques de surmonter les obstacles soulevés par la CJUE, avant d'envisager la réouverture des négociations avec les Etats tiers à l'Union et parties à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

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