Intervention de Serge Michailof

Réunion du 19 octobre 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Serge Michailof, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques, IRIS :

Je connais la situation budgétaire globale de la France et ne voudrais pas être taxé de naïveté en demandant que l'on trouve, du jour au lendemain, un milliard d'euros de dons pour l'aide publique au développement. Cela dit, chacun doit comprendre que c'est l'aide bilatérale qui permet de mobiliser l'aide multilatérale de façon intelligente, de manière à répondre à nos propres critères, nos propres besoins et objectifs. En ce domaine, faute d'aide bilatérale sous forme de dons, nous ne disposons d'aucun moyen d'influence sur les grands multilatéraux, à qui nous confions tout de même quelque 1,4 milliard d'euros chaque année.

C'est ce qui a motivé ma proposition de créer un fonds fiduciaire pour le Sahel, reposant sur l'idée de placer chaque année 20 % de nos subventions sur ce fonds, et d'exercer les pressions politiques nécessaires sur les multilatéraux afin qu'ils y placent également une partie de leurs ressources. Pour cela, il ne suffira pas que le directeur de l'AFD fasse un déplacement à Washington et à Bruxelles : une intervention politique déterminée, voire un peu brutale, sera nécessaire. Au demeurant, cela n'a rien d'inhabituel : c'est ce que les autres pays ont coutume de faire à l'égard des grandes institutions, et que nous ne faisons jamais.

Partant du principe que nous sommes condamnés à avoir 200 à 250 millions d'euros en subventions, et des crédits, d'un montant impossible à préciser mais qui doit être de l'ordre de 150 millions d'euros, destinés aux seize pays prioritaires et préaffectés – car chaque ambassadeur exige sa part –, j'estime que nous devons trouver 200 millions d'euros supplémentaires et les placer dans une facilité afin d'être en mesure de récupérer environ un milliard d'euros au terme de négociations un peu musclées avec la Banque mondiale, la Banque africaine et l'Union européenne. Quand on dispose d'un milliard d'euros pour travailler au développement du Sahel, cela n'a plus rien à voir avec ce que l'on peut faire avec 50 ou 100 millions d'euros – à condition, évidemment, de bénéficier d'un soutien politique fort. Les 100 ou 200 millions d'euros de départ doivent servir de mise de départ pour tordre un peu le bras aux multilatéraux, auprès de qui nous avons des arguments imparables à faire valoir : il n'est pas injustifié de leur demander de placer sur le fonds fiduciaire une fraction des sommes que nous confions nous-mêmes chaque année à l'Union européenne – et, en cas de réticence, de les menacer de réduire notre participation. Nous sommes un peu coincés par les accords pluriannuels qui nous lient aux multilatéraux, que nous ne pouvons modifier du jour au lendemain, et nous disposons de peu de ressources sous forme de subventions. Dans ces conditions, la seule solution dont nous disposions consiste à faire le ménage dans ce capharnaüm qu'est notre aide publique au développement, afin de trouver les 200 millions d'euros qui nous permettront de faire levier pour obtenir bien davantage.

Notre contribution globale au Fonds mondial de lutte contre le sida s'élève à environ 500 millions d'euros, ce qui n'a aucun sens. Si nous voulons vraiment lutter contre le sida, ce n'est pas ainsi que nous obtiendrons des résultats, mais en renforçant les capacités médicales et l'infrastructure médicale classique des différents pays concernés. Il est tout à fait possible de prélever 200, voire 300 millions d'euros sur les 500 millions d'euros composant notre participation actuelle, afin de les affecter à la facilité que j'ai évoquée. En réexaminant les décisions que nous avons prises pour répondre à des situations d'urgence par le passé, nous pouvons facilement trouver 200 millions d'euros, qui serviront à lever une ressource multilatérale bien plus importante.

La loi de finances se gargarise de ce qui est présenté comme un financement efficace de l'aide au développement par le biais multilatéral, considérant que la moitié des fonds vont à l'Afrique… peut-être, mais à quoi sert-il d'envoyer des fonds dans certains pays pour financer des projets inutiles ? Comme l'a montré une étude réalisée par Joseph Brunet-Jailly, professeur à Sciences Po, sur les 3,4 milliards d'euros promis au Mali par la communauté internationale en septembre ou octobre 2015, seuls 3,7 % sont allés au développement rural – un secteur d'activité qui occupe pourtant 80 % de la population ! Ce n'est donc pas forcément le montant des aides qui est déterminant, mais leur affectation et leur utilisation. Or, dans ce domaine, la France est la seule à posséder encore une expertise, les grands bailleurs de fonds ayant démantelé leur division sectorielle « développement rural » depuis des années, au motif que ce secteur ne faisait pas partie des objectifs du développement.

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