Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 15 juin 2016 à 9h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, Présidente de la Commission :

La crise de l'accueil des réfugiés en Europe constitue un sujet majeur pour l'avenir de l'Union européenne qui met en cause ses valeurs et sa raison d'être. En effet, l'Union a d'abord été créée comme un espace de paix et de solidarité – laquelle est mise à l'épreuve par la crise ukrainienne aussi bien que par les drames qui se produisent en Méditerranée suite aux conflits en cours en Irak, en Syrie ou encore en Érythrée.

Le dialogue est plus que jamais nécessaire entre les pays de l'Union qui ont des histoires et des cultures différentes, et parfois des intérêts divergents. Certains pays, comme la France, sont d'anciens pays d'immigration ; d'autres, au contraire, sont traditionnellement des pays d'émigration – c'est le cas de la Pologne. Nos approches en la matière peuvent donc différer, mais nous partageons tous les valeurs communes de l'Union européenne et de la Charte des droits fondamentaux. Nous sommes tous tenus d'agir à l'égard des réfugiés dans le respect des règles internationales, qu'il s'agisse de la Convention de Genève ou des règles édictées par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), même s'il est assez naturel que nous n'ayons pas tous la même approche de l'organisation collective de l'accueil des réfugiés dans l'espace Schengen – lequel, parce qu'il permet la libre circulation des personnes sur l'ensemble du territoire de l'Union, est un formidable progrès.

Comment préserver cet acquis tout en se dotant de mécanismes de contrôle pour sécuriser nos frontières extérieures ? La gestion des frontières extérieures, en effet, est la condition de la paix et de la sécurité intérieure. Certains États ont rétabli les contrôles aux frontières nationales : cela ne donne pas une image positive de l'Union, fondée sur la liberté des échanges entre les peuples. Plus largement, la crise migratoire et les menaces qui pèsent sur l'espace Schengen ont mis en lumière les faiblesses de la gouvernance de l'Union européenne. Cette crise supposait des décisions opérationnelles rapides et un suivi des décisions logistiques telles que la mise en place et le contrôle des hotspots, par exemple. Sans doute l'échec des relocalisations s'explique-t-il en grande partie par l'absence d'une coordination permettant de détecter les points de blocages, qu'il est plus facile de gérer par anticipation qu'a posteriori.

Ne faut-il pas reconnaître que la Commission n'est pas l'instrument de gestion opérationnelle adéquat, et doter certaines agences, comme Frontex ou la future agence de l'asile, d'une plus forte autonomie tout en prévoyant en contrepartie qu'elles fassent l'objet d'un véritable contrôle démocratique ?

L'Europe sera confrontée pendant longtemps à d'importants mouvements de populations sur une longue période. Outre les conflits en cours en Irak et en Syrie s'ouvrira bientôt en Libye un nouveau front particulièrement dangereux pour l'Italie, bien entendu – car elle accueille des réfugiés toujours plus nombreux qui transitent par la Libye dans des conditions épouvantables après avoir traversé le désert, les femmes étant souvent enceintes parce qu'elles ont été violées dans l'intervalle – mais aussi pour les pays voisins, notamment la Tunisie, une jeune démocratie qui tente de résister face aux périls venus de Libye que sont l'islamisme radical et les trafics en tous genres.

Le renforcement de l'aide aux pays d'origine et de la coopération avec les pays de transit est une priorité. Lors de la COSAC, nous avons évoqué un « plan Marshall pour les réfugiés », qui ne peut avoir de sens que si nous donnons aux pays en guerre les moyens de retrouver la paix et à ceux qui sont en grande difficulté économique les moyens de retenir leur population en lui garantissant un niveau de vie digne. Autrement dit, la question des réfugiés est liée à celle de l'aide au développement, comme le soulignent nos amis italiens.

La mise en oeuvre de l'accord entre la Turquie et l'Union européenne doit nous inciter à réfléchir à notre politique migratoire à plus long terme. Certes, cet accord a temporairement freiné le flux de migrants venus par les frontières terrestres et par la mer Égée, mais le HCR estime que la Turquie n'est pas un pays tiers sûr – contrairement aux termes du récent passé avec la Turquie.

Permettez-moi donc d'ouvrir le débat par la question suivante : ne serait-il pas opportun de créer des corridors sécurisés pour permettre aux réfugiés authentiques de ne pas risquer leur vie en mer et, dans le même temps, de tarir les activités criminelles des trafiquants d'êtres humains qui, hier, faisaient passer des migrants de la Turquie à la Grèce, et qui se sont depuis reconvertis vers la Libye, où les migrants, après un périple épuisant, traversent une mer plus dangereuse encore ? Ne serait-il pas plus sûr d'ouvrir des couloirs correctement contrôlés que de fermer les frontières ?

Enfin, la Commission européenne a proposé le 4 mai dernier un premier projet de réforme du droit d'asile, qui peut sembler limité alors que la crise de 2015 a montré l'inadaptation de la législation communautaire sur l'asile face à la gravité de la situation migratoire actuelle. Il existe de fortes disparités entre les États membres ; comment faire preuve de davantage de solidarité en la matière ? On ne saurait demander à l'Allemagne d'être la plus accueillante possible, alors que la question des réfugiés nous concerne tous. Au fond, les guerres qui se déroulent actuellement en Syrie et en Irak ont été provoquées en premier lieu par des États occidentaux, même si l'Europe n'est pas la première responsable de cette situation.

Quoi qu'il en soit, la proposition de réforme de la Commission européenne n'est-elle pas trop timide ? Comment faire pour que tout le poids du premier accueil des réfugiés ne pèse pas seulement sur la Grèce, l'Italie ou Malte ? De plus, les demandeurs d'asile ont pour la plupart l'intention de retourner dans leur pays lorsque la guerre y sera terminée ; il faut donc réfléchir à un mécanisme d'accueil provisoire, étant entendu que l'interdépendance de fait de nos pays doit nous inciter à emprunter la voie d'une intégration renforcée et solidaire.

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