Intervention de Vincent Peillon

Réunion du 30 janvier 2013 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale :

On ne peut prétendre travailler avec le Parlement sans l'écouter et soyez assurés que je respecte les positions de chacun. Le dialogue doit exclure la caricature. Mais il exige aussi du gouvernement qu'il précise sa méthode.

Le terme de refondation, auquel je tiens, n'est pas comme on l'a dit la marque d'un excès d'ambition mais, au contraire, celle d'une démarche empreinte de beaucoup d'humilité. Il ne s'agit en aucun cas de traiter de tous les sujets relatifs à l'école – notamment pas de certains, que vous avez évoqués mais qui ne relèvent pas de la loi – mais de tirer les leçons du passé : si bonnes qu'aient été les intentions, beaucoup de réformes n'ont pas porté de fruits parce que les fondements du système éducatif n'avaient pas été rénovés au préalable. Là est l'essentiel sur lequel on peut ensuite bâtir. C'est pourquoi il faut donner la priorité au primaire dont tous s'accordent à reconnaître les faiblesses structurelles.

Ce constat n'est ni nouveau, ni partisan et l'on a déjà essayé de résoudre ces difficultés. Notre atout est de disposer aujourd'hui, grâce au Président de la République, des moyens et du temps nécessaires pour corriger les effets d'un sous-investissement qui se lisent notamment dans le classement des pays de l'OCDE : la France y figure au dernier rang pour le taux d'encadrement dans le primaire. Nous sommes en outre l'unique pays avancé à avoir supprimé la formation des maîtres et le seul au monde à organiser l'année scolaire sur 144 jours seulement, au prix de journées surchargées pour les élèves. Enfin, notre système éducatif est caractérisé par une partition excessive entre le primaire et le secondaire : les méthodes, l'organisation du temps de travail y sont différentes – jusqu'aux syndicats qui portent des visions distinctes ! De tout cela, il n'y a pas de quoi être fier ! Voilà pourquoi nous devons commencer par assainir ce fondement de notre système éducatif – commencer par le commencement, en divisant les difficultés en autant de parcelles qu'il faut pour les résoudre.

En ce qui concerne l'accueil des moins de trois ans, une circulaire a été publiée et vous avez donc pu voir dans quel esprit nous le concevions. Il est surtout utile là où les populations sont le plus en difficulté. Nous pouvons l'organiser en nous appuyant sur ce qui existe déjà, par exemple sur les classes passerelles ou sur les expérimentations menées ici ou là, mais il nous faut aussi former les personnels : souvenons-nous qu'il y a vingt ans, les écoles normales dispensaient aux futurs maîtres de maternelle un enseignement spécifique d'au moins soixante-dix heures, de sorte qu'ils étaient parfaitement au fait des besoins de l'enfant à chaque étape de son développement intellectuel et moteur. Tout cela a été supprimé. Nous allons le rétablir.

Le dispositif « Plus de maîtres que de classes », expérimenté dans plusieurs régions, se révèle très efficace. Certains souhaiteraient réduire de moitié l'effectif des classes, mais il faut savoir que le réduire d'une seule unité obligerait à créer 10 000 postes. Un législateur responsable ne saurait donc se résoudre à une telle décision. En revanche, nous pouvons nous en remettre à une disposition qui a été expérimentée et évaluée dans notre pays et qui est pratiquée dans cette Finlande dont le modèle est si souvent invoqué. Mettre deux enseignants dans une classe permet de faire évoluer la pédagogie et le métier d'enseignant tout en favorisant le travail d'équipe, et cela donne des résultats !

Nous ne supprimerons pas l'école du socle, nous ferons mieux : nous généraliserons l'institution du conseil pédagogique et nous créerons un cycle à cheval sur le primaire et le secondaire. Les syndicats ont accepté cette mesure que beaucoup souhaitaient.

Après la priorité donnée au primaire, les ESPE constitueront le deuxième pilier de la refondation. Leur mission sera de garantir la compétence disciplinaire des enseignants, ce qui est essentiel, mais aussi de leur offrir les outils leur permettant de gérer des situations complexes. Quant à l'égalité des sexes, c'est une exigence fondamentale. Notre pays souffre à cet égard, y compris par rapport à l'Espagne, d'un retard dommageable, sensible notamment dans les disciplines scientifiques. Nous souffrons là de stéréotypes que les chefs d'entreprise jugent pénalisants pour l'économie. Les enseignants doivent donc être formés à les combattre.

Nous nous préoccupons également des violences à l'école, monsieur de Ganay : nous avons même inventé un métier, celui des assistants de prévention et de sécurité, que nous allons maintenant nous attacher à conforter en assurant leur place au sein de la communauté éducative. Nous avons également créé – ce à quoi il est curieux qu'on n'ait jamais songé – une délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, qui nous permettra d'être mieux informés de ces phénomènes pour former les personnels à y faire face et pour définir des plans de gestion de crise. L'urgence s'en faisait sentir même dans le primaire, où les maîtres se disent confrontés à des enfants de plus en plus turbulents.

Enfin, le troisième pilier de notre projet réside dans la réforme des rythmes scolaires. Vous vous interrogez à ce propos sur ma méthode : eh bien, c'est celle que dicte l'intérêt général sur un sujet où le diagnostic était consensuel. Le Conseil supérieur de l'éducation (CSE) a certes émis un vote négatif sur le projet de décret, mais il a fait de même sur toutes les propositions de réforme de mes prédécesseurs. En revanche, la Commission consultative d'évaluation des normes s'est prononcée favorablement, par huit voix contre deux. Il est vrai que le front du refus était étendu au sein du CSE, entre les parents d'élèves qui souhaitaient réduire immédiatement la journée d'école à cinq heures dans une année de 38 semaines, et les enseignants qui réclamaient une légitime revalorisation salariale. Cependant, le vote négatif résulte avant tout d'abstentions et aucune contre-proposition n'a été formulée. Cette réforme se fera donc, mais nous devons la mener de la façon la plus intelligente possible car elle est difficile : en effet, elle ne consiste pas simplement à ajouter une demi-journée dans la semaine, elle conduit également à modifier l'organisation de la journée elle-même, ce qui ne s'est jamais fait jusqu'ici dans notre pays mais qui est nécessaire même si cela pose des problèmes aux collectivités.

La consultation préalable à l'élaboration de ce projet a été très large, et c'est d'ailleurs ce qui explique la publication tardive du décret, contre laquelle protestent certains élus – les mêmes qui ont demandé cette concertation et ont contribué par leurs demandes à ce qu'elle se prolonge. L'opposition des collectivités n'est d'ailleurs pas homogène, ce qui est compréhensible étant donné leur diversité. Nous essaierons de tenir compte au mieux de tout ce qui nous a été dit par les uns et par les autres, mais vient un moment où il faut avancer ! Très nombreuses sont du reste les villes qui ont décidé de s'engager dans la mise en oeuvre des nouveaux rythmes scolaires.

Je suis conscient que cette réforme exigera un effort certain, de la part des élus comme des professeurs, tant elle oblige à rompre avec des habitudes. La principale révolution sera celle du dialogue. Entre les professeurs, au premier chef, qui doivent apprendre à se connaître et à se respecter à quelque niveau qu'ils enseignent et quels que soient leur discipline et leur statut, afin de faire émerger une culture commune. Les enseignants de maternelle ou du primaire ne sont en rien inférieurs à ceux des universités. Il n'est pas question non plus d'ériger une barrière entre eux et ceux qui auront à prendre en charge les enfants après 15 heures 45 : il faut qu'ils se parlent. C'est à quoi travailleront les ESPE, écoles supérieures du professorat « et de l'éducation ».

Si je vous disais que tout sera formidable dès 2013 et qu'aucun problème d'encadrement ne se posera, je ne serais qu'un marchand d'illusions. Mais il est des circonstances où il faut, non reculer devant les difficultés, mais chercher résolument des solutions. Ainsi en ce qui concerne le financement. Les 250 millions d'euros que coûteront les trois heures du mercredi matin seront couverts par le budget de l'éducation nationale. Les collectivités ne verront donc pas leur charge s'alourdir en assumant celle des quatre séquences de 45 minutes. Cependant, il est vrai qu'il y aura là un morcellement qui imposera des contraintes et il est probable que ces séquences concerneront davantage d'enfants. Dès lors, il est normal que l'État accorde une aide. Assorti d'un mécanisme de péréquation sans précédent, le fonds que nous avons prévu à cet effet permettra de corriger les fortes inégalités d'offre éducative et péri-éducative qui existent aujourd'hui entre les communes et dont vous pouvez avoir une idée en vous reportant à l'étude d'impact du ministère de l'intérieur. Il complétera l'effort conduit en faveur des zones les plus en difficulté, y compris rurales, sur lesquelles seront concentrés le premier millier de postes qui vont être crées.

Le même souci de combattre les inégalités territoriales inspire d'ailleurs notre action en faveur de l'accès à internet. Le plan « Écoles numériques rurales » est certes bien construit et bien doté, mais il n'a pas permis de combler le retard pris dans l'équipement des écoles primaires. Pour assurer le raccordement au haut débit des établissements situés en zone rurale, nous avons par conséquent demandé et obtenu 150 millions d'euros pris dans l'enveloppe du Fonds européen de développement régional (FEDER) et nous avons signé une convention avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC). De plus, nous avons passé un accord avec le Commissaire général à l'investissement, M. Louis Gallois, pour développer une filière française du logiciel pédagogique, secteur dans lequel les pays anglo-saxons jouissent d'une large avance. Afin que ces investissements dans le numérique ne soient pas consentis en vain, les ESPE se chargeront de l'indispensable formation, initiale et continue, des enseignants.

Sur tous ces points, je le répète, le constat des difficultés, qu'elles soient celles du système actuel ou celles qu'il faudra surmonter pour l'améliorer, doit nous pousser à une action résolue.

Qu'est-ce qu'une morale laïque ? C'est une morale non confessionnelle, qui ne repose pas sur le fondement d'une Révélation. Elle doit rassembler, et non diviser. Autrefois, ce concept était compris de tous. Si l'on veut faire de la laïcité un nouveau dogme, on la dévoie, car elle repose précisément sur le contraire : sur l'esprit critique. Quant à la morale, qu'on confond trop souvent dans nos programmes avec le droit, elle renvoie à la notion d'obligation. La République s'est d'ailleurs construite sur le refus de séparer morale et politique. De la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen au refus de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain en passant par l'affaire Dreyfus, il existe une continuité d'actes supérieurs aux lois. Tous les enfants savaient cela mais comme ce n'est plus le cas, cela doit être de nouveau enseigné et j'ai installé une mission chargée de l'organiser. Vous disposerez de ses conclusions pour vos débats.

La droite a supprimé l'apprentissage avant 16 ans en 2008, le jugeant inopérant. Elle l'a remplacé par un dispositif d'alternance qui s'adressait aux jeunes de 14 et 15 ans, mais la dernière évaluation dont celui-ci a fait l'objet a montré que n'y étaient entrés que quarante élèves de 14 ans, dans deux académies seulement. Il est donc supprimé pour cette classe d'âge, mais conservé pour les adolescents âgés de 15 ans, à condition qu'ils maîtrisent le socle commun de connaissances, de compétences et de culture. En effet, on ne peut pas être à la fois partisan du socle, promu par la loi Fillon, et affirmer que, pour certains enfants, son acquisition est accessoire.

Le parcours éducatif d'information et d'orientation est une nouveauté dont l'enjeu est considérable pour notre système éducatif. Déjà introduit dans les premiers cycles universitaires, il doit maintenant être généralisé, notamment au collège.

L'éducation artistique sera, à l'école primaire, intégrée dans le temps scolaire – au même titre que la langue vivante, qui ne sera pas nécessairement l'anglais, madame Maréchal-Le Pen –, afin d'en garantir l'accès à tous. Cela n'exclut pas qu'elle puisse être présente aussi au sein des activités péri-éducatives : il reviendra aux collectivités d'en décider, dans le cadre du projet éducatif territorial dont je précise qu'il pourra ne pas être limité à des séquences de trois quarts d'heure.

Au total, ce projet de loi n'a pas pour objectif de tout embrasser. Il fixe des objectifs simples : refondation du primaire et de la formation des enseignants, et réforme des rythmes scolaires. C'est seulement une fois que les bases de notre système auront ainsi été consolidées que nous pourrons aborder d'autres sujets – éducation prioritaire, réforme du collège, etc. – pour réfléchir à d'autres améliorations.

Je suis convaincu toutefois qu'un débat parlementaire constructif peut nous permettre d'enrichir ce texte. Nous pourrons par exemple y aborder la question des langues régionales, mentionnée par beaucoup – mais je fais observer que le code de l'éducation autorise déjà à les enseigner, disposition à laquelle je ne touche pas : il ne s'agirait que de rajouter. Afin de permettre au pouvoir législatif d'exercer en totale liberté sa faculté d'amendement, je n'assisterai pas à vos débats en commission. Je m'engage, par ailleurs, à accepter les amendements, d'où qu'ils viennent, dès lors qu'ils concourront aux objectifs que nous avons fixés. En dépit des caricatures inhérentes au débat politique, l'enjeu de la refondation de l'école dépasse les clivages partisans. En nous confrontant à des sujets qui n'ont pas été traités jusqu'ici et qui méritent de l'être, nous portons l'ambition de la simplicité et du courage.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion