Intervention de Didier Migaud

Réunion du 19 octobre 2016 à 18h00
Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques

Didier Migaud, Premier, président de la Cour des comptes :

Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, messieurs les députés, je suis heureux de retrouver votre Comité pour lui présenter les résultats du rapport sur la régulation des jeux d'argent et de hasard, un an après votre saisine, monsieur le Président, par lettre du 12 octobre 2015.

Je tiens à saluer les rapporteurs, M. Jacques Myard et M. Régis Juanico. Les échanges conduits avec eux ont éclairé la Cour quant aux attentes de votre Comité et lui ont permis de définir ses principaux axes d'enquête.

Pour vous présenter ce travail, je suis entouré d'Henri Paul, président de chambre et rapporteur général du comité du rapport public et des programmes ; d'Anne Froment-Meurice, présidente de chambre, présidente de la formation inter chambres chargée de la préparation du rapport ; de Bernadette Malgorn, conseillère maître, rapporteure générale ; de Jacques Rigaudiat, conseiller maître et de Stéphanie Bigas, conseillère référendaire, rapporteurs généraux adjoints.

Dans son rapport, la Cour met en avant trois messages principaux.

Premièrement, la gouvernance de la régulation des jeux n'est pas satisfaisante, dans la mesure où elle ne repose pas sur une stratégie claire ni sur une organisation cohérente.

Deuxièmement, les objectifs fixés par la loi du 12 mai 2010 à la politique de l'État en matière de jeux sont loin d'être atteints, notamment en matière de santé et d'ordre public.

Troisièmement, les changements qui touchent actuellement le secteur des jeux d'argent et de hasard alimentent l'urgence d'une nouvelle approche du secteur par l'État régulateur.

Avant de rentrer dans le détail, je veux revenir sur le contexte général dans lequel intervient la remise de ce rapport. Vous le savez, les jeux d'argent et de hasard sont régis par un principe général de prohibition. Toutefois, celui-ci admet de nombreuses dérogations.

En dépit de l'ouverture à la concurrence de certains jeux et paris en ligne par la loi de 2010, le marché régulé reste dominé par les opérateurs historiques.

Le premier opérateur est la Française des jeux (FDJ), société anonyme détenue à 72 % par l'État. Elle dispose d'un monopole sur les jeux de tirage, de grattage et de loterie, ainsi que sur les paris sportifs en dur. Son chiffre d'affaires a plus que doublé entre 1995 et 2014, passant de 5 milliards d'euros à plus de 13 milliards d'euros.

Le Pari mutuel urbain (PMU), groupement d'intérêt économique constitué entre des sociétés de courses hippiques, est en situation de monopole pour les paris hippiques en dur, qu'il gère à travers son réseau de points de vente. Son chiffre d'affaires a presque doublé entre 1999 et 2014, pour atteindre 10 milliards d'euros.

Enfin, les 201 casinos et cercles de jeu recensés en 2016 constituent le troisième groupe d'opérateurs historiques et opèrent dans le cadre de délégations de service public locales. À l'inverse de la Française des jeux et du PMU, leur activité a sensiblement reculé au cours de la dernière décennie.

L'avenir de ces opérateurs traditionnels est lourd d'enjeux. Les 45 500 points de vente de la Française des jeux et du PMU, en majorité des bureaux de tabac, des diffuseurs de presse, des bars et des épiceries, participent à l'aménagement du territoire. Les casinos ont, quant à eux, un rôle important dans les communes touristiques ou thermales. Par ailleurs, les résultats du PMU assurent le financement de la filière hippique et ceux de la Française des jeux soutiennent le sport autant que le budget de l'État.

De leur côté, les opérateurs de jeux et de paris en ligne peinent à émerger : hors Française des jeux et PMU, ils ne représentent que 13 % des mises et 5 % du produit brut des jeux (PBJ). Le résultat d'exploitation de l'ensemble du marché des opérateurs en ligne n'a été positif qu'une fois depuis 2010, en 2014. Il est redevenu négatif en 2015.

À ces enjeux économiques, s'ajoutent deux enjeux d'intérêt général majeurs : la protection de la santé et de l'ordre public. Or ces enjeux sont appréhendés différemment selon les opérateurs.

J'en viens au premier message de la Cour. La gouvernance du secteur des jeux d'argent et de hasard, qui recouvre l'élaboration du cadre normatif applicable et la régulation quotidienne de l'activité, ne repose pas sur une stratégie claire ni sur une organisation cohérente.

La loi de 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne aurait pourtant dû permettre une réorganisation d'ensemble de la régulation des jeux d'argent et de hasard. Elle prévoyait notamment la mise en place d'une instance de pilotage transversale, le Comité consultatif des jeux, et d'un acteur dédié à la régulation des jeux en ligne, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel). Ces créations n'ont cependant pas rationalisé une gouvernance qui reste fondamentalement spécialisée en fonction des jeux et de leurs canaux de distribution.

Tout d'abord, le mode d'élaboration des normes régissant les jeux n'offrent pas les conditions d'une régulation cohérente.

Il est, en effet, caractérisé par un éclatement croissant des compétences entre plusieurs ministères, dont trois occupent une place prépondérante : le ministère de l'économie et des finances, dont la direction du budget propose les évolutions législatives et réglementaires en matière de régulation, de fiscalité et, en lien avec le ministère de l'intérieur, de police administrative générale ; le ministère de l'intérieur, qui assume en outre une compétence sectorielle sur les casinos et cercles de jeux ; le ministère de l'agriculture, qui exerce une compétence sectorielle sur le secteur hippique reposant sur l'objectif d'« amélioration de la race chevaline ». Par ailleurs, les évolutions législatives récentes ont donné un rôle d'élaboration de normes relatives aux jeux au ministère chargé de l'industrie et du numérique.

Aucun lieu n'existe pour accueillir la concertation entre ces acteurs. Le Comité consultatif des jeux, créé par la loi de 2010 pour mettre en cohérence la politique nationale de régulation des jeux, a été supprimé en novembre 2015, dans le cadre des mesures gouvernementales de simplification, sans qu'aucune solution alternative n'ait été évoquée.

À cet éclatement dans la production des normes, s'ajoute un éclatement des vecteurs juridiques. La loi de 2010 avait prévu une clause de revoyure après dix-huit mois, sur la base d'un rapport du Gouvernement. Le calendrier législatif n'a pas permis qu'un projet de loi soit mis à l'ordre du jour pour entériner les conclusions de ce rapport. Les modifications apportées depuis lors à la loi de 2010 l'ont été par des vecteurs législatifs et réglementaires très divers, dont certains étaient les instruments d'autres politiques publiques. Cette méthode d'élaboration du corpus normatif est risquée, à la fois du point de vue de la cohérence juridique et de l'émiettement progressif de la stratégie publique de régulation des jeux d'argent et de hasard.

L'état de la législation nationale ne permet plus de discerner le principe directeur de la politique publique des jeux ni la stratégie publique globale qui en découle. C'est vrai en ce qui concerne notamment le cadre institutionnel de régulation, la fiscalité applicable, le statut des opérateurs sous monopole, les catégories de jeux autorisés, ainsi que le champ des droits exclusifs et le champ ouvert à la concurrence, etc.

Or face aux mutations économiques et technologiques du secteur des jeux, les opérateurs nationaux ont un besoin accru de visibilité sur les règles applicables à leur marché. J'y reviendrai.

D'un point de vue global, la régulation quotidienne de l'activité des jeux d'argent et de hasard n'apparaît pas plus satisfaisante que la production des normes. Son organisation actuelle n'a pas fait preuve de son efficacité, dans le contexte d'un marché aux acteurs peu nombreux. Elle peine à s'adapter aux évolutions rapides que connaît le secteur.

Chaque filière de distribution est régulée par une autorité distincte ou un ensemble d'autorités qui lui sont propres et qui se confondent, en réalité, avec les autorités chargées de l'élaboration des normes qui leur sont applicables. Les casinos et cercles de jeux sont régulés par le ministère de l'intérieur, les jeux d'argent sous droits exclusifs de la Française des jeux par les ministères chargés du budget et de l'intérieur. Les jeux sous droits exclusifs du PMU font l'objet d'une régulation par les ministères chargés de l'agriculture, du budget et de l'intérieur, et les jeux en ligne ouverts à la concurrence par l'Arjel, autorité administrative indépendante.

Les pratiques de ces différents régulateurs sont inégales.

Les jeux de cercles et les casinos font l'objet de contrôles insuffisants, soumis à des procédures lourdes. Les limites de ces contrôles, notamment dans l'identification des relations existant entre les cercles de jeu et le grand banditisme, ont justifié des missions de l'Inspection générale de l'administration et de l'Inspection générale de la police nationale. Leurs recommandations n'ont été que peu suivies d'effets.

La régulation des jeux de la Française des jeux et du PMU est largement assurée par les opérateurs eux-mêmes, dans la mesure où les ministères ne disposent pas des moyens nécessaires à la réalisation des contrôles. Leur degré d'investissement dans cette autorégulation est variable. Le dispositif de contrôle des paris hippiques est notamment très limité.

Enfin, la régulation des jeux en ligne ouverts à la concurrence repose sur un organisme aux pouvoirs de contrôles étendus et disposant de ses propres outils d'analyse. Pour autant, le champ d'action de l'Arjel est limité. Si elle exerce la totalité de la fonction de régulation en matière de paris sportifs en ligne, elle ne dispose pas de la même compétence, s'agissant du poker et des paris hippiques en ligne.

Régulé par silo, le secteur des jeux d'argent et de hasard est, par ailleurs, contrôlé de façon transversale par les services financiers chargés de la lutte contre la fraude et le blanchiment et les autorités de contrôle de la concurrence et de la protection des consommateurs.

De plus en plus de problématiques transversales émergent sur le marché des jeux d'argent et de hasard, que cette organisation en silo ne permet pas de traiter de façon cohérente, donc, efficace. C'est notamment le cas de l'homologation des logiciels de jeux, de la protection des données personnelles, de l'interdiction du jeu des mineurs et de son contrôle, ou encore de la lutte contre le jeu problématique et contre le blanchiment. À ces problématiques, qui constituent autant de zones d'incertitude pour les acteurs du secteur, les pouvoirs publics n'apportent pas de réponse unifiée.

Cette gouvernance incohérente apparaît d'autant plus problématique que la politique de l'État n'atteint que partiellement les objectifs que lui a assignés la loi du 12 mai 2010. C'est en matière de santé et d'ordre public que l'efficacité de cette politique présente le plus de limites. C'est le deuxième message de la Cour.

En premier lieu, l'objectif global assigné par le législateur à la politique de l'État est « de limiter et d'encadrer l'offre et la consommation des jeux et d'en contrôler l'exploitation ».

En pratique, l'ouverture à la concurrence de certains jeux et la mise en place concomitante d'un système de régulation ont bien permis une réduction de l'offre illégale, grâce à une action soutenue de l'Arjel contre les sites de jeux illégaux. À la fin de l'année 2015, l'Autorité surveillait ainsi 4 435 sites et avait obtenu des résultats significatifs.

Pourtant, la Cour relève plusieurs types de marchés illégaux en cours de développement ou susceptibles de croître à court terme. Leur régulation rend nécessaire une plus forte réactivité de l'Arjel, qui devra reposer sur de nouveaux moyens juridiques. Je pense notamment aux casinos en ligne et aux paris illégaux sur le résultat des compétitions de jeux vidéo.

En second lieu, au-delà de cet objectif global de régulation de l'offre, l'État peine encore à atteindre les objectifs spécifiques que le législateur lui a assignés.

Le premier objectif spécifique assigné à la politique de l'État est de « prévenir le jeu excessif ou pathologique et protéger les mineurs ». Cette prévention est loin d'être efficace. En effet, plus de la moitié des Français âgés de quinze à soixante-quinze ans a pratiqué un jeu d'argent et de hasard dans l'année. Cela représente une hausse de dix points depuis 2010. Près de 5 % de ces joueurs présentent un profil risqué. Or l'effort de prévention du jeu excessif ou pathologique est très inégal selon les opérateurs.

Dans le périmètre de la Française des jeux et du PMU, le dispositif est insuffisant, limité par l'anonymat des parieurs. Les démarches d'identification des joueurs, encouragées par l'État, demeurent embryonnaires. Par ailleurs, le régulateur n'est pas assez réactif, en cas de difficulté identifiée dans le cadre des plans d'actions « jeu responsable », outils de planification des démarches de prévention des opérateurs.

La problématique de l'anonymat ne se pose pas pour les jeux en ligne, mais ceux-ci connaissent deux difficultés spécifiques : d'une part, la nécessité de s'adapter à une pratique innovant en permanence ; d'autre part, la possibilité, pour les interdits de jeu, de se reporter sur les paris sportifs et hippiques dans les points de vente physiques.

Par ailleurs, les résultats obtenus par les casinos en matière de prévention du jeu excessif sont particulièrement limités.

En matière d'interdiction de l'offre de jeu aux mineurs, les outils de contrôle sont insuffisants en ce qui concerne la Française des jeux, opérateur le plus concerné du fait de la nature de ses jeux. D'après l'enquête nationale sur les jeux d'argent et de hasard de 2014, réalisée par l'Observatoire des jeux et l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, 32,9 % des mineurs auraient ainsi joué au cours de l'année écoulée, 11 % d'entre eux pouvant être considérés comme joueurs à risque.

Le deuxième objectif spécifique de la politique de l'État est d'assurer l'intégrité, la fiabilité et la transparence des opérations de jeu. Ces axes ont fait l'objet d'efforts récents, qu'il s'agit désormais de confirmer et de compléter.

Les dispositifs de prévention des conflits d'intérêts et de recherche d'intégrité des casinos et des opérateurs en ligne semblent efficaces. En 2012, le législateur a renforcé le dispositif applicable aux paris sportifs. En revanche, les courses hippiques ne sont pas soumises à un cadre juridique contraignant ni à des contrôles. À titre d'exemple, aucune incrimination pénale n'est prévue en matière de dopage ou de corruption hippique ; l'interdiction de parier faite aux jockeys et aux entraîneurs n'est pas contrôlée ; cette interdiction ne concerne pas les propriétaires de chevaux ni les dirigeants et personnels de sociétés de courses.

En matière de sécurisation des opérations de jeu, les exigences et les niveaux de contrôle sont élevés dans les secteurs des jeux en ligne et dans le cadre des activités de la Française des jeux. Pour autant, la part croissante des mises de parieurs professionnels dans l'activité du PMU constitue une limite forte à la fiabilité, à l'intégrité et à la transparence des opérations de jeu. Pour la Cour, cette participation des parieurs professionnels constitue une entorse à l'esprit du pari mutuel et est la source d'un préjudice financier important pour l'État. Si vous le souhaitez, je pourrai reparler de ce sujet dans un second temps. En tout état de cause, je crois que la représentation nationale aura intérêt à examiner de très près la situation des parieurs professionnels.

La loi confère également à la politique de l'État un troisième objectif spécifique, qui porte sur la prévention des activités frauduleuses ou criminelles du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme. Cet objectif n'est que partiellement atteint.

Les obligations pesant sur les opérateurs ont été renforcées par la transposition de la troisième directive européenne relative au blanchiment, mais elles n'ont pas été entièrement suivies d'effets. Le plafond de paiement en espèces et en monnaie électronique n'est pas respecté pour les paris hippiques dans les lieux physiques ni pour les casinos. L'anonymat qui entoure les jeux de la Française des jeux constitue une limite notable au dispositif pourtant volontariste mis en place par l'opérateur. Le décret fixant le seuil au-delà duquel les opérateurs doivent s'assurer de l'identité des joueurs gagnants a été abrogé en 2009. Dans le cadre de la transposition de la quatrième directive, la France vient de décider de relever l'identité à partir d'un seuil de gains. La question se pose désormais de l'éventuelle instauration d'un relevé d'identité au niveau des mises.

Enfin, les dispositifs de contrôle destinés à lutter contre les risques de fraude et de blanchiment sont inégaux. Les opérateurs en ligne font l'objet de contrôles de l'Arjel, mais les inspections du ministère de l'intérieur commencent à peine dans les casinos, à la Française des jeux et au PMU. Le dispositif des déclarations de soupçons de blanchiment ou de financement du terrorisme mis en place par Tracfin est encore en cours de fiabilisation.

Le dernier objectif fixé par la loi est de « veiller au développement équilibré et équitable des différents types de jeu afin d'éviter toute déstabilisation économique des filières concernées », dans le contexte de l'ouverture à la concurrence de certains segments de jeu en ligne.

Cet objectif se heurte à une réalité contrastée. La Française des jeux affiche une situation économique positive, tandis que le PMU et les casinos présentent des bilans fragiles, malgré les allégements fiscaux consentis par l'État. Cette situation ne résulte pas de l'ouverture à la concurrence des jeux en ligne en 2010. D'ailleurs, la plupart des opérateurs de jeux et paris en ligne sont également dans une situation difficile. Le rapport souligne les difficultés structurelles auxquelles sont confrontés les modèles des opérateurs de jeu. C'est peut-être cet objectif qui justifie le plus la mise en place d'une instance unique de régulation disposant d'une vision globale sur le secteur.

Encadrée par une gouvernance qui présente d'importantes limites, la politique de l'État en matière de jeux d'argent et de hasard n'atteint qu'une partie de ses objectifs et se révèle particulièrement inefficace en matière de santé et d'ordre public. Dans ce contexte, les changements avérés et à venir auxquels fait face le secteur rendent particulièrement urgente l'adoption de nouvelles perspectives en matière de régulation. C'est le troisième et dernier message de la Cour.

L'organisation française du secteur des jeux d'argent et de hasard est soumise à une pression croissante, sous le double effet des évolutions technologiques et de l'évolution du cadre juridique européen.

Tout d'abord, les jeux français s'inscrivent désormais dans le cadre d'un marché mondialisé, qui connaît une forte croissance. Le produit brut des jeux mondial a quasiment doublé au cours des dix dernières années. Il a ainsi atteint 403 milliards d'euros en 2015, faisant des jeux d'argent et de hasard la sixième industrie de loisirs. Cette croissance devrait se poursuivre, avec une croissance du PBJ mondial estimée à 11 % entre 2015 et 2018.

Ce marché doit intégrer des mutations fortes et permanentes, liées aux évolutions technologiques et à leurs usages, comme la montée en puissance des applications de la téléphonie mobile et le déploiement du sport en ligne.

Ces mutations ont deux types de conséquences. D'une part, elles remettent en question la segmentation traditionnelle du secteur entre jeux en dur distribués dans les points de vente et les casinos et jeux en ligne. D'autre part, elles obligent les régulateurs à être très réactifs et à adapter les corpus juridiques aux nouvelles formes de jeu.

Ces mutations appellent l'État à dépasser l'approche cloisonnée qui prévaut actuellement, pour garantir l'ordre public et social avec les instruments juridiques et institutionnels adaptés.

Par ailleurs, le modèle français est soumis à l'évolution juridique européenne. La loi du 12 mai 2010 avait permis à la France d'échapper à toute remise en cause de son dispositif national par la Commission européenne ou par la Cour de justice de l'Union européenne. Cette situation ne saurait cependant être considérée comme définitivement acquise. Les jeux d'argent et de hasard sont reconnus comme un service, au sens de l'article 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Les États membres disposent de marges de manoeuvre importantes du fait des particularités du secteur, mais les limites apportées au principe de concurrence doivent être justifiées par des considérations d'intérêt général. La Cour de justice de l'Union européenne s'attache désormais à contrôler de façon renforcée la pertinence des mesures restrictives adoptées, tandis que les normes et les initiatives de la Commission ont de plus en plus d'effet sur l'activité des régulateurs.

Dans ce contexte, nous soulignons l'urgence d'une révision du mode de régulation des jeux d'argent et de hasard. Cette révision pourrait permettre la définition d'une stratégie d'ensemble se traduisant à la fois par une production normative cohérente et un mode de régulation unifié et renforcé.

En premier lieu, la Cour recommande la fin de l'éclatement de la préparation et de l'élaboration des normes par la création d'un comité interministériel associant les ministères chargés du budget, de l'intérieur et de l'agriculture, et élargi à la santé, aux sports et à l'économie.

Ce comité pourrait utilement s'emparer de la question de la forte hétérogénéité des régimes fiscaux auxquels sont soumis les différents segments de jeu. Par ailleurs, la baisse récente du montant des prélèvements n'a pas été supportée de la même manière par ses bénéficiaires. Les collectivités locales ont fait face à un manque à gagner de près de 20,6 millions d'euros, tandis que les recettes des filières équines et sportives ont augmenté. La Cour recommande que soit menée une évaluation globale de l'impact de la fiscalité des jeux, tant sur l'équilibre et la viabilité de l'offre légale de jeux d'argent que sur les comportements des joueurs. Cette évaluation constituerait un préalable indispensable à une réforme de la fiscalité du secteur.

En second lieu, une autorité administrative indépendante pourrait être l'instance de régulation unique et indépendante du secteur. Cette instance unique permettrait de formuler des réponses cohérentes aux enjeux communs aux opérateurs. Elle se prononcerait sur les autorisations individuelles de jeu, sur le lancement et le suivi des expérimentations de nouveaux jeux. Elle serait aussi chargée de la gestion du fichier des interdits de jeu, de l'organisation de l'accès à l'information des opérateurs, de l'agrément des points de vente et de la lutte contre le jeu illégal. La régulation quotidienne continuerait de prendre en considération les aspects spécifiques à chaque secteur. Une activité de veille internalisée garantirait la réactivité de cette nouvelle instance face aux mutations des usages du jeu.

Vous le savez, la Cour n'a pas l'habitude d'encourager la création de nouvelles instances. Aussi, cette autorité pourrait être créée, à coût constant, par le regroupement de l'Arjel et des trois organes créés par la loi de 2010 dans le giron de l'ancien Comité consultatif des jeux – l'Observatoire des jeux, la commission consultative des jeux et paris sous droits exclusifs et la commission consultative des jeux de cercles et de casinos. Elle serait dotée des prérogatives nécessaires à son efficacité, notamment des pouvoirs réglementaires d'application, dans le respect de la jurisprudence constitutionnelle.

Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, messieurs les députés, en conclusion, le travail mené par la Cour révèle que la loi de 2010 n'a pas suffi à mettre en place un système de régulation unifié et cohérent des jeux d'argent et de hasard. Les limites de ce système expliquent en partie pourquoi les objectifs fixés à l'État par le législateur n'ont pas été atteints. Le dispositif national se voit profondément remis en question par les innovations technologiques et l'évolution du droit européen. Dans ce contexte, la Cour propose une refondation de la politique de l'État, fondée notamment sur une nouvelle organisation de son système de régulation. Elle formule de nombreuses recommandations, que vous trouverez dans le rapport, et dont nous souhaitons qu'elles puissent éclairer les représentants du suffrage universel, à qui il appartiendra de procéder aux choix qu'ils jugeront nécessaires.

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