Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 2 avril 2015 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • civique
  • expérience
  • préfecture
  • préfet
  • service civique

La réunion

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L'audition débute à neuf heures cinq.

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Mesdames et messieurs les parlementaires, chers collègues, madame et monsieur les représentants des fondations. Je suis heureux de présider cette toute dernière séance d'auditions de la mission de réflexion sur l'engagement citoyen et le sentiment d'appartenance républicaine, consacrée aujourd'hui aux perspectives qui s'offrent à cet engagement. Une séance de restitution sera organisée le jeudi 9 avril prochain, afin d'échanger avec une vingtaine de citoyens sur les propositions que le président Claude Bartolone rendra au Président de la République dans deux semaines – l'échéance approche !

Au cours de nos précédents échanges, nous avons eu la chance de recevoir de nombreux intervenants de qualité, extrêmement investis dans des domaines aussi variés que la sécurité civile, l'économie sociale et solidaire, les activités de la jeunesse et du sport, l'éducation populaire, l'autonomisation des personnes âgées ou encore les formes d'expression de la solidarité en milieu rural.

Il apparaît ainsi, à l'issue de nos auditions – nous en avions bien sûr l'intuition – que c'est dès l'école que se joue l'appropriation des principes fondamentaux de la République. Comment pouvons-nous renforcer cet éveil et cette formation à la citoyenneté, en ayant bien à l'esprit que nous devons absolument la rendre concrète et immédiatement compréhensible, en particulier à toutes celles et à tous ceux pour qui ces mots peuvent trop souvent sonner creux ?

Toutes les personnes entendues nous ont redit l'importance de l'engagement, à tous les âges de la vie pour donner du sens à celle-ci et plus largement, au vivre ensemble. Ils ont également évoqué les nombreux obstacles qu'ils rencontrent au quotidien.

Une des réponses, c'est l'ouverture à tous les jeunes du service civique, qui fête cette année ses cinq ans d'existence. À compter du 1er juin 2015, en devenant universel, un engagement de service civique sera proposé à tous les jeunes de moins de 25 ans qui le souhaiteront. En 2014, seuls 35 000 jeunes ont été accueillis dans ce cadre. En 2017, tout nous laisse penser qu'ils pourraient ainsi être cinq fois plus nombreux. Dès lors, nous devons réfléchir aux éventuels obstacles qui pourraient s'opposer à cette amplification du service civique. Comment pouvons-nous, par exemple, diversifier le panel des missions proposées afin d'accueillir tous ces jeunes candidats ? Et comment l'Agence du service civique, notamment, envisage-t-elle cette progression annoncée par le Président de la République ? Quelle articulation peut-on imaginer entre le service civique et d'autres formes d'engagement telles que le volontariat ou le recours à la réserve citoyenne par exemple ?

D'autres pistes de réponse que nous avons entrevues, ce sont les différentes formes de prise en compte et de valorisation de l'engagement dans les parcours personnels, étudiants bien sûr – au travers de crédits ou de la prise en compte d'une césure – mais également professionnels, afin de favoriser le modèle de participation quotidienne à la vie de notre communauté républicaine.

C'est à ce titre que nous recevons aujourd'hui trois personnalités particulièrement impliquées dans des organismes qui seront les piliers potentiels d'une politique volontaire favorisant l'engagement sous toutes ses formes. M. Alain Régnier est préfet, chargé de la mission « Déploiement du service civique » auprès du secrétaire général du ministère de l'intérieur. Mme Hélène Paoletti dirige l'Agence du service civique et Mme Nadia Bellaoui est présidente du Mouvement associatif. Il sera extrêmement intéressant pour nous de bénéficier de leur expérience et de leur opinion éclairée sur ces enjeux de l'engagement.

Monsieur Alain Régnier, vous êtes préfet et chargé de mission « Déploiement du service civique » auprès du secrétaire général du ministère de l'Intérieur depuis le mois de février. Le ministère de l'intérieur, avec la police et la gendarmerie nationales, la protection et la sécurité civiles ainsi que le réseau des préfectures, est l'un des premiers concernés par la montée en puissance du service civique au cours des années à venir ainsi que par le développement d'une réserve citoyenne dans les administrations civiles, sur le modèle de ce qui existe déjà dans nos armées et, de façon moins connue, dans nos forces de sécurité. Le bilan que vous allez nous livrer ainsi que les enjeux et perspectives que vous pourrez dessiner pour ce ministère – au coeur des questions de citoyenneté et de relation de nos concitoyens avec la République – nous seront très utiles pour comprendre les enjeux du développement des formes volontaires d'engagement civique et citoyen.

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Alain Régnier, préfet, chargé de mission « Déploiement du service civique »

Une précision au sujet de ma mission dont l'intitulé est plus précisément « Promotion de l'égalité et de la citoyenneté au ministère de l'intérieur », ce qui excède le seul déploiement du service civique. En effet, après le comité interministériel du 6 mars dernier qui a annoncé soixante mesures, le ministre a souhaité que le ministère se dote d'un haut fonctionnaire qui assure une mission de coordination transversale des actions conduites en son sein.

Historiquement, le ministère de l'Intérieur est par excellence celui de la citoyenneté. Il est chargé d'organiser toutes les élections, il régit la vie associative, élément structurant depuis une centaine d'années dans notre pays. Par ailleurs, au titre de l'article 72 de la Constitution, les préfets assurent la représentation de l'État et du Gouvernement, ils sont garants, pour l'État, des valeurs et du respect de la Constitution et des lois, et, pour le Gouvernement, de la mise en oeuvre des politiques qu'il a décidées. Cette dernière mission revêt à la fois une dimension ministérielle, au titre du ministère de l'intérieur, et interministérielle.

En ce qui concerne le ministère de l'intérieur, dans le cadre des soixante missions annoncées, notre action s'exercera dans deux dimensions : la jeunesse et tous les âges de la vie. La jeunesse est, bien entendu, concernée par le service civique et son développement au sein du ministère de l'intérieur ainsi que par un parcours citoyen qui reste à construire dans une dimension interministérielle, avec tous les départements ministériels et qui devrait aboutir dans quelques mois. Pour tous les âges de la vie, nous participerons à la définition d'une réserve citoyenne pour le ministère de l'intérieur, sachant que cela a déjà été mis en place au sein de la gendarmerie depuis plusieurs années.

Trois cents jeunes environ effectuent actuellement un service civique au ministère de l'intérieur avec une répartition par tiers au sein des préfectures, dans les forces de sécurité, de police et gendarmerie, et de la sécurité civile. À la demande du Président de la République, nous expérimentons depuis deux mois, en Lorraine, une forme de service civique adapté dans les services départementaux d'incendie et de secours avec une dimension plus opérationnelle.

Les missions, agréées par l'Agence du service civique, seront d'accompagnement, de médiation et de prévention. J'ai rencontré l'ensemble des directions du ministère dont les directeurs seront réunis par le ministre le 7 avril prochain : nous allons établir un plan de montée en charge du service civique dans ses administrations centrales, le réseau préfectoral ainsi que les établissements publics dépendants de lui. Nous impliquerons l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFFI). Enfin, nous ferons appel à des associations qui travaillent avec nous, dans le domaine de la sécurité routière, car nous souhaitons y impliquer les jeunes, et dans celui de la sécurité civile avec des opérateurs tels la Protection civile, la Croix-Rouge, l'Ordre de Malte et tous les acteurs qui collaborent régulièrement avec l'État dans ce secteur. Aujourd'hui, je dois, avec Mme Hélène Paoletti, rencontrer M. François Chérèque afin de réfléchir à nos modalités de travail et à l'évolution des missions susceptibles d'être proposées aux jeunes.

L'objectif du ministre est très ambitieux, mais par pragmatisme, nous n'avons pas déterminé de chiffres a priori car nous préférons partir de l'existant. Je visiterai les préfectures – dont la plus exemplaire est celle de Seine-Saint-Denis avec vingt jeunes intégrés dans le service civique, que nous rencontrerons ainsi que leurs tuteurs. La priorité est la mixité sociale, à laquelle nous serons très vigilants ; le ministère de l'intérieur compte d'ailleurs plus de 30 % de jeunes qui n'ont pas le baccalauréat parmi ceux qu'il accueille. Nous allons définir les objectifs et suivre le développement du programme dès à présent afin d'être prêts à la rentrée, le temps de nous coordonner avec nos partenaires. Nous anticiperons l'année 2016 car le but fixé par le Président de la République est très ambitieux puisqu'il prévoit plus de 150 000 jeunes dans les 18 mois.

Une autre dimension importante de notre action concerne le monde rural ou peu urbanisé. Nous proposerons des jeunes accomplissant leur service civique aux sous-préfectures et travaillerons avec les réseaux de communes dépendant de celles-ci. Nous voulons construire des projets avec ces jeunes qui n'ont que peu de perspectives aujourd'hui : la citoyenneté, l'égalité des chances doivent leur ouvrir des perspectives.

À l'échelon national, nous souhaitons augmenter la présence des jeunes dans les administrations publiques qui n'accueillent que 20 % des jeunes, le reste relevant du tissu associatif. Au demeurant, nous tiendrons compte de la réalité des préfectures et de celle de l'emploi dans les ministères. Il n'est pas question de substitution d'emploi et les jeunes ne seront pas appelés à des activités qui ne répondraient pas à l'esprit et à la lettre des dispositions de la loi du 10 mars 2010 relative au service civique. Depuis deux mois, dans le cadre du service civique adapté, nous conduisons en Lorraine une expérimentation au sein des services d'incendie et de secours, sans, bien entendu, que les jeunes concernés se trouvent en lieu et place des professionnels. Dans les véhicules de secours, ils sont la « quatrième personne », avec une mission d'assistance et d'observation, et ont signé un contrat de sapeur-pompier volontaire. Depuis plusieurs années, le corps des sapeurs-pompiers volontaires connaît une baisse du recrutement et a besoin d'un volume suffisant de jeunes bien formés qui s'investissent au plus près des réalités du terrain. Douze ont reçu une formation et un seulement n'a pas obtenu tous les modules – il devra les repasser. Alors que, bien souvent, des départs sont constatés dans les premiers jours, nous considérons que cette expérience est réussie ; depuis le 1er avril, les intéressés sont dans les véhicules en Meurthe-et-Moselle, dans les Vosges et dans la Meuse. Cette expérience de service civique adapté va être poursuivie pendant huit mois.

Il y a beaucoup de demandes car il est plus attractif pour des jeunes d'évoluer dans le domaine opérationnel que d'effectuer des missions prévention dans des bureaux ou des accueils. Nous resterons néanmoins vigilants sur les conditions de leur réception, de leur prise en charge et de leur encadrement. La demande du ministre est, au cours des prochains mois, de voir jusqu'où l'on peut aller en matière de mobilisation des jeunes dans des activités plus opérationnelles que ce qui leur est proposé aujourd'hui. Cependant, pour des raisons évidentes de sécurité des populations et d'eux-mêmes, il est exclu de leur confier des missions de terrain relevant de la compétence de la police ou de la gendarmerie. Nous allons explorer ces interstices de l'opérationnalité, susceptibles d'appeler plus de vocations, afin d'élargir au mieux le champ du service civique.

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Un travail est-il conduit en relation avec l'éducation nationale dans la réflexion du ministère de l'intérieur, qui parle de « service citoyen » alors que la ministre de l'éducation nationale parle de « parcours citoyen » ? De l'enfance à l'âge adulte, il faut que les individus aient la possibilité de suivre, je dirais à mon tour, un parcours citoyen unique. Il ne faudrait pas que chaque département ministériel organise son propre parcours : comment envisagez-vous la mise en oeuvre concrète de l'aspect interministériel du dispositif ?

Par ailleurs, j'ai bien entendu que votre démarche ne visait pas d'objectifs chiffrés, cependant, dans la perspective d'inclusion de 200 000 jeunes dans le service civique ou d'autres dispositifs, il faudra bien que chacun se livre à une quantification. Comment comptez-vous y parvenir ?

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Alain Régnier, préfet, chargé de mission « Déploiement du service civique »

On a en France la fâcheuse habitude de déterminer à Paris des plans chiffrés : on décide de mille et on les répartit dans les départements ; ce n'est pas notre démarche. La réponse à la question va dépendre du périmètre, notamment de l'extension ou non du dispositif au domaine opérationnel. Aujourd'hui, sont surtout concernées des missions de prévention, d'accompagnement et de médiation ; l'objectif, qui semble réaliste, est celui de doubler la capacité d'accueil au sein du ministère d'ici au début de l'année prochaine. L'ouverture à l'opérationnel donne plus de perspectives, mais à ce stade, il m'est difficile de vous en dire plus car le ministre s'exprimera sur ce sujet. De leur côté, les administrations publiques vont développer l'apprentissage et ont reçu du Gouvernement, pour tous les ministères et départements, des directives précisément chiffrées. Les préfets devront mener de front ces deux exercices et les limites des possibilités d'accueil seront déterminées en fonction des effectifs de personnels disponibles.

Nous voulons demeurer réalistes : avancer des chiffres en dizaines de milliers au risque de ne pas les atteindre n'aurait pas vraiment de sens. À ce stade, nous préférons garantir le doublement que j'ai évoqué dans des délais assez réduits et être plus ambitieux pour l'année 2016, particulièrement si nous parvenons à généraliser l'expérience réalisée en Lorraine dans tous les secteurs relevant du ministère où cela serait possible.

En ce qui concerne l'aspect interministériel, je rappelle que c'est le cabinet de M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, qui est pilote et que chaque ministère travaille à la « brique » qu'il peut apporter. Pour sa part, le ministère de l'intérieur conduit sa propre réflexion sur le parcours citoyen qui viendra, lui aussi, s'agréger à l'édifice. Je compte rencontrer les associations d'élus afin d'organiser des visites de mairies ou tout autre démarche concrète propre à mieux faire connaître aux jeunes les institutions de la République. Cela constituera un élément de plus mais il ne s'agit pas de travailler de façon cloisonnée : il ne saurait y avoir un parcours citoyen par ministère.

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J'ai oublié de préciser que la façon dont je vous ai présenté n'est que la traduction de ce que votre administration m'a communiqué en ce qui concerne votre titre.

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Alain Régnier, préfet, chargé de mission « Déploiement du service civique »

Ma lettre de mission n'est pas encore signée, ainsi les choses sont claires.

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Vous avez évoqué les « interstices de l'opérationnalité » tout en précisant que dans certains secteurs relevant du domaine de la sécurité, particulièrement en ce qui concerne la police et la gendarmerie, il est exclu que les jeunes aillent sur le terrain. Dans ces conditions, ne serait-il pas possible, dans le cadre de ce service civique, de consacrer une période pour procéder à une mise à niveau commune – c'était le cas dans la conscription – avant de répartir les jeunes dans des administrations ?

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Alain Régnier, préfet, chargé de mission « Déploiement du service civique »

Dans la mesure où les déclarations du Président de la République et du Gouvernement sont récentes, nous n'avons pas encore évoqué cet aspect. Cependant, nous allons réfléchir à des modules communs car notre stratégie ne sera pas cloisonnée. Nous aurons une réunion interministérielle le 15 avril, sous l'égide de M. François Chérèque, président de l'Agence du service civique ; il a salué ma nomination – qui n'est encore que putative – dans la mesure où il souhaite que chaque ministère désigne un délégué référent afin d'assurer la transversalité. Cela me permettra d'organiser la coordination et la mutualisation de certaines actions. Le service civique prévoit une formation, qui, pour des jeunes peu diplômés, doit constituer une expérience. Lorsque le Président de la République s'est rendu aux vingt ans de l'association Unis-Cité, nous avons entendu que le service civique est considéré comme un diplôme, très utile par la suite pour trouver un emploi ou un autre engagement.

Aujourd'hui, nous sommes dans une phase de réponse à une commande : comment augmenter les capacités d'accueil en bâtissant un dispositif solide ? Cela fait vingt ans que je connais ce sujet : le risque est de ne pas être, à la fin de l'année 2016, en capacité, d'avoir qualitativement et quantitativement répondu à la demande, ce qui tuerait le service civique. C'est pour cela que je ne souhaite pas engager le ministre sur des chiffres qui pourraient passer pour de l'affichage. Je préfère travailler sur le fond à trouver des formations de qualité pour que les bénéficiaires soient pleinement satisfaits, et aboutir à un service civique universel auquel chaque jeune qui le souhaite puisse participer.

Je vais proposer à l'Agence du service civique de recueillir dans les territoires les souhaits des jeunes qu'il faudrait analyser afin de créer une plateforme qui mettrait en adéquation les demandes avec les offres de missions existantes. Sur dix jeunes qui exprimeront le souhait de faire le service civique, six ou sept correspondront au programme, les autres pourront être orientés vers les dispositifs de type Défense 2e chance ou École de la 2e chance, par exemple. Il faut préparer une modalité de réponse, en lien avec les missions locales et les structures d'accompagnement des jeunes. Celle-ci devra être apportée dans les quarante-huit heures ou dans la semaine. Il faut une expertise de la demande et que quelqu'un apporte une réponse, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui ; c'est un enjeu de crédibilité. Ces plateformes, au plus près de nos interlocuteurs, répondront aux critères de qualité et d'universalité.

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Compte tenu de votre expérience, vous avez dû recevoir le témoignage des personnels d'encadrement, au sujet du profil des jeunes notamment. Ces informations vous inspirent-elles de nouvelles pistes ?

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Alain Régnier, préfet, chargé de mission « Déploiement du service civique »

Aujourd'hui, toutes les préfectures accueillant des jeunes qui accomplissent leur service civique sont volontaires ; elles ont conçu des missions agréées par l'Agence du service civique et ont désigné, en amont, des personnes chargées de l'encadrement. Elles ne se sont pas vues imposer de quota. C'est là une démarche de qualité qui place l'intéressé dans une situation favorable.

Il est, par ailleurs, trop tôt pour que je vous réponde : je dois aller à la rencontre des jeunes, des personnels d'encadrement, qu'ils soient dans les préfectures, les services de sécurité ou autre, afin de tirer les enseignements de leur expérience. Ce type de débriefing n'a jamais eu lieu jusqu'à présent. Le 16 avril prochain, je vais rencontrer les secrétaires généraux de préfecture pour créer avec les volontaires un module s'intéressant aux conditions d'accueil et de suivi, y compris à l'échelon interministériel. Ceci est cohérent avec la fonction de double représentation des préfets que j'ai évoquée dans mon propos liminaire. Je rencontrerai aussi les préfets à l'égalité des chances ainsi que les sous-préfets “Ville” au sujet de ce travail de mutualisation.

Nous proposerons à des jeunes ayant accompli leur service civique de témoigner, de rester dans le réseau et de parrainer de nouveaux arrivants. Il s'agit de construire, à moyen et long terme, un projet qui garantisse une meilleure intégration dans la République ; c'est, pour le ministre de l'intérieur, une question de crédit et d'image. De fait, malgré les témoignages de considération qui ont émaillé la manifestation du 11 janvier dernier, l'image des forces de l'ordre n'est pas bonne dans l'opinion publique. Il faut former des ambassadeurs pour changer ce regard porté sur les administrations publiques et faire connaître le travail accompli en préfecture.

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Je me réjouis, monsieur Régnier, de votre nomination ainsi que de la prise en main à l'échelon interministériel de l'enjeu qui nous est fort opportunément imposé par le Président de la République. Ce dernier, à l'occasion du vingtième anniversaire de l'association Unis-Cité, a relevé que, pour atteindre le nombre de 150 000 missions par an d'ici 2016, il faudra mobiliser toutes les administrations, toutes les associations, toutes les collectivités locales et toutes les fondations afin d'offrir toutes les missions que l'on peut concevoir. Il a enfin remercié pour le travail accompli les jeunes de l'association, en saluant le document répertoriant toutes les missions existantes que ceux-ci avaient fabriqué dans la journée. Hier, j'ai rencontré les référents du service civique réunis par M. François Chérèque et Mme Hélène Paoletti. Il ne s'agit pas d'une commande administrative visant à augmenter les effectifs d'un dispositif mais d'une révolution, y compris des mentalités.

La demande est là, la question est celle de l'offre de missions d'intérêt général et si l'on veut atteindre l'objectif fixé pour 2016, il faut démarrer maintenant et sur tous les fronts. Je suis persuadé que c'est possible, sous réserve de se donner les moyens organisationnels. Il faut que l'ensemble des organismes d'accueil s'approprient le dispositif sous le pilotage de l'État au plus près du terrain. Il ne s'agit pas décentraliser le service civique mais de s'appuyer sur les préfets, qui assureront un pilotage de proximité et seront secondés par une kyrielle de stagiaires de l'École nationale d'administration (ENA). Cela va décupler l'efficacité des référents actuels et des services extérieurs du ministère de la jeunesse. Cependant, ne faut-il pas structurer dès aujourd'hui ce système de gouvernance de proximité, sans, bien entendu, que celui-ci renonce pour autant aux prérogatives de l'État ? Il faut faire de la maïeutique, révéler à des jeunes qui ne sont pas a priori motivés le champ des missions qu'ils sont susceptibles de remplir. Lorsque, il y a cinq ans de cela, Martin Hirsch et moi-même avons créé le service civique, nous pensions que les associations et les collectivités en prendraient paritairement la responsabilité. Force est de constater que les élus locaux ne se sont pas mobilisés.

L'ouverture au champ de l'économie sociale et solidaire fera du service civique quelque chose de totalement nouveau. Dès lors, il faut solennellement créer une obligation pour la nation tout entière, impliquer l'État et ses administrations, les maisons de retraite, les hôpitaux, les établissements scolaires. De leur côté, les associations se sont emparées du dispositif depuis sa création. Il faut que chaque arrondissement – pour reprendre nos divisions administratives – se dote de commissions de gestion autour du corps préfectoral, les sous-préfets étant en première ligne. Il faut mobiliser les directeurs des missions locales ainsi que les directeurs d'établissement. Nous devons penser à l'animation de tous ces jeunes qui vont arriver. Il s'agit d'une révolution culturelle : nous faisons un saut car la demande en missions de 20 % d'une classe d'âge sera considérable. Il nous faudra être prêt sous peine de désenchantement.

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Alain Régnier, préfet, chargé de mission « Déploiement du service civique »

Il nous faut passer rapidement d'un processus artisanal à un processus industriel. Il s'agit aussi d'un défi pour les associations car la capacité d'absorption par le tissu associatif français des jeunes accomplissant leur service civique est limitée : il faudra les conforter et en trouver de nouvelles. Il faudra acculturer l'ensemble des agents des administrations publiques. Les référents actuels du réseau du service civique étaient des agents du ministère de la jeunesse et des sports. Il s'agit d'anciens cadres de l'État dont le statut a évolué au terme de la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui a conduit à la création des directions départementales de la cohésion sociale (DDCS). Après l'adoption de la loi du 10 mars 2010, il a été décidé que l'animation relèverait de l'échelon régional. La création des grandes régions impose que ce sujet soit abordé dans les missions de préfiguration. J'ai demandé que, dans ma lettre de mission, il soit indiqué que chaque préfet désigne un référent de niveau préfectoral qui soit complémentaire à l'Agence du service civique de façon qu'il y ait un représentant interministériel dans chaque préfecture. Je les réunirai pour organiser les stratégies d'implantation territoriale du dispositif. Nous pourrons aussi recourir aux associations départementales des maires et travailler sur des thèmes précis. En ce qui concerne les stagiaires l'ENA, ils nous aideront dans le déploiement mais ne seront jamais l'alpha et l'oméga de la mise en oeuvre d'une politique publique.

Nous devrons encore réfléchir avec l'État, du fait de la nouvelle forme régionale, à la pertinence du maintien de l'échelon régional pour l'animation du service civique.

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Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès

Le problème de la rapidité du déploiement provient-il de la question de l'offre ou de la demande ? Vous avez signalé une présence inégale des jeunes accueillis dans les préfectures. Comment expliquez-vous ce volontarisme géographiquement différencié et comment inciter l'ensemble des territoires ?

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Alain Régnier, préfet, chargé de mission « Déploiement du service civique »

En 2010, le Gouvernement avait choisi de créer une agence spécifique qui devait être pilotée par l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé). La petite taille de cette structure, avec très peu d'agents, ne lui permettait pas d'animer le dispositif sur l'ensemble du territoire. C'est pourquoi le Gouvernement fait aujourd'hui un effort en créant huit postes supplémentaires mais le défi du déploiement opérationnel demeure.

Les préfectures volontaires étaient surtout celles où se trouvaient des préfets à l'égalité des chances ou des sous-préfets chargés de la politique de la ville car ceux-ci sont sensibles à ces sujets. Trente ans d'expérience professionnelle m'ont permis de constater que lorsque l'État lance un nouveau projet, à la différence des marchands d'automobiles, il n'assure ni le service après-vente ni la promotion. Si nous voulons réussir et tendre à investir 20 % d'une classe d'âge à l'intérêt général, il nous faut une bonne infrastructure. Toujours sous l'égide du ministre de l'intérieur, je propose de mettre à contribution notre réseau dans les territoires pour favoriser l'appropriation du dispositif et faire de la pédagogie avec l'ensemble des acteurs : expliquer ce qu'est le service civique et ce qu'il n'est pas.

Je souhaite que nous arrivions à mobiliser tous les territoires. J'observe que, depuis 2010, certains d'entre eux sont très engagés. L'État doit jouer son rôle et rassembler les collectivités territoriales autour du projet, particulièrement en s'appuyant sur l'existant. J'espère que nous parviendrons à créer le plus de missions possible afin de répondre aux demandes des jeunes. Vous n'êtes pas sans savoir que, le dispositif n'ayant pas atteint une envergure suffisante, il est difficile de répondre faute de connaître les demandeurs et la nature de leurs souhaits. Nous souhaitons, avec l'Agence du service civique, améliorer cette connaissance.

L'association Unis-Cité, avec l'opération « Rêves et réalisme », s'est interrogée sur la façon de susciter des projets pour que le temps du service civique soit celui de l'épanouissement. C'est là notre voeu commun : offrir à chaque jeune de ce pays un projet et la réalisation de ses rêves. Car, dans un pays démocratique, être citoyen, c'est réaliser ses rêves.

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Salima Saa, membre du conseil de surveillance de la Fondation pour l'innovation politique

Vous dites vous être beaucoup appuyé jusqu'à présent sur les réseaux de la ville, mais il est vrai qu'il existe des lacunes dans certaines zones rurales. Ne pensez-vous pas qu'il serait souhaitable de rendre obligatoire la participation de certaines collectivités territoriales ? L'actualité récente montre une attente dans ces zones.

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Alain Régnier, préfet, chargé de mission « Déploiement du service civique »

Je suis tout à fait d'accord avec vous mais il faudra, là aussi que l'État fasse des choix. Dans certaines préfectures, il n'y a plus que quelques personnes, ce qui, bien évidemment, pose la question de leur capacité à accueillir des jeunes. D'autant plus que, dans certaines zones, il faudrait mettre les jeunes en binôme car les laisser seuls n'est pas la bonne solution. Le moment venu, je discuterai cette question avec les référents préfets mais il me semble effectivement qu'il est souhaitable qu'il y ait au moins un jeune en formation dans chaque préfecture.

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Pour développer l'engagement citoyen par le biais du service civique, il faudra un encadrement ainsi qu'une organisation territoriale à la hauteur des ambitions du projet. Cependant, au-delà de la mission individuelle, quid de la dimension collective ? À quel moment ces jeunes, dans le temps de leur formation, partagent-ils des moments communs, pour – comme vous l'avez indiqué – confronter leurs impressions et leurs expériences ?

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Alain Régnier, préfet, chargé de mission « Déploiement du service civique »

Je partage cette idée et j'envisage d'en parler cet après-midi même avec François Chérèque et l'Agence du service civique. Compte tenu du turnover des jeunes, je souhaite qu'une réunion trimestrielle obligatoire soit organisée par les préfets et autres responsables au cours de la période de service civique. Il faut qu'une culture commune se crée à travers des échanges de points de vue sur les difficultés rencontrées et les idées pour l'avenir. Les jeunes doivent être acteurs et pas seulement consommateurs de leur service civique.

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Guillaume Bachelay a raison, la perspective doit être que le service civique ne se limite pas à une aventure individuelle : elle doit aussi être collective. Cela nécessite des moments de confrontation des expériences entre jeunes issus de tous les horizons – c'est cela la mixité sociale –, qu'ils soient investis dans des missions aussi diverses que replanter des arbres après un feu de forêt, s'occuper de personnes âgées ou encadrer une activité extrascolaire. Cette émulation fera la qualité du service civique.

Je tiens à évoquer l'inquiétude exprimée par les référents en place : si on multiplie par quatre les effectifs, beaucoup arriveront qui n'auront aucune idée de ce qu'est le service civique, même s'il existe de belles brochures. Le risque est de tomber dans des définitions de missions qui ne sont pas dans l'esprit de la loi qui a créé le dispositif. Des missions qui viendraient se substituer à des emplois, fussent-ils associatifs et, pourquoi pas, administratifs. La tentation est grande pour les collectivités territoriales qui disposent de moins de moyens pour financer des associations ou des associations en mal de permanents. Nous devons demeurer vigilants et c'est pour cela qu'il faut que les acteurs locaux s'approprient le dispositif. Il ne s'agit pas d'abandonner la responsabilité de l'État, qui doit être pilote et se placer à la source de cette appropriation. Il faut institutionnaliser cette gouvernance de proximité. Au départ, nous ne pensions pas cela nécessaire ; aujourd'hui nos objectifs quantitatifs comme notre volonté de maintenir le niveau de qualité des missions proposées nous y poussent. L'animation et le partage des expériences – qui n'ont rien à voir avec les cours d'éducation civique –, la rencontre de responsables et d'élus locaux confèrent son vrai contenu à l'éducation citoyenne. Cela nécessite une formidable organisation et l'exigence se verra augmentée par la dimension internationale que devront impérativement prendre les formations, car cela participe de l'esprit qui anime le dispositif. Lorsqu'il s'agira d'envoyer nos jeunes à l'étranger et d'en recevoir d'autres en retour, le travail ne pourra pas être celui des seuls fonctionnaires mais de toute la société.

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Alain Régnier, préfet, chargé de mission « Déploiement du service civique »

Il est vrai qu'il faut associer les jeunes à la construction du projet afin qu'ils soient acteurs du pilotage territorial du dispositif. Il y a vingt-cinq ans, j'étais sous-préfet “Ville” dans le Val-d'Oise, le service national existait encore et pouvait prendre l'aspect de missions relatives à politique de la ville ou à la vie des établissements scolaires. Nous avions vu arriver jusqu'à 20 000 jeunes. J'avais pu ainsi mesurer l'intérêt que ceux-ci portaient à ce type d'engagement. Nous avions du retard mais nous l'avons rattrapé avec la loi du 31 mars 2006 sur l'égalité des chances et celle du 10 mars 2010. Nous devons réussir et être ambitieux pour un projet qui transformera la société et, à cet effet, passer à un volume capable de changer la relation des jeunes à celle-ci. Dans le parcours citoyen tel que nous le concevons au ministère de l'intérieur, il est important qu'ils rencontrent des acteurs de la vie locale tels des maires ou des députés. Nous devons démontrer qu'il est possible d'accroître le périmètre du dispositif tout en respectant l'esprit de la loi. Il ne s'agit donc pas de laisser des formations se substituer à des emplois – il y a tout un potentiel dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Je vous remercie pour votre écoute.

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Merci pour votre disponibilité, monsieur Régnier.

L'audition s'achève à dix heures cinq.

Membres présents ou excusés

Mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine

Réunion du 2 avril 2015 à 9 heures.

Présents. – M. Guillaume Bachelay, M. Yves Blein, M. Jean-Luc Bleunven, M. Patrick Bloche, Mme Annick Lepetit, M. Bernard Lesterlin, Mme Julie Sommaruga.

Excusés. – M. Sébastien Denaja, M. Yves Fromion.