Intervention de Patrick Hetzel

Réunion du 26 mars 2013 à 16h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Hetzel :

Madame la ministre, on constate, hélas, un décalage entre certaines de vos déclarations et le contenu réel du texte. Celui-ci est avant tout inspiré par le souci de défaire ce qui a été fait au cours des cinq dernières années en matière d'enseignement supérieur et de recherche. Pourtant, la politique menée en la matière de 2007 à 2012 a représenté un élan considérable, salué par de nombreux observateurs. En refusant de poursuivre cette dynamique, non seulement vous portez un coup d'arrêt à l'enseignement supérieur et à la recherche de notre pays, mais vous retournez plusieurs décennies en arrière, avant même la loi Savary de 1984.

À l'évidence, votre texte n'est pas à la hauteur des enjeux, mais en décalage complet avec ce qui se passe dans l'enseignement supérieur en Europe et partout dans le monde. Votre orientation reste très hexagonale, accordant une part très importante aux organisations syndicales là où il faudrait s'ouvrir sur le monde et sur l'ensemble de l'environnement de nos universités. Vous ne faites rien pour que les orientations du texte permettent de créer des champions français de la formation et de la recherche, comme le préconisait le rapport Juppé-Rocard, qui avait fait consensus – c'est du reste dans cette perspective qu'a travaillé la précédente législature. Avec ce texte, il est clair que vous allez mettre en péril les initiatives d'excellence développées par le gouvernement précédent. On ne peut que le regretter.

Vous déclarez que vous allez placer la formation des étudiants au coeur de votre réflexion et de votre travail. Vous prétendez apporter des améliorations et assurer une meilleure réussite des étudiants. Nous en doutons. Rien dans votre texte ne va dans ce sens. Où sont, à tout le moins, les mesures de fond qui le permettraient réellement ? Il faudrait soutenir le développement de filières d'excellence dans le premier cycle universitaire et les légaliser. Cela contribuerait à valoriser l'université et à la rendre plus attractive pour les lycéens. Rien de tout cela ne figure dans le texte.

L'insertion professionnelle, que vous avez mentionnée, a été instaurée par la loi LRU comme l'une des missions de notre université. Là aussi, vous êtes très en retrait. En 1960, on comptait 300 000 jeunes dans l'enseignement supérieur. Ils sont aujourd'hui plus de 2,4 millions. L'insertion professionnelle est donc une question importante pour nos jeunes, pour nos familles, pour nos entreprises et pour la compétitivité de ces dernières.

Vous entendez mettre en place, en matière de gouvernance des universités, une organisation bicéphale qui contribuera de toute évidence à une dilution des pouvoirs. Avec votre texte, le conseil d'administration de l'université, s'il voit le nombre de ses membres augmenter considérablement, sera privé d'une partie de ses prérogatives au profit d'un conseil académique – d'ailleurs pléthorique – dont le président n'est pas celui de l'université : vous organisez délibérément un face-à-face entre deux instances, et même entre deux présidents. Il en résultera inévitablement et inexorablement des situations de blocage et de conflit dommageables à la bonne gestion des universités. C'est là encore un important retour en arrière, dépassant même les dispositions de la loi Savary de 1984, qui avait su éviter cette dérive malgré la polysynodie instaurée par le développement des conseils des études et de la vie universitaire (CEVU) et des conseils scientifiques.

Avec tout cela, vous aller tuer l'autonomie qui était en marche.

Nous nous demandons aussi pourquoi votre projet de loi fait remonter au niveau de la loi des dispositions qui n'ont aucunement à en relever. Ainsi, un arrêté permet déjà aux bacheliers professionnels d'accéder à des BTS. De même, depuis 2007, un décret invite les classes préparatoires aux grandes écoles à signer des conventions de coopération avec les universités. Autre exemple : l'« arrêté licence » de 2011 précise que les licences générales opèrent une spécialisation progressive. Pourquoi inscrire tous ces points au niveau législatif ?

Par ailleurs, la suppression pure et simple de l'AERES est elle aussi un retour en arrière sans précédent, qui nous place en rupture totale avec ce qui se pratique ailleurs en Europe. La création de l'AERES avait été saluée par l'ensemble de nos partenaires européens. La discussion avec vos homologues étrangers s'annonce âpre dans les mois à venir.

Vous refusez de reconnaître que vos prédécesseurs ont mené une action positive et engagé un processus de modernisation sans précédent. En quelques années, les universités françaises étaient redevenues plus attractives pour nos étudiants, pour nos entreprises et pour les universités étrangères avec lesquelles elles avaient l'habitude de coopérer. En vous inscrivant en rupture avec les orientations de ces dernières années, vous prenez la lourde responsabilité de faire prendre beaucoup de retard à nos universités, alors qu'il fallait au contraire entretenir une dynamique certes perfectible, mais positive.

C'est dommage pour nos étudiants et pour la communauté universitaire, qui commence à être très critique, y compris la conférence des présidents d'université, qui s'est élevée contre ce texte. C'est surtout dommage pour le pays tout entier.

Nous émettons donc un avis très critique sur ce projet de loi.

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