Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 26 mars 2013 à 16h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Je voudrais d'abord vous remercier de la richesse de vos contributions, qui laisse augurer des débats très riches dans l'hémicycle sur des sujets qui intéressent tous les Français.

C'est la première fois que le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche a exprimé un avis aussi favorable à un projet de réforme de l'enseignement supérieur. Certes, des oppositions s'y sont exprimées, mais tout changement suscite des oppositions. En tout état de cause, ce projet a rallié plus de voix que les deux projets qui lui avaient été soumis durant le quinquennat précédent, puisque vingt membres du Conseil se sont prononcés en sa faveur – et vingt en sa défaveur, étant précisé que les représentants des étudiants, qui y étaient favorables, n'ont pas pu voter puisque leur élection n'avait pas été validée.

Les oppositions au projet ont souvent été justifiées par la question des moyens. C'est que la situation où vous avez laissé les universités était bien loin de correspondre au tableau idyllique que vous nous avez dépeint, monsieur Hetzel, sans même parler des 400 millions d'euros d'impasse budgétaire que j'ai eu la surprise de découvrir à mon arrivée à ce ministère. La réalité, c'est qu'elle n'a pas cessé de se dégrader depuis leur passage aux responsabilités et aux compétences élargies.

Certes, l'autonomie des universités, à laquelle nous sommes favorables, ne date pas du quinquennat précédent, puisque c'est Edgar Faure qui l'a mise en place il y a cinquante ans et Alain Savary qui l'a confortée. Mais la loi LRU n'a fait que transférer la masse salariale aux universités sans anticiper sur son évolution, et c'est l'un des problèmes les plus graves parmi ceux dont souffrent aujourd'hui les universités.

En dépit d'un contexte budgétaire difficile, notre ministère, qui fait partie des trois ministères considérés comme prioritaires, a obtenu que les moyens alloués aux universités augmentent de 2 % en 2013 et qu'elles bénéficient de la création de 1 000 postes supplémentaires par an. Mais ces apports supplémentaires risquent d'être absorbés en tout ou partie par les déficits dus à votre manque d'anticipation. Ainsi, vous n'avez anticipé ni l'augmentation du compte d'affectation spéciale Pensions ni le glissement vieillesse technicité. Si cela avait été le cas, les dotations supplémentaires auraient pu être en totalité consacrées à la réussite en licence, au lieu d'être utilisées pour colmater des brèches que vous avez vous-même ouvertes. Les 730 millions d'euros du Plan pour la réussite en licence, que vous aviez mis en place, avaient déjà connu ce sort, et c'est la raison pour laquelle ce plan n'a pas eu les résultats escomptés, bien au contraire.

En outre, vous avez multiplié par dix le budget des universités sans former les personnels. C'est la raison pour laquelle un quart des universités ont aujourd'hui une trésorerie à zéro, voire négative, et des fonds de roulement bien en dessous du seuil prudentiel. Hormis 10 % d'entre elles, les universités n'ont pas de comptabilité analytique. Elles ont de ce fait beaucoup de mal à anticiper les difficultés et à gérer leur budget.

Nous avons lancé des inspections et établi des diagnostics, et nous sommes en train d'établir des plans de redressement, même si on ne peut pas parler, comme certains le font, de dépôt de bilan des universités.

La question des aides aux étudiants n'est pas traitée dans la loi, puisqu'il s'agit d'une loi d'orientation, et non de programmation. Nous avons déjà lancé un plan en faveur du logement étudiant. Je vous rappelle que, sur les 40 000 logements dont la construction avait été programmée par le plan Anciaux de 2004, seuls 21 000 ont été réalisés ; seule la moitié des 53 000 logements dont ce plan avait prévu la réhabilitation a été effectivement rénovée.

La feuille de route que le Président de la République m'a fixée prévoit la construction de 40 000 logements étudiants au cours de ce mandat. Pour atteindre cet objectif, je compte notamment accélérer par tous les moyens, sans me limiter aux partenariats public-privé, la programmation de 13 000 logements prévus par le plan Campus, dont aucun n'a été construit à ce jour. Par ailleurs, nous avons identifié, pour les deux prochaines années, 19 000 logements étudiants. Pour la construction des 21 000 logements manquants, nous comptons travailler avec les collectivités locales, que vous aviez exclues de vos dispositifs, peut-être par idéologie. Il est pourtant évident que, sans elles, il n'est pas d'aménagement possible, comme l'a prouvé l'échec du Plan Campus.

Le budget de la vie étudiante, considérée comme la première des priorités, augmentera de 7 % en 2013.

Au titre de notre cotutelle sur Campus France, nous avons, avec le ministère des affaires étrangères, lancé une inspection commune afin que soit dressé un bilan de la première année de cet établissement avant de prendre des décisions. Je peux néanmoins d'ores et déjà vous dire que nous n'envisageons pas a priori de le supprimer, et que nous recherchons plutôt les moyens d'améliorer sa gestion et ses résultats.

Vous avez exprimé la crainte que cette loi fasse baisser le niveau, monsieur Hetzel, mais la France ne peut plus se payer le luxe de mettre une dizaine de sites en concurrence frontale, comme vous l'avez fait. Ne serions-nous pas mieux avisés de nous inscrire dans une perspective européenne qui nous permettrait de gagner en visibilité à l'international, et de privilégier ce qui a toujours fait la force de l'université et de la recherche française et européenne : la coopération plutôt que la compétition ? La coopération tire tout le monde vers le haut.

La pluridisciplinarité est désormais le standard mondial de l'excellence universitaire : des établissements comme le Massachusetts Institute of Technology sont pluridisciplinaires. Dans ces grandes universités, vous pouvez préparer en même temps une licence d'arts plastiques et une licence de mathématiques. C'est exactement ce type de culture que nous voulons promouvoir. La spécialisation progressive permettra les réorientations en licence sans redoublement. Cette disposition sera introduite dans APB qui, aujourd'hui, ne permet pas la réorientation en premier cycle. Ce dispositif, commun à mon ministère et à celui de M. Vincent Peillon, s'inscrira dans un continuum entre le lycée et l'université.

Une formation universitaire de qualité n'est pas antinomique avec une spécialisation progressive et avec des passerelles entre les filières, bien au contraire. Aujourd'hui, les recherches les plus avancées privilégient l'interdisciplinarité, qui suppose à la fois maîtrise d'une discipline et décloisonnement entre les disciplines. C'est exactement ce que ce projet de loi propose, et c'est ce qui se pratique dans la plupart des formations d'excellence.

Je refuse d'opposer excellence et démocratisation. Je pense même qu'une telle opposition a quelque chose d'infamant, comme si l'excellence était réservée aux happy few. Cet « entre-nous », bien à l'abri du monde, que l'enseignement en français devrait préserver, c'est le contraire du progrès. Celui-ci suppose au contraire l'ouverture de l'enseignement supérieur français aux étrangers. Un pays ne peut pas se passer de passerelles vers le reste du monde sans nuire à son développement et à sa recherche.

On peut aider les jeunes à trouver une formation en alternance, et ce sera le rôle des établissements.

Par ailleurs, les enseignants trouveront un intérêt à être formés à la transmission des enseignements, ce qui est tout différent de la maîtrise disciplinaire. La transmission, cela s'apprend. Même si certains, relativement rares, ont un don naturel pour l'exercer, c'est un métier, qui, comme tout métier, suppose l'apprentissage de compétences, de techniques et de savoir-faire. Cela ne signifie pas standardisation de la formation. Nous sommes fiers, au contraire, de la richesse de notre université et du modèle français, que nous comptons rénover.

L'intervention sur la parité était en elle-même un éloge de la parité, je n'y reviendrai donc pas, sinon pour préciser que ce sera la première fois que la composition des listes de candidats aux conseils d'université obéira au principe « un homme, une femme ». C'est une avancée essentielle puisque l'existence d'un plafond de verre limitant les carrières des femmes universitaires a été démontrée. Notre pari est que le caractère paritaire des instances dirigeantes contribuera à améliorer les carrières féminines. Il s'agit aussi, par la force de l'exemplarité, d'attirer un plus grand nombre de jeunes filles vers les carrières scientifiques. En effet, alors que le taux de réussite des filles au baccalauréat scientifique est meilleur que celui des garçons, celles-ci s'orientent moins vers les carrières scientifiques par manque de confiance en soi.

De ce point de vue, l'évolution de la proportion de femmes parmi les présidents d'université n'a rien de rassurant, puisque leur part a chuté de 18 % à 8 %. Cela est dû en grande partie à l'arrivée à la tête des universités d'une génération où les professeurs des universités-praticiens hospitaliers sont majoritairement des hommes.

C'est pourquoi j'ai, avec Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre du droit des femmes, signé la charte pour la parité dans l'enseignement supérieur et voulu inscrire ce principe de parité dans la loi.

Ce seront bien les titulaires d'un baccalauréat technologique qui seront en priorité orientés vers les IUT. Aujourd'hui, la différence de réussite aux diplômes universitaires de technologie entre les titulaires d'un baccalauréat technologique et ceux d'un baccalauréat général est de cinq points. Cette mesure ne va donc bouleverser radicalement ni le niveau ni la pédagogie. Elle ne provoquera pas non plus un afflux massif de titulaires d'un baccalauréat technologique, puisque les filières technologiques des lycées peinent à recruter des élèves. Il faut réorienter les jeunes vers ces filières, qui sont souvent très proches du milieu économique et offrent des débouchés.

Le nombre des titulaires de baccalauréats professionnels, en revanche, est en constante augmentation, mais seuls 50 % d'entre eux poursuivent leurs études. Ils sont majoritairement issus de milieux modestes. C'est pourquoi nous voulons leur permettre d'accéder aux STS, qui avaient à l'origine vocation à les accueillir.

Nous comptons par ailleurs favoriser l'innovation pédagogique par le biais des contrats que nous passons avec les universités. La réduction du nombre de contrats du fait des regroupements d'établissements nous permettra de leur donner un contenu qualitatif. L'innovation pédagogique englobera notamment une formation à l'entreprenariat, qui manque aujourd'hui. Celle-ci permettra de développer le travail en équipe, que la pédagogie traditionnelle néglige, favorisera l'insertion professionnelle et l'efficacité professionnelle des étudiants.

Le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur ne sera pas une version « Canada Dry » de l'AERES. Celle-ci ne pouvait pas disposer en son sein d'experts suffisamment pointus pour évaluer toutes les disciplines, si bien que nombre de ses évaluations étaient contestables, comme j'ai pu le constater moi-même dans le domaine des sciences humaines et sociales. Elle reconnaissait d'ailleurs elle-même son incapacité à évaluer les projets interdisciplinaires. Il est vrai que, ces derniers mois, peut-être sous l'effet de l'annonce de la suppression de l'agence, les responsables de l'agence ont fait des efforts pour améliorer significativement son fonctionnement, ce qui prouve qu'ils étaient conscients de ses faiblesses.

Nous avons décidé de changer radicalement de méthode. Le futur Haut Conseil sera composé d'experts choisis par les établissements, et ce sont ces derniers qui seront chargés de mettre en place eux-mêmes les comités d'évaluation. Sans revenir à l'ancienne évaluation entre pairs, dont vous avez, avec raison, souligné le caractère souvent consanguin, on responsabilisera les établissements par un système d'accréditation. Le ministère veillera à ce que les évaluations des établissements accrédités soient incontestables au regard des standards internationaux.

Je terminerai par une note européenne, qui devrait nous rassembler. La France est à l'origine du lancement par Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne chargée de l'éducation, d'un classement européen des universités, destiné à contrer le classement de Shanghaï, invention d'une poignée de personnes douées pour le marketing et construit sur un modèle anglo-saxon – ce qui explique que des universités européennes aussi réputées que Bologne ou Heidelberg, pour ne pas citer d'établissements français, n'y figurent pas. Le classement U-Multirank s'inscrit dans une stratégie d'ensemble qui vise à permettre à nos universités de gagner en visibilité, en force et en rayonnement, tant au niveau national qu'aux plans européen et international.

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