Intervention de Frédéric Reiss

Réunion du 6 décembre 2016 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Reiss :

Une fois de plus, nous examinons un texte en toute urgence. Incontestablement, le temps s'accélère pour la majorité.

S'agissant de la première partie de cette proposition de loi, je ne peux que me joindre au concert de louanges. À l'heure du parcours LMD, la sélection à bac + 4 qui existait autrefois n'a plus lieu d'être. Nous sommes tous d'accord sur ce point, et c'est à ce problème que s'attelait le texte du sénateur Dupont.

Le texte initial devait appliquer la pleine logique du parcours LMD pour permettre la construction d'une offre de formation de masters se déroulant sur deux années, comme chez nos voisins européens. À l'heure des échanges internationaux, c'était devenu plus qu'indispensable.

Alors pourquoi avoir tant attendu ? Parce que cette réforme demandait un certain courage politique. M. Mandon a eu ce courage, ou plutôt la lucidité de dire la vérité, je le cite : « Pour moi, la sélection n'est pas un gros mot, la loi doit rendre possible une sélection en master 1. » Il a vite été recadré par sa ministre de tutelle, Mme Vallaud-Belkacem. Yves Durand, qui vient de parler de sélection, le sait très bien.

Nous n'aurons donc plus de « sélection » à l'entrée en master mais un « recrutement ». Ce terme, tiré du vocabulaire du monde du travail, reste – que vous le vouliez ou non – une sélection. Vous pouvez toujours renommer les choses, la réalité est là. Pour nous, la sélection va perdurer. Vous le reconnaissez vous-même, ce diplôme fait l'objet de la concurrence internationale la plus acharnée, parce que son degré de spécialisation et de professionnalisation en fait l'un des diplômes les plus efficaces pour intégrer le marché du travail. Il ne peut que rester sélectif, sous peine d'être dévalorisé. Faire croire qu'il pourrait en être autrement, c'est mentir aux étudiants.

Vous avez inspiré un accord par lequel nous ne pouvons pas nous sentir liés, parce qu'il n'est pas une bonne nouvelle pour l'université française à moyen terme. C'est un peu du donnant-donnant, au détriment des étudiants eux-mêmes. Le rapporteur du Sénat s'est d'ailleurs montré très dubitatif, même si son texte intègre maintenant la totalité du compromis.

Éclaircir le sujet de la sélection en master aurait dû s'accompagner d'une politique de renforcement et de professionnalisation du diplôme de licence, et d'une meilleure information sur les masters existants. Le « droit à la poursuite d'études » est une chimère et une usine à gaz.

C'est une chimère, parce que les masters les plus demandés sur le marché du travail et les grandes écoles resteront très compétitifs, à l'évidence, parce qu'ils continueront à ne sélectionner que les meilleurs étudiants, et c'est bien normal.

C'est une usine à gaz, parce que le système que vous proposez va engorger les rectorats. Auparavant, c'était aux étudiants de faire les démarches pour trouver un master correspondant à leur projet et à leurs aptitudes. Demain, n'importe quel étudiant, même pas très motivé ni pressé d'intégrer le marché du travail, n'aura plus qu'à déposer un dossier dans n'importe quel master et attendre. Une fois qu'il sera refusé, le rectorat fera le travail pour lui trouver une formation, même plusieurs, qu'il sera obligé d'accepter. Pensez-vous qu'il s'agit là d'une bonne préparation au monde du travail ? Sans parler du coût pour le contribuable, qui n'a même pas été évalué. Va-t-on ouvrir des masters en nombre ? Aucune étude d'impact n'a été faite.

Enfin, la mise en place de ce droit, à terme, ne va faire que renforcer les inégalités. Il va y avoir les masters sélectifs, qui offriront des débouchés et que les meilleurs étudiants voudront intégrer, et les autres qui seront assignés aux étudiants recalés. Les grandes écoles tireront toujours mieux leur épingle d'un jeu dont les étudiants seront les grands perdants.

En évitant soigneusement le mot « sélection », vous ne voulez fâcher personne. Nous ne pouvons quant à nous cautionner cela. Nous nous opposerons donc au texte tel qu'il est présenté et défendrons des amendements à cette fin.

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