Intervention de Delphine Ernotte

Réunion du 7 décembre 2016 à 9h45
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions :

Messieurs les présidents, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, je voudrais tout d'abord vous remercier pour cette audition annuelle sur l'exécution du COM. Elle est pour moi l'occasion de revenir, quinze mois après ma nomination à la présidence de France Télévisions, sur la situation de l'entreprise, d'évoquer ses missions essentielles et de tracer des perspectives pour l'avenir.

Avant de commencer cette présentation, je voudrais saluer la mémoire de Rémy Pflimlin, mon prédécesseur, qui m'a transmis la direction de cette entreprise avec beaucoup d'élégance et le sens de l'intérêt général. L'annonce brutale de sa disparition a causé un choc à France Télévisions et à l'ensemble de ses personnels. Rémy a toujours été un défenseur ardent de l'audiovisuel public et un Européen convaincu, et nous aurons à coeur de préserver cette conception qu'il nous laisse en héritage.

Un débat traverse toute l'Europe et est en train de s'ouvrir en France sur la place de l'audiovisuel public dans les grandes nations européennes. Les articles se multiplient, proposant tour à tour la suppression de telle ou telle chaîne, voire de tout ou partie de l'audiovisuel public, le découpage de France Télévisions en morceaux, ou encore de ne plus confier à l'entreprise publique qu'une partie des missions qu'elle assume actuellement.

Pour ma part, j'aimerais vous convaincre que l'audiovisuel public est indispensable à une grande démocratie comme la nôtre. En Europe, deux types de réponses ont été apportées à cette question. Certains pays ont fait le choix de confier au privé la charge entière de l'audiovisuel, en réduisant progressivement les crédits alloués à l'audiovisuel public – qui, sous l'effet de ce traitement, se rabougrit et périclite. D'autres pays, parmi nos voisins les plus proches, ont engagé des réformes sur le financement de l'audiovisuel public. Ainsi l'Allemagne dote-t-elle son audiovisuel public de 7 milliards d'euros de redevance – ce qui représente plus du double de la redevance française – et s'engage fortement en faveur de la création. De même l'Italie a-t-elle conforté la position de la RAI, ce dont on voit déjà les effets avec une fiction italienne qui revient sur le devant de la scène. Enfin, au-delà des débats sur le montant des crédits accordés à la BBC, la société de production et de diffusion britannique reste pour nous un modèle en termes de puissance et de moyens lui permettant de continuer à se développer au Royaume-Uni et à rayonner à l'international.

La réponse de ces États qui s'engagent pour leur audiovisuel public a consisté à dire que, dans un univers où l'information se fragmente – ce qui s'est passé au cours de la dernière élection présidentielle américaine en est une illustration frappante, avec le poids qu'y ont eu les réseaux sociaux, et les éventuelles manipulations dont ceux-ci ont pu faire l'objet –, il est extrêmement important de conserver un audiovisuel public pouvant servir de référence, et porteur d'un projet novateur et ambitieux.

Je suis convaincue que l'audiovisuel public a besoin de grandeur et de hauteur, car, dans un monde où les médias jouent un rôle central, nous participons à la cohésion de la Nation – et sans doute ce rôle aurait-il vocation à être renforcé. Tous les jours, 75 % des Français regardent les programmes du service public et, sur un mois, 92 % d'entre eux ont regardé une émission de la télévision publique environ une heure par jour : c'est donc comme si l'on parlait, au moyen de la télévision publique, une heure par jour à 92 % des Français, ce qui est considérable – et je suis bien consciente de la responsabilité que cela représente.

Affaiblir cet outil, c'est fragiliser un lien social essentiel pour tous les Français, car le service public ne doit pas être une niche, il ne doit pas se cantonner à une offre réservée à une élite : notre rôle consiste à parler à tous les Français. Cela peut paraître un oxymore, mais nous avons à coeur de défendre une télévision à la fois populaire et exigeante, et nous y parvenons en tissant nos programmes avec soin, jour après jour.

Être ambitieux ne nous exonère pas de l'obligation d'être rigoureux dans la gestion des données publiques, et de faire les économies légitimement attendues de notre part. Par ailleurs, comme le monde de la musique l'a été il y a quelques années, nous nous trouvons actuellement au coeur d'une révolution numérique impliquant un bouleversement des usages : les jeunes d'aujourd'hui ont une manière de regarder les oeuvres très différente de celle de leurs aînés. Nous devons associer les deux nécessités, celle de faire des économies et celle de prendre en compte l'évolution des comportements, pour en faire un nouveau projet.

Je me bats contre l'idée d'une fatalité, celle qu'il ne serait pas possible de réformer le service public. Depuis quinze mois, je vois au contraire que l'entreprise que je dirige est capable d'évoluer, et que ses salariés sont très impliqués dans le service public auquel ils concourent – même s'ils ne sont pas fonctionnaires – et capables de relever des défis incroyables, comme ils l'ont fait en réussissant à lancer une chaîne en dix mois.

Qu'avons-nous fait au cours de ces quinze derniers mois pour faire bouger France Télévisions ? Pour ma part, j'ai d'abord entrepris de retisser des liens de confiance avec l'ensemble des salariés. Cela n'a rien de facile, car notre entreprise est très exposée médiatiquement : tous les jours, les salariés lisent dans les journaux des critiques – souvent justifiées, parfois injustes – sur leur travail et la manière dont il est perçu. J'ai donc voulu leur proposer une perspective dans laquelle ils puissent se projeter avec confiance et fierté.

L'une des clés de la fierté que nous devons avoir, c'est d'atteindre l'équilibre budgétaire chaque année. Je considère en effet que, si une entreprise publique n'a pas à faire de bénéfices, elle ne peut pas non plus être déficitaire. Dès 2015 – l'année de mon arrivée –, France Télévisions présentait un résultat net à l'équilibre. Pour 2016, le résultat net et le résultat opérationnel seront à l'équilibre, et le plan stratégique prévoit qu'il en soit ainsi tous les ans. L'exercice n'a rien de facile : la culture de la rigueur demande beaucoup d'efforts à l'ensemble des salariés, et il faut savoir faire preuve d'une grande agilité afin de pouvoir redresser la barre si une mauvaise nouvelle survient en cours d'année.

Pour y parvenir, j'ai souhaité sanctuariser et même augmenter un peu le budget des programmes, car c'est le coeur de notre mission. C'est donc principalement sur la structure de l'entreprise, en particulier sur la masse salariale, que porteront les efforts budgétaires à réaliser. Mon prédécesseur s'était déjà engagé sur cette voie, en mettant en place un plan de départs en retraite et un plan de départs volontaires au cours des quatre dernières années. Le COM 2016-2020 prévoit une réduction d'environ 500 équivalents temps plein d'ici à 2020, ce qui correspond au non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux. C'est un effort considérable pour nos salariés et pour toute l'entreprise. Cependant, je ne vais pas demander aux salariés de France Télévisions de faire le même travail avec toujours moins de moyens : pour atteindre nos objectifs, nous devons repenser notre organisation afin de gagner en agilité, mutualiser les moyens et trouver de nouvelles façons de travailler.

Dès ma nomination, j'ai organisé les Assises de France Télévisions dans la France entière : à Paris, en région et dans tous les territoires d'outre-mer ont eu lieu des débats associant l'ensemble des salariés. Au cours de ce dialogue, ils ont exprimé à la fois leur volonté de soutenir le service public et la crainte de s'entendre dire un jour qu'ils ne servent plus à rien. Mettre au point un projet solide et rigoureux, tout en ouvrant des perspectives d'avenir pour le service public, est essentiel pour nous permettre de tenir tous nos engagements.

Au cours des quinze derniers mois, nous avons également beaucoup renouvelé l'offre de programmes. Il y a un an, nous avons conclu un nouvel accord avec les producteurs, aux termes duquel la part de nos programmes « dépendants » – ceux que nous détenons en quelque sorte en copropriété – est passée de 5 % à 25 %. C'est un très grand pas, car, depuis les décrets Tasca, il existait une frontière infranchissable entre les diffuseurs que nous sommes et les producteurs, qui étaient les seuls à détenir les droits de programmes que nous avions pourtant parfois financés à 100 %. Dès 2016, nous atteindrons ce taux de 25 %, ce qui est très important, car cela nous permettra de protéger les droits de programmes très identitaires, constituant de grands marqueurs de nos chaînes : en reprenant la main sur ces programmes, nous serons beaucoup moins fragiles qu'avant.

Nous avons réussi, en dix mois, à lancer une offre d'information publique en partenariat avec Radio France, l'Institut national de l'audiovisuel (INA) et France 24, et je peux vous dire aujourd'hui que nous ne sommes pas peu fiers d'avoir surmonté, grâce à la volonté des quatre présidents concernés, les dissensions qui pouvaient exister entre des maisons historiquement liées, mais séparées depuis la fin de l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF). Aujourd'hui, nous proposons donc un média global qui est à la fois une télévision, une radio et une offre numérique.

Notre premier pari éditorial sur la chaîne d'information consistait à faire différent, conformément à ce que vous nous aviez demandé : il ne servait effectivement à rien de créer une nouvelle chaîne d'information identique à celles qui existaient déjà. Ce pari, nous l'avons gagné, et ce sont les téléspectateurs eux-mêmes qui nous le disent.

C'est une réussite sur le numérique et les écrans mobiles puisque, pour la première fois, nous avons bâti une offre commune entre France Télévisions et Radio France, montrant en cette occasion que un plus un pouvait faire trois, au bénéfice du service public : le total des visites comptabilisées depuis notre alliance surpasse en effet l'addition du nombre de visites de nos deux sites antérieurs.

Le lancement a été très réussi également en termes d'audience. Je sais qu'il nous est souvent reproché de ne pas communiquer régulièrement à ce sujet, et il est vrai que, dans un souci d'économie, nous ne commandons pas un Médiamat quotidien à Médiamétrie. Cela dit, nous disposons de résultats d'audience mensuels qui me permettent de vous dire que, au mois de novembre, Franceinfo a réuni 18,7 millions de téléspectateurs, revenant aux chiffres du mois de septembre, où a eu lieu son lancement. Au risque de m'attirer les foudres de Médiamétrie, à qui nous n'achetons pas cette donnée, je dirai que cela correspond environ à 0,3 % des parts de marché – ce chiffre obtenu au moyen d'une conversion n'est en rien officiel.

Nous avons constaté qu'un foyer sur deux seulement a aujourd'hui accès à Franceinfo. Pour y accéder par la TNT, il faut lancer une nouvelle recherche automatique des chaînes, ce que tout le monde n'a pas forcément fait ; pour y accéder facilement à partir des box internet, il faut en principe se rendre sur le canal 27, mais ce n'est pas le cas chez tous les fournisseurs d'accès, notamment SFR et Numericable, ce qui nous prive d'un nombre important de téléspectateurs.

Pour ce qui est des programmes, nous avons beaucoup travaillé au renouvellement des magazines, et nous sommes très heureux du succès de C dans l'air, un magazine qui a su rencontrer son public et progresse régulièrement, en dépit de quelques péripéties survenues au printemps dernier, ainsi que de la nouvelle formule d'Envoyé spécial. Personnellement, je suis très satisfaite de l'émission culturelle Stupéfiant !, qui rassemble toutes les semaines 600 000 téléspectateurs – une audience qui peut paraître modeste au sens « médiamétrique » du terme, mais témoigne, à mon sens, d'un vrai succès pour un programme exigeant diffusé à une heure de grande écoute, en deuxième partie de soirée mais pas en pleine nuit.

Je suis très attentive à ce que tous nos programmes exposent la diversité en renouvelant les visages. Pour ce qui est du lancement de Franceinfo, nous partions d'une page blanche et devions donc, dès le départ, faire en sorte d'assurer la mixité et la diversité des origines. J'ai également veillé à ce que le handicap soit visible et pris en compte sur nos antennes, que ce soit avec la diffusion des Jeux paralympiques – pour la première fois, plus de 200 heures de programmes ont été diffusées – ou avec Vestiaires, une série très drôle, réalisée par des auteurs et des réalisateurs eux-mêmes handicapés, et que les téléspectateurs apprécient beaucoup.

Nous souhaitons donner toute sa place à l'événement – sportif ou politique – sur nos chaînes. Si l'événement sportif est aujourd'hui celui qui fédère le plus largement les Français, nous devons mener un combat quotidien pour conserver des droits qui connaissent une inflation régulière. La semaine dernière, les chaînes publiques allemandes ont annoncé qu'elles ne seraient pas en mesure de diffuser les Jeux olympiques de 2018 et 2020. Je rends grâce à mon prédécesseur d'avoir sécurisé une bonne partie des droits sportifs sur le long terme et je m'emploie à faire la même chose pour mes successeurs.

Les événements politiques ne sont pas toujours synonymes de succès d'audience, mais nous les relayons tout de même, car nous estimons que c'est notre rôle que d'exposer la politique. Récemment, nous sommes parvenus à rassembler les Français autour d'un événement politique majeur, à savoir la primaire de la droite et du centre : les émissions diffusées les soirs du premier et du second tour ont été de vrais succès d'audience, ce dont nous sommes fiers.

Après les quinze premiers mois dont je viens de dresser le bilan, nous devons accélérer la transformation de France Télévisions. Cette action a pu être entreprise grâce au soutien du conseil d'administration, que j'associe pleinement aux décisions importantes, même lorsqu'il ne s'agit pas de voter, mais simplement de recueillir un avis. Il est très sécurisant, pour un dirigeant, de pouvoir s'appuyer sur un conseil d'administration très présent et très vigilant, et c'est avec cette instance que nous avons établi notre plan stratégique à cinq ans, qui comprend plusieurs réformes importantes.

La première est celle de France 3, sujet compliqué sur lequel plusieurs de mes prédécesseurs se sont cassé les dents, tant il est vrai que s'y attaquer revient à faire face à une injonction contradictoire : d'une part, il faut donner à France 3 sa vraie vocation, celle d'être une chaîne nationale, diffusée sur tout le territoire sur le canal 3 ; d'autre part, il faut faire en sorte qu'elle conserve un ancrage régional qui, de mon point de vue, doit même être renforcé à l'horizon du plan de cinq ans. Enfin, tout cela doit s'accomplir dans un contexte économique contraint, alors que France 3 emploie 3 500 personnes sur les 9 800 que compte France Télévisions. La chaîne a beaucoup été mise à contribution lors des plans d'économies passés, et l'éloignement des régions par rapport à Paris ne doit pas nous conduire à relâcher notre vigilance pour que chacun bénéficie d'un traitement équitable.

Renforcer la dimension régionale de France 3 implique deux types de réformes : celle des structures, mais aussi celle de l'éditorial, auxquelles nous allons procéder simultanément. Nous avons entamé des consultations auprès des instances représentatives du personnel, qui vont aboutir prochainement, afin de transformer l'organisation actuelle de France 3 en treize directions régionales, correspondant aux treize nouvelles régions administratives françaises. Chaque directeur ou directrice sera pleinement autonome en matière de décision sur l'éditorial, sur les ressources humaines et sur les ressources financières. En effet, si nous voulons que France 3 devienne davantage la chaîne des régions, nous devons accorder une place beaucoup plus importante aux programmes fabriqués par les régions ou en lien avec des producteurs régionaux.

Nous avons donc pris l'engagement dans le COM de multiplier par deux la place à l'antenne des programmes produits localement, ce qui implique que chaque région se dote d'un projet éditorial, qui pourra évidemment différer d'une région à l'autre : les Bretons n'ont pas forcément envie de voir à l'antenne les mêmes programmes que les citoyens du Grand Est. Il faut donc laisser une autonomie d'imagination et de création à chaque région, afin de lui permettre de coller au mieux avec la réalité régionale. Nous avons l'ambition d'atteindre en deux ans la multiplication par deux de la place à l'antenne des programmes produits localement, et cela va entraîner un immense bouleversement, car alors que les éditions régionales de France 3 devaient se battre jusqu'à présent pour conserver leurs cases locales, on va maintenant leur demander de faire preuve d'imagination pour en créer de nouvelles. Ce sera, à mon sens, l'occasion de remobiliser les équipes, qui ont envie de s'investir au service d'un média de proximité.

Je précise que nous n'allons pas pour autant renoncer à la création sur France 3, car, même en multipliant par deux les programmes fabriqués par les régions, nous devons préserver la puissance du programme national en matière de fiction, de documentaires et d'animation. Avec Dana Hastier, patronne de France 3, j'ai lancé le chantier de cette réorganisation régionale au service des citoyens. Ce sera une entreprise de très grande envergure si l'on se réfère au temps qu'a pris, par exemple, la création d'une chaîne corse : certes, il s'agit d'une chaîne de plein exercice, mais cela a pris six ans ! Les équipes régionales vont monter en puissance progressivement et c'est en septembre 2017 que nous verrons à l'antenne les premiers résultats de ce chantier, qui devrait aboutir en septembre 2018.

Voulons-nous vraiment des chaînes de plein exercice en région ? On ne peut donner à cette question une réponse tranchée. Certaines chaînes pourront aller au-delà du doublement de la part de leurs programmes régionaux, parce qu'elles auront déjà passé des accords avec le conseil régional, avec la presse locale ou avec des chaînes privées. Des COM existent au niveau régional, et une forme d'écosystème est parfois en place – en lien aussi avec les autres entreprises publiques du territoire –, qui permettront à un directeur d'élaborer un projet encore plus complet. Je ne peux que m'en réjouir, car, si je propose une réorganisation en treize régions, c'est pour susciter l'initiative locale et donner la possibilité aux directions régionales de dépasser le cadre qui leur est proposé.

L'investissement dans la création est une deuxième orientation majeure de notre plan stratégique. Nous avons souhaité augmenter non seulement les fonds investis, mais aussi les volumes de création. Chaque année, ce sont quelque 650 heures de fiction qui sont diffusées sur l'ensemble des antennes françaises, alors que, en Allemagne, ce chiffre atteint 2 000 heures – se rapprochant de celui enregistré en Grande-Bretagne. Nous sommes donc très loin d'avoir la puissance créative de nos voisins. En investissant plus dans la création, en diversifiant les formats, en produisant des fictions à bas coûts à côté des fictions de prestige qui se vendront à l'étranger, nous obtiendrons un véritable rayonnement. Il s'agit donc d'élargir le spectre de nos capacités à l'ensemble de la production et de varier nos programmes.

Dès le mois de janvier, de nouveaux projets de fiction seront en développement. En matière de fiction, il faut du temps pour passer du développement à l'antenne : cela ne se fait pas en quinze mois, mais, à terme, cela se verra. Nous consacrons évidemment la même énergie aux autres genres : le documentaire, genre central à France Télévisions ; l'animation, genre français très performant qu'il est très important de soutenir, et le spectacle vivant, car nous en avons pris l'engagement.

Si nous voulons tenir notre place et consolider la prépondérance de la création française, il est essentiel que nous nous engagions en termes de qualité et de rayonnement. Je rappelle que, lorsque Netflix investit 7 milliards d'euros par an dans la création, nous y consacrons 80 millions. Nous savons qu'Amazon va débarquer sur ce marché en investissant des sommes considérables. Certes, ces mastodontes feront à l'occasion la publicité de telle ou telle production française, mais cela restera anecdotique, car leur modèle économique veut qu'ils produisent un même contenu pour 125 pays à la fois : ils ne chercheront pas à produire local. Nous savons en conséquence qu'avec les chaînes privées, nous sommes les seuls à soutenir la production française – France Télévisions finance 60 % de la totalité des investissements consacrés à la création. Si nous ne le faisons pas, personne ne le fera pour nous – en tout cas, sûrement pas les plateformes américaines !

Dans ce contexte, nous estimons que nous devons être présents aux côtés d'un public qui a une nouvelle façon de regarder les programmes. Netflix et Amazon proposent un accès à des plateformes dont les contenus sont majoritairement américains. Si, face à cette offre, nous ne parvenons pas à proposer une plateforme fonctionnant sur le même principe qui mette en avant des oeuvres françaises et européennes, nous n'existerons pas. Nous devons nous adapter à un nouveau monde dans lequel le spectateur ne consommera plus la télévision qu'en passant par les plateformes. Il est donc essentiel de créer une plateforme de SVOD (Subscription video on demand, vidéo à la demande par abonnement). Cet impératif ne se substitue pas à la nécessité d'une meilleure exposition de la gamme complète de l'offre actuelle : antennes linéaires, télévision de rattrapage, vidéo à la demande… Le nouveau modèle de la plateforme avec abonnement visera à concurrencer les grands acteurs américains avec des oeuvres françaises et européennes. Nous avons déjà avancé sur le sujet, mais, évidemment, France Télévisions ne peut pas agir seule.

Pour le dire autrement, nous n'avons pas l'argent pour acheter un catalogue de 6 000 oeuvres qui permettrait de mettre une plateforme en place. Nous devons trouver une solution intelligente pour nous allier avec les détenteurs de droits. Nous ne sommes pas loin d'y parvenir ; j'évoquerai le sujet avec le conseil d'administration à la mi-décembre, et, au mois de février, nous lui présenterons un plan d'affaires. Deux éléments conditionnent néanmoins la création de cette plateforme : d'une part, elle devra mettre en avant les oeuvres françaises, et, d'autre part, elle devra s'équilibrer financièrement – autrement dit, il n'est pas question d'y consacrer un sou issu de la redevance.

Dans le même temps, nous travaillons à la refonte de notre plateforme gratuite, Pluzz. L'équipe précédente, sous l'égide de Rémy Pflimlin, nous a fait accomplir un formidable bond en matière de numérique, grâce auquel nous avons opéré un véritable rattrapage. Nous ne pouvons pas nous en tenir là, car, dans ce domaine, les progrès sont incessants. Afin de lui donner plus d'ampleur, nous préparons une refonte assez radicale de Pluzz : dès le mois de mai prochain, cette plateforme exposera la totalité des contenus numériques de France Télévisions, ce qui comprend tous les programmes gratuits, mais aussi l'offre à l'acte déjà existante. Quant à la nouvelle plateforme de SVOD, elle devrait voir le jour à l'automne 2017, si tout se passe bien et si nous recueillons l'accord du conseil d'administration.

J'ignore si j'ai répondu à la question initiale : faut-il une télévision publique en France ? Vous avez en tout cas compris que, pour ma part, je réponds sans hésiter par l'affirmative. J'espère vous avoir montré que la télévision était capable de se réformer. En dix-huit mois, nous avons déjà fait d'exigeantes réformes de structure, et nous les poursuivrons, tout en préservant ou en améliorant nos programmes.

J'ai la certitude que, pour continuer à se transformer, France Télévisions a besoin d'un horizon clair. Pour que l'entreprise ait confiance en elle et se développe, elle doit avoir le sentiment que l'on a confiance en elle. Pour accepter des changements, que ce soit à titre individuel ou collectif, nous avons besoin d'un regard bienveillant. C'est pourquoi, pour affronter des réformes difficiles, le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, le bouleversement que le numérique introduit dans les pratiques de chaque salarié, et une concurrence qui dépasse largement les frontières classiques de l'Hexagone, France Télévisions a aussi besoin de bienveillance, notamment celle des élus de la Nation qui représentent nos actionnaires.

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