Intervention de Rudy Salles

Réunion du 26 octobre 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRudy Salles, rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Action extérieure de l'état :

Mes chers collègues, je suis très heureux de vous présenter cette année un rapport qui traite d'un domaine dans lequel la France excelle et est admirée à l'international : l'exportation du cinéma et de l'audiovisuel. Nous sommes le deuxième exportateur mondial de films, derrière les États-Unis, et nous nous classons parmi les dix premiers exportateurs de productions audiovisuelles. À Rome comme à Saint-Sébastien, où je me suis rendu pour préparer ce rapport, la qualité de nos productions, le courage de nos réalisateurs et l'excellence de notre modèle n'ont eu de cesse d'être loués. Mais en ce domaine, rien n'est jamais acquis et l'effondrement du cinéma italien est là pour nous le rappeler.

Si j'ai voulu consacrer le rapport à ce thème, c'est pour que notre commission prenne conscience des évolutions actuelles qui pourraient, si nous n'y prenons pas garde, fragiliser notre position dans ces secteurs si importants pour l'image de notre pays dans le monde.

Je ne reviendrai que brièvement sur les éléments statistiques qui sont présentés dans le rapport. En 2015, les films français ont enregistré plus de 110 millions d'entrées dans le monde : c'est plus que sur le territoire national. Près de 625 millions d'euros de recettes ont été dégagés. Pour la première fois en 2015, l'Asie est devenue la principale zone d'exportation, devant l'Europe orientale et l'Amérique latine.

Ces excellents résultats s'expliquent d'abord par la grande stabilité qui marque les politiques de soutien au cinéma et à l'audiovisuel en France. Depuis longtemps, ces questions rassemblent les pouvoirs publics, toutes majorités confondues.

Aux sources de ces bons résultats se trouve également notre modèle de soutien à l'exportation du cinéma et de l'audiovisuel, qui est unique et que le monde nous envie. Il repose sur le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), qui coordonne la distribution des aides et fixe les grands objectifs des politiques publiques. Il s'appuie aussi sur deux associations qui accompagnent les artistes français à l'international : TV France International dans le domaine audiovisuel et UniFrance pour le cinéma, dont je tiens à saluer la qualité du travail devant vous.

Enfin, le réseau culturel français, en particulier les ambassades et les instituts français, contribue à ces bonnes performances. Ses actions sont complémentaires de celles conduites dans le domaine commercial par Unifrance et TV France International et ont pour objectif à la fois de renforcer la diversité culturelle et cinématographique et de préparer de nouveaux marchés. Pour y parvenir, près de 3 500 titres sont mis à la disposition des écoles et des ciné-clubs, et plus de 30 000 projections non commerciales sont organisées dans le monde chaque année.

Ce modèle solide permet à la France d'être la première nation exportatrice de cinéma et d'audiovisuel d'Europe, et la deuxième du monde. Mais cette place pourrait être remise en cause par les évolutions qui bouleversent actuellement le secteur. En effet, trois difficultés fragilisent le modèle traditionnel d'exportation des oeuvres françaises à l'international.

En premier lieu, l'augmentation du nombre de films produits chaque année provoque une réduction de la durée moyenne de projection des films dans les salles de cinéma. En conséquence, le phénomène de bouche-à-oreille n'a plus le temps de se mettre en place.

En deuxième lieu, le cinéma français est avant tout un cinéma d'auteurs. Il rencontre son public dans les salles d'art et d'essai qui connaissent de grandes difficultés dans la plupart des pays.

En dernier lieu, le piratage pénalise la production française : non seulement les visionnages qui en sont issus ne rémunèrent pas les producteurs mais ils font baisser la valeur des contrats négociés par les vendeurs internationaux. Une solution pour éviter la pression à la baisse sur les ventes serait d'organiser des sorties simultanées dans l'ensemble des pays, sur le modèle de ce que font les États-Unis.

Afin de préserver la place qui est la nôtre dans le marché international, nous devons être proactifs et identifier aujourd'hui les problèmes et opportunités de demain. J'en ai identifié quatre.

Tout d'abord, il est indispensable que la France fasse des efforts en direction de la Chine, qui est aujourd'hui le marché le plus porteur de la planète. Le film français le plus visionné en Chine est La grande vadrouille. Cependant, il n'est pas facile aujourd'hui de pénétrer ce marché, d'une part parce qu'il existe des quotas imposés aux films étrangers, d'autre part parce que le public des salles est un public jeune qui préfère les films à gros budgets aux films d'auteurs français. L'avenir pour la France repose sur cinq outils : l'éducation des jeunes générations ; une programmation plus variée dans les salles de cinéma ; le développement des coproductions ; l'augmentation des quotas attribués à la France ; la mise en place d'un réseau de salles d'art et essai.

Le deuxième enjeu pour l'avenir que j'ai identifié est la nécessité de conquérir de nouveaux publics. Les interlocuteurs que j'ai rencontrés m'ont expliqué que le public des productions françaises est vieillissant. Si nous ne faisons rien, il pourrait disparaître. Dans le rapport, j'insiste donc sur la nécessité d'inciter les artistes, qu'ils soient acteurs ou réalisateurs, à se déplacer à l'étranger pour assurer la promotion des oeuvres auxquelles ils ont collaboré. La dernière partie du cachet des acteurs pourrait par exemple être versée une fois la campagne de promotion internationale achevée, comme c'est le cas aux États-Unis. Si les grandes stars françaises, Catherine Deneuve notamment, font ce travail, ce n'est pas le cas des nouvelles générations. Le star-système commence donc à vieillir en ce qui concerne l'image du cinéma français. Les artistes de la nouvelle génération doivent en prendre conscience.

Une autre manière de conquérir le public international serait d'introduire le cinéma français dans les salles de multiplexes. Dans le rapport, je présente le partenariat qui existe en Italie entre UniFrance et une chaîne de multiplexes. Il permet à dix films français par an d'être projetés dans ces salles. Ce type d'accords est prometteur et mériterait d'être généralisé.

Le troisième et avant-dernier enjeu d'avenir que je souhaite mettre en avant est l'importance de s'adapter aux évolutions des pratiques, et notamment à la révolution introduite par les plateformes de vidéos à la demande. Ces plateformes peuvent constituer une occasion de diversifier les sources de financement, de toucher de nouveaux publics et d'accroître la circulation des oeuvres. Elles soulèvent cependant au moins deux difficultés : d'une part, elles pourraient conduire à une remise en cause de la chronologie des médias français ; d'autre part, elles pourraient fragiliser le modèle de financement des oeuvres françaises. Je recommande donc que nous soyons particulièrement attentifs à ces deux points et que nous adoptions des mesures spécifiques.

Le dernier point sur lequel je souhaite revenir dépasse la problématique de l'exportation du cinéma et de l'audiovisuel français. Il s'agit de l'ambition de la Commission européenne de créer un marché unique du numérique. Deux réformes en cours sont particulièrement préoccupantes.

La première est la réforme de la directive sur les services de médias audiovisuels. La Commission a accepté le principe de l'introduction d'un quota d'oeuvres européennes sur les plateformes de vidéos à la demande. Toutefois, le quota de 20 % qu'elle préconise peut être jugé très insuffisant pour protéger les productions européennes des stratégies commerciales agressives des concurrents internationaux, notamment des États-Unis.

La seconde est la réforme de la directive sur le droit d'auteur. Elle pourrait conduire à une remise en cause partielle du principe de territorialité des droits et donc avoir un effet à la baisse sur les ventes.

Je recommande à nouveau que nous soyons particulièrement vigilants à l'évolution des positions de la Commission sur ces deux réformes afin que nous puissions, le cas échéant, faire entendre notre voix.

En conclusion, malgré la bonne position de la France dans les classements internationaux et les excellents retours que nous avons eus à l'étranger, le système d'exportation du cinéma français et de l'audiovisuel reste fragile et mérite que nous lui consacrions une attention toute particulière.

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