Intervention de André Syrota

Réunion du 20 février 2013 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

André Syrota :

Je répondrai d'abord aux questions relatives aux CDD, qui constituent à mes yeux le principal problème aujourd'hui. Voici quelle est la situation exacte. En 2011, l'INSERM comptait 2134 CDD – soit plus encore que ce que vous pensiez, madame la députée. D'où viennent-ils ? Pour 401 d'entre eux, de contrats de l'ANR. En effet, quand un chercheur demande un contrat de l'ANR, il a en même temps des contrats postdoctoraux sur lesquels nous n'avons aucun contrôle : nous ne sommes pas au courant des résultats obtenus et si nous refusons les CDD et le contrat, c'est la révolution ! 542 CDD relèvent d'associations caritatives – c'est une particularité de notre domaine –, dont l'Association française contre les myopathies, la Ligue contre le cancer, l'ARC ou la Fondation pour la recherche médicale. 180 viennent d'établissements publics : l'Institut national du cancer, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. 239 émanent de groupements d'intérêt public : l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales, les cancéropôles, IBISA – infrastructures en biologie, santé et agronomie. 270 dépendent de contrats de l'Union européenne. Précisons que 248 de nos 2134 CDD sont des doctorants, 816 des post-doctorants et 1070 des ingénieurs, techniciens et administratifs (ITA). Le nombre de CDD est important comparé à celui de nos recrutements, lesquels ont concerné en 2011 79 chercheurs et 116 ITA.

Face à ce phénomène, que dit la loi du 12 mars 2012 dite « loi Sauvadet » ? Premièrement, elle organise le passage en contrats à durée indéterminée (CDI) des personnes ayant au moins six ans de service au sein du même établissement au cours des huit ans qui ont précédé la loi. Cette disposition, réservée aux salariés « monoemployeurs », concerne chez nous 25 personnes, dont deux qui sont déjà retraitées ; nous les avons recrutées en CDI en 2012. Un problème se pose à nous : bien que la « CDIsation » pour les salariés « multiemployeurs » ne soit pas prévue par la loi, Mme Marylise Lebranchu, ministre de la fonction publique, a donné dans une circulaire instruction d'y procéder. Or les agents comptables du CNRS et de l'INSERM ont décrété qu'ils ne paieraient pas les personnes concernées puisque cette obligation ne figurait pas dans la loi. Nous attendons des instructions sur ce point. En outre, cette disposition ne concerne que la fonction publique d'État, à l'exclusion de la fonction publique hospitalière – et territoriale, d'ailleurs.

Deuxièmement, la loi prévoit la titularisation des personnes présentes dans l'établissement pendant au moins quatre ans au cours des six ans qui ont précédé le 31 mars 2011. À qui cette disposition s'applique-t-elle ? Pour l'instant, nous ne le savons pas vraiment. D'après les précisions – uniquement orales – que l'on nous a données, elle ne concernerait ni les chercheurs ni les ingénieurs de recherche. Il ressort de nos discussions avec le ministère que nous devrions ouvrir aux personnes éligibles 25 à 50 % des recrutements sur quatre ans. Nous avons donc décidé de procéder à 26 titularisations dès 2013 et prévoyons, au terme de quatre ans, d'intégrer 35 % des 223 personnes concernées. En revanche, nous ne savons rien des modalités du concours ni de la future carrière de ces personnels titularisés.

La personne à laquelle vous avez fait allusion à propos du procès en cours devant la juridiction administrative à Nantes ne satisfaisait pas aux conditions requises pour la « CDIsation ». Je pense néanmoins que le juge donnera le 12 mars prochain un avis favorable à son recrutement au motif qu'elle a travaillé pendant douze ans dans des laboratoires de l'INSERM, bien que son cas ne corresponde pas au cadre indiqué par la loi – ce qui pose un problème : vous le voyez, nous manquons de repères.

Cela étant, il ne faut pas pénaliser les personnes concernées, qui connaissent des situations difficiles et sont évidemment inquiètes. J'ai donc décidé, malgré l'avis de l'agent comptable, d'appliquer les dispositions de la loi aux CDD dits multiemployeurs. Mais leur recensement sera complexe étant donné la multitude de lieux où ces contractuels ont exercé leurs fonctions : l'imagination des chercheurs est fertile lorsqu'il s'agit de trouver des moyens de garder les personnes qui travaillent dans nos laboratoires. En outre, aucun budget ne nous permet de les recruter. Nous en parlons avec les organisations syndicales. Le plus vertueux nous semble – mais je ne connais pas la position du CNRS – d'y employer nos ressources propres, et plus précisément celles des laboratoires qui ont utilisé ces personnes sans se préoccuper de leur avenir. Ce qui serait conforme à la morale et permis par leur budget puisqu'il est alimenté par l'Union européenne, l'ANR et les fondations. Nous ne sommes pas logés à la même enseigne que le reste de la fonction publique, qui dispose d'un budget pour recruter un cantonnier ou un brancardier. Cela constitue une autre difficulté.

Si nous n'optons pas pour ce mode de financement, nous ne pourrons recruter par concours autant de chercheurs qu'il est prévu, alors même que nous cherchons à attirer de jeunes chercheurs. Or, à la différence du CNRS, nous n'entendons pas réduire le nombre de chercheurs recrutés par la voie habituelle. Nous nous sommes ouverts de ce problème aux représentants de la Cour des comptes, qui s'en sont eux-mêmes entretenus avec l'État. Je souhaite le résoudre dans les tout prochains mois. J'en discuterai la semaine prochaine avec les syndicats.

En évoquant ce sujet, je réponds indirectement aux questions qui m'ont été posées sur les moyens de préserver l'excellence de l'INSERM aux niveaux européen et mondial. Pour y parvenir, il faut en effet pouvoir recruter les meilleurs chercheurs, notamment en incitant à revenir ceux qui sont partis en « postdoc » à l'étranger. À cette fin, nous avons simplifié les dispositifs au sein de l'Alliance. Auparavant, les commissions de l'INSERM et les sections du CNRS n'avaient pas le même périmètre ni les mêmes dates de réunion ; chaque candidat se présentant en général dans deux commissions et deux sections aux deux concours de chargé de recherche de première et de deuxième classe, ceux qui venaient de l'étranger devaient refaire le voyage pour chaque candidature ! Nous avons harmonisé les périmètres et les dates de réunion, et fait en sorte que les deux jurys d'admission se réunissent à un jour d'intervalle.

Car il y a aujourd'hui un véritable mercato européen et mondial de la recherche. Nul besoin d'aller jusqu'à Singapour : l'École polytechnique fédérale de Lausanne attire nos post-doctorants en les payant deux fois mieux que nous ; aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, les conditions offertes sont également avantageuses. Nous devons donc être compétitifs en leur proposant non seulement un salaire attractif, mais aussi de l'argent pour constituer leur équipe. Cette année, nous avons par conséquent profité de l'augmentation de notre budget pour répondre à une demande récurrente des jeunes chercheurs en donnant 40 000 euros sur deux ans à tous les nouveaux recrutés, qui pourront les dépenser à leur rythme. Nous leur éviterons ainsi de perdre six mois à un an faute de matériel ou de réactifs.

En ce qui concerne les nouvelles thématiques, en matière de sciences de la vie et de la santé, rien ne s'est réalisé de ce qui avait été envisagé lors des exercices de prévision français ou européen auxquels j'ai participé. D'ici deux à trois ans, il sera possible de séquencer le génome de chacun d'entre nous pour 1 000 euros. Or l'évolution du séquençage du génome humain, le recours aux puces à ADN, la PCR – réaction polymérase en chaîne – sont autant de ruptures et d'innovations, couronnées pour certaines par le prix Nobel, que personne n'avait prévues.

Cela confirme qu'il faut préserver une recherche fondamentale de très haut niveau, car c'est de la recherche fondamentale que vient la recherche appliquée. Lorsque l'on a mesuré la complexité du vivant, les industriels du secteur pharmaceutique ont bien compris qu'ils n'avaient aucune chance de trouver un médicament par eux-mêmes. 19 nouveaux médicaments ont ainsi reçu l'année dernière l'autorisation de mise sur le marché alors que le budget de l'industrie pharmaceutique représente des centaines de milliards d'euros. L'industrie a donc besoin de la recherche académique. Et nous devons être les meilleurs car nos laboratoires sont en concurrence avec l'Angleterre, avec Boston, avec l'Inde et Singapour. C'est ainsi que nous maintiendrons l'industrie en France. Je ne peux dire que nous développions des thèmes nouveaux ; nous travaillons sur tous les thèmes, et sur tous les thèmes, nous devons mener une recherche fondamentale de haut niveau.

J'ai également souhaité que toutes les unités INSERM soient des unités mixtes associant l'Institut et l'université. La politique de site fait partie des sujets qui me tiennent à coeur. Pour la conduire avec nos partenaires, je vais presque chaque semaine visiter un site, en Île-de-France ou en province, et je rencontre sur place le président d'université, le directeur du CHU, le recteur, en général le président de région, le député, le maire. Je le fais avec les représentants du CNRS, de l'Institut national de la recherche agronomique – l'INRA – ou de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique – l'INRIA – lorsque apparaissent des problèmes relatifs à la nutrition ou à l'informatique, du CEA lorsqu'il s'agit de se rendre à Grenoble ou à Paris-Sud. L'Alliance nous évite ainsi beaucoup de pertes en ligne et a mis fin aux doublons que l'on constatait lorsque nous ne nous coordonnions pas.

S'agissant de l'Europe, le programme Horizon 2020 est organisé non par thèmes scientifiques – c'en est fini de la subdivision d'Auguste Comte – mais par grands défis sociétaux. Celui qui nous concerne est la santé et le well-being. Il peut être relevé non seulement par l'INSERM, mais aussi grâce à des recherches sur de nouveaux détecteurs permettant de suivre une personne âgée qui serait tombée chez elle et de transmettre les données par télémédecine : toutes les disciplines, informatique comprise, sont concernées. De ce point de vue, l'Alliance, structure informelle qui n'est pas toute récente et qui, bien que dépourvue de budget, fonctionne de manière satisfaisante, nous prépare à Horizon 2020.

Quant aux sodas, nous travaillons, je vous l'ai dit, avec 475 associations de malades, dont des associations de diabétiques. Je ne sache pas qu'elles se soient plaintes de l'excellente publication dont il a été question, rédigée par nos chercheurs avec des collègues étrangers. Toutefois, si vous le souhaitez, nous pouvons aller plus loin en étudiant toutes les publications sur le sujet, grâce au dispositif d'expertise collective dont j'ai parlé et qui a déjà donné lieu à 60 expertises réalisées à la demande de nos tutelles, de la caisse d'assurance maladie ou des mutuelles.

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